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Traction animale au Maroc
Rentabilité de la traction animale dans les petites exploitations marocaines
par
B. Elhimdy et J. Chiche
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc
Résumé
L'agriculture marocaine actuelle est le fruit d'une évolution qui associe les techniques traditionnelles et les techniques modernes. 68% des exploitations comptent moins de 5 ha et la traction animale est largement représentée avec un nombre élevé d'animaux de trait sur la totalité du territoire: 723.000 ânes, 445.000 mules, 15.000 chevaux, 39.000 camélidés. L'utilisation de la traction animale est valable pour les petites exploitations disposant d'une main-d'œuvre familiale. Sur une exploitation de 5 à 6 hectares au Tadla, les coûts d'utilisation d'un attelage simple d'un mulet reviendrait d 43 Dh (31 FF) par jour, soit approximativement un coût horaire 50% inférieur à un tracteur.
Introduction
Peu après l'indépendance (1956), le Maroc a mis en place un certain nombre de mesures visant à promouvoir les équipements modernes de production agricole. Le code des investissements agricoles, paru en 1969 (encore valable en grande partie de nos jours), prévoit des subventions de 20 à 30% pour l'acquisition de machines agricoles. Sous l'influence des idées et des devises importées par les émigrés marocains au cours des 20 dernières années, le Maroc s'est vu prendre un nouveau visage où le traditionnel et le moderne coexistent.
Dans certaines exploitations, divers facteurs socio-structurels garantissent la continuité de certaines technologies anciennes. Ces situations alliant l'ancien et le nouveau sont le résultat d'une adaptation et d'une acceptation progressive d'un nouveau schéma de production impliquant des éléments encore mal connus et mal maîtrisés par les paysans. Cet article aborde quelques aspects de la traction animale (TA), et en particulier celui des coûts d'utilisation de différentes techniques agricoles.
Traction animale et motorisation
L'analyse des travaux de préparation du sol réalisée au Maroc montre que 25% des superficies sont travaillées à l'araire et 78% des exploitations ne sont pas mécanisables du fait de leur structure foncière morcelée, de la topographie locale, du mode de faire-valoir ou de la nature du terrain. Ce nombre important d'exploitations indique à quel point la traction animale est ancrée dans le milieu rural, touchant en fait 78% des foyers ruraux. Au niveau des effectifs, notons la prédominance des ânes (723.700) et des mulets (445.000). Les petits équidés ont l'avantage d'être d'un entretien peu coûteux et d'un emploi versatile, servant aussi bien au labour, au sarclage, qu'au transport de l'eau et des grains. De plus, ils peuvent être confiés à des enfants dès l'âge de sept ans. Les chevaux (15.700) sont concentrés dans les zones au relief de plaine (Fig. 1).
Tableau 1: Potentiel de la traction animale au Maroc
Espèces
Effectif
Anes
723720
Mulets
445028
Dromadaires
38986
Chevaux
15670
D'après Enquête - Elevage MARA Oct. 1984.
Fig. 1: Importance et distribution géographique des équidés au Maroc
Contrairement à la traction animale de tradition ancestrale, le matériel de culture motorisé est rare dans les zones de colline ou de montagne (Fig. 2). La motorisation s'est bien répandue dans les zones de plaines et de cultures irriguées (périmètres aménagés par l'Etat en grande hydraulique). Sur l'ensemble des exploitations, on compte un tracteur pour un peu moins de 270 ha mécanisables, alors que les besoins théoriques sont de l'ordre d'un tracteur pour 83 ha mécanisables (Colloque sur le machinisme agricole: HTE, 1980).
Fig. 2: Mécanisation labours et milieu. Nombre de "cover crop" (culture de couverture): le "cover crop, charrue mototractée la plus utilisée a été choisi comme indicateur de l'importance de la mécanisation des travaux agricoles. (J. Chiche) Limite A: limite des zones où l'assiette foncière des plus grandes exploitations ne dépasse practiquement pas 10 hectares.
Performances des animaux de trait
Les performances des animaux de trait dépendent de plusieurs facteurs tels que l'âge, la génétique, l'alimentation, l'état de santé, la conduite durant le travail. Des études menées au Maroc (El Batnane, 1983; Benlamlih et al., 1988) ont porté sur l'évaluation des performances (force de traction et vitesse de déplacement) des animaux de races locales en attelage simple et double. Il apparaît que les vitesses de récupération diffèrent selon l'espèce et que certaines capacités physiologiques d'adaptation aux efforts soutenus permettraient au dromadaire (38.986) (utilisé comme animal de trait au centre et sud du Maroc) de réaliser des travaux cumulés.
Une normalisation de la mesure des performances physiques des animaux de trait et de bât permettrait d'obtenir des données fiables et indépendantes des situations agricoles. A notre connaissance, mis à part le test d'énergie utilisant un ergomètre fixe ou mobile, et de test d'aptitude à la traction (Dyrendahl et Bengtsson, 1982), il n'existe pas encore de test normalisé pour évaluer les efforts nécessaires aux différents types de travaux agricoles sur différents terrains. Une telle normalisation des tests permettrait un échange plus significatif des informations entre chercheurs et pourrait ouvrir la voie à une amélioration des recherches sur le développement de la traction animale en milieu agricole.
Critères d'évaluation des coûts d'utilisation
Sur les exploitations de moins de 5 ha (soit 68% des exploitations) le choix du mode de traction est tributaire de différents critères: offre des travaux à façon, taille des parcelles, morphologie des exploitations, disponibilités monétaires au moment des travaux, capacités d'entretien d'un attelage, et niveau pluviométrique. Par ailleurs toute tentative d'évaluation des coûts d'utilisation des techniques traditionnelles doit tenir compte de plusieurs aspects de la traction animale: l'espèce animale considérée, l'intensité de son utilisation annuelle (avec peut-être l'établissement d'une grille d'équivalence entre les différentes opérations), les temps moyens de réalisation le mode de conduite, l'entretien des animaux.
Tableau 2: Performances physiques des animaux en attelage double ou associé
Type d'attelage
Vitesse (m s-1)
Effort de traction
(N)
Cheval léger simple
0,70
480
(1)
1,22
800
(2)
Mulet léger simple
0,70
320
(1)
1,09
740
(2)
Paire de mulets
0,47
1500
(3)
Ane léger
0,61
190
(1)
Paire d'ânes
0,34
750
(3)
Bovin loger
0,56
200
(1)
Paire de bovins
0,48
1800
(3)
Dromadaire
1,16
574
(2)
0,98
500
(1)
Cheval + âne
0,84
773
(2)
Mulet + cheval
1,07
891
(2)
Légende:
(1) Divers auteurs cités par Baoubaou, 1986
(2) Benlamlih et al., 1988
(3) Albatnane, 1983En ce qui concerne les paramètres d'intensité d'utilisation annuelle et les temps moyens des différentes opérations culturales, Salie (1970, 1972) a procédé à l'enregistrement des temps d'utilisation du mulet dans cinq stations expérimentales (au Tadla, stations de 5 à 6 ha) sur des cultures de céréales, coton, betterave et des cultures maraîchères. Les résultats montrent que le mulet est utilisé pendant toute l'année avec une moyenne mensuelle de 60 heures, soit une moyenne de deux heures par jour. Le taux d'utilisation moyen obtenu dépend grandement de l'assolement pratiqué et de la rotation des cultures au sein de l'exploitation. Par exemple, le taux d'utilisation du mulet a une valeur plus élevée sur cinq à six hectares de cultures maraichères. S'inspirant des travaux de Salle, Baoubaou (1986) a pu établir des coûts d'utilisation annuelle, journalière et horaire du muet dans la région du Tadla. Ces coûts sont de 3.881 Dh par an (2. 772 FF), 43 Dh par jour (31 FF) et 5,40 Dh par heure de travail (3,85 FF). Cette même étude indique que le coût horaire d'un tracteur de puissance moyenne (55 kW) est estimé à 76,5 Dh soit 54,6 FF de l'heure.
A partir de ces données, l'analyse comparative des différents itinéraires en traction animale intégrale en traction mixte et en traction mécanique intégrale, effectuée sur deux cultures hypothétiques de blé tendre et de betterave sucrière montre que la traction animale reste toujours (en intégrant la main-d'œuvre associée) la plus intéressante pour les petites exploitations disposant d'une main-d'œuvre familiale permanente. Les coûts de la main-d'œuvre familiale sont rarement comptabilisés lors des opérations culturales réalisées en traction animale. Les coûts de mise en culture d'un hectare de blé tendre en TA peut ainsi être évalué à 636 Dh, alors que les mêmes travaux coûteraient 1.177 Dh en motorisation. Dans le cas d'un hectare de betterave, les coûts en traction animale s'élèvent à 499 Dh contre 1.054 Dh en traction motorisée.
Tableau 3: Utilisation du mulet pour les travaux agricoles. (Moyenne de cinq stations expérimentales de 5 à 6 ha chacune)
Mois
Heures
Janvier
72
Février
22
Mars
103
Avril
39
Mai
74
Juin
87
Juillet
55
Août
49
Septembre
49
Octobre
55
Novembre
46
Décembre
69
Total
720
Moyenne/mois
60
D'après B. Salle, 1970
Tableau 4: Temps moyens de réalisation de différentes opérations culturales en traction animale
Temps/ha
Main-d'œuvre
Attelage
Operations
Journées
Heures
Journées
Labour moyen
5,5
24
3,0
Hersage (canadien)
1,25
10
1,23
Hersage simple (herse souple)
1,0
8
1,0
Billonnage
1,33
11
1,33
Confection seguia 2,0
16
2,0
Epandage d'engrais de fond
1
8
1
Binage attelé
1
9
1
Récolte à la faucheuse
1,25
10
1,25
Dépiquage au rouleau dépiqueur
2,66
22
2,66
Transport paille et autres
5
-
2
D'après Salle 1970
Pour ce qui est de la traction mixte, les deux cultures prises en exemple seraient mécanisées selon des proportions différentes. La culture de la betterave est une culture sarclée conduite sur billon dont les travaux sont plus aisément réalisés en traction animale. Les valeurs monétaires mises en jeu refléteront donc ces différences.
Abstract
Moroccan agriculture now involves the use of traditional and modern techniques which coexist in harmony. Sixty-eight per cent of the farms are less than 5 ha and animal traction is widespread throughout the territory. Work animals in use include 723,000 donkeys, 445,000 mules, 15,000 horses and 39,000 camels. Animal traction appears to be a productive option for small farms able to rely on family labour. On a 56 ha experimental farm in the Tadla region, the cost of using a mule works out at about 43 Dh (31 FF) per day, which is approximately half the hourly cost of a tractor.
Références
Baoubaou M. 1986. Situation de la traction animale au Maroc. Mémoire de fin d'études, Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan 11, Rabat, Maroc. (non publié). (F).
Benlamlih et al. 1988. Performances de traction chez le dromadaire et les équidés. Conférence au premier congrès national vétérinaire, Mayoune, Maroc. (F).
Dyrendahl S. et Bengtsson G. 1984. Performance testing of draft horses. Initiatives and experiences of the North Swedish Horse Association. pp. 3745 in: Animal energy in agriculture in Africa and Asia. FAO Animal Production and Health Paper 42, Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome, Italie. 143p. (E/F).
Elbatnane A. 1983. Etude mécanique de l'araire au Maroc. Mémoire de fin d'études, Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc. (F).
HTE 1980. Colloque de Rabat sur le machinisme agricole au Maroc. Hommes, Terre et Eau, No. 38/39 (numéro spécial). (F).
Salle B. 1970. L'emploi de la traction animale et du petit matériel agricole en périmètre irrigué. Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc. (non publié). (F).
Salle B. 1972. L'emploi de la traction animale et du petit matériel agricole dans le Tadla. Machinisme Agricole Tropical, 37: 43-47. (F).
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