• Les Zemmour

    LES ZEMMOUR ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Marcel Lesne -  Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée  -Année  1966 - Volume  2 - Numéro  2 - pp. 111-154<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L'étude dont nous commençons la publication a été présentée comme thèse complémentaire pour le doctorat es lettres à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris, en 1960, sous le titre Histoire d'un groupement berbère, les Zemmour. Elle n'avait jamais été publiée. La thèse principale de M. Marcel Lesne, qui a pour titre Evolution d'un groupement berbère, les Zemmour, a été imprimée par l'Ecole du Livre, à Rabat, en 1959. (Note de la Rédaction.)<o:p></o:p>

    INTRODUCTION<o:p></o:p>

    Au début du xxe siècle, un groupe puissant de tribus berbérophones illustre, par des actes d'hostilité ou de brigandage, sa présence turbulente aux portes de Rabat et de Meknès. D'humeur guerrière, tout imprégnés des souvenirs de la rude vie en montagne menée par leurs pères, encore exaltés par une récente victoire sur la puissante tribu des Bni-Ahsene qu'ils repoussent pas à pas depuis des générations, les Zemmour font du bled 8Îba une réalité vivante jusque sous les murs de Salé. Aucun étranger ne traverse leur territoire sans s'assurer, contre paiement, la protection coutumière ou mezrag; le Sultan lui-même contourne la forêt de la Mâmora, ravie par les Zemmour aux Bni-Ahsene, et longe la côte pour se diriger vers Meknès. Hostiles aux étrangers certes, mais aussi profondément divisées et en proie à des luttes intestines sans cesse renaissantes, les tribus Zemmour apportent ainsi, dans les plaines arabisées, l'ardeur guerrière et la rudesse des mœurs de la montagne berbère, jusqu'à l'intervention française et le rétablissement de l'autorité centrale.<o:p></o:p>

    Les tribus Zemmour comptent à l'époque plus de 12 000 tentes groupant environ 60 000 personnes (chiffre approximatif, cf. Villes et tribus du Maroc, t. III, 1920, p. 188. Actuellement les Zemmour comptent 137 000 ressortissants. Les tribus Aït-Amar d'Oulmès, d'origine zaïane, rattachées administrativement aux Zemmour après le Protectorat français, ne sont pas étudiées ici).<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Par leurs coutumes berbères demeurées à peu près intactes, par leur type physique assez différencié, par leur rude valeur guerrière et leur genre de vie semi-nomade et pastoral rappelant celui de la montagne, les tribus Zemmour accusent une très forte personnalité d'ensemble qui apparaît aux yeux des gens les moins avertis, même encore de nos jours. Pourtant, cette grande Confédération comprend de très nombreux groupements internes assez particularisés ; le tableau de commandement dressé après des décades d'administration régulière donne une idée imparfaite de la multiplicité des groupements. Huit grandes tribus ou sous-confédérations : Bni-Hakem, Haouderrane, Aït-Ouribele, Aït-Jbel-Doum, Messarhra, Kabliyine, Aït-Zekri (Aït-Belkassem, Aït-Ouahi, Aït-Abbou) et Bni-Ameur (Aït-Ali-ou-Lahsene, Kotbiyine, Mzourfa, Khzazna, Hej- jama) ainsi que deux tribus de chorfa composent une mosaïque de populations conscientes à la fois de leur origine particulière et de leur appartenance à la Grande Confédération Zemmour. Une étude plus poussée de ces groupements fait ressortir une diversité d'origine toujours plus accusée. Dès lors, délaissant les habituelles explications biologiques ou patronymiques, il faut rechercher ailleurs la clef d'une structure qui allie si curieusement la cohésion de l'ensemble au particularisme forcené des formations internes.<o:p></o:p>

    Plus qu'une origine géographique commune, qui n'est aucunement certaine, ni même probable, ce sont les aventures vécues ensemble et le genre de vie imposé par les conditions historiques et géographiques qui contribuèrent à rassembler et unir les tribus de la Confédération Zemmour. Les recherches entreprises dans ce sens peuvent paraître téméraires, car la coutume en pays Imazirhene reste purement orale et la vie sous la tente ne favorise guère la conservation de documents écrits. Mais le mouvement SE-NO, qui ébranla tant de populations au Maroc, a laissé des traces profondes dans la tradition orale, et aussi dans les pays traversés, si bien que le lent cheminement des Zemmour vers les plaines atlantiques peut être, non point établi avec certitude, mais esquissé avec l'espoir de dégager plus qu'une hypothèse.<o:p></o:p>

    C'est sous le règne de Moulay-Ismaïl que les Zemmour apparaissent dans l'histoire. Les récits des chroniqueurs leur assignent alors un rôle de premier plan dans la politique berbère menée par ce souverain et il devient possible de localiser, en utilisant divers documents, ainsi que les données de la tradition orale pour les périodes plus récentes, les divers habitats occupés par les tribus. Certes, la vie profonde des populations nous échappe toujours, mais les relations d'un groupement aussi important que les Zemmour avec la dynastie ou les autres confédérations et tribus apparaissent hautement significatives des époques et des lieux successifs où elles se situent. Tour à tour tribus makhzen, tribus simplement fidèles à la dynastie, tribus révoltées, tribus périodiquement soumises et tribus en sida, les Zemmour illustrent les étapes de l'histoire de la dynastie alaouite, jusqu'à Moulay-Abdelâziz et Moulay-Hafid. Leur mouvement en direction du NO aurait pu être celui des autres tribus demeurées dans le Moyen Atlas, si l'intervention française n'avait arrêté la coulée des populations berbèrophones vers les plaines atlantiques en immobilisant les Zemmour, tribus de pointe, aux lisières de la Mâmora qu'ils venaient d'arracher de haute lutte aux arabes Bni-Ahsene.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Chapitre I<o:p></o:p>

    DIVERSITÉ DES COMPOSANTES DE LA CONFÉDÉRATION ZEMMOUR<o:p></o:p>

    I. — L'ancêtre éponyme<o:p></o:p>

    a) Le lien biologique : explication insuffisante.<o:p></o:p>

    On tenterait volontiers, par besoin de logique interne et d'unité, par habitude aussi, de rechercher à travers les textes ou les légendes, l'existence d'un ancêtre commun, d'un héros dont les Zemmour tout entiers se considéreraient, plus ou moins, comme les descendants par le sang. Mais il serait tout à fait étonnant, de prime abord, qu'un ensemble de tribus réunissant actuellement plus de cent trente mille individus puisse se réclamer d'un ancêtre commun, même fictif.<o:p></o:p>

    Aussi bien, même pour les tribus, plus fortement cohérentes que les confédérations, l'hétérogénéité des éléments divers qui les composent interdit d'accepter comme explication essentielle au groupement, voire comme explication valable, l'unité biologique par le sang, qu'elle soit directe ou qu'elle fasse appel à la fiction de l'adoption. « Par le fait même que les populations sont imparfaitement fixées au sol, écrivent A. Bernard et M. Lacroix, les indigènes d'une même tribu ont beaucoup moins de chances de descendre d'un auteur commun que les habitants d'un même village de France » (A. Bernard et M. Lacroix, L'évolution du nomadisme en Algérie, Alger, 1906, p. 278). <o:p></o:p>

    La croyance en un ancêtre éponyme traduit certes la conception de l'union par le sang. Mais la tribu, groupe déjà plus développé que le clan, rassemble des éléments d'origine très diverses. « Elle ne se développe pas seulement par intussusception mais aussi par juxtaposition ... la tribu s'est formée à la fois par le développement familial et par l'agrégation d'éléments étrangers ». E. Doutte (E. Doutte, Figuig. Notes et impressions, 1903, p. 186) a également constaté, après avoir étudié les populations de Figuig, l'impossibilité d'accepter l'explication de la structure tribale par la consanguinité : « C'est à tort, écrit-il, qu'on se représente les divisions des tribus sous la forme d'un arbre généalogique. Les divisions des groupes actuels de populations constituent généralement, non des rameaux issus d'une même souche, mais des greffes apportées sur un pied primitif parfois impossible à discerner ».<o:p></o:p>

    b) Le terme Zemmour : ses obscurités.<o:p></o:p>

    Peut-on trouver pour la Confédération des Zemmour quelque essai d'explication, autre que biologique, au groupement des tribus ? Le terme de Zemmour semble dérivé du berbère Azemmour. Ce mot, écrit E. Laoust, « désigne l'oleaster dans le Sud du Maroc, et l'arbre cultivé dans le Rif, les Kabylies ... etc. Il apparaît d'une antiquité déjà respectable si on en juge par ce fait qu'il s'est fixé comme toponyme dans les régions où le berbère n'est plus parlé : Zemmora en Algérie, Azemmour petite ville du littoral marocain » (E. Laoust, Mots et choses berbères, Paris, 1920, p. 447)<o:p></o:p>

    Bien que se référant à un arbre fort commun au Maroc, ce mot se révèle peu utilisé dans l'onomastique marocaine. Il existe un vaste plateau saharien, au S.E. du Maroc, appelé plateau des Zemmour, ce qui, avec la ville d' Azemmour réduit à peu d'exemples l'emploi géographique du terme. Quelques groupements humains font aussi appel à ce mot : Bni-Zemmour qui constituent au S. O. de Casablanca une confédération de tribus arabophones dont Boujad est le plus gros centre, et les Oulad Zemmour, petite fraction de la tribu des Bni-Bou-Yahi installée dans le Haut Msoun, aux environs de Sakka. Rien ne permet évidemment d'effectuer un rapprochement quelconque entre ces noms de lieux et nos tribus Zemmour; de même l'absence totale de rapports et de souvenirs communs entre Bni-Zemmour et Zemmour ne semble pas devoir permettre de retenir l'affirmation du Cheikh Zemmouri (G. Salmon, L'opuscule du Cheikh Zemmouri sur les Chorfa et les tribus du Maroc, Archives Marocaines, t. II, pp. 282-3 ; la mention faite est rédigée comme suit : Tribus des Bni-Zemmour apparentées aux Bni Zemmour Chleuhs »), qui les cite comme frères de race; en outre, les trois groupes : Zemmour, Bni-Zemmour, Oulad-Zemmour sont respectivement classés comme berbère, arabe et zénète (Liste des confédérations, des tribus et des principales fractions du Maroc. Direction des Affaires Indigènes, 1936). La rareté d'emploi du générique Zemmour, ainsi que le fait de le voir pourtant désigner des groupements éloignés les uns des autres par la langue, la situation géographique et l'absence de tout lien historique ou de tout souvenir commun, ne permettent pas de conclure à une explication linguistique valable pour nos seuls Zemmour : Yazemmour est un arbre trop répandu au Maroc pour que, s'il constitue un emblème possible de groupement, il puisse être réservé seulement à quelques ensembles. Cependant, se référant à l'arbre rustique et vigoureux, les légendes locales essaient d'expliquer l'appellation de Zemmour :<o:p></o:p>

    On raconte que Sidi-Boubker, chérif des Aït-Mguild, rencontra un jour deux hommes de régions différentes et leur posa quelques questions. « Quelle est la chose la plus amère dans le corps humain ? » demanda-t-il à l'un d'eux. Le chérif répondit lui-même à sa question en disant : « C'est la bile (ezé). Eh bien, ta tribu s'appellera désormais Ezayane (Zaïan ou Izayan) car vous serez toujours, par l'aide de Dieu, comme ce liquide, amers et détestables. Et toi, dit Sidi-Boubker en s'adressant à l'autre, quel est l'arbre de ta région dont le bois est très dur ? « C'est azemour, répondit l'homme aussitôt ». « Eh bien, mon fils, dit le chérif, ta tribu s'appellera dès aujourd'hui Zemmour et vous serez semblables à ce bois, toujours robustes » (Informateur : Mohammed-Ben-H., Messarhra (Aït Ounzar), 1952. E. Laoust cite une hypothèse linguistique faisant dériver azemmonr de ezmer € être fort et puissant ». Cette anecdote évoque un tel rapprochement).<o:p></o:p>

    Une explication voisine a cours en tribu Khzazna : l'installation des tribus dans une région couverte d'oliviers sauvages aurait donné leur nom aux Zemmour. Mais dans ce domaine des explications patronymiques, le folklore subit l'influence des conteurs publics qui, à l'aide de rapprochements, de subtilités phonétiques, de légers indices, s'efforcent de bâtir de toutes pièces des légendes flatteuses ou de justifier des parentés enviables.<o:p></o:p>

    Ibn Khaldoun ne nous est non plus d'aucun secours dans la recherche de lettres de noblesse pour les Zemmour. Peut-être ces derniers descendent-ils de Zemmer, fils d'Aurîgh, lui-même fils de Magher, fils de Bernés, fils de Berr ? Ils appartiendraient en ce cas à la branche des Berbères Branès (Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, Trad, de Slane, Alger, 1852, p. 170). Mais rien d'autre évidemment qu'une ressemblance de nom ne peut permettre un rapprochement. Ibn Khaldoun cite ailleurs des Bni Zemmor, parmi les Nefouça (Ibn Khaldoun, Ibid., p. 226 : « Les Nefouça, descendants de Nefous, formaient une des grandes tribus de la race berbère. Ils se répartissaient ensuite en plusieurs branches telles que les Béni Zemmor, les Bni Meskour et les Matouça. Ces grandes familles habitaient les environs de Tripoli ainsi que les localités voisines), habitant aux environs de Tripoli; les Nefouça, descendants de Nefous, fils de Zeddjik, fils de Madghis-el-Abter, fils de Berr relèvent de la branche des Berbères Botr. Telles sont les indications historiques les plus lointaines, trop vagues et surtout sans continuité avec les époques plus rapprochées pour qu'une hypothèse puisse être échafaudée (El Berki signale une tribu Bni-Zemmour près du Jbel Nefouça entre Tripoli et Kairouan : Description de l’Afrique Septentrionale, Trad, de Slane, Alger, 1913, p. 25). Ibn Khaldoun « auquel une certaine génialité non moins que le privilège de la traduction ont conféré une sorte de tutelle sur l'historiographie européenne » (J. Berque, Qu'est-ce qu'une tribu Nord-Africaine ? in Eventail de l'histoire vivante, t. I, Paris, 1953, p. 256), reste, en ce qui nous concerne, une référence obligatoire et de bon ton, mais n'apporte aucune lumière sur l'origine des Zemmour.<o:p></o:p>

    c) Les légendes généalogiques : insuffisances et contradictions.<o:p></o:p>

    Ni la traduction orale faisant de l'olivier sauvage l'emblème des qualités zemmouries, ni ce qu'on ne peut appeler en définitive qu'une coïncidence de noms dans l'Histoire des Berbères, n'offrent d'explication valable. La presque totalité des ressortissants Zemmour, dès qu'ils sont appelés à vivre à l'extérieur des limites de leur territoire, ajoutent à leur nom l'expression distinctive ez-zemmouri; mais les légendes généalogiques, au demeurant peu nombreuses et peu connues, ne mentionnent jamais le mot Zemmour.<o:p></o:p>

    La légende la plus courante veut que les Zemmour descendent de cinq frères, fils d'un certain Aïssa. Chacun d'eux aurait fondé une tribu qui continue à se réclamer de son ancêtre (Légende recueillie par Mohammed-Ben-H., Messarhra (Bni-Ounzar), 1951. Egalement mentionnée par M. Fresneau dans Contribution à une monographie de tribu : les Kabliyine, 1948, Arch. Direction de l'Intérieur, Rabat) :<o:p></o:p>

    Lahsene-ou- Aïssa les Aït-Abbou<o:p></o:p>

    Belkassem-ou- Aïssa les Aït-Belkassem<o:p></o:p>

    Houder-ou- Aïssa les Haouderrane<o:p></o:p>

    Mimoun-ou-Aïssa les Aït-Mimoun<o:p></o:p>

    Haddou-ou-Aïssa dit Harami ou<o:p></o:p>

    Messarhani-ou-Aïssa les Messarhra<o:p></o:p>

    La tradition ajoute que les cinq frères ne purent jamais s'entendre et que les familles, puis les tribus, se séparèrent et prirent le nom de chacun d'eux, au lieu de s'appeler toutes Aït-Aïssa. Les autres tribus : Kabliyine, Aït-Ouribele, puis les Bni-Hakem et Bni-Ameur qui font maintenant partie des Zemmour, auraient rejoint plus tard les cinq groupements primitifs. Si on ne peut accorder à cette légende que la valeur de tous les essais d'explication de ce genre, du moins nous renseigne-t-elle sur la présence d'un noyau qui serait authentique, sur l'arrivée d'autres tribus dans le groupement, sur l'incorporation plus tardive des ensembles tribaux Bni-Hakem et Bni- Ameur.<o:p></o:p>

    Mais un autre nom, moins connu des étrangers, jamais mentionné dans les nombreuses études établies par les Officiers de Renseignements et les Contrôleurs Civils, désigne les mêmes populations zem- mouries : celui d'Aït-Zouggouatt. G. Marcy (G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, Alger, 1949, p. 4) voit dans ce terme le vrai nom berbère des Zemmour. En tribu, la même explication prévaut et le fait même que cette appellation apparaisse peu usitée à l'extérieur, semble indiquer soit un emploi restreint aux seuls Zemmour soit un terme non représentatif de l'ensemble des membres de la confédération. Selon la légende (Informateur Mohamed-Ben-H..., Messarhra  -Bni Ounzar), Zouggoua, chef guerrier célèbre par sa bravoure, se serait illustré lors de la lutte menée contre les Bni-Ahsene qui occupaient autrefois le territoire aujourd'hui dévolu aux Zemmour.<o:p></o:p>

    « A la tête d'un groupement valeureux, Zouggoua arriva ainsi près d'Ouljete-es-Soltane et trouva une vieille forteresse délaissée (Kasbete-harira) : il y laissa quelqu'un pour le représenter. Ainsi procéda-t-il au cours de chaque avance, lors de sa poursuite victorieuse de l'ennemi : à chaque endroit conquis, Zouggoua installait un ou deux membres de sa famille. Et à chaque fois qu'on leur demandait quelle était leur tribu, ils répondaient : Aït-Zouggouatt. Tous les Zemmouris descendent de la famille de Zouggoua ».<o:p></o:p>

    Cette légende n'offre cependant pas une explication satisfaisante. Certes, la lutte contre les Bni-Ahsene fut la grande épopée des Zemmour et elle imprègne tous les souvenirs des anciens, mais elle ne s'est déroulée qu'à partir du XVIIIe siècle seulement dans la région indiquée par la légende. Or, un document inédit (Liste des tribus Zemmour, obligeamment communiquée par G. S. Colin, directeur d'études à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines à Rabat) signale qu'à la fin du XVIIe siècle, les Zemmour se subdivisent en Aït-Zouggouatt et en Aït-Hàkoum. La légende du guerrier valeureux doit être considérée, soit comme une justification a posteriori d'une appellation dont l'origine se trouve oubliée, soit comme le rajeunissement d'une ancienne explication patronymique qui avait perdu de sa substance et de sa précision.<o:p></o:p>

    La fiction généalogique, pourtant apte à recouvrir une variété extrême d'origines, ignore ainsi le mot Zemmour et n'offre que des explications imparfaites, ou manifestement contradictoires, d'un aussi vaste groupement. Personne ne sait plus pourquoi les diverses tribus se disent Zemmour. Cela n'est pas pour étonner : déjà la tribu elle-même n'a pas la cohésion, l'unité solide qui caractérise la famille berbère, et elle épuise souvent des trésors d'ingéniosité pour maintenir le mythe de la consanguinité ; plus encore que la tribu, la confédération apparaît comme un groupement essentiellement politique, dont la cohésion tout extérieure recouvre une hétérogénéité profonde et indiscutée. Dès lors, nous ne pouvons espérer trouver de souvenirs précis que dans le cadre d'unités plus petites.<o:p></o:p>

    II. HÉTÉROGÉNÉITÉ DES POPULATIONS ZEMMOUR<o:p></o:p>

    La diversité ethnique des tribus Zemmour a été remarquée par G. Marcy (G. Marcy, Le droit coutumier Zemmour, p. 4. Nous retenons ici, non le raisonnement étiologique, mais la constatation d'une diversité ethnique) qui écrit : « On y relève la présence d'éléments appartenant aux trois branches nomades du peuple arabo-berbère, qui ont tour à tour occupé la scène historique du Maghreb : Sanhaja nombreux surtout dans les fractions Sud et qui se rattachent au rameau épony mique des Aït Zoulit; Zénètes plus ou moins arabisés dont certains portent encore le nom d'illustres ancêtres (Ijanaten); Arabes enfin, plus ou moins berbérisés, et surtout répartis vers les basses plaines qui jalonnent la route de Eabat à Meknès (Béni Amer) ». On peut en effet, dès que l'on examine de plus près tribus ou fractions, relever des origines extrêmement diverses, non seulement conservées par la tradition orale, mais illustrées par des souvenirs géographiques précis; parfois même des relations, maintenues malgré les distances ou l'ancienneté de la vie commune, attestent de la vivacité des sentiments de parenté.<o:p></o:p>

    a) La tradition juive.<o:p></o:p>

    L'origine juive de certaines fractions reste toujours difficile à retrouver, par suite du voile qu'elles jettent sur la conversion de leurs aïeux, de crainte de perdre quelque prestige. Les Aït-Makhlouf, petite fraction des Aït-Ouribele, passent en tribu pour être des juifs islamisés, sans doute à cause de leur nom, mais s'en défendent ou évitent d'aborder le problème de leur origine (Dans l'Opuscule du Cheikh Zemmouri (G. Salmon, Arch. Mar., t. II, p. 262) à propos de chorfa, nous pouvons lire < Ai-Hassan, surnommé Makhlouf, dans la tribu des Zemmour chleuh qui appellent ses descendants Ouled El- Hassan). Par contre les Aït-Babou- te, des Bni-Hakem, ont gardé un souvenir très net de leur conversion.<o:p></o:p>

    La légende raconte que trois bijoutiers juifs furent convertis à l'Islam par Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek, patron des Zaër (Informateur Abdeslam-Ben-A..* -el-Hakmaoui, Aït-Baboute, douar Aït- Slimane, 1953). Le fils de ce saint, séjournant à Fès, était entré en discussion avec de savants lettrés : « Ton père n'est pas un saint, lui dirent-ils, il passe son temps à la chasse et à la pêche ». De retour chez son père, le fils ne manqua pas de lui rapporter les propos tenus devant lui. « C'est bon, répondit son père, dis-leur de venir et je leur prouverai mon pouvoir ». Les docteurs de Fès arrivés, un repas leur est d'abord servi. « Qu'avez- vous dit à mon fils ? déclare ensuite Si-Mohammed-Ben-Mbarek ». Et une discussion animée s'engage alors. Puis Sidi Mohammed s'exalte : « Que voulez-vous que je fasse ? Voulez-vous voir la Kaâba ici-même et accomplir ainsi votre pèlerinage ? » Aussitôt il agite le pan de son burnous, les montagnes s'écartent, et la Kaâba apparaît. Trois juifs qui se trouvaient près de là, avec leurs petites tentes de commerçants, éblouis par le prodige, adorèrent aussitôt le vrai Dieu et son Prophète. « Vous serez mes serviteurs » leur dit Sidi-Mohammed-Ben- Mbarek. C'est ainsi que les trois bijoutiers se fixèrent auprès du saint, prospérèrent grâce à sa « baraka » et fondèrent les trois douars Aït- Baboute : les Aït-Slimane, les Aït-Ikko-ou-Hajjou, les Aït-Brahim. Depuis, chaque année, en Octobre et en Mars, les Aït-Baboute vont en pèlerinage faire leurs dévotions sur le tombeau de leur patron, aujourd'hui en pays Bou-Hassoussene (Un groupe de chorfa comprenant 160 familles environ (600 personnes) appelées Mbarkiyine, habite aujourd'hui le petit centre de Sidi-Mohammed-Ben- Mbarek; le saint est décédé au 17* siècle. (Fiche de tribu des Bou-Hassoussene, mise à jour en 1953. Anonyme).<o:p></o:p>

    Selon V. Loubignac (V. Loubignac, Un saint berbère, Moulay-Bouâzza, Hespéris, 1944, pp. 15 à 34), Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek, contemporain du Sultan Aboul-Abbas-Ahmed-el-Mansour, appartient comme Moulay- Bouâzza au groupe de saints berbères auxquels on prête des miracles, empruntés à l'histoire religieuse, qui les intègrent ainsi dans l'Islam ; « s'il ne peut ressusciter les morts, écrit-il à son propos, il conversa du moins avec l'un d'eux ». Mohammed-el-Kadiri (Arch. Mar., t. XXI (Trad. Graulle), 1913, pp. 102-108), donne aussi du « cheikh Aboû Abd Allah Mohammed ben Moubarak Az-Zâri, enterré à Tâswat, en 1006 (J. C. 1957) », disciple du « Sayyidi Aboû-Amar-el- Marrâkchi », une image à laquelle s'accorde tout à fait la légende Aït-Baboute. « II avait des moments d'exhubérante surexcitation mystique et accomplissait des prodiges éblouissants..., il comblait de ses bienfaits tous ceux qui venaient à lui ou qui passaient par sa demeure. C'était néanmoins un illettré; il avait dans sa jeunesse voulu se livrer à l'étude de la science à Meknès-ez-Zitoun, mais il en avait été dissuadé par le Prophète (que Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui accorde le salut) qui, un soir, lui était apparu en songe et lui avait dit : « Tu n'étudieras point; mais va ! tu es cependant un cheikh ». La tradition Aït-Baboute met aussi, nous l'avons vu, l'accent sur le caractère d'ignorance et de pouvoir surnaturel du saint berbère. Ce serait donc vers la fin du xvi6 siècle que les Aït- Baboute adoptèrent la religion islamique ; ils se trouvaient sans doute à cette époque dans la région du Fourhal bien avant que le reste des Zemmour y parvienne et y sont restés près de deux siècles. Nul doute que cette permanence vivifiante auprès du tombeau sacré et la renommée du thaumaturge n'aient permis aux Aït-Baboute de continuer à fêter un événement qui, sans cela, comme pour beaucoup de juifs islamisés, serait tombé dans l'oubli.<o:p></o:p>

    b) La tradition orale.<o:p></o:p>

    Beaucoup de tribus, fractions ou douars, se réclament de la qualité de chorfa; dans ce domaine, les Zemmour ne sauraient non plus échapper à la règle générale. Beaucoup seraient en peine de justifier leurs dires, fût-ce par des dahirs reconnaissant en eux d'authentiques descendants du Prophète. Mais l'essentiel n'est-il pas qu'ils passent pour tels aux yeux des autres ?<o:p></o:p>

    « Les chorfa ou prétendus tels, peut-on lire dans les documents publiés par la Mission Scientifique du Maroc (VU. Trib., Rabat et sa Région, t. III, Paris, 1920, pp. 224-225), sont répartis en trois groupements dans la circonscription de Khmissète et en cinq douars dans celle de Tedderss; dans celle de Tiflète, ils forment trois agglomérations :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Khmissète :<o:p></o:p>

    Tribu des Aït-Yadine<o:p></o:p>

    Fraction des Aït-Sibeur-Arab<o:p></o:p>

    Aït-El-Mejdoub, Aït-Khaled et Aït-Ben-Hammadi, fractions des Aït-Ouribele.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Tedderss :<o:p></o:p>

    Douar des Aït-El-Alem (Moualine-Gour, Bni-Hakem) Douar des Aït-El-Alem (Aït-Haddou-Ben-Hassine) Maârif (Aït-Achrine, Haouderrane) Aït-Atta (Aït-Bou-Meksa) Ouled-Sidi-Cheikh (Aït-Bou-Meksa).<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Tiflète :<o:p></o:p>

    Tribu des Ouled-Bou-Yahya Oulad-Sidi-El-Arbi, El-Khiyati (Kotbiyine) Oulad-Sidi-El-Khandour-El-Mbarki (Hejjama).<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    De tous ces « chorfa », les Aït-Yadine, les Aït-El-Mejdoub et les Aït-Bou-Yahia passent pour être authentiques; ils descendraient de Moulay Idriss du Zerehoun : les Aït-Bou-Yahya détiendraient des dahirs attestant l'authenticité de leur généalogie... » (Malgré de nombreuses démarches et l'appui de fqihs pourtant bien introduits en milieu Aït-Bou-Yahya, les documents, s'ils existent, sont restés cachés dans les coffres et même la simple filiation ou les principaux repères de l'arbre généalogique font l'objet du même secret. De mauvaises langues Zem- mouries prétendent que l'ancêtre des Aït-Bou-Yahia ne serait qu'un juif très lettré, converti à l'Islam. Le douar Aït-Ikhlef prétend que son fondateur est venu de la région de Tlemcen).<o:p></o:p>

    Les Aït-Yadine constituent sûrement le groupement le plus important et le moins contesté ; leur qualité de chorfa leur a permis de jouer très souvent le rôle d'arbitres ou de conciliateurs lorsque des rivalités opposaient entre elles certaines tribus des Zem- mour. Une copie du dahir reconnaissant aux Aït-Yadine leur glorieuse ascendance serait entre les mains du khalifa Mohammed-Ben- Si-Ali, qui refuserait de s'en dessaisir, refus occasionnant des querelles fréquentes en tribu; le premier dahir remonterait à l'époque du « Sultan noir », c'est-à-dire du Sultan mérinide Abou-El-Hassan (Renseignements recueillis auprès de Moulay-H..., le plus âgé des chorfa Aït-Yadine, 1952). Diverses légendes, contradictoires pour certains détails, se rapportent à l'arrivée des Aït-Yadine en tribu Zemmour.<o:p></o:p>

    « Pour éviter une violente attaque des Bni-Ahsene (Légende recueillie auprès de Moulay-B..., -Ali-Yadini, chef de la jemaâ des Aït-Yadine au tribunal coutumier des Zemmour (70 ans), 1952), les Aït- Zouggouatt furent obligés de décamper et de quitter à la hâte l'emplacement qu'occupent maintenant les Aït-Yadine, laissant derrière eux un paralytique, oublié dans la précipitation du départ. Ayant aperçu l'infirme, Sidi-Yadine, encore inconnu en tribu, lui demanda de se lever et de suivre les siens :<o:p></o:p>

    — « «Te ne peux pas, répondit le paralytique.<o:p></o:p>

    — Je sais, mais lève-toi quand même, ajouta Sidi-Yadine ».<o:p></o:p>

    L'homme se leva aussitôt. Dans sa joie mêlée d'étonnement, il remercia l'inconnu et lui demanda son nom. Le thaumaturge répondit : <o:p></o:p>

    « Je m'appelle Sidi-Yadine; n'oublie pas de le dire à ta tribu ». Informés du miracle, les Aït-Zouggouatt construisirent un mausolée en l'honneur du chérif, à l'endroit même où il se produisit. Plus tard, les descendants de Sidi-Yadine vinrent chez les Zemmour, achetèrent des terrains près du mausolée de leur ancêtre et s'installèrent définitivement.<o:p></o:p>

    Il existe cependant une autre version, légèrement différente. L'homme enterré dans la koubba consacrée au saint, s'appellerait Si- Ben-Thami et fut, non pas chérif, mais simplement un protégé de Sidi- Yadine. Ce dernier serait enterré « à Moulouya, dans les Bni-Mguild, Aït Kessou, Ait Moussa, Aï Haddou » :<o:p></o:p>

    « Si Ben-Thami était atteint de paralysie aux jambes. Un jour sa tribu fut obligée de s'enfuir devant l'invasion d'une autre tribu Zemmour. N'ayant pu suivre les siens, Si-Ben-Thami fit appel à Sidi- Yadine pour le protéger contre l'ennemi. Le saint, connu de tous<o:p></o:p>

    les Zemmour, venait percevoir la ziara. « Lève-toi et suis les tiens, dit-il, mais auparavant sache que tu es mon représentant ici. Ta famille est la nôtre. Tu diras en outre à ta tribu que Sidi-Yadine, qui t'a guéri, voudrait qu'à ta mort tu sois enterré à cet endroit ». L'infirme s'aperçut alors qu'il pouvait marcher et rejoignit les siens. De retour sur leur territoire, les habitants édifièrent un tas de pierres là où le miracle avait eu lieu, en signe de reconnaissance. Plus tard, à sa mort, Si-Ben-Thami fut enterré au même endroit ».<o:p></o:p>

    Ce récit semble infléchi vers la glorification d'une famille, celle de l'informateur, justement petit-fils de Ben-Thami; mais la trame générale reste à peu près la même.<o:p></o:p>

    Les Aït-Yadine, étrangers, se seraient donc, selon la légende, installés dans le pays postérieurement à sa conquête par les Zemmour (Nous verrons plus loin que 1850 est la date à partir de laquelle on peut considérer les Zemmour comme installés dans leur territoire). Ils entretenaient déjà des relations avec les Zemmour et habitaient la haute Moulouya à cette époque. De nos jours encore, des pèlerinages individuels ont lieu régulièrement au pays d'origine; il faut au pèlerin environ 6 à 8 jours pour se rendre, à dos de mulet, sur la tombe de Sidi-Yadine, en passant par El-Hajeb et Azrou; le tombeau se trouve au douar Aït-Messaoud (Bni-Mguild) à un kilomètre environ au sud de Bou-Mia, petit village situé sur la rivière Bou-Mia, affluent de la Moulouya (Informateur Houceïne-N..., Souk Jemâa des Aït-Yadine, 1951). Les Aït-Yadine se considèrent comme cousins directs des « Aït-Ouezzane », appelés encore « Dar Dmana » (Informateur Mohammed-Ben-H..., Messarhra (Aït Ounzar), renseignements recueillis auprès de Si Hammou, chérif Aït Yadine, 1952), c'est-à-dire des fils de Moulay-Abdeslam qui fut chef des chorfa Taï- biyine-Thamiyine d'Ouezzane, de 1850 à 1892. Ils revendiquent la généalogie suivante :<o:p></o:p>

    Sidi-Yadine, Ben-Mohammed, Bnou-Afa, Ben-Lyazid, Ben-Benâis- sa, Ben-Brahim, Ben-Younous, Ben-Slimane (frère Idriss Ier) Ben- Abdallah, Ben-Omar, Ben-Hassan-El-Basti, Ben-Hassan-El-Motoni, Ben- Ali, gendre du Prophète.<o:p></o:p>

    Ils appartiendraient donc au groupe des Idrissides Soleïmaniens, descendants du frère d'Idriss Ier, qui régnèrent sur Tlemcen et furent défaits vers 921 par Messala-Ben-Habbous, chef des Miknassa et gouverneur de Tahert, au service des Fatimides, lors de sa deuxième expédition contre les Idrissides (Henri Terrasse, Histoire du Maroc, Casablanca, 1949, t. I, pp. 180 à 184).<o:p></o:p>

    La tradition orale affirme aussi que les Aït-Yadine viennent d'Aït-el-Hout, près de Tlemcen (Serge Dersy, Les Zemmour et la forêt de la Mâmora, CJH.E.AM., 1952, Archives de la Direction de l'Intérieur), ce qui confirmerait leur appartenance nominale aux « chorf a d'Aïn-el-Hout, descendants du chérif Sidy-Soleïman-ben-Abdallah-el-Kamel dont le fils fut proclamé à Aïn-el-Hout, à 8 km au nord de Tlemcen » (G. Salmon, Les Bdadoua, Arch. Mar., t. II, Paris, 1904, p. 360-361). Les Aït-Yadine jouissent d'une grande déférence en tribu, où on leur prodigue les titres de Sidi, Moulay, Lalla... ; leur parler, fortement influencé par le dialecte des Aït-Serhrouchene (Communication orale de M. A. Roux, directeur d'études à l'Institut des Hautes études marocaines à Rabat, 1956), rend plus plausible encore leur origine étrangère, que l'on peut situer avec vraisemblance en Haute Moulouya.<o:p></o:p>

    Les Aït-Sidi-Lahsene qui occupèrent pendant longtemps les hauteurs de Tafoudeït, zone traditionnelle de parcours et haut lieu de la résistance zemmourie au pouvoir central en période de siba, se prétendent également d'origine arabe. Ils constituent une petite fraction de la grande tribu des Haouderrane. Ils détiennent un certain nombre de dahirs, dont la liste fut dressée en 1921 (Annexe n° 4 au Procès-verbal de la réunion du Conseil de Tutelle des Collectivités au Tafoudeït, en date du 16 décembre 1921. Archives du Service des Collectivités, Rabat).<o:p></o:p>

    « Liste des dahirs chérifiens anciens en possession des Aït Sidi Lahsene des Zemmour.<o:p></o:p>

    1° — Dahir au Sceau de Moulay-Ismaïl daté de Djoumada II de l'an 1100 prescrivant de traiter avec honneur et respect les Ouled- Sidi-Lahsene-Ben-Mansour de la branche d'Aïn-El-Leuh, les exemptant de contributions et d'impositions et les autorisant à verser les impôts zekkat et âchour à leur chef spirituel, supérieur des Mrab tines et Zaouias du Maroc.<o:p></o:p>

    2° — Dahir du même Sultan en date du 16 choual 1109 ordonnant que ces mêmes chorja soient honorés et respectés et qu'il ne soit porté aucune atteinte à leurs coutumes et traditions.<o:p></o:p>

    3° — Dahir du même Souverain daté du 16 Djoumad prescrivant que les chorja Si-Ahmed et Si-Ibrahim petit-fils du saint Si- Lahsene-Ben-Mansour des environs d'Aïn-El-Leuh soient honorés et respectés, et qu'au contraire de la masse, il ne soit rien exigé d'eux, conformément à la tradition.<o:p></o:p>

    4° — Dahir du Sceau de Moulay-Abdallah-El-Alaoui daté du 12 de Rebi El Aouel 1143 ordonnant que ces chorfa petits-fils du saint Si-Lahsene-Ben-Mansour, de la descendance de Sidi-Rebbi-Yacoub de Selouane, soient honorés et respectés, affranchis de toute redevance, et autorisés à verser leur achour et zekkat à leurs foqara.<o:p></o:p>

    5° — Dahir du même Sultan daté du 19 Ramadan 1143 portant même ordonnance.<o:p></o:p>

    6° — Dahir du Sceau du Sultan Si-Mohammed-Ben-Abdallah, en date du 23 Redjeb 1171 prescrivant que les chorfa soient honorés et respectés et qu'ils soient autorisés à continuer leurs traditions, protection des pauvres, enseignement et bienfaisance, dans leur zaouia sise au sein de la tribu des Zemmour.<o:p></o:p>

    7° — Dahir du même Sultan daté du 24 Chaabane 1202 portant ordonnance à l'adresse du Caïd Belqacem-Bouziane aux fins d'exécution des dispositions des Dahirs Chérifiens ci-dessus pris en faveur des chorfa Oulad-Sidi-Lahsene-Ben-Mansour, Oulad-Sidi-Rebbi-Yacoub.<o:p></o:p>

    8° — Dahir au Sceau du Sultan Moulay-El-Yazid-Ben-Moham- med-Ben-Abdallah portant même ordonnance du dit Caïd Bouziane en date du 13 Ramadan 1204.<o:p></o:p>

    9° — Dahir du Sultan Sidi-Mohommed-Ben-Abderrahmane daté du Redjeb 1286 prescrivant d'honorer les Ouled-Sidi-Lahsene-Ben- Mansour demeurant à cette date entre les Zemmour et les Zaïans et originaires d'Aïn-El-Leuh et enjoignant qu'il ne soit porté aucune atteinte à leurs coutumes traditionnelles.<o:p></o:p>

    10° — Dahir de Moulay-Hassan en date du 27 Redjeb 1202 portant même ordonnance que ci-dessus (L'un de ces dahirs mentionne Selouane comme lieu d'origine du fondateur de la dynastie des chorfa Aït-Sidi-Lahsene des Zemmour. Faut-il y voir le Selouane qui se trouve au Sud de Melilla, dans la basse vallée de l'Oued Gaoud et conclure alors à une probable origine idrisside soleïmanienne ? Après leur défaite par les Fatimides, en effet, les descendants de Soleïman, frère d'Idriss Ier, furent chassés de Tlemcen et des ports de la côte oranaise, et repoussés vers le Maroc Oriental et Melilla. Faut-il au contraire penser à une erreur de traduction — impossible à vérifier en l'absence de l'original qui n'a pu être retrouvé — et lire Senoual, région située au Sud de Bekrite, dans le Moyen Atlas ? Cette dernière hypothèse apparaît infiniment plus probable que la précédente, les Zemmour ayant parcouru la région de Senoual fin 17*- début 18* siècle)».<o:p></o:p>

    L'influence des Aït-SidiLahsene apparaît extrêmement faible en pays Zemmour; ils connurent même d'amères vicissitudes et leurs voisins les obligèrent plusieurs fois à fuir le Tafoudeït.<o:p></o:p>

    Les Aït-Sibeur-Arab portent dans leur nom même la trace de leur origine étrangère. Ils prétendent venir de Miliana, et en cela, se distinguent déjà des Aït-Jbel-Doum, sous-confédération qui les englobe, dont les fractions ne se souviennent que de la région de Tigrigra (haute vallée de l'Oued Beht, près d'Azrou). Les Aït-Sibeur-Imazir- hene, leurs voisins immédiats, déclarent avoir appartenu autrefois à la tribu Aït-Helli, des Aït-Jbel-Doum; détachés de la tribu mère par suite d'un différend, ils firent appel à ce groupement arabe pour se renforcer et maintenir ainsi leurs droits de culture et de parcours. Un certain nombre d' Aït-Sibeur-Arab se prétendent chorfa, désignent un naqïb et déclarent appartenir à la confrérie des Bdadoua (Informateur Mohammed-Ben-L..., Aït Mimoun (Aït-Jbel-Doum), 1955). Les termes de Bdadoua et de Melaïna semblent, selon Michaux-Bellaire, désigner la même catégorie de gens prétendant descendre de Sidi- Ahmed-Ben-Youssef (Michaux-Bellaire, Les Musulmans d'Algérie au Maroc, Arch. Mar., t. XI, Paris, 1907, pp. 7-8); il existait par exemple, dans la vallée du Se- bou, en tribu Oulad-Mhammed, un douar Melaïna, très connu des habitants du Rharb et point de départ d'une étude de G. Salmon sur les Bdadoua  (G. Salmon, Les Bdadoua, Arch. Mar., t. II, Paris, 1904, pp. 358-363), qui lisaient le Coran, mais pratiquaient la religion musulmane de façon particulière, sans s'imposer le jeûne. Les Aït- Sibeur-Arab et leurs Bdadoua apparaissent pourtant musulmans orthodoxes, observent le jeûne du Ramadan et ne se distinguent en rien des autres fractions voisines. Cependant, les Bdadoua constituent effectivement une secte hérétique des Youssef iyine ; en effet « le docte cheikh, l'ami du Très-Haut, Ahmad-Ben-Youssef-El-Miliani, habitant Miliana entre Alger et Tlemcen » (Ibn Askar, Daouhat en-nachir..., Arch. Mar., t. XIX, trad. Graulle, Paris, 1913, pp. 214-215), disciple du Cheikh Ahmed-Zerrouk, fut un grand cheikh soufiste et de nombreux disciples lui attribuèrent même la qualité de prophète; mort en 931 Hg (1524-1525 J. C.) son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage vénéré; mais un des disciples de Ahmed-Ben- Youssef, Ibn-Abdallah, embrassa le manichéisme et pratiqua le rite des Abbahiyida ; cette hérésie se développa même du vivant du saint.<o:p></o:p>

    En fait, les confusions sont nombreuses : portant le nom d'une secte hérétique (Bdadoua) créée par un disciple dissident de Ahmed- Ben- Youssef-El-Miliani, les « Melaïna » des Aït-Sibeur-Arab, comme ceux du Rharb, s'attribuent une origine chérifienne et prétendent descendre du Prophète par Sidi-Ahmed-Ben- Youssef lui-même : généalogie fantaisiste, ce dernier ne s'étant jamais cité comme chérif39. Si, comme dans la plupart de ces cas analogues, aucune certitude ne peut être accordée à l'affirmation intéressée d'une origine arabe, il est permis de conclure à une origine étrangère et récente, postérieure à l'installation des Zemmour dans leur territoire actuel. La tradition rapporte que les Melaïna quittèrent l'Algérie au moment de la conquête française et que le Sultan du Maroc leur aurait donné des terres chez les Zemmour et dans d'autres tribus (Vil. Trib., Rabat et sa région, t. III, Paris, 1920, p. 288). L'arrivée des Français au Maroc les fit de nouveau partir en dissidence et les Melaïna des Zemmour, sous la conduite de leur chérif Moulay-Dahad, se trouvaient en 1917 à Khenifra et à Kasbah-Bni-Mellal (G. Klein, Etude inédite, juin 1919, communiquée par l'auteur, ancien officier interprète dans les Zemmour). Leur retour en tribu Aït-Sibeur a été très tardif.<o:p></o:p>

    Une autre fraction des Bni-Hakem, les Aït-Bou-Hekki comporte aussi des adeptes de Moulay-Miliana, c'est-à-dire de Sidi-Youssef-El- Miliani-Er-Rachid. En partie berbérophones, les Aït-Bou-Hekki se prétendent d'origine arabe; mais il semble que seuls les liens religieux particuliers, qui les distinguent des autres fractions, motivent cette affirmation. Ils entretiennent des relations très suivies avec les Bni- Khirane, tribu arabophone des environs d'Oued-Zem, et pratiquent souvent, de concert, le pèlerinage à Miliana. Deux journées de marche seulement séparent les deux groupements et les Bni-Khirane viennent souvent chercher femme chez les Aït-Bou-Hekki; mais les deux tribus se savent d'origine ethnique différente et les rencontres auprès du tombeau de leur patron apparaissent seules à l'origine de leurs relations. Le pèlerinage confère un prestige très grand à ceux qui l'accomplissent (Le vieillard des Aït-Bou-Hekki qui nous a communiqué ces renseignements a fait lui-même plusieurs fois le pèlerinage à pied en passant par Khmissète-Fès-Taza-Tlemcen-Témouchent-Mostaganem-Miliana (1952); il durait autrefois un an ou deux, à pied et à dos de mulet; le car et le train ont abrégé ces délais, sans réduire le mérite du voyage : à son retour, le pèlerin est capable de manger du feu et la démonstration se fait en tribu au cours de certaines séances, accompagnées de danses.<o:p></o:p>

    [E. Dermenghen (Le culte des saints dans l'Islam Maghrébin, Paris, 1954, pp. 223-252), consacre de nombreuses pages à Sidi-Ahmed-Ben-Youssef, et aux Bdadoua; il signale également la spécialité d'avaleurs de feu attribuée à ces derniers.  G. Drague (Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Cahiers de l'Afrique et de VAsie, Paris, 1951, p. 75) décrit rapidement cet ordre de Youssefiyine. Dans une notice sur les Bni-Khirane, non datée, on peut lire que les Bni-Khirane se disent Berbères sauf la fraction Bni-Mansour. Elle aurait pour ancêtre un chrétien converti de Miliana, dont un descendant a donné son nom à la fraction. Un des fils de Mansour, Si-Ahmed-Moulay-Miliani aurait son tombeau à Miliana et un descendant de Si-Ahmed se serait fixé chez les Bni-Khirane il y a très longtemps. Ce dernier détail paraît évidemment plus vraisemblable. (Arch. D. L)].<o:p></o:p>

    La vénération accordée par un groupe à un ordre religieux ne permet aucunement de conclure à son origine étrangère; le cas des Aït-Bou-Hekki, apparaît moins net que celui des Aït-Sibeur-Arab où l'apport extérieur a dû être important. Mais ici encore subsiste la conviction de constituer un groupement à part au sein de la tribu : à une époque impossible à déterminer, des éléments venus de l'Est, ont constitué une petite cellule particulariste, sinon imprégné fortement un groupement préexistant.<o:p></o:p>

    Les Aït-Mejdoub, de l'importante tribu des Aït-Ouribele, appartiennent à la branche des Aït-Serhrouchene, et le souvenir de leur appartenance à ce groupement humain reste très vif chez les Aït- Serhrouchene d'Immouzère-du-Kandar (Fiche de tribu des Aït-Serhrouchene (Annexe du Kandar) où sont énu- mérés tous les groupements Aït-Serhrouchene du Maroc. (Arch. D. L).<o:p></o:p>

    Les Aït-Serhrouchene, berbères zénètes, dont le berceau est le jbel Tichchoukt, dans la haute vallée du Guigou, se considèrent tous comme chorfa, issus de Moulay-Ali-Ben-Amer-Ben-Yahya-Ben-Idriss II. « Tous les Aït-Serhrouchene, dit-on, sont chérifs, c'est-à-dire descendants du Prophète..., rapporte E. Destaing (E. Destaing, Etude sur les dialectes berbères des Aït-Seghrouchene (Moyen Atlas Marocain), Paris, 1920, préface, pages 3 à 88). Tous sont respectés et craints dans la région ; on les considère tous, riches, pauvres ou faibles d'esprit comme gens doués d'un pouvoir surnaturel... Les mœurs et les coutumes des Aït-Serhrouchene ne permettent guère en effet de les différencier nettement de leurs voisins berbères. Et cependant, par leur langue, ils nous paraissent se rattacher aux Zénètes du nord de la Berbérie. Si leur parler s'est bien défendu contre l'invasion d'éléments appartenant au dialecte des Brâbers, la raison en est peut-être dans le fait que les Aït-Seghrouchen depuis le chef de la zaouya jusqu'au plus humble mendiant jouissent pour la plupart de la qualité de chérif, que, par suite ils sont craints et respectés dans la région. Ils ont sans doute intérêt à conserver toute son originalité à leur langage qui atteste, à première audition, de leur qualité d'Aït-Seghrou- chene et de chérif ».<o:p></o:p>

    Il n'est donc pas étonnant de voir la fraction Aït-Mejdoub, détachée en pays Zemmour, revendiquer la qualité de chorfa et aussi<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    la tribu Aït-Ouribele imprégnée de rapports avec les Aït-Serhrouchene. Le chérif Sidi-Belkassem-Ben-Gouttiya par exemple, d'origine Aït-Serhrouchene, enterré non loin de Khmissète en fraction Aït- Haddou des Aït-Ouribele, est le descendant de Sidi-Mohammed-Ame- ziane dont le tombeau se trouve chez les Aït-Serhrouchene d'Immouzère-du-Kandar. Moulay-El-Mostafa et Sidi-Mohammed, les deux fils de Sidi-Belkassem perçoivent encore régulièrement la ziara en tribu Aït-Ouribele (Informateur E..* Mohammed, Khmissète, 1955). Il demeure néanmoins impossible de déterminer la date d'incorporation des Aït-Mejdoub à la confédération des Zem mour.<o:p></o:p>

    Les Aït-Serhrouchene ont gardé le souvenir des événements qui obligèrent Moulay-Ali, le chérif idrisside, à se réfugier au Jbel Tich- choukt; leur dispersion remonterait selon la tradition au règne de l'Emir Moussa-Ben-Ali-El-Afia (Fiche de tribu des Aït-Serhrouchene. (Arch. D. I.) ; ce dernier aurait décidé d'anéantir les descendants de Moulay-Idriss, ce qui expliquerait leur dispersion et l'absence de liaison entre les divers groupements (Cette dispersion se situe vers le début du 10* siècle. L'Emir Moussa-Ben- Abilafia, chef des Miknassa du Maroc, nommé gouverneur du Nord marocain par les Fatimides, obtint la déposition des Idrissides de Fès). Les Aït- Serhrouchene du Kandar, selon la tradition auraient quitté le Tich- choukt il y a environ 250 ans et occupé le Kandar, après les Aït- Ouallal, les Aït-Ayyache et la fraction Khomra des Bni-Ahsene (Cf. Fiche de tribu Aït-Serhrouchène en ce qui concerne la date et les khemra. (Arch. D. I.). — E. Destain g, Etude sur le dialecte berbère des Aït- Seghrouchene, p. 64, au sujet des Aït-Ouallal et des Aït-Ayyache). Aucune indication, à partir de données aussi générales et d'événements remontant au xviii8 siècle, ne nous permet d'apporter quelque lumière sur l'arrivée des Aït-Mejdoub chez les Zemmour.<o:p></o:p>

    Comme beaucoup de tribus berbères, les Zemmour comprennent des groupements se considérant comme descendants du Prophète et jouissant ainsi, plus ou moins d'ailleurs, d'une considération qui, la plupart du temps, constitue une reconnaissance de fait, à défaut de droit, de leur prétendue origine arabe. La presque totalité des chorfa en pays Zemmour se disent Idrissides ; ils sont berbérophones et parfois fortement influencés par le dialecte ou le rayonnement Aït-Serh- rouchène. L'étude, voire l'approche, de tels groupements s'avère difficile, car ils préfèrent, le plus souvent, être acceptés tels qu'ils se prétendent et ne rien dévoiler du secret de leur origine, surtout à un étranger. Sont-ils des rameaux authentiques d'autres formations tribales ? A-t-il suffi de l'arrivée de quelques saints personnages plus ou moins authentiques, pour qu'un groupement tout entier s'érige, sous leur bannière, en descendants du Prophète ? Autant de questions auxquelles il demeure difficile de répondre. Nous avons cependant examiné quelques cas; ils nous font soupçonner l'extrême diversité des contacts et des origines, l'histoire tribale apparaissant toujours très liée à celle des confréries et des chorja.<o:p></o:p>

    c) Les apports des autres groupements "berbères.<o:p></o:p>

    Les Bni-A meur, appelés parfois aussi Aït-Amar et que G. Marcy (G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, p. 4) qualifie « d'arabes plus ou moins berbérisés » se considèrent comme étroitement apparentés aux Zaïans. Les premières enquêtes ethnographiques effectuées au début du Protectorat français faisaient d'ailleurs ressortir cette appartenance des diverses tribus installées au nord du Pays Zemmour (Aït-Ali-ou-Lahsene, Kotbiyine, Mzourfa, Khzazna, et Hejjama) à la grande confédération zaïane (VU. Trib., t. III, pp. 212-213 (Rabat et sa région)). La tradition orale explique ainsi la séparation intervenue il y a très longtemps (Informateur Abdeslam-ben-A..., El-Hakmaoui, Bni Hakem (Aït Baboute), 1953) :<o:p></o:p>

    « Les Aït-Amar, des Zaïans, occupaient autrefois une partie du territoire où se trouvent de nos jours Bni-Hakem et Haouderrane. Ils comprenaient les Iâzzabene ou transhumants, et les Aït-Nzel ou sédentaires. Ces derniers avaient planté leurs tentes sur un terrain appelé Feddane-El-Begra, près du marabout de Sidi-Amar, non loin de l'Oued Tanouberte. Les Iâzzabene transhumaient dans la région d'Oulmès occupée maintenant par les Aït-Hattem. En hiver, les deux fractions se retrouvaient à Sidi-Amar. Les jeunes gens se livraient à plusieurs jeux; ils aimaient en particulier le tîbamayine (Jeu à rapprocher de celui décrit par Claverie (Qachbou) dans «Jeux berbères », Hespéris, 1928, t. III, pp. 401-403): deux camps se formaient sur un terrain de 150 enjambées de long environ; chaque joueur édifiait avec cinq ou six pierres une murette servant de cible; on tirait ensuite au sort pour savoir qui, le premier, pourrait lancer les pierres afin de détruire l'ouvrage adverse. A la suite d'un malentendu, né de la malhonnêteté d'un joueur, une dispute s'éleva entre les jeunes gens; les adultes s'y mêlèrent et elle dégénéra aussitôt en lutte sanglante. De nombreux morts et blessés restèrent sur le terrain. A la suite de cette bataille, les Iâzzabene retournèrent dans la région d'Oulmès où ils s'installèrent à demeure : ce sont les Aït-Amar d'Oulmès; les Aït-Nzel restèrent quelque temps sur place, puis prirent la direction du nord et du nord-ouest : ce sont les Aït-Amar (ou Bni-Ameur) de la Mâmora ».<o:p></o:p>

    De tels désaccords entre fractions d'une même tribu, séparées par des genres de vie différents, ont dû se produire maintes fois; les poussées d'éléments nouvellement arrivés et désireux de se faire une place ne manquent pas d'ailleurs d'accélérer certains départs ou certaines scissions (Le Capitaine Mortier (L'Annexe de Moulay-Bouâzza 1915, Arch. D. I.)> attribue au mouvement de repli vers le nord de la tribu Bni-Hakem (Zemmour), coincée entre les Zaër et les Aït-Sgougou, l'avance des éléments Zaïans Aït- Amar. Ces derniers vinrent se fixer à Boukhalkhal, au Ment, à Mserser puis à Oulmès, « précédés par un autre groupe de Bni-Amar qui est allé s'installer à Tiflete, formant actuellement le groupe Bni-Ameur des Zemmour). Les Aït-Amar d'Oulmès demeurent encore de nos jours convaincus que les Bni-Ameur de la Mâmora leur sont apparentés (Informateur : Hamadi-Ben-Lârbi-Derqaoui (tribu Mzourfa), qui a séjourné quelques temps à Oulmès, 1949). Les Khzazna (Bni-Ameur) se disent aussi descendants de Sidi-Bou-Khezzane-Bou-Zouggouatt dont le tombeau se trouve en pays Zaïan (Informateur : Mohammed Zelmat-Khzazna, 1950). Une tradition très forte assigne donc une origine zaïane aux Bni-Ameur; nous verrons plus loin, à la suite de quelles viscissi- tudes les Bni-Ameur vinrent s'installer en forêt de la Mâmora, en tête de la Confédération Zemmour (Des explications patronymiques diverses — et savantes — ont cours en tribu : le terme de Bni-Ameur par exemple viendrait de l'arabe < flammer » (emplir), car les Bni-Ameur ont rempli, en avant des tribus Zemmour, le vide causé par le départ des Bni-Ahsene).<o:p></o:p>

    Les Mt-Ouahi, des Aït-Zekri, se savent issus des Aït-Ouahi installés aux environs d'Aïn-El-Leuh en tribu Bni-Mguild.<o:p></o:p>

    Selon la tradition (Inf. Caïd Bou-Driss Ben-Chaboune, des Aït Zkri (95 à 100 ans), 1949), trois frères (Lârbi, Slimane, Ichchi) et deux sœurs auraient quitté les Aït-Ouahi d'Aïn-El-Leuh pour des raisons personnelles et se seraient incorporés aux Zemmour. Les deux sœurs se marièrent respectivement avec Haddou et Mellouk originaires des Abda. Ces cinq hommes, formant à l'origine une seule famille dont la prospérité fut très grande, fondèrent les cinq groupements actuels des Aït-Ouahi des Zemmour : les Aït-Haddou, les Aït-Mellouk, les Aït- Ichchi, les Aït-Lârbi et les Aït-Slimane. Les Aï-Lârbi gardent encore des relations de parenté avec la famille de leur ancêtre, habitant aux environs de Safi.<o:p></o:p>

    La légende des cinq foyers originaux vaut sans doute ce que vaut ce genre d'explication fondé sur la fécondité des ancêtres; mais le souvenir d'une parenté commune persiste également chez les Aït-Ouahi d'Aïn-El-Leuh où, selon les anciens, « des Aït-Ouahi qui seraient leurs frères font partie de la Confédération des Zemmour » (Fiche de tribu des Aït-Ouahi, Cercle d'Azrou, Annexe d'Aïn-El-Leuh (Arch. D. I.). Il y a une dizaine d'années encore, des élèves originaires des Zemmour et poursuivant leurs études au Collège d'Azrou rendaient visite à des parents installés depuis toujours en pays Aït-Ouahi d'Aïn- El-Leuh (Informateur Mohammed-Bel..., Kabliyine (Aït-Bougrine), 1949). Par contre les Aït-Ouahi des Zemmour se défendent d'une parenté quelconque avec d'autres Aït-Ouahi, en particulier ceux de la région d'Oui mes, pourtant plus proches. Au demeurant ce sentiment de parenté entre les deux groupes appartenant aux Zemmour et aux Bni-Mguild ne se traduit pas par des relations particulières (J. Dabencens (Les Aït Abdi du Moyen Atlas... Les Cahiers d'Outre- Mer, avril-juin 1951, p. 110) situe en 1905 le départ vers les Zemmour d'une fraction Aït-Ouahi des Aït-Abdi. Une date aussi récente eût laissé un souvenir plus vif en tribu. Sous Sidi-Mohammed-Ben-Abderrahmane, un caïd Ouahioui fut investi en pays Zemmour. Les Aït-Ouahi des Zemmour semblent s'être incorporés aux Zemmour vers 1850, au moment de l'installation de ces derniers sur le plateau de Khmissète).<o:p></o:p>

    Les Aït-Ouribele (Informateurs : E..., Mohammed, Khmissète, 1954. Khalifa T..., des Aït- Ouribele, 1953), réputés chez les Zemmour, autrefois pour leur ardeur guerrière, aujourd'hui pour leur turbulence, se prétendent descendants de la célèbre tribu des Aoureba qui accueillit Moulay-Idriss lors de son arrivée au Maroc, et plus particulièrement de la fraction à laquelle appartenait Lalla-Kenza, mère d'Idriss II. Aucune légende particulière, aucune explication généalogique quelconque, ne vient justifier cette tranquille assurance d'être Aoureba et de descendre de Abd-el-Mjid l'Aouribi, père de Lalla-Kenza. Une certaine similitude de nom, un attachement très marqué aux chorfa idrissides contribuent à renforcer cette croyance profonde, vivifiée par la présence de fractions se réclamant elles-mêmes d'Idriss Ier : Aït-Ben-Hammadi, Aït-Mejdoub... La légende suivante, alliant l'explication linguistique à l'affirmation d'authenticité circule en fraction Khammouja :<o:p></o:p>

    Moulay-Idriss demanda aux chefs de la tribu de se convertir à l'Islam. Ceux-ci lui répondirent : « Laisse nous d'abord le temps de réfléchir ! « Moulay-Idriss les renvoya chez eux en leur disant : « Allez réfléchir puis revenez ». (En arabe : « Khammou ou jiou » • d'où kham- mouja). C'est ainsi que la tribu s'appela Khammouja dès sa conversion par Moulay Idriss.<o:p></o:p>

    Certains Aoureblis, se rendant compte de l'impossibilité d'apporter des preuves à leurs dires, même sous forme de contes ou de légendes, précisent cependant que la tradition le veut ainsi et qu'elle les fait également venir de l'Est.<o:p></o:p>

    Les Ijanatene, fraction des Haouderrane, semblent mériter de façon plus sûre l'épithète de Zénète; en milieu Haouderrane, ils apparaissent un peu à part, comme d'ailleurs les Aït-Ouribele au regard des autres tribus (Pour un fellah des Aït-Bou-Chlifene par exemple, rencontrer un Ijanatene sur le chemin du souk peut porter malheur). G. Marcy (G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, p. 4) signale l'origine zénète très nette de cette fraction. Les Ijanatene se prétendent descendants d'un saint du Tafilalelt, lieu d'origine de leur groupe, appelé Sidi-Janab (Informateur, Ali-Bou-Driss, Ijanatene, 1949). Ibn Khaldoun donne, à propos des Zénètes, une explication phonétique s'accordant au nom par ailleurs si caractéristique de notre fraction : «  ...il faut savoir que Zanata dérive de Djana, nom propre qui désigne l'ancêtre de cette tribu, savoir Djana, fils de Yahya, le même qui figure dans leur généalogie. Or, quand ce peuple veut convertir un nom propre en nom générique il lui ajoute un t à la fin; de cette façon ils ont formé Djanat; et pour donner à ce nom, qui est au singulier, toute la compréhension dont il est susceptible, ils y ajoutent un n (signe du pluriel berbère) de sorte qu'il devient Djanaten. Le dj de ce mot qui tient le milieu entre le dj et le ch (c'est-à-dire le j français) et auquel l'oreille perçoit une sorte de sifflement » (Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad, de Slane, p. 190).<o:p></o:p>

    Les Aït-Ayache, autre fraction des Houderrane, attribuent leur appellation au Ari-ou-Ayache, ou jbel Ayachi, montagne du Grand Atlas auprès de laquelle ils habitaient autrefois (Informateur Mohammed-ou-Saïd, Haouderrane (Aït-Ayache). Ils se rattachent ethniquement, sans ambiguïté aucune, à la grande tribu des Aït- Ayache qui fit partie autrefois de la Confédération des Aït-Idrassene, puis des Aït-Yafelmane (Notice sur les Aït-Ayache, anonyme, non datée. (Arch. D. I.). — Note sur les Aït-Ayache, Laize, Officier interprète, 1917. (Arch. D. I.) — A. Le Chatelier, Notes sur les villes et tribus du Maroc en 1890, t. I, Paris, 1902, p. 61. Ras Moulouya, par Bouverot, chef de bataillon, 1919 (Arch. D. L). — Notice sur la banlieu de Fès, Capitaine Tarrit, 1913 (Arch. D. I.)<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    On sait que cette tribu, par suite de sa défaite à Sidi-Ayad-El- Aouli contre les Aït-Izdeg et les Bni-Mguild, puis d'une déportation au sud de Fès par Moulay-Slimane, s'est fractionnée en plusieurs éléments. Les Aït-Ayache des Haouderrane se souviennent très bien de leur parenté avec les Aït-Ayache Fassi et ceux des Bni-Mguild; une dispute serait à l'origine de leur départ. Nous verrons plus loin qu'ils n'ont pas oublié les lieux successifs par lesquels ils sont passés. Ils n'entretiennent actuellement aucun rapport avec leurs frères de race.<o:p></o:p>

    Les Kabliyine ne peuvent fournir aucune explication sur leur origine. Ils gardent le souvenir très net et très répandu parmi leurs fractions, d'être venus du « Sahara », c'est-à-dire du Tafilalet : chassés par la famine ou par la guerre ils auraient quitté cette région pour aboutir dans le pays de Khmissète après un long cheminement qui dura plusieurs générations (Fresneau, Contribution à une monographie de tribu :les Qabliyine (Arch. D.I.), et informateurs cités ci-dessous). On raconte également que sous Moulay-Hassan, un certain nombre de guerriers Kabliyine, participant à la harka levée contre les tribus du Tafilalelt, furent accueillis et hébergés par leurs frères de race restés dans la région (Inf. B..., Mohamed; fraction Aït-Yacoub, douar Aït-Cherki Houcine-S... ; fraction Aït-Bougrine, douar Aït-Ouahi B... -Omar; fraction Aït-Bouziane, douar Aït- Abdallah Mohammed-Bel...; fraction Aït-Bougrine, douar Ahmed-ou-Saïd). Au début du Protectorat français, des émissaires partis du Tafilalelt, alors non soumis, seraient même venus proposer à certains de leur parents Kabliyine des partages relatifs à des terrains possédés en commun : les anciens propriétaires refusèrent alors de faire acte de propriété, de crainte de voir leur tribu refoulée au Tafilalelt. Beaucoup de Kabliyine prétendent aussi que presque tous les noms de leurs fractions se retrouvent aux environs de Sidi-Bou-Yacoub, dans le Haut Rhéris ; M. Fresneau69 établit même, dans une monographie, un tableau comparant les noms de fractions Aït-Youb (Ait Merrhad) et ceux des douars Aït-Qessou (Kabliyine); cette communauté de nom ne constitue pas une preuve, mais elle n'est pas passée inaperçue des Kabliyine qui pensent ainsi localiser leur lieu d'origine. Convaincus de venir du sud, les Kabliyine restent cependant très troublés par leur nom. Aqébli (pi. Iqébliyine) signifie couramment personne du Sud, saharien, au teint noir. Or les Kabliyine des Zemmour sont blancs.<o:p></o:p>

    Mais ce qui trouble nos Kabliyine trouve une explication dans le Sud. E. Laoust  (E. Laoust, L'habitation chez les transhumants du Maroc Central, Hesperis, VI, 1935, p. 253) étudiant les populations du Sud, décrit longuement les iqelliyine, c'est-à-dire les gens du Sud par excellence, les sahariens, les métis de blancs et de noirs, fixés depuis des siècles dans le sud, constituant une sorte d'humanité inférieure (Touati-Filali- Draoui) et dont le domaine comporte tout ce qui touche à la terre et à l'eau. Il ajoute cependant : « A un degré moindre de mépris social, vivent à leur côté des Qeibala Imellalen, c'est-à-dire « Qebbala blancs » d'origine et de caractères ethniques très différents, il est vrai. Les hommes secs et robustes ne se distinguent guère des Imazirhene dont ils portent d'ailleurs le costume... On les considère comme les populations les plus anciennes fixées au pays, réparties dans les hautes vallées des deux versants du Haut Atlas, que les invasions ont submergées sans les anéantir ». Visitant le pays en 1884, de Foucauld (De Foucauld, Reconnaissance du Maroc, Paris, 1888, p. 349) avait déjà constaté la présence de ces qebbala dans le district du Gers; frappé des affinités raciales de ces populations avec leurs dominateurs, il attribue au mot qebbala une signification uniquement sociale : « C'est en approchant de l'Oued Ziz que j'ai entendu ce nom pour la première fois. Il est employé sur tout le cours du Ziz et dans le bassin supérieur de la Moulouya. Il ne désigne point une race, mais l'état d'une partie de la population. Une portion des Imazirhene sédentaires de cette contrée a été réduite par des tribus voisines à l'état de tributaires : ce sont ces tributaires qu'on appelle qebbala. Ils sont presque tous chellaha, de même race par conséquent et de même couleur que la plupart de leurs dominateurs. Par extension, on désigne quelquefois sous le nom de Qebbala, des Chellaha sédentaires même indépendants, lorsque ces chellaha vivent isolés, sans aucun lien avec personne. Ainsi les chellaha du Ghéris et de quelques autres oasis, sont souvent dits Qebbala, bien que libres ». Le lieutenant Lecomte (Lieutenant Lecomtb, Les Aït-Morghad, 1930. (Arch. D.I.) voit dans les populations « Ikeblyn Imellalen » des îlots de peuplements appartenant à la race des plus anciens habitants du Haut- Atlas, groupes d'individus sédentarisés dans les vallées, ayant résisté aux invasions ultérieures d'autres races, et pour lesquels l'attachement au sol fut plus fort que les liens du groupe ethnique. « Les gens installés au début de notre ère, écrit-il, sont appelés par les berbères « Ikeblyn Imellalen », c'est-à-dire littéralement « les étrangers à la tribu (Keb- bala) blancs », par opposition aux kebbalas noirs ». La tradition, l'examen linguistique des noms, le raisonnement, conduisent le Lieu tenant Lecomte à classer les « Iguerrouan », les « Izerouan » les « Ime- louan », tribus actuellement dispersées dans le Maroc mais dont on retrouve les traces un peu partout dans le Sud, parmi les « Ikeblyn Imellalen ». Ces populations anciennes auraient été assimilées par les premiers envahisseurs sanhajas au moment où ces derniers se sont installés dans le pays, avant d'être submergés par les nomades Zénètes. « Ce sont eux qui, en arrivant, trouvant des habitants étrangers à leur race, les appelèrent les « étrangers à la tribu ».<o:p></o:p>

    La tradition d'une origine saharienne, l'appellation de Kabliyine, un certain souci de souligner la clarté de leur teint, le particularisme de cette puissante tribu Zemmour, permettent d'avancer l'hypothèse d'une parenté de nos Kabliyine avec les « Ikeblyn Imelladen » du Sud. Des exemples nombreux la rendent vraisemblable. Les Guerouane, installés au S. O. de Meknès, voisins immédiats des Kabliyine, sont issus de l'ancienne tribu Iguerrouane, composée d' « Ikeblin Immella- len », qui occupa au xe siècle, les régions du Regg et du Tafilalelt, puis le Haut Ziz et le Haut Guir; avant l'arrivée des Français, les relations entre les îlots restants et le gros de la tribu étaient d'ailleurs fréquentes. Des Imelouane, qui ont laissé des traces dans le bassin du Rheris et du Todrha en Moulouya, ksour « d'étrangers blancs » au milieu des autres populations, se trouvent actuellement au nord de Meknès. Il n'est donc pas interdit de penser que les Kabliyine des Zemmour sont issus de ces populations anciennes du Sud.<o:p></o:p>

    D'autres Ikeblyn, les plus sédentarisés sans doute, ont fait autrefois acte de soumission auprès de certaines fractions des tribus envahissant le pays; ils ont ainsi acquis droit de cité et ont pu rester sur le sol qu'ils préféraient au lien tribal. C'est ainsi par exemple que les « Ikeblyn », s'étant soumis autrefois à différentes fractions Aït- Morrhad, représentent maintenant la plupart de celles-ci; ils sont devenus Aït-Youb (Fraction où une similitude très grande de noms de sous-fractions avec ceux de douars Kabliyine avait été relevée par Fresneau), Aït-Ameur ou Gouhaï, Aït-Irbiben..., etc. (Fiche de tribu des Aït-Morrhad d'Ifferh, Annexe de Tinjdad. (Arch. D.I.). La plupart des études sur les tribus de la région mentionnent l'existence « d'étrangers blancs » s'incorporant ainsi dans les groupement nouveaux (Fiche de tribu des Aït-Haddidou, Lt de Kerautem. Fiches des tribus du Bureau de Rich, Capitaine Gervaisy. Fiches des tribus de la circonscription de Goulmima, Capitaine Rueff et Capitaine Jouandon. Fiches des tribus de Bou- denib, Capitaine Le Corbeiller. (Arch. D. I.). La persistance de leur appellation fait penser que les Kablyine des Zemmour étaient à l'origine un noyau moins sédentaire                 «d'étrangers blancs » qui, par force ou par inclinaison, a quitté le territoire de ses ancêtres et a gardé dans son nom la trace de son origine particulière (Signalons à titre d'exemple de permanence patronymique, qu'une fraction c Iqebline * existe dans les Marmoucha ; elle serait issue d'un fqih Zem- mouri de nom inconnu, qui serait venu se fixer dans les Marmoucha (Fiche des tribus des Marmoucha, Arch. D. I.).<o:p></o:p>

    Un autre fait rend cette hypothèse plus vraisemblable encore. La tradition locale, rapporte le Lieutenant Lecomte à propos de certains groupements « Ikeblyn Immellalen » dans le Sud marocain, raconte « que les Izekkalen, les Aït-Snan, les Igheddouan constituent la descendance d'une chrétienne appelée « Taouaïbt ». Cette constatation conduit l'auteur à étudier les traces du judaïsme ou du christianisme qui auraient imprégné ces anciens occupants du sud avant leur islamination, et à citer la légende, conservée en tribu Aït-Morrhad, qui montre bien le mépris gardé par ces derniers pour les premiers sédentaires, longtemps chrétiens ou juifs : « Chacun a un ancêtre, un jed. Chorfa, berabers en ont un, même les kebala noirs dont l'ancêtre est Sidi Blal. Mais les kebala blancs n'ont pour ancêtre qu'un âne ». N'est-il pas curieux de constater que les Kabliyine se font souvent appeler « araou-n-troumite » (enfants de la chrétienne) par les autres tribus Zemmour ?<o:p></o:p>

    d) Extrême diversité des composantes ethniques.<o:p></o:p>

    Beaucoup de tribus et de fractions Zemmour ont conscience d'une origine particulière. A en croire les traditions rapportées à propos de quelques cas particuliers, la Confédération des Zemmour a reçu en son sein des éléments appartenant aux grandes confédérations politiques berbères : aux Aït-Ou-Malou (par les Bni-Ameur ou Zaïans), aux Aït-Idrassene (par les Aït-Ayache). Ordinairement classés parmi les Berbères Sanhaja, les Zemmour comptent aussi des groupements Zénètes, à tel point que certains Zemmouris affirment que la majorité des tribus est d'origine Zénète (Caïd Bou-Driss Ben-Chaboun des Aït-Zekri, 1949). Personne ne trouve étrange qu'une tribu s'authentifie aux Berbères Branès Aoureba, qu'une fraction se proclame d'origine Zénète. Il n'est pas exclu non plus de voir dans la tribu des Kabliyine des descendants plus ou moins directs de populations installées dans les régions du sud antérieurement aux premières invasions des Sanhaja. La présence de groupements prétendus chorfa ajoute encore à la diversité des apports extérieurs.<o:p></o:p>

    Les Zemmour réunissent en fait des représentants des grands groupements ethniques traditionnels et ne sauraient prétendre à la pureté de leur race. Trop de groupes se réclament d'une origine étrangère ou sont vraiment venus d'ailleurs pour que cette prétention puisse être formulée par eux.<o:p></o:p>

    1) Les petits groupes sociaux<o:p></o:p>

    Le même particularisme se retrouve aussi marqué au niveau des groupes sociaux plus restreints (douar, famille). Chacun s'ingénie à mettre en relief une origine particulière et nettement distincte.<o:p></o:p>

    Les Aït-Talha par exemple, de la tribu des Aït-Abbou, tirent leur nom de Ali-Ben-Talha, garde de la suite d'un Sultan (dont on ne se souvient plus d'ailleurs), qui déserta son camp et s'installa en tribu Aït-Abbou; il jouissait d'une estime particulière et sa situation sociale était presque celle d'un chérif ; il reçut beaucoup de dons, devint prospère et élargit sa clientèle qui forma ainsi la sous-fraction des Aït-Talha (Informateur : Haddou-Bel-H..., tribu Aït-Abbou. - Fraction Aït-Talha, 1951).<o:p></o:p>

    Les habitants du douar Aït-Ben-Chérif, fraction des Aït-Ahmed- ou-Yacoub, tribu Kabliyine, invoquent la légende suivante :<o:p></o:p>

    « Nous sommes les descendants d'un homme qui vivait misérablement au milieu d'un douar qui le méprisait. Il ne possédait qu'une pauvre petite tente et un peu de blé dans une peau de mouton cousue. Un jour, un chérif vint à passer et demanda en vain l'hospitalité aux gens du douar. Notre père, seul, l'invita chez lui; sa femme moulait le blé pour le repas; le chérif s'approcha et se mit à trier les grains. La femme s'aperçut bientôt que le tas de farine augmentait alors que la quantité de blé restait constante. Elle remit le blé dans le sac et se mit à préparer le couscous. Le voyageur ordonna qu'on en préparât beaucoup et qu'on invitât tous ceux du douar. Ces derniers se moquèrent de l'offre, hésitèrent, puis finirent par accepter. Ils furent rassasiés de couscous et de méchoui. Le chérif ne dit pas un mot et durant la veillée s'occupa à préparer des attaches de toutes sortes ; il les donna à son hôte et lui conseilla d'acheter désormais tous les animaux qu'on viendrait lui présenter sans s'inquiéter du prix. Le lendemain, une troupe de chameliers arriva devant la tente et demanda à notre ancêtre d'acheter les animaux. Il accepta, bien que n'ayant pas l'argent nécessaire, et les invita à passer la nuit sous sa tente.<o:p></o:p>

    A l'aube, tout le monde avait disparu, mais les chameaux étaient restés. Ainsi, chaque jour, il recevait des troupeaux de moutons, de chèvres, de bœufs et en une semaine devint l'homme le plus riche du douar. Le chérif lui accorda, en plus, * la baraka ; on suivait désormais ses conseils, on le considérait comme la personne la plus importante du douar et même de toute la fraction. Il eut des enfants qui devinrent aussi très riches et fondèrent un douar, sous le nom d'Aït-Ben-Chérif. Notre groupement a toujours été le plus riche, le plus important, le mieux considéré. On y choisissait des caïds, des chioukh, des membres de la jemaâ. Depuis l'arrivée des Français, six caïds du même douar se sont succédé. Le caïd Benâïssa en est le dernier » (Informateur : L...-Mohammed, tribu Kablyine, fraction Aït-Ahmed-ou- Yacoub, 1950).<o:p></o:p>

    2) Les individus<o:p></o:p>

    L'origine individuelle de ceux qui se sont intégrés aux tribus Zemmour ne tombe pas dans l'oubli. Très souvent des Doukkala, Abda, Chaouïa, obligés de quitter le bled Makhzen, pour fuir les exactions de leur caïd, se cacher à la suite d'un crime commis, échapper à une vengeance, se réfugiaient chez les Zemmour. Des Zemmouris eux- mêmes changeaient parfois de clan, surtout à la suite d'un méfait ou de représailles causées par le crime d'un parent.<o:p></o:p>

    Ils arrivaient généralement seuls, avec ou sans bagages se rendaient auprès d'un chef de tente aisé, se plaçaient sous son mezrag (protection) en lui offrant un mouton en sacrifice (debiha) et obtenaient ainsi le droit de vivre en pays Zemmour. Leur protecteur les employait alors comme bergers ou comme khammès. Beaucoup d'étrangers ont réussi à se faire une situation matérielle prospère. Certains, par contrat d'amazzal (G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, pp. 38 et 39, 268 et 269) opèrent avec une fille berbère une sorte de mariage inférieur, où ils sont en réalité des associés rémunérés par l'octroi d'une compagne et d'une part déterminée des récoltes, moyennant des prestations de travail; au bout d'un certain délai, fixé à l'avance et généralement inférieur à dix ans, ils peuvent devenir véritablement chefs de foyer et obtenir ainsi droit de cité. D'autres campent sur des terres mortes, avec l'accord des riverains, et les vivifient; parfois ils réussissent même à acheter les parcelles et à s'installer (Beaucoup de Doukkala occupaient des terres au Bled Msellette (Tribu Aït-Belkassem), dont la propriété était contestée entre différentes fractions, juste avant le Protectorat). Lors des mouvements de fractions ou des départs collectifs beaucoup de familles restent sur place et finissent par s'intégrer à la nouvelle fraction occupante. La région de Dayet-er-Boumi, au cœur du pays Zemmour, offre un exemple très net de ce phénomène (P.V. de la réunion du Conseil de Tutelle des Collectivités à Dayete-er- Roumi, mai 1925, Archives du Service des Collectivités, Rabat); les terres appartenaient à l'origine aux Aït-Belkassem qui s'en dessaisirent peu à peu, à la suite d'une période de famine et surtout par suite d'un déplacement de la tribu vers l'ouest. Déjà au milieu d'eux se trouvaient des propriétaires d'origine étrangères, venus s'installer depuis très longtemps et considérés à la longue comme membres de la tribu. Peu à peu des Ijanatene et des Aït-Izzi (Haouderrane) ayant acheté petit à petit une grande partie des terrains, finirent par englober des familles Aït-Belkassem qui n'avaient pas vendu, ou même certains fellahs Aït-Ouahi (Aït Zekri) ayant eux aussi acheté aux Aït- Belkassem. Il s'ensuivit une extrême imbrication des propriétés dans une région peu à peu grignotée par d'autres tribus. Ainsi changent d'étiquette tribale, après de longues années d'appartenance nominale à un autre groupe ethnique, un certain nombre de familles attachées au sol.<o:p></o:p>

    Des esclaves également pénétraient en pays Zemmour, amenés par des Cherarda ou des Hasnaouis s'ils avaient été achetés à Fès ou à Meknès, par des Chaouïa ou des Doukkala s'ils provenaient de Marrakech ou du Sud; certains finissaient par être affranchis par leur maître, après criée sur le souk : « il n'y a de Dieu que Dieu et Mohammed est son Prophète; l'esclave de un tel est devenu le fils de un tel »84. Sâïd-el-Abd (Sâïd l'esclave) par exemple, volé tout petit dans les Doukkala, est arrivé dans les Ijanatene sous Moulay-Abderrahmane, où il fut acheté par le cheik Kessou-Ould-El-Haj et adopté ensuite par son maître.<o:p></o:p>

    Tous ces étrangers ne se fondaient pas immédiatement dans leur nouvelle communauté, surtout s'ils n'étaient pas Imazirhene; leur situation morale mettait longtemps à devenir satisfaisante. « Admis dans la jemaâ au bout d'un certain temps, ils y conservaient le silence par déférence naturelle pour les Imazirhene. Mais ils avaient quelquefois voix consultative dans les débats. Des générations ont pu se succéder et leur dévouement s'affermir en maints barouds, les égards que l'on a pour eux sont semblables à ceux que l'on montre aux autres membres de la cité, et cependant on n'oublie pas leur origine » écrivait G. Klein en 1919 (G. Klein, étude inédite, 1919). A cette époque par exemple, le caïd Hamida des Aït-Ali-ou-Lahsene jouissait d'une situation matérielle et morale prépondérante, mais chacun savait que son père El- Mâti venait des Chaouïa et avait été engagé comme berger par le Zemmouri Amor-Ould-Zaïani (fils de la Zaïane), qui donna sa sœur en mariage à son client chaoui. Le caïd était doublement étranger par son père et par sa mère. Les exemples d'assimilations d'étrangers abondent dans tous les douars ou fractions et le nom patronymique garde la trace de leur origine. Certains chefs Zemmouris, dont les fonctions permettent de porter des jugements d'ensemble, n'hésitent pas à affirmer que les Zemmour comprennent une très forte proportion d'étrangers (Un quart selon le caïd Bou-Driss-Ben-Chaboune, des Aït-Zekri, 1949).<o:p></o:p>

    Depuis la Confédération jusqu'au douar, des groupes ou des individus sont étrangers ou revendiquent une origine particulière. En pénétrant parmi la complexité des différents groupes sociaux, on reste surpris par une apparente contradiction, qui constitue cependant la règle en matière d'organisation tribale : la conviction d'avoir une origine particulière jointe à la conscience d'appartenir à un groupement plus vaste ; « Là où il y a des légendes généalogiques pour expliquer l'ensemble, écrit J. Berque (J. Berque, Qu'est-ce qu'une tribu Nord-Africaine ? in Eventail de l'histoire vivante, pp. 264-265), deux systèmes coexistent, sans apparemment gêner le citoyen. Simultanément il professe le rattachement à l'ancêtre général, et l'ascendance différente assignée par la tradition à sa famille. Il invoque, selon l'occasion l'une ou l'autre lignée. De fait, la plupart des tribus agrègent des éléments venus de tous les horizons, et en tout cas venus « d'ailleurs ». Cette contradiction entre la personnalité collective et l'origine des cellules qui la composent est véritablement une loi du genre ».<o:p></o:p>

    L'étude de quelques cas concrets nous a permis de soupçonner l'extrême diversité des composantes ethniques des populations Zemmour. Il ne saurait être question de relier aux fractions ou aux tribus étrangères les groupements Zemmour qui en portent le nom; les intéressés eux-mêmes s'en défendent; les Aït-Ouahi des Zemmour par exemple se reconnaissent parents de ceux des Bni-Mguild mais aucunement de ceux d'Oulmès ou des Aït-Mezri (Aït Morrhad) ; de même Aït-Oumnassef des Kabliyine et Aït-Oumnassef desHaouderrane s'ignorent absolument et repoussent toute idée de lien. De nombreux cas de similitude patronymique pourraient être cités; aussi bien, comme l'a dit E. F. Gautier (E. F. Gautier, Le passé de V Afrique du Nord, 1942, p. 358) « on trouve n'importe où, n'importe quel nom de tribu ». La fiction généalogique n'éclaire rien; l'explication historique peut paraître insuffisante ; « l'hypothèse qui peuple le pays de groupes pérégrinants, vertigineusement mobiles et vagabonds, mais obstinés à garder leur état-civil est à peine plus satisfaisante que celle qui invoque l'aïeul fécond à la progéniture disséminée » écrit J. Berque. Et il ajoute : « Là où la tradition indigène voit une génétique à enjambements géographiques, et la recherche moderne la résultante complexe de déplacements du passé, on pourrait être tenté de voir seulement le jeu de mutations verbales ». Mais les Zemmour viennent de très loin et la fluidité des formations sociales n'interdit pas d'accepter l'adjonction d'éléments étrangers plus ou moins importants; le lent mouvement des Zemmour vers le N.O. du Maroc et leur histoire mouvementée ont certainement favorisé les apports extérieurs, ainsi que nous le verrons plus loin. La multiplicité des «emblèmes onomastiques » (La formule est de J. Berque)  traduit la multiplicité des contacts et des mélanges; peut-on imaginer d'ailleurs une recherche ou un choix arbitraires des appellations ? Un fait, une parenté fictive ou réelle, une origine, un souvenir motivent l'emploi d'un signe patronymique spécial; mais les groupements se dispersent, grossissent, se scindent et le nom reparaît ailleurs, aussi souvent décerné par les autres que délibérément voulu tel; ainsi l'emblème ne reste plus le pavillon authentique du contenu social qu'il symbolise.<o:p></o:p>

    III. — Les particularismes interdisent tout groupement<o:p></o:p>

    POLITIQUE DURABLE<o:p></o:p>

    Les tribus n'ont pas la cohésion, l'unité solide qui caractérisent la famille berbère traditionnelle : « l'agrégation de familles qu'on désigne sous le nom de tribu, écrivent A. Bernard et M. Lacroix (A. Bernard et M. Lacroix, L'évolution du nomadisme en Algérie, Alger, 1916, p. 297), peut être considérée comme l'unité politique, c'est-à-dire comme responsable des actes extérieurs des membres de la collectivité vis-à-vis des agglomérations voisines. La tribu sera l'unité politique des indigènes, comme la famille est l'unité sociale ». La confédération ne peut, entre ces ensembles déjà très hétérogènes, que maintenir des liens assez lâches, apparaissant en cas de dangers extérieurs, mais n'excluant nullement des clans rivaux à l'intérieur même du cadre qu'elle offre. Un fonctionnaire bien placé pour sentir les effets du particularisme tribal en pays Zemmour  (Considérations sur les tribunaux coutumiers dans la Confédération des tribus berbères Zemmour, CH.E.AM., 1952), a pu écrire, en préface à une étude sur le droit coutumier Zemmour, ces lignes en contradiction avec la vérité historique, mais traduisant bien la diversité et l'individualisme des populations Zemmour : « Nous croyons devoir prévenir dès l'abord que nous n'employons ce terme de confédération que pour faciliter la désignation d'ensemble des diverses tribus dont nous entendons étudier le domaine judiciaire. Car en fait leur réunion n'a été obtenue qu'artificiellement à la faveur d'un découpage administratif de l'Empire chérifien qui a suivi les opérations de pacification » (Seuls les Aït-Amar d'Oulmès ont été ainsi rattachés artificiellement aux Zemmour; ils ne sont pas étudiés ici, pour cette raison d'ailleurs. Le rattachement des Bni-Ameur aux Zemmour s'est opéré avant l'arrivée des Français). Les contacts journaliers avec les dépositaires des coutumes et traditions tribales que sont les membres des tribunaux coutumiers, pendant de nombreuses années, n'ont pas permis à l'auteur de ces lignes de sentir un lien entre les tribus, ni de déterminer l'entité de la confédération : « il est difficilement admissible, ajoute-t-il, pour quiconque a pu mesurer le goût des Zemmour pour l'indépendance, que plusieurs tribus aient accepté de se soumettre à un chef commun ». Ici encore, l'histoire contredit cette affirmation : nous la retenons surtout parce qu'elle traduit le sentiment de diversité que ressent tout observateur en contact avec la Confédération Zemmour. Déjà, de Segonzac avait remarqué la nature pulvérulente des grands ensembles berbères : « je n'ai rencontré, écrit-il, aucun Berbri capable d'énumérer les fractions de sa tribu ; à plus forte raison les braber ignorent-ils leurs voisins » (De Segonzac, Voyages au Maroc, Paris, 1903, p. 291. 94. E. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, Paris, 1904, p. 109 ). Des liens existent cependant entre les tribus, mais ils offrent des caractères très spéciaux.<o:p></o:p>

    1) Les alliances entre tribus restent imprégnées de particularisme.<o:p></o:p>

    L'examen des relations réciproques entre les diverses tribus de la Confédération Zemmour ne fait que mettre en relief leur individualisme, ainsi que l'extrême fluidité de ces groupements politiques. « Les tribus sont d'humeur indépendante, écrit fort justement E. Aubin, aussi bien entre elles que vis-à-vis du Makhzen ; si elles se rapprochent les unes des autres, c'est par de simples ententes locales, et il est très rare qu'un intérêt collectif en rassemble un certain nombre ».<o:p></o:p>

    a) La tata.<o:p></o:p>

    En pays Zemmour, comme dans la plupart des tribus berbères du Maroc Central, existent des alliances intertribales à caractère magico- religieux, appelées pactes de tata ou tada  (Au sujet de la tata, voir : — La tata, Capitaine Coursimault, A. B., vol. 2, Paris, 1917, pp. 261-264 — G. Marcy, L'alliance par colactation chez les Berbères du Maroc Central Actes du II* Congrès... 1936, E. 112, pp. 957-973 - — E. Westermark, Cérémonies du mariage au Maroc, Paris, 1921, p. 54-55 - — Capitaine Spillmann, Les AU Atta du Sahara et la pacification du Haut Dra, Rabat, 1936, pp. 50-52 - — Surdon, Esquisse de Droit coutumier Berbère Marocain, Rabat, 1936, pp. 124-126), qui se concluaient à l'origine par le procédé symbolique de la colactation. G. Marcy a consacré des pages définitives aux pactes de tata, destinés essentiellement à recréer des liens ethniques artificiels entre des groupes sociaux, par imitation magique du phénomène de la parenté maternelle. Les pactes anciens, scellés par la cérémonie du lait (couscous arrosé du lait de femmes et mangé en commun, échange d'enfants au sein maternel pendant la durée de la cérémonie) consacrent une fraternité totale, concrétisée par un nombre différent de cojureurs lors de la prestation de serments judiciaires collectifs. Ceux conclus après la cérémonie des babouches (babouches des membres de chaque fraction réunies en deux tas différents, puis sorties une à une simultanément de façon à lier entre eux les deux propriétaires) apparaissent moins marqués du caractère sacré qui entoure, au demeurant, tous les pactes de tata; ils s'apparentent plutôt à une sorte de mezrag collectif (protection) et constituent une forme atténuée du pacte original de colactation.<o:p></o:p>

    Pactes de non-agression et d'amitié réciproque, les tatas créent, protégées par le caractère sacré de l'engagement, des zones protégées où les fractions alliées ne courent aucun risque. Le souci du bon voisinage, le désir d'être assuré de la sécurité des troupeaux envoyés souvent très loins des terrains de culture où le gros de la tribu préfère rester, l'intérêt tout personnel de trouver chez la tribu voisine un répondant en cas de prestation de serment, un ami ou un conseiller pour toutes les affaires de vol ou les litiges de voisinage, un refuge en cas de malheur, ont assuré à la coutume du tata une vigueur exceptionnelle.<o:p></o:p>

    Mais ces pactes sont uniquement bilatéraux; la tata entre une même fraction et deux autres fractions n'entraîne aucune obligation entre ces dernières. Ces alliances ne peuvent donc fédérer un ensemble ' de groupes sociaux car chacun d'eux ne s'inquiète que de ses alliances personnelles. Les tribus s'allient parfois par la tata avec des tribus ou fractions voisines, étrangères à la confédération, lorsque leurs intérêts vitaux l'exigent; tout autour de la Confédération Zemmour se créent ainsi des liens intertribaux moins fréquents qu'à l'intérieur, mais assez nombreux. Les Kabliyine par exemple, outre leurs alliances avec les Aït-Ouribele, les Aït-Yadine et quelques fractions Haouder-raen, ont conclu des pactes de tata avec les Oueld-Alouane des Sehoul, ou les Maâsa des Bni-Ahsène (Cf. M. Lesne, Evolution d'un groupement berbère : les Zemmour, Rabat, Ecole du Livre, 1959, pp. 58-69, où l'on trouvera une étude complète du réseau des tatas en pays Zemmour). Parfois même des fractions d'une même tribu se lient entre elles par de tels pactes, comme si la cohabitation au sein d'une même tribu avait besoin d'être protégée par des liens spéciaux ; les fractions Aït-Ichcho et Aït-Ahmed-ou-Yacoub d'une part, les Aït-Hammou-Srhir et les Aït-Kessou d'autre part, toutes quatre des Kabliyine, ont ainsi établi leurs rapports sur des bases à caractère sacré. De par la nature même des engagements visant à créer une neutralité bienveillante, éviter tout ce qui pourrait blesser un lien sacré, assurer le respect des personnes et des biens, les pactes de tata constituent moins des éléments fédérateurs, que l'expression d'un particularisme vivace et expansif, désireux de se réserver des zones sans embûches. Leur multiplicité à l'intérieur de la confédération et leur existence au sein d'une même tribu, montrent que les intérêts locaux et les particularismes ne s'accommodent que des seuls liens politiques que l'on reconnaît habituellement à la confédération ou à la tribu.<o:p></o:p>

    b) Les alliances guerrières.<o:p></o:p>

    Les alliances guerrières, essentiellement temporaires, gardent l'empreinte du même particularisme. « Lorsqu'une fraction engagée désire contracter une alliance, elle enverra les plus anciens de sa jemaâ trouver la fraction recherchée, à laquelle des dehibas (sacrifices de moutons) sont offertes. Si les propositions sont acceptées, un burnous est remis aux délégués qui l'emportent en gage de l'alliance conclue. La même cérémonie recommence dans toutes les tribus dont on sollicite le concours. Puis une assemblée générale des notables a lieu; des imagharene (chefs de guerre) sont nommés pour diriger l'ensemble des opérations, le plus ancien reçoit en dépôt tous les burnous remis par les tribus entrées dans le réseau d'alliances. L'honneur de chacune d'elles est ainsi engagé et une trahison individuelle entraîne la flétrissure de toute la fraction » (Capitaine Querleux, Les Zemmour, A.B., vol. I, fasc. 2, Paris, 1915, p. 48 et 49). La ligue guerrière ainsi créée se constitue par des pactes bilatéraux entre la fraction ou la tribu demanderesse et les fractions ou tribus qui consentent à lui apporter leur aide; elle disparaît avec le conflit qui l'a créée; sa réapparition en cas de nouveau conflit n'est pas automatique.<o:p></o:p>

    Des trêves peuvent aussi survenir entre tribus en guerre, surtout à l'époque des moissons : « A cet effet, chacune des jemaâs choisit dans le camp adverse un notable qui assumera la charge de garant contre tout acte hostile de ses frères (moul el mezrag)  (G. Klein, Etude citée, 1919) ». Ici encore, représenté par son garant, le groupement social intervient directement et de façon particulière dans la conclusion d'une trêve qui peut certes intéresser plusieurs autres fractions ou tribus réunies en ligue temporaire, mais se traite toujours de groupement à groupement.<o:p></o:p>

    Les nécessités de la vie quotidienne aboutissent à la création de zones amies et sacrées ; la guerre impose des alliances entre différents groupements; la trêve intervenant entre les combats se personnifie par la nomination d'un moul el mezrag, mais les obligations ou les liens ainsi créés restent toujours bilatéraux, bien que réussissant à embrasser des ensembles. Rien ne peut mieux illustrer les particularismes intérieurs de la Confédération Zemmour.<o:p></o:p>

    2) Les groupements politiques internes déterminent des ensembles aux contours variables.<o:p></o:p>

    A l'intérieur de la confédération, les groupements s'ordonnent en masses d'importance variable selon les époques. A la suite d'un désaccord, par intérêt, par crainte, par affinité, des fractions plus ou moins importantes quittent leur tribu pour entrer dans une autre. Les Aït-Izzi et les Ijanatene par exemple, appartenaient autrefois aux Aït-Jbel-Doum avant de devenir des fractions Haouderrane (Informateur : Caïd Bou-Driss-Ben-Chaboune (Aït Zekri), 1949). Les Hej- jama, petite tribu des environs de Tiflete, sont en réalité une fraction Kotbiyine qui habitait autrefois les environs de Sidi-Mohammed- Cherif, et qui, à la suite d'un désaccord relatif à un mariage, s'est séparée de la tribu (Informateur : El-Rhazi-Ben-H... (Aït-Ali-ou-Lahsene). Les Aït-Mejdoub, venant des Haouderrane, s'incorporèrent aux Aït-Ouribele, volontairement, après la pacification (Notice sur l'annexe de Maâziz, Lt. Compain, juin 1912. (Arch. D.I.).<o:p></o:p>

    Un document datant du 17e siècle donne, pour les Zemmour, l'organisation intérieure suivante, que nous reproduisons dans la transcription communiquée par Monsieur G. S. Colin  (G. S. Colin, Extrait inédit de L'Uqnum de Abd-er-Rahmane el Fassi, obligeamment communiqué par M. G. S. Colin)<o:p></o:p>

    Megdûr = Zemmur.<o:p></o:p>

    Les Zemmur se subdivisent en Alt Zeggât et en Ait Hkem.<o:p></o:p>

    a) Aït Zeggât = Itgâl, Aït Mimflm, Ait Lahsen ben fIsâ, Ihûderrân, Ait Zekri, Aït Urîbel, Ihammûden.<o:p></o:p>

    Les Itgâl se subdivisent en Aït Siber, Aït Mahlûf, Mestegra, Aït Wertîndi, Aït Dâwûd, Yeqbîten.<o:p></o:p>

    b) Aït Hkem = Aït Hammâd, Aït Wabud, Aït Mimûm, Aït Isa, Imsi- siten, Aït Zâgo, er Kub!.<o:p></o:p>

    La plupart des noms des tribus citées existent encore dans les Zemmour ; déjà à cette époque, Aït-Zarho, Imchichitene, Aït-Baboute appartenaient aux Bni-Hakem. Parmi la branche Aït-Zouggouatt, nous retrouvons les Aït-Zekri, les Aït-Ouribele, les Haouderrane, les Aït-Sibeur, les Messarhra. Les Aït-Lahsen-Ben-Aïssa évoquent la légende des cinq frères Aïssa qui circule encore en tribu. Ainsi, s'affirme une certaine permanence des emblèmes onomastiques ; mais l'importance des masses a varié; Aït-Zarho et Imchichitene ne sont plus que des fractions sans importance ; les Aït-Sibeur apparaissent de nos jours quantité négligeable auprès des Aït-Ouribele. Sans rechercher d'hypothétiques comparaisons avec les tribus Zemmour que nous connaissons aujourd'hui, constatons simplement l'existence de deux sous-groupes distincts, et l'importance des Bni-Hakem dans cet ensemble. Et à ce propos, il est remarquable de constater que les auteurs marocains citent toujours Zemmour et Bni-Hakem, mettant ainsi en relief le caractère particulier de ce dernier groupement. Les divisions ultérieures apparaissent influencées directement par le système des khoms appliqué par le Makhzen pour faciliter la levée des impôts. Les traditions imprécises offrent des classifications contradictoires. Sous Moulay-Slimane et au début du règne de Moulay- Abderrahmane, les Zemmour s'articulaient ainsi (Vil. Trib., Rabat et sa région, t. III, p. 212) :<o:p></o:p>

    1) Aït-Zekri (Aït-Belkassem, Aït-Abbou, Aït-Ouribele, Aït-Ouahi,<o:p></o:p>

    Kabliyine)<o:p></o:p>

    Bni-Ameur : Aït-Feska (Aït-Ali-ou-Lahsene, Khzazna, Aït-Bou- Yahya) Aït-Affane (Kotbiyine, Mzourfa, Hejjama).<o:p></o:p>

    2) Messarhra<o:p></o:p>

    3) Aït-Jbel-Doum (Aït-Mimoun, Aït-Sibeur, Aït-Hammou-Boule-<o:p></o:p>

    mane, Aït-Helli)<o:p></o:p>

    4) Haouderrane (Aït-Achrine, Aït-Rebïâne, Dehbibene, Aït-Ikko)<o:p></o:p>

    5) Bni-Hakem<o:p></o:p>

    Un autre groupement, obtenu sans doute par synthèse de divers renseignements, articule ainsi les tribus Zemmour, vers la fin du 19e siècle 104 :<o:p></o:p>

    1) Aït-Zekri<o:p></o:p>

    2) Haouderrane ainsi que Messarhra, Ait Sibeur, Aït-Mimoun.<o:p></o:p>

    3) Bni-Hakem<o:p></o:p>

    4) Bni-Ameur<o:p></o:p>

    5) Aït-Bou-Yahya et Aït-Yadine.<o:p></o:p>

    Les trois premiers groupes comprennent les tribus les plus anciennes, les autres les tribus nouvellement incorporées.<o:p></o:p>

    Certaines appellations, autrefois très vivaces, ne sont plus pratiquées que par quelques anciens et il apparaît difficile de dessiner les contours des ensembles qu'elles recouvrent; les documents établis il y a une quarantaine d'années révèlent également des contradictions. Les Aït-Achrine, Aït-Rebaïne, Dehbibene et Aït-Ikko constituaient autrefois les Haouderrane tout entiers ; le « Souk-Sebt des Aït-Ikko » reste de nos jours la trace d'un important sous-groupement dont le nom subsiste pour une petite fraction passée en tribu Aït-Ouribele. La tribu Haouderrane se présentait ainsi autrefois, d'après un document dressé en 1921 (Procès-verbal de la réunion du Conseil de Tutelle des Collectivités du Tafoudeït (16 déc. 1921), Archives du Service des Collectivités, Rabat):<o:p></o:p>

    Dehbibene : Aït-Hennou-Addi, Aït-Ayache, Aït-Hammou-Idir, Aït- Affi, Aït-Sidi-Lahsene.<o:p></o:p>

    Aït-Achrine : Aït-Maârif, Aït-Châo, Aït-Izzi, Ijanatene.<o:p></o:p>

    AU-Rébwine : Aït-Bou-Chlifene, Ait- Alla.<o:p></o:p>

    Aït-Ikko : Aït-Oumnassef, Aït-Ikhlef, Aït-Zbaïr, Aït-Lâasri.<o:p></o:p>

    Un tel tableau ne pourrait plus être dressé de nos jours même en faisant appel aux souvenirs des anciens; on raconte seulement qu'au cours d'une bataille contre les Bni-Ahsene, dans le Tafoudeït, où fut défait le Caïd Hasnaoui, un groupe eut 20 tués et l'autre 40 ; en souvenir de ce deuil, ils s'appelèrent respectivement Aït-Achrine et Aït- Eebâïne.<o:p></o:p>

    Le nom d'Aït-Jbel-Doum (les fils de la montagne du palmier nain) semble d'introduction assez récente, postérieure à l'occupation de la haute vallée du Beht, où les fractions se souviennent toutes d'avoir vécu, mais seulement sous leur propre nom de fraction.<o:p></o:p>

    D'autres dénominations datant sûrement de l'installation des Zemmour dans leur habitat actuel semblent tomber dans l'oubli :<o:p></o:p>

    MoualineGour (Maîtres du Gour, petite hauteur en pays Beni- Hakem) qui comprenaient : Aït-Baboute, Aït-Zarho, Bni-Zoulite, Im- chichitene (Vil. Trib., t. III, Rabat et sa Région).<o:p></o:p>

    Ahl-el-Oued (gens de l'oued) groupant Messarhra, Aït-Sibeur, Aït- Mimou  (Lieutenant Mortier, Rapport sur la question Béni Hassan, Zemmour, Mâmora, 1913, Archives Contrôle Civil Tiflete) installés le long du Beht et constituant un groupement de guerre contre les Bni-Ahsene.<o:p></o:p>

    Le tableau de commandement des Zemmour, depuis la pacification, s'il conserve le cadre des grandes tribus telles qu'elles se présentaient à la fin de la siba, a tenu compte d'autres considérations que celles des liens ethniques et ne saurait être invoqué en témoignage. Mais la plasticité des ensembles apparaît telle que semblables découpages ont dû se produire autrefois, notamment lors du partage des tribus en hhoms, sans affecter la vie profonde de chaque groupement. La succession des alliances, le pouvoir des chefs, le hasard des batailles a constamment remis en cause l'articulation intérieure des tribus au sein des groupements temporaires, des fractions au sein des tribus. M les rares documents, ni la mémoire des hommes ne peuvent retracer les multiples enchevêtrements des groupements au cours d'une histoire mouvementée.<o:p></o:p>

    3) Egoïsme et luttes entre les fractions traduisent un individualisme fondamental.<o:p></o:p>

    Chaque groupement lutte pour conserver son existence : lutte contre la nature, lutte contre les hommes. Par-dessus tout il veut maintenir son indépendance, gage de la survie de la collectivité, affirmer son particularisme, voire imposer sa force quand il le peut. L'égoïsme et l'âpreté succèdent à l'entente commune dès que le danger est passé, ou le butin conquis.<o:p></o:p>

    Les causes de désordre sont multiples. Le manquement aux obligations du mezrag entraine aussitôt des représailles sanglantes.<o:p></o:p>

    « Un jour une caravane de mulets transportant des grains achetés par un Slaoui dans les tribus centrales des Zemmour était sous le « mezrag » d'un indigène des Aït-Bou-Yahya. Leur convoi avant d'atteindre les Sehoul fut assailli par quelques gens des Aït-Ali-ou- Lahsene. Le pacte d'alliance qui existait entre les Aït-Bou-Yahya et les Aït-Ali-ou-Lahsene fut rompu de ce fait. Les cavaliers des deux tribus sautèrent en selle pour se rencontrer dans un combat. Il y eut vingt tués chez les Aït-Ali-ou-Lahsene et vingt-cinq du côté Aït-Bou- Yahya » (G. Klein, Etude inédite, 1919).<o:p></o:p>

    Dès qu'un meurtre a été commis, tous les gens du clan du meurtrier se tiennent sur leurs gardes car les représailles peuvent les atteindre; très souvent, lorsque le meurtre a touché un membre d'une fraction voisine, tout le groupement du criminel doit décamper précipitamment; l'affaire peut s'arranger par le paiement du prix du sang (diya) mais elle risque parfois de prendre de grandes proportions : quelques années avant l'arrivée des troupes françaises, les Khzazna, Aït-Bou-Yahya, Aït-Ali-ou-Lahsene, Aït-Belkassem, Aït-Ouahi, Aït- Abbou, Bni-Hakem et Haouderrane d'une part, Kabliyine, Mzourfa, Hejjama, Aït-Ouribele, Kotbiyine, Aït-Yadine et Messarhra d'autre part sont ainsi entrés en lutte au sujet d'un meurtre commis entre Kotbiyine et Aït-Ali-ou-Lahsene, par suite des ébranlements successifs causés par la rupture des pactes d'alliance. Les rapts de femmes, les refus de restituer le montant d'un vol découvert, les contestations de terrains offrent sans cesse des occasions de discordes. « Les querelles de parti, écrit le capitaine Querleux (Capitaine Querleux, Les Zemmour, Arch. Berb., vol. I, fasc. 2, 1915, pp. 46-47), sont le fond même de l'âme berbère et les Zemmour au caractère hargneux et vindicatif ne pouvaient manquer à cette tradition. Aussi tout était matière à discussion, et les incidents les plus futiles, toujours considérablement grossis, engendraient des disputes interminables, chacun prenant fait et cause pour ses frères, sans même rechercher la cause du conflit et le côté du droit. Il se formait ainsi dans la fraction deux partis hostiles, groupés autour de deux individualités qui prenaient la querelle à leur compte et entraient en lutte. Fréquemment des fractions voisines intervenaient à leur tour dans l'incident, se rangeaient dans l'un ou l'autre des groupements adverses, et la guerre ensanglantait toute la tribu ».<o:p></o:p>

    L'histoire récente des Aït-Sidi-Lahsene offre un bel exemple de ce genre de discorde. Cette petite tribu, dont les membres se disent chorfa idrissides, occupait, après avoir séjourné au Tafoudeït, un terrain octroyé par le Makhzen et situé dans la région de Zimeri, entre les Aït-Belkassem et les Haouderrane. Ayant un jour tué des ressortissants de la tribu arabe Hosseïne, ils quittèrent Zimri pour revenir au Tafoudeït avec l'accord des autres tribus, en reconnaissance de l'aide apportée autrefois lors de la conquête du pays sur les Bni- Ahsene et sans doute à cause de leur réputation de chorfa. Vers l'an 1299 de l'Héjire, à la suite d'une famine, ils entrèrent en lutte avec leurs voisins : un Haouderrane fut un jour pillé par un Aït-Hammou- ou-Boulemane et demande le mezrag des Aït-Sidi-Lahsene ; ceux-ci intervinrent auprès des Aït-Hammou-ou-Boulemane pour obtenir la restitution des objets volés; ces derniers, avec l'appui des Aït-Ikko, refusèrent, et une lutte sanglante s'ensuivit. Vaincus, les Aït-Sidi- Lahsene se réfugièrent alors au bled Sidi-Lârbi, en pays Haouderrane, chez le Cheikh Omar, à l'emplacement qu'ils occupent encore aujourd'hui. Après une absence d'une douzaine d'années, ils revinrent au Tafoudeït qui était resté inoccupé par craintes des représailles. Ils y séjournèrent jusqu'à une autre année marquée par une grande famine (âam 8mida, l'année de la semoule, vers 1905-1906); aux environs de cette époque, ils tuèrent un ressortissant des Aït-Ikko. L'arbitrage du Sid de Boujad, demandé par les parents de la victime, ne fut pas écouté. Il en résulta une lutte violente, à la suite de laquelle les Aït- Sidi-Lahsene abandonnèrent une troisième fois le Tafoudeït.<o:p></o:p>

    Cette petite tribu, installée sur un terrain de parcours particulièrement estimé, en bordure de la tribu Haouderrane, ne pouvait en effet que résister difficilement à ses voisins (Procès-verbal de la réunion du Conseil de Tutelle des Collectivités au Tafoudeït, 1921, Arch, du Service des Collectivités, Rabat). Elle oscilla donc entre deux habitats légitimes, sans pouvoir les conserver entièrement de façon simultanée (Revenue au Tafoudeït, la tribu gardait toujours des ressortissants sur ses terrains près de Sidi-Lârbi, qu'elle avait achetés).<o:p></o:p>

    Les difficultés économiques, les famines si terribles qu'on les tait par superstition, exacerbent les rivalités des clans. Une famine atroce sévit en 1895 chez les Bni-Hakem (La grande famine de 1895 chez les Bni-Hakem, M. Prefol, 1950. (Arch. D.I.); son souvenir reste gravé dans la mémoire de ceux qui, enfants à l'époque, ont pu en réchapper. Une bataille venait d'avoir lieu entre Aït-AUa, Aït-Mhammed, Aït-Bou- Guimel, Aït-Zarho et Bni-Zoulite d'une part, Aït-Bou-Meksa, Aït-Bou- Hekki et Imchichitene d'autre part; les Zaër, Zaïan et Haouderrane avaient fait des incursions dans le pays; les semailles de 1892-1893, gênées par les escarmouches, donnèrent une récolte assez honorable, mais pillée par les Haouderrane venus à la suite d'une harka du Sultan qui parcourait le pays pour récolter l'impôt. Labours peu importants en 1893-1894, dégâts commis par les animaux des fractions voisines, sécheresse, firent qu'en 1894 aucune réserve de grains n'existait pour les futures semailles. L'hiver 1894-1895 fut si pluvieux que les rares parcelles ensemencées furent envahies par les mauvaises herbes qui dépassèrent la taille d'un homme et étouffèrent les céréales. La famine toucha d'abord les pauvres qui vendirent leur bétail, partirent en exil comme bergers et laboureurs dans les autres fractions ; enfants et vieillards moururent très nombreux sur place. Puis l'ensemble de la population fut en proie à la famine. Les tribus voisines, loin de les aider, et connaissant aussi des difficultés, interdisent alors l'intrusion de tentes étrangères. Les Aït-Alla et les Aït-Mhammed, tribus montagnardes, supportent mieux la famine et s'approprient le bétail de leurs voisins réduits à une horde de gens affamés. Les Aït- Bou-Guimel s'isolent et échappent à la mort grâce à quelques silos bien cachés et bien gérés. Aït-Zarho, Aït-Bou-Meksa, Aït-Baboute, Bni- Zoulite et le douar Aït-Bouzid des Aït-Mhammed sont particulièrement éprouvés. Le douar Aït-Ali-ou-Amar, des Aït-Zarho, passe de 60 à 3 tentes (aujourd'hui 9) ; le douar Aït-Ikko-ou-Hajjou des Aït-Baboute ne compte plus que 9 tentes sur les 120 d'autrefois (aujourd'hui 20) : installés auprès d'Aïn-Bou-Fekrane où certaines herbes, cardes et mauves, pouvaient encore être mangées, les affamés dévorèrent jusqu'aux tortues et les malheureux furent retrouvés momifiés, à la fin du printemps 1895, par des réfugiés venant des Zaër.<o:p></o:p>

    Dans de si horribles circonstances, lorsque la solidarité d'homme à homme ne peut même plus jouer, lorsque des parents en exode et à bout de forces sont obligés d'abandonner leurs enfants en route, dans des enclos d'épineux « à la garde de Dieu » mais en réalité à la dent des chiens, les fractions, déjà rivales en temps ordinaire, se livrent à de nombreux actes d'hostilités : crimes, vols et spoliations. Après cette année où « les chiens mangèrent les hommes » sans que ceux-ci aient même la force de se défendre, les douars ne revinrent à la vie qu'après le retour de quelques adolescents réfugiés chez les Zaër ou les Zaïan, engagés comme bergers ou comme laboureurs. Cette famine nous montre un cas extrême, celui de la dissolution entière des liens entre fractions d'une même tribu; mais elle résulte de leur manque de solidarité, de leurs luttes intestines, de leur égoïsme, de l'absence de toute notion d'intérêt général. Les conditions de vie de ces tribus semi-nomades, faute de pouvoir centralisateur fort, ne peuvent évidemment qu'aboutir à la création de groupes très restreints, très mobiles, où la solidarité interne joue de façon automatique, essayant de sauver leur existence, au prix d'âpres luttes avec leurs voisins. La coutume elle-même enregistre les différents états de relations entre les groupements; elle distingue, dans le nombre de cojureurs exigés pour prêter serment, le bled khaoua (région de confraternité), le bled tata (région faisant l'objet d'un pacte bilatéral), le bled mezrag (région devenue neutre par la nomination d'un moul el mezrag, garant de la sécurité) (G. Klein, Etude inédite, 1919) : le pays Zemmour n'est donc pas la grande patrie de tous les Zemmouris, mais un agrégat de cantons occupés par des groupements divers et individualisés.<o:p></o:p>

    Conclusion<o:p></o:p>

    Cette approche du pays Zemmour nous laisse le sentiment d'une infinie diversité et d'une structure moléculaire souvent instable. Alliances guerrières, ententes pour la protection des personnes et le libre passage, pactes d'amitié et de non-agression à caractère magico- religieux, assurent à l'intérieur de la confédération et des tribus une certaine cohésion compatible avec la liberté totale des groupes qui y participent. De grandes masses d'allure administrative s'ordonnent en fonction des données de l'histoire et des apports nouveaux; mais, à l'intérieur d'elles, s'affirment des rivalités et se constituent des groupements; leurs contours restent fluctuants; elles s'accroissent ou s'amenuisent selon les époques par l'apport ou le départ de fractions nouvelles.<o:p></o:p>

    Dès lors reparaît la même interrogation : quel est, non pas le ciment, mais le lien qui unit malgré tout cet ensemble ? Les Zemmour n'ont ni ancêtres communs, ni fiction généalogique d'ensemble; ils constituent un mélange de populations diverses, issues des groupements berbères traditionnellement distingués. L'organisation intérieure des tribus, dans la période historique la plus proche de nous, met en évidence un particularisme exacerbé par l'absence d'un pouvoir extérieur de coercition. Comme dans toutes les sociétés de ce genre, sentiment d'exception personnelle et conscience d'appartenir à un groupement plus vaste coexistent sans déchirement apparent des consciences. Que le lien biologique soit une fiction dont on se contente en tribu avec un manque évident de rigueur logique, que des fractions ou des tribus soient venues s'incorporer aux rameaux primitifs, que certains groupements aient proliféré, que d'autres se soient amenuisés ou aient disparu, qu'il n'existe peut-être dans leur retour de certaines appellations qu'un jeu purement verbal; tout cela nous semble vrai en même temps. Malgré les forces particularistes toujours latentes, qui se sont donné libre cours à la fin du xixe et au début du xx6 siècle, la Confédération des Zemmour a plusieurs siècles d'existence; malgré ses divisions elle a assuré la survivance des tribus qui la composent; sa cohésion, si faible qu'elle apparaisse, lui a permis cependant de conserver sans effritement une position dangereuse en tête de la poussée berbérophone vers les plaines atlantiques; elle demeure nettement distincte par la coutume et les mœurs de ses voisins Zaër, Zaïan, Guerrouane et évidemment Bni-Ahsene. En fait, ce sont l'aventure commune surtout, et un même genre de vie, qui ont consolidé le groupement berbère des Zemmour, en dépit d'une plasticité intérieure qui donne bien du mal aux amateurs de généalogie.<o:p></o:p>

    (A suivre.)<o:p></o:p>

    Marcel LESNE<o:p></o:p>

    Conservatoire national des Arts et Métiers, Paris<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>


  • Commentaires

    1
    aoumaxanax
    Samedi 21 Avril 2012 à 23:58
    Je suis berbère zemouri et j'appartiens à la famille kablyine de khemisset ait bougrine, heureux d'apprendre beaucoup de choses sur mes origines. Merci
    2
    Morad
    Mardi 28 Novembre 2017 à 01:18
    Merci pour toutes ces informations sur notre identités et nos racines
    Je suis Zemmouri de Bni-Hkem je suis à la recherche de mon ancien grand père il était un des AmghaR de la tribus de Aït Alla Bni-Hkem son nom est:Hmad Oumoloud AmghaR
    Merci de bien me contacter sur cet Perssonalitée
    Toute la Famille vous sera reconnaissante
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :