• Cultures complémentaires et nourritures de substitution au Maroc (XVe-XVIIIe siècle)

    Cultures complémentaires et nourritures de substitution au Maroc (XVe-XVIIIe siècle) <o:p></o:p>

    Bernard Rosenberger - Annales  - Année  1980  - Volume  35 - Numéro  3-4 - pp. 477-503<o:p></o:p>

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    A la fin du xvne siècle, Al Yûsï, dans ses Muhâdarât, évoque un conteur qui, sur la place publique, à sa façon, campe la diversité régionale et sociale du Maroc. Le Fassi, dit-il, si on lui demande ce qu'il préfère manger dira : des pigeons à la sauce, le Marrakchi... du pain de blé et de la viande de mouton, le 'arubï... — paysan arabophone — du barkuksh — sorte de couscous — avec du lait et du beurre frais, le berbère... de la bouillie de millet ou de sorgho, 'asïda 'anilï, et enfin le Dr'àwi réclamera la datte bu faqqus de Tagmadert avec de la soupe, harïra. Pour la plus grande joie de son auditoire, il le fait dire à chacun dans son parler ' . Notre lettré veut-il simplement typer des personnages, ou est-il désireux d'illustrer la sagesse de l'ordre voulu par Dieu lorsqu'il ajoute qu'il serait vain, en effet, de proposer à l'un le mets de l'autre : la harïra au 'arubï et la 'asïda au Fassi, ils n'en voudraient pas ! Il est bien vrai que l'homme est ce qu'il mange, cependant, en cas de disette, les uns ou les autres seraient-ils si difficiles ? Retenons qu'habituellement, seuls les citadins des deux capitales sont carnivores, et encore le Méridional se contente-t-il de mouton, moins estimé, et le prend-il avec du pain. Les ruraux font leur ordinaire de céréales agrémentées, dans le meilleur des cas, de laitages. Pour le Saharien, les dattes passent avant la soupe de farine. La hiérarchie est à la fois géographique et sociale : faut-il s'en étonner ?<o:p></o:p>

    Vérifier le bien-fondé de cette constatation par une étude de l'alimentation à des époques proches de l'auteur n'est pas facile. On ne peut légitimement projeter plusieurs siècles en arrière les résultats d'enquêtes qui ont pu être faites de nos jours au Maghreb, d'autant que le Maroc semble moins bien connu que des pays voisins 2. Rien d'équivalent non plus à ce qui existe sur le Proche-Orient médiéval ou sur la Tunisie aux xvnie et xixe siècles 3. La documentation ne manque pas, mais elle est très dispersée. Un voyageur note parfois un plat qu'on lui a servi ou qu'il a vu prendre, s'il ne lui est pas familier, et les auteurs européens s'arrêtent un peu sur des usages exotiques. Les sources arabes dont nous disposons, surtout des chroniques, accordent peu d'intérêt à des préoccupations jugées triviales. Leurs auteurs retiennent les faits politiques, religieux ou exceptionnels, et il faut au moins une famine pour entendre parler de nourriture. C'est à leur propos que nous est apparu 4 un phénomène, général et bien connu en Europe, mais qu'il<o:p></o:p>

    paraît utile de préciser dans un milieu maghrébin : lors d'une disette, les céréales nobles sont relayées par des céréales moins estimées qui, elles-mêmes, admettent un appoint, ou doivent céder la place aux légumineuses, voire à toutes sortes de plantes cultivées ou non. Lors des années normales, quelle est la place des cultures et des nourritures ďappoint, qui les consomme, quelles sont-elles ?<o:p></o:p>

    Dans les limites de cette contribution à l'étude des usages alimentaires au Maroc, une première partie sera consacrée aux relations entre le milieu naturel, la société et l'alimentation ; ensuite chaque plante sera envisagée séparément.<o:p></o:p>

    Habitudes alimentaires, écologie et société<o:p></o:p>

    La part des céréales dans l'alimentation paraît largement prépondérante. Même chez les pasteurs vivant sous la tente, elle ne doit pas être sous-estimée. Seuls les grands nomades sahariens ignorent quasiment l'usage de la farine et du pain, comme du temps d'Al Bakri. Dans les bons terroirs des plaines atlantiques, les éleveurs sont aussi des céréaliculteurs extensifs qui peuvent obtenir facilement de quoi nourrir une population qui paraît, il faut y insister, de faible densité 5. Lorsqu'ils parcourent des régions plus arides comme le versant méridional de l'Atlas, ou les vastes étendues steppiques de l'Oriental, ils se procurent du grain par échange, achat, ou sous forme de redevance versée par des sédentaires : tribut, droit de protection, loyer de la terre, on ne sait trop... 6.<o:p></o:p>

    Les cantons montagneux, comme le Rif, au sol pauvre et au climat rude, produisent trop peu de céréales pour se nourrir toute l'année, mais, en vendant certaines de leurs productions, ils peuvent en acheter 7.<o:p></o:p>

    Pourtant, par rapport à bien des contrées d'Europe, il apparaît que la consommation des produits animaux est plus importante. Un bon pourcentage de la population est constitué de pasteurs, y compris dans les plaines humides. Et beaucoup de montagnards, pratiquant une polyculture soignée dans les vallées, tirent parti, grâce à leurs troupeaux, des espaces incultivables des versants et des hauteurs, parmi eux de nombreux transhumants. En ville, à Fez, d'après Jean- Léon : « L'habitude dans le peuple est de manger de la viande fraîche deux fois par semaine. Mais les gentilshommes en mangent deux fois par jour, suivant leur appétit 8. » Le rôle spécifique de la nourriture carnée et des laitages est connu. Ce régime alimentaire est-il plus varié et plus équilibré que dans bien des campagnes d'Europe au même moment ? A-t-il eu des incidences sur la santé des populations et sur leur comportement démographique ? Il est difficile de répondre faute de documents et d'études. Notons le cas particulier des sédentaires des régions présahariennes, chez qui les fruits, et spécialement les dattes, ont une place d'autant plus grande que celle des céréales et des produits de l'élevage diminue, provoquant du reste des carences. Il faut se souvenir aussi que, partout, la chasse et la cueillette gardent une grande importance. Le gibier, abondant en toutes régions, peut être un bon apport en viande. Les plantes ramassées surtout au printemps agrémentent un ordinaire souvent monotone.<o:p></o:p>

    L'alimentation varie selon les régions et la richesse du milieu naturel. Certains coins de montagne sont mal lotis : dans un secteur du Rif, les gens mangent un mauvais pain noir fait de millet et de pépins de raisins moulus, au goût acre, « qui est vraiment affreux ». Mais « ils possèdent une grande quantité de chèvres dont le lait est pour eux un précieux aliment 9 ».<o:p></o:p>

    Des causes socio-économiques interviennent aussi : il y a des différences qui s'expliquent par la place dans la hiérarchie sociale, l'aisance plus ou moins grande. On peut trouver, dans un groupe globalement pauvre, des individus ou des familles aisés. L'inverse est encore plus vrai. La « minutieuse et diligente description de Fez » de Jean-Léon l'Africain montre bien toute la différence entre ceux qu'il appelle « les personnes importantes, les gentilshommes, les commerçants, les gens de la cour » d'une part, et « le peuple » d'autre part. Les premiers mangent de la viande fraîche chaque jour et plus souvent deux fois qu'une, alors que les gens du commun n'en peuvent manger que deux fois par semaine, au mieux. Pour ceux-ci, le pain constitue la base des trois repas journaliers, avec de la soupe ou de la bouillie de céréales et du couscous, auxquels s'ajoutent des fruits, des olives, du fromage blanc. Quant aux laboureurs de Fez, il y en a, ils mangent le matin, avant d'aller aux champs, des « mets grossiers » : beignets, viande frite, poisson frit, pieds cuits et une espèce de galette faite avec du beurre — « une... sorte de pain léger, fait comme une lasagne, mais plus gros » 10. L'inégalité vient aussi, comme on le verra, de ce que les humbles sont bien moins protégés des aléas de l'approvisionnement.<o:p></o:p>

    On pourrait croire, cependant, que les différences tendent à s'effacer devant ce qui est peut-être un des traits les plus caractéristiques du Maghreb de cette époque, une grande instabilité, pour mieux dire une insécurité telle que l'avenir n'est jamais assuré, même pour ceux qui paraissent les mieux pourvus. La cause essentielle en est l'irrégularité du climat qui, dans les régions continentales et arides, atteint un degré tel que la simple survie y est souvent problématique. C'est le lot de ces pays et leurs habitants le savent. Ils savent aussi le prix de la prévoyance, et organisent des réserves. Nous sommes bien loin, en fait, de ce fatalisme reproché par bien des auteurs européens aux populations du Maghreb. Cette idée reçue, répétée à l'envi, ne se soucie même pas de la contradiction qu'il y a ensuite à décrire, avec parfois de l'admiration, les fameuses « matmoras », silos souterrains, où le grain se conserve jusqu'à cent ans, dit-on. Le climat si dur fait tout de même une concession : ce qui a pu pousser se conserve ensuite assez facilement, moyennant des précautions surtout contre les insectes et les prédateurs ll.<o:p></o:p>

    Le stockage dans les silos souterrains — arabe matmura, pi. mtàmar, berbère tasraft, pi. tiserfin — peut être le fait d'un groupe familial, tribal ou d'un pouvoir. Regroupés en vastes ensembles lorsqu'ils sont les réserves d'une tribu puissante ou d'un prince, ces silos sont appelés alors mars (d'où un toponyme comme mars al sultan, actuel quartier de Casablanca) et peuvent être l'objet d'une garde, d'une protection à la mesure de l'importance économique et politique des réserves. A la campagne, la famille compte surtout sur le secret pour assurer la sécurité du dépôt : il y a dans le mot l'idée de cacher. On enfouit le grain dans un lieu écarté, on dissimule l'ouverture et on prend bien garde de ne pas être observé lors du remplissage et à chaque prélèvement. Mais, évidemment, l'importance des stocks rend impossible le secret. Fréquemment, dans les plaines atlantiques, les tribus vivant sous la tente vont porter leurs grains dans des lieux habités par des sédentaires, à la garde desquels elles les confient selon des modalités qui nous échappent. C'est ainsi que la ville d'Al Madïna al Gharbiya, dans les Doukkala, non loin de Safi, reçoit, au début du xvie siècle, le blé et l'orge des Ulad Subaîta et d'une partie des Gharbiya n.<o:p></o:p>

    Les douars se déplacent et ne peuvent transporter avec eux leurs provisions, et il serait difficile ďaffecter une partie du groupe à la garde des matmoras. Mais la sécurité et la commodité n'expliquent peut-être pas seules cet arrangement. Il arrive que plusieurs bonnes récoltes se succèdent et que les silos regorgent de grain : les emblavures peuvent alors se réduire, et ce peut être une bonne affaire de commercialiser le surplus, ce dont peuvent se charger les habitants d'une ville. Les échanges interrégionaux semblent limités par l'absence de charrois, le recours exclusif aux animaux porteurs dont la charge est faible et par l'inexistence de navigation intérieure 13. Seule la voie maritime permet des transports pratiques et importants. Or il est remarquable que sur quelques sites littoraux, parmi ceux cités dans des descriptions du xie au xvie siècle, l'on retrouve des vestiges de silos et que le courant d'exportation vers la péninsule voisine se soit maintenu tout ce temps l4.<o:p></o:p>

    Avoir sous sa main les réserves de grain donne évidemment un moyen d'action efficace. Les Portugais, au début du xvie siècle, ont le souci de faire emmagasiner les récoltes des tribus plus ou moins soumises dans des lieux où ils puissent exercer leur contrôle. Et sans doute le poids de leur allié Yahyjl п Tafuft tient-il en partie au fait qu'il est maître de Sernû, lieu identifié avec probabilité au « Cent Puits » de Jean-Léon, ainsi appelé en raison de nombreux silos qui s'y trouvaient 15.<o:p></o:p>

    Assurer le pain quotidien à une grande ville comme Fez était une tâche préoccupante. On ne voit pas quel était le rôle du souverain. Se contentait-il d'exempter de droits d'entrée des denrées de première nécessité, outre le grain, les bœufs, les poules... 16 ? Les magasins du quartier des Andalous, « dans lesquels on entrepose le grain » appartenaient-ils au souverain ou à des particuliers n ? S'agissait-il là de héris, comparables à celui décrit à Fez Jdid, bâtiment conçu pour y mettre en sécurité de grosses quantités de grain destinées aux besoins de l'armée, de la cour, du Makhzen en un mot, et qui provenaient peut-être de l'impôt payé en nature 18 ? Jean- Léon parle à plusieurs endroits des silos à Fez :<o:p></o:p>

    Toute la partie située vers le nord est en montagne ďune roche calcaire. Là se trouvent des fosses profondes dans lesquelles on conserve le grain pendant plusieurs années. Certaines de ces fosses contiennent plus de deux cents moggia de grain. Les habitants de cet endroit qui sont de petites gens vivent de la location de ces silos, qui est ďun moggio pour cent par an 19.<o:p></o:p>

    Il y en avait eu hors de la ville dans un faubourg, à l'ouest, mais « comme les grains étaient enlevés par l'ennemi, on a fait construire des greniers dans le nouveau Fez et ceux qui se trouvaient à l'extérieur ont été abandonnés ». Ces greniers sont peut-être les héris reconnus près de Bàb Sammârin, dont celui appelé Habs Zabbàla. Précision intéressante : « On conservait autrefois le grain des seigneurs de Fez dans ces fosses. Ils n'habitaient pas alors le faubourg, mais ils y avaient des gardiens pour leurs grains 20. » Un autre passage confirme que seule une minorité à Fez avait assez de fortune pour constituer des réserves, louer des silos, payer des gardiens :<o:p></o:p>

    Certains marchands ont des moulins en location, achètent le grain, le font moudre, puis vendent la farine dans des boutiques qu'ils ont également en location. Ils tirent de cette profession un bon bénéfice parce que tous les artisans dont les moyens ne sont pas suffisants pour qu'ils s'approvisionnent de grain achètent la farine dans ces boutiques... Mais les personnes de quelque importance achètent le blé et le font moudre dans certains moulins réservés aux citadins moyennant une redevance 21.<o:p></o:p>

    Seuls le Makhzen, les Fassis les plus aisés et les marchands peuvent stocker du grain. Ces derniers spéculent. En temps normal ils se contentent du bénéfice sur la mouture du grain et sa revente au détail. Mais après une mauvaise récolte, la cherté, ghâla, qui en résulte et paraît naturelle n'est-elle pas accentuée par ceux qui peuvent en profiter ? Le souverain intervient-il en jetant sur le marché une partie de ses copieuses réserves pour faire baisser les prix ? Mawlay Ismail le faisait, comme nous le verrons plus loin. En 1 609, un prétendant, Abu Hassun, « gouverna en son propre nom Marrakech pendant quarante jours ». Comme il avait trouvé les habitants dans une situation très gênée, « il tira de son palais toute espèce de vivres ce qui lui valut le qualificatif d'Abou ech chaïr » (l'homme de l'orge). Le cas est très particulier car aux mauvaises récoltes s'ajoutaient des guerres civiles n. Ce mode de stockage fort répandu est simple par comparaison avec l'institution très élaborée qu'est le grenier collectif, fortifié — agadir, igherm — des montagnards de l'Atlas et de l'Anti- Atlas. Certains greniers fonctionnent encore. Leur architecture et les règles qui régissent leur usage ont suscité des études qui nous dispensent d'en parler ici 23. Autour d'eux, et peut-être par eux, se sont édifiées des communautés solides, à une époque difficile à préciser 24. Il est des cas, enfin, où la famille entasse les réserves dans une pièce de la grande maison — 'arish, en arabe ou agennar en berbère. C'était le cas dans les villages fortifiés de la vallée du Dra, et on en trouve encore dans le Sirwa. Une façon simple, très usitée encore, est de placer le grain dans de grandes corbeilles lutées d'argile sur les terrasses des maisons.<o:p></o:p>

    Ce souci de prévoyance est bien manifesté dans un texte qu'un tàlib du Sous a rédigé au xvne siècle pour engager à constituer des réserves. Tout imprégné d'une morale de l'effort, du goût de l'épargne, Al Bushwári aurait approuvé la maxime : « Aide-toi et le ciel t'aidera. » Les provisions doivent pouvoir assurer la survie dans les pires conditions : il faut préférer les denrées de plus longue conservation ou d'une haute valeur nutritive ou d'échange 25. Une année sèche amène des restrictions et des souffrances, mais n'est pas encore catastrophique, du moins dans les régions où l'on sait qu'il faut compter avec l'irrégularité des pluies. Elle peut l'être dans le nord du pays, moins sec habituellement et où l'on sent moins la nécessité de se prémunir par une organisation appropriée : c'est ce qui nous semble se produire en 1661 dans la région de Fez et le Tadla. Deux mauvaises récoltes consécutives entraînent inéluctablement une grave famine. Si, par hasard, trois mauvaises années se suivent, comme en 152 0-1521-1522, avec de surcroît, à partir de 1522, la peste étroitement liée à la famine, c'est l'Apocalypse 26.<o:p></o:p>

    On ne saurait donc être trop difficile sur la nourriture, et, en cas de besoin on mange ce qui se présente, tout ce qui peut aider à survivre. Des chroniqueurs, pour exprimer la détresse des hommes, signalent qu'on en arrivait à consommer des animaux morts, entendez non rituellement abattus. Ils parlent même de cas de cannibalisme 27. Mais le Coran lui-même promet en plusieurs passages la miséricorde de Dieu à ceux qui ont dû, par nécessité, enfreindre les prescriptions touchant l'alimentation 28. En Arabie, tout le monde sait à quoi peut pousser la faim, et une tradition très comprehensive a été ainsi fondée, en elle-même bien significative.<o:p></o:p>

    C'est surtout le ramassage de plantes sauvages qui permet de passer les périodes les plus difficiles. Or elles ne manquent pas. La place des champs, temporaires ou permanents, devait être modeste, car la population était beaucoup plus clairsemée que de nos jours, et les techniques agricoles ne connaissaient, pour reconstituer la fertilité du sol, que le repos plus ou moins prolongé, de sorte que Ton pratiquait une espèce de culture itinérante, en particulier dans les plaines occidentales parcourures par des semi-pasteurs. Les jachères, les friches fournissaient, même hors des disettes, une part appréciable de la nourriture.<o:p></o:p>

    L'irrégularité du climat a, comme autre conséquence, celle d'obliger à diversifier les cultures. On retrouve, au Maroc, l'opposition méditerranéenne habituelle entre cultures sèches et cultures irriguées. Pour les premières (blad bur) il faut se conformer aux chutes de pluies. Celles d'automne et d'hiver (d'octobre à janvier) permettent de labourer et de semer à la volée les céréales de culture précoce (bakriya), le blé et l'orge, mais aussi de planter les fèves. C'est là la mise essentielle. Au printemps, de février à avril, d'autres pluies font pousser les précédentes cultures, et permettent de les compléter par des plantes qui demandent plus de chaleur pour germer ou dont la période végétative est plus courte, ou qui craignent moins la sécheresse du début de l'été (mai-juin, parfois déjà avril). Cette culture ma 'zuziya repose sur l'orge — quelquefois — , le sorgho ou le millet et actuellement le maïs, ainsi que des légumineuses — lentilles, pois chiches, etc. Le rapport des surfaces est, en gros, de deux tiers en bakriet un tiers en ma'zuzï. Mais il peut être différent si les semailles d'automne ou ďhiver ont été manquées. Le printemps offre parfois une deuxième chance qu'il est important de pouvoir saisir, et le fellah s'y essaie. Dans le bur il s'adapte donc aux pluies, tandis que dans les terres irriguées, il détermine le moment des plantations et peut obtenir deux et même trois récoltes de son terrain : avantage énorme, outre une sécurité relative face à la sécheresse.<o:p></o:p>

    En somme, une première défense consiste à étaler le calendrier des récoltes et une seconde, qui reste parfois la seule, à puiser dans la nature non dominée. Le milieu, en revanche, ne semble pas avoir une grande influence sur la cuisine, sinon peut-être par le biais de la diététique. Il paraît établi que les préparations culinaires sont compliquées avec le temps et avec le niveau de développement matériel. La manière la plus simple, mise à part la consommation crue, telle quelle, a été de griller les grains avant de les manger, entiers ou moulus. La farine obtenue peut être mêlée à de Геаи ou du lait pour faire une pâte plus ou moins épaisse. On est passé ensuite aux soupes et aux bouillies, qui, dans de nombreux pays, sont restées la base de l'alimentation paysanne et populaire. Les crêpes sont un intermédiaire vers les galettes, levées ou non, les beignets et enfin le pain qui est la manière la plus élaborée de consommer les céréales 29. A ces façons que l'on retrouve partout, les peuples du Maghreb en ajoutent une qui leur est particulière : la cuisson à la vapeur. C'est le fameux couscous sur l'origine duquel on discute encore sans être fixé. Il en est qui penchent pour une origine autochtone, d'autres la croient africaine. Il est certain dans tous les cas que rien de pareil n'existait chez les Grecs ni chez les Latins et qu'au Mashrek le couscous est une curiosité, et qu'il est considéré comme le plat par excellence du Maghreb î0. L'hypothèse d'une origine africaine, ou, du moins, d'une origine commune aux deux rives du Sahara, n'est pas à négliger. Les peuples noirs du Sahel soudanien consomment le millet ou le sorgho cuit à la vapeur, ce dont témoignait déjà Ibn Battûtâ au xive siècle31, et il y aurait peut-être des arguments linguistiques à l'appui de cette thèse n. Sur son ancienneté, les textes ne nous apprennent pas grand-chose : les témoignages écrits ne remontent pas très haut 33. L'absence de preuve archéologique n'est pas dirimante puisque certains n'utilisent pas encore le kiskas mais un couffin ou une vannerie au-dessus d'une marmite ; ne pas trouver de tessons de cet ustensile si caractéristique dans le néolithique de l'Afrique du Nord ou du Sahara n'est pas étonnant. Mais des fragments ont été trouvés dans des couches médiévales d'époque musulmane à Chellah, où ils sont difficiles à dater 34.<o:p></o:p>

    Les recettes qu'on a de ce plat, pour les xvie et xvne siècles, ne diffèrent guère de celles que nous suivons de nos jours 35. Cependant, selon la céréale, la mouture et la préparation, le couscous porte des noms différents, mais le même mot désigne des réalités différentes selon les régions du Maghreb 36. On se heurte aux mêmes difficultés sur d'autres points, comme il apparaîtra plus loin.<o:p></o:p>

    On peut retenir aussi que l'alimentation n'obéit pas seulement à une nécessité physiologique, et ne s'explique pas par la seule diététique. Sans parler des interdits alimentaires, il est des mets qui ont une valeur rituelle, symbolique ou magique. En certaines circonstances, la composition du repas est réglée par la tradition 37. Les nourritures les plus simples et les plus anciennes, délaissées pour des aliments nouveaux, se maintiennent ou réapparaissent à des fêtes. Un peu comme chez nous les crêpes à la Chandeleur, la 'asïda, bouillie de céréales, est sur presque toutes les tables du Maghreb au Mulud, à Fez en particulier 38.<o:p></o:p>

    Chaque lieu, chaque temps, chaque milieu social a sa source de farine<o:p></o:p>

    Comme dans tout le monde méditerranéen, les deux grandes céréales nourricières sont au Maroc, le blé et l'orge.<o:p></o:p>

    Quand on parle de blé, il ne saurait être question, avant le xxe siècle, de blé tendre. Le blé dur — arabe kamh, berbère irden — a son domaine d'élection dans les plaines atlantiques, jusqu'autour de Fez. Mais on le trouve ailleurs, notamment dans les oasis présahariennes du Dra et du Tafilalt, et même dans des vallées montagnardes. Les épis barbus et souvent noirs donnent un teinte particulière à la campagne au temps des moissons, comme le remarquait Bernardo Rodriguez, au voisinage d'Arzila, au xvie siècle 39.<o:p></o:p>

    Sa valeur marchande est supérieure à celle de l'orge, sans doute parce qu'il est plus apprécié des citadins et des couches aisées de la population, et non en raison d'une qualité nutritive supérieure. Au début du xvie siècle, il est couramment estimé au double de l'orge. L'écart n'est pas constant, mais garde des proportions voisines aux xvie et xvne siècles 40.<o:p></o:p>

    Le blé est consommé sous forme de pain, naturellement, de galettes, de bouillies, de soupes, et de couscous qui, lui, est la nourriture d'hiver du peuple selon Jean- Léon. « Tous ceux qui font cuisine mangent une fois par jour de l'Alcuzcuçu parce qu'il couste peu et nourrit beaucoup » dit Marmol plus explicite ; et pourtant, il dit d'un souverain que c'est là son « manger ordinaire » mais « deux fois le jour » 41. Simplicité de vie du Sharif qui se nourrit comme ses sujets, mais plus abondamment, ou bien son couscous n'a-t-il plus grand-chose de commun avec celui du peuple ? Dans la cuisine des princes tout est dans une préparation raffinée et compliquée, l'adjonction d'aromates et d'épices rares et chers, ce que donne à comprendre un passage en vers d'Ibn al Azraq (xve siècle) : « Et parle moi du kuskusu [c'est un mets noble et distingué] surtout s'il a été fabriqué de belle façon...42.» En 1699, l'ambassadeur 'Abdallah ibn Aicha a emporté en France une provision « ďune espèce de farine de son pays propre à faire un de ses mets délicieux qu'il appelle couscoussou »43. A Fez et dans les plaines atlantiques, le froment fournit sans doute la plus grosse partie du pain. Sa fabrication est domestique et une tâche quotidienne des femmes. Au début de ce siècle, Le Tourneau notait : « Tous les Fassis dignes de ce nom pétrissent encore le pain chez eux 44. » II n'y avait donc pas de changement depuis le temps de Jean- Léon, où les artisans, sans pouvoir comme les « gentilshommes » faire moudre leur propre grain, « font faire leur pain chez eux ». Ils le font cuire cependant au- dehors, chez les fourniers (ferràna), comme à la veille du Protectorat, puisque notre auteur note que la corporation des portefaix a le curieux privilège, parmi d'autres, de ne rien payer pour ce service 45. Ce pain, nous l'avons vu, constitue la base des trois repas du peuple. C'est du pain blanc, de froment, que donnent à Mouette captif ses patrons, avec des fruits : repas qui confirme ce que dit Jean- Léon 46. La farine de froment sert sans doute aussi à faire ces galettes proches des lasagnes et les beignets faits en grande quantité au « marché de la fumée ». Frits dans l'huile et miellés, on reconnaît les shbàkiyàt pris le matin et les jours de fête, offerts en abondance aux mariages47.<o:p></o:p>

    L'orge — arabe sha'ïr, berbère timzin ou tumzin — occupe certainement la plus grande surface. On la donne aux chevaux, et elle nourrit les hommes sans doute autant que le blé, si l'on considère l'ensemble du Maroc. Elle ne vient en second que dans les plus riches terres des plaines atlantiques. Dans les montagnes et dans le Sud, elle occupe la plus grande partie des emblavures en bakrï. Dans le Rif, « le pays est si stérile qu'on n'y recueille que peu d'orge et encore moins de froment », « leur manger ordinaire est du pain ďorge et des sardines... » constate Marmol 48. Des Haha, il dit que « leur nourriture la plus ordinaire est de farine d'orge 49 ». On peut expliquer l'extension de cette céréale par ses moindres exigences ; elle se contente d'un sol peu profond et moins riche et d'une pluviosité moins forte car sa croissance est plus rapide : elle peut ainsi, dans le Sud, mûrir avant d'être brûlée par les fortes chaleurs d'avril, et inversement, dans le Nord, plantée tard en ma'zuzï donner encore une moisson. Son rendement sur un sol médiocre et dans un climat difficile est supérieur au blé.<o:p></o:p>

    On en fait un pain de couleur foncée et compact, d'une saveur particulière, et souvent des galettes, comme dans les Haha où selon Jean-Léon : « Les gens de ce pays ont l'habitude de manger du pain d'orge. Ce pain qui ressemble plus à de la galette qu'à du pain est fait sans levain. On le cuit dans des poêlons de terre qui ont la forme de couvercles de tourtière ; il est rare qu'on le cuise au four. » Et Marmol parle « de grandes galettes fort déliées, qu'on cuit au feu dans des terrines ou sur des tests de pots cassez, et on les mange ainsi toutes chaudes avec du beurre et du miel, ou avec cette huile dont nous avons parlé (l'huile d'argan) 50 ». Moins appréciée que le froment pour faire du pain, l'orge est souvent consommée sous forme de bouillie ; la fameuse 'asïda dont la zaouïa de Dila, au xvne siècle, était réputée rassasier ses nombreux hôtes, surtout des Berbères des montagnes voisines 51. Sous ce terme, on trouve en fait des recettes différentes. Dans le Rif, au xine ou xive siècle, c'est de l'orge légèrement grillée, moulue, et cuite dans de l'eau 52. Jean-Léon donne la façon des Haha :<o:p></o:p>

    On met à bouillir de l'eau dans un chaudron, puis on y jette de la farine ďorge que l'on brasse avec un bâton jusqu'à ce qu'elle soit cuite ; on verse cette bouillie dans un plat creux et l'on pratique au milieu une petite excavation où l'on met de cette huile ďargan. Toute la famille se réunit autour du plat et, sans autre cuiller que sa propre main, chacun prend ce qu'il peut jusqu'à ce qu'il ne reste rien dans le plat. Au printemps, et pendant tout l'été, on fait bouillir cette farine dans du lait et on y met du beurre. Tel est le dîner habituel 53.<o:p></o:p>

    Il ne semble pas qu'ici le grain ait été grillé avant d'être moulu par les femmes dans des moulins à main très simples, ce qui représente une part importante et pénible de leurs tâches. Remarquons que, pendant l'époque où les troupeaux donnent du lait, celui-ci remplace l'eau de cuisson. La nourriture de base est alors plus riche. Cette dernière sorte de bouillie est appelée « hacua » par Marmol 54. Faut-il y voir le mot haswa qui désigne de nos jours une sorte de soupe de céréales ? Le traducteur note en marge « certaine paste tortillée, je ne sçay si ce ne seroit point ce qu'on nomme en Champagne des tourrelets, qui est de la paste fort déliée, cuite dans de Геаи ou du lait ». Similitude ou parenté de recettes simples dans des régimes alimentaires à base de céréales ? Dans une montagne pauvre que Jean- Léon appelle « Semede » et situe entre le pays haha et les Seksawa, au sud- ouest de Marrakech, la nourriture du pays qu'il lui a fallu manger, à son grand déplaisir, tout le temps qu'il y est resté, était de la « farine d'orge détrempée dans de Геаи bouillante, avec la viande d'un vieux bouc 55 » tué sans doute en son honneur ; la préparation est ici encore plus rudimentaire. L'orge sert aussi de base au couscous. L' « alcuzcuçu » est bien, selon Marmol, « la plus ordinaire viande dont usent les Africains et les Arabes ».<o:p></o:p>

    Le blé est le plus apprécié, l'orge la plus consommée, mais d'autres céréales fournissent leur part dans la nourriture des hommes.<o:p></o:p>

    L'avoine n'existait pas alors au Maroc. On peut suivre sur ce point l'affirmation de Jackson à la fin du xvine siècle, car, si elle est mentionnée une fois, cela résulte d'une erreur 56. Ce sont les colons européens qui ont introduit cette culture des pays frais, qui est d'ailleurs restée limitée à des terres très humides du Nord, dans le Gharb notamment.<o:p></o:p>

    Le seigle, autre céréale de pays froid, mais accommodée aux sols pauvres et aux rigueurs des montagnes était cultivé, et il existe même encore sous forme de quelques cultures reliques, dans le Rif, le Moyen et le Haut Atlas. Les berbé- rophones de ces régions l'appellent ishentï, shentï, ou tishentit ; on trouve aussi adkuïn. Il ne semble pas connu des arabophones des plaines, ce qui ne saurait étonner, car il se cantonne aux terres froides d'altitude. On le signale à la fin du xvie siècle, dans le Haut Atlas et, ce qui est étrange, dans les Doukkala et la Chaouïa ".<o:p></o:p>

    Le riz, céréale tropicale, introduite du Moyen-Orient à une époque incertaine par des Musulmans, avait disparu, semble-t-il au début du xxe siècle. On le cultivait antérieurement dans quelques terroirs favorables, comme l'estuaire du Bou Regreg, près de Salé, où il est signalé à la fin du xvie siècle. La même source le mentionne aussi dans la région de Fez, sans plus préciser ; mais peu avant, Marmol avait noté que les Ulad al Haj, à l'est de la ville sur le Sebou ont « quantité de riz qu'ils portent vendre à Fez et ailleurs ». Au xvine siècle, il est signalé dans la vallée du Dra et du Tafilalt 58.<o:p></o:p>

    Ces céréales ne pouvaient avoir un rôle bien important, sauf localement. Il en va autrement du millet ou du sorgho qui, dans certaines régions, occupent une place équivalente à l'une des grandes céréales.<o:p></o:p>

    Pour les botanistes ce sont des plantes différentes, mais dans l'usage courant elles sont souvent confondues, et parfois même, avec le maïs. Cela tient à des ressemblances d'aspect, plus évidentes pour certaines variétés, mais aussi à l'imprécision du vocabulaire usuel, actuellement et chez les auteurs anciens qui ont rarement un souci scientifique. Il en résulte une inévitable incertitude, mais qui, du point de vue où nous nous plaçons, n'est pas très gênante. Ces céréales à petits grains ont en commun d'être des plantes peu exigeantes qui, dans de vastes régions du monde tropical ou subtropical, sont précieuses pour confectionner les bouillies journalières. Les sources ne nous donnent que de rares indications sur l'aspect de la plante ou du grain accompagnant des termes dont la variété contraste avec la stabilité qui caractérisé le blé et l'orge. Ces termes sont : en arabe dukhn, durra, dura ou drâ, bishna, banij ; en berbère anlï, anîlï ou Uni, Ulán, tàfsuî ; en portugais milho, milho zaburro, milho miudo, milho painço ou painço, paniso ; en espagnol panizo 59. On trouve encore, bien qu'ils apparaissent comme des cultures résiduelles ou des reliques, le millet et le sorgho ; ce dernier dans le Rif, le Gharb et l'Atlas ; le millet dans le Gharb et dans l'Atlas également 60. Le sorgho, dont l'aire est très étendue dans les régions chaudes du globe, compte de très nombreuses variétés difficiles à identifier et à délimiter. Celle qui est cultivée encore dans le Nord du Maroc est le sorghum cernuum. On distingue le rouge et le blanc. Il semble qu'on puisse l'identifier au milho zaburro du Portugal où existent aussi le vermelho et le branco6{.<o:p></o:p>

    L'attachement à ces céréales, qui n'ont pas disparu, malgré leur faible rendement, vient des avantages qu'elles offrent. Elles ont une croissance rapide, et, de ce fait, des exigences modérées en eau. Sans doute est-il exagéré de prétendre, comme des auteurs du xvie siècle, que le sorgho ne reste que quarante jours en terre 62, mais la période de végétation, de trois mois environ, est beaucoup plus courte que celle du blé et même de l'orge. En second lieu, ces céréales se sèment tard : ce sont par excellence les cultures ma'zùzî qu'on fait après les pluies de printemps et lorsque la température est assez élevée63. Les années où le blé et l'orge ont été compromis par la sécheresse de l'automne et de l'hiver, le millet et le sorgho offrent une seconde chance, et l'on voit leur superficie s'étendre. En 1661, les tribus chassées du Sud vers le Tadla par la sécheresse ne s'en retournent pas sans avoir semé la bishna 64. La récolte se fait en septembre, à un moment souvent difficile ; quand le blé et l'orge sont gravement déficitaires, et que les réserves de la précédente moisson s'épuisent, elles permettent aussi de préserver la part nécessaire aux prochaines semailles. A Fez, à l'automne 1 54 1 , les milhos — millets ou sorghos — ont empêché la famine 65. Les années courantes, le panizo aide à économiser le blé et l'orge qui, sans lui, feraient défaut, remarque un Espagnol au xvne siècle 66. La bonne conservation de la bishna est un autre de ses avantages et le tàlib Al Bushwàri conseille de l'emmagasiner pour cette raison, de préférence à l'orge ou au blé. Enfin la valeur alimentaire des millets et sorghos est certaine 67. Et les populations habituées à les consommer y sont attachées en raison de leur saveur ; elles n'en abandonnent donc que lentement la culture 68. C'est pourquoi, dans bien des régions du Maroc, le sorgho et le millet que l'on ne peut distinguer, jouent aux xvie et xvne siècles par rapport au blé le rôle d'une céréale d'appoint presque équivalente à l'orge ; et, dans les régions méridionales, comme les Haha, où l'orge prédomine, ils occupent le second rang. Leur prix suit celui de l'orge, et c'est sans doute la raison pour laquelle l'auteur qui décrit la famine de 1661-1662 apparente la bishna et l'orge, sans souci de la botanique qui doit peu lui importer 69. On peut dire, en somme, que le sorgho et le millet étaient cultivés dans tout le Maroc avec plus ou moins d'importance 70. On ne voit pas trop comment ils étaient consommés. Dans leur pauvre montagne les « Béni Iesseten » n'ont que du millet pour faire leur pain. Ailleurs il est question de pain « affreux », puisque mélangé à des pépins de raisin, dans une tribu particulièrement pauvre du Rif, les « Béni Giusep » 71. Il semble qu'utilisée seule, la farine de millet ou de sorgho soit peu propre à la panification n. En bouillie ou en soupe elle est très appréciée, et donne également un couscous savoureux 73.<o:p></o:p>

    Il faut maintenant parler du mais. Originaire du Nouveau Monde, il n'existait ni dans les pays méditerranéens, ni en Afrique, ni en Asie avant la découverte de l'Amérique. Ce sont les Ibériques, les Portugais surtout, qui l'ont transporté et acclimaté, peut-être d'abord dans les îles atlantiques, Açores, Madère, Cap Vert, Canaries (qui ont aussi servi de relais en sens inverse à la canne à sucre), puis dans le sud de la Péninsule et, de là, il s'est répandu dans le monde méditerranéen 74. En raison de la présence des Portugais au Maroc au xvie siècle, il est tentant de penser qu'ils ont introduit cette céréale et qu'en raison de ses avantages, elle s'est diffusée rapidement. Dans les Seksawa, secteur assez isolé du Haut Atlas, la substitution du maïs au millet aurait été accomplie dans le courant du xvie siècle 75. Partant de ce fait qui semblait établi, et sur la foi d'un passage d'une lettre de B. de Vargas et des références données par R. Ricard, nous avions cru pouvoir écrire que le maïs était attesté au Maroc en 1 540, ce qui donnait un jalon supplémentaire pour l'histoire de sa diffusion 76. Toutefois, après avoir bien vérifié les références, on ne peut plus être aussi affirmatif, et il faut reconnaître que la culture en question est le sorgho, caractéristique du Rif.<o:p></o:p>

    Des Portugais ont fait connaissance avec le maïs au Brésil, directement, ou en ont entendu parler ; trompés par une certaine ressemblance avec le sorgho, qui leur est familier, utilisant le même mot de milho, avec toutefois des qualificatifs différents, ils distinguent mal ces céréales. Il suffit de voir comment des botanistes allemands et français vont baptiser le maïs — turcicum frumentum ou milium sarracenicum, blé de Turquie 77 — pour être convaincu que les idées à ce sujet ne pouvaient être bien claires chez des voyageurs ou chroniqueurs. Or c'.est à partir de ces erreurs de dénomination que des conclusions fausses ont été avancées sur la rapidité de diffusion du maïs par les Portugais dans l'Ancien Monde 78.<o:p></o:p>

    Pour le Maroc aussi la question doit être reconsidérée. Il faut bien prendre garde que, si aujourd'hui milho signifie maïs comme drà, c'est à la suite d'une évolution qui a substitué dans le paysage le maïs au sorgho et au millet et, dans le langage, a conduit parallèlement à abandonner le qualificatif qui permettait de les distinguer. Inutile de dire, désormais, milho grosso pour maïs, milho miudo pour millet et milho zaburro pour sorgho puisque ces deux derniers ont quasiment disparu. Mais traduire le mot milho rencontré dans un document du xvie siècle par maïs est commettre presque à coup sûr une erreur. Dans la description anonyme du Maroc de 1596, le mot milho est traduit une fois par mil (dans les Doukkala), une fois par millet (dans la Chaouïa) et enfin par maïs (dans le Haut Atlas). Or, a priori, c'est bien dans cette dernière région que la céréale américaine a pu parvenir en dernier lieu : elle aurait dû logiquement d'abord se répandre dans les plaines à partir des places côtières. Cependant, c'est sur la base de cette traduction que repose l'idée d'une substitution du mais au millet et au sorgho dans le Haut Atlas, avant la fin du xvie siècle 79.<o:p></o:p>

    La question se pose donc toujours de savoir quand et comment le mais a été introduit et diffusé au Maroc.<o:p></o:p>

    Après 1 550, les Portugais ont eu peu de contacts avec le pays. Assiégés dans leurs réduits fortifiés de Tanger, Ceuta et Mazagan, les conditions étaient peu favorables à des échanges larges et variés qu'implique la transmission d'une plante vivrière. Le succès du maïs ne doit avoir été ni rapide ni facile. Aujourd'hui encore il n'occupe pas une place bien importante, sauf dans des zones irriguées, traditionnelles ou modernes. Ses besoins en eau sont assez importants, ce qui constitue un désavantage par rapport au millet et au sorgho moins exigeants ; il lui faut un sol plus riche, des fumures et des façons culturales multiples et minutieuses 80. Sa croissance rapide, ou la période tardive des semailles, n'ont pas suffi puisque le millet et le sorgho ont aussi ces caractères tout en franchissant plus facilement l'obstacle de l'aridité du climat et de la pauvreté du sol. Il n'a rencontré des conditions particulièrement favorables que dans des vallées où l'on peut irriguer et des oasis présahariennes. C'est justement là que Jackson le signale, mais pas avant la fin du xvine siècle. L'appellation ďlndian corn ne semble pas laisser de doute ; à moins que l'auteur n'ait confondu les vieilles céréales indigènes avec le mais devenu plus commun 81? Un glossaire arabo-chleuh du Haut Atlas, du xvine siècle aussi, ne semble pas pouvoir sans discussion être interprété dans le sens de la présence du maïs dans la montagne. Selon le lettré, la traduction du tàfsut en arabe est dukhn, et c'est bien du millet dont il s'agit. Asengâr est rendu par dur rat al baydâ, et anlï par dur rat al hamrâ 82. Certes, ce mot ďasengár est de nos jours un des noms berbères du maïs, appelé aussi quelquefois àmezgùr ou mezgur, mais on trouve ces termes à l'époque almohade où, indiscutablement, le maïs n'était pas connu, et où ils ne pouvaient que s'appliquer au millet ou au sorgho 83. Une etymologie possible et satisfaisante de ce dernier terme serait z.w.r ou z.g.r. .- « être premier » 84. S'il existe bien deux variétés de sorgho, une blanche et une rouge, d'après la couleur du grain (il est parfois aussi question d'une noire), un des caractères frappants du nouveau venu est sa couleur rouge, ou plus exactement orange, ce qui explique qu'on l'ait appelé drà hamrâ. Mais alors comment comprendre la traduction du lettré montagnard qui justement donne durrat al bayd'à pour asengàr, si celui-ci est le maïs ? Et lorsqu'un de ses disciples dit : « Le mil se dit chez nous tàfsut et anlï, ne les confonds pas avec (le maïs) asengâr, mon maître... 85 », « mais » serait mieux rendu par sorgho, ou aussi bien.<o:p></o:p>

    Une enquête ethno-linguistique sur le terrain, doublée d'une prospection dans les documents, en particulier les archives locales ou privées, donnerait des jalons plus précis. En attendant il paraît prudent de conclure qu'aux xvie et xvne siècles le mais ne jouait encore pratiquement aucun rôle dans l'alimentation, et qu'à la fin du xvine son importance était des plus modestes 86. Ce n'est qu'aux xixe et xxe siècles qu'il est arrivé à supplanter les deux vieilles céréales africaines, au point non seulement d'occuper leur espace mais d'effacer parfois dans le vocabulaire leur souvenir, un peu à la manière dont le millas du Sud-Ouest en France est fait aujourd'hui, et nul ne s'en étonne, de maïs et non de millet. Du xve au xvnie siècle, le millet et le sorgho étaient donc d'un grand secours. Les régions montagneuses, berbérophones, l'utilisaient presque à l'égal de l'orge : pour Al Yùsï, au xvne siècle, la bouillie de millet est la nourriture par excellence des montagnards. C'était une base de l'alimentation populaire rurale, comme dans le royaume de Grenade voisin, où ce qu'Ibn al Khatib appelle durrat al 'arbiya constitue la nourriture des pauvres à la campagne et des laboureurs pendant l'hiver, au xve siècle 87.<o:p></o:p>

    Les légumineuses, autre source de farine<o:p></o:p>

    Les légumineuses présentent du point de vue alimentaire des caractères assez voisins des céréales, lorsque les graines sont consommées sèches. Consommées vertes, comme les fèves, elles apportent à l'organisme des éléments qui manquent dans un régime exclusivement céréalier ; elles jouent alors le même rôle que des plantes spontanées dont il sera parlé plus loin. Il ne faut pas seulement tenir compte de leur valeur alimentaire, mais aussi de leur saveur pour apprécier leur consommation. Enfin elles ont un intérêt agronomique : les propriétés fertilisantes de plusieurs ďentre elles étaient connues 88.<o:p></o:p>

    En tête vient naturellement la fève, en arabe fui, en berbère âbà — pi. ibàwun. Elle était cultivée de longue date au Maroc, comme paraît l'indiquer son nom berbère dans lequel on reconnaît le latin faba. Un témoignage archéologique va aussi dans ce sens : dans un habitat de la première époque musulmane (vine-ixe siècle), à Volubilis, la découverte d'un pot de céramique empli de féverolles calcinées mais bien reconnaissables, montre que leur consommation était habituelle 89. La fève est une culture bakriya importante dans les terres humides ou les zones irriguées ; plantée en même temps que le blé, elle peut être mangée verte dès février. Au printemps, elle figure largement au menu des campagnards comme des citadins : à Fez, par exemple, au début du xvie siècle, « la fève fraîche se vend à la saison très bon marché ». C'est un accompagnement de la viande et Jean-Léon qui décrit bien l'alimentation des Haha chez qui il a séjourné montre qu'outre les céréales « on mange aussi de la viande bouillie avec des oignons et des fèves ». La soupe de fèves est le recours des déshérités ; c'est ainsi que dans une pauvre tribu du Rif « les gens se nourrissent de moût cuit et de soupe de fèves 90 ». Elles entrent aussi dans des nourritures de caractère presque rituel, comme la ha rira qu'on sert au ftur, à la rupture du jeûne, pendant le Ramadan, mais qui est en fait la nourriture matinale du fellah, relevée par des aromates et des épices et enrichie de viande et de graisse. L'usage signalé par Jean- Léon de manger au moment de la nativité du Christ — en fait au début de l'année solaire, an nây'r — un plat de fèves, pois chiches et grains de blé cuits entiers se retrouve, à peu de choses près, jusqu'à nos jours 91.<o:p></o:p>

    Les pois chiches sont moins prisés, mais ont-ils moins d'importance ? On les trouve un peu partout, car ils se contentent de sols moins riches et moins humides. Ils sont plantés plus tard, quelquefois mêlés avec l'orge. Appelés hamus en arabe, ïkïker en berbère (dans lequel on reconnaît le latin cicero), ils sont mangés grillés, bouillis, en soupe ou accompagnent le couscous. Différentes sources les signalent : en Chaouia, dans la région de Fez 92, là où ils doivent couvrir assez d'espace. Les pois proprement dits semblent peu importants et s'en distinguent mal, d'autant que, d'après les textes, ils sont cultivés dans les mêmes régions, et que les termes utilisés sont assez flous 93. Et comment reconnaître les gesses ou les vesces appelées aussi ïkïker ? Qu'est-ce exactement que le tàlib Al Bushwàrï recommande sous ce nom de mettre en réserve ? Des gesses (lathyrus) sont encore cultivées pour l'alimentation humaine au Maroc, dans l'Atlas par exemple, et on pouvait en trouver, appelées ïkïker, sur des marchés du sud du<o:p></o:p>

    Maroc, dans la vallée du Dra il y a peu de temps. La vesce noire, l'ers, considérée par beaucoup comme une plante toxique pour l'homme, est une plante spontanée, adventice en Europe et dans les plaines marocaines, tout juste bonne à faire du fourrage, or elle est utilisée dans l'Atlas pour faire de la bouillie, et on en a peut- être même fait du pain 94. Le haricot, plante américaine comme le maïs, n'est pas entré davantage dans les ressources alimentaires du Maghreb avant une date récente. Cependant, on trouve dans la Tuhfat al Ahbab, un compendium de la matière médicale, qui date peut-être du xvne siècle, le nom par lequel on le désigne de nos jours, Al lubiyâ, avec cette définition « graine comestible aphrodisiaque connue au Maghreb où on la cultive ». Ce pourrait bien être une plante du genre lathyrus, proche parente des gesses ou des vesces évoquées ci- dessus 95.<o:p></o:p>

    On est moins embarrassé avec les lentilles — en arabe 'adis, berbère tilintit ou îlintit96 — qui sont certainement très anciennement cultivées en Afrique du Nord. Elles sont mentionnées à la fin du xvie siècle dans les plaines atlantiques. Et, à Fez, en 1553, après un automne très sec, la pluie étant abondamment tombée en janvier, les labours purent se faire et ce fut quand même une année excellente ; selon un chroniqueur juif : « II y eut beaucoup de lentilles au point qu'un mudd en fut vendu quatre /lus, de même que les pois chiches 97. » Cet exemple montre bien qu'en cas d'automne sec et de semailles tardives, on sème davantage de ces légumineuses pour compenser l'éventuel manque de blé et d'orge. Les lentilles étaient-elles particulièrement appréciées des Juifs ? Certains l'ont dit. Dans les traités de cuisine princière, elles apparaissent comme une nourriture populaire, acceptable seulement si une préparation sophistiquée les sauve de leur vulgarité 98. De nos jours encore, elles entrent abondamment dans des soupes et des plats simples qui sustentent les gens du peuple.<o:p></o:p>

    Si l'on utilise les légumineuses pour épargner les céréales, dans certains endroits particulièrement pauvres, ou de la part de gens très défavorisés ou encore en cas de disette, les textes montrent aussi le recours à des plantes sauvages. C'est, le plus souvent, un expédient pour ne pas mourir de faim. Il faut distinguer les plantes susceptibles de fournir une farine qui peut être consommée pure, ou mêlée à des céréales, et les plantes qui tiennent lieu de légumes. Ceux-ci semblent assez peu cultivés et comptent relativement peu d'espèces, ce qui est probablement une conséquence de la consommation importante de plantes spontanées ". Ces habitudes alimentaires sont liées à une organisation de l'espace dont le caractère précaire et inachevé frappe tous les observateurs.<o:p></o:p>

    Dans ce premier groupe on trouve les caroubes, les glands, diverses baies et graines et quelques tubercules ou rhizomes. Et dans le second, une longue liste de plantes utilisées, habituellement ou non, pour l'alimentation, à l'exclusion d'un usage médical.<o:p></o:p>

    Lors de la terrible famine de 1521, B. Rodriguez s'embarqua avec quelque argent et deux sacs de biscuits et de caroubes, ceux-ci destinés probablement à nourrir les esclaves au retour 10°. Le prévoyant Al Bushwàrï conseille de mettre en réserve des caroubes : ils se conservent très bien et, en cas de nécessité, on peut les manger, les vendre ou les échanger. Mais nous sommes réduits aux conjectures sur la façon de les consommer. Jean-Léon prétend que les glands de la forêt de la Mamora « sont un peu plus fins et ont une saveur plus douce et plus délicate que la châtaigne », inconnue au Maroc. Les Arabes (pasteurs) voisins en transportent « une grande quantité à Fez sur leurs chameaux et en tirent beaucoup d'argent ». « Longs et gros comme des prunes de Damas », ils étaient sans doute bouillis et vendus comme de nos jours dans des couffins au coin des rues 101. Ce ne sont pas que des amuse-gueules pour les citadins, Ton y a recouru plus largement comme on le fait encore : dans un village du Rif où 80 % des foyers consomment de la farine de glands mêlée à l'orge, à raison de cent kilos de glands en moyenne par an 102.<o:p></o:p>

    Lorsque J. de Mendoça, captif à Fez, fut transféré à Marrakech, la caravane (où il était) dut aux deux tiers du chemin s'écarter de la plaine et aller faire étape dans la montagne pour trouver de l'eau. « Nous y trouvâmes, dit-il, quelques douars de Maures, si pauvres qu'ils ne mangeaient que de la farine qu'ils tiraient de certains épineux aux fruits très amers moulus avec des meules à main. » Est-ce le jujubier sauvage ? Le fruit n'en est pas particulièrement amer 103. Dans cette région, l'extrémité sud-ouest du Moyen Atlas sans doute, abondent thuyas et genévriers, et ce sont plutôt les fruits de ces arbres qui ont servi, comme en 1661 où ÏIhyà parle des fruits, 'abtar, cueillis en abondance dans les forêts sur le jbel Ayashi et transportés à dos d'animal dans les villages voisins 104. Si le voyage forcé de Mendoça a eu lieu en 1 580, on comprendrait à la fois pourquoi il n'a pas trouvé d'eau ni de vie dans la plaine du Tadla, et le recours des montagnards à cette misérable nourriture, puisque c'est une année de disette 105.<o:p></o:p>

    On a déjà relevé le mélange de pépins de raisins moulus et de farine de millet pour faire du pain. Dans le Rif encore, citons un exemple actuel de ces procédés, et sans doute déjà utilisé : « Les graines de cistes (arguel) sont soigneusement recueillies par les femmes ; on les bat avec un bâton pour les débarrasser de leur enveloppe. A Ichdade, dans 60 % des foyers on consomme des graines ď arguel, à raison de 20 à 1 00 kg par foyer, mêlées avec de l'orge. » C'est dans ce même village que l'on use abondamment de farine de glands 106.<o:p></o:p>

    On trouverait encore bien d'autres ressources alimentaires de ce type. Évoquons seulement, pour finir, le 'irnï bien connu (kunt en berbère). Ce sont les racines de Xarum arisarum, riches en fécule, que l'on récolte en cas de disette extrême. Il faut les faire sécher, ou les torréfier légèrement, pour faire disparaître leur âcreté et atténuer, peut-être, leur toxicité. On les accommode ensuite, une fois réduites en farine, en couscous ou en pain. Un document sur la famine qui accompagna la peste de 1818 montre « les habitants des campagnes et une partie de ceux de la ville (qui) parcouraient tristement la campagne pour arracher à la terre, à défaut d'autre nourriture, une plante bulbeuse nommée hierna 107 ». On se rappelle encore chez les Sgharna, à l'est de Marrakech, comment, lors d'une famine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on allait par groupes chercher le 'irnï, couchant sous la tente et partageant de façon égalitaire la récolte au retour. Et l'on a gardé un bon souvenir de l'atmosphère chaleureuse et fraternelle qui résultait de cette vie communautaire et de la solidarité dans le malheur 108.<o:p></o:p>

    L'idée qu'il fallait savoir faire flèche de tout bois s'imposait à tous. On peut en voir une preuve lorsqu'Ibn al Awwâm consacre tout un article à la « manière de préparer les fruits de certaines espèces d'arbres sauvages et de végétaux des champs pour les rendre comestibles et capables de donner un pain qu'on puisse manger en cas de nécessité et quand les vivres manquent, d'après l'agriculture nabatéenne 109 ». Il énumère « le chêne, le châtaigner, le pin, le noyer, le noisetier, le pistachier, le sorbier, le caroubier, le câprier, l'azerolier et d'autres analogues ». Il décrit la façon de détremper les noyaux de dattes pour pouvoir les écraser et en faire une farine, des traitements pour enlever le mauvais goût et même la toxicité des fruits. Le savant reprend ici des usages populaires appris à la dure expérience des climats capricieux de la frange méditerranéenne aride.<o:p></o:p>

    Une recension de toutes les plantes spontanées comestibles est hors de nos possibilités et n'est pas notre but no. Il en est quelques-unes, tout de même, qui méritent quelques mots.<o:p></o:p>

    La consommation, habituelle au printemps, de mauve, de fenouil sauvage, de cardons et d'artichauts, de pousses ďasperges frappe tous ceux qui ont étudié l'alimentation des populations de l'Afrique du Nord. L'un d'eux a pu dire : « Les herbes cuites jouent un rôle important, la mauve surtout. Les milieux ruraux, de janvier à mai, en font une consommation énorme. » Elle arrive parfois à représenter « à elle seule les deux tiers de l'aliment courant ». On peut juger de la quantité de céréales qui est ainsi épargnée. C'est aussi « un fait extrêmement important au point de vue diététique par l'apport en sels minéraux, en vitamines, éléments protecteurs ». « En outre, les paysans, les femmes surtout, cueillent et grignotent sans cesse au cours des travaux des champs » des plantes, des fruits, des graines dont ils connaissent les propriétés. Et « les enfants grapillent tout le long du jour les fruits des arbustes sauvages m ».<o:p></o:p>

    Telle quelle et sans preuve, il serait imprudent de projeter dans le passé cette situation qui s'est maintenue et apparaît comme teintée d'archaïsme, liée en grande partie à la paupérisation résultant de l'explosion démographique et de la colonisation. Les documents parlent de ces nourritures « sauvages » moins encore que des autres. G. Mouette, pourtant, à la fin du xvne siècle, fait état chez les « Arabes qui vivent sous la tente », dans les plaines, de l'habitude de manger avec le couscous « des chardons bouillis dans du lait (sans doute kharshaf), des mauves, du fenouil sauvage 112 ». Ce sont à peu près les mêmes plantes que recherchaient, en 1 52 1 , les habitants affamés d'Arzila dans la campagne : palmitos (cœurs de palmiers nains ?), tagarinhas (artichauts ou cardons), fenouil et d'autres herbes comestibles. Mendoça donnant des conseils aux éventuels captifs pour réussir leur évasion, leur recommande de recourir à ces tagarinhas, « semblables à nos chardons », et d'en faire une provision, ainsi qu'aux « palmistes » 113.<o:p></o:p>

    En fait les affamés devaient ramasser une telle variété d'herbes qu'il semblait, aux yeux des chroniqueurs, qu'ils mangeaient n'importe quoi, comme en témoigne ce passage de XIhyà : « Tous les jours des caravanes s'en allaient cueillir des herbes aux champs. Les gens cueillaient toutes les herbes qu'ils faisaient cuire ensemble et les mangeaient avec un peu de sel » ; ou encore, « pendant quatre mois (de rajab à la fin de shawál 1072 H.), on n'a vécu que d'herbes » 114.<o:p></o:p>

    Au terme de cette reconnaissance, quelques conclusions prudentes paraissent pouvoir être dégagées.<o:p></o:p>

    Il est facile de voir d'abord que les régimes alimentaires traduisent la hiérarchie des situations économiques et sociales. Les privilégiés — ceux que Jean- Léon appelle « gentilshommes, seigneurs et les gros marchands » — ont une alimentation abondante, variée, où la part de viande importante réduit d'autant celle des céréales et des légumes. Voici par exemple ce que le « seigneur du Dra » servit à Jean- Léon : « Ce repas se composa de viande de mouton rôtie et bouillie, enrobée dans un feuilleté de pâte extrêmement fine, un peu à la manière des lasagnes, mais plus ferme et plus épais que la pâte de celles-ci. Ensuite, on apporta le couscoussou et le ftet et d'autres plats dont je ne me souviens plus maintenant 115. » Observons comment la pâte sert à habiller les viandes, la farine devient un faire-valoir. Ce repas illustre bien la consommation ostentatoire des nantis. Certes, ce festin offert en l'honneur d'un hôte, n'est pas l'ordinaire du seigneur du lieu, qui doit se contenter plus souvent du couscous, mais enrichi de viande, accompagné de sauces et mieux préparé que celui du commun.<o:p></o:p>

    Dans les villes, artisans, boutiquiers, gens qui parviennent à une petite aisance, se nourrissent principalement de céréales : de pain, blanc assez souvent, de couscous qui « coûte peu et nourrit beaucoup », du moins le croit-on, de bouillies et de soupes. Ils mangent quelquefois de la viande, abondamment des fruits frais ou secs et des légumes selon la saison. Dans les montagnes, le blé est rare. Le pain devient foncé, pétri d'orge, de millet, de sorgho et de bien d'autres farines appelées en renfort. Il cède la place souvent à diverses galettes, à des bouillies parfois très grossières. La viande est rare. L'été, il y a du lait. Les fruits et les herbes sauvages combattent la faim.<o:p></o:p>

    Dans la même région où il a fait ce somptueux repas, Jean- Léon note que les gens s'alimentent d'une soupe d'orge et de quelques autres misérables choses. Ils ne mangent de pain qu'aux jours de fête et aux repas de noces. De « vilaines dattes maigres, avec un gros noyau » sont, certains jours, leur seule pitance 116.<o:p></o:p>

    La nourriture est aussi ce qui distingue socialement : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es », telle est la morale qui se dégage du passage d'Al Yusï. La asïda est le plat des montagnards, des Berbères, et les Shurfà de Sijilmassa raillent les gens de la zaouïa de Dila restés fidèles à cette habitude rustique. La bouillie de sorgho, autre aliment berbère, fruste, est source de force pour Ibn Khaldoun 117 qui se plaît à opposer la vigueur physique et morale de ceux qui mènent une vie rude dans la nature (comme les Bédouins) à la mollesse des citadins trop raffinés, thème qu'on retrouve des origines de l'Islam à nos jours.<o:p></o:p>

    L'archaïsme des nourritures mérite l'attention. Caractérise-t-il seulement les montagnards, mangeurs de grain grossièrement concassé (ïbrïn) et arrosé d'eau bouillante, ou grillé et moulu puis délayé dans l'eau ou l'huile (tummïta), d'orge dont le grain encore en lait donne une sorte de farine (azenbo) qui fera le tarkuko ? Chez eux le couscous fait l'effet d'un luxe "8. La situation de ceux que les textes, surtout européens, appellent les « Arabes », vivant sous des tentes dans les plaines pourtant fertiles, n'apparaît guère meilleure.<o:p></o:p>

    Ces misérables qui ne cultivent simplement la terre que pour ce qu'il leur en faut pour vivre et pour payer les droits du Roy, se passent [se contentent] d'un peu de farine bouillie dans de l'eau ou du lait, ou d'un peu d'orge rostie dans un poisle, ou bien de quelque galette qu'ils font cuire dans une terrine avec de la fiante de vache sèche, de quoy ils se servent au lieu de bois qui est rare en beaucoup d'endroits. Lorsqu'ils se régalent, ils mangent du couscoussou... où ils mettent des chardons bouillis dans du lait, des mauves, du fenouil sauvage, avec quelque petit morceau de viande séchée au soleil, et cela à leurs Pasques ou lorsqu'ils font des nopces "9.<o:p></o:p>

    Si c'est là l'ordinaire d'une bonne partie de la population, elle est réduite à la plus extrême misère par la sécheresse prolongée. Il ne lui reste alors que les herbes des champs et des baies d'épineux et seuls, comme dit amèrement Xlhyà, quelques-uns peuvent servir à leurs enfants une soupe de céréales. C'est pourquoi les famines restent dans les mémoires sous le nom ď 'âm al buqqul (année des herbes). Et Ton conçoit les fortes mortalités rurales signalées par quelques sources. Pour les catégories aisées des villes et les notables ruraux, la crise n'entraîne qu'une dégradation temporaire : au lieu de blé, ils mangent de l'orge ou du millet, ou, à la rigueur, des légumineuses, au lieu de pain blanc une bouillie brune.<o:p></o:p>

    Si la disette entraîne une régression générale vers des modes de vie frustes, archaïques, les catégories les plus habituées à une existence rude s'en tireraient-elles mieux que celles qui connaissent une relative aisance ? Elles sont endurcies, certes, mais n'ont qu'une marge des plus réduites. L'avantage se mesure en termes d'avance, de sécurité, et le train de vie des plus aisés supporte une forte réduction sans risque de compromettre la survie. A Fez, nous l'avons vu, les privilégiés ont seuls des silos, le menu peuple vit au jour le jour, il dépend en définitive des gros marchands de grain qui peuvent profiter des circonstances. L'expérience a enseigné à Bushwàrï qu'en de telles calamités, on ne peut compter que sur soi-même : « Les cœurs se sont endurcis au point qu'on ne trouvait personne pour donner même une gorgée d'eau... » Dans son Sous, où la différenciation sociale semble peu marquée, chaque famille peut mettre des réserves, même modestes, en sécurité dans Yagadir protégé par son site et son caractère quasi sacré et bien gardé contre des voisins que la faim rendrait entreprenants. Institution rendue nécessaire par des conditions plus dures que dans le Nord, le grenier-citadelle assure une meilleure capacité de résistance. Dans les plaines, on voit les tribus et les fractions s'affronter autour des matmoras et, à chaque disette, les chroniques parlent de violences et de pillages.<o:p></o:p>

    L'impression d'un retour à la nature que donne chaque crise de subsistances est accusée par la faiblesse du rôle des institutions publiques. Nous ne savons pas bien quel est celui du Makhzen. En principe, un prince musulman a le devoir de veiller à ce que ses sujets soient approvisionnés à des prix abordables. En pratique deux cas d'intervention sont connus. A propos de la terrible famine de 1521- 1522, Diego de Torres dit simplement que les Sa'adiens « n'épargnèrent ni leur peine ni la dépense pour avoir des vivres à un prix raisonnable l2°. » Firent-ils comme Mawlay Ismail, sur l'action économique duquel Joseph de Léon donne des précisions ? Selon lui, il utilise les grains dont il dispose, lo de sus renias, soit qu'ils proviennent du paiement de l'impôt en nature, soit de ses propres domaines, pour agir sur les cours. Si les prix montent, il annonce qu'il va vendre très bon marché ce qui suffit à les faire baisser. Mais si, à la suite de cette nouvelle, un véritable effondrement se produit qui désavantagerait trop les vendeurs, il retire ses grains. Il agit de même avec les fruits : les olives, les figues, le raisin... Et lorsqu'il ordonne en même temps de vendre le grain au prix qu'il fixe, il est obéi car on craint sa colère : les contrevenants sont punis de mort.<o:p></o:p>

    L'action du prince est sans doute très efficace dans la capitale, et peut avoir des incidences dans les régions voisines, mais il paraît évident que les provinces éloignées ne sont pas concernées. L'anecdote où l'on voit le souverain faire exécuter publiquement un pacha accapareur montre aussi que de puissants personnages se livrent à la spéculation dans l'entourage même du roi et laisse supposer que, hors de portée de sa colère, les abus demeurent possibles 121. Par ailleurs, bien des documents montrent que les zaouïas nourrissent des pauvres et des affamés, ne serait-ce que de 'asïda. C'est une préoccupation importante dans les confréries qui suivent l'enseignement de Jazuli, et un recueil hagiographique en donne des exemples pour le début du xvie siècle 122.<o:p></o:p>

    Quelle est en définitive la meilleure garantie ? Est-ce le Makhzen, dont le nom évoque le magasin, ce qui rend patent le lien entre la détention du pouvoir et la possession de réserves ? Sont-ce les zaouïas qui accueillent largement à leur table d'hôte dans les zones rurales ? Ou bien est-ce le grenier fortifié, Xagadir, où l'on entasse les réserves pour sa famille ? Il est difficile de répondre dans la mesure où ces institutions ne se concurrencent pas vraiment. Le premier n'intéresse, de ce point de vue, que les villes hadriya, les capitales, où il est essentiel, pour des motifs politiques de maintenir le pain à un prix raisonnable, d'être, dans la ligne des magistrats de Rome, fidèle à une image tutélaire du pouvoir, dont sont imprégnées les élites citadines, et d'empêcher la colère de la plèbe urbaine. Les secondes, malgré quelques cas signalés dans les villes, agissent surtout dans les campagnes, au centre d'un réseau très complexe, où s'entremêlent inextricablement religion, politique et économie ; elles assurent l'équilibre des zones rurales 123. Quant aux greniers fortifiés, ils semblent caractériser des régions marginales aux limites de l'aridité et à la frontière où s'exerce l'autorité centrale ; les hommes y vivent durement, dans la nécessité de ne compter que sur eux- mêmes, d'où ce curieux mélange d'individualisme et de solidarité qu'est Xagadir, reflet d'une vitalité tribale qui s'explique aussi par l'indispensable maintien d'une force politique et militaire du groupe pour assurer sa sécurité.<o:p></o:p>

    Deux questions majeures, à peu près insolubles dans l'état actuel, apparaissent, en filigrane, étroitement liées : celle de la production agricole et celle du surplus ou du prélèvement. G. Mouette, comme nous l'avons vu, la posait déjà à sa façon à propos des « Arabes » des plaines.<o:p></o:p>

    L'impression que donnent les textes des voyageurs, du début du xvie siècle au xvine, est celle d'un pays où les campagnes, telles qu'on les conçoit du moins en Europe, avec un espace dominé, délimité, des champs, des finages, où le travail des générations s'est investi au point de transformer le paysage, sont l'exception. On peut en trouver des îlots dans des sites favorables : un chapelet marque le Dir. Leur discontinuité est signe de faiblesse. Le pays ressemble à une peau de panthère dont les taches seraient claires et parsemées. Un faire-valoir très extensif prédomine dans de vastes régions ; d'une année sur l'autre, l'étendue et la localisation des cultures varient, au point de rendre les lieux méconnaissables ; tantôt le vert pâle ou l'or des moissons, tantôt le fauve ou l'ocre des terres nues succédant à un bref printemps coloré de fleurs. Les semis s'insinuent au milieu des friches, les limites des « champs » s'estompent. Un compromis bancal est trouvé avec la nature : au milieu des céréales, des îlots de jujubiers ou de palmiers nains subsistent. Certes le climat est ici en grande partie responsable : quoi qu'on fasse, faute de pluie, souvent le grain périt, et il est des années où l'on gagne tant qu'on est dispensé de renouveler labours et semis en attendant que les silos se vident. Mais cette agriculture presque itinérante, peu productive, gourmande d'espace ne peut faire vivre une population dense. Toute augmentation sérieuse de la population impliquerait de renoncer à ces errements.<o:p></o:p>

    La mobilité des hommes se prête mal à l'organisation économique ou administrative. Il est facile aux douars d'échapper au contrôle fiscal. Dans quelle mesure d'ailleurs le fisc n'est-il pas responsable du maintien de formes de vie archaïques mais qui garantissent l'autonomie ? Le seul impôt qu'on concède volontiers est celui du service militaire, et cette vie rude ne donne-t-elle pas de bons soldats dont le Makhzen a toujours besoin ? On prête au souverain sa'adien Abd al Malik (1 576-1 578), si extraordinaire sur bien des plans, le projet d'obliger les tribus à se sédentariser 124. Peut-être, avait-il assez voyagé et observé pour être arrivé à la conclusion qu'un État ne pouvait reposer que sur une paysannerie ?<o:p></o:p>

    La question du prélèvement, ou du surplus, pourrait bien contribuer à éclairer la différence assez sensible des rapports des populations avec le Makhzen et avec les « marabouts ». L'opposition de ces deux pouvoirs se concrétise souvent dans la concurrence de deux fiscalités. Celle des zaouïas leur fournit les moyens de leur hospitalité : aux voyageurs — tolba errants, leurs pairs, hommes d'autorité venus de la Cour — et en cas de besoin à quiconque, aux pauvres surtout. Celle du Makhzen rencontre souvent de la mauvaise volonté, des résistances, le refus : au point que la levée est opérée parfois par une colonne militaire, efficace sur le moment, mais qui doit laisser des rancunes durables. On peut estimer que la situation du pays ne permettait pas le maintien de deux prélèvements concurrents, et que la fiscalité des marabouts, privée en quelque sorte, s'opposait à celle de l'État. Mais les ruraux pouvaient avoir des raisons de préférer la première, dans la mesure où son utilisation leur était apparente et où ils bénéficiaient de certains services des hommes de religion. Ce que le Makhzen faisait de la sienne, souvent brutale, ne les concernait guère, sauf la paie de soldats qui venaient les « manger », selon les propres termes des correspondances officielles.<o:p></o:p>

    Un dernier point : y aurait-il eu dégradation de la situation alimentaire par rapport aux siècles antérieurs, ou l'Occident musulman est-il moins bien partagé que l'Orient, nourri, on s'accorde à le dire à l'époque médiévale, du bon pain blanc de froment ?<o:p></o:p>

    Il ne faut sans doute pas trop se fier aux écrits qui recommandent de n'user que du pain blanc ; à qui, en effet, s'adressaient-ils ? Qui savait lire ? Seules les couches aisées pouvaient suivre ces conseils. Les classes laborieuses étaient mal nourries, même si des voyageurs européens avaient mangé au même moment dans les villes le meilleur pain qu'ils aient jamais goûté 125. Est-il bien vrai qu'en Andalousie on se nourrissait surtout de froment, alors qu'on en produisait trop peu dans ce royaume de Grenade 126 ? Ibn al Khatib qui l'affirme dit aussi que les travailleurs mangent du millet, et il ajoute que c'est la meilleure farine ; si c'est vrai, pourquoi les citadins n'en mangeaient-ils pas ? Serait-ce l'idée qu'il y a une nourriture qui convient particulièrement aux pauvres ? On rejoindrait alors la morale ďAl Yùsï : ce qui est bon pour les uns ne l'est pas pour les autres.<o:p></o:p>

    Un indice pourrait être le caractère modeste des repas des souverains. On est assez loin, semble-t-il, chez les Sa'adiens et les Alaouites, des repas d'un luxe inouï des princes d'Orient, des cours andalouses ou même des Hafsides. Signe d'appauvrissement que ces couscous « sur lequel sont quelques poulies bouillies, des pigeonneaux ou du mouton » servis dans des plats de faïence, et que suivent « quelques écuelles de pourcelaine ou de terre vernie, les unes remplies de viandes fricassées avec du miel et des amandes, d'autres rôties ou frittes dans de l'huile et quelques confitures de leur mode » ni ? Il n'y a là en effet rien de royal. Mais n'est-ce pas plutôt un changement de mentalité, une volonté délibérée de sobriété ? Mouette remarque à propos de cette vaisselle très ordinaire qu' « ils ne peuvent manger dans de la vaisselle d'or ou d'argent », entendez par scrupule religieux. Les raisons sont d'autant moins économiques que l'ostentation demeure dans la magnificence des ma'una offertes aux hôtes. Par exemple, R. Fréjus, parvenu à Taza en 1666, voit venir<o:p></o:p>

    deux Noirs qui portoient un grand bassin de quatre pieds de diamètre, sur lequel il y avoit douze plats de fayence remplis de quantité de poules bouillies et rôties, de chair de bœuf, veau et mouton, apprestée de différentes façons, et quantité de confitures, gateaux feuilletez et autres choses à manger, toutes de sucre, et tout autour de fort bon pain frais... le tout estoit fort bon et bien appresté avec du saffran, mentègue dit beurre et du sucre l28.<o:p></o:p>

    L'ambassadeur Saint -A mans, quelques années plus tard, voit lui aussi arriver « une troupe de Mores » avec une suite de plats où dominent les viandes et le sucre 129. Ce n'est plus en mangeant lui-même beaucoup et richement que le prince cherche la considération, mais en traitant fastueusement ses hôtes, geste apprécié de ceux dont la chère est d'ordinaire assez maigre. Si la table ouverte de Dila devient au xvne siècle un moyen d'action politique, raillé par son adversaire le Sharif du Tafilalt, ne serait-ce pas que, les estomacs une fois remplis, les oreilles étaient mieux disposées à entendre la parole des chefs religieux ?<o:p></o:p>

    Signes ambigus, on le voit. La seule certitude est que richesse ou pauvreté, au Maroc du xve au xvine siècle, comme ailleurs et en d'autres temps, apparaissent d'abord dans la différence de nourriture quotidienne, avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter sur la santé des hommes.<o:p></o:p>

    Bernard Rosenberger Université de Paris VIII<o:p></o:p>

    NOTES<o:p></o:p>

    1. Hasan Ai. YCisï, Al muhàdaràt, M. Hajji éd., Rabat, 1976, p. 82.<o:p></o:p>

    2. E. G. Gobert. « Usages et rites alimentaires des Tunisiens », Archives de l'Institut Pasteur de Tunis, XXIX, sept.-oct., 1955 ; M. Gast, L'alimentation des populations de l'Ahaggar, Paris, 1968 ; L. Yker, L'alimentation au cap Awkas, thèse, Paris, 1977 ; J. Mathieu, « Étude des conditions de vie dans une palmeraie du Moyen Ghéris et contrôle de la nutrition de ses habitants », Bulletin de l'Institut d'hygiène du Maroc, I, 2, 1939, pp. 23-84.<o:p></o:p>

    3. E. Ashtor, « Alimentation et société dans l'Orient médiéval », Annales ESC, n° 5, sept.-oct. 1968, pp. 1 017-1 052 ; L. Valensi, Fellahs tunisiens. L'économie rurale et la vie des campagnes aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1977, chap. 4 et 5.<o:p></o:p>

    4. B. Rosenberger et H. Triki, « Famines et épidémies au Maroc aux xvic et xvnc siècles », Hesperis-Tamuda, XIV, 1973, pp. 109-175 et XV, 1974, pp. 5-103.<o:p></o:p>

    5. La population du Maroc au xvie siècle a été surestimée par différents auteurs. Cf. B. Rosenberger et H. Triki, 1974, pp. 68-72. La production céréalière des « Arabes », c'est-à-dire des gens vivant sous la tente, est attestée par de nombreux documents.<o:p></o:p>

    6. Jean-Léon I'Africain, Description de l'Afrique, trad. Épaulard. 1956, p. 303 ; L. de Marmoi., L'Afrique de..., traduction de N. Perrot, 1667, t. 2, p. 298 et p. 300.<o:p></o:p>

    7. L. de Marmoi., 1667. t. 2, p. 250 ; Jean-Léon. 1956, pp. 274, 275. 276, 285. 286 et 288.<o:p></o:p>

    8. Ibid., p. 208.<o:p></o:p>

    9. Ibid., p. 280.<o:p></o:p>

    1 0. Ibid., pp. 208 et 1 95 ; G. Mouette, Histoire des conquestes de Mouley Archy, 1 683, Sources inédites de l'histoire du Maroc, 2e série, France, t. 2, 1924, pp. 83-84.<o:p></o:p>

    1 1. Ibn ai. 'Awwâm, Le Uvre de l'agriculture (Kitab al Fellaha), trad. J.-J. Ci.ement-Muij.et, t. I, 1 864, chap. 1 6, pp. 638-639 ; étude très documentée de L. Boi.ens, « La conservation des grains en Andalousie médiévale d'après les traités d'agronomie h ispano- arabes », communication au séminaire de l'ARF, Sénanque, 1977.<o:p></o:p>

    1 2. Sources inédites de l'histoire du Maroc, 1 rc partie, Portugal, t. 1 , 1 934, p. 444, n. 1 (cité plus loin SIHM) ; Jean-Léon, 1956, pp. 163, 291 et 299 donne d'autres exemples de ce type d'association.<o:p></o:p>

    13. Un chameau porte 250 à 300 kg ; un mulet ou un cheval qui transporte le grain à Fez « d'habitude un roggio et demi... en trois sacs, l'un sur l'autre », Jean-Léon, 1956, p. 196 ; sur le rôle possible de la voie d'eau, p. 545.<o:p></o:p>

    14. Ai. Idrisï, Description de l'Afrique et de l'Espagne, traduction Dozy et de Goeje, 1866, p. 83. Ce commerce s'est poursuivi jusqu'aux xve et xvie siècles malgré la Reconquista : témoignages abondants dans les documents portugais et espagnols. On voit des vestiges de silos par exemple à Kouz : B. Rosenberger, « Notes sur Kouz, un ancien port à l'embouchure de l'oued Tensift », Hesperis-Tamuda, t. VIII, 1967, pp. 23-66. Les 'Abda venaient y entreposer leurs grains (Sources inédites, Portugal, t. I, p. 672).<o:p></o:p>

    15. Jean-Léon, 1956, p. 122 ; E. Doutté, Merrakech, 1905, p. 184.<o:p></o:p>

    16. Jean-Léon, 1956, p. 207.<o:p></o:p>

    17. Ibid., p. 202.<o:p></o:p>

    1 8. Ibid., p. 238 : « Le roi de Fez a en vérité un grand royaume. Mais il n'a qu'un petit revenu. De plus la moitié de ce revenu consiste en grain, en bétail, en huile, en beurre.»; p. 105, description d'un de ces greniers à Marrakech, à comparer avec Host, Nachrichten von Marokko und Fes, 1781, planche 6, p. 76 ; J. Delarozière, « Habs Zebbala à Fès Djedid, étude sur un héri », 4e Congrès de la Fédération des sociétés savantes de l'Afrique du Nord (Rabat, 1 8-20 avr. 1938), 1930, t. 2, pp. 619-626.<o:p></o:p>

    19. Jean-Léon, 1956, p. 204.<o:p></o:p>

    20. Ibid., p. 228.<o:p></o:p>

    21. Ibid., p. 192: «Moyennant deux baiocchi par roggio». Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, 1949, p. 327, distingue les terrahiya, meuniers marchands, et les tahhaïniyn qui travaillent à la commande.<o:p></o:p>

    22. E. Fagnan, Extraits inédits relatifs au Maghreb, 1924, p. 455.<o:p></o:p>

    23. R. Montagne, « Un magasin collectif de l'Anti- Atlas, l'agadir des Ikounka », Hesperis, IX, 1929, pp. 145-266 ; Dj. Jacques-Meunié, Greniers citadelles au Maroc (PIHEM, t. LU), 1951.<o:p></o:p>

    24. La charte du grenier d'Ajarif qui a servi de modèle daterait du xve siècle, mais elle n'est peut-être que la codification d'usages antérieurs.<o:p></o:p>

    25. B. Rosenberger et H.Triki, 1974, pp. 102-103.<o:p></o:p>

    26. Ibid., pp. 16-23 et 1973, pp. 1 19-146. Pour cette famine, cf. B. Rodriguez, Anais de Arzila, D. Lopes éd., 1915, chap. i.xxv.<o:p></o:p>

    27. Ai. Qâdirï, Nachr al Mathani, trad. Grauixe et Maillard, t. 2. Archives marocaines, xxiv, 1917, p. 137 ; Ihyâ wa al Inti'ash, cité par B. Rosenberger et H. Triki, 1974, p. 19.<o:p></o:p>

    28. Coran, II, 168, V, 5, VI, 119 et 146, XVI, 116-117.<o:p></o:p>

    29. E. G. Gobert, « Les références historiques des nourritures tunisiennes », Cahiers de Tunisie, XII, 1950, p. 510; Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale depuis la Préhistoire<o:p></o:p>

    jusqu'à nos jours, 1932, p. 290. Dans le traité d'iBN ai. 'Awwâm on fait du pain avec toutes les céréales, les légumineuses et même des graines sauvages et des noyaux, t. 2, p. 359. Ai. 'Omarî, Masâlik el Absàr fi mamàlik el amsâr, l'Afrique moins l'Egypte, trad. Gaudefroy-Demombynes, 1927, p. 174, dit de façon caractéristique : « L'Empire marocain renferme toutes sortes de grains : blé, orge, fèves, pois chiches, lentilles, mil, suit, etc. »<o:p></o:p>

    30. E.G. Gobert, 1950, pp. 513-514. Ai. Maqqarï, Nafh al Tib, 1949, t. 3, p. 137 (trad. F. Provenzai.i, El Boston ou jardin des biographies des saints et savants de Tlemcen, 1910, pp. 1 74- 1 75) cite le cas d'un Maghrébin tombé malade à Damas à qui le médecin rend la santé en lui faisant manger un plat de couscous, sa nourriture habituelle.<o:p></o:p>

    31. Ibn Battutâ, Voyages, éd. et trad. Defremery et Sanguinetti, 1859, t. 4, p. 394 : entre Walata et Mali on trouve du founi (fonio) « avec lequel on prépare le couscoussou ainsi qu'une sorte de bouillie épaisse ».<o:p></o:p>

    32. E. Laoust, Mots et choses berbères, 1 920, p. 268 : le sorgho, illan ou Uni se dit en soninké illé.<o:p></o:p>

    33. H. Peres, « Quel est le plus ancien texte arabe ou berbère faisant mention de « couscous ? », Bull, des études arabes, III, 1943. pp. 140-141. Cf aussi L. Vaiensi, 1977, p. 242 sur la rareté des références et leur caractère tardif. R. Arié, L'Espagne musulmane au temps des Nasrides (1232- 1492), 1973, p. 378 et n. 10.<o:p></o:p>

    34. Communication de J. Boube.<o:p></o:p>

    35. Jean-Léon, 1956, pp. 208-209 ; G. Mouette, Relation de la captivité du Sr Mouette dans les royaumes de Fez et de Maroc, 1683, pp. 41-43 ; Z. Guineaudeau, Fès vu par sa cuisine, s.d., p. 59 ss ; L. Valensi, 1977, pp. 239-240.<o:p></o:p>

    36. A. Cour, art. « Kuskusû », Encyclopédie de l'Islam, lre édition, t. 2, p. 1 227 ; E. Laoust, 1920, p. 78. Souvent appelé ta'àm, c'est-à-dire la nourriture par excellence — au Maroc, dans le Nord et les Doukkala, en Tunisie. Dans le même sens 'ai'sh, au Sahara.<o:p></o:p>

    37. J. Jouin, « Valeur symbolique des aliments et rites alimentaires à Rabat », Hesperis, XLIV, 1957, pp. 299-327.<o:p></o:p>

    38. E. G. Gobert, 1 950, p. 5 1 3 et J. Jouin, 1 957, p. 3 1 6.<o:p></o:p>

    39. B. Rodriguez, 1915, p. 96.<o:p></o:p>

    40. Damiâo de Gois, Les Portugais au Maroc de 1495 à 1521, trad. R. Ricard, 1937, p. 75.<o:p></o:p>

    41. Jean-Léon, 1956, p. 208 ; L. de Marmoi., t. II, pp. 193 et 194.<o:p></o:p>

    42. M. Rodinson, « Recherches sur des documents arabes relatifs à la cuisine », Revue des études islamiques, 1949, p. 156 ; H. Peres, 1943, p. 140.<o:p></o:p>

    43. S1HM, 2e série, France, t. 5, pp. 46-47.<o:p></o:p>

    44. Le Tourneau, 1949, p. 327.<o:p></o:p>

    45. Jean-Léon, 1956, pp. 192 et 194.<o:p></o:p>

    46. G. Mouette, 1683, pp. 23 et 26.<o:p></o:p>

    47. Jean-Léon, 1956, pp. 208, 195 et 212 (pain qui ressemble aux lasagnes), pp. 191 et 21 1 (beignets). On mange plus souvent le matin les sfanj, gros beignets consistants : Guineaudeau, p. 158.<o:p></o:p>

    48. L. de Marmoi., 1667, t. 2, p. 245 (Arhon et Béni Zequer), p. 252 (Vêlez de Gomère), p. 267 (Tagaza). Cf., Jean-Léon, pp. 273-293, passim.<o:p></o:p>

    49. L. de Marmoi., p. 4 ; cf. Jean-Léon, 1956, pp. 72, 78, 81, 84.<o:p></o:p>

    50. Jean-Léon, 1956, p. 72 ; L. de Marmoi., 1667, t. 2, p. 4.<o:p></o:p>

    5 1 . « On ne vous connaît dans le Maghreb que par les immenses plats de acîda que vous offrez à vos hôtes » ironise Muhammad ibn al Sharif cité par Ai. IfrânT : Nozhet-elhàdi, histoire de la dynastie saadienne au Maroc — 151 1-1670 — par Mohammed Esseghir... Eloufrani, trad, frse par O. Houdas, 1889. p. 468.<o:p></o:p>

    52. Ai. Bâdisî, Al Maqsad, vie des saints du Rif, trad. G. S. Coi.in, 1926, Archives marocaines, XXVI, p. 5 1 . Appelée zommita dans le Maroc du Nord de nos jours. Ce mets très simple, rapporté selon la tradition au calife 'Umar, passe pour avoir la baraka.<o:p></o:p>

    53. Jean-Léon, 1956, p. 72. Cf. ibid., p. 152.<o:p></o:p>

    54. L. de Marmoi., 1667, t. 2. p. 5.<o:p></o:p>

    55. Jean-Léon, 1956, p. 1 1 1 .<o:p></o:p>

    56. J. G. Jackson, An account of the empire of Morocco, etc. 1 809, p. 1 5 : « Oats they make no use of. ». dans Une description du Maroc sous le règne de Moulay Ahmed el-Mansour (1596), éd. et trad. H. de Castries, 1 909, p. 1 6, cevada est faussement traduit par avoine, p. 89. R. Fréjus. passant près de l'oued Msoun et allant vers Taza, fin avril 1 666, prétend qu'on « commençoit à couper quelques avoines », assertion surprenante ! SIHM, 2e série, France, t. 1 , p. 1 50. Cf. G. S. Coi.in et H. P. Renaud, 1934, n° 338, p. 147.<o:p></o:p>

    57. J. Dresch, Documents sur les genres de vie de montagne dans le massif central du Grand Atlas, 1 941 , carte 2 et p. 1 5 ; Atlas du Maroc, carte 39 a .• Cultures céréalières, 1 968, notice, pp. 1 8- 19 ; E. Laoust, Cours de berbère marocain, 1921, p. 103 ; G. S. Coi.in et H. P. Renaud, 1934, n° 3 1 4, p. 1 39 Calas) .- l'engrain est appelé aux confins du Rif et du Gharb shkalia qui ressemble au latin secale, seigle, ce qui explique peut-être qu'on trouve signalé en plaine le centeno dans Une description, pp. 16, 20, 25, texte et pp. 39, 93, 97, trad. ; R. Portères, « Les appellations des céréales en Afrique », Journal d'agric. tropicale et de bot. appliquée, 5, 1958, p. 349 affirme que isenti, tisentit ne peuvent que provenir de centeio des Portugais et que c'est à l'époque portugaise du Maroc que le seigle a été introduit. Sur cette opinion hasardeuse, mêmes réserves qu'à propos du mais, voir plus bas.<o:p></o:p>

    58. Une description, pp. 36, 50, texte et pp. 107, 113 trad. ; L. de Marmoi., 1667, t. 2, p. 202 ; J. G. Jackson, 1809, p. 21 ; Ai. 'Omarï, 1927, p. 174, remarque la rareté du riz, peu cultivé car les gens « n'ont ni goût ni plaisir à en manger », ce qui est bien différent de l'Orient.<o:p></o:p>

    59. M. Sorre, « Les céréales alimentaires du groupe des sorghos et des millets », Annales de géographie, 1942, pp. 81-99, fait état de ces difficultés d'identification et des difficultés des spécialistes ; G. S. Colin et H. P. Renaud, 1934, n° 96, p. 44 (gawars) bon résumé des questions ; R. Portères, 1958, pp. 454-486 et 732-761 et ibid., 1959, pp. 68-84, 84-105, 290-305 et 305-309 n'aide guère à y voir beaucoup plus clair.<o:p></o:p>

    60. Atlas du Maroc, carte 39 a, notice p. 1 9 ; J. Le Coz, Le Rharb, fellahs et colons, 1964, t. 1 , p. 325 ; J. Dresch, 1941, carte 2 et p. 15 ; J. Berque, Structures sociales du Haut Atlas, 1955, p. 1 30 ; Id., L 'intérieur du Maghreb, 1 978, pp. 307-309. Il y a peu, on voyait des champs de millet ou de sorgho dans la vallée des Ayt bu Gemmez (Haut Atlas).<o:p></o:p>

    61. G. S. Colin et H. P. Renaud, 1934, n° 96, p. 44 ; J. Le Coz, 1964, t. 1, p. 325 ; J. Leite de Vasconcellos, Etnografia portuguesa, 1936, t. 2, p. 82.<o:p></o:p>

    62. J. W. Blake, Europeans in West Africa, 1942, t. 1, p. 149 (trad, de G. B. Ramusio, Navigazioni e xiaggi, Venise, 1550) : description de l'île de Santiago du Cap Vert ; Une description, p. 72, texte, p. 137 trad.<o:p></o:p>

    63. Pour Ibn al 'Awwâm, le millet dura, se sème en mai et le panic, dukhn, en mars, op. cit., t. 2, pp. 75 et 78.<o:p></o:p>

    64. B. Rosenberger et H. Triki, 1974, p. 100.<o:p></o:p>

    65. SIHM, lre série, Portugal, t. 3, 1948, p. 547 : « Se os milhos nao fforao ouvera muita ffome neste reino. »<o:p></o:p>

    66. P. Ordonez de Cebai.los, Historia y viaje del mundo, 1616, pp. 286-287, cité par R. Ricard, « Textes espagnols sur la Berbérie », Études hispano-africaines, 1956, p. 15.<o:p></o:p>

    67. M. Sorre, 1942, p. 88 ; Ibn Khaldoun, Prolégomènes, t. 1, p. 179, attribue la supériorité physique et intellectuelle des Masmuda à la consommation de dura. Son contemporain Ibn Khatib prétend que c'est « la meilleure espèce de graines farineuses comestibles » (trad. Ai.louche, « La vie économique et sociale à Grenade », Mélanges d'histoire et d'archéologie de l'Occident musulman, t. 2, 1 957, p. 7) ; M. Gast et J. Adrian, Mils et sorghos en Ahaggar, 1 956, étude scientifique de leur valeur alimentaire, p. 1 6 anecdote targuie sur la supériorité du sorgho par rapport au blé.<o:p></o:p>

    68. J. Le Coz, 1964, t. 1, p. 325 ; M. Gast, 1968, pp. 72-77.<o:p></o:p>

    69. B. Rosenberger et H. Triki, 1 974, p. 2 1 : « L'orge et le millet (bishna) sont des plantes de la même famille (jins) ».<o:p></o:p>

    70. Au début du xvie siècle la culture du « millet » est signalée dans les montagnes près de Taza, dans le Rif, notamment chez les « Béni Mansor » et les « Béni Giusep » ; dans les Haha, s'il ne pousse « que peu de froment, l'orge, le mil, le millet y viennent en quantité » et près de là, dans le « Demensera » (Haut Atlas occidental), « les terrains sont excellents pour l'orge et le mil » (Jean- Léon, 1956, pp. 71, 85, 279-280, 306). On le trouve entre Arzila et Al Ksar al Kabïr, et dans la montagne des « Bani Gorfat » de grands champs de millet sont cultivés par irrigation (B. Rodriguez, 1915, t. I, pp. 96, 106). Il est très abondant dans le Sud : en dehors de l'Atlas où le signale aussi Diego de Torres, on le trouve dans le Haha, le Sous, les Gzoula, les Haskoura et les Doukkala, vers Amizmiz, au sud-ouest de Marrakech, et vers Animay (aujourd'hui Sidi Rahal), à l'est de cette ville. On le cultive par irrigation dans l'Atlas, par exemple vers Jamà'a Jadïda (Gemaa ledid), capitale de Mawlay Idrïs al Hintàtï. Marmol précise enfin à propos du Tenzera (le « Demensera » de Jean-Léon) « le pais abonde en orge et en millet qui est comme de l'alcandie » (espagnol alcandia .• millet à chandelles) (L. de Marmol, 1667, t. 2, pp. 26, 44, 48-49 et 75). La description anonyme portugaise de 1 596 parle de milho en plaine, dans la Chaouïa et les Doukkala, en montagne dans le Haut Atlas et de paniso au Gourara qui était alors sous l'autorité sa'adienne (Une description, pp. 16, 20, 25 et 72).<o:p></o:p>

    71. Jean-Léon, 1956, pp. 280. 306.<o:p></o:p>

    72. Selon Ibn ai. 'Awwâm, on peut y arriver en procédant comme il indique t. 2, pp. 76, 79-80.<o:p></o:p>

    73. G. S. Coi.in, 1926, p. 90 : une bouillie (dashish) de sorgho (banij) ; Ai Yúsí, 1976, p. 82 (supra) ; E. Laoust, 1 920, p. 78, n. 3 : le couscous de sorgho est appelé aferfar. De nos jours encore à Marrakech on goûte fort une soupe grise et épaisse de farine d'illan, réputée reconstituante.<o:p></o:p>

    74. J.-J. Hémardinquer, « Les débuts du maïs en Méditerranée (premier aperçu) », Mélanges en l'honneur de F. Braudel, 1973. pp. 227-234.<o:p></o:p>

    75. J. Berque, « Antiquités Seksawa », Hesperis, XL, 1953, p. 405.<o:p></o:p>

    76. B. Rosenberger et H. Triki, 1973, p. 150, n. 124.<o:p></o:p>

    77. E. Alvarez Lopez, « Las plantas de America en la botanica europea del siglo XVI », Revista de Indias, 1945, pp. 231, 234.<o:p></o:p>

    78. C. França, « Os Portugueses do seculo XVI e a historia natural do Brasil », Revista de historia, XV, 1 926, p. 50.<o:p></o:p>

    79. J. Berque, 1 953, p. 405 : « II est vraisemblable que le maïs a succédé sur la sole de printemps au millet que signalent avec constance Léon, Torres, Marmol alors que l'anonyme portugais, en fin de siècle, ne parle plus que de mais. » L'auteur reconnaît cependant en note que «la traduction de ces termes de botanique laisse place à l'incertitude», et dans L'intérieur du Maghreb, p. 310, il semble moins affirmatif sur l'époque où cette plante révolutionnaire aurait conquis la montagne.<o:p></o:p>

    80. Atlas du Maroc, carte 39 a, notice pp. 20-21 ; J. Le Coz, 1964, t. 1, p. 325 ; J. Dresch, 1941, p. 15.<o:p></o:p>

    81. J. G. Jackson, 1809, p. 15 (District of Fas and province of Benihasen) et pp. 20-21 (Draha and Tafilalet).<o:p></o:p>

    82. J. Berque, « Un glossaire notarial arabo-chleuh du Deren », Revue africaine, 1950, p. 374 ; id., 1978, p. 310.<o:p></o:p>

    83. E. Lévi-Provençai., Documents inédits d'histoire almohade, 1928, pp. 141-142, expédition dans le Sous en 1 140-1 141 : butin et destruction de la récole de àmazzigur, p. 224, en 1131 destruction de la récolte de àsangar dans le Sous également.<o:p></o:p>

    84. Communications de L. Galand, L. Mezzine ; J. Berque, 1978, p. 309. Cf. amzwar (mezouar) : celui qui est le premier. Cette appellation évoquerait-elle sa place importante dans l'alimentation ?<o:p></o:p>

    85. J. Berque, 1950, p. 374 et 1978, p. 308.<o:p></o:p>

    86. Même impression en Tunisie où le mais n'est pas signalé avant le xvnie siècle. L. Valensi, 1977, p. 208 et n. 174.<o:p></o:p>

    87. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, t. I, p. 486, A. Les citadins devaient parfois recourir à cette nourriture archaïque et populaire.<o:p></o:p>

    88. Ibn ai. 'Awwâm, 1864, t. 1, p. 81 ; L. Boi.ens, Les méthodes culturales au Moyen Age d'après les traités d'agronomie andalous : traditions et techniques, I 974, p. 1 29 ; J. Couleau, La paysannerie marocaine, 1968. p. 233 : les paysans appellent bernisha le sol qui a porté des légumineuses et en connaissent la fertilité.<o:p></o:p>

    89. Fouilles personnelles (1964) inédites.<o:p></o:p>

    90. Jean-Léon, 1956, pp. 72, 197, 283 où il ajoute: «Ce qu'ils considèrent comme des aliments de choix. » Est-ce pitié ou mépris ?<o:p></o:p>

    91. Ibid., pp. 212-213; J. Jouin, 1957, p. 321 ss : à Rabat la kïzuna est un mélange de légumineuses (une part de fèves, une de pois chiches et deux de lentilles) avec sept légumes frais, à Fez la bïsàra est une purée de fèves à l'huile avec lentilles, pois chiches, fruits secs.<o:p></o:p>

    92. Une description, p. 20 (gràos, cicheros) ; J. G. Jackson, 1809, p. 1 5 (caravances : cf. castillan garbanzos).<o:p></o:p>

    93. E. Laoust, 1 920, p. 269 : tinifin en berbère ; julbàn en arabe semble aussi pouvoir désigner d'autres graines, par exemple le lupin (basila ■. Ibn ai. 'Awwàm, 1864, t. 1, p. 97 ; ibid., p. 89, hammis ; sic : pour hamus) est rendu par pois ; tinifin s'appliquerait aussi à la gesse, J. Berque, Í950, p. 379.<o:p></o:p>

    94. J. Berque, 1 950, pp. 381 -382 ; Ibn ai. 'Awwâm, 1 864, p. 96, dit qu'on ne doit pas manger la vesce seule « parce que c'est un aliment nuisible ».<o:p></o:p>

    95. G. S. Coijn et H. P. Renaud, 1934, n° 16, p. 11.<o:p></o:p>

    96. E. Laoust, 1920, p. 269.<o:p></o:p>

    97. G. Vajda, Un recueil de textes historiques judéo-marocains, 1951, pp. 10-11. Faute de connaître le rapport uqiya-fals à cette date, on ne peut comparer les prix du blé et des légumineuses, ce qui eut été intéressant.<o:p></o:p>

    98. M. Rodinson, 1949, p. 153.<o:p></o:p>

    99. J. Coui-Eau, 1968, pp. 155-156 ; mêmes constatations en Tunisie : E. G. Gobert, 1950, pp. 502-503 et L. Valensi, 1977, pp. 245-246.<o:p></o:p>

    100. B. Rodriguez, 1915, t. 1, pp. 327-329. Notre homme raconte bonnement comment il a acheté une jeune femme et une petite fille pour 60 testons. Et après avoir topé, le maître de la khaïma lui fit l'honnêteté de l'inviter à manger un morceau, mais c'était du chameau rôti et il n'osa pas en goûter.<o:p></o:p>

    101. Jean-Léon, 1956, p. 172 ; G. S. Coun et H. P. Renaud, 1934, n° 87, p. 40.<o:p></o:p>

    102. G. Maurer, « Les paysans du Haut Rif central », Revue de géographie du Maroc, 14, 1968, p. 57.<o:p></o:p>

    103. R. Ricard, « Le Maroc à la fin du xvie siècle d'après la 'Jornada de Africa' de J. de Mendoça », Hesperis, XLIV, 1957, p. 187 et note.<o:p></o:p>

    104. B. Rosenberger et H. Triki, 1974, p. 36 ; en berbère abadar est le fruit du genévrier (comm. L. Mezzine) ; à signaler une pratique identique dans l'Aurès : M. Gaudry, La femme chaouïa de l'Aurès, 1929, p. 144.<o:p></o:p>

    105. B. Rosenberger et H. Triki, 1973, p. 155 ; Ifrànî, Nozhet, trad., p. 263.<o:p></o:p>

    106. G. Maurer, 1968, p. 57.<o:p></o:p>

    107. E. Laoust, 1920, pp. 107, 483 et 513 ; H. P. Renaud, « La peste de 1813 d'après des documents inédits », Hesperis, III, 1923, p. 24 ; G. S. Coun et H. P. Renaud, 1934, n° 237, p. 106.<o:p></o:p>

    108. Communication de A. Hammoudi.<o:p></o:p>

    109. Ibn ai. 'Awwâm, 1864, t. 2, p. 353.<o:p></o:p>

    110. Indications dans J. Berque, 1950, p. 382, repris dans id., 1978, pp.313 et 315; G. S. Coun et H. P. Renaud, 1 934, n° 70, p. 32, n° 2 1 3, p. 95 ; Ibn ai. 'Awwàm, 1 864, t. 2, p. 354 ; M. Gast, 1968, chap. 5, pp. 195-261.<o:p></o:p>

    111. Dans la région de Rabat, au printemps, la mauve est abondamment consommée. E. G. Gobert, 1950, pp. 502-503 et 531. On peut noter aussi la consommation de pousses de luzerne : J. Mathieu, 1939, p. 31 ; S. Quennoun, La montagne berbère. Les Ait Oumalou et le pays Zaïan, 1929, p. 273 ; observée par С Lefébure chez les Ait Atta.<o:p></o:p>

    112. G. Mouette, 1924,. p. 178.<o:p></o:p>

    113. B. Rodriguez, 1915, t. 1, p. 370 ; R. Ricard, 1957, p. 199 et n. 71 : l'espagnol tagarnina désigne un chardon ou l'artichaut sauvage, appelé en arabe dialectal garnina vers Marrakech et kannariya vers Tanger. Cf. G. S. Colin et H. P. Renaud, 1934, n° 21 3, p. 95 : aujourd'hui kharshaf c'est le cardon, l'espèce cultivée ou non dont on mange les côtes ; on appelle qoq (boule ou pelote) le capitule.<o:p></o:p>

    1 14. Ihiyà, p. 135. L'auteur précise que, dans ces conditions, le jeûne de ramadan a été suivi scrupuleusement.<o:p></o:p>

    115. Jean-Léon, 1956, p. 137, n. 358. Le fiât est un plat de viande et de pâte. Ibid., p. 423.<o:p></o:p>

    116. Ibid., p. 423.<o:p></o:p>

    1 17. Ibn Khai.doun, Prolégomènes, t. L, p. 179.<o:p></o:p>

    118. J. Berque, 1950, p. 372 et 1978, p. 314. Même impression à la lecture de Jean-Léon.<o:p></o:p>

    119. G. Mouette, 1924, p. 178.<o:p></o:p>

    120. D. de Torres, Relation de l'origine et succez des Chéri/s... mis en français par Monseigneur Charles de Valois, duc d'Angouléme, 1636, p. 56. Leur autorité, toutefois, ne s'étendait à ce moment qu'au Sous et aux Haha et atteignait à peine Marrakech (B. Rosenberger et H. Triki, 1973, p. 139).<o:p></o:p>

    121. Ch. de La Véronne, Vie de Moulay Isma "il roi de Fès et de Maroc d'après Joseph de Léon (1708-1728), 1974, pp. 129-130.<o:p></o:p>

    122. Ibn 'Askar, Dawhat an nàshir Ы mahâsin man kána bil Maghrib min masháyikh al qarn al 'àshir. Lith., Fez, 1309, trad. Graui.ie, Archives marocaines. t. XIX, 1913, pp. 135, 168, 185.<o:p></o:p>

    123. E. Gei.I-NER, « Pouvoir politique et fonction religieuse dans l'Islam marocain », Annales ESC, 1970, n°3, pp. 699-713.<o:p></o:p>

    124. Une description p. 108.<o:p></o:p>

    125. E. Ashtor, 1968, p. 1029.<o:p></o:p>

    126. R. Arié, 1973, pp. 377-378.<o:p></o:p>

    1 27. G. Mouette, 1 924, pp. 162-163 ; on remarque la même sobriété chez les beys de Tunis : L. Vai.ensi, 1977, pp. 246-247.<o:p></o:p>

    128. SIHM, 2e série, France, t. I, p. 155.<o:p></o:p>

    129. Id., t. 2, 1924, p. 323.<o:p></o:p>

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  • Commentaires

    1
    kourimat
    Dimanche 21 Juillet 2013 à 19:14
    un peu long, mais très intéressant. très général, ça concerne tout le pays. les yazghis sont concernés par le pain d'orge quotidien, le pain blanc occasionnel des fêtes et cérémonie, le couscous à la viande, la "balboula à la tête de mouton, la balboula à la bissara, ticha, sikouk, les escargots, le hérisson, lbakkoula, lboubal entre autres ....
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