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    Si les premiers conquérants musulmans avaient amplement réussi leur expansions avec succès, ce résultat n’aurait jamais été atteint sans la sagesse des premiers califes qui surent conserver les appareils administratif et fiscal des territoires conquis : l’appareil de Byzance en Egypte et en Syrie, l’appareil des Sassanides en Irak et en Perse. Ainsi, l’islam n’avait pas seulement conquis des terres d’alluvions et d’oasis, il s’était étendu aussi le long d’une zone maritime et d’une zone de steppes que les caravanes mettaient en contact pour échanger les produits d’Europe et d’extrême Orient. De la Perse ou de l’Irak, les voiliers arabes atteignaient non seulement l’Inde et Ceylan mais aussi la Chine jusqu’au IXème siècle. D’autres voies terrestres menaient vers l’Inde, la Syrie, l’Egypte et Byzance. Les caravanes d’Egypte prenaient également la direction de l’Ethiopie et du Maghreb. Le commerce portait sur des produits de luxe, comme les épices, les bois précieux, les fourrures, sur des produits de première nécessité, les métaux, les textiles ainsi que sur les produits métallurgiques. Le développement du commerce, allait de pair avec la possibilité d’imposer la circulation à quelques-unes de ses étapes, aux entrées dans les villes soit à l’embarquement ou au débarquement des marchandises dans les ports.

    La notion d’un “territoire douanier” bien distinct du territoire national est apparue dès l’aube de l’Islam en Arabie. Le mouvement des marchandises d’un territoire douanier à un autre donnait lieu à la perception de droits de douane (“Al aouchr”) par “al achir” (receveur des droits de douane). Dans une citation d’Abou Hanifa d’après Alkacime d’après Anes Ibn Sirine d’après Anes Ibn Malek, il est dit : “Le calife Omar me confia la perception d’Alachour et me fit prononcer le sement de percevoir sur les marchandises objet d’une transaction commerciale le quart du dixième pour les musulmans, la moitié du dizième les dhmmi53 et de dizième pour les tribus en guerre54.

    Avec l’évolution de ce système on a pu contrôler que dans chaque centre urbain était établi un ou plusieurs foundouks ou khans, où les commerçants étaient tenus de porter leurs produits. Ceci facilite la levée de la taxe douanière. Le droit de douane fixé, généralement à dix pour cent pour les musulmans, à vingt pour cent pour les non musulmans et des droits apparentés étaient d’un gros rapport pour le trésor public. Seulement, il est d’une importance capitale de signaler que ces taxes sur le commerce n’étaient pas considérées par les fouqaha55 orthodoxes comme tout à fait conformes aux prescriptions de la loi coranique. Ces réticences ont dû se dissiper à travers les âges car le recours aux impôts sur les échanges était d’une trop grande commodité et si nécessaire pour qu’aucun gouvernement ne pût s’en passer56.

    L’islam avait le mérite de développer le commerce international. Il permettait le transfert de l’argent, surtout en grosses sommes sous forme de pièces documentaires au lieu de pièces monétaires. Par conséquent, les transactions commerciales ont dû se soumettre à cette nouvelle orientation d’où le flot des documents échangés entre les Etats musulmans et le reste de la communauté internationale .

    L’époque du Prophète avait tracé, dans ce contexte, les lignes de conduite pour les tribus soumises à l’Islam, et qui ont servi par la suite de base pour le renforcement de la législation financière et économique de l’ensemble de la communauté. Grâce à l’ouverture sociale et humaine des négociants musulmans, les échanges commerciaux furent internationalisés à une grande échelle. Le trafic maritime favorisait non seulement le transport des produits et marchandises, mais aussi le contact humain et collectif. Les espaces désertiques vécurent une ère d’intense animation et de mouvements caravaniers jamais connus auparavant. Dans l’analyse des civilisations du Sahara, Attilio Gaudio57, remarquait que les produits exotiques des pays noirs étaient importés au Maroc par de longues caravanes qui parcouraient régulièrement3.000 km de désert. La traversée s’effectuait, bien entendu, sous le contrôle douanier, entre autres, des ”Garamantes” à qui les voyageurs commerçants payaient un droit de péage ; droit maintenu par les Touareg jusqu’au début du XXème siècle . L’évolution du régime douanier du Maroc Musulman devra désormais, s’inscrire dans le cadre de ce double courant commercial maritime et saharien.

    Après la chute de Rome en 476, le Maroc a sombré dans un repli politique qui s’est traduit progressivement par une régression de son activité commerciale avec le monde extérieur. Ainsi, il serait très difficile de déceler des indications précises sur l’existence d’un rouage douanier durant les brefs passages Vandale et Byzantin au Maroc, tant les sources de référence seraient pratiquement inexistantes dans ce domaine. Cependant, on peut noter que la relative faiblesse du commerce extérieur s’explique par le fait qu’aucun pays du monde méditerranéen n’a vécu autant que le Maroc en dehors des grands courants commerciaux. Carthage ne fit entrer dans son espace économique que des comptoirs littoraux et la Mauritanie Tingitane ne fut pour l’empire romain qu’une marche militaire. Après la conquête musulmane en l’an 708, le Maroc a connu des mutations socio politico économiques d’une grande importance qui se sont traduites sous le règne du Sultan Moulay Idriss Al Azhar par l’apparition de ce qu’on peut qualifier comme le premier noyau du système ”Makhzen”.

    En effet, la notion du Makhzen qui est un système de gouvernance propre au Maroc coïnciderait, d’après la majorité des historiens, avec l ’ instauration du premier gouvernement du Maroc indépendant sous le règne de la dynastie Idrisse. C’est également à ce niveau qu’il conviendrait d’étudier l’origine et l’évolution des systèmes douaniers qu’a connu le Maroc jusqu’à nos jours, car la douane a constitué de tous les temps l’une des principales composantes du système makhzenien. 

    La souche arabe du terme ”douane” est issue de ”diwan” et appelé en Afrique du Nord: ”diwana”58. On peut également trouver une origine étymologique propre à la douane marocaine, qui a un rapport direct avec le terme “ makhzen ” . Harakat précise que le terme ”makhzen” fut utilisé pour la première fois au IIème siècle de l’hégire pour désigner le coffre métallique utilisé par l’Emir (gouverneur) de l’Ifriquia pour y déposer les recettes fiscales de l’Etat dont notamment les taxes sur le commerce extérieur. Le terme makhzen est issu du verbe arabe khazzana qui signifie : enfermer, conserver, thésauriser. Dès l’origine, ce terme, qui est au Maroc synonyme de gouvernement, s’appliquait plus particulièrement à l’organisation financière.

    On peut donc considérer que l’expression makhzan, qui désigne le gouvernement marocain et tout ce qui s’y rattache de près ou de loin, a été utilisée au début pour indiquer uniquement l’endroit où étaient réunis les fonds destinés à être versés au trésor de la communauté musulmane, ou bayt al-mal. Plus tard, lorsque les sommes, ainsi réunies, ont été conservées pour être utilisées sur place et sont devenues, pour ainsi dire, les trésors particuliers des communautés dont elles provenaient, le mot makhzen a servi à désigner les trésors de chacune de ces communautés, et une certaine confusion commença à se produire entre ”makhzen”et ”bayt al-mal”. D’ailleurs, l’expression “Abid al makhzen” reprise à diverses étapes de l’histoire du Maroc, a toujours été utilisée dans le sens d’esclaves du trésor, plutôt que dans celui d’esclaves du gouvernement. Il apparaît donc que le ”makhzen” a servi, au Maroc pour désigner le gouvernement au fur et à mesure que l’Etat se détachait de l’Empire Musulman d’Orient.

    Au plan financier, le problème de la fiscalité en général et de la taxation des produits importés ou exportés en particulier, demeura l’un des gros évènements de l’histoire musulmane en Orient comme en Occident. Ibn Hawkal59 explique ce qu’était ”la taxe douanière” perçue par les Omayyades dans les ports : “ce qui est collecté sur les marchandises qui entrent et qui sortent en abondance sur les navires”. Ibn Hayyan60 évoquant la fiscalité du Maghreb contrôlé par le Calife Omayyade Al Hakam II détaillé dans une lettre que celui-ci envoya aux tribus du Maghreb, indique que l’empire s’en tenait à la stricte légalité.

    On peut considérer que le kitab al kharaj d’Abu Youssouf Yacoub ainsi que les statuts d’Al Mawardi (Al ahkam assoultania) constituent les principaux ouvrages de référence en matière de fiscalité sur le commerce extérieur du monde de l’Islam. La taxe sur les marchandises, le ”ouchr” était pour les musulmans de 2,5 % ad valorem. Les dhimmi (chrétiens et juifs vivant sous la protection du musulman) payaient 5 % et les étrangers (harbi moustamine), les chrétiens particulièrement acquittaient 10%.

    La comparaison avec certaines pratiques douanières, en Egypte par exemple, montre comme l’affirmait Ibn Joubayr, que si les musulmans pouvaient circuler librement partout dans le monde musulman, les tracas douaniers ne leur étaient pas épargnés parfois. Au Maroc, la fiscalité sur le commerce extérieur la mieux connue historiquement est sans doute celle des Almohades. Ce sont les traités conclus au XIIème siècle avec les ports italiens qui en constituent la référence. Ces traités prévoyaient des règles précises de conduite et de mise en douane des marchandises permettant au makhzen de mieux contrôler les flux commerciaux . Plusieurs conditions étaient liées à ces accords. Deux éléments peuvent cependant être mis en exergue : le paiement des droits de douane et les règles de conduite et de circulation sous douane. L’autre aspect de ces accords concernait les démarches administratives liées au passage en douane des personnes et des marchandises. Les marchands devaient s’adresser aux fonctionnaires de la douane. Les droits et taxes étaient perçus sous le contrôle d’un fonctionnaire nommé Moushrif, qui fut désigné ensuite par: Amine des douanes.

    Les bâtiments des douanes s’appelaient d’ailleurs ”Diyar Al Ichraf” par référence au Moushrif des douanes. Selon Al Ansari, le nombre des offices de diyar al ichraf (l’administration des douanes) était de quatre : L’office de la douane était situé en face des foundouks des commerçants chrétiens ; l’office d’emballage et de déballage des marchandises (aires des vérifications douanières) était là où se trouvaient les marchands d’épices.

    Les textes de certains traités nous offrent des indications au sujet des fonctionnaires des douanes au Maroc du XIIème siècle. Le responsable ou moushrif, appelé : “nazir al diwan” était secondé par ”sahib al diwan”. Tous les deux dirigeaient un personnel douanier composé d’adouls, de traducteurs et d’agents rattachés, en particulier les courtiers évoqués dans le traité de la réglementation de commerce rédigé à Séville en 1100 par Ibnou Abdoune.

    Sur l’importance de l’encadrement juridique du commerce maritime et des douanes, Christophe Picard61 conclut dans son étude sur la navigation et le commerce du Maghreb occidental musulman : 

    ” L’Ifriquia puis Al Andalous furent les principaux foyers de production juridique, encadrant la vie maritime, justement au moment où les Etats respectifs donnèrent une impulsion particulière à la navigation et cherchaient à mieux organiser l’activité commerciale, pour des intérêts politiques et fiscaux évidents ” .

    Pour cela, l’appareil juridique et administratif était un élément essentiel qui se mit en place. Il se développait d’autant plus harmonieusement que l’école malikite était la seule en vigueur, au moins depuis le milieu du Xème siècle. Du coup, les Almoravides, ainsi que leurs successeurs Almohades n’avaient qu’à reprendre, maintenir, et éventuellement, enrichir l’édifice. L’activité douanière fut dès lors une mission constante, en dépit de la conjoncture géopolitique difficile pendant les conquêtes musulmanes notamment durant les périodes du Jihad Islamique. Ce Jihad comme le note Charles André Julien, ne fut jamais, à cause des impératifs commerciaux, une guerre totale, interdisant tout contact pacifique entre musulmans et chrétiens. Les impératifs mercantiles du négoce méditerranéen l’emportèrent largement sur les exigences de la foi. La douane fut, à cet égard, l’incontourable intermédiaire. 

    Les ports ibériques, les cités marchandes de la Méditerranée ne pouvaient se ravitailler en produits d’Afrique noire que par l’intermédiaire du Maroc. Leurs négociants s’installèrent dans des foundouks62 sous un contrôle permanent de l’autorité douanière. Au cours de la seconde moitié du XIIème siècle, Gênes se fit garantir par traité, sécurité et facilités de procédures douanières. Cela valut un essor exceptionnel au commerce extérieur, ce qui fit de la douane marocaine l’élément moteur de cette expansion et l’animateur de l’activité économique au Maroc durant plusieurs siècles.

    LES PREMIERES STRUCTURRES DOUANIERESDE L’ETAT MAROCAIN

    L’EPOQUE IDRISSIDE63

    Pendant la première partie de leur règne, les Idrissides n’avaient pas de politique douanière. Cette situation peut s’expliquer aisément par les deux facteurs suivants :

    1) La préoccupation de l’Etat, nouvellement créé, par l’instauration de ses premiers jalons. Ainsi, les efforts des pouvoirs publics ont été essentiellement orientés vers l’urbanisation du pays, la création des provinces. De même que l’Etat concentrait ses efforts sur la transmission des règles de l’Islam aux populations et veillait à leur assurer l’éducation religieuse adéquate.

    2) Dans ce contexte, l’Etat ne pouvait qu’opter pour un système fiscal qui respecte scrupuleusement les principes de la ”chariâ”. Cette politique fiscale basée sur l’impôt coranique était d’autant plus aisée à appliquer que les charges du jeune Etat marocain étaient amplement couvertes par les recettes de l’impôt traditionnel.

    Durant la seconde période de règne Idrisside, le jeune Etat devait inéluctablement faire face aux charges, de plus en plus nombreuses dues à la gestion d’un pays en pleine expansion. D’autre part, les catastrophes naturelles et les épidémies créent pour le pouvoir des charges lourdes et imprévisibles. Ainsi, s’est posé le problème d’une nouvelle organisation financière avec la grande difficulté à laquelle devaient faire face toutes les dynasties qui ont régné sur le Maroc. Cette organisation consiste à créer une administration politique et fiscale s’accordant avec les principes de l’Islam. La structure douanière durant cette période ne pouvait être qu’intégrée dans l’organisation financière sous forme d’un impôt de guerre perçu par l’autorité militaire.

    Si le commerce extérieur du Maroc fut pendant l’antiquité essentiellement maritime, avec les Idrissides, les premières opérations d’exportation se sont  effectuées par des caravanes transahariennes vers le Soudan. Une activité de commerce maritime a été toutefois enregistrée au port d’Asilah sous le règne du calife Idrisside Al Kacem Ibn Idriss64. Asilah fut donc l’un des premiers ports douaniers des Idrissides à partir de 844. Des foires de commerce ou “mawassims” y étaient organisées trois fois par an pour y animer et maintenir l’activité de négoce international65. Au IXème siècle, les Marseillais fréquentaient déjà la baie de Sebta pour la pêche des perles dont Ibnou Hawkal vantait la qualité dans son célèbre oeuvre “Sourat Al Ard” (configuration de la Terre)66.

    Picard considère que l’époque Idrisside fut l’occasion du redémarrage pour la navigation maghrébine dans la côte atlantique située entre Moulay Bouselham et le Cap Spartel, animé par les villes de l’intérieur comme Al Basra. Ibn Hawkal confirme ce constat dans ses mémoires “configuration de la terre” écrites au Xème siècles : les habitants de Basra, conclue-t-il transportent leur marchandises sur des navires par la rivière et, après avoir atteint l’ocean, tournent vers la mer Médirranée pour se rendre où ils désirent.

    Les travaux de D. Eustache à propos de la cité économique d’”Al Basra” et du rio “Lukkous” ont montré l’importance des cours d’eau, en relation avec l’océan Atlantique dans le nord du “Maghrib al akssa”. Ces structures portuaires hors zones urbaines qui furent les premiers postes douaniers d’avant garde, semblent avoir été la première base d’urbanisation de la côte atlantique marocaine.

     

    Au XI et XIIème siècles, Anfa (“Al Gayt”) était qualifiée de mouillage et non de cité, “Amagdul” (Mogador) ”mouillage très sur” et en même temps ”port de la province de Sous” selon “Al Bakri”. D’après El Idrissi, “Fedala” était une presque Ile qui servait de point d’appui au port de “Tamsna”. Ibn Hawkal et Albekri avaient bien décrit l’activité commerciale internationale de la cité connue sous le nom “Basrat Al Maghrib”, qui fut une ville d’importance moyenne à mi-chemin sur l’itinéraire reliant “Tansa”67 à Fès. On l’appelait également “Basrat al Kettane”68 (basra du lin) parce qu’à l’époque où elle commença à se peupler, on y employait le lin en guise de monnaie dans toutes les opérations d’échange69. On cultivait sur son territoire fertile le lin,le coton, le blé et l’orge. C’était une ville marchande, et on compte parmi ses habitants des commerçants andalous opulents. Son commerce maritime vers l’Andalousie et l’Ifriquia s’effectuait par le port de la langue “Buhayrat Aryag” appelée également “Mersa Zerga” (port près de Moulay bouselham). Ibnou Oudari situait Jabal Moussa, à neuf miles de Sebta, comme l’endroit idéal pour la pêche des perles70.

     



    Ainsi, le Maroc fut sous les Idrissides une plaque tournante de transactions portant sur l’importation et l’exportation de diverses marchandises71 entre le Soudan et l’Orient. L’historien et l’amine des douanes marocaines Zayani rapporte la première convention de délimitation de frontières entre Idriss Al azhar et Ibrahim Ibnou al Aghlab72. Cette première démarcation de territoire démontre l’intérêt de l’autorité centrale au Maroc à contrôler l’activité commerciale avec le monde extérieur. Une telle activité était évidemment génératrice de revenus pour le makhzen Idrisside, et lui permettait ainsi, d’étendre son autorité sur le pays. La participation de l’Etat à l’activité économique et douanière au large des cotes de l’océan atlantique est une réalité notée par les historiens et voyageurs de commerce de l’époque Idrisside. L’administration portuaire, l’organisation administrative, la fiscalité, l’encadrement juridique en sont les aspects les plus visibles. Ainsi, la zone portuaire était placée sous l’autorité directe du Sultan. En particulier, les espaces portuaires les plus importants étaient sous contrôle de l’état qui surveillait également la construction des navires et leur location à des fins commerciales. L’organisation et les procédures douanières ont du s’effectuer dans un système d’interpénétration des domaines commercial et militaire qu’on ne peut malheureusement décrire en l’absence de documents ou témoignages probants. Il n’en demeure pas moins que la fiscalité, et particulièrement les taxes douanières, représentaient un facteur majeur de la présence du pouvoir central dans le commerce inter régional et particulièrement le commerce maritime.

     

    L’étude de l’histoire du Maroc démontre que l’autorité de l’Etat s’est toujours établie sur la base de facteurs religieux, mais surtout grâce à la maîtrise des ressources financières du pays dont principalement les recettes douanières. Ainsi, comme l’affirme Harakat74 l’avènement des Almoravides avait comme base, en plus des facteurs politiques et religieux, des objectifs économiques: la supervision de l’axe caravanier Sijilmassa-Oudaghoucht par les tribus Amazigh du Sud.



    Ce contrôle du mouvement des marchandises permettait à ces tribus (connues sous le nom d’Al Moulatamines) de percevoir des droits de passage qui furent, en l’absence d’organisation administrative spécifique, considérés comme de véritables droits de douane. Le terme utilisé pour le droit de douane était le Meks (moukous au pluriel). Ce terme semble comprendre toutefois tous les impôts relatifs aux transactions commerciales : droits de marché, droit de régie et droits de portes.

    Les historiens s’accordent à constater que c’est sous le règne des Almoravides que le Maroc est sorti de son isolement. La paix établie par les Almoravides et plus encore par les Almohades a dû faire régner la sécurité au Maghreb - et pour un certain temps en Afrique du Nord. Cette sécurité fut si nécessaire pour développer et maintenir des relations commerciales stables avec le monde extérieur. Dans ce contexte, le commerce saharien ne fut jamais aussi florissant que sous les Almoravides qui avaient une prépondérance absolue sur les deux rives du Sahara. Paradoxalement, ce furent les Almoravides qui vont adopter, sous l’impulsion de leur chef spirituel Abdallah Ibn Yacine, une organisation financière conforme aux prescriptions coraniques les plus orthodoxes en matière de perception d’impôt. Ainsi, les moukous dont l’application a donné lieu à beaucoup de controverses ont été considérés comme des contributions illégales et furent tout simplement supprimées pendant la première décennie de leur règne.

    ”Sur la plainte des gens de Sijilmassa, qui se disaient opprimés par leur Emir Messaoud Ben Ouanoudim El Maghraoui, les Morabitines marchèrent sur cette ville et s’en emparèrent. Ayant ensuite rétabli l’ordre dans ce pays en faisant disparaître les abus qui choquaient la religion et en supprimant les contributions illégales telles que les ”Magharem” et les ”Mokous”, ils re p r i rent le chemin du désert. Avant de partir, ils relèveront la dîme partout et confièrent le gouvernement du pays à des officiers de leur propre nation75” .

    Cette décision d’abolir les taxes fiscales touchant le commerce extérieur se justifiait selon certains auteurs par le fait que l’intense activité commerciale à l’intérieur de l’empire générait un revenu très important au Bit Al mal de l’Etat. Cela n’a pas empêché qu’un début d’organisation des missions de contrôle douanier des mouvements des marchandises a été enregistré sous le règne des Almoravides. Il y a lieu de rappeler à cet égard que dès l’an 484 de l’hégire, l’Andalousie était sous le contrôle administratif de l’Empire Marocain.

    S’inspirant du modèle des Omayades en Andalousie, l’Etat Almoravide introduisit au Maroc une série de réformes touchant ses propres structures. C’est ainsi que fut instauré le système de la ”Hisba” avec la nomination de plusieurs mouhtassib dans les principales villes et notamment les villes portuaires. Le régime de la “hisba” aurait donc précédé le régime de “l’amana” en ce qui concerne la gestion des affaires douanières au Maroc. Ibn Khaldoun dans sa définition des missions du mouhtassib précise que ce dernier était chargé également du contrôle de l’embarquement et du débarquement des marchandises des navires.

    Si la thèse de l’abolition des moukous a été avancée par l’auteur de Raoud Al Kistas, tous les indices rapportés par d’autres historiens s’accordent à conclure que l’application de cette mesure fut tout à fait relative et temporaire. Ainsi, il y a lieu de croire que les moukous supprimés n’auraient concerné que l’imposition du commerce intérieur. Le commerce extérieur, source de la puissance financière de l’Etat, n’aurait pas fait l’objet de l’abolition. Cette tendance est confirmée par Boutchi dans ses recherches sur l’histoire économique et sociale du Maroc sous le règne des Almoravides. Le chercheur constate en effet, l’existence de deux catégories de commerce : le commerce des caravanes et le commerce de gros76.

    Le premier élément de ces mouvements fut décrit par El Idrissi comme une activité animée par les commerçants du Sahara. Ces derniers importaient de l’or, les cuirs et l’ivoire du Soudan. Ils y exportaient le sel, le cuivre et des ouvrages en métaux. Ibn Khaldoun disait à propos de ces animateurs du commerce transaharien : “Ainsi, nous trouvons que les commerçants qui rentrent au Soudan sont les plus prospères et ceux qui ont le plus d’argent”.

    Le commerce de gros ou commerce libre, était animé par des riches négociants par l’intermédiaire des “wakil77”. Ceux-ci furent généralement chrétiens ou juifs. Ils exerçaient une activité de négoce dans les transactions commerciales internationales. Le géographe, Ibnou Saïd, met en valeur la prospérité de cette activité en décrivant dans son ouvrage “Kitab Al Joughrafia” une transaction au port de Sebta : “Ils achetèrent le grand bateau chargé de marchandises des Indes en une seule transaction”.

    En procédant à l’analyse de la situation des commerçants marocains à l’époque des Almoravides, Nasseh78 décrit exhaustivement l’organisation des caravanes commerciales à cette époque. Il démontre que c’était l’Etat qui organisait les caravanes du commerce extérieur et les encadrait également. Dans sa contribution à l’histoire économique sociale et politique du Maroc médiéval El Alaoui constate : ”depuis l’avènement des Almoravides, le commerce transaharien devient pour le Maroc une activité essentielle, surtout à une époque où le pays était le centre d’un vaste Empire79.

    Le développement de ce commerce extérieur qui procurait aux souverains maghrébins et soudanais l’essentiel de leurs revenus s’expliquait d’autre part par la complémentarité économique des deux empires de l’époque. Le Maghreb abondait de cultures céréalières et arbres fruitiers, notamment le blé, la vigne, le figuier et le dattier. Il pouvait subvenir aux besoins des populations du Sahara et du Sahel soudanais dont la production agricole se limitait aux oasis. Par contre, le Maghreb était dépourvu de quelques produits végétaux et animaux qui ne pouvaient se trouver qu’aux tropiques ou au Sahara : il s’agit de la gomme arabique, l’ivoire, l’ambre, les peaux de chèvre, et l’oryx. Outre l’écoulement de ses produits artisanaux, le Maroc bénéficiait de sa position au carrefour des courants commerciaux de la Méditerranée occidentale, pour jouer le rôle d’intermédiaire entre cette dernière et les royaumes soudanais . Il approvisionnait le Soudan en diverses marchandises manufacturées provenant des pays musulmans et chrétiens de la Méditerranée. Simultanément, il ravitaillait les Européens et les pays d’Orient en produits sahariens (l’or en particulier).

    La ville de Sijilmassa, contrôlait la route saharienne la plus fréquentée par les caravanes. Elle devint ainsi au milieu du XIème siècle l’un des centres caravaniers les plus importants du monde après le déclin de la ville d’Aghmat qui fut le premier grand centre de commerce caravanier international. Al Idrissi classait les commerçants d’Aghmat de la tribu des Hawara, parmi les plus prospères du Maroc. Il précise à ce sujet :

    “Ils rentrent au territoire du Soudan avec des centaines de dromadaires chargés de cuivre rouge, de couverture, de tissu de laine, de turbans, de perles, de parfums, de pierres précieuses et d’outils en fer forgé”.

    Cependant, après la découverte des mines de sel de Tatnatal situés à 20 jours de marche de Sijilmassa, les caravanes avaient abandonné l’emprunt de l’itinéraire littoral qui passait par les villes du Sous. Elles utilisaient désormais l’axe Sijilmassa Toumbouktou. Ce fut l’un des premiers axes où se seraient établies des structures douanières. A travers cette organisation le makhzen Almoravide contrôlait une intense activité de transit de caravanes transahariennes. Ces caravanes étaient en effet soumises au versement d’un tribut intitulé, selon la terminologie de Ibn Hawkal80, ”Al laouazim” (droits sur le commerce).

    En contrepartie de cette contribution, l’Etat offrait aux commerçants caravaniers :

    1) la sécurisation des parcours, la sécurité des biens, et celle des personnes. Il s’agissait de l’une des premières missions de la douane au Maroc. Elle consistait à organiser et à encadrer les caravanes commerciales à l’échelon international81.

    2) La garantie de l’unicité de l’impôt qui, pour la première fois de l’histoire du Maroc, fut perçu par une autorité relevant du pouvoir central.

     Dès lors, on peut se demander si le contrôle du commerce caravanier n’était-il pas l’une des premières missions douanières du makhzen Almoravide ? En effet, les auteurs chrétiens ou arabes qui ont décrit le Maroc médiéval s’accordent pour attribuer une grande importance à l’activité du commerce transaharien. Ce négoce constituait la source la plus importante des revenus pour le trésor marocain. Les caravanes devaient payer, en espèces ou en nature, des taxes sur les marchandises qu’elles transportaient au départ ou à l’arrivée dans les villes.

    Nous n’avons pas pu trouver de références concernant la nature et les quotités des taxes perçues par le makhzen Almoravide. Mais on peut supposer que les taux variaient selon le type de marchandises. La méthode de perception des droits dus au trésor marocain n’a pas été précisée par les auteurs de cette époque qui nous avaient pourtant informé sur la pratique de perception des pays voisins.

    D’après Al Bekri, les droits d’importation dans le Royaume acquittés sur les marchandises en provenance de Gênes étaient calculés par charge d’âne82 comme suit :

    - 1 dinar pour le sel ;

    - 5 dinars pour le cuivre ;

    - 10 dinars pour les autres produits.

    Ibn Hawkal nous donne une idée sur l’importance des recettes douanières émanant du commerce caravanier. Ala fin du Xème siècle rapporte-t-il, la ville de Sijilmassa, le plus grand centre caravanier de l’Afrique du Nord rapportait à l’époque 400.000 dinars par an, soit 1.624 kgs d’or environ83

    Au plan maritime, les traités politiques qui, dès la fin du XIème siècle, lièrent les rois de Sicile aux Emirs des pays du Maghreb, avaient eu nécessairement des conséquences favorables pour le commerce. Si rien n’était défini encore par des actes écrits sur les conditions selon lesquelles ce commerce pouvait s’exercer, des sauf-conduits étaient au moins délivrés ou garantis, sous une forme quelconque aux navigateurs siciliens pour s’y livrer à des activités de négoce. Pise et Gênes ne tardèrent pas à s’entendre avec les sultans Almoravides pour confirmer par des traités précis les usages et les premières conventions verbales ou écrites qui leur permettaient de fréquenter en sécurité les ports marocains84.

    Dans ce contexte, tout porte à croire que les premières dispositions douanières appliquées pour ces transactions furent d’abord verbales. Il arrivait souvent que les conditions générales du traité une fois convenues et résumées verbalement, étaient confirmées, sans écriture, par une affirmation publique, par une poignée de main ou par un serment, et le traité était dès lors scellé. Habituellement, une lettre remise au plénipotentiaire constatait le fait même de l’accord. Ce document rappelait, en général, les principales garanties assurées aux chrétiens, telles que la sécurité des personnes (Al Amane) et la liberté des transactions. L’usage et les précédents réglaient ensuite les questions secondaires qui se rattachaient au séjour, aux douanes, aux ventes et aux achats des marchands.

    La procédure diplomatique ne tarda pas à se développer. Bientôt, on écrivit les engagements secondaires acceptés verbalement par les deux parties concernées. On ne se borna plus à l’échange de lettres de bonne entente et d’amitié. Déjà dans une lettre de l’archevêque de Pise au Sultan Youssef Ibnou Tachfine, en l’an 1181, l’archevêque invoquait, à l’appui de ses réclamations, un traité écrit qui n’était peut être pas une simple lettre ou diplôme au calife85.

    Youssef Ibn Tachfine serait le premier empereur marocain qui négocia un traité écrit comportant des aspects douaniers avec une puissance étrangère. A la menace de l’empereur marocain d’attaquer les places fortes du Royaume de Sicile, Roger II fut enclin à envoyer en 1121 des émissaires au Maroc dans le but de conclure des traités commerciaux en échange d’un tribut calculé en fonction des importations et des exportations86. Depuis, les sultans Almoravides trouvant avantage à ces relations, n’hésitaient pas à prendre quelquefois l’initiative. En 1133, deux galères africaines vinrent à Pise avec des envoyés du Sultan Yahia Ibnou El Aziz. Le 26 juin de la même année, un traité de paix et de commerce fut signé par les représentants du Sultan avec la République de Pise. Le pacte comprend aussi les Etats de l’Emir de Tlemcen, et mentionne un troisième personnage, peut-être l’Emir des Baléares, ou l’Amiral de la flotte Almoravide, le Caïd Mimoune87. Etant signataire d’une convention sur le commerce extérieur, ce responsable aurait été chargé des questions douanières et serait le premier responsable douanier connu dans l’histoire des douanes au Maroc?!

    Xavier Le Cureul88 qui confirme cette avancée européenne cite un auteur non identifié du XIIème siècle qui constatait : ”la douane exigeait des droits très forts pour l’importation des produits européens. Les marchands payaient la “décime” comme à Tripoli, à Tunis et à Bougie. Ils devaient en outre acquitter une autre contribution appelée “mangona”89 qui était la seizième partie en argent de la valeur de l’objet importé”.

    Enfin, lorsque les commerçants européens avaient vendu leurs marchandises, ils étaient tenus de verser entre les mains des officiers de la douane de l’empereur, 1% du prix de chaque article, ce droit s’intitulait “intalaca”. 

    Compte tenu de ces éléments, on peut conclure que le commerce extérieur au Maroc qui s’est épanoui sous les Almoravides se caractérisait par les aspects suivants :

    1) bien qu’initié par l’entreprise privée, l’Etat de l’époque était un partenaire qui participait à l’organisation et à l’encadrement ;

    2) les Almoravides ont instauré au Maroc la première organisation financière centralisée qui incluait les procédures douanières ;

    3) cette organisation avait comme principale assise les taxes douanières sur le commerce extérieur imposées aux commerçants (allaouazim Ala Attoujar ) ;

    4) la conquête du pouvoir politique s’est réalisée après la maîtrise des axes du commerce extérieur qui fut essentiellement un commerce transsaharien.

     

    Après avoir acquitté les taxes douanières, les marchandises étaient mises en libre pratique dans toute l’étendue du pays à l’exception des villes de Fès, Rabat, Meknès et Marrakech. Ainsi, comme en témoigne un commerçant italien90 de l’époque:

    ”Après avoir payé la décime et la mangona, les négociants européens pouvaient faire le commerce dans toute l’étendue de l’Empire et vendre ou acheter toute espèce de marchandise, mais il ne leur était pas permis d’aller à Fès, à Rabat, à Meknès et à Maroc”91.

    Sur les excès de zèle des douaniers de l’époque Almoravide Ibnou Rochd rapporte que pendant qu’un commerçant se plaignait des taxes que lui réclamait “Al Achir92” ce dernier lui demanda d’acquitter les droits d’abord et de “se plaindre auprès de qui de droit s’il le désire”. D’où le proverbe arabe critiquant les percepteurs des taxes “Atkalou mine ghanime” (plus lourd qu’un percepteur de droits) .

    Il apparaît donc clairement que contrairement à ce qu’avancent certains chercheurs, le pouvoir Almoravide ne s’était pas limité uniquement à la conquête militaro-administrative. L’Etat avait joué un véritable rôle de développement économique grâce à un système de gestion des finances qui s’appuyait principalement sur les recettes douanières. Avec l’étendue du territoire sous le règne des souverains Almoravides, “l’Austère Emirat” comme le qualifiait “Ibnou Zaraa” ne tarda pas à devenir un immense royaume depuis l’avènement du successeur de Youssef Ibn Tachfine, Ali IBn Youssouf au XIè m e siècle. L’origine de cette richesse, était en fait, principalement due à l’efficience du contrôle douanier qu’exerçait le jeune pouvoir Almoravide sur les principaux passages d’échanges de marchandises entre le Maroc et l’Andalousie d’une part et le Maroc et le Soudan d’autre part. Abdoullah Ibn Yassine avait conquis d’abord le grand centre de commerce d’or ”Sijilmassa”. Il organisa ensuite une expédition vers le sud pour la conquête ”Ouadaghoust”. Puis remontant vers le nord, il occupa ”Taghmat” avant de se lancer vers les riches territoires de ”Tamsna”. Le pouvoir politique Almoravide avait donc été basé sur le contrôle des mouvements des caravanes et des importantes recettes douanières perçues en conséquence. La nécessité de centralisation de ces contrôles aurait amené les Almoravides à choisir un centre plus adéquat géographiquement. Dans ce contexte et cette perspective, fut fondée, en 1062, la ville de Marrakech qui servit du coup en même temps comme capitale politique93 et économique du Maroc.






    En effet, les négociants qui voulaient rentrer dans ces villes étaient tenus de payer une seconde fois la dîme. Ce principe de double fiscalité douanière instauré dès le XIIème siècle va en effet subsister à l’entrée de certaines villes impériales jusqu’au début du XXème siècle comme ce fut le cas de “l’achour de Dar Ennajjarine” à Fès.

     

    NAISSANCE ET ÉVOLUTION DU DROIT DOUANIER TRADITIONNEL

    (L’ère Almohade)94

    Cette dynastie musulmane d’origine berbère réunit aux XII et XIIIème siècle pour la première fois un immense empire, de l’Atlantique à Gabès et à l’Andalousie. L’ère des Almohades s’est surtout caractérisée par le développement du commerce extérieur du Maroc suite à l’ouverture et au développement de relations commerciales maritimes privilégiées avec les pays européens. Sijilmassa, porte de l’or, les ports de Salé, d’Arzila, celui de Sebta, où abordaient Pisans, Génois et Marseillais avaient favorisé le commerce avec l’Afrique noire mais surtout avec l’Europe. Le Nord de l’Afrique, prospère, riche et industrieux, offrait un champ bien digne d’intéresser les entreprises du commerce européen. Les écrits des géographes et des historiens arabes de ces temps sont intéressants à consulter à ce sujet. De même, les sources médiévales du XIIème au XVème siècle permettent à l’historien des études, d’ample horizon, fondées sur des données précises. Les documents de Gênes, Venise, Naples nous font connaître les contrats des marchands et des armateurs ainsi que les traités économiques tenus au quotidien : ce sont les sources notariées d’abord génoises depuis le milieu du XIIè m e siècle, mais qui s’étendent ensuite progressivement dès la fin du XIIIème siècle, à l’ensemble du bassin Méditerranéen. Au plan douanier, il convient de signaler que des manuels des marchands de l’époque (“pratiche dimercatura”) nous donnent les tarifs des droits d’entrée et de sortie entre toutes les places marchandes. Cet ensemble d’information permet à lui seul de se faire le panorama fiscal de la Méditerranée médiévale.

    Or, si grâce au recoupement de ces sources il serait possible de recouvrir la quasi-totalité de l’espace économique et douanier méditerranéen de l’époque, on peut légitimement déplorer qu’il ne soit conservé aucun registre notarié et aucun document comptable provenant des ports marocains95. Dans une intervention au colloque international d’histoire maritime organisé en 1959 à Paris, le chercheur Bussom notait à propos des sources arabes que le Maroc a du avoir des archives très riches, car ajoute-t-il, Levi Provençal avait publié une série importante d’actes officiels Almohades de la fin du XIIème siècle, qui se trouvaient à Fès et qui devaient être parmi les archives personnelles du Chérif Abdelhaï El Kettani. Une trentaine de ces documents, intéressent le trafic Ceuta-Marseille-Gênes. Lors de ce même séminaire, Bautier, membre de l’école française de Rome notait qu’à Barcelone, à Gênes et ailleurs il y a des indications de relations directes avec Ceuta. Graux, Conseiller du commerce extérieur de la république française remarque dans un rapport établi en 1927 que : ”contrairement aux prétentions qui ont pu être élevées par tels auteurs mal avertis de la vérité historique, ce sont les Français qui les premiers arrivèrent au Maroc en 1260. Bien plus tard, le 4 mai 1381, des brigantines et des galères valenciennes, sous le pavillon blanc et jaune de la croix de Saint Jacques entraient dans le port de Salé. L’Amiral était espagnol”.

     

    Ainsi, le Maghreb profita de sa situation tampon, et ses ports devinrent des points de relais de la navigation entre l’Egypte et l’Espagne. Le commerce avec l’Italie et le Soudan fut encore une source de grandes richesses pour les Sultans du Maroc. On s’est demandé si, durant les trois années qui s’écoulèrent entre la prise des ports de l’Ifriquia et sa mort en juin 1163, le Sultan Abdelmoumen aurait permis aux chrétiens d’Europe de commercer avec ses Etats d’Afrique, ou s’il persista dans l’intolérance dont il avait, dit-on, donné l’exemple à la prise de Tunis.

    La conjoncture politique l’avait peut-être empêché d’accorder ses faveurs aux Pisans et aux Siciliens. Mais l’activité remarquable du commerce génois avec les diverses cités du Maghreb pendant tout son règne, témoigne d’une façon bien évidente, qu’il fût en réalité favorable au commerce avec les peuples étrangers. Vers l’année 1153 ou 1154, il avait conclu avec la République de Gênes un traité pour assurer la paix et les bons rapports entre leurs sujets (les commerçants essentiellement). C’est en observation de cet accord, peut être oral encore, mais connu dans tous les ports et sur toutes les flottes de l’empire, que huit galères Almohades ayant cerné à Cagliari un vaisseau génois venu d’Alexandrie avec une riche cargaison, cessèrent leur attaque aussitôt qu’elles connurent son identité. En 1161, peu après le retour du Roi dans l’Ouest, les Génois renouvelèrent leurs traités avec une solennité particulière. Le Consul Ottobone, de la noble famille des Camilla, se rendit auprès d’Abdelmoumen, en qualité d’Ambassadeur de la République, et fut entouré, durant tout son voyage, des plus grands honneurs. Reçu à Marrakech, il y conclut un traité qui assura dans toute l’étendue des terres et des mers Almohades la liberté des personnes et des transactions des sujets et des protégés de la République. Le traité fixa à 8 % les droits à percevoir sur les importations génoises dans tous les pays du Maghreb. Par dérogation à cet accord, le tarif était élevé à 10 % au port de Bougie, attendu que le quart du droit perçu dans ce port devait faire retour à la République de Gênes. 

    Rabat et Tanger étaient devenues alors de grandes plaques tournantes des échanges commerciaux basés essentiellement sur l’importation des étoffes, des armes et de la friperie et l’exportation de la laine, du cuir, des fruits secs, de la cire et du miel. L’occupation de Mehdia96 en 1161 fut l’occasion pour le Royaume de Gênes de s’intéresser de nouveau à l’Empire Almohade. En cette même année, une ambassade présidée par Ottobono est dépêchée auprès du Sultan pour négocier et signer un traité commercial liant les deux Etats pour une durée de 15 ans. En vertu de cet accord, Gênes payait un tribut proportionnel aux échanges commerciaux entre les deux pays. En contrepartie , les commerçants génois bénéficiaient d’un monopole de commerce au Maghreb avec fixation d’un droit d’entrée de 8 %. En 1177 Gênes ouvrit un comptoir de commerce à Larache97 .

    La république de Pise envoya en 1166 une ambassade à Marrakech auprès du Sultan Youssef (1163-1182) pour conclure un traité de paix et de commerce. Ce même traité fut renouvelé en 1186 par le Sultan Abou Yacoub (1184-1199). Après la libération en 1160 du port de Mehdia, Venise, rivale de Gênes, en profita pour établir des relations commerciales avec l’Empereur Abdelmoumen. En l’an 1213, le Comte de Toulouse Raymond VII prit contact avec le Sultan An-Nassir pour lui demander une aide militaire. Dans la foulée, des commerçants français de Marseille exercèrent librement le commerce à Sebta.

    Les Pisans obtinrent au XIIème siècle, d’Abou Yacoub Youssouf Ibn Abd El Moumen des privilèges qui leur avaient été déjà octroyés dans le passé, notamment le droit de foundouk, monopole qu’ils exercèrent à Zouïlla, faubourgde Mehdia, pour le magasinage de toutes les marchandises d’importation et d’exportation. 

    Le 18 novembre 1186, le Calife Abou Yousouf Yacoub Al Mansour signa avec la République de Pise un traité qui fixa le droit de perception du gouvernement Almohade sur toutes les ventes par les négociants de Pise aux sujets musulmans à 10%98. Les transactions entre chrétiens étaient dès lors exemptés de droits. La taxe douanière était recouvrée en nature ou en espèce, le plus souvent après la vente définitive de la marchandise. Le taux uniforme de 10 % était à peu près le même dans tous les ports du Maghreb et si unanimement admis qu’on l’appelait “le dixième”.

    Cette ouverture du Maroc, à travers sa façade maritime, sur le commerce européen s’est traduite par le développement d’un intense courant d’échanges. Les postes douaniers étaient devenus dès lors un point incontournable de contrôle de cette importante activité commerciale. Plus qu’une administration de contrôle, la douane était devenue une enceinte où s’effectuaient les échanges entre commerçants musulmans et chrétiens. Dès le milieu du XIIème siècle, il se formait à Gênes par contrats notariés, des sociétés de commerce pour faire acheminer des marchandises sur divers points des côtes maghrébines. Des marchands, des armateurs entraient dans ces associations. Tantôt le voyage du navire s’étendait à toute la côte, en passant par la Sicile, avec retour par Séville. Tantôt l’opération était limitée au voyage d’allerretour à un des ports de l’Empire Almohade (Tunis, Ceuta, Salé, Rabat, Tanger). Les opérations de cabotage s’étaient multipliées entre les ports marocains, car la voie maritime fut à cette époque le moyen le plus sûr d’acheminement des vivres et des provisions, aussi bien pour le makhzen que pour les commerçants. Les métaux, surtout le cuivre, entraient pour beaucoup dans les importations. La douane avait évidemment pour tâche le contrôle de cette intense activité de commerce maritime. La plupart des actes d’association de cette nature qui nous sont connus concernent le règne d’Abdelmoumen, et presque tous, se rapportent aux dernières années de son règne. 

    Les Génois s’assurèrent également des privilèges commerciaux, par des traités de 1143 et 1161, dans le Royaume de Murcie et de Valence, qu’Abdelmoumen avait laissé subsister avant de les rallier à la souveraineté Almohade en 1172. Cependant, les relations commerciales intenses avec le monde extérieur ne furent effectivement établies que sous le règne du fils d’Abdelmoumen. En 1166, une mention de ce regain d’activité est particulièrement spécifiée dans cette chronique diplomatique :

    ”Le 6 mai 1166, l’un des consuls de la république Coccogriffi, employé dans une ambassade à Costantinople, où il s’était distingué, partit de Pise et se rendit auprès de l’Amir Al Mouminine, alors Abou Yacoub Youssouf, fils d’Abdelmoumen. En négociant un traité avec le Sultan, il devait aussi veiller au sauvetage et au rapatriement d’une galère pisane”99.

    A l’occasion de ces négociations de paix et de commerce, le Sultan Youssouf paraît avoir rendu aux Pisans les franchises douanières et les possessions auxquelles ils avaient autrefois droit dans les territoires de l’Afrique du Nord. Il leur reconnut notamment le droit de foundouk (hôtel des douanes) à Zouila100.

     

     

     

    Ces témoignages de sources européennes101 signalaient en fait que les douanes au Maroc comptaient parmi les grands services de l’Etat. Dès leur débarquement, les marchandises étaient présentées à la douane pour inscription sur un registre ad hoc avant d’être entreposées dans les foundouks (magasins de commerce sous douane tenus par des chrétiens)102. La douane procédait ainsi à une prise en charge comptable systématique de toutes les marchandises en mouvement dans les enceintes portuaires ou dans les foundouks. Des procédures et techniques douanières de prise en charge, contrôle et apurement étaient soigneusement instaurées dès cette époque. A l’analyse, il en ressort que les procédures du droit douanier contemporain en sont, aujourd’hui encore, très particulièrement proches.

    UNE ORGANISATION DOUANIÈRE D’AVANT GARDE

    A la suite de la conquête du pouvoir en 1145 entamée par le Sultan Abdelmoumen, la plupart des grandes villes d’Afrique du Nord tomberont d’elles même. Tlemcen s’ouvrit la première et puis les autres cités seront gouvernés sous l’autorité Almohade. Deux préoccupations s’imposaient presque simultanément à l’attention des Sultans almohades, solidement implanté dans cet angle de l’Afrique qui correspond au Maroc actuel : d’une part, soutenir la cause des musulmans d’Espagne, d’autre part trouver une bonne frontière à l’Est. Abdelmoumen, dans sa pleine maturité, jugea que le sort de l’empire se déciderait en Afrique, et que l’Espagne suivrait à la remorque. A deux reprises dans le cours de sa carrière, mis en demeure de choisir entre les deux politiques, il s’engage à fond dans la politique africaine. En deux campagnes, le Sultan Almohade avait subjugué les Arabes hilaliens et abattu la puissance chrétienne pour construire le grand empire marocain. De son camp, il prenait les mesures les plus appropriées à doter le trésor impérial sans pressurer ses concitoyens. Maître d’un immense territoire qui s’étendait depuis Tripoli jusqu’au cap Noun103, il ordonna qu’on fasse l’arpentage de ses provinces. L’impôt foncier fut proportionné à la richesse du sol et les taxes douanières furent intimement liées à l’activité maritime du commerce extérieur avec les nations européennes.

    C’était le plus remarquable essai de régularité administrative qu’on pouvait constater à cette époque dans un état moderne de la région euroméditerranéenne. Plusieurs sources confirment l’immensité du territoire douanier marocain et grâce aux nombreux témoignages nous pouvons délimiter les contours de ce territoire104. Au XIIème siècle, la dynastie almohade florissait sur les deux rives de la méditerranée105. Selon Ibn Al Atir, le Sultan Abdelmoumen fit étendre en 1206 l’autorité du makhzen Almohade à l’Est jusqu’au Jabel Nafoussa au Sud Ouest de Tripoli. La ville de Kafssa au Sud Ouest de Tripoli conquise par Al Mansour en 1187 était le poste douanier le plus avancé au Sud Est de l’Empire. C’est à partir de ce poste que la douane contrôlait les échanges commerciaux avec le grand centre commercial soudanais de Warklane au Sud. Ibn Fadli Allah al Omari et Ibn Abi Zaraâ délimitaient les frontières sud marocaines au XIIème siècle par une ligne de démarcation qui prenait naissance à Tripoli à l’Est passant par l’ouest les monts de Nafoussa, les centres de Kafssa, Sijilmassa, Arki et Noul Lamta sur le littoral atlantique. 

    Leon l’Africain106 rappelle, dans sa description, que les anciens navigateurs européens avaient donné le nom de cap Noune à un promontoire jusqu’où ils suivaient la côte d’Afrique pour cingler ensuite vers les Iles Canaries. Ce cap fut longtemps le point le plus méridional et le plus occidental fréquenté par les commerçants européens sur cette côte. Le nom de cap Noun, lui avait certainement été donné par les navigateurs européens, parce qu’ils atteignaient de là l’Oued Noune, vallée peuplée et commerçante. Il est très probable que ce repère se situe dans la zone d’Ifni près du marabout ”Sidi Warzik”107. Quant aux frontières Nord , on peut dire qu’elles furent très mobiles et mouvantes au gré des guerres qui opposaient à l’époque les musulmans et les chrétiens d’Espagne.

    En résumé, il y a lieu de constater qu’au XIIème siècle, au moment même où les guerres de croisades redoublaient dans l’Orient musulman, un mouvement contraire, fondé sur les bonnes relations et le commerce se prononça dans l’Occident. Avec l’avènement des Almohades, l’espace douanier marocain englobait la majeure partie des ports maghrébins et de l’Andalousie. Les principales nations chrétiennes y possédaient des établissements permanents, y entretenaient des consuls et des négociants pour protéger leurs intérêts et diriger leurs affaires. C’est dans ce contexte qu’il y aurait lieu de chercher les fondements et sources de l’organisation des nouvelles structures des douanes que le makhzen Almohade s’appliquait à mettre en place avant de perdre ses possessions orientales de l’Afrique et de l’Espagne. Cette restructuration s’imposait en fait compte tenu de deux facteurs historiques qui caractérisaient le commerce extérieur marocain de l’époque, à savoir : la présence massive des négociants chrétiens dans les ports marocains et la multiplication des conventions commerciales avec l’Europe. 

    Ces traités avaient établi les conditions favorables sur lesquelles ont reposé, pendant des siècles, les rapports des nations chrétiennes avec le Maroc notamment en matière de législation douanière. Comme l’observait n 1868 De Mas Latrie, cette nouvelle réglementation s’inscrivait dans un esprit libéral conforme ”aux principes du droit des gens pratiqué en Europe” . Les traités, comme les privilèges royaux, qui n’étaient souvent à l’époque, qu’une forme particulière donnée à la promulgation des conventions commerciales, renfermaient deux ordres de mesures et de prescriptions :

    1) les garanties stipulées pour la protection des personnes et des biens chrétiens; 

    2) les obligations incombant aux commerçants chrétiens, en retour des droits qui leur étaient accordés.

    Ainsi, la plupart des garanties offertes par le makhzen marocain, dans ce domaine, étaient du ressort de l’administration douanière. Tel fut le cas notamment des prérogatives concernant :

    1) la liberté des transactions commerciales ;

    2) la juridiction et la responsabilité des consuls ;

    3) la propriété des foundouks de commerce ;

    4) la protection des naufragés ;

    5) les droits d’épave ;

    6) les garanties pour le transport, la garde, la vente et le paiement des marchandises ;

    7) la réexportation en franchise des marchandises non vendues ;

    8) l’acquittement des droits et taxes après cession sur le territoire marocain.

    Il en fut de même pour les devoirs et obligations d’ordre général et de police concernant les marchands chrétiens dont on peut citer notamment :

    - l’ouverture des ports au commerce ;

    - l’acquittement des droits et taxes à l’importation et surtout à l’exportation ;

    - les mesures contre la contrebande ;

    - le droit de préemption ;

    - l’arrêt de prince ;

    - la réciprocité de protection et le traitement dû aux sujets et marchands arabes.

    Tels se présentaient, à cette époque, les principaux points du fondement d’un véritable droit douanier marocain qui, comme on peut le constater, fut élaboré dès les débuts du XIème siècle. Compte tenu de son importance et de la valeur historique de ses éléments, nous nous proposons d’en expliciter les traits saillants pour permettre de saisir le sens de son évolution depuis cette époque jusqu’à l’instauration des nouvelles règles douanières qui régissent aujourd’hui les échanges commerciaux extérieurs au Maroc.

     

    UN TERRITOIRE DOUANIER A GEOMETRIE VARIABLE

     

     

    Les Pisans, les Florentins, les Génois, les Vénitiens, les Siciliens, les Marseillais, les Majorcains, les Aragonais, et avec ces derniers les habitants du Roussillon et du comté de Montpellier, sujets jusqu’en 1349 des rois de Majorque ou d’Aragon, étaient les principaux marchands européens qui aient eu ce genre d’établissements commerciaux dans les territoires du Maghreb.

    Les villes où se trouvaient leurs foundouks les plus importants étaient Tunis, El Mehdia, Tripoli, Bone, Bougie, Tlemcen, Ceuta et Oran. Les Pisans et les Génois eurent aussi des comptoirs à Gabès, Sfax et Salé, dès le XIIème siècle. Mais les traités signalent rarement ces désignations locales. C’est très incidemment, dans un document d’Aragon, que nous apprenons que le commerce de Gênes avait une agence permanente et des franchises particulières à Djidjelli, ville voisine de Bougie, dont il n’est pas fait mention dans les documents génois. Il n’y avait pas lieu d’ailleurs d’établir partout de vrais foundouks ; dans les villes secondaires où les nations européennes étaient autorisées à faire le commerce, il leur suffisait d’avoir un local quelconque, distinct des autres factoreries chrétiennes, où elles déposaient leurs marchandises sous bonne garde : ”Vous aurez dans nos villes des fondouks particuliers, disait le privilège du Sultan du Maroc aux Pisans, en 1358 ; et, à défaut de fondouks, vous aurez au moins une maison à vous seuls, séparée de celle des autres chrétiens. Chaque nation jouissait de la même faculté147.

    Les notaires chrétiens qui se trouvaient dans les foundouks, les chanceliers des consulats étaient souvent chargés de dresser les chartes de ventes. Seulement, dans ces cas et en général, pour toutes les ventes en dehors de lahalka et sans l’intervention des drogmans, la douane se trouvait dégagée de toute responsabilité.

    Et de tout ce que les Génois vendront hors de l’enchère et sans les inspecteurs ou les drogmans de la douane, sine callega, testibus vel tarcimanis, que la douane ne soit en rien tenue148.

    Cependant, bien que prévue par les conventions, cette procédure n’était pas toujours suivie par les commerçants, car elle n’offrait pas de sérieuses garanties ni pour l’acheteur ni pour le vendeur. Néanmoins, elle fut appliquée par les Génois qui étaient selon les traités libres d’acheter la laine et les cuirs directement dans les établissements de commerce. Elle était également suivie par les négociants Pisans qui exerçaient un monopole de commerce à Zouila près de Mehdia. Ces commerçants entreposaient leurs marchandises dans le foundouk qu’ils exploitaient en dehors de l’enceinte douanière.

    A l’importation, ces marchandises étaient admises dans le foundouk en suspension des droits et taxes jusqu’à leur vente définitive pour le marché local. A l’exportation, elles étaient acheminées à Zouila et entreposées dans les salles du foundouk. Le dédouanement ne s’effectuait qu’après leur cession pour le marché extérieur. Ce système de gestion s’assimile parfaitement au régime de l’Entrepôt en douane à l’exportation préconisé par la réglementation douanièer contemporaire.

    ORIGINE DE L’ORGANISATION DE LA

    FISCALITE DOUANIÈRE AU MAROC

    En fait, dès l’époque des Almohades, on n’avait plus recours à l’achour en douane qui signifiait étymologiquement un impôt usuel de 10 % de la valeur de la marchandise. Un ensemble de droits et taxes à caractère douanier était progressivement mis en place. La fiscalité douanière se composait dès lors, en sus des droits de base traditionnels à l’importation ou à l’exportation d’une multitude de taxes additionnelles fixées soit par des conventions soit par des usages locaux. C’est probablement durant cette période que le Maroc enregistra ce que l’on peut qualifier comme la première réforme de ses finances publiques. L’organisation des finances marocaines fut désormais établie selon des principes de gestion méthodique et centralisée. C’est ce qui ressort du témoignage d’Ibn Khaldoun qui cite dans ses prolégomènes :

    Sous les Almohades, le chef du «diwane» (administration des impôts) devait appartenir à la race dominante. Il dirigeait avec une autorité absolue la perception de l’impôt, il réunissait les recettes dans une caisse centrale et les faisait inscrire dans un registre. Il revoyait les états de ses chefs de services et de ses percepteurs….On le désignait par le titre de Sahib al Achghal. Quelquefois, dans les localités éloignées de la capitale, les chefs de service étaient pris en dehors de la classe des Almohades à condition qu’ils fussent capables de bien remplir l’emploi149.

    L’impôt douanier fut donc inclus dans ce système, mais bien que découlant des conventions signées entre les sultans du Maroc et les puissances commerciales de l’époque, il a traditionnellement gardé une connotation religieuse d’où son appellation de “l’achour”. “L’achour” se compose selon le droit musulman du dixième des récoltes agricoles et peut s’assimiler à un impôt de 10 % sur le revenu. Les travaux de recherche que nous avons pu entamer ne nous ont pas permis de recenser tous les droits et les taxes appliqués au commerce extérieur par les douanes Almohades à partir du XIIème siècle, mais on peut en citer les plus courants :

     

    I- LES DROITS DE DOUANE :

    Du moment que le commerce extérieur fut le principal avantage que le makhzen maghrébin souhaitait tirer de ses rapports avec les Européens, il était tout à fait naturel que des droits eurent été établis par les sultans de l’Empire. Plus tard, ces mêmes droits furent maintenus par les différents chef d’Etat en Afrique du Nord, à l’entrée et à la sortie des marchandises dans les territoires relevant de leur juridiction ou autorité. En général, les commerçants chrétiens, avaient à payer certains droits au trésor du makhzen pour les produits qu’ils arrivaient à vendre au sein de l’espace douanier marocain et pour ceux qu’ils exportaient. Une administration douanière, plus ou moins importante, mais ayant à peu près partout des règles et des procédés identiques, était établie dans les ports marocains ouverts au commerce.

    Les énonciations des traités s’avèrent insuffisantes pour suivre les fluctuations subies par les tarifs d’importation et d’exportation. Mais il est évident que les usages de l’époque et certaines conventions orales, librement débattues entre négociants et administrations douanières locales, suppléaient dans la pratique à tout ce qui manque à cet égard aux textes écrits. Le traité de 1186 entre la République de Pise et le Calife Almohade Abou Youssouf Yacoub établit nettement le droit de 10 % sur les importations, en laissant à l’usage le règlement de beaucoup de questions essentielles.

    Les Pisans doivent payer le dixième (décima) qui se lève sur eux suivant les coutumes anciennes et les traités bien connus, sans aucune augmentation ni aggravation à laquelle ils n’aient pas été soumis par le passé, à l’exception des marchandises vendues entre eux et à l’exception des navires. Dans ces deux cas on ne pourra exiger le dixième150.

    Dès lors, les distinctions essentielles s’établissent, les règles du régime fiscal des marchandises s’affermissent et bien qu’il reste encore beaucoup d’indéterminé dans les actes écrits, on peut y retrouver les conditions générales auxquelles avaient lieu les transactions de commerce international. Le commerce fut soumis, en principe, à deux sortes de droits intitulés : droits principaux et droits additionnels. Les uns et les autres se percevaient, avec de nombreuses exceptions, sur les importations et les exportations des produits. Le droit général sur les importations des nations alliées, c’est-à-dire celles qui avaient signé des traités de commerce avec le makhzen, fut de 10 % ; il varia peu. Le commerçant était tellement habitué à payer ce droit dans le bassin de la Méditerranéen, qu’on l’appelait partout le dixième, décima, décimum, ou simplement le droit, drictum. On omettait même quelquefois de le mentionner dans la traduction des traités, tant son exigibilité était notoire et générale. Les exportations étaient généralement soumises au taux de 5% advalorem ou au demi-droit : médium drictum ou vinctenum. La franchise des droits et taxes, partielle ou totale, s’appliquait surtout aux bijoux, métaux précieux, aux navires et aux agrès maritimes, dont l’Etat Almohade avait intérêt à faciliter l’importation. Le makhzen, comme nous allons le constater par la suite prenait déjà au XIIè m e siècle des mesures incitatives pour l’exportation. Telle fut, à titre d’exemple, la décision d’exempter des droits à l’exportation les marchandises acquises au Maroc avec le produit des importations.

    Les droits additionnels, qui se percevaient pour les interprètes, pour le pesage des marchandises, pour le droit d’ancrage et autres services ou coutumes accessoires, n’avaient pas tous le caractère fixe et déterminé des droits principaux. Leur taux n’était presque jamais arrêté par les traités. Les conventions qui les avaient établis les modifiaient suivant les circonstances et suivant les convenances des diverses nations impliquées. 

    Ces variations se traduisaient en définitive par une différence dans la totalité des droits payés par les diverses nations. Toutefois, ces différences étaient peu considérables et n’affectaient point, outre mesure, l’essor commercial enregistré à cette époque.

    A) Les droits principaux :

    1- Au niveau des importations :

    Pour les marchandises présentées à l’importation, les droits principaux variaient selon la nationalité des importateurs et des périodes des traités.

    Pour les négociants de la République de Pise, dont le territoire douanier comprenait au XIIème siècle tout l’ancien littoral étrusque, de la Spérria à Civita-Vecchia, le droit de base de 1157 à 1358 a été toujours de 10 % advalorem. Après 1421, les traités prévoyaient une assimilation avec les commerçant s florentins. En vertu du traité conclu en 1160 avec le Sultan, les Génois ne devaient payer que 8 % ad valorem dans tous les territoires du Maghreb, excepté Bougie, où le taux s’élevait à 10 %. Asignaler que le quart du produit de la douane en cette ville était réservé à la République de Gênes. Ce droit ne fut pas maintenu, et le tarif de dix pour cent finit par être accepté par les Génois. On le voit établi sur les importations dès le traité de 1236, maintenu pour eux, pour tous les marchands naviguant avec eux, jusqu’à la signature du traité de 1465. Les Vénitiens étaient soumis, depuis 1231, au paiement du droit d’importation classique de 10 %. Seules les matières exemptées de la totalité ou d’une partie de la taxe douanière, et indépendamment des droits additionnels, dont le principal paraît avoir été le mursuraf  ou drogmanat. Pegolatti, signale dans son livre, écrit en 1350, qu’il payait effectivement selon le taux usuel de 10 % pour l’importation des marchandises.

    Pour ce qui est des autres nations, à partir de 1271, les Catalans,Majorcains, Siciliens, Provençaux, Roussillonnais et Languedociens de la Seigneurie de Montpellier, en tant que sujets des courronnes d’Aragon et de Sicile ont eux aussi été soumis au paiement du droit usuel du decimum.

    Les tarifs de droits de douane à l’importation perçus, bien qu’ils aient subi quelques légères variations à certaines époques et à l’égard de certaines nations, prévoyaient toujours des taux compris entre 10 et 11,5 %. Le droit ordinaire et général était si bien le 10 %, que ce droit se désignait dans les conventions par le mot même de dixième : decimum, decenum, decima, en catalan delme ou simplement drictum. Des exemptions totales ou partielles étaient prévues pour certaines catégories de marchandises.

    a) Exemptions totales :

    1- Les bijoux, les pierres fines, les perles et les joyaux en général, ainsi que toutes marchandises vendues directement au Sultan ou achetées à la douane pour le compte du makhzen, étaient exempts des droits d’importation. Si les traités omettent d’énoncer cette circonstance, c’est vraisemblablement parce qu’elle était universellement connue, admise et pratiquée.

    2- L’or et l’argent vendus, soit à la douane pour le compte du Sultan, soit directement à la ”Zeccha151” ou l’hôtel impérial des monnaies. Quand la vente des métaux précieux était faite à des particuliers, elle était soumise au taux réduit de 5 %.

    3- Les navires (y compris les barques et les agrès maritimes) : étaient, selon les traités, exempts des droits d’importation. Cependant, lorsque la vente d’une embarcation est faite à un chrétien dont la nation n’a pas conclu de traité avec le Sultan, les droits d’importation étaient dus en entier. Cette disposition aurait incité plusieurs négociants marocains à acheter des parts dans les navires européens pour éviter le paiement de la taxe douanière.C’est ce que fit Abou Talib Al Azafi en 1302 qui fut l’heureux copropriétaire d’un navire appartenant à un marchand de Tarragane152.

    4- Le blé, l’orge et généralement toutes les céréales ;

    5- Le vin importé pour la consommation de la communauté chrétienne dans la limite de 100 jarres ;

    6- Les ventes de toutes sortes de produits et marchandises effectuées entre chrétiens n’étaient soumises à aucun droit d’importation. La douane procédait toutefois en la circonstance, au transfert de l’inscription de la marchandise vendue du compte du vendeur au compte de l’acheteur. En conséquence, l’exonération du droit de douane ne permettait pas au nouvel acheteur chrétien la mise en libre pratique de la marchandise.

    b- Exemptions partielles :

    Il s’agissait en fait de l’exemption du demi-droit : le médium, drictum,la mezza decima, mig-delme, mig-dee, vingtena, vinctenum. L’or et l’argent non monnayés, les rubis, les perles, les émeraudes, et généralement tous les bijoux destinés aux ventes générales, n’étaient soumis qu’au demi-droit d’importation, c’est-à-dire au vingtième de la valeur ou au taux de cinq pour cent.

    c- Autres exemptions :

    A la lecture des traités, il semble qu’il y avait au niveau de la taxation une différence entre les monnaies chrétiennes et musulmanes. Les premières payaient cinq pour cent dès leur passage en douane, tandis que les monnaies musulmanes (dirhams ou dinars) étaient exemptes des droits. Pour les métaux non monnayés, le paiement des droits n’était exigé qu’au moment de la vente. Toute fausse monnaie était confisquée pour être détruite. La monnaie de bas titre était également brisée, le demi-droit était cependant, le cas échéant, perçu et le métal rendu au propriétaire.

    Des exemptions particulières étaient décidées épisodiquement par la douane, afin de stimuler les opérations commerciales avec l’Europe. La plus importante était celle qui autorisait les marchands chrétiens à exporter, en exemption totale des droits, une quantité de marchandises égale en valeur à la totalité des marchandises importées par eux. Dans le cas du paiement des droits, la quittance de la douane (Alibra) constatant le paiement à l’importation servait au commerçant à justifier la qualité de la franchise à laquelle il pouvait prétendre lors de l’exportation.

    L’exemption était générale et s’étendait à la vente de toutes sortes d’objets et marchandises, mais les rédacteurs des traités ont cru devoir la mentionner plus particulièrement à l’occasion de la vente des métaux précieux et des navires.

    D’autre part, le loyer d’un navire effectué dans l’un des ports du Maroc donnait droit à son propriétaire d’exporter une quantité de marchandises répondant au prix du nolis153, sans avoir à payer les droits de sortie sur ces marchandises. Des denrées comme le blé, la farine, le biscuit et généralement tout ce qui est destiné à la nourriture des équipages, étaient également admis en franchise totale des droits et taxes dans les limites de contingents quantitatifs. En cas de disette et à condition que les céréales n’excédaient pas un prix de référence sur le marché local, les Etats de Gênes et de Venise se sont fait reconnaître le droit d’exporter en franchise, les quantités nécessaires à nourrir leurs populations respectives. Cette franchise douanière accordée dans un esprit humanitaire, a été en fait octroyée régulièrement, aux pays d’Europe, par tous les sultans du Maroc jusqu’au XIXème siècle.

    2- Au niveau des exportations :

    Les traités de commerce conclus à l’époque mentionnaient très rarement la taxe à percevoir à l’exportation des marchandises. Il n’en demeure pas moins que des taxes à l’exportation étaient prévues par les dispositions mêmes de ces traités. Ainsi, l’analyse de certains traités nous fournit des renseignements clairs et précis largement suffisants pour nous fixer sur l’existence du droit en lui-même et sur le taux auquel il s’élevait. Lorsque la convention stipule qu’il ne sera perçu aucun droit sur les marchandises achetées avec le prix du nolis d’un navire, ou qu’elle prévoit encore que les chrétiens seront traités comme d’habitude à l’entrée et à la sortie ; tam introïtus quam exitus, ou bien qu’à la sortie, les Florentins et les Pisans auront à payer les droits exigés des Génois, ni plus ni moins, on peut nettement établir l’existence des droits de sortie sur les produits exportés.

    Quant au taux même du tarif, la mention fréquente de la perception du demi-droit médium drictum, merra decima, indiquait déjà suffisamment qu’il était de cinq pour cent, attendu que le droit de dix pour cent était désigné d’une manière générale dans les traités par l’expression drictum (droit).Les traités génois de 1236 et 1250 indiquaient cependant qu’un droit d’exportation de 5 % était prélevé sur certaines marchandises. La règle était également que la douane percevait cinq pour cent sur les exportations excédant la quotité des importations de chaque marchand. C’est ce qui ressort des annotations de Pegolatti qui cite dans son cahier de commerce : “Chine trahe tanto quanto ha messo, non pega nulla, machi traee non ha messo, page mezzo dirritto”. En décryptant ces propos Pegolotti voulait certainement dire que chaque négociant avait le droit d’exporter en franchise une quantité de marchandises égale en valeur à celle des marchandises importées et vendues. Le surplus ou la totalité de l’exportation d’un marchand qui n’a pas effectué d’importation était soumise au demi-droit. C’est à ce niveau qu’on peut dégager, à son origine et dans sa cause principale, la nécessité des comptes courants tenus à la douane pour chaque importateur européen. 

    B- Les droits additionnels :

    Indépendamment des droits généraux et fixes perçus par la douane, aussi bien à l’importation qu’à l’exportation, il existait des droits spécifiques, les uns prévus par les traités, les autres réglementés par l’usage local. Ces taxes exigées à l’occasion de l’arrivée ou du départ d’un navire concernaient généralement la garde et le pesage de certaines marchandises, le salaire des interprètes ou le service des écrivains.

    A l’exception des droits des drogmans, les autres taxes n’étaient pas fixes. La perception, soit en numéraire, ou en nature, en était souvent laissée, quant à la forme et à la quantité, à l’appréciation des négociants ou des intermédiaires agréés. Bien que portant sur des sommes ou des objets de faibles valeurs, la perception de ces taxes donnait lieu à plus de difficultés de recouvrement et de réclamations que le recouvrement des droits principaux. 

    Les conventions font souvent allusion, d’une manière générale, à ces droits supplémentaires, dont les négociants se plaignaient systématiquement, pour en faire supprimer ou régulariser l’usage. 

    La multiplicité des taxes additionnelles dans les traités à partir du XIIème siècle ne permet d’en définir ni le nombre ni la nature exacte sans une étude approfondie de toutes les conventions conclues. Néanmoins, nous pouvons citer les plus importantes qui ont été relevées par les historiens de l’époque à la lecture de certains traités et conventions :

    1- Le drogmanat :

    Il s’agissait du droit des interprètes ou de torcimanys qu’on désignait aussi quelque fois par le mot arabe mursuruf ou moscerufs (mouchrif). Ce droit était dû lorsqu’on employait officiellement le service des drogmans. Il était particulièrement perçu sur les ventes faites à la douane en dehors de la ”halka”, et par le seul intermédiaire des drogmans en présence des inspecteurs des douanes. Il était généralement de cinq miliaresi par valeur de cent besants de marchandises vendues.

    Il n’est signalé dans les plus anciens traités que d’une manière vague. D’autres textes se limitent à mentionner le droit supplémentaire des cinq miliaresi, sans spécifier ni le nom de ce droit ni la raison de sa perception. Au sujet du drogmanat, les documents pisans, génois et aragonais, sont loin d’avoir la précision et les développements des textes vénitiens. Mais les chercheurs ont constaté que les Génois payaient encore ce droit au XVème siècle .

    2- Le droit d’ancrage, d’abordage ou de navigation :

    Ce droit unique que l’usage maritime de l’époque désignait sous divers noms est mentionné dans les traités comme suit : “Los drets anticament a custumats, axi de ancoratge……”. C’était vraisemblablement pour subvenir à ce droit que les Pisans dans leur traité de 1358 avec le Sultan Mérinide Abdou Alhak, avaient consenti de remettre aux préposés de la douane un câble, appelé “surriach”, et un harpon de feu, appelé “moktaf mine hadide” à l’arrivée de chacun de leurs navires, dans les ports marocains pour y faire le commerce. Cette pratique donna sans doute lieu à de nombreux abus.

     

    Pour prévenir les désagréments auxquels cette procédure pouvait donner lieu, les traités d’Aragon demandaient qu’on n’enlevât au navire amarrant dans les ports, ni son timon ni ses voiles. Cette précaution était prise généralement contre les étrangers154, promettant d’ailleurs que tous les droits seraient exactement payés par leurs nationaux avant la sortie du port. Afin d’éviter les prélèvements arbitraires auxquels donnait lieu le droit d’ancrage,les Vénitiens acceptaient l’obligation de payer trois doubles d’or et un squarcina pour tous leurs navires débarquant en Afrique du Nord.

    3- Droit “d’Al Ibraa” :

    La quittance constatant que les droits de douane avaient été acquittés par les négociants est souvent désignée dans les traités sous le nom d’albara de l’arabe Al Ibraa155. Tout porte à croire que la délivrance de ce document par la douane donnait lieu à la perception d’un droit que nous pouvons assimiler de nos jours au droit du timbre fiscal.

    4- Droit dû aux canotiers :

    La douane ne percevait pas directement ces droits, mais elle veillait à ce que les canotiers (charabi ou calavi), ne fissent pas payer leur service plus qu’il n’en était de coutume.

    5- Droit de portefaix ou de chargeurs :

    Les traités désignaient ces droits sous l’appellation droit de “bestays”, “bastaxes” ou “bastasi” par référence aux personnes qui transportaient les marchandises du rivage à la douane ou de la douane aux foundouks. Ce droit variait selon les ports, puisque le taux appliqué n’était pas indiqué conventionnellement, mais fixé selon les usages de chaque lieu et de chaque époque.

    6- Droit de balance, droits de pesage et de mesurage, droits de magasinage :

    La perception des droits de l’espèce n’obéissait à aucune règle précise. L’usage tolérait, lors du pesage ou du mesurage des marchandises, des prélèvements en nature ou en numéraire, quelques fois dans les deux formes. Bien qu’ils soient des légitimes rétributions de services, ces droits étaient considérés comme arbitraires par les marchands européens et dégénéraient souvent en véritables disputes avec les agents des douanes. D’après certains accords, la douane retenait au titre de ces droits, sur chaque ballot de toile une canne, sur cent jarres d’huile ; une demi-jarre plus un demi-miliaresi par jarre, sur chaque sac de lin : un écheveau, trois miliaresi par quintal de laine, trois miliarisi par cent peaux d’agneau, sept besants et un miliaresi par cent cuirs de boeuf, sept miliaresi et demi par quintal de cire. En plus de ces taxes spécifiques, un droit général et supplémentaire était perçu, à ce titre, sur la valeur globale de la marchandise objet de la transaction. Ce droit était calculé sur la base de huit miliaresi par cent besants ad-valorem. Les Vénitiens et les Génois avaient réussi à convaincre les Sultans de réduire en 1287, puis supprimer en 1305, ces taxes encombrantes pour les échanges entre marocains et européens.

    Les documents pisans indiquent, sans préciser autrement, que les marchands de la république s’en remettent à l’usage pour les droits de pesage et de la balance : ”Lipe satori a loro pesare debbiano secondo che usato este” - ”Per la mercede della bilancia adoperata a pesare loro mercanzie, saranno trattati sedondo la costumanza”. Les traités florentins se bornent habituellement à des déclarations plus générales.

    7- Droit du ”rotl” :

    Le rotl, mot d’origine arabe, était une mesure de poids spécifique équivalent à la moitié du kilogramme. Cette unité de mesure fût utilisé en Italie, en Espagne, au Maghreb et dans quelques pays d’Orient, sous les noms de rotl, rotolo, ro t o l. Au Maroc, le rotl ou demi kilo était pratiqué dans le petit commerce jusqu’aux années 1950 et même plus tard dans les villes traditionnelles telles que Fès et Marrakech. Selon De Latries, on désignait aussi de ce nom l’usage, considéré comme un droit dans les douanes publiques, de prélever une certaine quantité des marchandises qui se pesaient ou se comptaient en sacs ou en balles. On serait porté à croire que ce droit était le même que le droit de balance, mais les deux prestations différaient, puisque, constate le chercheur, les mêmes traités qui maintiennent la dernière abolissent aussi la première. Par ailleurs, selon des traités, les Rois d’Aragon et de Majorque avaient obtenu des Sultans du Maroc la suppression du droit du rotl, ce qui semble confirmer l’existence de ce droit spécifique.

    8- Droit sur les navires :

    Il s’agit d’un droit payé par l’armateur du navire à la douane et qui correspondait généralement à 5% du montant du frêt.

    9- Droits de Fedo - Feitri - Tavale :

    Appelé Feibri ou droit “de toual156” en arabe, le fedo est mentionné dans les mémoires de beaucoup de commerçants européens qui furent en relations avec les ports du “Royaume de l’Afrique du Nord”. 

    Pegolotti, le plus célèbre de ces négociants nous apporte des précisions sur la perception de cette taxe en ces termes : ”fedo dicristianie di saraceni - Lo cantaro delle cuaja si la fedo dixanti 4, per ”cantaro”. 

    Il s’agit d’un droit prévu par certaines conventions et sur lequel nous n’avons pu recueillir de plus amples précisions. Cependant, et compte tenu de son appellation, on peut aisément penser qu’il s’agissait d’une sorte de droit d’anneaux et de mouillage perçu sur les navires qui accostaient dans les ports. Taval peut correspondre à Tawal c’est-à-dire cordage. Ce droit pourrait être également assimilé au droit de ”l’Intilaca”. ”L’intilaca”, impôt de 1 % qui atteint à Sebta 5% est un droit sur les marchandises : le terme qui pourrait être le substantif arabe ”Intilaqua” (lever les amarres ou démarrer) est probablement un droit payé au moment de l’embarquement des marchandises, ou un droit de port. L’absence de toute référence à cet impôt dans les sources arabes, rend toute conclusion difficile.

     

    Il convient de constater que les droits additionnels dont nous venons de citer quelques-uns, bien que parfois supprimés ou modifiés, avaient tous à l’origine un caractère permanent. Il ne faut pas les confondre cependant avec les contributions transitoires qui, indépendamment des tarifs douaniers ordinaires (drictum consuetum), étaient consentis par les gouvernements chrétiens comme indemnité ou règlements de dettes.

    La distinction entre les droits principaux et les droits additionnels résultait souvent des dispositions conventionnelles de l’époque. Ainsi, l’article 4 du traité de Tlemcen157, après avoir énuméré certaines marchandises dont l’exportation était momentanément prohibée entre le Maroc et les Etats du Roi de Majorque, ajoute ceci : 

    Et toutes autres marchandises, les sujets du Roi de Majorque pourront les exporter ”en payant los dretz é matzems”.

    Ces deux mots distinguent les deux sortes de droits perçus par les douanes, les droits principaux et les droits additionnels. Le dretz ou delme serait le droit ordinaire et général perçu à l’importation ou à l’exportation de marchandises. Le matzem désignerait les droits additionnels, tels que le drogmanat, l’ancrage etc… 

    Des chercheurs européens ont traduit les mots arabes répondant au catalan drets é matzem, par les expressions : péages convenables et droits établis. Ces termes ainsi exprimés étant très vagues, nous n’avons pu déterminer l’origine du mot drets. Mais en ce qui concerne le terme matzem, il y a lieu de penser qu’il s’agirait d’un terme d’origine arabe. En effet, matzem correspondrait bien au mot arabe malzam, malazim au pluriel. Malazim a été cité, à la fin du Xème siècle, par le géographe et négocient en commerce international Ibn Hawkal pour désigner les taxes perçues sur les transactions commerciales.

     

    2) Modalités de perception des droits et taxes douaniers :

    Comme nous venons de le démontrer, dès le début du XIIème siècle, les modalités de perception des droits et taxes douaniers au Maroc furent réglementées par des conventions commerciales conclues avec les puissances européennes de l’époque. Cette réglementation se basait, en général, sur les usages du commerce international et obéissait aux grands principes admis en douane à cette époque que nous pouvons résumer en ce qui suit :

    1) A l’importation, les marchandises n’étaient soumises aux droits et taxes qu’après leur vente effective sous douane à un négociant marocain. 

    2) les droits et taxes pouvaient être acquittés soit en numéraire soit en nature après acceptation de la douane. Le paiement en nature se faisait, le cas échéant, dès l’introduction de la marchandise au magasin selon l’estimation de l’expert des douanes à la résidence158.

    3) Les négociants étrangers pouvaient désigner des représentants pour accomplir en leur nom les formalités de dédouanement. En cas de départ précipité, ils étaient tenus de présenter les marchandises non dédouanées à l’administration pour contrôle.

    4) Après accomplissement des formalités et acquittement des droits et taxes, la douane délivrait la main levée aux négociants. Ce document s’appelait ”Al bara”, ou (Ali-bra) pour les marchandises achetées par les particuliers ou ”atanfida” pour les marchandises dédouanées pour le compte du makhzen. Dans la plupart des cas, le recouvrement était supervisé par les fonctionnaires des douanes.

    Cependant, il a été établi que, par suite de fermages et d’arrangements particuliers intervenus entre les Sultans du Maroc et quelques nations européennes, les chrétiens ont eu souvent le droit de s’occuper eux mêmes de la recette des droits de douane, tant ils avaient un intérêt particulier prévu par les accords. Dans ce cadre, il y a lieu de constater qu’en 1160, la république de Gênes recevait pendant quelque temps, le quart du produit de la douane de la ville de Bougie. Depuis, des agents chrétiens devaient nécessairement participer à la recette ou à la surveillance de la perception des droits. Ils avaient à y prendre une part plus personnelle encore quand le makhzen affermait à des marchands européens la totalité des douanes d’un port. Par la suite, ce système fut pratiqué systématiquement au XIIIème et au XIVème siècles par le makhzen dans la plupart des ports marocains ouverts au commerce.

    Le fermage des droits de douane au Maroc :

    Historiquement la ferme est une convention par laquelle un Etat abandonnait à un individu ou à groupe de personnes, la perception pour une durée détermniée, de divers impôts, moyennant une somme forfaitaire. En France de l’ancien régime, la ferme générale désignait l’organisme qui prenait à bail la perception des impôts indirects, adjugée tous les six ans. Dès le XIIème , le fermage des droits de douane était consenti par le makhzen dans certains ports marocains à des négociants juifs et/ou chrétiens.

    Pour simplifier les opérations de la perception des droits et taxes douaniers, et surtout pour éviter les détournements dont certains agents du makhzen étaient coutumiers, le Sultan fut souvent contraint de vendre même à des chrétiens et parfois à des juifs, la ferme de cette perception, puisqu’elle est faite sur des marchandises importées généralement par des chrétiens.  

    Ce procédé, aurait été adopté dans la gestion des douanes au Maroc depuis l’époque Almohades. Acet égard, De Mas Latrie notait dans l’introduction de son oeuvre “Traités de pair et de commerce concernant les relations des chrétiens avec les Arabes de l’Afrique septentrionale ou moyen âge : “la perception des droits avait lieu naturellement dans l’ord re ordinaire et habituel, par des agents musulmans et sous la surveillance d’agents musulmans. Mais il est certains que, par suite de fermages et d’arrangements particuliers intervenus entre les Sultans et quelques nations européennes, les chrétiens ont eu souvent le droit de s’occuper eux mêmes de la recette des droits dus au Trésor et intérêt à la surveiller”.

    Dans une analyse de l’organisation des finances au Maroc, Michaux Bellaire159 constate que le fermage des droits de douane à des chrétiens n’est pas en contradiction avec la loi religieuse. Il conclut que les droits de douane sont l’équivalent d’une dîme prélevée sur les marchandises importées par les chrétiens. Ces droits sont à ce titre versés au “Bit Al Mal” comme des revenus purs et légitimes.

    Procédures de paiement :

    En ce qui concerne les délais de l’acquittement des droits et taxes, aucune règle générale n’était admise par les accords. Toutes les nations veillaient cependant à préciser que le négociant avait la faculté de faire régler son compte quand cela lui convenait, qu’on ne pût tarder à lui remettre le règlement plus de huit jours après qu’il en avait fait la demande, qu’une fois les droits payés sur une marchandise une quittance de douane devait lui être délivrée.

    Dès lors, l’opérateur pouvait transporter librement partout où il voudrait la marchandise dédouanée, sans avoir à payer de nouveaux droits de douane. De même, chaque commerçant pouvait, à sa convenance, reprendre ou réexporter les marchandises invendues, sans avoir à payer ni droits d’importation ni droits de sortie. Lorsque le commerçant arrêtait et soldait son compte en douane, on ne devait chercher, sous aucun prétexte, à le retenir ni lui ni ses marchandises, ou à retarder son départ, à moins d’erreur évidente dans les règlements. Tout marchand était libre de faire acquitter ses comptes par un mandataire, il pouvait même partir sans avoir régler, s’il laissait un répondant connu qui lui pouvait lui servir de caution.

    Nous avons constaté donc que le principe de base, pour la procédure du recouvrement de l’impôt douanier, à l’époque Almohade, admettait que les droits ne deviennent exigibles qu’après la vente réelle des marchandises ou bien au moment du départ du marchand dont les opérations s’étaient limitées à des achats. La seule exception à cette règle concernait le droit d’importation sur les espèces monnayées (5 %) qui était exigible à l’entrée même de ces produits du Maroc.

    D’autre part il avait été admis dans toutes les douanes de l’Afrique du Nord que les marchands européens pouvaient payer les droits soit en numéraire, soit en marchandises. Lorsque le marchand préférait acquitter les droits et taxes en nature, le règlement se faisait ordinairement à l’entrée en douane des marchandises et sur les évaluations équitablement établies par les experts ou courtiers en douane. Quant à l’échéance du paiement effectif, il y a lieu de croire que chaque nation semble avoir eu des comportements différents. Les traités stipulent, d’une manière générale, que leurs nationaux ne seront tenus de payer les droits de douane qu’au moment de leur départ, et que ceux d’entre eux qui resteraient dans les territoires de l’Empire Marocain auraient la faculté de régler leurs comptes de douane définitifs au bout de trois ans. Les Pisans consentirent plus tard à réduire le délai à dix mois, à compter du moment de la vente des marchandises, et les Florentins en succédant à leurs privilégies, conservèrent cet usage. Les Génois se réservaient deux mois après la vente pour payer les droits. Les Vénitiens vendaient généralement leurs marchandises en laissant les droits de douane à la charge de l’acheteur. Il n’y a rien cependant de délais précis pour les règlements de leurs exportations. A ce sujet, les traités stipulent seulement qu’on ne devra pas leur faire attendre l’obtention du relevé de compte plus de huit jours, quand ils en auront adressé la demande à la douane.

    Les sujets du Roi d’Aragon réglaient mensuellement. Il était précisé dans leurs traités qu’au commencement du mois on dresserait le compte de chaque marchand, en défalquant de ce qu’il devait payer les avances qu’il  aurait pu avoir à la douane, et en lui donnant son bérat (Ibra) ou sa quittance.

     

    Les douanes avaient à délivrer aux commerçants, selon la nature de la transaction , deux titres comptables distincts : la ”bérat” et le ”tenfids”.

    La ”bérat” (instrumentum, carta) était la quittance des droits de douane. Muni de ce document, le négociant pouvait transporter en franchise les marchandises sur lesquelles il avait acquitté les droits dans toutes les autres villes du Royaume et quitter lui-même le territoire quand il lui convenait. Cette quittance lui permettait en outre de prétendre à l’exportation en franchise d’une quantité de marchandises égale en valeur à celle des marchandises importées et vendues . La ”bérat” est désignée dans les textes chrétiens par les mots “abbara, arbara”, “albara expédimenti” ou par le mot “appodixia expedimenti” c’est-à-dire le congé.

    Le ”tenfids”, ou ”tanfitium”, était une attestation ou un reçu délivré par l’administration des douanes dans les dépôts ou foundoukds où l’on vendait et achetait les marchandises pour le compte du makhzen. Ce document certifiait l’avoir en marchandises ou la créance d’un marchand. Il servait ainsi à faire le règlement des comptes, et à établir la balance par droit et avoir.

    Au moment du départ, le commerçant européen se présentait à la douane avec ses effets et marchandises. Une reconnaissance de ses effets est effectuée par la douane avant embarquement. Un  contrôle de ses comptes est également effectué par les secrétaires de la douane en vue du paiement éventuel des droits dont il serait encore redevable.

    Réexportation en franchise des marchandises non vendues :

    La première obligation qui incombait aux commerçants fut donc le fait de s’acquitter des droits et taxes dont leurs marchandises sont passibles à l’importation ou à l’exportation. Toutefois, une disposition qui finit par passer en usage à l’égard de tous les commerçants étrangers, et qui fut très souvent formulée explicitement dans les traités, limitait la perception du droit aux marchandises effectivement vendues. Cette disposition autorisait implicitement la libre exportation de toute marchandise non vendue en exonération des droits et taxes. Le privilège de la franchise au cas de mévente, est considérée par les historiens comme une évolution logique du droit douanier dû essentiellement au désir des sultans Almohades d’accroître les échanges avec les nations chrétiennes. Vraisemblablement les douanes ne l’admettaient pas avant la deuxième moitié du XIIème siècle. Il datait pour les Pisans, à Tunis, de 1157 puisque Abou Abdallah écrivait cette année à l’Archevêque de Pise qu’à l’avenir, il ne serait perçu de droit d’importation (10 %) que sur les marchandises vendues par les sujets de la république dans ses Etats.

     

    ORGANISATION DU COMMERCE EXTÉRIEUR

    L’acte impérial qui fut délivré par Yacoub Al Mansour aux Pisans, le 15 novembre 1186, renouvelé en 1211, peut être considéré comme la source d’un début de réglementation du commerce extérieur au Maroc. Bien que notifié par une seule partie, il n’en est pas moins un traité synallagmatique. Il fut toujours désigné et considéré comme un acte bilatéral. Cette convention rappelle et prescrit toutes les mesures assurant la liberté des personnes, des biens et des transactions des Pisans dans les Etats Almohades, sous la seule obligation de l’acquit de dix pour cent sur les marchandises vendues à des marchands arabes. Il convient de noter, qu’à l’époque, le commerce entre chrétiens dans l’empire marocain n’était assujetti à aucun droit de douane. En plus de cette particularité du régime douanier, il y a lieu de noter une restriction introduite dans le nouveau traité au niveau de la procédure de mise en douane des marchandises qui fut limitée désormais à des bureaux de douane spécifiques . Ordinairement, les navires chrétiens pouvaient accoster uniquement dans les ports des villes du littoral où se trouvaient des bureaux de douane.

    Dans une forme particulièrement impérative et rigoureuse, la nouvelle convention, limita absolument la faculté de commerce donnée aux Pisans à cinq villes de l’Empire Almohade à l’époque, à savoir, Oran, Bougie, Tunis, Ceuta et Alméria. Les ports des quatres premières villes étaient indistinctement ouverts à leurs importations et à leurs exportations. AAlméria, ils pouvaient seulement se ravitailler et réparer leurs navires. En aucun autre lieu, ils ne devaient aborder, si ce n’est pour chercher un abri momentané au milieu d’une tempête, et en ce cas il leur était défendu de vendre ou d’acheter quoi que ce soit, sous peine de confiscation des marchandises par la douane. Si Tripoli et El Mehdia appartenaient encore à cette époque aux Almohades, comme tout l’indique, il est difficile de ne pas voir quelques motifs politiques dans l’exclusion aussi formelle de commercer avec ces villes, où les Pisans avaient des magasins et des établissements considérables. 

    Dans ce contexte historique et pour mieux apprécier la nature de l’activité douanière liée au commerce extérieur marocain de l’époque Almohade, il serait utile de dresser le bilan des échanges entre les commerçants des deux rives de la Méditerranée. Les documents anciens spécifient rarement la nature même des marchandises que les navires chrétiens transportaient d’Europe en Afrique. Les traités ne donnent pas de détails sur le commerce. Ce sont les rapports consulaires qui doivent contenir des informations sur les produits. Les actes d’association et les contrats de nolis se bornent le plus souvent à des stipulations générales sur les conditions de l’apport de fonds ou de marchandises de chaque associé et le partage des bénéfices entre ces 104 associés. Mais à la lumière des stipulations des traités et des témoignages de certains auteurs sur les techniques anciennes du commerce international, tels que Balducci Pegolotti (1350) et Uzano (1442), on peut brosser un tableau assez précis des produits ayant animé cette intense activité économique euro méditerranéenne. Entre 1200 et 1206, la valeur des contrats de commande génois destinés à Ceuta atteignit 4.500 livres de marchandises. En 1248, les exportations vers Marseille auraient été au nombre de 22 opérations. Pour les produits importés, les actes notaires de Marseille indiquent particulièrement des épices orientales, du lin, le myrobolan, le camphre et de la soie oeuvrée.

    En plus des marchandises, la monnaie était également l’objet d’un grand trafic. Les marseillais importaient à Sebta plusieurs espèces monnayées de valeur différentes160. L’importation des espèces monnayées était nécessaire pour animer le commerce en l’absence d’un système bancaire adéquat. On s’en servit pour effectuer des achats et pour acquitter des dettes entre marchands chrétiens. C’est pour ces raisons que le taux de droit de douane y appliquée n’était que de cinq pour cent.

    A l’exportation, la cire, les cuirs et les basanes semblent avoir été très prisés par les marchands européens. Acela s’ajoutaient les laines, les chevaux, le corail et le sucre.

    Pour avoir une idée concrète sur l’activité douanière au Maroc du XII et XIIIème siècle, il importe de passer en revue les principaux produits objets des échanges à l’importation et à l’exportation. Ce bilan nous permettra, en outre, de dégager les spécificités de dédouanement liées à certains produits. 

    Les exportations :

    1) Le cuir

    Le Maroc était un grand exportateur de peaux traitées ou non de bovins, d’ovins, de caprins et de camélidés. Le géographe Ibn Hawkal nous rapporte sans donner de chiffre précis qu’au Xè m e siècle, le nombre de chameaux élevés au Maroc était supérieur à ceux qui existaient en Arabie. Al Bikri précise que le prix des peaux des ovins au XIIème siècle était négocié en douane à 15 dinars les cent pièces. Le maroquin rouge vermeil était particulièrement recherché en Normandie et en Angleterre. Les négociants européens exportèrent d’abord le cuir tanné et coloré. Ce métier qui consiste à transformer les peaux brutes animales en cuir ouvrable, n’était pas encore connu ni maîtrisé en Europe. Ce n’est qu’au milieu du XIVème siècle qu’on avait commencé à préparer et à teindre le cuir à Paris.

    2) Le sucre

    Le Maroc avait connu dès le Xè m e siècle, de grandes exploitations de cannes à sucre. Selon le géographe Al Idrissi, le sucre récolté et fabriqué au Maroc méridional était connu de “l’univers entier”. Des documents commerciaux attestent l’exportation au XIIIème siècle d’importantes quantités de sucre marocain vers Venise et la Flandre.

    3) L’huile d’olive

    Depuis l’époque Romaine, le Maroc n’avait pas cessé d’exporter d’importantes quantités d’huile d’olive vers l’Europe, ce qui garantissait à l’Etat des recettes douanières régulières.

    4) Les esclaves

    Le commerce des esclaves fut très florissant au moyen âge européen. Ainsi, les esclaves étaient importés ou exportés telles des marchandises et furent à ce titre soumis au paiement des droits et taxes. A la fin du règne des Almohades, on peut relever d’après des documents commerciaux du port de Marseille, qu’en 1236 une esclave prénommée Aïcha en provenance du Maroc fut négociée au prix de 8 livres et 12 deniers.

    Les traités conclus dès le XIIème siècle prohibèrent néanmoins, et de la manière la plus formelle, la mise en vente des captifs. Du moment où leur nationalité était reconnue, et quelle que fût la cause qui les avait privés de leur liberté, ils devaient être libérés ou rachetés par les souverains de l’une des parties.

    5) Les céréales

    Constituées essentiellement du blé et du maïs, les exportations céréalières marocaines assuraient au Bit Al Mal des recettes stables à l’instar de celles générées par l’exportation des olives. Toutefois, d’après certaines conventions, les Almohades accordaient à Gênes et à Venise l’exonération des droits d’exportation en cas de sécheresse dans ces pays. L’exonération fut également prévue lorsque le prix moyen du blé ne dépassait pas 20 à 23 francs l’hectolitre161.

    En sus de ces produits traditionnels, le Maroc exportait une grande diversité d’autres marchandises, telles le sel, la cire, les produits de teinture, les chevaux, les poissons salés, les produits textiles, les tapis, etc…

    LES IMPORTATIONS :

    1) Verres et verroteries

    Bien que non repris nommément dans les traités, les verroteries et les verres de Venise ont animé un intense trafic entre le Maroc et l’Italie. Ces articles étaient sans doute compris sous la désignation générale de marchandises diverses, et rangés vraisemblablement dans la catégorie des bijoux, soie, jocalia, sur laquelle on prélevait seulement le demi droit de cinq pour cent ad-valorem.

    2) Les navires

    Pour encourager l’activité du commerce extérieur, le makhzen exemptait les navires et les barques des droits et taxes douaniers. Cependant, un droit de 10 % ad valorem était prélevé lorsque l’importation avait lieu d’un pays qui n’avait pas de traité signé avec le Sultan. L’église qui pour des raisons stratégiques prohibait expressément et d’une manière permanente ce commerce avec les Arabes de Syrie et d’Egypte, ne l’avait interdit en général avec le Maghreb, qu’à de très rares périodes.

    3) Epiceries

    Il s’agissait essentiellement du poivre, noix de muscades, henné, girofle, rhubarbe, gingembre et de la cannelle. Ces produits provenaient au Maroc par trois axes commerciaux :

    - par les navires européens venant des ports où se trouvaient les entrepôts d’épicerie d’Inde ;

    - par les navires en provenance d’Egypte ;

    - par les caravanes, qui chaque année se rendaient en Egypte et revenaient en traversant les royaumes du Maghreb.

    4) Tissus, draps et matières textiles

    Les traités et les documents commerciaux signalent une grande variété de produits importés d’Europe (cotonnades, toiles de Bourgone, toiles dites de ”foundouk des douanes”, draps d’Arras ou de Perpignan, draps rouge de Languedoc, draps d’or et de brocarts).

    5) Métaux

    Il s’agissait particulièrement du Cuivre, importé en grande quantité pendant le XIIème siècle au Maroc, d’où il était introduit en Afrique Noire.Venise défendait à ses galères l’exportation directe du cuivre, de l’étain et tous objets fabriqués avec ces métaux, de l’Angleterre et de la Flandre au Maghreb. Cette prohibition relative avait pour but de soumettre les exportations de l’espèce au paiement des droits de douane à Venise.

     

    6) Métaux précieux et monnaies

    Indépendamment des espèces monnayées, il existait une importante activité d’importation d’or et d’argent en lingots, en lames et en fils, soit pour les travaux de bijouterie, soit pour les fabriques de monnaies. Quand le métal était acheté pour le compte du makhzen, la législation douanière accordait une remise de moitié du droit ordinaire sur ces objets, et parfois la franchise totale des droits et taxes.

    7) Laque vernis et mastic

    Dès le XIIè m e siècle, une grande importation de ces produits était enregistre. Le mastic est cité comme article d’importation dans les documents de Pise et de Gênes. Dans sa description du commerce avec le Maghreb à cette époque Pegolotti relate les qualités requises dans les différents laques.

    8) Le vin

    L’importation de vins de France, d’Espagne et de Grèce était tolérée dès le XIIème siècle. On trouve souvent dans les foundouks chrétiens des boutiques appropriées à la vente en gros de vin. Un magasin ou entrepôt général appelé le foundouk du vin, dans lequel la vente avait lieu, après autorisation de la douane, et sous la surveillance de ses agents ainsi que des marchands auxquels on en affermait le droit. Les notaires instrumentaient quelques fois dans ces entrepôts que les chartes désignent sous le nom de domus gabelle vini. 

    La ferme était mise aux enchères et paraît avoir été source de revenus assez considérables. Par la suite d’arrangements particuliers concernant soit le règlement d’indemnités dus pour dommages commerciaux, soit la solde des milices auxiliaires, le makhzen déléguait quelques fois et temporairement aux rois chrétiens tout ou partie des revenus de la douane sur l’importation des vins.

    Dès cette époque, nous rappelle le Comte De Mas Latries, l’usage et le débit du vin étaient choses communes, qu’on avait coutume de donner en certaines circonstances aux portefaix et autres auxiliaires du commerce, en sus de leur salaire, une gratification supplémentaire appelée le vin, expression et rémunération répondant au bakchich des orientaux, à la mancia des italiens et au pourboire des français.

    La plus grande partie des vins importés était sans doute destinée aux chrétiens habitant le pays, aux marchands et aux agents ou employés des foundouks et des consulats, aux troupes des milices chrétiennes au service du makhzen, et peut être aux prisonniers chrétiens. Les Almoravides ont été accusés par les Almohades d’avoir toléré parmi eux l’usage du vin, mais les statuts de la ville de Marseille de l’an 1228 indiquaient clairement qu’il y avait des magasins dans lesquels il était permis de vendre du vin aux arabes même à l’époque des Almoravides.

    A travers cette intense activité, il s’avère que dès le début du XIIème siècle, l’administration douanière marocaine exerçait pleinement ses activités traditionnelles à savoir :

    - la police du rayon maritime ;

    - le prélèvement des droits et taxes sur les importations et les exportations

    des marchandises ;

    - le contrôle du commerce extérieur marocain.

    Pour ce faire, la douane avait adopté des structures opérationnelles et des méthodes de gestion qui furent considérées comme des systèmes d’avant garde en matière d’organisation économico-administrative de l’époque.

    Plusieurs chercheurs avaient souligné ce rôle pionnier de l’administration douanière marocaine. Dans une analyse de l’histoire économique et sociale du Maroc sous les Almohades, Mohamed Chrif162 conclut que la douane fut la principale institution de régulation des relations commerciales entre l’Europe et le  Maroc. Elle était, constate le chercheur, l’intermédiaire entre les commerçants chrétiens et marocains d’une part et le makhzen local d’autre part. Ainsi, elle représentait le maillon principal de la chaîne des institutions financières de l’Etat marocain et contrôlait de près et avec une grande précision le trafic commercial international de l’époque.

    La législation douanière marocaine était, en fait, d’un esprit libéral qui ne laisse pas indifférent et qui supportait avantageusement la comparaison avec les principes les plus modernes du droit économique. La douane, n’intervenait pas uniquement, de droit comme de fait, dans le cadre classique des flux commerciaux, mais jouait un rôle prépondérant et même déterminant dans l’intégralité de l’environnement de la transaction commerciale internationale. Cette activité, faut-il le rappeler, avait, à cette époque, plus ou moins une connotation religieuse, puisqu’elle mettait presque toujours en présence des chrétiens d’une part et des musulmans d’autre part. Ainsi, la douane avaitelle d’abord la charge d’intervenir pour assurer la liberté des transactions et la sécurité des personnes qui en étaient les auteurs, notamment lorsqu’ils sont de confession non musulmane.

    Sécurité et protection étaient assurées à tout marchand ou sujet chrétien de la nation avec laquelle le Sultan avait conclu un traité ou à laquelle il avait accordé un privilège. Ils étaient ainsi placés, eux et leurs biens, sous cette haute main royale qu’exprimait, à l’époque, le mot ”sauvegarde” chez les rois catholiques, et le mot ”aman”163 chez les rois musulmans. Ne doit on pas s’interroger a ce propos si ce n’est pas à ce niveau qu’il faut chercher l’origine du système des oumana en douane ? L’amine en douane était en fait le représentent du Sultan qui offre l’aman aux commerçants étrangers.

    La douane, dans le cas de dommage occasionné d’une façon quelconque, devait poursuivre le délinquant jusqu’à la réparation du tort éprouvé par le sujet chrétien. Leurs intérêts étaient placés à cet égard, comme en général pour toutes les affaires de commerce avec les Marocains musulmans, sous la protection spéciale du directeur de la douane. Les Pisans firent en outre insérer dans leurs traités diverses dispositions pour être autorisés à déférer la cause, quelle que fût leur position de demandeurs ou de défendeurs vis-à-vis d’autres chrétiens, aux cadis marocains. Quand l’affaire était de grande importance, c’était le directeur de la douane, ou bien le gouverneur du pays (ouali) ou le commandant de la forteresse164 qui avait autorité pour statuer sur le litige.

    CONSOLIDATION DES SOURCES INTERNATIONALESDU DROIT DOUANIER

    L’EPOQUE MÉRINIDE

    Dynastie berbère, issue de l’important groupe des berbères zénatas, la dynastie Mérinide régna sur le Maroc du XIIIème au XVème siècle. Elle fut fondée par le chef Abou Yahya, qui s’empara de Fès en 1248. Au cours des dix années suivantes, il se rendit maître de tout le Maroc, à l’exception de Marrakech. Cette dernière ville fut prise en 1269 par le frère et successeur d’Abou Yahya, Abou Yousouf (1258/86). Après avoir vaincu les Almohades, les Mérinides tentèrent de rétablir à leur profit l’ancien Empire Almohade, à la fois en Espagne et dans le Maghreb. Leurs tentatives espagnoles permirent du moins au royaume de Grenade de résister aux chrétiens jusqu’à la fin du XVème siècle. En Afrique du Nord, les Mérinides sous le plus grand souverain de la dynastie, Abou El Hassan (1331/51), s’emparèrent de Tlemcen (1337), puis de Tunis (1347). Le fils et successeur d’Abou El Hassan, Abou Inan (1351/58), d’abord révolté contre son père, fit de nouveau, en 1357, la conquête de tout le Maghreb, qu’il dut également abandonner peu de temps après. La dynastie entra depuis, dans une longue décadence. Les Mérinides furent de grands bâtisseurs, ils fondèrent la nouvelle ville de Fès, où ils établirent leur capitale délaissant Marrakech, l’ancienne capitale Almohade.

    Al’instar des Almoravides et des Almohades, les Mérinides ont accordé une grande importance au contrôle du commerce extérieur. De ce fait, l’organisation financière et douanière instaurée sous le  règne des Almohades a été consolidée. Dans son analyse des conventions commerciales marocaines de l’époque Mérinide, Nachat165 constate que la douane devint une véritable institution makhzenienne à l’époque mérinide. En effet, les Sultans Mérinides ont développé le processus d’ouverture du Maroc, sur le monde non musulman, initié timidement par les Almoravides et renforcé par les Almohades .

    En développant les structures politico-administratives de l’Etat, le makhzen Mérinide accordait une grande importance à l’organisation économique et financière. Cet intérêt particulier s’était illustré par le rang de ”Sahib Al Achaghal” dans la hiérarchie administrative. Ce personnage qui supervisait l’administration spécifiquement financière était considéré comme le quatrième personnage hiérarchique de l’Etat après le Souverain, le Vizir (le ministre) et le Cadi Al Codât (le grand juge). Il coiffait un corps de fonctionnaires chargés de la perception, de la comptabilité et de la répartition des rentrées fiscales.

    Dès son avènement, l’autorité Mérinide avait manifesté une attention spéciale et un intérêt particulier au commerce extérieur avec les nations chrétiennes de la Méditerranée. Cette nouvelle orientation s’explique en fait par des facteurs politico-économiques. Après les Almohades, le Maroc n’était plus un empire qui couvrit tous les territoires de l’occident musulman y compris le Soudan. Le makhzen ne pouvait désormais compter sur les fructueuses transactions commerciales subsahariennes pour alimenter ses caisses. Cette nouvelle réalité imposait au Maroc une ouverture vers l’occident non musulman.

    Les Mérinides essayèrent d’établir des relations commerciales et diplomatiques régulières avec les Européens riverains de la Méditerranée. Dans ce contexte, des conventions furent ainsi signées avec Gênes qui, avec Majorque, fit preuve d’un grand dynamisme commercial en fréquentant de manière assidue les ports marocains. Seules les armes (et occasionnellement les céréales) étaient interdites à l’exportation. Les principaux ports de commerce international où étaient organisés des services douaniers furent Asila, Tanger et Sebta. Les chorafas « sebtiyine166 » jouissaient d’un crédit considérable et d’une attention particulière à la cour. Sebta était réputée pour la pêche des coraux. Des bateaux de divers pays, dont l’Egypte, chargés de marchandises y affluaient. Sept foundouks y étaient spécialement réservés aux commerçants chrétiens sous contrôle douanier du makhzen Mérinide. Lorsqu’en 1415 la flotte portugaise s’empara de la ville, Salé prit la relève et les Génois y affluèrent en grand nombre.

    Les exportations vers les pays européens comprenaient du bétail, des peaux tannées, de la laine, de la cire, du miel, du sucre et parfois des céréales. Ainsi, pas moins de dix conventions commerciales incluant de nouvelles dispositions douanières ont été signées par les différents souverains Mérinides. Deux conventions seulement ont été citées par les sources arabes.

    Il s’agit de celle signalée par Ibn Khaldoun signée en 1285 entre Abou Youssouf Yacoub et Sancho Roi de Castille. La deuxième citée par Ibn Alhak Noumili167 fut signée au temps du souverain Abou Inan et prévoyait notamment les taxes douanières que les commerçants génois devaient acquitter dans les ports marocains.

    Voici d’ailleurs la liste des conventions commerciales que les Mérinides avaient conclues durant leur règne168.

     

    A la lecture du tableau ci-dessus, on peut constater ce qui suit :

    - les Mérinides avaient conclu durant plus de huit décennies de règne pas moins de dix conventions commerciales internationales : soit une moyenne d’une convention tous les neuf ans. Ce rythme peut être considéré comme très performant compte tenu des moyens logistiques de l’époque. Il révèle l’existence d’une stratégie économique cohérente du pouvoir mérinde ;

    - les conventions avaient été conclues exclusivement avec les nations commerçantes du monde méditerranéen non musulman ;

    - la moitié des accords avaient été conclus avec la république de l’Aragon qui avait grand besoin des céréales du Maroc ;

    - le net recul du commerce avec Marseille qui s’était traduit par la disparition du comptoir marseillais sous douane au port de Sebta instauré du temps des Almohades.

    Au niveau du rôle que jouait le Makhzen Mérinide dans cette intense activité commerciale avec le monde de la Méditerranée, il convient de noter les situations de monopole qu’a créé l’Etat pour les échanges de certaines marchandises, telles que le blé ou les peaux. Pour gérer ces situations de monopoles, il était évident que les structures douanières étaient de plus en plus mise en oeuvre notamment dans les ports.

    Ainsi, l’organisation des douanes dans les ports initiée sous le règne des Almohades s’est non seulement bien consolidée, mais a évolué en fonction de missions de plus en plus croissantes confiées à l’administration douanière. La douane du temps des Mérinides, jouait désormais, à côté de ses missions traditionnelles économique et fiscale, un véritable rôle d’acteur animateur du commerce international.

    Avec le déclin du commerce caravanier et la multiplication des transactions commerciales avec l’Europe basées sur des conventions bilatérales, les interventions des douanes du makhzen sont devenues plus fréquentes et de plus en plus variées. Le besoin du contrôle de l’activité commerciale à l’exportation qui relevait en grande partie du monopole de l’Etat a vraisemblablement conduit le makhzen Mérinide à développer et à renforcer les structures douanières notamment dans les ports. C’est à ce niveau qu’il y aurait lieu de situer le développement du système original des oumanas des douanes au Maroc.

    En effet, à partir de la signature du traité de commerce en 1273 avec la couronne d’Aragon169 les relations commerciales commencèrent à devenir régulières avec les pays européens. Depuis, le Maroc fut mêlé d’une façon active à la vie des grandes nations maritimes européennes. Ces relations furent régulièrement entretenues par des relations diplomatiques étroites et soutenues par les sultans Mérinides. Les archives arabes des bibliothèques européennes contiennent de nombreuses correspondances à ce sujet dont l’étude pourrait apporter de nouvelles appréciations sur les activités du commerce extérieur entre les deux pays. Nous pouvons évoquer, à titre d’exemple, une lettre du Sultan Youssef Ibn Yacoub Al Mansour adressée le 23 mars 1304 au Roi d’Aragon.

    D’autre part, il convient de signaler que les sultans accordèrent aux marchands chrétiens le droit de propriété, dans les villes de la côte. Ils y possédaient des maisons, des entrepôts, de vastes foundouks où ils pouvaient accumuler, sous douane, tous les produits qui leur étaient destinées sans qu’ils eussent à  craindre le pillage.

    Parallèlement, le makhzen devait procéder au recouvrement des droits et taxes dus sur l’échange de ces marchandises. A noter qu’à l’époque, les droits et taxes n’étaient dus qu’après concrétisation de la transaction commerciale qui s’effectuait évidemment sous douane. A l’importation, le contrôle douanier visait non seulement le contrôle des prohibitions et la perception des droits et taxes, mais concernait également la réalisation de la transaction commerciale d’achat et de vente. A l’exportation, ce double rôle de la structure douanière se trouve renforcé du fait que c’est souvent le makhzen qui est vendeur de la marchandise (blé - peaux).

     

     

     

    Estimant que les riches négociants du littoral auraient, d’une part, plus d’expérience dans les affaires commerciales et que d’autre part, leur fortune constituerait un gage sûr de leur gestion, les sultans du Maroc ont, très probablement depuis les Mérinides, pensé à confier la gestion des importations et des exportations, ainsi que la perception des droits et taxes liés à ces activités à cette catégorie de la population. Ce choix confirme le constat de nombreux historiens sur la politique commerciale sélective au Maroc inauguré par les Mérinides. En effet, les chercheurs notent qu’à l’époque des Mérinides, les structures des échanges étaient basées sur l’importation de produits de luxe. A l’exception des épices, les importations marocaines étaient exclusivement destinées à une couche sociale restreinte qu’Ibn Khaldoun qualifiait de ”souk adaoula” (marché de l’Etat).

    Le rôle fiscal de la douane, selon Pegolotti, s’est considérablement accru sous le règne des Mérinides. Ce négociant italien nous livre en effet un rare et précieux témoignage sur la fiscalité douanière de l’époque appliqué dans les principaux ports du Maroc.

    A Safi, en plus de l’Achour (taxe douanière de dix pour cent ad-valorem ) , les marchandises importées étaient soumises à la perception d’une taxe équi - valente au seizième de la valeur appelée manghouna (6,25 %). A Anfa, la douane percevait neuf dirhams or pour l’exportation de cents peaux de bovins brutes, un quart de dirham or pour l’exportation d’un quintal d’amande. Quatre dirhams or pour l’exportation d’une unité de mesure (kahiz) d’orge, 2 dirhams or pour l’exportation d’une unité de mesure (kahiz) de blé. A Salé, il était perçu un demi dirham or à l’exportation d’un quintal de ”nila170.

    Pegalloti rapporte également qu’à Larache, des commerçants ont été sévèrement punis par le service des douanes pour n’avoir pas payé la ”manghouna” .

    L’intérêt particulier que le makhzen Mérinide accordait au commerce extérieur et aux recettes douanières qu’il engendre s’est également illustré par la célèbre mission d’information qu’a effectué Ibn Battouta à l’initiative du Sultan Mérinide Abou Inane. Par l’organisation de cette mission, le makhzen visait, entre autres, quatre principaux objectifs économiques :

    - fournir au makhzen des informations précises sur les chemins reliant le Maroc au Soudan ;

    - préciser le niveau des échanges ;

    - identifier les marchandises disponibles ;

    - décrire les procédures de transaction et de passage aux frontières.

    Concernant ce dernier point, Ibn Battouta nous a confirmé l’existence d’un contrôle douanier de l’Etat Mérinide sur les opérations du commerce caravanier. Ce contrôle, écrit-il, était exercé par un organisme du makhzen qu’il a qualifié de (al moulatamine assanhajiine). Ibn Battouta décrit avec beaucoup de détail une opération de contrôle douanier d’une caravane qu’il accompagnait.

    Lorsque nous sommes arrivés, tous les commerçants ont déposé leurs marchandises dans une place, surveillée par des gardes noires. Nous nous sommes dirigés alors vers ”Al faraba” (il s’agit probablement du chef du service de contrôle) qui était assis sur un tapis en (sakif) entouré de ses collaborateurs et ses gardes armés. Les commerçants se présentaient à lui par l’intermédiaire d’un interprète à tour de rôle ……………….”171.

    L’EPOQUE WATTASSIDES

    1471 - 1553

    L’unité douanière sous le règne wattasside avait connu une grande déchirure. Cette nouvelle situation peut s’expliquer, selon les analyses de plusieurs historiens, par le fait que les souverains wattassides n’avaient pas réussi à établir l’unité politique nécessaire à la stabilité du pays. Ainsi, plusieurs zones échappaient à leur contrôle. Sebta, Mellilia, Tanger, Asila, ksar Al Kebir, Azemmour, Mazagan (El Jadida), Safi, Anfa, Agouz, Agadir et Massa étaient occupées par les espagnols ou les portugais.

    En l’absence de documents de références couvrant cette période, on ne peut que se demander si les douanes de ces ports n’étaient-elles pas régies par les autorités d’occupation ? De plus, le port de Tétouan fut pendant un laps de temps sous l’autorité d’Al Mandari.

    Cependant, les historiens soulignent le fait que, malgré les difficultés que les wattassides avaient à établir leur autorité sur l’empire marocain, ils eurent toutefois le mérite de représenter la seule autorité d’un pays musulman non soumise à une puissance étrangère. Cette relative indépendance avait permis le maintien d’une activité douanière liée au commerce extérieur.

    En 1538, un accord de bon voisinage et de commerce fut conclu entre le Sultan Ahmed El Wattassi et le Roi du Portugal Jean III172. Suite à cette convention, un émissaire portugais nommé Bastias du Vergas a été dépêché auprès du Sultan du Maroc. La mission du représentant portugais, qui parlait et écrivait couramment l’arabe était d’ordre économique. Bastias avait en effet négocié d’importantes quantités de céréales qui devaient être exportées par les ports de Mehdia et Larache173.

    Par ailleurs, l’année 1551 avait enregistré un regain de l’activité commerciale avec la Grande Bretagne après la visite d’un groupe de commerçants anglais au port de Safi. Parmi les marchandises importées, on pouvait remarquer les tissus de soie et les fameuses ”Mlifa174”, les fusils, les munitions et les ébauches pour armes blanches.

    Au niveau de l’exportation, il y a lieu de signaler qu’avant les saâdiens, les premières exportations du sucre marocain s’étaient réalisées sous le règne wattasside. Les burnous noirs en laines du Tadla étaient également présentés à l’exportation par des commerçants italiens et espagnols.

    En 1533, Edmond Demelon, négociant français175 obtint de la Cour sultanienne l’autorisation d’exportation de bovins du Maroc. Il exporta en la même année en franchise des droits de douane vers la France, un cadeau du Sultan à François Premier consistant en douze chevaux, un lion, un loup, trois autruches et quatre lièvres176.

    L’activité commerciale caravanière avec le Soudan et l’Egypte s’était maintenue durant le règne wattasside. Sijilmassa aurait été le centre du contrôle douanier de ces échanges. Taroudant, dans le sud-ouest constituait la base de contrôle des échanges avec le Sénégal. En dépit des incursions étrangères dans les principaux ports du Maroc, l’activité commerciale avec l’Europe s’était bien maintenue. Le port de Salé aurait été le bureau douanier le plus actif où étaient contrôlées les opérations d’importation et d’exportation.

    Fès fut durant cette période une vraie capitale économique du Royaume grâce à l’intense activité d’un groupe de commerçants génois qui procuraient au makhzen l’essentiel de ses recettes douanières. A ce titre, ils bénéficiaient d’une protection particulière dans la capitale spirituelle du Royaume. Sur ordre du Sultan, la dépouille mortelle du riche négociant génois Thomas De Marino, décédé à Fès, avait été transférée à Gênes177.

    Cependant, malgré cette activité économique, le makhzen était souvent confronté à de grandes crises financières. Les recettes douanières, étaient dès lors à l’instar des autres ”moukous” concédées selon le procédé de fermage. En 1548, le Sultan Abou Al Abbass Ahmed avait concédé la totalité des ”moukous” à un ”doumi” converti à l’Islam dénommé ”Al Manjour Al Isslami”178.

    LES INNOVATIONS DES SAÂDIENS

    Sous le règne des Saâdiens, le Maroc a connu une période des plus prospères de son histoire. Cette prospérité s’est traduite en fait par une grande activité économique qui s’est étendue pour la première fois à toutes les provinces du Maroc. Le prodigieux essor économique enregistré sous le règne des saâdiens est dû, d’après certains historiens179, à quatre principaux facteurs qui sont :

    1) le développement du monde rural ;

    2) l’extension de la sphère géographique de l’activité économique ;

    3) le développement de l’activité commerciale tant à l’intérieur qu’avec le monde extérieur ;

    4) l’organisation de l’administration fiscale dont l’institution douanière faisait partie.

    Avec l’apparition d’industries nouvelles, le domaine de l’activité économique s’est élargi. Ainsi, l’Etat a monopolisé l’industrie du sucre en instaurant plus d’une dizaine d’unités de production à Chichaoua, Essaouira et dans le Souss. De même, le makhzen donna une grande importance à l’exploitation des minerais et des matières premières.

    Compte-tenu des bonnes relations diplomatiques avec l’étranger, le commerce extérieur enregistra un développement sans précédent. Cet essor économique s’est traduit par un renforcement de  l’organisation administrative et financière au Maroc. Il s’explique, en outre, par le fait que sous la dynastie Saâdienne, le Maroc attira l’attention des puissances d’Orient et d’Occident, du fait que l’armée marocaine put se préparer en quelques jours et battre l’armée du Portugal, (le plus grand empire du monde à l’époque), tuer son Roi, Don Sébastien, et faire prisonnier des milliers de combattants de plusieurs nationalités.

    C’est le Sultan Saâdien Al Mansour, qui sous l’effet de cette éclatante victoire militaire, va inaugurer une nouvelle politique économique basée sur l’octroi d’avantages fiscaux et de concessions aux commerçants étrangers. Des relations commerciales très étroites vont lier le Maroc à l’Angleterre et vont aboutir à un véritable monopole du commerce extérieur avec la création en 1583 de la ”Barbary company”. Les ports les plus actifs furent Safi, Agadir, Larache et Tétouan. Les échanges portaient à l’importation sur les armes à feu et les munitions pour le makhzen, les étoffes, le bois et les tarbouchs (chapeaux marocains). L’activité de l’exportation concernait essentiellement le sucre, le sel, les tapis, les céréales, les amandes, les dattes, la cire.

    Compte-tenu de l’importance, pour le budget de l’Etat, des recettes que généraient ces multiples activités, les Saâdiens ont marqué un intérêt particulier à l’organisation des structures financières de l’Etat et spécialement les structures douanières.

    C’est probablement à l’époque des Saâdiens que remonte l’utilisation précise du mot “Diwana” pour désigner les droits et taxes perçus sur les transactions commerciales à l’importation et ou à l’exportation180. Les droits à l’importation ont enregistré une grande augmentation atteignant le taux de trente pour cent sur la valeur. A l’exportation, le taux modéré de dix pour cent était appliqué et considéré comme une mesure attractive pour les commerçants étrangers.

    Ce souci d’organisation s’illustre également à travers l’utilisation de registres spécifiques par les agents des douanes. Dans ces nouveaux livres comptables étaient consignées, non seulement, les perceptions des droits et taxes, mais également toutes les informations sur les mouvements des marchandises et des navires.

    Les responsables des douanes dépendaient d’une autorité financière que le Sultan Al Mansour avait instauré. Il s’agit de ”Sahib khazain addar”181 qui avait rang de pseudo-ministre et qui coiffait tous les services de recouvrement des impôts du Sultan. L’institution douanière a été rattachée à une entité administrative financière du makhzen. A ce titre une maison de la douane a été intégré dans l’enceinte du Palais Royal à Marrakech182.

    La nomination du responsable des douanes dans chaque port se faisait par le Sultan. Le chef du service des douanes était choisi parmi les hommes de confiance du Sultan. Il était sous la tutelle de ”Sahib khazain addar” qu’on peut considérer comme l’équivalent d’un Ministre des Finances de notre temps. On peut également attribuer à l’époque des Saâdiens l’institution du système de contrôle de la gestion des affaires douanières. Cette mission relevait également du ressort du “Sahib khazain addar”.

    Cet effort de restructuration et de contrôle de l’administration financière en général et douanière en particulier, est devenu une priorité du makhzen Saâdien, compte tenu de l’intense activité commerciale enregistrée sur les côtes marocaines du fait des rivalités que s’y livraient les nations européennes. Par ailleurs, l’occupation de certains ports marocains par les Portugais et les Espagnols privait le makhzen d’une grande partie de ses ressources douanières .

    Pis encore, ces occupations ont donné naissance à une grande activité de contrebande qui amenuisait davantage les ressources financières de l’Etat.

     

     

    Dans sa description du Maroc sous le règne de Ahmed Al Mansour, De Castries nous décrit avec une rare précision les premiers actes de contrebande auxquels les douanes marocaines durent faire face. D’après un manuscrit de la bibliothèque nationale à Paris, un informateur rapporte que ”le 13 décembre 1553 pendant qu’il se dirigeait à bord d’un navire à Ras Al ghir183 en vue d’entrer à Taroudant pour y libérer son frère prisonnier au Maroc, il constata qu’au large de Safi, deux individus ont rejoint le rivage à bord d’un canot et y débarquer 2 ballots de tissus et une valise en cuir184.

    Le soldat Gasper Gonçalvez en service à Ymazighen (El Jadida) depuis 1550 écrit dans ses mémoires que, le 9 avril 1554, il fut prisonnier par les musulmans qui le conduisirent au port de Safi. Dans ce port, rapporte-t-il, les chrétiens troquaient des armes et plusieurs sortes de marchandises prohibées contre le sucre qui était exporté ensuite vers l’Europe.

    Une relation anglaise de 1578 décrivant les Juifs du Maroc dit que “ils y sont nombreux et ont accaparé le trafic par fermage, c’est à dire qu’ils prennent ”à ferme” ou ”à rente” les droits d’entrée ou de sortie du port”. Thomas le Gendre dans sa relation anglaise de 1665185 confirme que “les juifs s’entremettent fort dans le commerce et dans les fermes, prenant ordinairement à ferme ou à rente les droits du roy des entrées et de sorties, à cause de quoy on appelle ceux - les rentiers ; et ainsi, il faut en effet, souvent passer par leurs mains. Pour le commerce, ils étaient en relation avec les juifs de La Haye, tels que les frères Joseph et Isaac, comme eux, expulsés d’Espagne, et devenus si importants, qu’ils pouvaient demander aux Etats Généraux l’exemption des droits de douane pour les marchandises exportées au Maroc, et pour importer des munitions, poudres, armes pour le Sultan”.

    Le quasi-monopole des juifs sur le commerce extérieur du pays leur attirait l’animosité des autres négociants européens et marocains. Les échanges portaient sur une grande gamme de variétés de marchandises telles que le cuivre rouge, l’or brut ou en pièces de monnaie, l’ambre, la cire, les chevaux, le bétail, les peaux. Mais, la principale richesse du Maroc du XVIème siècle a été constituée, sans doute, par les abondantes exploitations de canne à sucre qui permirent de faire de cette activité la principale industrie du pays.

    Paul Berthier186 dans son étude sur les anciennes sucreries du Maroc, note que, grâce à l’introduction de nouvelles technologies, plusieurs exploitations sucrières furent développées à Oued El Qssab dans la région d’Essaouira, à Tensift, dans les plaines du Sous ainsi qu’au Nord dans la région Tanger-Tétouan. Les vestiges de plus d’une dizaine de manufactures de sucre ont été découvertes à Essaouira, Sidi Chiker, Chichaoua, Oulad Taïma.

    D’après certaines sources, la moyenne des exportations du sucre vers l’Angleterre était de 2.000 caisses par an. Avant son occupation par les Espagnols et les Portugais, le port d’Al Mahrouka (Mehdia) connut une intense activité commerciale liée principalement à l’exportation du bétail. Belyounech, Tétouan, Sebta, Safi et notamment Agadir, Taroudant et Fès ont été des places très actives pour les exportations marocaines.

    Dans son étude sur la dynastie Saâdienne, Rousseau estimait les exportations du Maroc vers l’Europe à 80.000 ducats par an187. La capitale politique Marrakech connut dès lors son plus grand essor économique. Ainsi, les Saâdiens y ont édifié le plus grand bâtiment des douanes de l’empire. Il s’agit d’un grand édifice composé d’une administration centrale à la casbah et d’un grand Foundouk, situé à l’emplacement actuel de la place Jamaâ Lafna, et dont il ne reste plus aujourd’hui malheureusement aucune trace.

    La vraie douane se trouvait à l’intérieur de la Casbah. C’était le bureau de change et aussi l’entrepôt où devaient être déposées toutes les marchandises importées ou exportées par les européens, afin de les soumettre à la visite et au droit de douane. En principe dix pour cent à la sortie, mais à l’entrée, quelque fois trente pour cent, dira un mémoire portugais188 La grande Douane du Foundouk de Jamaâ Lafna fut construite en 1547 par le Sultan Saâdien Mohamed El Mehdi Cheikh1 8 9. Les travaux auraient été dirigés par Sidi Moussa1 9 0. L’hôtel des douanes était constituée de 23 magasins au rez-de chaussée de 23 chambres en étage, et entourée d’un grand mur de clôture avec une seule porte surveillée en permanence par des agents des douanes musulmans.

    A l’entrée de l’édifice, un hall de vérification et de perception des droits et taxes était aménagé pour l’accomplissement des formalités de dédouanement sous le contrôle des agents des douanes du makhzen. Jean Maquet signale la présence des “Talib” (oumana des douanes) dans l’enceinte douanière de Jamaâ Lafna. De même, il y existait une institution bancaire pour garantir les transactions et le change. Al’intérieur, les magasins et les chambres étaient attribués aux négociants juifs et européens pour habitation et stockage des marchandises. Vers 1624, un dénommé Amatric, d’origine provençale, parait avoir tenu à l’intérieur de la douane une sorte d’hôtel où descendaient les voyageurs européens de passage. Cette douane fonctionnait jusqu’à la décadence de l’empire Saâdien. Elle fut transférée au port de Safi en 1653. L’édifice servait depuis comme résidence pour les commerçant s européens qui y aménagèrent une église où ils exerçaient leur culte. Avec le départ des européens, le bâtiment des douanes est tombé en ruines. Sur une partie de son grand espace naquit la célèbre place Jamaâ Lafna.

     

    Les marchandises dédouanées transitaient par les ports du sud comme Safi, Agadir et même par les villes de Taroudant et Fès qui connurent à cette époque un trafic commercial fluvial très actif. Ainsi, le port d’Agadir avait enregistré sous les Saâdiens, ses plus grandes rentrées douanières, compte tenu des avantages fiscaux accordés à l’exportation.

    Les taxes douanières variaient aussi selon les ports. A Safi, la taxe usuelle à l’importation était de dix pour cent ad-valorem sur les marchandises vendues à quai (sur terre). A Massa, en plus de la taxe de dix pour cent, une taxe additionnelle de sept pour cent était due par l’importateur, lorsque la transaction de vente est réalisée à bord du navire.

    En 1589, il a été dédouané 3000 coupons de tissus pour un montant de 18.000 oukia. Ce qui permet de dégager une valeur unitaire de 60 oukia pour chaque coupon. En 1570, 1587 et 1588, les commerçants de Rouen ont conclu une série de protocoles avec le makhzen Saâdien pour l’exportation à partir du port d’Agadir du sucre à bord du navire Saint Simon. Les recettes douanières du port d’Agadir furent durant cette période les plus élevées de tous les ports du Maroc.

    Bien que situé à l’intérieur du pays, la ville de Taroudant a joué un rôle douanier d’avant garde compte tenu de l’existence d’un port fluvial aménagé spécialement pour y effectuer des opérations commerciales dites secrètes. En effet malgré les prohibitions annoncés par l’église catholique, le Maroc continua de pratiquer un traditionnel courant de commerce avec les pays européens.

    Thomas le Gendre, dans une relation du Maroc recueillie en 1631 décrivait les difficultés du Sultan à recouvrer les impôts dont les droits de douane. Il précisait :

    “…………..et, si ce Roy n’y allait plus fort, il n’aurait aucun tribut qui consiste en blé, orge ou froment, chevaux, moutons, vaches, chameaux et volailles, car pour de l’argent, il n’en tire point, sinon des susdictes places où il a des douanes et impôts sur les marchandises, les juifs faisant tout ce négoce. Il entretient sa maison et son armée par le moyen des dictes douanes et des autres commodités qu’il prend sur ses subjects191.

    D’autre part, la course ou “Jihad maritime” qui s’est beaucoup développée après la relative indépendance de Salé, 

    rendait parfois précaires les relations commerciales entre le Maroc et l’Europe. Il n’en demeure pas moins que le makhzen Saâdien, qui éprouvait de sérieuses difficultés pour lever les impôts intérieurs, ne pouvait se désintéresser des recettes douanières. Après un essai de répression sans succès à l’encontre des corsaires de Rabat-Salé, le Sultan leur reconnut implicisement une quasi-indépendance. Néanmoins, il recevait une part des prises de la course et un certain nombre de captifs. Les étrangers contemporains des événements qui ont marqué les dernières années de la dynastie Saâdienne ont signalé l’apparition sur les rives du Bou Regreg d’une sorte d’organisation politico-économique qu’ils ont appelé des ”conseils” ou des ”républiques”.

    Ainsi, à une époque où la plupart des ports du Maroc étaient aux mains des chrétiens (Tanger, Safi, Asila, Mazagan, Larache, Al Mamora, Anfa), Salé restait la première place à l’océan atlantique pour la surveillance du Détroit de Gibraltar distant d’à peine 50 lieues. Les conditions spéciales du port de Rabat-Salé, dont la barre interdisait l’accès à tous les navires de gros tonnage, en faisaient un repaire idéal à l’abri duquel s’est développé à partir de la deuxième moitié du XVIIè m e siècle une véritable activité de course maritime. Les grandes découvertes maritimes déplaçaient le commerce vers le ”Ponant”. L’occident délaissant les routes de l’orient. Lisbonne était à cette époque le grand centre du commerce avec les Indes et le Brésil. Toutes les flottes européennes longeaient la côte africaine jusqu’au Cap de Bonne Espérance. Le Détroit de Gibraltar devint un carrefour maritime important constamment sillonné par des navires chargés de fortunes et sans défense. Conduits à une violente haine et un désir de vengeance contre les Espagnols de la péninsule qui les avaient expulsés et contre les chrétiens en général, les hornocheros furent les premiers organisateurs de la course à partir des eaux marocaines. Considérée à l’époque comme une activité normale, la course se pratiquait sous forme de campagnes annuelles d’avril à octobre. Les corssaires entretenaient une insécurité permanente des grandes voies maritimes. Ne pouvant parvenir à réduire les corsaires par les armes, le makhzen du se ésoudre à composer avec la “république de Rabat-Salé” tout en bénéficiant d’une partie des recettes douanières. La répartition du produit de la course s’effectuait généralement comme suit : 

    Dix pour cent au diwan de la ville ; Quarante cinq pour cent au propriétaire de l’embarcation ; Quarante cinq pour cent au personnel navigant. Lorsque les corsaires sont sous la tutelle du Sultan, le makhzen percevait le cinquième du produit. Le reliquat est réparti à égalité entre le propriétaire du bateau et l’équipage. A ce titre, le revenu des douanes du port de Rabat-Salé se serait élevé à 25 millions ducats de 1620 à 1630. Ces recettes sont dues en partie à l’activité de la course mais également au grand trafic commercial qui s’est développé avec certains pays européens. En effet, de nombreux chrétiens traitaient d’importantes affaires commerciales au port de Salé le neuf (Rabat) et Salé le vieux. Par un décret de 1626, le Roi d’Espagne PhilippeIV autorisa les Espagnols à faire le commerce avec les Andalous de Rabat-Salé. Un contemporain décrivait la situation qui prévalait à l’époque au port en ces termes :

    Affligeante Europe ! Et habileté machiavélique des corsaires de Salé …….. Ainsi, pouvait-on apercevoir sur les quais du port les captifs chrétiens retenus comme esclaves, tandis que d’autres chrétiens s’employaient à de juteux profits…………192”.

    La course enrichit la ville comme nous l’indique J. Brignon “une année de revenus de la course rapporte à la douane de Salé plus qu’une année d’impôt à l’époque d’El Mansour pour tout le Royaume193.

    Ce n’est que sous le règne des premiers Sultans Alaouites, que la course perdit son indépendance. Mise sous la bannière du makhzen, elle change de nom et de vocation, on parlera désormais de la course et des corsaires. Les corsaires avaient ainsi marqué l’histoire du Maroc en général et l’histoire des douanes en particulier. En 1672 le Sultan Moulay Ismaïl nomma un corsaire, Abd El Hadi converti à l’Islam d’origine française comme Amine du port de Rabat. Saïd Aganwi (le Génois) fut en 1647 Amine du port de Salé-le-Vieux (c’est-à-dire responsable des douanes). Il pratiquait également le commerce pour son propre compte. En janvier 1758, nous trouvons trace de son commerce dans les états des prises faites sur un bateau, une somme de 787 rials concernait ce qui lui revenait comme marchandises.

    Les commandants de bateaux connus sous le nom de raïs (Rouas au pluriel) se recrutèrent en effet essentiellement parmi les Andalous et les renégats de Rabat rapidement formés à la course et que vinrent épauler les pirates chassés d’Al Mamora en 1614 par les Espagnols qui l’occupèrent. En 1635, le père Dan, en mission au Maroc, comptait 300 convertis vivant de la course. Par leur audace et leur sang froid, ils réalisèrent des exploits que l’histoire n’oubliera pas. Parmi eux on peut citer Bargach, Meize dit le brave, Maâninou, Rousay, Hajali, Brittel et Ben Ali El Quassir. Salé donnera à la piraterie le célèbre Fennich, le Raïs Aouad. Moulay Ismaïl fera de Ben Aïcha, le célèbre “fennal des vaisseaux de Salé” son ambassadeur auprès de Louis XIV. Comme le signalait de Castries citant des relations de l’époque, c’est à partir de ce moment qu’une nouvelle classe d’intermédiaires fera son apparition dans le monde du négoce et du commerce international. 

    Industrieux, touchant à tous les courtages, âpres au gain et maîtrisant parfaitement l’Arabe et les langues étrangères, les juifs de Salé surent profiter de la course, s’adapter aux moeurs qui leur étaient défavorables et devinrent ainsi les intermédiaires des européens et des consuls. Cette situation leur permit de devenir très vite les interlocuteurs privilégiés du makhzen et de la douane en particulier. Ils avaient licence de battre monnaie pour le makhzen, recouvraient les droits de douane devenant ainsi d’indispensables agents du sultan.

    Par ailleurs, il convient de noter que les douanes du makhzen Saâdien géraient non seulement les ports libres marocains, mais également à l’intérieur du pays les ports des rivières navigables en relation directe avec l’étranger. 

    Parallèlement à la création de nouveaux bureaux de douane, le makhzen Saâdien a tenu à renforcer ses relations commerciales extérieures avec l’Angleterre. En 1551 et 1552, deux grandes expéditions commerciales ont conduit des délégations de négociants britanniques dirigées par le capitaine Thomas Windam aux ports de Salé et de Santa Cruz, (Agadir). Depuis, les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Angleterre, n’avaient cessé de s’accroître et avaient porté sur diverses marchandises. En plus, les recettes douanières découlant de l’importation et l’exportation (du sucre notamment), apportaient aux Sultans Saâdiens de grandes rentrées de numéraire. Le sucre marocain était très sollicité en Europe. En 1589, la Reine Elizabeth en importa 60 caisses pour sa propre consommation.

    En plus de sa classique mission de recouvrement des droits et taxes, le makhzen Saâdien confiait à la douane le contrôle de l’exportation de produits stratégiques. Le nitrate de potassium était particulièrement prisé par les Anglais qui l’importaient pour la fabrication des poudres explosives. La douane contrôlait rigoureusement l’exportation de cette matière première stratégique qui n’était permise que lorsqu’elle était réalisée pour le compte de l’Etat. En 1576, Edmond Hogin, l’un des plus grands commerçants de Londres vendait au Sultan Saâdien Moulay Abdelmalek des boulets de canon contre une quantité équivalente de nitrate. En 1581, sur autorisation spéciale de la Reine d’Angleterre, le négociant John Simpekte, expédia au Maroc 600 tonnes de planches destinées à la construction de navires de guerre. En contrepartie, la douane l’autorise à exporter le nitrate de potassium. 

    Enfin, on ne peut pas aborder l’organisation douanière du temps de la dynastie Saâdienne sans nous interroger sur le rôle de cette administration ans le contrôle du commerce caravanier transaharien. Nous avons constaté, grâce à des témoignages essentiellement européens, les méthodes et structures du contrôle douanier sur les opérations du commerce extérieur maritime du Maroc avec les nations européennes dès le début du XIIIème siècle. En ce qui  concerne les échanges commerciaux avec l’Orient et le Sud notamment, il est établi que le contrôle douanier a toujours été effectué par le makhzen.

    Cependant, tout porte à croire que ce contrôle fut différent tant au niveau de sa forme que de sa nature. En réalité, depuis les Almoravides, l’Etat basait sa puissance politique sur les revenus que lui procurait le contrôle du commerce transaharien. De cette approche stratégique deux politiques douanières avaient été mises en oeuvre : d’une part un système de contrôle des opérations commerciales avec les territoires de l’Orient et du Sud et d’autre part un dispositif d’application des procédures douanières incluses dans les traités commerciaux avec les puissances européennes :

    1. une politique douanière conventionnelle appliquée essentiellement aux échanges avec les puissances européennes non musulmanes :

    En effet, souvent le makhzen Saâdien se livrait, de temps à autre, à un véritable embargo économique vis-à-vis des puissances européennes catholiques (Portugal - Espagne) qui prohibaient la livraison des armes, munitions et tout instrument de guerre au Maroc.

    En règle générale, le commerce avec les musulmans était prohibé à partir de 1521 pour les sujets portugais. Cependant, après l’occupation de certains ports marocains, le Roi du Portugal qui dirigeait personnellement l’activité du commerce avec l’étranger autorisa des négociants indépendants à exporter des marchandises vers les ports marocains, à condition de payer des droits spécifiques avant l’exportation. Ainsi, il y a lieu de déduire que pendant l’occupation portugaise des ports marocains, les droits et taxes de douane dus sur l’importation des marchandises étaient recouvrées par l’administration  portugaise à l’embarquement de ces marchandises vers le Maroc. 

    Cela se traduisait évidemment par un manque à gagner pour le trésor saâdien qui essaya de le compenser par l’ouverture de nouveaux bureaux douaniers. Compte tenu de cette conjoncture, l’Etat activa les ports fluviaux de Fès et Taroudant qui permettaient à l’époque une navigation normale. Et il parait que les ports fluviaux aménagés à Fès et à Taroudant étaient des sites idéaux pour déjouer la vigilance des espions catholiques. Les procès verbaux des tribunaux d’inquisition portugais instaurés sous la pression de l’église pour empêcher les échanges avec le Maroc musulman, comportent souvent des témoignages sur les chargements de navires à Taroudant de peaux et de sucre vers le port d’Anvers. Dans une lettre adressée à Jean III, Sébastien Alvares signale l’arrivée de 9 navires de commerce au port de Taroudant.

    L’activité commerciale extérieure nécessitait dès lors une organisation douanière dans cette ville qui n’avait connu jusqu’alors que des transactions de commerce intérieur. C’est ce qui a conduit sans doute le makhzen Saâdien à y instituer une douane. La résidence du Sultan à Taroudant fut d’ailleurs transformé en maison des douanes pour l’accomplissement des formalités douanières, l’entreposage des marchandises et l’habitation des négociants étrangers.

    Cette relance de l’activité commerciale maritime par les Saâdiens face au blocus portugais s’est traduite également par la dynamisation du port fluvial de Fès qui connut une activité commerciale depuis les Almohades. En effet, dès le XIIème siècle, il était enregistré une intense activité commerciale qui reliait Fès à Mehdia par un trafic de petites embarcations qui traversaient l’oued Fès, puis Sebou jusqu’à son embouchure à l’Océan Atlantique. Le port fluvial se situait au confluent de l’Oued Fès et de l’Oued Sebou dans une localité qui s’appelait ”Al Habala”. En 1355, le Sultan Abou Inan ordonna la construction de deux embarcations à voile au village de Khalouane (Sidi Hrazem) qui transportèrent 180 soldats de Fès à Mehdia. En 1560, le chef d’une mission diplomatique et commerciale de Navaria est retourné à son pays par ”le port de Fès”. Ala même époque, il y a été enregistré l’arrivée d’une embarcation en provenance de Marseille. Pour animer cette activité commerciale, les Saâdiens ont édifié à Fès un véritable chantier naval spécialisé dans la fabrication de petites embarcations à voile. Une véritable industrie s’est développée grâce à la présence à proximité d’importantes forêts de cèdres et de chênes et la culture de chanvre, nécessaire à la fabrication de cordage. Cette activité s’est développé notamment chez la tribu de Beni Yazgha194.

    2. Une politique douanière intérieure : appliquée aux transactions commerciales avec les territoires musulmans de l’Orient et du Sud :

    Cette différence dans les politiques douanières émane du fait que pour les opérateurs économiques de l’époque, la notion de frontière était perçue différemment selon qu’il s’agissait d’une transaction avec une nation chrétienne et maritime ou qu’il s’agissait d’une opération de commerce avec d’autres territoires musulmans. Ainsi, les échanges avec l’Europe chrétienne s’effectuaient exclusivement par la voie maritime. Il existait dès lors trois frontières : politiques, idéologiques et géographiques.

    Avec les pays musulmans, une réalité géographique faisait que seul le commerce terrestre était prépondérant. Se trouvant en permanence en terre d’Islam, les caravaniers n’avaient pas vraiment l’impression de quitter un territoire et encore moins de traverser une frontière. C’est ce qui ressort des témoignages et récits de grands écrivains voyageurs tel que Ibn Battouta, El Bekri ou Zayani. Le makhzen était dès lors enclin à adapter ses contrôles à cette dualité de perception de droit économico-politique. Ainsi, la douane était non seulement chargée de la perception des droits et taxes, mais devait sans doute avoir la charge de l’organisation de ces grandes expéditions transahariennes. Le Maroc Saâdien sous l’effet des retombées de la bataille des trois Rois était devenu la plate forme d’échanges incontournables entre l’Afrique et l’Europe. Ainsi, s’est développé le commerce caravanier où le chameau fut le principal moyen de transport. 

    Par ailleurs, l’Europe gouttant aux bienfaits d’un florissant début d’industrialisation avait besoin davantage de matières premières et de plus en plus de marchés pour écouler ses nouveaux produits manufacturés. La douane qui accueillait les marchandises dans les nombreux foundouks des ports du littoral atlantique ou des villes impériales de Fès et Marrakech, devait certainement veiller au contrôle de ces mêmes marchandises à l’occasion de leur exportation vers le sud subsaharien, connu dans les écrits marocain par le Soudan Occidental. L’enjeu pour le makhzen était certainement très important parce que la mise était double. Les droits de douane étaient perçus non seulement à l’entrée maritime du territoire douanier, mais également à la sortie par les frontières terrestres. Ainsi, en l’absence de véritables bureaux de douane aux frontières terrestres, le contrôle s’effectuait au départ des caravanes qui étaient organisés sous la tutelle du makhzen. 

    Dans les foundouks, les marchandises destinées à l’exportation étaient recensées par le service des douanes qui exerçait un contrôle permanent sur le mouvement des marchandises dans les enceintes douanières. Les droits et taxes étaient perçus à l’occasion de la transaction commerciale d’achat de marchandises pour l’exportation. Par ailleurs, les axes routiers des caravanes étaient contrôlés par l’Etat qui y assurait, selon l’étendue de son autorité, une police de surveillance et de sécurité. 

    Les principaux axes connus jusqu’au XVIème siècle étaient : 

    - la route Maghreb Al Aksa – Sijilmassa – Touat-Tounbouctou ;

    - la route Ghana – Mogador – Fès via Oued Gheste ;

    - la route Tounbouctou – Mogador – Fès via les mines de Taghaza.

     

    Les caravanes partaient des grandes agglomérations. Certaines se constituaient de grands rassemblements de commerçants. Le commerce caravanier fut régi par des principes fondamentaux qui lui étaient spécifiques. Parmi ces principes on peut citer:

    1) la caravane s’organisait une fois par an ;

    2) la caravane ne partait que s’il y avait un nombre minimum de personnes ;

    3) la logistique de la caravane était préparée minutieusement par de véritables professionnels en la matière ;

    4) le makhzen encadrait l’organisation pour s’assurer de la perception des taxes douanières notamment. En contrepartie, il garantissait la sécurité des convois.

    Dans ce cadre , les commerçants de Fès, Marrakech et Sijilmassa furent désormais des intermédiaires attitrés pour l’importation en Afrique subsaharienne de nouveaux produits européens, tels que les vêtements et tissus en couleurs, les chaussures, les coiffes, ainsi que le sel. Au retour, ils importaient au Maroc de l’or, des esclaves, l’ivoire, les oeufs d’autruche, le samagh195.

    Les critères d’exercice de ce commerce étaient très particuliers. Les marchandises ne devaient pas être périssables compte tenu du long séjour de l’expédition. En sus des droits et taxes à verser au makhzen, les commerçants devaient payer d’importantes sommes pour le transport des marchandises. Les frais de transport équivalaient souvent à 100 % du prix de la marchandise. Parmi les grands commerçants qui ont monopolisé le commerce transaharien au XIVème siècle, on peut citer Al Mokri qui organisait de grandes expéditions vers le Mali à partir de Sijilmassa196. Sur la nature des redevances acquittées par ces expéditions commerciales Mohamed El Hassan El Ouazzane, à l’occasion de sa participation à une caravane marocaine qui s’est rendue à Toumbouktou en 1512 consigna dans ces mémoires :

    Quand nous arrivâmes le prince des Zenaga vint à notre rencontre accompagné de cinq cents hommes, tous à dos de chameaux. Après avoir fait payer la redevance, il invita la caravane à dîner197.

    Sur le caractère anecdotique et symbolique de ces perceptions, l’auteur de la description de l’Afrique ajoutait :

    Les bêtes qu’il a tuées pour nous valaient dix fois ce que nous lui avions payé comme droits de passage”.  Dans son ouvrage Sijilmassa, Hafid Alaoui procède à l’analyse des échanges commerciaux du Maroc avec les Etats du Sud. Il attribue la réussite des négociants marocains à monopoliser ce courant d’échanges à la grande variété de produits agricoles et manufacturés d’une part et au faible cours de ces produits d’autre part198

    MANQUE TABLEAU P 134

     

     

     

    L’ère des grandes découvertes du nouveau continent d’Amérique a conduit les commerçants et explorateurs européens à considérer le Maroc comme un point d’appui stratégique à leurs expéditions. La politique économique de l’Europe consistait à ouvrir des comptoirs dans les ports du Maroc où étaient écoulées les armes et munitions ainsi que d’importantes quantités de produits manufacturés. Le Maroc était considéré non seulement comme un grand marché pour les industries naissantes en Europe, mais également une plate-forme de distribution vers l’Afrique et l’Orient de ces mêmes produits.

    Avec la décadence de l’Empire Saâdien, l’autorité du makhzen s’est considérablement affaiblie. L’organisation financière du Maroc, à l’instar de son organisation politique, était tombée dans un désordre complet. Au début du XVIIème siècle, l’unicité du système fiscal du makhzen n’était plus une réalité sur le terrain. Comme les autres structures de l’Etat, la douane se trouvait divisée entre plusieurs zones d’influence. Le négociant étranger n’avait plus un seul interlocuteur mais plusieurs. A l’insécurité des mouvements des  marchandises , s’ajoutaient une multitude de droits et taxes qui étaient perçus selon la nature et la longueur de l’axe commercial emprunté par les opérateurs économiques de l’époque. C’est dans ce contexte politico-économique que s’est inscrite l’arrivée au pouvoir de la dynastie Alaouite. Cet avènement correspondait à une orientation nouvelle du cours de l’histoire du Maroc en général et l’histoire des douanes en particulier. Depuis 1630, et sous la conduite du fondateur de la dynastie, Moulay Ali Cherif et ses successeurs, le pays qui vivait tourné vers des horizons sahariens, veilla désormais sur ce qui se déroulait près de ses côtes atlantiques199.

    Les liaisons traditionnelles continentales avec l’Afrique et l’Arabie allaient être de plus en plus délaissées au profit d’échanges maritimes avec le monde occidental chrétien. Les Alaouites s’étaient fixé pour but de libérer les comptoirs occupés afin de restaurer l’unité marocaine. En maîtrisant les plates-formes du commerce international sur l’Atlantique et la Méditerranée, le makhzen Alaouite concentra ses efforts sur la rehabilitation des structures douanières. Soucieux du développement des transactions commerciales avec le monde extérieur, le Sultan Moulay Rachid, après avoir fait frapper la monnaie ”Rachidya”, prêta à la fin de son règne, pour une année aux négociants de Fès et des autres ports une somme de cinquante deux mille mitquals200

    Des Sultans réformateurs :

    Les Sultans Alaouites vont accorder une attention particulière à l’organisation douanière. Ainsi, plusieurs réformes vont voir le jour dont notamment le système original des oumana des douanes que nous allons développer dans la deuxième partie de cette étude. Cette attention particulière à la question douanière n’est pas cependant un fait de hasard, elle s’explique par le fait que plusieurs souverains ont eu à s’occuper de la gestion des douanes des ports avant leur accession au pouvoir. Ce fut le cas notamment du Sultan Sidi Mohamed ben Abdellah et de son fils et sucresseur Moulay El Yazid, ainsi que du Sultan Moulay Abderrahmane Ibn Hicham.

    Moulay El Yazid avait une intime relation avec la ville de Rabat avant d’accéder au pouvoir. En sa qualité de Prince il était chargé par son père de la gestion des ports et des comptoirs commerciaux. Il fut  également chargé des relations avec les consuls des pays d’Europe201”.

    Dans ce cadre, Georg Host, agent de la compagnie danoise d’Afrique et Consul au Maroc auprès du Sultan Sidi Mohamed ben Abdallah, nous rapporte dans ses mémoires publiées à Copenhague en 1791 que sur ordre du Sultan, le Prince Moulay El Yazid procèda en 1772 à la révision des tarifs de douane au port de Larache.

     Ainsi, un ensemble de mesures visant la réglementation des douanes et le commerce extérieur ont été initiés par les Sultans Alaouites. Le Sultan Moulay Ismaïl qui consolida l’autorité du makhzen Alaouite sur l’ensemble du Maroc avait le mérite de redynamiser l’activité douanière par la libéralisation des ports marocains202. Grand bâtisseur et entrepreneur acharné, Moulay Ismaïl accorda une attention particulière au fonctionnement des douanes dans les ports marocains. En 1672, il nomma Amine des douanes de Rabat un converti d’origine française connu sous le nom de Abdelhadi. Caille signale que Moulay Ismaïl suivait discrètement la gestion des oumana des ports par l’intermédiaire d’officieux rapports qui lui étaient fournis par les Consuls203. En procédant à la restructuration des douanes marocaines et à l’assainissement de leur gestion, il permit le développement des échanges avec le monde extérieur et la France en particulier. Les recettes douanières furent très abondantes à l’échelle du volume des transactions internationales dont le Consul Jean Baptiste Estelle donnait en 1704 un bref aperçu :

    204.

     

    “le commerce que font les français aux Royaumes de Fès et du Maroc est de deux manières, celui du Levant et celui du Ponant. Celui du Levant consiste en quantité de papier, bonnets rouges de laines fins et communs, soufre en canon quantité de toiles qu’on tire de Lyon comme les roues, la futaine qui est une toile de coton ouvragée, fil d’or, brocart d’or et de soie du Longuedoc, tartre et vert de gris, drap et serge de cadisson. Outre cela, nos bâtiments y apportent des marchandises de divers pays, comme soie, coton, opium et diverses toiles de coton blanchies et peinte, diverses babioles qui viennent de Venise, où il se fait des gains considérables. Le commerce de Ponant est plus riche, car lorsque les vaisseaux de Saint Malo, Rouen et Nantes abordent cette côte, ils y déchargent en petit volume beaucoup de richesses. Son négoce est presque tout en toile, dont la consommation est grande. On estime son négoce à plus de 200.000 écus par an, d’après le plus juste calcul que j’ai pu faire. Quant au commerce que les français font en général avec ce pays, cela ira jusqu’à 400.000 écus”. 

    Le diplomate français témoigne du grand intérêt que portait Moulay Ismaïl aux questions des douanes chérifiennes. “Quand je fus tout près de lui, il me fit demander par un renégat espagnol qu’est-ce que je faisais pour son pays. Je lui fis répondre que je lui faisais valoir ses ports de mer et y assistais les marchands français en tout ce qui m’était possible. Je luis fis ensuite un détail de tout ce qui regardait mon ministère. Il répondit que les marchands français qui étaient dans ses ports ne lui faisaient venir que des épingles, aiguilles, papier et autres drogues semblables, qui ne lui produisaient pas plus de 400 à 500 écus de bénéfice tous les ans ; sur quoi je lui fis connaître que nos marchands français lui apportaient dans ses royaumes, des toileries, draperies, soieries et généra - lement tout ce qui était nécessaire en ce pays, venant de chrétienté, que depuis cinq mois par exemple, il avait abordé à Salé 12 bâtiments français qui lui avaient rendu plus de 20.000 écus du droit de 10 %, ce qui l’étonna. Je poursuivis en lui donnant le rôle de tout ce que ces bâtiments avaient apporté et rechargé en ce pays; ce qui lui donna à penser pendant une demi-heure sans rien dire, et ce qui fit connaître que ses alcaydes le volent impunément et lui font accroire ce qu’ils veulent”. 

    Les principales marchandises exportées par le Maroc sous le règne de Moulay Ismaïl consistaient en cire, laines, cuirs, cuivre neuf, en pain et en vieux chaudrons, etaintrés, al quinfon (ou minerai de plomb sulfuré), ghassoul (ou terre à foulon), dattes et amandes sans oublier les plumes d’autruches qui rappellent aux commerçants et aux navigateurs européens que le Maroc fait partie du continent noir”

    Son neveu Sidi Mohamed Ben Abdallah peut être considéré comme le premier grand réformateur du système douanier marocain. En effet, les questions douanières n’étaient pas un secret pour le successeur du Sultan Moulay Abdallah. Les réformes douanières de Sidi Mohamed Ben Abdellah furent la conséquence de la grande libéralisation du commerce extérieur marocain décidée dès 1757. En effet, la législation douanière du temps de Moulay Ismaïl et Moulay Abdallah était largement inspirée par les traités commerciaux de 1729, 1734, 1750 et 1751 qui instauraient pratiquement un monopole britannique du commerce maritime au Maroc.

    Sidi Mohamed Ben Abdellah mit fin à cette situation de monopole et instaura un véritable système de libre concurrence entre les nations. De nouveaux traités commerciaux préconisant de nouvelles dispositions douanières sont ainsi conclus avec le Danemark (1751,1765), la Suède (1763), la France 1767, le Portugal (1773). Pour attirer les opérateurs du commerce international maritime sur la côte atlantique et assurer un centre de ravitaillement et de logistique, un nouveau port est édifié à mi distance entre le nord et le sud du pays. Des tarifs douaniers attractifs furent décidés pour convaincre les négociants étrangers à procéder au dédouanement de leurs marchandises dans la nouvelle cité d’Essaouira. En 1773, le revenu des douanes est estimé à 241.000 livres.Le volume des échanges représentait 760.000 livres à l’importation et 400.000 livres à l’exportation

    Le Sultan Moulay Abderrahmane Ibn Hicham a été initié aux affaires du commerce extérieur et particulièrement de la douane après son passage entre 1821 et 1822 à Essaouira en tant que Gouverneur avisé et entreprenant de ce port. 

    Depuis, les souverains de la dynastie régnante n’ont cessé d’accorder à la question douanière un intérêt particulier en fonction notamment des grandes mutations socio-politico-économiques qu’à connu le Maroc durant les XVIIIème et XIXème siècles.

    Le riche et intéressant palmarés de l’actualité douanière Alaouite du XVIIIème siècle peut être complété par un autre non moins intéressant témoignage du début du XIXème siècle. Il s’agit des notes d’Abraham Bendelac Secrétaire Drogman auprès du Consul Général des Pays Bas admirablement reconstituées par Miege206. Ainsi, est signalée l’arrivée le 21 septembre 1821 au Port de Tanger d’un navire chargé de laine à Essaouira pour Libourne. Le Sultan Moulay Slimane avait en effet libéralisé l’exportation de la laine pour augmenter les recettes douanières nécessaires à l’équilibre budgétaire du makhzen. Le droit d’exportation fut fixé à 3 piastres pour la laine et 4 piastres pour l’huile (les 100 livres).

     

    Cette décision illustre la nouvelle politique douanière du makhzen qui rompait ainsi avec les prohibitions et les droits élevés des années précédentes pour ouvrir timidement certes, mais définitivement une nouvelle politique du commerce extérieur. 

    Le 28 octobre 1821, le Prince Moulay Ali en sa qualité de Gouverneur de Tanger apporta au Sultan, en visite à Al Kssar El Kébir, le trésor du palais de Tanger constitué principalement de la recette des droits et taxes de douane dont la dime perçue par la douane à l’entrée des personnes de confession juive au port.Annaciri établit un lien de cause à effet entre la maladie et la mort du Sultan Moulay Slimane à l’impact de l’attaque en novembre 1822 par la tribu des Chiadma de la caravane transportant la recette douanière du port d’Essaouira. 

    ”Cet événement ébranla la santé du Sultan Moulay Slimane (Dieu lui fasse miséricorde) et provoqua la maladie qui amena sa mort207”. 

    Compte tenu du nombre important des mesures douanières initiées par les sultans Alaouites et de l’aspect technique qu’elles révèlent, nous avons essayé d’en retenir les plus importantes que nous reproduisons sous forme de tableau synoptique ci-après.

    205.

     

     

    LA POLITIQUE DOUANIERE ALAOUITE

     

    C

    ”les finances de l’empereur du Maroc s’alimentent par la dîme, les droits d’entrée et de sortie des objets de commerce. Le revenu du Maroc se situe entre 20 et 50 millions de francs. Le commerce du Maroc avec l’intérieur de l’Afrique lui procure les gommes et les plumes d’autruche, l’ivoire et la poudre d’or. Le commerce que le Maroc fait avec l’Europe, consiste en blé, orge, peaux brutes , cires, laines, terre à foulon (ghassoul), gomme, boeufs, volailles. Les deux tiers de ces objets sont payés en piastres ce qui fait entrer au Maroc beaucoup de numéraire. Le blé qui coûte 2 francs et demi le quintal chez le cultivateur paie un droit de 3 francs à l’exportation. La cire qui coûte 70 francs le quintal paie 85 francs de droit de douane, un boeuf qui coûte 150 francs paie 135 à la sortie .Je dois cependant ajouter que chaque nation européenne a la permission d’extraire 2.000 boeufs au droit modéré de 26 francs seulement2 0 8… La fraude peut bien quelque fois se glisser dans les quantités des choses qu’on a le droit d’extraire en masse, d’un port quelconque, mais la contrebande est absolument impossible sur la côte, le projet en serait insensé”209.

    ependant, il y a lieu de noter que beaucoup d’observateurs étrangers, en visite au Maroc, avaient remarqué la pertinence des questions douanières dans le développement socio-économique du Maroc, notamment à partir de la fin du XVIIIème siècle et début du XIXème siècle. Acet égard, le capitaine de génie Burel écrivait dans son mémoire militaire sur l’Empire du Maroc qu’il présenta à son Roi le 3 Juin 1810 :

     

    Abou Al Kacim Zayani qui fut l’un des imminents des oumana des douanes, contemporain de plusieurs Souverains Alaouites concluait dans une analyse de l’Administration Générale du Maroc de 1631 à 1812 que les deux grands personnages du port étaient l’”amine adiwana” et le ”raiss el marsa”. Le premier s’occupait des commerçants et des droits et taxes à percevoir, le second des marins et des navires210.

    Liée étroitement à l’histoire ancestrale des différentes dynasties qui régnèrent sur le Maroc, la douane était encore au début du XXème siècle l’un des principaux leviers de l’économie nationale. N’y a t-il pas lieu de rappeler que jusqu’au début du règne de Moulay Abdelaziz le gouvernement disposait pour ses dépenses en numéraire d’une vingtaine de millions de pesetas hassanies dont plus de la moitié était fournie directement par les douanes211.

    Tous les chercheurs dans le domaine de l’histoire du Maroc s’accordent à souligner l’importance capitale accordée par le makhzen Alaouite au secteur du commerce extérieur en général et aux douanes en particulier. En effet, depuis l’avènement Alaouite au Maroc, l’économie mondiale avait enregistré une évolution vertigineuse et sans précédent. Ces mutations économiques étaient dues notamment aux facteurs suivants :

    - la naissance de compagnies nationales commerciales européennes qui tentaient de marquer leur présence sur l’ensemble du bassin méditerranéen ;

    - Le développement des théories économiques modernes basées notamment sur l’utilisation de l’instrument douanier comme facteur de développement ;

    - Le développement rapide des technologies de la production industrielle.

    Compte tenu de l’importance des réformes douanières enregistrées depuis le XVIIème siècle, nous avons jugé nécessaire de consacrer deux parties de cette étude à l’évolution du système traditionnel douanier marocain découlant des importantes réformes douanières initiés par le Sultan Sidi Mohamed Ben Abderrahmane et le Sultan Moulay El Hassane. 

    Néanmoins, et faute d’avoir pu procéder à une profonde analyse des nombreuses et intéressantes mesures douanières prises durant ces trois derniers décennies, nous avons jugés utile d’en énumérer ci-après les évènements les plus saillants à titre d’illustration. Il en de coule que Cette législation douanière a été marquée par une succession rapide de dahirs, parfois contradictoires qui reflètent les brusques variations de récoltes, le désir aussi du makhzen de favoriser telle région ou tel port. Une règle importante doit être signaler cependant, les produits marocains acquittaient les droits à la sortie du pays. Souvent ces droits à l’exportation étaient supérieurs à ceux perçus à l’importation. Ces fortes taxes se justifiaient par l’irrégularité des récoltes,  par les besoins fiscaux, par ce que notamment pour les laines, il s’agissait de matières premières fondamentales de l’artisanat local. Le makhzen s’efforçait ainsi d’accroître ses recettes douanières sans gêner le ravitaillement des ateliers, d’équilibrer la demande européenne liée à la conjoncture économique et l’offre marocaine soumise aux aléas climatiques. A l’importation, au contraire, la douane se montrait généralement plus libéral. Sa position s’explique par la supériorité, jusque dans le dernier tiers du XIXème siècle, des exportations sur les importations. souvent le tarif général n’excluait pas les avantages concédés à titre individuel à certains négociants.

    Jusqu’à 1830, les principes restrictifs fûrent largement appliqués. Depuis, l’adoucissement du tarif devenait, année après année, principe : et ce jusqu’en 1840. En liaison semble-t-il avec les évènements d’Algérie et l’accroissement des besions financiers du makhzen, une nouvelle politique commerciale apparaît soit avec le désir du makhzen de restreindre certaines exportations dont se plaignaient les habitants. Pour accroître les ressources financières une très forte augmentation des droits a été parfois decretée. Avec des moments de rémission, la politique commerciale restrictive restera de règle jusqu’à 1856. A partir de cette période, à la fois sous la pression des faits et la ferme volonté de la Grande Bretagne, le Maroc va s’engager dans une voie libérale. Orientation irréversible, année après année seront annoncés un ensemble de mesures douanières. Cette évolution finira par aboutir à l’instauration du système de la porte ouverte affirmée par la conférence d’Algésiras et qui restera le principe fondamental de la législation douanière marocaine pendant le protectorat212.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    53 Les non musulmans qui croyent en dieu
    54 Abou Youssouf : Kitab Al Kharaj, p 293
    55 Pluriel de fakih: savant religieux.
    56 Au Maroc, le système fiscal conservateur des premiers fondateurs de la dynastie Almoravide n’a pu être suivi par leur successeurs à cause du développement de l’étendue du territoire de l’empire d’une part et la multiplication des échanges commerciaux internationaux d’autre part.
    57 Gaudio Attilio,: les empires de la mer.
    58 Dérivé de l’Espagnole “douana” le terme “diwana” fut utilisé au Maroc dans toutes les correspondances officiel jusqu’au milieu du XXème siècle. La rue de la douane à casablanca classée monument historique s’appelle zankat adiwana.
    59 Cité par Christophe Picardin L’océan atlantique musulman P. 465. Ibnou Hawkal, après Yacoubi, embrassa par vacation une carrière d’exploration. Homme de cabinet, soumettant ses informateurs a un rigougeux contrôle, il péregrina a travers le monde et fut le premier à faire explecitement état de ses voyages personnels. Il a du probablement passer sa jeunesse en Mesopotamie car il mentionne qu’il se trouvait à Madaïne en 932. Il entama son périble le 15 mai 943 à partir de Bagdad. Il commença son voyage par l’Afrique du Nord. Son passage est signalé à Mehdia en 947. En 951 il était signalé à Sijilmassa. On s’accorde à apprécier la qualité de sa documentation sur la situation économique du Maroc à l’époque. Le voyageur se double chez Ibn Hawkal d’un négocient et peut être aussi d’un espion.
    60 Al Muktabis.
    61 Christophe Picard, l’océan atlantique musulman.
    62 Entrepôt de marchandises et hôtellerie où débarquement les marchands et leurs bêtes, dans les ports le fondouk est souvent le centre des activités des négociants étrangers et lieu d’intervention des services des douanes..
    63 Dynastie arabe du Maroc (786-917). Idriss al Akbar fondateur de la dynastie étendit son autorité sur l’est et le sud, à la jonction des pistes transahariennes (l’or du Soudan) et des routes menant vers le reste du monde arabe (prise de Tlemcen, 789).
    64 Brahim harakat, Al Maghrib Abra Attarikh, t1.
    65 Carpus des dirhams Idrissites Bibliothèque Al hassania Rabat p. 111.
    66 Ibnou Haoukal ”Sourat Al ard” Bayrout 1963 p. 79.
    67 Vile fondé par les Idrissides entre Fès et Tanger en souvenir de la grande métropole « Al Basra» de l’orient Musulman sous les Abbassides. Ses vestiges sont aujourd’hui indiquées sur la carte routière au Maroc (carte michelen sur la RP3 entre Ouazne et souk Larbaa du Gharb 68 Il s’agit probablement de la ville de Tanger.
    69 Al Bakri p 110 tr P. 216.
    70 Ibn OUDARI ; Azhar Ariad.
    71 Lou boudes marocaines (tapis de prière) – Marjane, Ambre, or, miel, huile, soie.
    72 Mohamed TOUNSI ”Noumourou Adourar”.
    73 Dynastie berbère musulmane qui règna sur l’Afrique du Nord et l’Espagne aux XI et XIIème siècles. A partir de 1048,Abdallah Ibn Yacine, érudit musulman, fonda un couvent fortifié (Ribat) au sein duquel les guerriers vivaient dans le respect le plus strict des principes du sunnisme de rite malekite. Ces guerriers étaient connus sous le nom de ”ceux de ribat” (al mourabitoune en arabe, devenu almoravides).
    74 Ibrahim Harakat : Al Maghrib Abra Attarikh, t1, p. 157.
    75 Ali Ibn Zaar, Raoud Al Kirtas, Trad. Beaumier -
    76 Boutchi Attadiri Brahim, Attarikh Al ijtimaai lialmaghreb Al Arabi.
    77 Représentants de commerce.
    78 Lettre de Abdelmoumen cité par Ibn Al Kattane /Nodomo Al Joumane Biblio Tétouan.
    79 Abdelaziz El Alaoui : Le Maghreb et le commerce transaharien (XI-XIV). thèse de doctorat, Bordeaux, 1983.
    80 Géographe et voyageur de commerce. A la fin du Xème siècle il effectua un voyage au Maroc. Il est l’auteur d’un récit ”Kitab Sourat al Ard” où il fournit de précieuses informations sur la vie économique du Royaume.
    81 Le commerce et ses relations avec l’Etat au Maroc, travaux du colloque de la Faculté de Lettres de Casablanca, P. 71-84.
    82 Arrivée dans les centres commerciaux du Sahel, il y a rupture de charge, le climat ne convenait plus au chameau, le relais était alors pris par l’âne.
    83 Le dinar de l’époque pesait 4 gammes environ.
    84 Les historiens s’accordent à penser que les premières conventions commerciales conclues furent d’abord verbales (Cf. A.Tazi, Histoire diplomatique du Maroc).
    85 De Mass Latrie : Relations et commerce de l’Afrique Septentionale avec les nations chretiennes au moyen age.
    86 Abdelhadi Tazi : Histoire diplomatique du Maroc.
    87 De Mass Latrie op cité.
    88 Archives Marocaines T. 15 p. 41
    89 La Mangona issue du mot arabe Al maouna (l’aide) taxe instituée pour combler le déficit du Trésor. Les Oulamas ont adressé une lettre au Roi Youssef Ibn Tachfine lui signalant qu’il n’avait pas le droit de percevoir une telle taxe tant qu’il n’aurait pas prouvé la faillite du trésor public (bit Al Mal).
    90 Balducci Pegolotti commerçant de Florence.
    91 conformément â l’ancien usage, l’appellation « Maroc correspondait â Marrakech alors que le terme« Maghreb » désignait le Maroc .
    92 Personne chargée du recouvrement de l’impôt.
    93 Voir Al Habib Jounahi: politique fiscale des Almoravides in travaux du IV rencontre hispano – tunisienne p. 41.
    94 Almohades (en arabe, al-muwahhid, ”qui proclame l’unité divine”) dynastie berbère musulmane, issue d’un mouvement de réforme religieuse, qui règna sur le Maghreb et l’Espagne musulmane de 1147 à 1269. Abdelmoumen (1130-1163) était désormais à la tête d’un empire englobant toute l’Afrique du Nord jusqu’à la Tripolitaine et l’Espagne méridionale (Prise de Cordoue en 1148 et de Grenade en 1154). Il se proclama calife, rejetant ainsi la souveraineté des Abbassides. Son fils, Abou Yacoub Youssouf (1163 - 1184) acheva la conquête de l’Espagne musulmane ; ce qui donna au Maroc le plus vaste territoire douanier de son histoire.
    95 Ceuta et Salé notamment.
    96 Port en Tunisie relevant de l’empire almohade.
    97 Histoire diplomatique du Maroc – A.Tazi
    98 Cf : Texte intégral de la convention en arabe. Il s’agit du document douanier le plus ancien que nous avons pu repérer dans le cadre de la présente étude.
    99 De Mas Latrie, op cit
    100 Localité a proximité de El Mehdia.
    101 Notamment le Comte De Mas Latries, op cit.
    102 A. Tazi, Histoire Diplomatique du Maroc, op cit.
    103 Appelé aussi Noul.
    104 Cf. carte ci-contre.
    105 Ibn Khaldoun op cité T2 p. 523.
    106 Mohamed Ibnou Al Hassan Al Ouazzane.
    107 E. Epanlard : Description de l’Afrique.
    108 G. Loth et P. Aures 1907 : Petite histoire de France et de l’Afrique du Nord.
    109 Carte marine de la fin du moyen âge et de la renaissance indiquant la position des ports et le contour des côtes.
    110 Echelle : terme de marine désignant le lieu ou un bâtiment pousse à terre une échelle ou une planche pour y opérer le débarquement de ses passagers ou de ses marchandises. Sens historique: comptoir commercial (définition de l’encyclopediele littré).
    111 Il s’agit d’un principe constant du droit douanier qui existe encore : l’obligation de conduite et de mise en douane des marchandises quel que soit le moyen ou le mode de transport.
    112 De Mas Latrie op cité.
    113 De Mas Latrie Ibid.
    114 Halima Ferhat: Sebta des origines au XIVsiécle.
    115 Halima Ferhat. - Sebta des origines au XIVème siècle.
    116 Le témoignage de Ibn joubaïr sur les douanes égyptiennes, permet de considérer le système Almohade comme raisonnable. L’auteur est scandalisé par les fouilles humiliantes des agents tatillons et abusifs. Il est indigné par l’attitude de ces agents à l égard des pèlerins maghrébins.
    117 Halima Farhat: Sabta des origines au XIVème siècle. p. 176.
    118 Farhat ibid p. 222.
    119 Farhat ibid: ”Ala cour d’Ibn Halas, l’ambiance est plus laxiste : Ibn Sahl, juif converti, poète sublime côtoie Ibn Amira, savant, cadi, écrivain précieux …..” p. 223.
    120 Terme arabe qui signifie: superviseur.
    121 Auxiliaire du vedor général (intendant), chargé du recouvrement des impôts douaniers.
    122 J. Goulven; la place de Mazagan sous domination portugaise – 1917.
    123 Quelques siècles plus tard, le même dispositif a été prévu en 1906 par l’acte de la conférence d’Algésiras.
    124 On peut considérer que la comptabilité douanière Almohade incluait aussi bien la gestion des stocks des marchandises (comptabilité matière) que la comptabilité fiscale régissant les recettes et le contrôle des paiements.
    125 terme arabe qui signifie « celui qui travail ».
    126 De l’italien drogamanno : interprète officiel des douanes. Ce mot est en fait d’origine arabe et correspondant au mot ”Tourjoumane” qui signifie: traducteur.
    127 De Mass latries op cité.
    128 Premier magistrat de certaines villes en Italie au XII ème et XIVème siècle.
    129 A l’origine du terme d’arabe dialectale “Semsore” pour désigner l’intermédiaire.
    130 de Mas latries op cit
    131 Cette pro c é d u re a été perpétré jusqu’au début du XXè m e siècle. Elle était prévue notamment dans les dispositions du règlement de 1862 sur les douanes
    132 De l’Italien drogamanno: interprète officiel des douanes.
    133 de Mas latrie Opcit
    134 Ibid
    135 Ibid
    136 de Mas latries Op cité
    137 De Mas Latrie, op cit
    138 Ibid
    139 de Mas Latrie Op cit
    140 Halka en arabe signifie la disposition d’un groupe de personnes en forme de cercle. C’est cette disposition qui fût pratiquée pour les ventes aux enchères en douane depuis le XI siècle.
    141 De Mas Latrie Opcité
    142 Bureau des enchères publique sous douane
    143 Voir Mohamed Echrif : Sabta Al Islamia Edition Association Tétouan Asmir p. 100. Le chercheur signale à ce propos l’adoption dans les langues latines de plusieurs termes d’origine arabe liés aux domaines des douanes et du commerce extérieur. Parmi ces termes: amiral, drogman, douane, chèque, bazar, arsenal, magasin, jarre, gabelle, récif.
    144 Monnaie d’or de l’empire Byzantin
    145 Dictionnaire historique de la pensée économique musulmane P 113.

    146 D’après De Mas Latrie dans les relations et commerce de l’Afrique septentrionale avec les notions chrétiennes au moyen âge (1868)
    147 de Mas Latries Op cité
    148 de Mas Latries ibid
    149 Ibn Khaldoun, proligamènes, t II, p. 23 Trad de Slane.
    150 de Mas Latries Opcité
    151 Par référence au terme arabe “Sekka” qui signifie la monaie.
    152 Dufourq : l’Espagne Catalane p. 367.
    153 Noliser du latin naudilaire affrêter, de Notum c’est à dire le frêt.
    154 Afin d’empêcher le départ du navire avant l’acquittement de tous les droits. Cette précaution prenait quelque fois un caractère vexatoire.
    155 Être libre, exempt, affranchi de quelque chose
    156 Par référence aux cordages (toile en arabe dialectale) utilisés pour l’accostage des navires dans les ports
    157 Cf Histoire diplomatique du Maroc A. TAZI.
    158 Il serait intéressant de noter que la pratique du paiement des droits des douanes en nature a été perpétuée par l’acte d’Algesiras jusqu’au lendemain du protectorat français au Maroc. Dans un rapport établi en 1927 par le Ministère du Commerce et de l’Industrie en France, on peut noter que les importateurs payaient encore les droits d’entrée au Maroc en nature.
    159 L’organisation des finances au Maroc TII
    160 Les melgoriens, la monnaie mêlée, les besants de millarés et les royaux de caronats. Voir Benramdane Zoulikha : Ceuta au XIII et XIV ème siècle, thèse de doctorat de 3 ème cycle, Marseille, octobre 1987.
    161 Tazi A., op cit
    162 Thèse de doctorat 1987 – Université de Toulouse.
    163 paix tranquilité et protection
    164 Le caïd du port était généralement un responsable de l’administration douanière..
    165 Mostapha Nachat, Etudes des conventions commerciales marocaines à l’époque Mérinide. Pub. Fac Lettres Casablanca, coloque sur le commerce, 1989, t2
    166 Résidant de Sebta

    167 Ibn chokroun med Fayd Al Oubab, Rabat 1984
    168 MOSTAFA NACHAT op cit
    169 Confédération d’Etats qui regroupe à partir du XIIème siècle le Royaume d’Aragon et le comté de Barcelone puis les Royaumes de Valence, de Majorque, de Sicile, de Sardaigne et de Naples.
    170 Pegolotti, négocient italien qui rédigea en 1335 un ouvrage sur le commerce international
    171 Colloque Ibnou Battouta Fondation Roi Abdelaziz 1993 96 06 00 77.
    172 Caillé J. la petite histoire du Maroc p. 57 – t.1.
    173 Ibrahim Harakat : Al Maghrib Abra Attarikh t.2 p. 184.
    174 Tissu fin en laine.
    175 Après avoir visité le Maroc, une première fois, il accompagne le colonel Pierre de Piton émissaire du roi de France François I auprès du Sultan Ahmed Wattassi.
    176 Ibrahim Harakat op cité T. II p. 186.
    177 Ibrahim Harakat ibid t. II p.217.
    178 Abdelaziz Ben Abdallah , Madahir Al Hadara, t.I p. 80.
    179 Ibrahim Ali Hassan, Khalidoune fi tarikh Al Maghrib
    180 Le mot ”diwana” d’origine marocaine a été introduit à l’époque des Almohades en Tunisie compte tenu des relations particulières qui liaient le Maroc à la Tunisie. Cette situation s’est consolidée sous le règne des Mérinides.A ce jour, le terme utilisé en Tunisie est Diwana et non Jamarik pour identifier l’Administration douanière.Après le retour sur le trône d’Aboubakr, les relations entre le Maroc et la Tunisie furent consolidées suite au mariage de la princesse Hafsside Fatima avec le prince Merinide Ali.
    181 Ibraim Ali Hassan , Khalidoun fi tarikh Al Maghrib
    182 Au dela de la porte se trouvait le petit Méchouar. Sur la droite elle menait aux différents services royaux, tous dirigés par des amine : ... puis la Maison de Dar Al Achar (douane) où les marchands chretiens étaient obligés de fair porter toutes leurs marchandises arrivantes dont le Roy prend dix pour cent” d’après légende : cité par Gaston Deverdun in Marrakech des origines à 1912 p, 388
    183 Port de commerce entre Safi et Agadir
    184 Henri de Castries les sources inédites de l’histoire du Maroc, Angleterre 1, p.331
    185 Gaston Deverdun : Marrakech des origines à 1912 t1, p.451.
    186 Paul Berthier : les sucreries au Maroc.
    187 Rousseau: Mosolée des Saâdiens.
    188 De Castries op cit A3, p. 719.
    189 Les travaux auraient été dirigés par Sidi Moussa.
    190 Deverdun op cit : Marrakech des origines à 1912, t1, p.356.
    191 Roger Coindreau, Les corsaires de Salé
    192 Roge Lecointreau : les corsaires de Salé. op cit.
    193 J. Brignon passé de la ville de Salé, P52.
    194 Charles Pellat: Receuil de textes p. 54 (Hrakat, op cité P. 384)
    195 produit minéral qui dilué dans le l’eau devient une encre d’écriture
    196 El Hadi Al Mabrouk Bali, le Royaume du Mali et ses relations avec le Maroc. Cf auss
    197 Leon l’Africain: Description de l’Afrique 1550.
    198 Hafid El Alaoui: Sijilmassa..
    199 Brahim Boutaleb “Etudes historiques marocaines” Revue Dar Al Niaba
    200 Annaciri, Kitab Al Istiqussa , t 4, p. 19.
    201 Histoire ”Adaiif Arribati”.
    202 Chronique de la libéralisation.
    203 Caille ”Petite histoire du Maroc”..
    204 Voyage à travers l’histoire du Maroc p 16 fond El Fassi Bibliothèque Al Hassania.
    205 Grande encyclopédie – Commerce maritime p. 117 et suivant.
    206 Chronique de Tanger 1820 – 1830 – Edition La Porte.
    207 Annaciri op cité, t7, p. 94. Cf également Seddiki Mohamed ben saïd : Ikad Assarira op cit.
    208 En fait, seul l’Angleterre exportait régulièrement des bovins pour les besoins de la garnison de Gibraltar.
    209 Jacques Caillé: Mission du capitaine Burel au Maroc 1808.
    210 Louis Brunot: la mer dans les traditions et les industries indigènes à Rabat-Salé 1920.
    211 Jean Jouanet: Evolution de la fiscalité marocaine depuis l’instauration du protectorat. Livre II.
    212 J.L. Miège, le Maroc et l’Europe 1830 - 1894. Paris P.U.F. 1960.
    213 D’après plusieurs sources documentaires dont notamment :
    - Georges Host : Histoire de l’empereur Sidi Mohamed Ben Abdellah
    - Jean Louis Miège : Chronique de Tanger 1820-1830 (journal de Bendellec), le Maroc et l’Europe T1 à 5 - 1996.
    214 Voir copie de la lettre manuscrite ci-aprés
    215 Ces avantages accordés initialement au Roi d’Espagne furent en fait détournés de leurs objectifs et permettent à un grou p e de proches (le Consul d’Espagne, le Pacha de Tanger Affandi, leCaïd Kadus à Marrakech et le Gouverneur de Cadix) d’entretenir un vaste réseau de contrebande.
    216 Mohamed Mansour, Morroco in the reigne of Moulay Slimane – Thèse de doctorat de Annexe 73.
    217 Mohamed El Bezaz – Revue Dar Aniaba n° 10 – 1986 p. 39.
    218 Il s’agissait à l’évidence d’une mesure de sauvegarde des transferts de fonds suite à l’attaque de la tribu des chiadmaa en novembre 1822 du convoi du makhzen dans la région d’Essaouira. Cet incident serait l’une des causes, selon des h i storiens, qui aurait provoqué le décès du Sultan Moulay Slimane.
    219 Un tableau des livraisons indique, en novembre 1825, deux ans après la signature du traité, l’exportation de 791 boeufs à 12 piastres de droit et de seulement 895 quintaux d’orge à 0,5 piastre, soit une sortie pour un montant de droits et taxes de 9.219 piastres.
    220 Les juifs étaient, en principe, soumis à une taxe de sortie perçue par la douane au taux fixe d’une peseta par personne.
    221 Voir lettre de réponse du Sultan.
    222 Exemple type des faveurs douanières que les consuls ne dédaignent pas, l’exemption des droits de sortie représente ici un bon de franchise de 450 piastres environ.
    223 Embarcation utilisée dans la course.
    224 CF J.L. Miège : le Maroc et l’Europe. op cit
    225 Mohamed El Bezaz – Revue Dar aniaba n° 10 1986 p. 39.
    226 Ibnou Zidane – Al Thaf - t 5 p. 34.
    227 Mohamed El Bezaz – Revue Dar aniaba n° 10 1986 p. 39.
    228 Archives de la légation de France: Registre Mogador n° 6.
    229 Manuscrit des archives de la bibliothèque générale de Rabat.
    230 Cf. le régime de taxation des emballages selon le droit douanier moderne qui confirme le principe de la taxation des emballages vides.
    231 3ème prière de la journée entre 3 heures et 4 heures de l’après midi selon la saison.
    232 Cf. tarif de 1791 (troisième partie)
    233 Registre des douanes du port d’El Jadida 1320/1322 Bibliothèque Sbihia p. 46.
    234 B.O 66 du 30.01.1914.

    La réglementation douanière, comme nous allons le voir, s’est développée au Maroc dès la fin du Xème siècle. Cette évolution qui constitue la base du droit douanier d’aujourd’hui fut liée étroitement à l’étendue géographique de l’empire Almohade. En étendant son autorité administrative sur la partie orientale du Maghreb , les Emirs Almohades avaient consolidé et développé les relations commerciales avec les pays d’Europe avoisinants. Avant de voir les contours du territoire douanier du makhzen Almohade, il serait intéressant de s’interroger sur la signification du mot al Maghrib au XIème siècle ?.

    Al Maghrib signifie occident, couchant par opposition au machrik “orient ou levant”. Mais comme le remarque Ibn Khaldoun, cette dénomination générale a été appliquée à une région particulière. L’étendue de cette région variait selon les époques et selon les auteurs de l’histoire du monde musulman.En dépit de cette controverse étymologique, une simple analyse des faits historiques nous permet de conclure que c’est sous le règne des Almoravides, puis des Almohades que le Maroc connut le plus vaste territoire douanier de son histoire. En moins de vingt ans, Youssouf Ibn Tachfine qui fonda  Marrakech en 1062 devint seul maître du Maghrib extrême et du Maghrib central jusqu’à Alger. A ces territoires déjà assez vastes, allait s’ajouter la moitié de l’Espagne. Le Maroc se prolongea ainsi par delà le détroit de Gibraltar jusqu’à l’Elbe et jusqu’aux Baléares.

    A partir de 1139 et jusqu’à 1146, le Sultan Almohade Abdelmoumen conquit tout le Maroc, Oran, Tlemcen et Ceuta. L’Espagne musulmane fut aussi soumise à l’autorité du makhzen. Dans la partie orientale du Maghrib, le Royaume Hammadi de Bougie (Bejaïa) fut conquis en 1151. Quelques années plus tard en 1159-60, une nouvelle expédition conduisit Abdelmoumen en Ifriquia et lui assura la possession de l’intérieur du littoral enlevé aux Normands de Sicile. Ainsi, peut-on noter dans quelques manuels d’histoire108 que l’Empire fondé par Abdelmoumen comprenait toute l’Afrique du Nord depuis Tanger jusqu’à Barka. La Tunisie n’était qu’une province de ce vaste territoire, son gouverneur allait chaque année verser les impôts, dont les recettes douanières, à Bougie où résidait le Sultan. De même, on peut constater qu’à partir des premières décennies du XIème siècle, l’espace douanier marocain correspondait pratiquement aux trois parties du grand Maghreb unifié par les Almohades, ainsi qu’à une grande partie de l’Andalousie.

    Bien que limité aux enceintes portuaires de l’époque, il y a lieu de considérer que le territoire douanier s’étendait sur un vaste littoral de la Méditerranée et de l’Atlantique. Les ”portulans”109 dressés à cette époque indiquent un grand nombre de localités. Presque toutes se retrouvent encore sur les cartes modernes. Arzilla (Asilah) était le point le plus éloigné vers le sud ouest qu’atteignit le commerce européen. Les navires ne descendaient pas habituellement jusqu’à Salé, Azemour, Safi et Mogador, stations marquées cependant sur les portulans mais qui ne furent fréquentées qu’à partir du XVème siècle par les Portugais et les Français.

    Après Asilla, en remontant vers le Nord et en tournant ensuite à l’est,se trouvait Tanger et Ceuta puis Vêlez de la Gommera dit aussi Badis puis Acudia, qui semble avoir disparue de la côte marocaine. Ce port semble avoir été, pourtant au XVIème siècle encore, comme Badis, l’échelle110 de Fès. Enfin Melilla, en avant à l’ouest de la Moulouya fut de toute époque un noeud d’échanges commerciaux. Dans les dépendances orientales on trouvait les ports d’Alger, Bougie (Bejaïa), Djidjelli (Jijel), Store (Skikda) et Bone (Annaba). Il est probable que l’Ile de Tabarca, riche en coraux, qui est marquée dans les portulans après Bone, appartenait également au Royaume d’Ifriquia gouverné par les Almohades. Les Lomellini de Gênes y ont eu des établissements importants. Puis il y a les comptoirs de l’Ifriquia Tunis, Hammamet, Soura, la ville forte d’El-Mehdia ou Africa, vis-à-vis de Malte, les Iles de Kerkeni, Sfax, en face sur la côte, où les Pisans eurent longtemps des comptoirs, et enfin Tripoli.

    Les navires chrétiens avaient la faculté, en principe, d’aborder dans tous les ports du Maghreb, certains d’y trouver bon accueil, les traités leur donnaient le droit s’y établir, et de s’adresser aux officiers douaniers du Sultan. En tout temps, il leur était loisible de s’y fournir des vivres, de l’eau et des agrès nécessaires à la navigation. Lors des tempêtes ou en cas de force majeure, ils pouvaient même y chercher un abri et y séjourner en sécurité.

    Cependant, il ne leur était point permis de se livrer partout et sur tous les points à des actes de commerce. Le séjour pour affaire de négoce et pour toutes les opérations des ventes et des achats n’était possible, que dans les ports où existaient des douanes du makhzen111. Nulle part nous ne trouvons la désignation précise des lieux pourvus de bureaux de recettes douanières, et par cela ouverts au commerce chrétien. Il a pu y avoir même à cet égard plusieurs changements survenus par l’ouverture ou la suppression de quelques bureaux de douane. Mais on peut considérer les villes suivantes comme ayant ou presque toujours eu une administration ou au moins une perception des droits de douane, et par conséquent des comptoirs chrétiens : Arzilla, Tanger, Ceuta, Badis, Alcudia (l’une et l’autre communiquant à Fès), Bone, Oran, Bougie, Tunis, Sfax, El Mehdia, Gabes et Tripoli. C’est là où furent les centres principaux de dédouanement.

    Des facteurs spéciaux gardaient les approvisionnements déposés dans les foundouks, disposaient d’avance les marchés, faisaient venir les marchandises éloignées et préparaient les comptes avec la douane, afin que les navires eussent à séjourner le moins possible dans le port et se rendre sans trop tarder aux escales suivantes. Le texte des accords indique rarement les ports d’accostage nominativement pour les navires de commerce. Seul, peut être, le traité signé par Abou Youssouf Yacoub, de 1186, désigne aux pisans comme escales et marchés exclusifs les ports de Ceuta, Oran, Bougie, Tunis et Almeria. L’interdiction de jeter l’ancre sur tout autre point du littoral Almohade, si ce n’était pour une impérieuse nécessité, est articulée dans les traités avec une rigueur particulière : les biens des transgresseurs devaient être confisqués, leurs personnes abandonnées à la merci du Sultan.

    Dans le reste des cas, les traités se bornaient à préciser que les marchandises devaient être débarquées dans les lieux où ils avaient coutume de se rendre (in locis consuetis). Ils ajoutaient ordinairement qu’à moins de circonstances urgentes, telles que le manque de vivres, le danger d’une tempête ou la poursuite de l’ennemi, il leur était interdit de jeter l’ancre en aucun autre point de la côte.

     

    DES RÈGLES APPROPRIÉES DE CONDUITE

    DES MARCHANDISES EN DOUANE

    Ces règles restrictives de conduite et de mise en douane des marchandises semblent avoir été édictées principalement pour assurer et garantir la perception des droits et taxes au makhzen. La comparaison des traités Vénitiens et Aragonais et certains détails de la rédaction des traités Pisans et Génois confirment cette thèse. Les traités concernant l’Aragon, la Sicile, le Royaume de Majorque et la Seigneurie de Montpellier, en 1271 et 1285, expriment le même ordre de préoccupations, toujours commerciales et fiscales :

    ”Nos sujets, peut-on relever dans ces traités, ne doivent débarquer dans les états d’Amir Al Mouminine qu’aux lieux où il leur est permis d’aborder, à moins qu’il n’y ait urgente nécessité pour eux de réparer leurs navires ou de renouveler leurs vivres. Mais qu’en ce cas, ils ne puissent rien vendre, ni acheter, ni conserver avec les gens du pays”112.

    Le principe de conduite et de mise en douane des marchandises, qui est le fondement du droit douanier contemporain, a donc été implicitement confirmé dans tous les traités que le Maroc avait conclu avec ses partenaires dès le XIIè m e siècle. Cette règle était pratiquement consacrée dans les préambules de tous les traités commerciaux de l’époque en ces termes :

    ”Il est défendu à nos sujets de débarquer en aucun lieu des Etats de Amir Al Mouminine où il n’y a pas de douane, excepté pour prendre des vivres, des cordages ou des agrès indispensables, et à la condition de ne rien vendre ou acheter en ce lieu”113.

    Ainsi, on peut constater que dès les premiers temps, la police des ports était considérée parmi les attributions de l’administration douanière. Dans ce cadre, les douanes étaient devenues l’une des principales structures du makhzen Almohade. Dans les ports, l’administration douanière était un des hauts emplois de l’Etat. Des princes du sang en ont été chargés114. Les structures douanières mises en place du temps des Almohades semblent avoir été maintenues. Elles auraient fonctionnées sous le règne des différentes dynasties qui se sont succédées au Maroc, et ont survécu jusqu’à l’époque du protectorat français et espagnol imposé au Maroc en 1912.

    L’administration des provinces était traditionnellement confiée à un ”Sayed” (seigneur). Cependant, la gestion effective était l’oeuvre d’un ensemble de subordonnés qui furent des experts : secrétaires, guerriers, amiraux et agents financiers. Les ports représentaient une importante source de revenus provenant d’un florissant commerce avec les nations européennes. Principal interlocuteur de ces étrangers, le chef de la douane était un intermédiaire indispensable dans les négociations politiques. Le rôle traditionnel des magistrats avait tendance à diminuer au profit de ces nouveaux cadres qui dépendaient directement du Sultan. Ainsi, peut-on considérer que l’organisation fiscale fut l’une des principales oeuvres réalisées par le makhzen Almohade .

    A Sebta, qui fut un grand port de commerce extérieur et la capitale diplomatique de l’Empire Almohade, existait quatre offices appelés “Dar Al Ichraf” dont trois avaient une vocation fiscale115. Le quatrième était chargé de contrôler la monnaie.

    1) “Dar Al Ichraf” : chargée du contrôle des opérations d’importation et d’exportation et plus spécialement du commerce avec les chrétiens ;

    2) L’atelier monétaire : qui supervisait la frappe de la monnaie et veillait sur son bon aloi;

    3) L’Office d’emballage et de déballage : cet organisme était un doublet de la maison de la douane, bien que ses fonctions demeurassent mal connues. Cependant, la différence entre ”Dar Al Ichraf” et cet organisme se situait au niveau fonctionnel (la nature des marchandises à contrôler : épices notamment).

    4) L’office de construction qui supervisait les travaux de l’arsenal et la fabrication des armes.

    De toutes ces structures, la douane fut, selon les différents témoignages, l’organisme le mieux organisé et le plus apprécié par les observateurs et le public en général116. Le pouvoir Almohade semble avoir bien ménagé les intérêts des négociants en appliquant au commerce extérieur une politique fiscale modérée. L’impôt sur les transactions et les recettes des douanes devaient dès lors constituer les principaux revenus de l’Etat. Les recettes des ports et notamment, celui de Sebta, avaient atteint au XIIIème siècle leur point culminant. La douane de Sebta évoquait chez les chroniqueurs et même les poètes, fortune et luxe. Les tissus rares et les pierres précieuses s’ajoutent aux articles plus connus comme les épices. L’institution douanière était dès lors un des services de l’Etat les mieux équipés tant ces marchandises nécessitaient des lieux et conditions spéciaux de stockage et que le makhzen avait intérêt à surveiller rigoureusement les mouvements de tous ces produits, avant leur mise en libre pratique de circulation sur le territoire assujetti.

     

    UNE ORGANISATION DOUANIERE OPERATIONNELLE

    Il conviendrait de se demander si depuis l’ère des Almohades la gestion des affaires des douanes n’était pas conditionnée par la nature du trafic commercial. Malgré le fulgurant essor du trafic maritime pour lequel des structures douanières spécifiques furent adoptées, comme nous allons l’analyser en détail, le commerce transaharien a continué à se développer tout en gardant ses spécificités aux plans organisationnel et logistique. Ainsi, Sijilmassa avait continué à jouer son traditionnel rôle de grand centre de dédouanement dont la gestion a toujours été confiée à des princes Almohades qui furent les garants du contrôle des importantes recettes recouvrées pour le Trésor de l’Etat. Le prince Almohade de Sijilmassa était à la fois chargé de l’administration des affaires civiles de la ville ainsi que du contrôle douanier exercé sur les expéditions caravanières.

    La gestion des douanes portuaires était confiée à un directeur ou surintendant qui était choisi par le Sultan parmi les notables du pays. Personnage de premier rang de l’empire, le directeur des douanes menait souvent les négociations sur les traités commerciaux et assistait à la cérémonie de leur signature. Il avait sous ses ordres de nombreux fonctionnaires et employés de divers grades. Bien que l’ordre hiérarchique fût mal défini, il était possible de distinguer plusieurs catégories d’agents. Dans les textes latins, le chef de la douane était désigné sous plusieurs appellations telles que ”Dominus du gane, dominus doane, dominus du ganerius, provisor dugane, chay tus dugane, alcaïtus dugane. En catalan, c’était le gabellot ou alcayt de la duana d’où le mot arabe “caïd adiwana” .

    La responsabilité des douanes était généralement confiée à des experts. Le maître de la douane de Sebta à l’époque Almohade était appelé ”malik de la cité”117. Même si ce mot malik n’a pris le sens de roi qu’à une époque tardive, il signifiait déjà que son détenteur avait un pouvoir étendu et une relative indépendance. Cette importance de la fonction liée à la gestion douanière est signalée par un grand nombre d’écrivains qui se sont intéressés à l’histoire du Maroc. Pour certains, la douane a été toujours perçue comme une plate forme qui conduit au pouvoir. Principal interlocuteur des étrangers, le chef de la douane était un intermédiaire obligé dans les négociations politiques.

    En 1232, lorsque le Sultan Ar-Rachid arriva au pouvoir, il envoya à Sebta les hommes les plus compétents de son entourage. La ville devint en effet une grande plaque tournante du commerce et de la diplomatie au plan international. L’éclipse d’Almeria fut bénéfique au port de Sebta qui avait déjà bénéficié de la disparition de Nakkour et Basra. Parmi les dignitaires Almohades envoyés par le Sultan pour y gérer les douanes, se distinguait le gouverneur de la ville et responsable des douanes Ibn Halas. Ce notable de Valence émigré à Marrakech où il avait fait ses preuves au service du makhzen était un expert en matière des finances, un mécène célèbre et riche négociant en commerce international. Selon Ibn Khaldoun118 ” cette charge le conduit à contrôler le commerce et par la, les recettes et le budget .Il amassa une énorme fortune qui lui permit de créer et d’entretenir une véritable cour119” .

    Après avoir éliminé l’ancien responsable de la police et des douanes Abou Mohammed Ibnou Moksan, Ibn Halas continua à jouir, auprès du Calife d’une position privilégiée. Les lettres califales le qualifiaient de “dhu al wizaratayn” (celui qui dirige deux ministères), titre honorifique, peu utilisé à l’époque. Cette diversité dans l’appellation des responsables douaniers était très courante. Elle fut en rapport avec la diversité des traités que conclurent les Almohades avec les nations étrangères et la complexité du système fiscal qu’ils avaient mis en place.

    Dans certains documents, le responsable de la douane fut qualifié de nazir diwanat ifriquia (inspecteur des douanes d’Afrique). Le mot arabe “nazir” ou ”nadir” paraît désigner, comme le mot mouchrif120, le même fonctionnaire que le directeur ou caïd de la douane. Le traité de 1278 avec le Royaume de Majorque fut signé à la maison du ”mouchrif”, c’est-à-dire vraisemblablement au palais même de la douane. Le terme arabe “mouchrif” pour la désignation des responsables des douanes au Maroc aurait, en conséquence été introduit dans la langue portugaise. Ainsi, peut-on noter dans les archives portugaises qu’un ”Almoxarife”121 était chargé de percevoir les droits de douane sur les marchandises au port de Mazagan pendant son occupation par les portugais de 1502 à 1769122.

    Le directeur de la douane était souvent reconnu par les conventions és-qualités protecteur de toutes les affaires des chrétiens dans leurs rapports avec les résidents. Il suppléait même quelquefois les consuls dans les propres affaires nationales. En dehors des questions de douane et de tarif, et indépendamment de la police générale des ports, il avait aussi une autorité judiciaire. Il était juge désigné de tous les procès dans lesquels les musulmans devaient se défendre vis-à-vis des chrétiens. Dans le cas de méfaits ou de condamnation d’un musulman, il devait en poursuivre et en obtenir la réparation pour le chrétien. Quelques traités déclarent en outre, qu’en cas de procès entre chrétiens de nationalités différentes, le préposé en chef de la douane, comme juge plus impartial, statuait sur le litige. Il avait, en outre, autorité pour faire exécuter un titre dressé par-devant les témoins de la douane entre chrétiens de nationalités différentes. A défaut de consul, il pouvait aussi connaître d’affaires entre musulmans et chrétiens.

    Lors du décès d’un chrétien, s’il n’y avait ni consul ni marchand de sa nation, le directeur de la douane prenait les biens sous sa sauvegarde et les remettait ensuite à qui de droit. S’il se présentait une circonstance, un cas de crime ou un fait de contrebande qui nécessitait une perquisition, soit dans un navire, soit dans un foundouk chrétien, le directeur des douanes, faisait procéderaux perquisitions d’usage. Un avis était adressé le cas échéant, au consul compétent123.

    Par ailleurs, en plus des questions de la législation et des taxes douanières, le chef de l’administration des douanes exerçait selon la nature des conventions, la police des ports. Outre ses prérogatives administratives, il avait, dans certains cas, de véritables pouvoirs judiciaires qui l’habilitaient à statuer  dans les affaires commerciales opposant chrétiens et musulmans. Il était parfois chargé de l’exécution de décisions judiciaires à l’encontre des négociants étrangers dans les enceintes portuaires.

    Pour accomplir cette multitude de tâches, le directeur de la douane se devait d’être assisté nécessairement par un corps de fonctionnaires et d’auxiliaires compétants. Une organisation administrative minutieuse de plusieurs corps de métiers était donc nécessaire pour mener à bien les différentes tâches d’ordre et de contrôle qu’imposait l’activité commerciale avec le monde occidental de l’époque. Acôté de l’armée, la douane marocaine fut donc une des premières structures de l’Etat qui observait des règles de définition des tâches et d’organisation fonctionnelle dès le XIIè m e siècle. L’application du droit douanier, essentiellement de source conventionnelle, faisait du personnel des douanes, l’interlocuteur exclusif et incontournable du monde du commerce extérieur, monopolisé de fait par les Européens. Pour apporter un éclairage sur la structure douanière de cette époque, il convient d’analyser les principales fonctions exercées par le personnel douanier. Ces attributions peuvent se dégager des traités et conventions conclues aussi bien avec l’Empire Almohade qu’avec les états de l’Afrique du Nord, après la dislocation dudit Empire.

    Le caïd de la douane fut probablement le chef des services de douane dans chaque enceinte portuaire. Quand au Scriba dugane il était, en fait, le chef des écritures en douane. Dans certaines conventions, il fut désigné sous le nom de segretario della dogana (secrétaire des douanes). Ce responsable des écritures avait sous ses ordres un ensemble d’agents d’écriture (teneurs de livres), chargés d’enregistrer les comptes de tous les marchands qui avaient a ffaire à la douane. On pourrait l’appeler le chef de la comptabilité124. La douane recrutait pour cette partie du service des agents marocains, mais également des européens . Ces derniers étaient chargés notamment des écritures de la comptabilité matière des marchandises stockées dans les magasins des foundouks.

    Les “moshtagil”125 de la douane, nom remplacé dans les textes chrétiens par les mots génériques d’officialis, musiriffus, étaient des agents ou officiers d’un rang assez élevé, préposés spécialement à la vente des denrées ou marchandises du domaine du Sultan. Ils devaient faire aussi en grande partie les achats des produits nécessaires à la maison royale.

    Les traducteurs interprètes qui intervenaient dans les actes de commerce étaient sous l’autorité du directeur de la douane. Ils étaient accrédités dans les ports par le responsable douanier après prestation de serment. Ils étaient désignés par l’appellation drogmans126, titre réservé aux interprètes officiels des Sultans Ottomans.

    Les drogmans de la douane appelés selon les conventions, turcimanni, torcimani, torzimani, interprètes, formaient une corporation nombreuse et fort influente. Ils n’étaient pas tous du même rang et auraient été soumis probablement à une discipline hiérarchique dans l’exercice de leurs fonctions. Les drogmans principaux servaient souvent à l’interprétation ou à la rédaction finale des versions officielles des textes de traités. Le témoignage du drogman de la douane faisait foi, quelle que fût sa classe, et son intervention régulière dans un marché engageait la douane elle-même, qui devenait caution de la dette. Il est très probable qu’ils furent tous assermentés. Leur accréditation par la douane obéissait à des critères de choix sélectifs et leur position dans la société était très respectable et peut-être fort recherchée.

    Les traités rappellent souvent que les interprètes devaient rester en groupe et mettre tous leurs profits en commun, dans les ventes et les achats. Ils ne devaient, en outre, recevoir ni cadeaux ni pourboires. Le droit d’interprète ne pouvait être exigé qu’une seule fois pour chaque marché. Le drogman de douane ne pouvait exercer au service exclusif d’un négociant qu’il soit ou non musulman. Aucun drogman ne pouvait refuser son service au marchand qui le requiert. Si un marchand ne devait pas avoir d’interprète spécial, il y avait cependant des drogmans particuliers pour chacune des nations chrétiennes. Cette spécialisation se justifiait au plan technique par le fait qu’un interprète ne peut bien maîtriser, en principe, qu’une seule langue étrangère. Ces intermédiaires jouaient un grand rôle dans les transactions de commerce multinational et les procédures de dédouanement comme en témoigne le récit d’un commerçant marocain de l’époque Almohade qui s’adresse dans une missive à son correspondant européen dans ces termes :

    ”Je t’ai vendu, treize cent vingt quatre peaux à treize dinars par l’intermédiaire de ton associé Tamim, le fourreur et des dogmans othman, Ali Ben Badis et Ali Bnou Mestura”127.

    Bien qu’accréditée officiellement par la douane, la désignation des drogmans était souvent tributaire de diverses recommandations provenant des négociants européens les plus influents dans chaque port. Ainsi, dans une lettre adressée le 22 novembre 1207 par un postulant à cette fonction à un certain Lambert del Vernaccio, le requérant précisait :

    ”Je désirerais que votre générosité m’accordât une grande faveur.Voudriez vous prier les anciens de votre ville d’écrire une lettre scellée au directeur de la douane Abou Sedad pour que je sois nommé drogman à la douane et courtier à l’halka, au service spécial des Pisans, attendu que nul ne peut être nommé courtier ou drogman pour eux, sans leur agrément”.

    En 1207, un autre prétendant pria le prodestat128 de Pise d’intervenir auprès du caïd de la douane pour sa nomination â l’emploi de drogman des douanes Almohades.

    Les droits qui leur étaient dus sur les marchés conclus par leurs intermédiaires s’appelaient la torcimania ou le mursuraf. Ces droits étaient perçus par la douane comme nous allons le voir dans la partie fiscalité douanière du XIIè m e siècle. Les conventions interdisaient à ces intermédiaires de recevoir les cadeaux.

    D’autres catégories de personnels travaillaient aux ports sous l’autorité de l’Administration des douanes. Les traités les qualifiaient sous le nom de factores duane, servientes et canovoni duane. Parmi ces agents, on peut noter les courtiers (sen sari)129 les facteurs, les porteurs, les peseurs, les mesureurs, les surveillants et les gardiens.

    Comme nous venons de le signaler, la douane à l’époque Almohade avait la particularité de procéder au recrutement de personnel non marocain. Cette catégorie de personnel prévue dans les conventions obéissait à un statut spécial et fut souvent investie de missions bien particulières. En stipulant que nul agent de la douane, qu’il soit sarrasin ou chrétien, ne devra se permettre de visiter un navire ou un foundouk chrétien à l’insu du consul, certains traités commerciaux indiquaient déjà que les employés de la douane n’étaient pas tous marocains.

    Les chrétiens ayant été admis à affermer quelques parties des douanes, il leur était nécessaire d’avoir à la douane quelques préposés de leur pays pour faciliter et surveiller la perception. Ainsi, certains des traités stipulaient qu’il y aura à la douane un employé chrétien (scriba, scribanus, scriptor), choisi par les chrétiens de chaque colonie, chargé spécialement de tenir les écritures des marchands de sa nation et de régler le compte avec la douane.

    ”Et dans tous les pays où il leur sera permis de faire le commerce, précise un traité de 1271, les Vénitiens auront un foundouk, un consul et un écrivain, chargé d’écrire et d’arrêter les comptes de ce qu’ils doivent donner et recevoir à la douane et de veiller à leurs marchandises”130.

    Les Florentins appelaient ces agents des banquiers :”Qu’ils aient des banquiers connaissant les usages des pays, (bancherios scientes consuetu dines la corum), pour faire leurs comptes avec la douane. Le compte réglé, les banquiers en remettront l’acquit, (appodixiam expedimenti) (Albara ou le berat), aux marchands, qui pourront aller ensuite partout sans avoir à payer d’autres droits sur ces mêmes marchandises”.

    Quand une nation ne pouvait désigner son ”scribanum in doana” il appartenait au caïd de la douane de choisir un écrivain pour faire le compte de tout marchand qui s’apprête à quitter le territoire et lui donner sans retard, son congé ou berat. Le compte restera obligatoire tel qu’il aura été ainsi arrêté par la douane.

    A l’arrivée des navires dans les ports pourvus d’un bureau de douane et affecté par conséquent au commerce extérieur, les portefaix et les canotiers agréés par la douane se chargeaient, sous la surveillance des agents des douanes et moyennant un salaire fixe réglé par l’usage ; du débarquement des marchandises. La même procédure est suivie à l’embarquement des produits exportés. Les canotiers ou gondoliers qui transportaient les marchandises du navire au quai de la douane sont appelés les charabi, caravarii, calavi, ratiarii, ragaxii, dans les textes latins ou encore les cargiari, ratori et garabarii selon les textes italiens131.

    Les portefaix transportaient ensuite les marchandises du rivage à la douane ou aux foundouks chrétiens. Dans certains textes, ils sont désignés par les noms de bastassi, bastasi ou vastossi ou portatori. Les tarifs des gages dus aux canotiers et aux porteurs n’étaient pas spécifiés au niveau des traités de commerce. Cependant, il y était souvent indiqué que ces employés ne devraient rien exiger en sus de l’usage ou qu’ils devraient se faire payer conformément à la coutume établie. Un contrôle assez sévère était exercé sur leur service, et en général sur tous les employés de la douane, parce que l’administration était responsable, vis-à-vis des commerçants étrangers, de la valeur de toutes les marchandises confiées à leur garde, soit à l’intérieur des magasins de douane, soit sur les quais. Au sujet de l’activité des commis de la douane, sous le règne de l’empire Almohade, le Comte De Mas Latrie publia en 1868 le témoignage significatif ci-après :

    ”Vers la fin du mois de juillet ou dans les premiers jours du mois d’août 1200, deux nefs pisanes, d’une espèce particulière appelée en arabe ”mosattah”, l’une nommée l’orgueilleuse, l’autre la couronnée, voyageant avec deux galères pisanes, se trouvaient dans le port de Tunis, non loin de trois navires musulmans, dont l’un complètement chargé et prêt à partir. Tout à coup, les gens de chiourme pisane assaillirent les navires musulmans, mal - traitèrent et blessèrent les équipages, outragèrent les femmes et amenèrent les trois navires aux capitaines des mosattah. Les écrivains de la douane affectés aux affaires des pisans, qui étaient la plupart des employés chrétiens et les drogmans132 de la douane, prévenus de l’aventure, arrivèrent aussitôt sur les navires et voulurent faire relâcher les musulmans et les navires. Ils n’y purent réussir..… A grande peine les brigands renvoyèrent les deux bâtiments vides.

    ”Ils n’étaient pas encore sortis de l’enceinte portuaire qu’ils rencon -trèrent la flotte du sultan ….. L’Amiral Almohade, informé de la nationalité des navires, et sachant que les ordres du Sultan étaient de protéger partout les pisans, se contenta de récupérer la nef musulmane sans exiger qu’on restituât les  marchandises….”133.

    Suite à cet incident, l’inspecteur en chef des douanes adressa le 9 septembre 1200 un message à l’archevêque et aux consuls de Pise pour leur rappeler les dispositions du traité de 1186 en ces termes: ”Vous le devez, en vertu des traités de trêve et d’accord qui existent entre nous pour la protection et le bon traitement de nos concitoyens, et vous ne pouvez vous y refuser, parce que vous savez que la Haute Majesté de notre Souverain n’a jamais cessé de protéger les marchands chrétiens”134.

    A la suite de l’équipée des ”mosattahs”, la plupart des marchands pisans, craignant l’irritation populaire, avaient quitté l’Empire Almohade.Leurs biens furent mis sous séquestre de la douane, mais ils ne furent pas saisis. Dans une action de bonnes dispositions, les marchands, les drogmans et les employés de la douane écrivirent aux pisans qu’ils connaissaient pour les engager à revenir au plus tôt. Ceux qui étaient revenus trouvèrent leurs marchandises, chacun avec son compte en douane, telles qu’ils les avaient laissées.

    Plusieurs de ces lettres ont été conservées. Les rapports confiants des marchands chrétiens avec les marchands musulmans, et la loyauté de la douane dans ses relations avec les uns et les autres, s’y manifestent à chaque ligne. Othman Ibn Ali, drogman des douanes écrivait à ce sujet au commerçant pisan Pace, fils de Corso en ces termes :

    Je suis fâché que tu ne reviennes pas régler toi-même tes affaires ici. Le Sultan est très peiné de tout ce qui s’est passé. Si tu as l’intention, n’hésite pas à rentrer, tu trouveras partout excellent accueil135.

    Des auxiliaires des douanes choisis parmi les commerçants étrangers résidant au Maroc étaient chargés de l’enregistrement des déclarations et de la liquidation des droits et taxes. Les mêmes sources signalent l’existence d’autres auxiliaires de douane dont notamment les caboteurs (Moujaddifines) et les porteurs.

    Le suivi du flux des marchandises pendant le déroulement du circuit de dédouanement exigeait l’exécution de diverses opérations de manipulations qui furent confiées à des catégories de personnels qualifiés (courtiers, mesureurs, surveillants, facteurs, porteurs, etc…).

    En l’absence d’organe étatique chargé de la gestion de ces travaux de logistique, il revenait à la douane de superviser et de coordonner toute l’activité de ces intervenants dans le processus de dédouanement. Le makhzen Almohade a donc instauré à travers une série de conventions commerciales internationales tout un dispositif de mesures de protection et de développement des échanges commerciaux avec le monde extérieur. Comme nous venons de le constater, la quasi-totalité de ces procédures de contrôle du commerce extérieur marocain était dès le début du XIIème siècle confiée à l’administration douanière. En plus des missions classiques confiées au personnel des douanes, on peut citer d’autres tâches particulières dont les traités réservaient l’exécution à la douane :

    1 ) Le droit d’aubaine

    2) Exemption du droit d’épave (protection douanière des navires de commerce) :

    Les traités contenaient des prescriptions relatives à la protection des navires et des commerçants. Il s’agissait à l’époque de conditions bien plus avantageuses que celles de beaucoup d’Etats d’Europe, où le droit de biens subsista dans toute sa rigueur jusqu’au XVIè m e siècle. Ainsi, une sérieuse sécurité pour les armateurs commerçants avec le Maroc était garantie par la douane. Cette garantie consistait à porter secours aux bâtiments en péril ou échoués à la côte, à respecter les naufragés, à les aider dans leur sauvetage, et à garder les marchandises , les épaves et les personnes préservées du désastre. La formule utilisée dans les traités et qui consacre ce droit est souvent libellée comme suit :

    ”Quant un navire chrétien sera jeté par la tempête sur les côtes de Barbarie, que tout soit sauvé et gardé sous notre protection ; si une partie de l’équipage a péri, que tout ce qui sera retiré du naufrage soit remis aux survivants ; si tous sont péris, que la douane veille sur le navire et les objets sauvés, jusqu’à ce qu’arrivent des lettres de leur Roi désignant la personne à qui les biens recueillis doivent être délivrés”136.

    Dans ce cadre, le séjour, les réparations et les approvisionnements des naufragés étaient exemptés des droits et taxes. La douane veillait toutefois à ce que les naufragés ne profitent pas du temps de l’escale forcée pour se livrer à des actes de commerce.

    3) Admission d’étrangers sous pavillon allié :

    Cette tolérance qui consacrait le principe de droit maritime ”le pavillon couvre la marchandise”, a permis aux armateurs des deux rives de Gènes, alors même qu’ils étaient indépendants de l’autorité de la république, de se livrer à l’abri de son pavillon au commerce avec le Maroc et l’Afrique du Nord en général. Cependant, les traités n’étaient pas toujours uniformes sur le régime douanier réservé aux étrangers. Le traité de Pisans se bornait à stipler ceci : “Si un étranger vient avec eux en Afrique, il ne doit pas payer moins que les Pisans”. Les prescriptions du traité génois sont plus précises et moins favorables : ”Si les Génois transportent sur leurs navires des hommes qui soient en paix avec les Marocains, ces hommes seront considérés comme génois”137.

    Les passagers génois appartenant à une nation non alliée devaient alors faire le commerce au Maghreb à leurs risques et périls, sans pouvoir légalement invoquer, en cas de besoin, la protection génoise. Ils durent payer probablement des droits de douane supérieurs à ceux des génois.

    Les traités vénitiens ne déterminent pas la condition faite aux marchands étrangers navigant sur leurs bâtiments. Il y aurait lieu de croire que la République de Venise, cherchant toujours à assurer à son commerce les bénéfices considérables du prêt et de la commission, fût parvenu à assimiler à ses propres sujets tout étranger embarquant ses marchandises à bord de navires vénitiens. La douane était donc expressément chargée de recueillir les déclarations des commandants des navires de commerce, en ce qui concerne la nationalité des passagers à bord pour pouvoir leur appliquer un droit de douane préférentiel ou tout simplement le droit commun :

    ”Tous hommes d’une nation non alliée (non confédérator), venant sur leurs vaisseaux, payeront à la douane comme les étrangers non alliés, et le patron du navire sera obligé de faire connaître leurs noms au directeur de la douane ; et par le fait du paiement, ils seront en toute sécurité pour leurs personnes et leurs marchandises”138.

    En sus de la garantie pour le transport, la garde, la vente et le paiement des marchandises ; les traités spécifiaient parfois des particularités d’exécution de l’acte de commerce international. Ils confiaient ainsi à la douane les mesures et les garanties propres à faciliter le commerce avec les européens. Ces prescriptions, qui sont aujourd’hui du ressort de divers règlements d’administrations publiques et privées, assuraient d’abord aux marchands européens les moyens de trouver, à des conditions convenables, les bateaux et le personnel nécessaires pour le débarquement et l’embarquement de leurs marchandises, soit à la douane, soit aux foundouks sous douane. La douane répondait également du paiement des marchandises vendues par tous ses agents. Des écrivains spéciaux à chaque nation, de vrais teneurs de livres, inscrivaient le compte des opérations effectuées par chaque négociant ainsi que les sommes dues au trésor public sur les importations et les exportations.

    4) Droit de préemption :

    Il s’agissait de la faculté pour le makhzen d’acheter en priorité les marchandises transportées par les navires étrangers. Ce droit bien que n’ayant pas été stipulé expressément dans les traités, fut néanmoins admis et même sollicité par les marchands chrétiens. Diverses dispositions, surtout dans les traités pisans, concernent les achats faits par les souverains ou en leur nom. Le traité de 1358 stipule que, si un Pisan apporte au Maroc une marchandise quelconque qu’il désire montrer au Sultan (bijoux, étoffes, armes, oiseaux de chasse, etc.…) nul préposé de douane ne devra la soumettre à la visite. Si l’objet agréait au Sultan, aucun droit d’entrée n’était perçu. Si le sultan n’achetait pas la marchandise, les droits étaient acquittés au tarif du jour de l’arrivée de la marchandise dans les conditions du droit commun. Afin d’éviter des retards dont, les agents du makhzen n’étaient pas toujours personnellement la cause, mais qui pouvaient porter préjudice aux marchands, il était stipulé dans certains traités que, si le Sultan demandait à voir les objets par un marchand européen, ces objets ne devaient pas être retenus plus de dix jours au palais. Passé ce délai, le makhzen devait soit renvoyer la marchandise ou en faire payer le prix.

    Quant aux ventes effectuées à la douane même pour le compte du Sultan ou de sa maison, il était déclaré que le marché devenait irrévocable dès qu’il était fait au nom du Sultan, à la douane, en présence des témoins et inspecteurs douaniers. Ni le ”moshtaghil” qui avait conclu la convention, ni son successeur, ne pourrait, dès lors, sous aucun prétexte, se soustraire à la transaction, à moins qu’il n’y eut erreur ou dol sur la marchandise livrée. Quant au paiement, il suffisait au vendeur de montrer la charte de vente écrite en présence des témoins pour être immédiatement satisfait par le service de la douane.

    5) Répression de la contrebande :

    Les dispositions conventionnelles régissant la contrebande à l’époque Almohade semblent de nos jours d’une telle modération qu’il est improbable qu’elle n’aient été souvent détournée par de forts et permanents courants de fraude. L’administration douanière Almohade fit montre d’un esprit exemplaire de bienveillance en la matière. Les marchandises importées ou exportées sans avoir été déclarées à la douane étaient simplement soumises aux tarifs ordinaires en principal et accessoires. Ni amendes, ni confiscation ou aggravation exceptionnelle de taxes n’étaient imposées aux contrevenants. L’administration des douanes s’était même interdite, dans certains cas, le droit de visiter les navires ou les foundouks quand elle savait ou soupçonnait que des marchandises y avaient été clandestinement transportées. En de pareilles circonstances, la douane prévenait le consul concerné, et la perquisition s’opérait sous la double surveillance de l’officier des douanes et du consul ou son délégué. La contravention constatée, on percevait les droits comme si la marchandise eut été régulièrement présentée à la douane.

    Ce régime de tolérance en matière de la contrebande fût probablement maintenu du douzième jusqu’au quatorzième siècle quand le négociant italien Pegolotti écrivit son guide du commerçant. Il y consigna de sages conseils à ces compatriotes dans leurs relations commerciales avec les pays du Maghreb. En matière de contrebande, ses observations s’appliquaient surtout aux métaux précieux et aux espèces monnayées, dont les Florentins faisaient un très grand commerce.

    Il écrivait alors “l’or et l’argent importés par les chrétiens payent cinq pour cent. Avec le pourboire qu’il faut donner aux sarrasins et autres serviteurs, le droit s’élève à cinq et quart pour cent. Si on l’introduit en cachette et que la fraude ne se découvre pas, on ne paye rien. Si la fraude est constatée au moment du transport, il faut payer simplement le droit, sans amende. Si la fraude est signalée quand le métal est déjà porté à l’hôtel des monnaies, le droit n’est pas perçu. L’or peut être assez facilement soustrait aux droits de douane, parce qu’il est de petit volume, avec l’argent, c’est plus difficile. Mais bien que les métaux entrés clandestinement ne soient soumis, si on les découvre, qu’en plus simple droit, vous y perdez la bonne renommée et l’honneur, et les Arabes, ayant trouvé un marchand en faute, ne lui accordent plus autant de confiance”139.

     

    DES PROCÉDURES ADAPTÉES AUX

    TECHNIQUES DU COMMERCE INTERNATIONAL

    Les procédures de dédouanement couvraient à l’époque non seulement les formalités du contrôle de passage de la marchandise à la frontière, mais également toutes les transactions d’achats et de vente des produits tant à l’importation qu’à l’exportation. En effet, en l’absence des systèmes de communication et de garantie sur lesquels se base le commerce international de nos jours, les commerçants ne pouvaient garantir une transaction concluante que dans l’enceinte douanière. La douane jouait à la fois son rôle d’intervenant au nom du makhzen pour respecter les règles régissant la perception des droits et taxes ; ainsi que le contrôle du commerce extérieur. Parallèlement elle avait un rôle d’intermédiaire, qui garantissait l’instauration de la confiance nécessaire entre l’acheteur et le vendeur pour concrétiser la transaction commerciale (rôle du banquier d’aujourd’hui).

    La perception des droits dus au trésor du makhzen sur les marchandises importées ou exportées n’était pas la seule fonction de la douane. Le directeur avait, on l’a souligné, des attributions administratives et judiciaires assez étendues en ce qui concernait les rapports et les questions d’intérêt entre les Marocains et les Européens. Au plan logistique, l’administration douanière était notamment chargée de la gestion et du contrôle des opérations de manipulation des marchandises dans les enceintes portuaires et les foundouks. La douane était en outre le lieu ou s’effectuaient même, en grande partie, les opérations de ventes et d’achats, sous la surveillance de ses officiers et par l’intermédiaire de ses agents. On pouvait procéder de deux façons différentes aux ventes publiques à l’intérieur de l’enceinte douanière. Les deux modes offraient autant de garanties et de facilités aux commerçants étrangers :

    1) La procédure de la Halka :

    Il s’agissait de ventes publiques des marchandises dans les locaux de la douane. L’administration douanière offrait aux commerçants étrangers la garantie de l’Etat ainsi que les facilités des procédures. La vente sous douane pouvait s’effectuer selon divers procédé dont on notera : la vente à la halka (aux enchères) et la vente sous douane (sans enchère) ;

    a) Le halka140 :

    Pour bénéficier de cette procédure, le commerçant européen devait déposer une demande auprès de la douane qui peut l’autoriser à vendre ses poduits dans la halka avant d’accomplir les formalités de dédouanement. Il a été établi, à ce titre, que la douane avait refusé le bénéfice de cette procédure à un commerçant génois qui n’était pas connu des services douaniers. En l’an 1200, une correspondance adressée au négociant Pisan Pace fils de Corso à un commerçant marocain évoquait la halka en ces termes :

    Je te dirais, mon cher ami, que j’avais des créances sur ceux qui ont porté ici l’acier en contrebande, entre autres, une créance de soixante treize dinars sur Sabi : A valoir sur cette somme qui est ma propriété, j’ai acheté du cuivre à la halka, mais quand j’ai voulu relever mes comptes à la douane, après le départ de Sabi, on m’a dit que je n’avais pas de créance sur lui”141.

    La halka fut donc un encan142 où on procédait à la vente des marchandises, par les soins de drogmans affectés à chaque nation, et en la présence d’inspecteurs ou témoins de la douane. Cette forme de vente s’appelait, en latin et en italien; la galega, la galica, la galicha, en catalen, calga. Tous ces mots ne sont que la traduction ou une dérivation du mot arabe ”halka”, qui signifie enchère143. Après conclusion de la transaction, la douane procédait à la perception des droits à l’importation ou à l’exportation, généralement de 10 ou 15 % de la valeur des marchandises.

    b) Procédure de vente sous douane, sans enchère :

    Le second procédé de vente était la vente directe sans enchère (de gré à gré), mais sous douane, par l’intermédiaire des drogmans, avec ou sans la présence d’inspecteurs ou officiers douaniers. Les bénéficiaires de ce procédé, devaient acquitter en sus des droits de douane, le droit spécial de drogmanat ou de mouchrif, dont il est surtout question dans les traités vénitiens. Ce droit était habituellement de cinq miliaresi par valeur de cent besants144. Toutes les ventes étaient inscrites sur des registres spécialement tenus à cet effet par l’administration douanière. Si le vendeur, l’adjudicataire ou l’acquéreur avaient déjà leur compte à la douane, l’enregistrement pouvait se limiter au simple transfert de l’avoir de l’une des parties à l’avoir de l’autre. Toutes les ventes faites sous douane, au sein de la ”halka” ou en dehors par le moyen des drogmans attitrés, étaient placées sous la garantie et la responsabilité de la douane, qui devait faire payer les sommes dues aux marchands européens, soit au comptant, soit dans les délais et les conditions fixées après concertation entre le vendeur et l’acheteur. La marchandise était non seulement un gage des droits et taxes, mais également une garantie de paiement du fournisseur. Ainsi, l’enlèvement n’était autorisé qu’après règlement des droits dus à l’Etat et de la contre valeur de la marchandise due au vendeur. L’administration douanière exerçait déjà, mais avec les spécificités de l’époque, son traditionnel rôle de contrôle de commerce extérieur et des changes. Ce principe, qui était le fondement et la sécurité même de tout le commerce européen a été inscrit, expliqué, rappelé ou admis dans tous les traités et ressort de toutes leurs dispositions.

    De cette règle essentielle découlaient d’autres prérogatives qui faisaient que la douane devait forcer, en quelque sorte, tout acheteur à recevoir la marchandise, une fois le marché conclu par ses drogmans. Tout compte non soldé par le débiteur restait en principe à la charge de la douane.

    2) Procédure de vente en dehors de l’enceinte douanière :

    Les commerçants européens n’étaient nullement obligés de vendre leurs marchandises sous douane. Cette vente était facultative, mais présentait un avantage certain pour les opérateurs, car elle était garantie par l’Etat. Les transactions commerciales qui s’effectuaient en dehors de l’enceinte douanière avaient lieu généralement dans les foundouks.

    Le “foundouk”145 terme issu du mot grec “pandokeia” est un entrepôt de marchandises et hôtellerie où débarquent les marchands ainsi que leurs bêtes. Au Maroc, l’appellation était également attribuée aux centres des activités des marchands étrangers, en même temps que le lieu des interventions de l’administration douanière auprès de ces marchands. Le but principal est de parvenir à percevoir les droits d’entrée et de sortie, ainsi que des taxes pour certains services rendus, comme la surveillance des marchandises ou autres. Les foundouks étaient situés soit à l’intérieur de la ville, où ils formaient parfois un quartier à part, soit dans un foubourg isolé et tout à fait en dehors de la ville, comme à El Mehdia et à Sebta. Les conventions du XIIème siècle désignent ces lieux sous les noms de fonticus, fundigus, fondegus, fonticum, fundigum, alfundega, en latin fondaco, en italien fondech, al fondech. Le préposé ou surveillant en chef des foundouks chrétiens qui était subordonné au consul se nommait le fundegarius. 

    Le foundouk dans les territoires du Maghreb était une sorte de cité dans le sens moderne et municipal de ce mot, très semblable aux khans particuliers des marchands étrangers situés dans l’enceinte des bazars d’Orient. Un mur de pierre ou de pisé séparait complètement le foundouk de chaque nation des établissements voisins.  

     

    : Ce droit en vertu duquel, dans l’Europe féodale, les biens de l’étranger décédé étaient dévolus au seigneur du lieu, n’avaient pas d’application au Maroc comme dans tous les pays de l’Islam. Dans les traités commerciaux, il était admis que les biens et les effets de tout chrétien mort au Maroc devaient être remis à son exécuteur testamentaire, s’il en avait désigné, au consul ou à ses compatriotes, s’il mourait sans avoir laissé de testament. Dans le cas de décès en un lieu où ne se trouvaient ni consul ni nationaux de l’étranger, ses biens étaient placés sous la garde de l’autorité douanière. Un magistrat faisait dresser, devant témoins, un état sommaire de ce qui les composait, et les biens étaient délivrés à la personne désignée par le gouvernement du défunt.
    l semble néanmoins que les Pisans n’eussent pas regagné tout de suite et partout leur ancienne situation. Dans le royaume de Bougie, en particulier, les agents des douanes leur témoignaient du mauvais vouloir. Les consuls de la République s’en plaignaient à Youssouf par des lettres successives portant les dates du 1e r avril, 19 mai et 1er juillet 1181. En effet il semble que la douane les empêchait parfois d’acheter le cuir et des maroquineries, d’autres fois. Quand ils voulaient se rembarquer après avoir terminé leurs opérations, on trouve de vains prétextes pour les retenir. Une fois, l’employé de la douane délégué à l’expédition des affaires de la nation pisane, leur notifia qu’en vertu d’ordres supérieurs, il ne pouvait plus permettre aucun acte de commerce qu’à ceux de leurs compatriotes qui justifieraient de la possession d’environ cinq cents dinars de capital, comme garantie de leurs opérations.

    1 commentaire
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    ROUDH EL-KARTAS

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB (ESPAGNE ET MAROC) ET ANNALES DE LA VILLE DE FEZ

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    TRADUIT DE L’ARABE

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    PAR A. BEAUMIER,

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    AGENT VICE-CONSUL DE FRANCE À RABAT ET SALÉ (MAROC) CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR,, ETC. PUBLIÉ SOUS LES .AUSPICES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

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    PARIS

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    IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DU GARDE D ES SCEAUX

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    À L’IMPRIMERIE IMPÉRIALE.

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    MDCCCLX (1859)

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    AVERTISSEMENT

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    Roudh el-Kartas, le Jardin des feuillets, écrit à 1a cour de Fès, en 1326, sur les livres et les documents les plus authentiques de l’époque, par l’imam Abou Mohammed Salah ben Abd el-Halim, de Grenade, nous éclaire sur Cinq siècles et demi de l’histoire d’Occident, durant lesquels cinq dynasties et quarante-huit émirs se sont succédés sur le trône de Fès et de Maroc. Chacune de ces dynasties a eu sa capitale de prédilection et sa nécropole, où les tombeaux des anciens souverains sont aujourd’hui encore vénérés comme des lieux saints ; chacune a laissé des monuments que l’on peut dire impérissables. L’auteur commence son récit à la fuite d’Edriss, cinquième des­ cendant d’Ali, gendre du Prophète, qui, en l’an 788 de Jésus-Christ, chassé de l’Arabie, arrive dans le Maroc, y propage l’Islamisme, bâtit Fès et l’onde la dynastie des Edrissites, qui règnent pendant, deux cents ans. Les Zenèta enlèvent le pouvoir aux descendants d’Ali, se décla­ rent. Indépendants des Ommiades, maîtres de l’Espagne, et, ne pouvant asseoir leur gouvernement à Fès (la turbulente), fondent Oudjda, où ils maintiennent pendant quatre-vingts ans le siège de leur puissance. Les Almaoravides, s’élançant du Sahara occidental, parviennent à renverser les Zenètas fondent Maroc, leur capitale, et pénètrent en Espagne à la suite de :la sanglante bataille de Zalaca (1086 de J. -C.). Ils règnent simultanément à Maroc et à Cordoue pendant soixante et dix-huit ans, avec le titre de Princes des Croyants, que les sultans du Maroc ont conservé depuis lors. En l’an 1140 de Jésus-Christ, les Almohades, surgis de Tywmâl, ville de l’Atlas (Daren), arrachent aux Almoravides Maroc, Fès, tout le nord de l’Afrique jusqu’à Barka et la plus grande partie de l’Espagne ; ils élèvent à son apogée la puissance musulmane en Occident (bataille d’Al’arcos, 1196 (le J.-C.), et marquent, par leur désastre d’Hisn elOukab (Las Navas de Tolosa, 1212 de J. C.), la première heure de sa décadence. Pendant, un règne de cent trente ans, les Almohades édifient Gibraltar ; les quais, la kasbah, les fortifications, l’aqueduc, la kasbah et l’aqueduc de Fès; la kasbah, l’aqueduc et la grande tour de Maroc, la ville de Rabat et la tour de Hassan; Ies fortifications d’Oudjda, de Mezemma et de Badès dans le Rif. Enfin les Beny Meryn, anciens Arabes d’Orient, confondus avec les Berbères de la lisière du Sahara, arrivent pour saisir et perdre pair; à peu l’héritage en lambeaux des Almohadess, dont ils ne, conservent que la partie comprise entre la Moulouïa et l’Atlantique, la côte du Rif et le Désert, c’est-à-dire le Maroc tel qu’il est encore aujourd’hui. Les Beny Meryn édifient successivement les nouvelles villes d’Algéziras el-Djedid, Fès el-Djedid, Tlemcen el-Djedid et Oudjda, qu’ils avaient rasée au commencement de leur domination. C’est sous le règne du neuvième souverain de cette dynastie des Beny Meryn qu’a vécu l’imam Abd el-Halîm ; c’est à cette époque (1326 de J. C.) que s’arrête son histoire. Roudh el-Kartas contient, en outre, les dates et quelquefois les descriptions des phénomènes célestes et des fléaux qui ont épouvanté ou frappé l’humanité durant cette longue période de plus de cinq siè­ cles. Il donne les titres de certains ouvrages et les noms de divers personnagess de l’époque, auteurs, médecins, légistes et autres, et ces notes ne peuvent que faciliter les nouvelles recherches que l’on pour­ rait faire, dés à présent, dans les bibliothèques de Séville et de Cordoue, et qui se feront sans doute un jour dans celles, de Fès, où l’auteur du Kartas nous dit que treize charges de manuscrits ont été déposées, en 684 (1285 J. C.), par l’émir Youssef, qui les avait arrachés au roi de Séville, Sancho, fils d’Alphonse X. Roudh el-Kartas, en nous faisant suivre la marche des armées dans toutes les directions de l’empire maghrebin, nous donne encore de précieux renseignements sur la topographie du Maroc. Le Maroc ! étrange phénomène politique qui, en regard des côtes de l’Europe et limitrophe de l’Algérie, est resté Jusqu’à ce jour end dehors des inves­ tigations des savants, des voyageurs et du courant, de la civilisation ! Écrit par un Musulman et pour des Musulmans, ce livre dévoile, enfin, le caractère immuable de cette loi Intolérante qui peut toujours, d’un moment à l’autre, reproduire ces excès de fanatisme sanglant qui viennent, une fois encore, de faire frémir tout le monde chrétien ! de cette religion du fatalisme qui paralyse seule l’intelligence incontesta­ ble et la bonne nature de l’Arabe africain ! Aussi, au risque de sacri­ fier quelquefois l’élégance du style à l’exactitude de la traduction, nous sommes-nous appliqué à reproduire en français le texte arabe de l’imam Abd el-Halim dans toute son originalité, et mot à mot, pour ainsi dire. En lisant cet ouvrage, quiconque a des rapports avec, les Musulmans reconnaîtra que les Arabes de nos jours pensent, agissent et écrivent comme pensaient, agissaient et écrivaient les Arabes du Roudh el-Kar­ tas, il y a mille ans, et ce sera, entre autres enseignements, une obser­ vation pleine de conséquences. «J’ai pu,» écrivait dernièrement un juge très compétent, M. Léon Roches, dans un rapport, officiel sur la traduction de Roudh el-Kartas, «j’ai pu comparer la correspondance des émirs entre eux, il y a huit cents ans, et celle des émirs avec les princes chrétiens ; il me semblait lire les lettres que l’empereur du Maroc adressait, en 1844, à son fils et au maréchal Bugeaud, et qui ont été trouvées à la bataille d’Isly…» En publiant notre traduction de Roudh el-Kartas, nous n’avons pas la .prétention d’offrir une œuvre inconnue à la science ; les savants orientalistes ont pu, depuis longtemps, trouver dans les différentes bibliothèques de Paris, d’Upsal, de Wiborg, de Leyde et d’Oxford, des exemplaires arabes plus ou moins complets de cet intéressant ouvrage, sur lesquels M. C. J. de Tornberg a fait sa remarquable traduction latine publiée à Upsal, en 1846, aux frais du gouvernement suédois. M. de Tornberg a placé, au commencement de son volume, un savant examen critique de ces divers manuscrits arabes, dont pas un seul exemplaire ne possède, d’après lui, un texte correct, et dont plu­ sieurs seraient même singulièrement tronqués ou altérés. Notre traduction a été faite sur deux manuscrits arabes, les seuls que nous ayons pu nous procurer durant, quinze années de recherches en Afrique. Le premier est une copie textuelle d’un très-ancien manuscrit (l’original peut-être), déposé dans la grande mosquée de la ville de Maroc, faite par un thaleb que nous envoyâmes, à cet effet, pendant notre séjour à Mogador ; il porte la date de Maroc, an 1263 (1846 de J. C.). Le second a été trouvé par nous quelques années plus tard, à Tunis, et porte la date de Fès, an 1100 (1688 de J. C.). Les orientalistes pourront consulter ce dernier exemplaire, qui est très net et très complet, à la Bibliothèque impériale de Paris, à laquelle nous mous proposons d’en faire hommage aussitôt après la publication de notre traduction.(1)

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    Nous nous proposons également de l’offrir à la bibliothèque de Marseille

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    Dans son examen critique, M. de Tornberg discute également la valeur des différentes traductions du Kartas, qui ont été tentées à plu­ sieurs époques. La première, qui existe à la Bibliothèque impériale de Paris, est un manuscrit français, autographié de Pétis, de la Croix, «ter­ miné le 28 novembre 1693.» Une copie en a été donnée à la bibliothè­ que d’Upsal ; «il est, dit M. de Tornberg, comme l’ébauche d’un livre. C’est plutôt une espèce de paraphrase qu’une traduction fidèle, moins en rapport avec les termes qu’avec le, sens, du texte.» Vient ensuite une traduction en allemand (Agram, 1794) de F. Dombay : «Il s’en faut de beaucoup, dit le savant suédois, que le livre de Dombay soit la traduction fidèle de l’ouvrage de l’auteur ; on peut, à bon droit, ne la considérer que comme un abrégé.» En 1828, un père de la Merci, Antonio Moura, homme «d’un rare talent dans la littérature arabe,» fit paraître une traduction en portugais «plus conforme au texte, et destinée à mettre en lumière l’histoire du Portugal.» Enfin, «Conde,» dit toujours l’auteur de l’examen critique que nous citons, «a inséré dans son livre très-connu sur l’histoire d’Espagne, traduite en allemand par Rutsch­ mann, la presque totalité du Kartas, sans faire mention de l’auteur, sui­ vant son habitude… Le jugement sévère que Gayangos a naguère porté sur le livre de Conde me parait d’autant mieux fondé qu’en le lisant avec attention, j’y ai trouvé de grossières erreurs qui ne pourraient s’expliquer si on n’avait à constater que Conde était mort avant que, son travail fût terminé.» En ce qui nous, concerne, nous devons humblement confesser que, lorsque nous fîmes copier à grands frais notre premier manuscrit dans la bibliothèque de la mosquée de Maroc, nous ignorions complè­ tement l’existence des divers exemplaires répandus en Europe, ainsi que des traductions qui en avaient été faites; ce n’est qu’au moment de la publication de notre ouvrage que la connaissance du livre latin de M. de Tornberg nous a éclairé. Néanmoins, loin de rien regretter, nous trouvons, au contraire, dans le cas que nos maîtres paraissent avoir tou­ jours fait de cet important livre d’histoire, le meilleur témoignage de l’utilité de notre travail. Nous espérons, d’ailleurs, qu’il nous sera tenu compte d’avoir mené à fin un pareil ouvrage, en saisissant, pour ainsi dire, les rares loisirs que nous ont laissés des fonctions publiques, acti­ ves et incessantes, pendant un séjour de quinze années au Maroc et à Tunis, où, moins heureux que le savant professeur d’Upsal, nous n’avi­ ons, hélas ! aucune des ressources ni aucun des documents qui auraient pu faciliter ou abréger notre tâche. Un mot sur le nom de l’auteur et la signification du titre de Roudh el-Kartas. L’examen critique de M. de Tornberg nous apprend qu’il s’est élevé, à ce sujet, de nombreuses controverses. Sans avoir le droit de nous prononcer sur ces questions, nous nous bornerons à dire qu’en concédant à l’imam Abd-el-Halim l’honneur d’avoir écrit le Kartas, nous nous sommes conformé non-seulement aux textes de nos manuscrits arabes, mais encore à l’opinion unanime des foukhâa et des tholba ou savants marocains que nous avons consultés. Ces érudits nous ont tous également donné la même explication du titre, assez bizarre il est vrai, de cet ouvrage. Selon eux, il serait ainsi nommé Roudh el-Kartas, le Jardin des feuillets, parce que l’imam Abd el-Halîm a dû recueillir une foule de notes, de documents, de feuillets épars pour les rassembler dans son livre, comme on rassemble des fleurs dans un parterre. En résumé, nous n’avons d’autre but, en publiant notre traduc­ tion, que de vulgariser un des pares ouvrages d’histoire marocaine qui jouissent, à juste titre, de l’estime générale des savants européens et des lettrés arabes. C’est parce que la connaissance du Roudh el-Kar­ tas nous a rendu, à nous-même, les plus grands services dans nos rap­ ports avec les Musulmans, que nous espérons faire une œuvre utile en le livrant à l’étude pratique des hommes, nombreux aujourd’hui, que leurs fonctions mettent en contact avec les Arabes ou qui ont intérêt à les connaître, et aux méditations de tous ceux qui s’occupent de l’his­ toire et de l’avenir de notre belle colonie d’Afrique. Qu’il nous soit, permis, en terminant, d’adresser ici un témoi­ gnage public de notre profonde gratitude, A S. Exc. M. Thouvenel, ministre des affaires étrangères, dont la haute bienveillance nous a mis à même d’entreprendre la publication de notre ouvrage, et qui a daigné nous autoriser à le placer sous les auspices de son Département ; A chacun des ministères du gouvernement protecteur de Sa Majesté Impériale, qui ont honoré notre livre du généreux concours de leurs souscriptions ; A l’Imprimerie impériale de Paris ; A nos directeurs et sous-directeurs du ministère des affaires étrangères ; A tous nos chefs et à nos amis, qui nous ont assisté de leurs con­ seils et de leurs encouragements dans l’accomplissement de notre tra­ vail. Auguste BEAUMIER.

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    Paris le 15 octobre 1860.

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    Nota. Les ouvrages français qui traitent des Arabes ont adopté chacun une orthographe particulière pour les noms de lieux et de per­ sonnes. Cette diversité dans les modes de reproduction en français des lettres arabes est une cause permanente d’obscurité et de difficultés qu’il serait indispensable de faire disparaître. Nous croyons savoir que le ministère de l’Algérie, préoccupé à juste titre de ces inconvénients, songe à faire publier un dictionnaire officiel de tous les noms arabes transcrits en caractères français. En attendant cette utile publication, nous nous sommes conformés, autant que possible, en ce qui nous con­ cerne, à hiu l’orthographe adoptée par M. le baron de Slane dans son savant et bel ouvrage, l’Histoire des Berbères.

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    ROUDH EL-KARTAS

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    HISTOIRE

     DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

    Au nom de Dieu clément et miséricordieux! Que Dieu répande ses bénédictions sur notre seigneur Mohammed, sa famille et ses compagnons, et leur accorde le salut ! Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu très-haut, très-magnifi­ que ! Le cheïhh, l’imam distingué, savant et sage, versé dans le hadits, Abou Mohammed Salah ben Abd el-Halim, que le Très-haut lui fasse misé­ ricorde et l’agrée, amen ! a dit : Louanges à Dieu qui conduit toutes choses selon sa volonté et sa direction, qui aplanit les difficulté par son soutien et son concours, qui a créé toutes choses dans sa sagesse et leur a donné leurs formes, qui a donné la vie à ses créatures par son pouvoir et leur a dispensé les choses néces­ saires à leurs besoins ! Je lui adresse mes louanges, et mes louanges sont celles d’un homme qui connaît sa faiblesse et les bienfaits du Seigneur. «Il n’y a de Dieu que Dieu seul, il n’a pas d’associé ! Je le témoigne du fond de mon cœur et de ma pensée, Je témoigne aussi que notre seigneur Mohammed est le serviteur et l’envoyé de Dieu, qui l’a élu pour remplir sa mission, et dont il a mérité l’amitié, les bienfaits et la toute-bonté. Que le Très-haut répande ses bénédictions sur lui et sur sa famille juste et pure, sur ses femmes sans taches qu’il a exemptées de souillures ! Que Dieu soit propice à ses compagnons qui, les premiers, l’ont suivi dans la foi et la victoire, lui ont porté honneur et respect, et à ceux qui les ont suivis et qui les suivront jusqu’au jour de la résurrection dans la voie du bien ! Que cette prière sont faite aussi longtemps que la nuit aura ses ténèbres et le jour sa lumière !» Je prie aussi pour l’Heureux règne des Méryn, fils d’Othman. Que Dieu élève leurs- ordres et leur puissance ! Qu’il conserve leur gouverne­ ment aussi longtemps que les jours ! Qu’il les comble de grandeurs et de prospérités, leur donne la victoire et des conquêtes éclatantes ! Ensuite, que Dieu prolonge la vie de notre maître le khalife, l’imam qui chérit et élève l’islam, qui déteste et dompte l’infidèle, la couronne qui répand la justice, qui découvre et confond l’injustice, le prince du temps, l’ornement Élu siècle, le défenseur de la religion et de la foi, l’émir des musulmans, Abou Saïd Othman, fils de notre maître, le protégé, le victorieux, le roi, l’adora­ teur, l’austère, le juste qui excelle en toutes choses, le prêtre de, la justice, le soutien de la vérité, l’émir des musulmans, Abou Youssef Yacoub ben Abd el-Hakk ! Que Dieu rende notre maître victorieux ! Qu’il le protége, éternise son gouvernement et ses jours ! Qu’il comble de bonheur et de vic­ toires sa bannière et ses enseignes ! Qu’il lui ouvre les régions de l’Orient et de 1’Occident ! Qu’il fasse tomber les têtes de ses ennemis pour qu’il puisse monter sur leur s cols on temps de paix ou de guerre ! Qu’il lui donne des victoires éclatantes ! Qu’il laisse le khalifat à ses descendants jusqu’au jour de la résurrection, et que ses descendants le con­ servent et le fassent revivre sans cesse ! Qu’ils élèvent sa lumière ! Qu’ils le préservent du mal ! Puissent la prospérité. accompagner leurs affaires, la joie être toujours sur leur seuil, la victoire unie à leur bannière, et puissent tous les cœurs les aimer aussi longtemps que les teintes variées de l’aurore coloreront le vêtement de la nuit, et que les oiseaux chanteront et gazouille­ ront soir les arbres ! Je prie pour notre maître qui ne cesse de défendre l’is­ lam, qui combat dans la vérité pour cette vie et pour l’autre, qui donne sans ostentation, et chez qui l’on trouve ce que l’on désire. Et, lorsque j’ai vu la générosité de cet heureux gouvernement, que Dieu l’éternise ! ce règne semblable à un collier de perles précieuses, dont toutes les bouches chan­ tent les louanges et dont toutes les actions étincellent, jetant partout leur clarté, ce règne qu’une resplendissante lumière soutiendra à jamais ; ce prince qui suit l’exemple de ses ancêtres et ne peut pas périr : j’ai voulu aussi en tracer les beautés et chercher à les rendre accomplies. J’ai essayé d’écrire ses grandeurs dans cet ouvrage; mais elles sont telles que je n’ai pu les exprimer par des mots. Je me suis placé sous l’ombre de cette cour, et j’en ai bu l’eau douce ! Mon livre, d’une étendue moyenne, contient les beaux faits de l’histoire ; il réunit les principales époques, leurs merveilles et leurs prodiges. Il contient aussi l’histoire des rois et des hommes illustres de l’antiquité, et la durée des dynasties anciennes, leurs règnes, leurs ori­ gines, leurs âges, leurs gouvernements, leurs guerres, leur conduite envers leurs peuples, leurs constructions dans le Maghreb, leurs conquêtes dans les régions diverses, la description de leurs châteaux et de leurs forteresses, les impôts qu’ils ont perçus. J’énumère émir par émir, roi par roi, khalife par khalife, siècle par siècle, selon leur rang et leur mérite, depuis le com­ mencement du règne du chérif Edriss ; fils d’Abd Allah el-Hosseïn jusqu’à nos jours. J’y ai mis tous mes soins, j’y ai employé tous mes efforts, j’y ai consacré tout mon temps. J’ai demandé à Dieu si mon œuvre lui serait agréable. Je l’ai prié de me secourir. Dieu m’a entendu et je dois la Réussite à ses bienfaits et à la bénédiction de notre maître, l’émir des musulmans. J’ai rassemblé ce joli recueil en choisissant les perles des principaux livres d’histoire authentiques. Je n’ai décrit que les faits véritables et je me suis borné aux explications essentielles, en renvoyant pour plus de détails aux ouvrages dont je me suis servi. J’ai ajouté ce que j’ai appris moi-même des cheïkhs de l’histoire, de mes collègues, et des écrivains contemporains, tous gens honnêtes et dignes de foi, dont je connais la .vie et l’origine, que j’aurais rapportées si je n’avais craint de surcharger -et obscurcir mon livre de choses inutiles. J’ai cherché à dire le plus de choses possible en peu de mots, et j’ai ainsi fait un livre d’étendue moyenne, ce qui est préférable à tout, comme le savent les sectateurs du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !), au précepte duquel je me suis conformé.. Dans le hadits, il est dit qu’un jour Mohammed, conversant avec ses compagnons, leur apprit que, de toutes choses, la moyenne est la meilleure. J’ai intitulé mon livre Roudh el-Kartas (Jardin des feuillets), Histoire des souverains du Maghreb et annales de la ville de Fès. Que Dieu préserve mon ouvrage d’erreurs, il ne contient que ce que j’ai pensé. Puissé-je en être récompensé ! Que le Seigneur nous conserve notre maître, l’émir des musulmans, que son règne soit au-dessus de tous les règnes, et que ses ennemis lui soient soumis, que sa puissance soit victorieuse et ses jours chéris de tous ! Il n’y a de Dieu que Dieu, et de bien que son bien !

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    ANNALES DES SOUVERAINS DU MAGHREB, DEPUIS LES EDRISSITES HOSSEÏNIEINS  (que Dieu les agrée !),

     LEUR HISTOIRE  ET CELLE DE LA VILLE DE FÈS, BÂTIE PAR EUX,

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    DEMEURE DE LEURS PRINCES ET SIÈGE DE LEUR GOUVERNEMENT.

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    L’auteur de ce livre (que Dieu lui pardonne !) raconte ainsi les motifs de la venue et de l’établissement dans le Maghreb des Edrissites Hosseï­ niens. L’imam Mohammed, fils d’Abd Allah, fils d’Hosseïn, fils d’el-Hos­ seïn, fils d’Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu les agrée !), s’était soulevé contre Abou Djafar el-Mansour, l’Abbassite, prince des musulmans dans l’Hedjaz, dont il blamait la tyrannie et les iniquités ; on était alors dans l’année 145 (762 J. C.) : El-Mansour envoya à Médine une grande armée qui chassa l’imam Mohammed et s’empara de sa famille et de ses amis. L’imam, s’étant échappé, se dirigea secrètement vers les pays de la Nubie, où il demeura Jusqu’à la mort d’el-Mansour (que Dieu lui fasse miséri­ corde !). El-Mehdi; fils d’el-Mansour, devint khalife à la place de son père ; Mohamnaed ben Abd Allah ben Hosseïn partit pour la Mecque à l’époque du Mousam, et, à son arrivée, il convoqua le peuple pour se faire proclamer souverain ; un nombreux parti l’accueillit, et les habitants de la Mecque et de Médine, ainsi qu’un grand nombre d’hommes de l’Hedjaz, se soumi­ rent à lui. Mohammed fut surnommé le Probe, à cause de sa dévotion et de son extrême probité, de ses aumônes, de son abstinence, de sa science et de ses bienfaits. Il avait six frères : Yahya, Soliman, Ibrahim, Aïssa; Ali et Edriss; il en dépêcha plusieurs dans les principaux pays, avec mis­ sion de faire reconnaître sa souveraineté. Ali, qu’il envoya en Ifrîkya, fait accueilli par un grand nombre de tribus berbères, mais il mourut avant d’avoir atteint son but. Yahya, qui fut envoyé au Khorassan, y demeura jus­ qu’à l’époque de la mort de son frère Mohammed, où il se réfugia dans le pays de Deïlem. Il y fut bien reçu, parvint à s’y faire reconnaître souverain, et devint très-puissant. Le khalife el-Rachid, après avoir vainement envoyé ses armées contre lui, fut obligé d’employer la ruse, et parvint à l’attirer à sa cour en lui donnant l’aman. Yahya resta quelque temps auprès du khalife et finit par y être empoisonné. Soliman alla en Égypte, et y demeura jusqu’à ce qu’il eût appris la mort de Mohammed son frère ; alors il passa successivement dans le Soudan, dans le Zâb africain(1), et arriva enfin à Tlemcen ; ville, du Maghreb, où il se fixa. Il eut un grand nombre d’enfants, qui, plus tard, à l’époque de son frère Edriss, prirent le nom d’Hosseïniens, à cause de leur descendance de Soliman, fils d’Abd Allah, fils d’Hosseïn. Ce fut aussi alors, dit-on, que ces Hosseiniens se répandirent dans le sud, et pénétrèrent jusque dans le Sous el-Aksa(2). Cependant l’imam Mohammed étant devenu fort et puissant à la Mecque, en sortit avec une nombreuse troupe de soldats de l’Hedjaz, de l’Yémen et d’autres lieux, pour attaquer l’armée d’el-Mehdi. La rencontre eut lieu à un endroit connu sous le nom de Fadj, situé à six milles de la Mecque (que Dieu l’ennoblisse !). Un grand combat fut livré, et le mas­ sacre fut sanglant. L’imam Mohammed fut tué (que Dieu lui fasse misé­ ricorde !), son armée mise en déroute, la majeure partie de ses soldats massacrés, et les autres dispersés et mis en fuite. Les cadavres furent aban­ donnés sur le champ de bataille, tant ils étaient nombreux, et devinrent la proie des oiseaux et des lions. Le combat eut lieu un samedi, jour de Trouyat(3), 8 du mois dou’l hidjâ de l’année 169 (786). Ibrahim, qui fut du nombre des fuyards, vint chercher asile à Bassora, où il se fixa. Il continua à faire la guerre à ses ennemis, jusqu’à ce qu’il eût trouvé la mort dans un combat (que Dieu lui pardonne !) Edriss, après la mort de son frère et des siens, prit 1a résolution de se réfugier dans le Maghreb. Il sortit, déguisé, de la Mecque, accompagné d’un ancien serviteur, nommé Rachid, passa en Égypte, et arriva dans la capitale, qui était gouvernée par un des lieutenants d’el-Mehdi, nommé Ali ben Soliman el-Hachemy. Edriss et son serviteur firent halte en cette ville, et, un jour; tandis qu’ils parcouraient les places et les rues, ils s’arrêtèrent devant une fort belle maison, dont ils se mirent à contempler l’architec­ ture et l’extérieur remarquable. En ce moment le maître du logis sortit, les salua, et, après qu’ils eurent rendu le salut, leur demanda pourquoi ils con­ sidéraient ainsi cet édifice. « Seigneur, répondit Rachid, nous admirons sa grandeur, son archi­ tecture et sa solidité. — Vous êtes étrangers, à ce que je vois ? dit cet homme. — Puisse notre venue vous être propice ! nous sommes étrangers. — Quel est votre pays ? — L’Hedjaz. — Et de quelle ville de l’Eldjaz ètes­ vous ? — Nous sommes de la Mecque. — Appartiendriez-vous aux descen­ dants d’Hosseïn, et seriez-vous du nombre de ceux qui ont pris la fuite après

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     1 Zâb, ancienne province d’Afrique, dont le chef-lieu était Biskera.

     2 Sous el-Aksa, province extrême de la Mauritanie, chef-lieu Tarudant. (Géographie

     d’Aboulféda et d’Idirisi.)

     3 jour de la boisson ; c’est le jour où les pélerins de la Mecque boivent l’eau du puits de

     Zemzem.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    la défaite de Fadj ?» A, cette question, Edriss et Rachid furent sur le point de déguiser la vérité. pour cacher leurs affaires ; mais, leur interlocuteur leur ayant paru bon et bienfaisant, Rachid répondit ; «Seigneur, sur votre physionomie il nous a semblé que nous n’avions que le bien à attendre de vous ; car vos actions doivent-être comme la sérénité de votre front et la joue de votre visage. Cependant, si nous nous faisions connaître à vous, si nous vous disions nos affaires, garderiez vous le secret ? — Je vous le promets, au nom du Seigneur de la Kaaba ! Je cacherai vos affaires ; je garderai vos secrets, et je ferai tout ce qui me sera possible pour votre bien. - C’est ce que nous avions pensé de vous, et ce que nous attendions de votre bienfaisance, reprit Rachid. Eh bien, voici Edriss, descendant d’Hossein, fils d’Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu les agrée tous !), et je suis son serviteur Rachid, et je l’ai accompagné dans la fuite, parce que je craignais qu’il ne perdît la vie avant qu’il eût atteint le Maghreb. — Rassurez-vous donc, et cessez de craindre. J’appartiens aussi au peuple de la Mecque, je suis un de ses serviteurs, et, comme tel, je dois être le premier à garder ses secrets et à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour son bien. Soyez donc sans peur, sans soupçons, car vous êtes mes hôtes.» Ils entrèrent alors dans la maison, et ils y demeurèrent quelque temps, comblés d’attentions et de générosités. Cependant le gouverneur Ali ben Soliman el-Hachemy, ayant été informé de la présence de ces étrangers, fit venir l’hôte qui les avait accueillis, et lui dit : «Je sais que tu donnes refuge chez toi à deux hommes, et le commandeur des croyants a ordonné de poursuivre les Hosseïniens, et de faire périr tous ceux que l’on découvrirait. Il a envoyé ses cavaliers sur les chemins pour les chercher, et il a placé des gardes :sur les routes de la ville, pour visiter les caravanes, afin que nul ne passe avant d’avoir fait reconnaître son identité, expliqué sers affaires, et déclaré d’où il vient et où, il va. Je ne veux point pourtant faire verser le sang du peuple de la Mecque, ni être cause qu’il lui arrive aucun mal. Je donne dont l’aman à toi et à tes hôtes ; va les trouver, et fais que dans trois jours ils ne punissent plus être en mon pouvoir !» L’Égyptien se rendit immédiatement auprès d’Edriss et de Rachid, leur fit connaître ce dont il s’agissait, et s’occupa aussitôt des préparatifs de leur départ pour le Maghreb. Il ,acheta trois bêtes de somme, dont une pour lui, fit d’abondantes provisions, et se . munit de tout ce qui était nécessaire pour aller en Ifrîkya. Il dit, ensuite à Rachid : «Sors avec la foule par la grande route, tandis qu’Edriss et moi nous prendrons un chemin détourné et solitaire. La ville de Barka sera le lieu de notre rendez-vous, et, nous t’y attendrons; car là nous serons à l’abri des poursuites. - Ton avis est le mien,» répondit Rachid ; et, s’étant déguisé en marchand, il sortit par, la grande

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    route avec la foule. Edriss et l’Égyptien partirent aussi, et, suivant toujours les lieux déserts, ils arrivèrent à la ville de Barka ; ils attendirent la venue de Rachid, et alors l’Égyptien, ayant renouvelé les provisions et tout ce qui était nécessaire pour la continuation du voyage de ses hôtes, leur dit adieu et retourna dans son pays. Edriss et: Rachid se mirent en route à travers l’Ifrîkya, et marchèrent à grandes journées jusqu’à ce qu’ils eussent atteint la ville de Kairouan, où ils se reposèrent quelque temps avant de reprendre leur voyage vers le Maghreb el-Aksa. Rachid était de ceux qui réunissent en eux le courage, la science, la prudence, la force, l’esprit, la religion et la pureté de la famille par excellence. En sortant de Kairouan, il revêtit par précaution Edriss d’une robe de laine ordinaire et d’un turban grossier, et, lui donnant des ordres, il affectait de le traiter comme un domestique. Ils allèrent ainsi jusqu’à Tlemcen, d’où, après s’être reposés quelques jours, ils se dirigèrent, vers les terres de Tanger, et ayant passé l’Oued Moulouïa, ils entrèrent dans le Sous el-Adna. Le Sous el-Adna est compris entre la Moui­ louïa et la rivière Oumm el-Rebya. C’est la terre productive du Maghreb ; elle est d’une merveilleuse abondance. Le Sous el-Aksa est compris entre Tedla et le Djebel Derèn. Edriss et son serviteur marchèrent jusqu’à ce qu’ils eussent atteint, la ville de Tanger. Tanger était alors la capitale du Maghreb, la mère de ses villes, la plus belle alors et la plus vieille. Mais j’ai déjà parlé de sa fonda­ tion et de ses annales dans mon grand ouvrage intitulé Zohrat el-Boustân fi Akhbâr el-Zeman. Edriss et Rachid. demeurèrent quelque temps à Tanger ; mais ils ne purent s’y plaire, et ils se remirent en route. Ils arrivèrent à Oualily(1), chef­ lieu des montagnes de Zraoun. Oualily était une ville entourée de superbes murs de construction antique, et située au milieu de belles tertres, abondam­ ment arrosées et couvertes d’oliviers et de plantations. Edriss descendit chez le chef d’Oualily, nommé Abd el-Medjid, qui le reçut généreusement, et qui, en lui entendant conter son histoire, donna les plus grandes marques de joie, l’accueillit dans sa propre maison et le servit en cherchant à prévenir tous ses désirs. Ce fut l’an 172 (788 J. C.) qu’Edrisss entra dans le Maghreb. Son arri­ vée chez Abd el-Medjid à Oualily eut lieu dans les premiers jours du mois béni raby el-aouel de la même année. Edriss demeurait depuis six mois à Oualily, lorsque dans le commen­ cement du ramadhan de ladite année, Abd el-Medjid, ayant rassemblé ses frères et les Kabyles d’Ouaraba, leur fit connaître l’histoire d’Edriss, ses vertus et sa parenté avec le prophète de Dieu (que le Seigneur le comble de

    ____________________ 1 Oualily, aujourd’hui Zaouïa Moulaï Edriss, située deux des montagnes de Zraoun, à vingt myriamètres environ de Fès et en vue de Mekenès. Lien saint inaccessi­ ble aux infidèles.

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    bénédictions et lui accorde le salut). Il leur parla de sa noblesse, de sa science, de sa religion et de toutes les autres bonnes qualités qui étaient réu­ nies en lui. «Loué soit Dieu qui nous l’à donné ! s’écrièrent les Kabyles. Sa présence au milieu de nous, nous ennoblit ; car il est notre maître et nous sommes ses esclaves, prêts à mourir, pour lui ! Mais dites : Que désirez­ vous de nous ? — Proclamez-le souverain, répondit Abd el-Medjid. — Nous avons entendu; qu’il soit notre souverain, qu’il reçoive ici le serment de notre Soumission et de notre fidélité !»

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM EDRISS L’HOSSEÏNIEN, PREMIER IMAM SOUVERAIN DU MAGHREB.

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    Edriss, fils d’Abd Allah, fils d’Hossein, fils d’el-Hosseïn, fils d’Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu les agrée !), se montra en public dans la ville d’Oualily, le vendredi quatrième jour du mois de Dieu ramadhan de l’an­ née 172. La tribu des Ouaraba fut la première à le saluer souverain; elle lui donna le commandement et la direction du culte, de la guerre et des biens. Ouaraba était à cette époque la plus grande des tribus du Maghreb ; puis­ sante et nombreuse, elle était terrible dans les combats. Vinrent ensuite la tribu des Zenèta et des fragments des tribus berbères de Zouakhta, Zouagha, Lemmaya, Louata, Sedretta, Khyata, Nefrata, Mekenèsa et Ghoumâra, qui le proclamèrent et se soumirent, à lui. Edriss affermit son gouvernement et son pouvoir ; de toutes parts ou venait en foule lui rendre hommage. Bientôt devenu puissant, il se mit à la tête d’une immense armée, composée des principaux d’entre les Zenèta, Oua­ raba, Senhadja et Houarâ, et il sortit pour faire une razia clans le pays de Temsena. Il se porta d’abord sur la ville de Chella, qui était la plus proche, et s’en empara. Il soumit ensuite une, partie du pays de Temsena et se dirigea sur Tedla, dont, il enleva les forteresses et les retranchements. Il n’y avait dans ce pays que quelques musulmans ; les chrétiens et les juifs y étaient très-nombreux ; Edriss leur fit à tous embrasser la religion de Mohammed. L’imam Edriss revint à Oualily, où il fit son entrée à la fin du mois d’ou’l-hidjâ de ladite année 172. Il y passa le moharrem, premier mois de l’an 173 (789 J. C.), pour donner à ses gens le temps de se reposer, et il sortit de nouveau pour aller soumettre ce qui restait encore dans le Maghreb de Berbères, chrétiens, juifs ou idolâtres. Ceux-ci étaient retranchés et fortifiés sur des montagnes et dans des châteaux inaccessibles; néanmoins, l’imam ne cessa de les attaquer et de les combattre que lorsqu’ils eurent tous, de gré ou de force, embrassé l’islamisme. Il s’empara de leur terres et de leurs retranchements ; il fit périr la plus grande partie de ceux qui ne voulurent pas se soumettre à l’islam, et, dépouilla les autres de leurs familles et de leurs biens. Il ravagea le pays, détruisit les forteresses des Beni Louata, des

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    Mediouna, des Haloula et les citadelles .des Khyata et de Fès ; il revint alors à Oualily et y entra vers le milieu de djoumada el-alchira de la même année 173. Un mois après, vers le 15 de radjeb, son armée étant reposée, l’imam se remit en campagne et se porta sur Tlemcen, qui était occupée par lies tribus des Mahgraoua et des Beni Yfran. Étant arrivé dans les environs de cette ville, il campa, et aussitôt l’émir Mohammed ben Ghazen ben Soulat el-Maghraouy el-Ghazy, qui la commandait, vint vers lui pour demander l’aman. Edriss le lui accorda, et reçut sur le lieu même la soumission de Mohammed ben Ghazen et de tous ceux qui l’accompagnaient. L’imam entra sans coup férir à Tlemcen, donna l’aman au peuple et, édifia une belle mosquée, qu’il orna d’une chaire sur laquelle il fit graver ces mots : «Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Ce temple a été élevé par les ordres de l’imam Edriss ben Abd Allah ben Hossein ben elHosseïn ben Ali ben Abou Thaleb, que Dieu les agrée !» On était alors au mois de safar de l’année 174 (180 J. C.). Sur ces entrefaites, on annonça au, khalife Rachid qu’Edriss avait conquis le Maghreb, que toutes les tribus l’avaient proclamé souverain, et qu’il s’était emparé de la ville de Tlemcen, où il avait fait élever une mos­ quée. On l’informa également du courage entreprenant de l’imam, de ses moyens, du grand nombre de ses sujets et de leur, puissance à la guerre, et on lui parla du dessein qu’il avait conçu de s’emparer de l’Ifrîkya. A ces nouvelles, le khalife craignit qu’Edriss, rendu puissant, ne vînt un jour l’at­ taquer, car il n’ignorait pas ses bonnes qualités et l’amour que les hommes portaient à ceux qui appartenaient à la famille du Prophète. (Que lieu le comble de bénédictions et lui accorde le salut !) Cette pensée l’épouvanta et l’inquiéta vivement ; il envoya chercher son premier ministre Yhya ben Khaled ben Bermak, homme puissant et entendu dans les affaires du gouvernement, pour lui raconter ce qu’il venait d’apprendre, et lui deman­ der conseil. Il lui dit qu’Edriss descendait d’Ali fils d’Abou Thaleb et de Fatime, fille du Prophète (que; Dieu le comble de bienfaits et lui accorde le salut !), qu’il avait affermi sa souveraineté qu’il commandait de nombreu­ ses troupes, et qu’il s’était emparé de la ville de Tlemcen. «Tu sais, ajouta le khalife que Tlemcen est la porte de l’Ifrîkya, et que celui qui se rend maître de la porte est bientôt maître de la maison entière. J’avais résolu d’envoyer une forte armée pour faire périr Edriss ; mais ayant ensuite réflé­ chi à l’éloignement du pays, à la longueur de la route qui sépare l’Orient de l’Occident, j’ai vu qu’il était impossible aux armées de l’Irak d’aller jusque redans le Sous, qui est situé à l’Occident, et j’ai changé d’avis ; je ne sais que faire, donne-moi donc tes conseils. — Mon opinion, répondit Yhya ben Khaled, est que vous envoyiez un homme résolu, rusé, éloquent et

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    audacieux, qui tuera votre ennemi et vous en débarrassera. — C’est bien, Yhya, ton opinion est bonne ; mais où trouver cet homme ? — Prince des croyants, reprit le ministre, je connais parmi les gens de votre suite un individu nommé Soliman ben Djérir, entreprenant, audacieux, fourbe et méchant, fort en discussion, éloquent et rusé : vous pourriez l’envoyer. — Qu’il parte à ]’instant, dit le khalife, Aussitôt le ministre se rendit chez Soliman ben Djérir, lui apprit ce dont il s’agissait et la mission dont le chargeait le prince des croyants, en lui promettant en récompense de l’éle­ ver aux premières dignités et de le combler de richesses et de biens ; il le munit de tout ce qui pouvait lui être nécessaire et le congédia. Soliman ben Djérir partit de Bagdad, et marcha avec diligence jusqu’à son arrivée dans le Maghreb. Il se heurta à Edriss dans la ville d’Oualily et le salua. L’imam lui ayant demandé son nom, son origine, sa résidence Habituelle et le motif de son voyage, il répondit qu’il était un des anciens serviteurs de son père, et qu’ayant eu de ses nouvelles, il était venu vers lui pour lui offrir ses ser­ vices, sa fidélité, et le dévouement qu’il professait pour ceux de :la famille par excellence, qui étaient supérieurs à tous et n’étaient comparables qu’à eux-mêmes. Edriss, tranquillisé par ces paroles, l’accueillit avec joie, lui accorda sa confiance et son estime, et bientôt il ne lui permit plus de le quit­ ter. Jusque-là l’imam ne s’était attaché particulièrement à personne, parce que, à cette époque, les habitants du Maghreb étaient grossiers et barbares; mais, reconnaissant la politesse, l’esprit, les talents et la science qu’il y avait chez Soliman ben Djérir, il lui accorda son affection entière. Dans les assemblées où Edriss siégeait au milieu des principaux Berbères et Kaby­ les, Soliman prenait la parole, parlait des vertus et de la sainteté de la famille, par excellence, et, faisant venir le discours sur l’imam Edriss, il disait que lui seul était imam, et qu’il n’y avait d’imam que lui. Il appuyait son raisonnement de démonstrations et de preuves évidentes, et gagnait ainsi le cœur d’Edriss. Mais tandis que celui-ci, frappé de tant d’esprit., de talent et de connaissances, l’admirait et l’aimait toujours plus, Soliman cherchait le moyen et le moment de tuer l’imam, chose jusque-là impossi­ ble, car Rachid le serviteur ne quittait jamais son maître. Enfin, il arriva un jour que Rachid dut sortir pour faire quelques visites. Ben Djérir vint chez l’imam selon sa coutume, s’assit auprès de lui et lui adressa quelques paroles. Bien certain de l’absence de Rachid, il crut avoir trouvé l’occasion favorable de mettre son projet à exécution, et il dit à Edriss : «Seigneur, puissé-je vous être propice ! J’ai apporté avec moi de l’Orient un flacon d’essence odoriférante, et, comme il n’y en a point dans ce pays, j’ai pensé que c’était à vous qu’il appartenait d’en faire usage plutôt qu’à moi, qui ne suis rien auprès de vous, et c’est là ce que j’ai à vous offrir.» En même

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    temps il sortit un flacon et le donna à Edriss, qui, après l’avoir remercié beaucoup de cette attention, l’ouvrit et se mit à en respirer le parfum. Ce qu’ayant vu, Soliman ben Djérir, qui savait avoir atteint son but, se leva et sortit tranquillement, feignant d’avoir un besoin à satisfaire.; il, se rendit chez lui, et aussitôt, sautant sur un superbe cheval, excellent coursier, qu’il tenait toujours prêt à l’événement, il sortit de la ville d’Oualily, pour se mettre en sûreté par la fuite. Le flacon était empoisonné. A peine Edriss eut-il respiré l’essence, que le poison, lui montant à la tête et se répandant bientôt dans le cerveau, l’étourdit, et il tomba sans connaissance la face contre terre, de sorte que personne ne put savoir ce qu’il avait, avant que Ben Djérir, auquel on ne pensait pas, se fût déjà fort éloigné. L’imam resta dans cet état jusqu’au soir et rendit l’âme (que Dieu lui fasse miséricorde !. Dès que le serviteur Rachid avait été informé de ce qui se passait, il était accouru en toute hâte et était arrivé auprès de son maître, qui respirait, encore, mais qui ne pouvait déjà plus proférer un seul mot, tant la mort était proche. Rachid, anéanti et ne sachant à quoi attribuer ce malheur, demeura au chevet d’Edriss jusqu’au dernier moment. L’imam Edriss mourut dans les derniers jours du. mois de raby el-aouel, an 177 (793 J. C.), après avoir gouverné le Maghreb pendant cinq ans et sept mois. On n’est pas d’ac­ cord sur le genre d’empoisonnement dont fut victime l’imam ; outre la version de l’essence que l’on vient de raconter, il en est d’autres qui rap­ portent qu’Edriss s’empoisonna en mangeant du chabel (alose), on bien des anguilles. Ceux-ci s’appuyent sur ce que l’imam fut pris durant son agonie d’un relâchement des parties génitales. Dieu connaît la vérité ! Cependant, après qu’on eut enseveli Edriss, Rachid demanda où était Soliman ben Djérir. On ne sut où le trouver, et bientôt des gens venus du dehors donnèrent la nouvelle qu’ils l’avaient rencontré à une distance de plusieurs milles de la ville. On comprit alors que c’était lui qui avait empoisonné l’imam, et aussitôt un grand nombre de Berbères et Rachid lui­ même, montant à cheval, partirent à sa poursuite : la nuit ne les arrêta point, et ils coururent tant que les chevaux eurent de forces ; ils succombèrent tous, excepté celui de Rachid, qui seul atteignit le fuyard au moment où il passait l’Oued Moulouïa. Rachid se précipita sur Soliman, lui coupa la main droite et lui porta trois coups de sabre sur la tête ; mais son cheval était à bout de forces, et il fut obligé de s’arrêter avant, d’avoir tué le traître qui, mutilé et couvent de sang, continua à fuir. Ben Djérir arriva dans l’Irak: des gens venus plus tard de Bagdad affirmèrent l’avoir vu manchot du bras droit, et marqué de plusieurs cicatrices à la tête. Rachid, abandonnant la poursuite, retourna à la ville pour tranquilliser

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    la population par sa présence et faire élever, un tombeau à l’imam. (Que

     Dieu très-haut lui fasse miséricorde et l’agrée !)

     Edriss mourut sans enfants, mais il laissa sa femme enceinte. Mohammed

     Abd el-Malek ben Mohammed el-Ourak dit avoir lu, dans l’ouvrage inti­

     tulé Ed-Mekabès, dans El-Bekry, El-Bernoussy et plusieurs autres auteurs,

     qui traitent de l’histoire des Edrissites, que l’imam Edriss, fils d’Abd Allah,

     qui n’avait point eu d’enfants durant sa vie, laissa, en mourant, sa femme,

     Berbère de naissance et nommée Khanza, enceinte de sept mois.

     Rachid, après avoir achevé de rendre les derniers devoirs à son maître, rassembla les chefs des tribus des principaux du peuple. «L’imam Edriss, leur dit-il, est mort sans enfants, mais Khanza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez bien, nous attendrons jusqu’au jour de son accouchement pour prendre un parti. S’il naît un garçon, nous l’élèverons, et, quand il sera homme, nous le proclamerons souverain ; car, descendant du prophète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction de la famille sacrée. S’il naît une fille, vous verrez ce que vous aurez à faire pour choisir entre vous un homme de bien. - Ils répondirent, ô vieillard béni ! pouvons-nous avoir d’autre avis que le vôtre ? Ne tenez-vous pas auprès de nous la place d’Edriss ? Comme lui donc soyez notre chef, dirigez notre culte, gouvernez-nous selon le Livre et le Sonna jusqu’au jour de l’accou­ chement de Khanza ; si elle nous donne un garçon, nous l’élèverons et le proclamerons souverain. Dans le cas contraire, nous ne serons point embar­ rassés ; car nul ici ne vous surpasse en vertus, en religion et en science !» Rachid, les remercia, et, après avoir prié avec eux, il les congédia. Il se mit donc à la tête des affaires, et gouverna les Berbères jusqu’au jour de l’ac­ couchement de Khanza, qui mit au monde un garçon, d’une ressemblance frappante avec l’imam Edriss. Rachid présenta le nouveau-né aux princi­ paux d’entre les Berbères, qui s’écrièrent unanimement : «C’est Edriss lui­ même! Edriss n’a pas cessé de vivre,» et l’on donna à l’enfant le nom de son père. Rachid continua à gouverner les Berbères et, à veiller aux affaires. Dès que l’enfant eut cessé d’être allaité, il le prit auprès de lui, pour lui donner, une bonne éducation. Il commença par lui faire étudier le Koran (et à l’âge de huit ans, le jeune Edriss le savait entièrement par cœur). Il l’instruisit dans le Sonna, la doctrine, la grammaire, la poésie, les sentences et les pensées arabes, dans l’organisation et la direction des biens. Il le fit exercer à monter à cheval, à lancer le javelot et lui enseigna l’art et les ruses de la guerre. A dix ans, Edriss, fils d’Edriss, possédait toutes ces connais­ sances. Rachid le présenta au peuple, pour le faire reconnaître souverain du Maghreb ; sa proclamation eut lieu dans la mosquée de la ville d’Oualily.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM EDRISS,

     FILS D’EDRISS L’HOSSEÏNIEN. QUE DIEU L’AGRÉE !

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    L’imam Edriss, fils d’Edriss, fils d’Abd Allah, fils d’Hosseïn, fils d’El-Hosseïn, fils d’Ali, fils d’Abou Thaleb, que Dieu les agrée ! eut pour mère Khanza, femme qu’Edriss avait reçue en présent, et naquit le troi­ sième jour du mois de radjeb de l’année 177. Edriss ben Edriss, auquel on donna le prénom d’Abou, el-Kasem, était le portrait vivant de son père; teint rose, chevelure frisée, taille parfaite, yeux noirs et parole facile ; très-bien élevé, savant dans le Livre de Dieu, dont il suivait fidèlement les préceptes, observateur du Hadits du Prophète que le Seigneur lui accorde le salut et le comble de bénédictions !), fort versé dans la doctrine et le Sonna, distinguant sagement ce qui est permis de ce qui est défendu, jugeant sainement tous les différends, désintéressé, reli­ gieux, charitable, généreux, laborieux, courageux, bon soldat, très-intelli­ gent, profond dans les science, et versé dans les affaires. Voici ce que rapporte Daoued ben Abd Allah ben Djafar. «J’accompagnais Edriss, fils d’Edriss, dans une expédition contre les Berbères hérétiques de Seferia, qui se présentèrent à nous au nombre de trois mille. Au moment où les deux troupes se furent rapprochées, je vis Edriss descendre de cheval, se purifier, se prosterner et invoquer le Dieu très haut, puis remonter à cheval et .se précipiter au combat. Le massacre fut sanglant ; Edriss, courant d’un bout à l’autre de sa ligne, frappait partout et sans cesse. Vers le milieu du jour, il se retira dans son Camp et vint. se placier près de son drapeau, tandis que ses gens continuaient à combattre sous ses yeux ; je m’étais mis derrière lui, et je l’observais attentivement. Debout, à l’ombre des bannières, il excitait sa troupe au combat et diri­ geait ses mouvements. J’étais frappé d’étonnement, par tant de courage et de talent, lorsque, ayant tourné la tête, il m’aperçut et me dit : ô Daoued ! qu’as-tu donc à m’observer ainsi ? — Prince, lui répondis-je, j’admire en vous des choses que je n’ai vues chez nul autre. — Et quelles sont ces choses, Daoued ? — Ce sont, repris-je, votre beauté, votre élégance, la tranquillité de votre cœur, la sérénité de votre visage, et l’ardeur sans pareille avec laquelle vous fondez sur vos ennemis ! — Ces biens, ô Daoued, me viennent de la bénédiction de mon aïeul, le prophète de Dieu (que le Seigneur lui accorde le salut !) qui veille sur moi, et pour lequel je prie ; ils sont aussi l’héritage de notre père Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu l’agrée !) — Comment se fait-il, prince, lui dis-je encore, que vous ayez la bouche si fraîche, tandis que la mienne est sèche et brûlante. - Ceci, Daoued, provient du sang-froid et du courage que j’apporte à la guerre,

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    tandis que chez toi ; esprit faible, la peur dessèche la bouche et trouble les sens. — Et pourquoi, seigneur, vous agitez-vous sur la selle ? Pourquoi, courant sans cesse, ne restez-vous pas a un moment au même endroit ? — L’activité et la résolution, ô Daoued, sont choses bien nécessaires à la guerre. Ne va pas penser, au moins, que ces courses et ces mouvements soient motivés par la crainte,» et il ajouta en vers : « Tu ne sais donc pas que notre père Hachim, ceignant ses vêtements, a transmis à ses fils l’art de frapper de la lance et du sabre ? Nous ne redou­ tons pas la guerre, et la guerre ne nous dédaigne pas. Si le malheur nous atteint, nous ne nous plaignons pas.» Edriss était bon poète. Voici ce qu’il écrivit à un certain Behloul ben Abd el-Ouahed, chef puissant et son allié, auquel Ben el-Khaleb, lieute­ nant du khalife El-Rachid, qui commandait dans l’Ifrîkya, avait conseillé de passer de son côté et de se soumettre au khalife, avec promesse de lui donner les plus grands biens : «O Behloul ! les grandeurs dont ton esprit se flatte auront bientôt changé leur éclat en tristesse. Ibrahim, quoique loin de toi, te trompe ; et demain tu te trouveras bridé sans t’en douter. Comment ne connais-tu point les ruses de Ben el-Khaleb ? Demande, et tous les `pays te les feront con­ naître. Tes plus belles espérances, Behloul ne sont que malheurs ! les pro­ messes d’Ibrahim sont des chimères !» Edriss eut pour ministre Ameïr ben Mosshab Elezdy ; pour kady, Amer ben Mohammed ben Saïd el-Kasby, et pour secrétaire Abou el-Has­ sen Abd Allah ben Malek el-Ensary. L’imam Edriss ayant accompli dix ans et cinq mois, Rachid le Ser­ viteur résolut de le mettre à la tête du gouvernement des tribus berbères et autres du Maghreb ; mais il m’en eut point le temps, car Ibrahim ben Khaleb, qui gouvernait dans l’Ifrîkya, ayant connu son projet, gagna, par de fortes sommes envoyées secrètement, les Berbères de sa suite, qui le mirent à mort en 188 (803 J. C.). Rachid fut remplacé dans les affaires par Abou Khaleb ben Yezid ben Elias el-Hamoudi, qui fit reconnaître, vingt jours après, la souveraineté d’Edriss par toutes les tribus berbères. Sa pro­ clamation eut lieu un vendredi, au commencement du mois de raby el­ aouel, an 188. Abd el-Malek et-Ourak, parlant dans son histoire de la mort de Rachid, rapporte ce qui suit : «Ibrahim ben Khaleb, dans une de ses lettres au khalife Rachid, écri­ vit en témoignage de soit dévouement et de sa. fidélité. Sachez que Rachid a succombé à mes ruses et n’existe plus, et que je tends pour Edriss de nouvelles embûches. J’ai su les atteindre dans leur demeure lointaine, et je leur ai fait justement ce qu’ils voulaient me faire. C’est le frère de Hakim

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    qui a tué Rachid, mais c’est moi qui l’ai poussé, car il dormait tandis que je veillais.» Celui que Ben Khaleb désigne par le frère de Hakim se nommait Mohammed ben el-Mekatel el-Haky, et avait aussi un commandement dans l’Ifrîkya que le khalife Rachid lui ôta à cette occasion pour le donner à Ibrahim ben el-Khaleb. Dans Bekry et Bernoussy on trouve que Rachid ne mourut qu’après la proclamation d’Edriss, et il est dit ce qui suit : «L’imam Edriss, ayant accompli sa onzième année, possédait un esprit, un talent, une raison et une éloquence qui surprenaient les sages et les savants ; Rachid le présenta aux Berbères pour le faire reconnaître comme souverain. C’était le vendredi de raby el-aouel, an 188. Edriss monta en chaire pour réciter au peuple les prières de ce jour, et dit : Louange à Dieu ! je le glorifie ! Qu’il me pardonne et me secoure ! Dieu unique, je vous ai imploré ; guidez mon âme dans le bien, préservez-moi du mal et préservez-en les autres. Ici, je le témoigne, il n’y a de Dieu que Dieu, et notre seigneur Mohamamed (que le Tout-puissant le bénisse !) est son serviteur et son prophète, envoyé auprès des hommes et des génies pour les avertir, les instruire et les rappeler dans la voie du ciel, au nom de leur Dieu et par des signes évidents. Répandez, ô mon Dieu, vos bénédictions sur lui et la famille sacrée, famille pure, préservée de tout mal et exempte de toute souillure ! Ô hommes ! je vais avoir désormais le commandement de ces affaires que Dieu récompense ou punit doublement, selon qu’elles sont bonnes ou mauvaises. N’allez donc pas chercher un autre chef que moi, et soyez certains que je comblerai vos désirs, tant qu’ils seront con­ formes à la justice. — Les assistants furent frappés de la clarté, de l’esprit, de l’énergie et du sang-froid qu’Edriss déployait, si jeune, et à peine fut-il descendu de chaire qu’ils se portèrent en foule vers lui pour lui baiser la main en signe de leur soumission. C’est ainsi qu’eut lieu la proclamation, d’Edriss dont la souveraineté fut reconnue par les tribus des Zenèta, Oua­ raba, Senhadja, Goumâra et tous les Berbères du Maghreb. Rachid mourut quelque temps après.». Dieu connaît la vérité ! Edriss ayant reçu la soumission de tous les habitants du Maghreb, régularisa et étendit sa domination, augmenta le nombre de ses officiers et agrandit ses armées. On accourait vers lui de tous pays et de tous côtés. Il employa le reste de l’année de sa proclamation, 188, à distribuer des biens, à faire des présents aux nouveaux venus et à s’attacher les grands et les cheïkhs. En 189 (804 àu J. C.), une foule d’Ara­ bes des pays d’Ifrîkya et d’Andalousie arrivèrent chez Edriss, ainsi que cinq cents cavaliers environ des tribus d’Akhysia, El-Houzd, Medehadj, Beni Yahthob, Seddafy et autres. L’imam les accueillit avec joie, les éleva aux honneurs et les initia aux affaires de son gouvernement, à l’exclusion des

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    Berbères, auxquels il les préférait à cause de l’idiome arabe que ces der­ niers ne savaient pas. Il choisit pour ministre Ameïr ben Mosshab ; c’était un des principaux chefs arabes dont le père, Mosshab, s’était maintes fois distingué en lfrîkya et en Andalousie, où il s’était valeureusement comporté dans les guerres contre les chrétiens. Il éleva également Amer ben Moham­ med ben Saïd el-Akhyssy de Khys Khillen à la dignité de kady. Amer était homme de bien, intègre, instruit, et versé dans les doctrines d’El-Malek et de Souffian el-Tourry, qu’il suivit exactement. Edriss se décida à aller faire la guerre sainte en Andalousie ; mais à peine fut-il descendu dans l’Adoua, qu’il fut rejoint par un grand nombre d’Arabes et autres qui venaient se rallier à lui de tous les points du Maghreb ; alors, considérant que sa domination s’était étendue, que son armée s’était augmentée à tel point que Oualily était désormais trop petite pour la con­ tenir, l’imam conçut l’idée de bâtir une nouvelle ville pour lui, sa famille, sa suite et les principaux de ses sujets. Revenant donc sur son premier des­ sein, il partit, avec quelques officiers et les chefs de sa suite, à la recherche d’un emplacement. On était alors en 190 (8o5 J. C.). Arrivé au Djebel Oua­ likh, Edriss, charmé de la position du terrain, de la douce température et de l’étendue des vallées qui entouraient cette montagne ; traça à sa base le circuit de la ville. On commença à bâtir ; mais déjà une partie des murs d’enceinte était élevée, lorsque un torrent, se précipitant une nuit du haut de la montagne, détruisit tout ce qui était construit, emporta les habitations des Arabes et dévasta les champs. Edriss cessa de bâtir et dit : «Ce lieu n’est point prospère à l’élévation d’une ville, car le torrent le domine.» C’est ainsi que Ben el-Ghâleb rapporte ce fait dans son histoire. On raconte aussi qu’Edriss, fils d’Edriss, ayant atteint le sommet du Djebel Oualikh, fut charmé de la belle vue que l’on avait de tous côtés; et ayant rassemblé les chefs et les principaux de leurs sujets, il leur ordonna de bâtir au pied de la montagne. Ceux-ci, se mettant à l’ouvrage, construisirent des maisons, percèrent des puits, plantèrent des oliviers, des vignes et autres arbustes. L’imam lui-même jeta les fondements d’une mosquée et des murs d’en­ ceinte, qui étaient déjà élevés au plus du tiers de leur hauteur, lorsqu’une nuit la tempête survint et plusieurs torrents réunis, descendant impétueuse­ ment de la montagne, détruisirent tout ce qui avait été construit, dévastè­ rent les plantations et emportèrent les débris jusqu’au fleuve Sebou où ils s’engloutirent. Un grand nombre d’hommes périrent cette nuit-là, et telles furent les causes qui firent abandonner les travaux en cet endroit. Au commencement de moharrem, an 191 (806 J. C.), l’imam Edriss se mit de nouveau en campagne pour aller chercher l’emplacement de la ville qu’il voulait construire. Arrivé à Khaoullen, près du fleuve Sebou, il fut séduit par le voisinage de l’eau et du bois, et résolut d’y bâtir sa ville.

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    Il commença à creuser les fondements, à préparer le mortier et à couper des pièces de bois ; mais au moment de construire, il lui vint à l’idée que les eaux bouillonnantes du Sebou, déjà si abondantes, pouvaient bien; eu temps de pluie, augmenter encore et causer par leur débordement. la perte de ses gens. Saisi de crainte, il renonça encore cette fois à sa ville et revint à Oualily. Cependant, il chargea son ministre Ameïr ben Mosshab el-Azdy le lui trouver un emplacement convenable pour mettre son projet à exécution. Ameïr partit, accompagné de quelques hommes, et parcourut le pays en tous sens ; arrivé à Fhahs Saïs, il fut satisfait des terres vastes, fertiles et bien arrosées qui se déroulèrent devant lui, et il mit pied à terre près d’une fontaine dont les eaux limpides et abondantes coulaient à travers de vertes prairies. S’étant purifié ainsi que ses gens à cette source, le ministre fit la prière du Douour et supplia. le Dieu très-haut de lui venir en aide et de lui désigner le lieu où il lui serait agréable que ses serviteurs demeurassent. Alors, remontant à cheval, il partit en ordonnant à ses gens d’attendre là son retour. Ce fut Ameïr ben Mosshab qui donna le nom à cette fontaine, que de nos jours encore on appelle Aïn Ameïr. C’est de lui que descendent également les Beni Meldjoum, qui sont les maçons de Fès. Ameïr parcourut Fhahs Saïs et s’arrêta aux sources de la rivière de Fès, qui jaillissent au nombre de soixante et plus, sur un beau terrain cou­ vert. de romarins, de cyprès, d’acacias et autres arbres. «Eau douce et légère ! dit Ameïr après avoir bu à ces sources, climat tempéré, immenses avantages !... Ce lieu est magnifique ! Ces pâturages sont encore plus vastes et plus beaux que ceux du fleuve Sebou !» Puis, suivant le cours de la rivière, il arriva à l’endroit où la ville de Fès fut bâtie ; c’était un vallon situé. entre deux hautes montagnes richement boisées, arrosé par de nom­ breux ruisseaux, et qui était alors occupé par les tentes des- tribus des Zènèta désignées sous les noms de Zouagha et Beni Yarghich. Retournant près d’Edriss, le ministre lui rendit compte de ce qu’il avait vu, et lui fit une longue description de ce pays si beau, si fertile, abon­ damment arrosé et placé sous un climat doux et sain. L’imam, émerveillé, lui demanda : «A qui donc appartient cette propriété ? — A la tribu des Zouagha, qu’on appelle aussi Beni el-Kheïr (Enfants du Bien), répondit Ameïr. — Ce nom est de bon augure, dit Edriss, et aussitôt il envoya chez les Enfants du Bien pour acheter l’emplacement, de la ville, qu’il leur paya 6,000 drahem, ce dont il fit dresser acte. On raconte aussi que l’endroit où Fès est située était habité par deux tribus zenèta, les Zouagha et, les Beni Yarghich, hommes libres, dont les uns professaient l’islamisme et les autres étaient chrétiens, juifs ou ido­ lâtres. Les Beni Yarghich étaient campés sur le lieu nommé aujourd’hui

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    Adoua el-Andalous ; mais leurs habitations et leurs familles étaient à Bel Chybouba. Les Zouagha occupaient l’emplacement actuel de l’Adoua elKairaouyn. Ces deux tribus étaient constamment en guerre, et elles se battaient pour une question de territoire, lorsque Edriss et son ministre Ameïr arrivè­ rent. L’imam, ayant appelé à lui les principaux des deux partis, leur fit faire la paix et leur acheta l’emplacement de Fès, qui étant alors couvert de bois et d’eau, et servait de repaire aux lions et aux sangliers. Suivant un autre récit, l’imam acheta des Beni Yarghich l’emplace­ ment de l’Adoua el-Andalous pour l,500 drahem qu’il leur paya, et fit dres­ ser l’acte de vente par son secrétaire le docte Abou el-Hassen Abd Allah ben Malek el-Ensary el-Regeragi. On était alors en 191. Edriss commença à bâtir et établit ses tentes à l’endroit nommé aujourd’hui encore el-Gedouara qu’il entoura de broussailles et de roseaux: Ce fut après cela qu’Edriss acheta pour 3,500 drahem l’emplacement de l’Adoua el-Kairaouyn, qui appartenait aux Beni el-Kheïr, fraction, des Zouagha

    HISTOIRE DES CONSTRUCTIONS FAITES PAR L’IMAM EDRISS DANS LA VILLE DE FÈS. DESCRIPTION DES BIENFAITS ET DES BEAUTÉS QUE DIEU A DISPENSÉS À FÈS, QUI EXCELLE SUR TOUTES LES AUTRES VILLES DU MAGHREB.

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    L’auteur du livre (que Dieu l’agrée !) continue : Depuis sa fondation, la ville de Fès a toujours été le siège de la sagesse, de la science, de la paix et de la religion ; pôle et centre du Maghreb, elle fut la capitale des Edrissites hosseïniens qui la fondèrent, et la métropole des Zenèta, des Beni Yfran, des Maghraoua et autres peuples mahométans du Maghreb. Les Lemtuna s’y fixèrent quelque temps, lors de leur domination; mais bientôt ils bâtirent la ville de Maroc, qu’ils préférèrent à cause de la proximité de leur pays, situé dans le sud. Les Mouâhédoun (Almohades), qui vinrent après eux, suivirent leur exemple par la même raison; mais Fès a toujours été la mère et la capi­ tale des villes du Maghreb, et aujourd’hui elle est le siége des Beni Meryn qui la chérissent et la vénèrent. (Que Dieu perpétue leurs jours !) Fès réunit en elle eau douce, air salutaire, moissons abondantes, excellents grains, beaux fruits, vastes labours, fertilité merveilleuse, bois épais et proches, parterres couverts de fleurs, immenses jardins potagers, marchés réguliers attenant les uns aux autres et traversés par des rues très­ droites ; fontaines pures, ruisseaux intarissables qui coulent à flots pressés sous des arbres touffus, aux branches entrelacées, et vont ensuite arroser les ,jardins dont la ville est entourée. Il faut cinq choses à une ville, ont dit les philosophes : eau courante, bon labour, bois à proximité, constructions solides, et un chef qui veille à sa prospérité, à la sûreté de ses routes et air respect dû à sa puissance. A ces

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    conditions, qui accomplissent et ennoblissent une ville, Fès joint encore de grands avantages, que je vais décrire, s’il plait à Dieu. Dans nulle partie du Maghreb on ne trouve de si vastes terres de labour et des pâturages si abondamment arrosés que ceux qui entourent Fès. Du côté du midi s’élève la montagne des Beni Behloul, dont les forêts superbes donnent cette quantité incalculable de bois de chêne et de charbon que l’on voit accumulée chaque matin aux portes de la ville. La rivière, qui partage la ville en deux parties, donne naissance, dans son intérieur, à mille ruisseaux qui portent leurs eaux dans les lavoirs, les maisons et les bains, et arrosent les rues, les places, les jardins, les parterres, font tourner les moulins et emportent avec eux toutes les immondices. Le docte et distingué Abou el-Fadhl ben el-Nahouy, qui a chanté les louanges et la description de Fès, s’est écrié : «O Fès, toutes les beautés de la terre sont réunies en toi ! De quelle bénédiction, de quels biens ne sont pas comblés ceux qui t’habitent ! Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon âme ? Tes eaux sont­ elles du miel blanc ou de l’argent ? Oui peindra ces ruisseaux qui s’entre­ lacent sous terre et vont porter leurs eaux dans les lieux d’assemblées, sur les places et sur les chemins !» Le docte Abou el-Fadhl ben el-Nahouy était de ceux qui possèdent science, religion, intégrité et bienfaisance, ainsi qu’il est dit dans le Téchaouif qui traite de l’histoire des hommes savants du Maghreb. Un autre illustre. écrivain, le docte et très-savant Abou Abd Allah el-Maghyly, étant kady à Azimour, a dit ce qui suit dans une de ses odes à Fès : «O Fès ! que Dieu conserve ta terre et tes jardins, et, les abreuve de l’eau de ses nuages ! Paradis terrestre qui surpasse en beautés tout ce qu’il y a de plus beau et dont la vue seule charme et enchante ! Demeures sur demeures aux pieds desquelles coule une eau plus douce que la plus douce liqueur ! Parterres semblables au velours, que les allées, les plates-bandes et les ruisseaux bordent d’une broderie d’or ! Mosquée el-Kairaouyn, noble nom! dont la cour est si. fraîche par les plus grandes chaleurs !... Parler de toi me console, penser à toi fait mon bonheur ! Assis auprès de ton admira­ ble rejet d’eau, je sens la béatitude ! et avant de le laisser tarir, mes yeux se fondraient en pleurs pour le faire jaillir encore !» L’auteur du livre reprend : L’Oued Fès, dont. l’eau l’emporte par la douceur et la légèreté sur le meilleures eaux de la terre, sort de soixante sources qui dominent la ville. Cette rivière traverse d’abord une vaste pleine couverte de gossampins et de cyprès: puis, serpentant à travers les prairies toujours vertes qui avoisinent la ville, elle entre à Fès, où elle se divise, comme on l’a dit, en une infinité de petits ruisseaux. Enfin. Sortant de Fès,

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    elle arrose les campagnes et les jardins, et va se jeter dans le fleuve Sebou, à deux milles de la ville. Les propriétés de l’eau de l’Oued Fès sont nombreuses ; elle guérit de la maladie de la pierre et des mauvaises odeurs ; elle adoucit la peau et détruit les insectes ; on peut sans inconvénient eu boire en quantité à jeun, tant elle est douce et légère (qualités qu’elle acquiert en coulant à travers le gossampin et le cyprès). Le médecin Ben Djenoun rapporte que, bue à jeun, cette eau rend plus agréable le plaisir des sens. Elle blanchit le linge sans qu’il soit nécessaire d’employer du savon, et elle lui donne un éclat et un parfum surprenants. On tire de l’Oued Fès des pierres précieuses qui peu­ vent. remplacer les perles fines. Ces pierres valent un metkal d’or la pièce, ou plus ou moins, selon leur pureté, leur beauté et leur couleur. On trouve également dans cette rivière des cheratyns (écrevisses) qui sont très-rares dans les eaux de l’Andalousie, et on y pèche plusieurs espèces de poissons excellents et très-sains, tels que el-boury (le mulet), el-seniah, el-lhebyn (cyprinum), el-bouka (murex) et autres. Eu résumé, l’Oued Fès est supérieur aux autres rivières du Maghreb par ses bonne, et utiles qualités. Il n’existe nulle part des mines de sel aussi remarquables que celles de Fès ; situées à six milles de la ville, ces mines occupent un terrain de dix-huit milles, et sont comprises entre le hameau de Chabty et l’Oued Mesker, dans le Demnet el-Bakoul. Elles, donnent différentes espèces de sel variant entre elles de couleur et de pureté. Ce sel, rendu en ville, coûte un drahem les dix sâa, quelquefois plus, quelquefois moins, selon le nombre des ven­ deurs; autrefois avec un drahem on en avait une charge (de chameau), et sou­ vent même les marchands ne pouvaient s’en défaire, tant l’abondance était grande ; mais ce qui est vraiment merveilleux, c’est que l’espace occupé par ces mines est coupé en divers sens par des champs cultivés, et certes, quand au milieu du sel on voit s’élever de belles moissons dont les épis se balan­ cent sur de vertes tiges, on ne peut que dire : c’est là un bienfait de Dieu, un signe de sa bénédiction ! A un mille environ de Fès est situé le Djebel, Beni Bazgha, qui fournit ces quantités indicibles de bois de cèdre qui chaque jour arrivent en ville. Le fleuve Sebou, qui n’a qu’une seule source, sort d’une grotte de cette monta­ gne et suit son cours à l’est de Fès, à. une distance de deux milles. C’est dans ce fleuve que l’on pèche le chabel et le boury (l’alose et le mulet), qui arrivent si frais et en si grande quantité sur les Marchés de la ville. C’est aussi sur les bords du Sebou que les habitants de Fès viennent faire leurs parties de plaisir. À tous les avantages qui distinguent, Fès des autres villes, il faut ajou­ ter encore les beaux bains de Khaoulen, situés à quatre milles de ses portes, et dont les eaux sont d’une chaleur extraordinaire. Non loin de Khaoulen sont enfin les magnifiques thermes de Ouachnena et de Aby Yacoub, les

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    plus renommés du Maghreb. Les habitants de Fès ont l’esprit plus fin et plus pénétrant que les autres peuples du Maghreb ; fort intelligents, très-charitables, fiers et patients, ils sont soumis à leur chef et respectent leur souverain. En temps d’anarchie ils l’ont toujours emporté sur les autres par leur sagesse, leur science et leur religion. Depuis sa fondation, Fès a toujours été propice aux étrangers qui sont venus s’y établir. Grand centre, on se réunissent en nombre les sages, les docteurs, les légistes, les littérateurs, les poètes, les médecins et autres savants, elle fut de tout temps le siége de la sagesse, de la science, des études nouvelles et de la langue arabe, et elle contient à elle seule plus de connais­ sances que le Maghreb entier. Mais, s’il n’a jamais cessé d’en être ainsi, il faut l’attribuer aux bénédictions et aux prières de celui qui l’a fondée; l’imam Edriss, fils d’Edriss (que Dieu l’agrée !), au moment d’entreprendre les premiers travaux, leva les mains au ciel et dit : «O mon dieu ! faites que ce lieu soit la demeure de la science et de la sagesse ! que votre livre y soit honoré et que vos lois y Soient respectées ! Faites que ceux qui l’habiteront restent fidèles au Sonna et à la prière aussi longtemps que subsistera la ville que je vais bâtir !» Saisissant alors une pioche, Edriss commença les pre­ miers fondements. Depuis lors jusqu’à nos jours, an 726 (1325 J. C.), Fès a effectivement toujours été la demeure de la science, de la doctrine orthodoxe, du Sonna, et le lieu de réunion et de prières. D’ailleurs, pour expliquer tant de bienfaits et de grandeurs, ne suffit-il pas de connaître la prédiction du prophète (que Dieu le bénisse et le sauve !), dont les propres paroles sont rapportées dans le livre d’Edriss ben Ismaël Abou Mimouna, qui a écrit de sa propre main ce qui suit : « Abou Medhraf d’Alexandrie m’a dit qu’il tenait de Mohammed ben Ibrahim el-Mouaz; lequel le tenait de Abd er-Rahmann ben el-Kassem, qui le tenait de Malek ben Ans, qui le tenait de Mohammed ben Chahab elZahery, qui le tenait de Saïd _ ben el-Messyb, qui le tenait d’Abou Hérida, lequel avait entendu de Sidi Mohammed lui-même (que Dieu le sauve et le bénisse !) la prophétie suivante : Il s’élèvera dans l’Occident une ville nommée Fès qui sera la plus distinguée des villes du Maghreb ; son peuple sera souvent tourné vers l’Orient; fidèle au Sonna et à la prière, il ne s’écar­ tera jamais du chemin de la vérité ; et Dieu gardera ce peuple de tous les maux jusqu’au jour de la résurrection !» Abou Ghâleb raconte dans son histoire qu’un jour l’imam Edriss, se trouvant sur l’emplacement de la ville qu’il voulait bâtir, était occupé à en tracer les, contours, lorsque arriva vers lui un vieux solitaire chrétien, qui paraissait bien avoir cent cinquante ans, et qui passait sa vie en prières dans

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    un ermitage situé mon loin de cet endroit. «Que le salut soit sur toi ! dit le solitaire en s’arrêtant; réponds, émir, que viens-tu faire entre ces deux montagnes ? — Je viens, répondit Edriss, élever une ville où je demeurerai et où demeureront mes enfants après moi, une ville où le Dieu très-haut sera adoré, où son Livre sera lu et où l’on suivra ses lois et sa religion ! — Si cela est, émir, j’ai une bonne nouvelle à te donner. — Qu’est-ce donc, ermite ? — Écoute. Le vieux solitaire chrétien, qui priait avant moi dans ces lieux et qui est mort depuis cent ans, m’a dit avoir trouvé dans le livre de la science qu’il exista ici une ville nommée Sèf qui fut détruite il y a dix-sept cents ans, mais qu’un jour il viendrait un homme appartenant à la famille des prophètes, qui rebâtirait cette ville, relèverait ses établissements et y ferait revivre une population nombreuse ; que cet homme se nomme­ rait Edriss; que ses actions seraient grandes et son pouvoir célèbre, et qu’il apporterait en ce lieu l’islam qui v demeurerait jusqu’au dernier jour. — Loué soit Dieu ! Je suis cet Edriss,» s’écria l’imam, et il commença à creu­ ser les fondations. A l’appui de cette version l’auteur cite le passage d’El-Bernoussy où il est dit qu’un juif, creusant les fondements d’une maison près du pont de Ghzila, sur un lieu qui était encore, comme la plus grande partie de la ville, couvert de buissons, de chênes, de tamarins et autres arbres, trouva une idole en marbre, représentant une jeune fille, sur là poitrine de laquelle étaient gravés ces mots en caractères antiques : «En ce lieu, consa­ cré aujourd’hui à la prière, étaient jadis des thermes florissants, qui furent détruits après mille ans d’existence.» D’après les recherches des savants qui se sont particulièrement occupés des dates et de la fondation de la ville de Fès, Edriss jeta les premiers fondements le premier jeudi du mois béni de raby el-aoued, an 192 de l’hégyre (3 février 808 J. C.). Il commença par les murs d’enceinte de l’Adoua(1) el-Andalous, et, un an après, dans les premiers jours de raby el-tâni, an 193, il entreprit ceux de l’Adoua el-Kai­ raouyn. Les murs de l’Adoua el-Andalous étant achevés, l’imam fit élever une mosquée auprès du puits nommé Gemda el-Chiak (lieu de réunion des cheïkhs) et y plaça des lecteurs. Ensuite il fit abattre les arbres et les brous­ sailles qui couvraient de leurs bois épais l’Adoua el-Kairaouyn, et il décou­ vrit ainsi une infinité de sources et de cours d’eau. Ayant mis les travaux en train sur cet emplacement, il repassa dans l’Adoua el-Andalous et s’éta­ blit, sur le lieu appelé el-Kermouda ; il construisit la mosquée El-Cheyâa (que Dieu l’ennoblisse !) et y plaça des lecteurs. Ensuite il bâtit sa propre maison, connue jusqu’à ce jour sous le nom de Dar el-Kytoun et habitée par les chérifs Djoutioun, ses descendants; puis il édifia l’Al-Kaysserïa (les bazars) à côté de la mosquée, et établit tout autour des boutiques et des

    ____________________ 1 Adoua, rive ; les rives d’un fleuve, d’un ruisseau, les deux côtés d’un détroit.

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    places. Cela fait, Edriss ordonna à ses gens de construire leurs demeures. «Ceux d’entre vous, dit-il, qui auront choisi un terrain et qui auront sur ce terrain établi des maisons ou des jardins avant que les murs d’enceinte soient entièrement achevés, en resteront propriétaires. Je le leur donne, dès à présent, pour l’amour du Dieu très-haut.» Aussitôt le peuple se mit à bâtir et à planter des arbres fruitiers ; chacun, choisissant un emplacement assez vaste pour construire sa demeure et son jardin, le défrichait et employait à la construction de sa maison le bois des arbres qu’il abattait. Sur ces entrefaites, une troupe de cavaliers persans de l’Irak, appar­ tenant en partie aux Beni Mélouana, arrivèrent auprès d’Edriss et campè­ rent dans le voisinage de l’ l’Aïn-Ghalou ; cette fontaine, située au milieu d’une épaisse forêt de dhehach, de ghyloun, de kelkh, de besbâs et autres arbres sauvages, était la demeure d’un nègre nommé Ghalou, qui arrêtait les passants. Avant la fondation de Fès, personne n’osait s’approcher de cet endroit, ni même se mettre en chemin, de peur de rencontrer Ghalou. A cette peur se joignait l’épouvante qu’occasionnaient le bruissement des bois épais, le grondement de la rivière et des eaux, et des cris des bêtes féroces qui avaient là leurs repaires. Les bergers fuyaient ces parages avec leurs troupeaux, et si quelquefois il leur arrivait de se hasarder de ces côtés, ce n’était, jamais que sous une nombreuse escorte. Edriss commençait à bâtir sur l’Adoua el-Andalous lorsqu’il apprit ces détails; immédiatement il donna l’ordre de s’emparer du nègre, et, dès qu’on le lui eut amené, il le tua et fit clouer le cadavre à un arbre situé au-dessus de ladite fontaine, où il le laissa jusqu’à ce qu’il eût entièrement disparu en lambeaux de chair décomposée. C’est de là que vient le nom de Ghalou que cette fontaine porte encore aujourd’hui. Dans la construction des murs de l’Adoua el-Kairaouyn, l’imam prit pour point de départ le sommet de la colline d’Aïn Ghalou, où il fit la pre­ mière porte de la ville qu’il nomma Bab Ifrîkya (porte d’Afrique) ; de là, portant les murs vers Aïn Derdoun et jusqu’à Sabter, il éleva la deuxième porte Bab Sadaun ; de Bab Sadaun, il se dirigea vers Ghallem, où il établit la porte appelée Bab el-Fars (porte de Perse) ; de Ghallem, il descendit sur les bords de la rivière (Oued Kebir) qui sépare les deux Adoua, et il fit le Bab el-Facil (porte de la séparation), qui conduit d’une Adoua à l’autre. Passant sur l’autre rive, il construisit, en remontant le cours de l’eau, cinq mesafat de murs, au bout desquels il établit le Bab el-Ferdj (porte du soula­ gement), que l’on nomme aujourd’hui Bab-el-Selsela (porte de la chaîne); repassant la rivière et rentrant sur l’Adoua el-Kairaouyn, il remonta de nouveau le courant jusqu’aux fontaines situées entre El-Sad et El-Gerf, et construisit là le Bab el-Hadid (porte de fer) ; rejoignant enfin cette dernière porte au Bab Ifrîkya, il acheva l’enceinte de l’Adoua el-Kairaouyn, ville

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    de grandeur moyenne, ayant six portes, abondamment arrosée et contenant grand nombre de Jardins et de moulins à eau. Passant à l’Adoua el-Anda­ lous, il construisit au midi la porte par laquelle on prend le chemin de Sid­ jilmeça, que l’on nomme aujourd’hui Bab el-Zeïtoun (porte des oliviers) ; de là il dirigea les murs le long de la rivière, en remontant vers Bersakh, et, arrivé vis-à-vis le Bab el-Ferdj de l’Adoua el-Kairaouyn, il fit une porte; puis continuant les murs jusqu’à Chybouba, il construisit la porte de ce nom qui fait face au Bab el-Facil de l’autre Adoua ; de Bab el-Chybouba il arriva à la pointe de Hadjer el-Feradj, et y plaça la porte de l’orient nommée Bab el-Kenesya (porte de l’église), qui conduit an bourg des malades et par laquelle on prend le chemin de Tlemcen. Cette dernière porte fut conservée telle qu’Edriss l’avait faite jusqu’en 540 (1145 J. C.). A cette époque, elle fut détruite par Abd el-Moumen ben Ali, qui, devenu maître du Maghreb, s’était emparé de la ville de Fès. Elle lut rebâtie en 601 (1204 J. C.) par El-Nasser ben el-Mansour l’almohade, qui refit à neuf les murs d’enceinte, et elle prit alors le nom de Bab el-Khoukha (porte de la lucarne). Le bourg des malades était situé au dehors de Bab el-Khoukha de façon à ce que le vent du sud pût emporter loin de la ville les exhalaisons qui auraient été nuisibles au peuple. De même la rivière ne passait dans ce bourg qu’au sortir de Fès, et on n’avait point à craindre ainsi que les eaux se corrompissent par le contact des mala­ des qui s’y baignaient et y jetaient leurs ordures. Mais, en 619 (1222 J. C.), lors de la désastreuse famine qui, jusqu’en 637 (1239 J. C.), bouleversa le Maghreb et le plongea clans les troubles et la misère (malheurs dont Dieu se servit pour mettre fin au gouvernement des Almohades et faire briller celui des Meryn), les lépreux passèrent le Bab el-Khoukha, et vinrent s’établir en dehors de Bab el-Cheryah. (une des portes de l’Adoua el-Kairaouyn), dans les grottes situées auprès du fleuve, entres les silhos aux grains et le Jardin Meserlat. Ils demeurèrent là jusqu’à ce que les Meryn, devenus souverains du Maghreb, eurent affermi leur pouvoir, fait briller la lumière de leur jus­ tice, répandu leur bénédiction sur le peuple, rétabli la sûreté, des routes et accru par leurs bienfaits la population de la ville. Alors seulement, en 658, on se plaignit à l’émir des musulmans, Abou Youssef Yacoub ben Abd elHakk, de ce que les malades se baignaient et lavaient leurs vêtements, leur vaisselle et autres objets dans la rivière, et corrompaient ainsi les eaux dont l’usage compromettait la santé des musulmans de la ville. Aussitôt Abou Youssef (que Dieu lui fasse miséricorde !) ordonna au gouverneur de Fès, Abou el-Ghala Idriss ben Aby Koreïch, de faire sortir les malades de cet endroit et de les chasser loin de la rivière. Cet ordre fût exécuté, et les lépreux furent relégués dans les cavernes de Borj el-Koukab, au dehors de Bab el-Dysa, une des portes de l’Adoua el-Kairaouyn.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Edriss construisit une porte dans le sud de l’Adoua el-Andalous et la nomma Babel-Kabla (porte du Sud); cette porte resta intacte jusqu’à l’épo­ que on elle fut détruite par Dounas el-Azdy, qui s’empara, les armes à la main, de l’Adoua el-Andalous ; elle fut ensuite reconstruite par El-Fetouh ben el-Mouaz ben Zyry ben Athia el-Zenety el-Maghraouy, lors de son gou­ vernement à Fès, où, suivant l’histoire de Ben Ghâleb, par El-Fetouh ben Manser el-Yfrany, qui lui aurait donné son nom. Fès, dit Abd el-Malek el-Ourak, était anciennement composée de deux villes ayant chacune ses murs d’enceinte et ses portes ; la rivière qui les sépa­ rait rentrait du côté de Bab el-Hadid par une ouverture pratiquée dans le mur, à laquelle on avait, adapté une porte à bon et beau grillage de bois de cèdre, et sortait par deux portes semblables à l’endroit nommé El-Roumelia; les murs et les portes des deux villes étaient hauts et forts ; par le Bab el-Hadid on prenait le chemin du mont Fezez et des mines de Ghouam ; par la grande porte (Bab-Soliman), on prenant celui de la ville de Maroc, du. Messamid et autres pays ; par le Bab el-Mkobera (porte du Cimetière), on allait vers l’ancienne chapelle située au sommet du mont Meghaya. Cette dernière porte fut fermée à l’époque de la famine, en 627, et n’a plus été ouverte depuis. Enfin la dernière porte construite par Edriss dans l’Adoua el-Andalous fut le Bab Hisn Sadouu, située au nord des murs, sur le mont Sather. Plus tard, à l’époque des Zenèta, la population s’étant accrue, une partie des habitants dut aller se loger dans les jardins situés au dehors de la ville, et ce fut alors que l’émir Adjycha ben el-Muaz et son frère ElFetouh, qui gouvernait l’Adoua el-Andalous, renfermèrent dans une même enceinte les deux Adoua et leurs murs ; ils firent construire chacun une porte à laquelle ils donnèrent leur nom. Le Bab Adjycha, situé vis-à-vis le Bab Hisn Sadoun susmentionné, fut conservé tout le temps des Zenèta et. des Lemtouna jusqu’à l’époque du gouvernement de l’émir des croyants Aby Abd Allah el-Nasser l’Almohade, qui fit reconstruire les murs détruits en 540 par son grand-père Abd el-Moumen. Aby Abd Allah fit bâtir par delà le Bab Adjycha une grande porte qu’il appela également Adjycha, dont on fit El-Djycha, en substituant l’article el au aïn, nom qu’elle garda jusqu’à sa fin. Détruite par le temps, en 684 (1285 J. C.), elle fut relevée par ordre de l’émir des musulmans Abou Youssef Yacoub ben Abd el-Hakk (que Dieu lui fasse miséricorde !), lequel était alors à Djezyra el-Hadra (île verte, Algési­ ras) dans l’Andalousie. En même temps on refila à neuf toute la partie des murs attenants à cette porte, excepté le Kous el-Barâni (arc des étrangers), que l’on trouva en bon état et auquel on ne toucha pas. En 681 (1282 J. C.), Abou Youssef (que Dieu lui fasse miséricorde !), après avoir fait réparer et reconstruire les murs du sud de l’Adoua el-Anda­ lous, fit abattre toute la partie comprise depuis le Bab el-Zeytoun jusqu’au

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    Bab el-Fetouh. Ces travaux furent exécutés sous la direction du docte kady Abou Oumya el-Dylley. Les maisons de Fès ont deux, trois, et jusqu’à quatre étages, tous éga­ lement bâtis en pierres dures et en bon mortier; les charpentes sont en cèdre, le meilleur bois de la terre; le cèdre ne se corrompt point, les vers ne l’atta­ quent pas, et il se conserve mille, ans, à moins que, l’eau ne l’atteigne, Chaque Adoua a toujours eu sa mosquée principale, ses bazars et son Dar Sekâ (établissement de la monnaie) particuliers ; à l’époque des Zenèta ces deux parties eurent même un sultan chacune, El-Fetouh et, Adjycha, fils tous deux de notre père l’émir El-Mouaz ben Zyry ben Athia; El-Fetouh commandait l’Adoua el-Andalous et Adjycha l’Adoua el-Kairaouyn ; l’un et l’autre avaient une armée, une cour, et adressaient leurs prières au Dieu très­ haut; mais l’un et l’autre aussi voulaient le pouvoir suprême et gouverner le pays entier. De là, haine mortelle entre eux et une longue suite de combats sanglants qui furent livrés sur les bords de la grande rivière, entre les deux villes, à l’endroit connu sous le nom de Kahf el-Rekad. Les habitants de l’Adoua el-Andalous étaient forts, valeureux et la plupart adonnés aux travaux de la terre et des champs ; ceux de l’Adoua el-Kairaouyn, au contraire, généralement haut placés et instruits, aimaient le luxe et le faste chez eux, dans leurs vêtements, à leur table, et ils ne se livraient guère qu’au négoce et aux arts. Les hommes de l’Adoua elKairaouyn étaient plus beaux que ceux de l’Adoua el-Andalous ; mais, en revanche, les femmes de l’Adoua el-Andalous étaient les plus jolies. On trouve à Fès les plus belles fleurs et les meilleurs fruits de tous les climats. L’Adoua el-Kairaouyn surpasse cependant l’autre Adoua par l’eau délicieuse de ses nombreux ruisseaux, de ses fontaines intarissables et de ses puits profonds ; elle produit les plus délicieuses grenades aux grains jaunes du Maghreb, et les meilleures qualités de figues, de raisins, de pèches, de coings, de citrons et de tous les autres fruits d’automne. L’Adoua el-Anda­ lous, de son côté, donne les plus beaux fruits d’été, abricots, pêches, mûres, diverses qualités de pommes, abourny, thelkhy, khelkhy, et celles dites de Tripoli, à peau fine et dorée, qui sont douces, saines, parfumées, ni grosses ni petites, et les meilleures du Maghreb. Les arbres plantés à Merdj Kertha, situé au dehors de la porte Beni Messafar, produisent deux fois par an, et fournissent en toute saison à la ville une grande quantité de fruits. Du côté de Bab el-Cherky, de l’Adoua elKairaouyn, on moissonne quarante jours après les semailles ; l’auteur de ce livre atteste avoir vas semer en cet endroit le 15 avril et récolter à la fin du mois de mai, c’est-à-dire quarante cinq jours après, d’excellentes moissons, et cela en 690 (1291 J. C.), année de vent d’est continuel, et durant laquelle il ne tomba pas une goutte de pluie, si ce n’est le 12 avril.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Ce qui distingue encore Fès des autres villes du Maghreb, c’est que les eaux de ses fontaines sont fraîches en été et chaudes en hiver, tandis que celles de la rivière et des ruisseaux, qui sont froides en hiver, sont chaudes en été, de sorte qu’en toutes saisons on a de l’eau froide et de l’eau chaude à volonté, pour boire, faire les ablutions et prendre des bains. On n’est pas d’accord sur l’étymologie du mot Fès. On raconte que, lors dès premiers travaux, l’imam, par humilité et pour mériter les récom­ penses de Dieu, se mit lui-même à l’ouvrage avec les maçons et les artisans, et que ceux-ci, voyant cela, lui offrirent un fès(1) (pioche) d’or et d’argent. Edriss l’accepta, et s’en servit pour creuser les fondements ; de là le mot fès fut souvent prononcé ; les travailleurs disaient à tout instant, donne le fès, creuse avec le fès, et c’est ainsi que le nom de Fès est resté à la ville. L’auteur du livre intitulé El-Istibsâr fi Adjeïb el-Amçar(2) rapporte qu’en creusant les premiers fondements du côté du midi, on trouva un grand fès pesant soixante livres et ayant quatre palmes de long sur une palme de large, et que c’est là ce qui fit donner à la ville le, nom de Fès. Selon un autre récit, on commençait, déjà à construire, lorsque le secrétaire d’Edriss demanda quel serait le nom de la nouvelle ville. «Celui du premier homme qui se présentera à nous,» lui répondit l’imam. Un individu passa et répondit à la question qui lui en fut faite. «Je me nomme Farès;» mais, comme il blésait, il prononça Fès pour Farès, et Edriss dit : «Que la ville soit appelée Fès.» On raconte encore qu’une troupe de gens du Fers (Persans) qui accompagnaient Edriss tandis qu’il traçait les murs d’enceinte furent presque tous ensevelis par un éboulement, et qu’en leur mémoire on donna au lieu de l’accident le nom de Fers, dont plus tard on fit Fès. Enfin on rapporte que lorsque les constructions furent achevées, l’imam Edriss dit : «Il faut donner à cette ville le nom de l’ancienne cité qui exista ici pendant dix­ huit cents ans et qui fuit détruite avant que l’Islam ne resplendît sur la terre. Cette ville se nommait Sèf et en renversant le mot on en lit Fès. Cette version dernière est la plus probable de toutes ; mais Dieu seul connaît la vérité. Lorsque la ville et les murs d’enceinte furent achevés et que les portes furent mises en place, les tribus s’y rendirent et s’établirent chacune séparé­ ment dans un quartier ; les Kyssyta occupèrent la partie comprise entre Bab Ifrîkya et Bab el-Hadid de l’Adoua el-Kairaouyn; à côté d’eux se rangèrent les Haçabyoun et les Agyssya. L’autre partie fut occupée par les Senhadja, les Louata, les Mesmouda et les Chyhan. Edriss leur ordonna de diviser les terres et de les cultiver, ce qu’ils firent, en plantant, en même temps des arbres sur les bords de la rivière, dans Fhahs Saïs, depuis sa source jus­ qu’à l’endroit où elle se jette dans le fleuve Sebou. Un an après, ces arbres

    ____________________ 1 securis, bipennis. (Kam. Dj.) 2 Considérations sur les merveilles des grandes villes.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    donnèrent des fruits, et c’est là un prodige dû à la bénédiction et aux vertus d’Edriss et de ses ancêtres. (Que le Dieu très-haut les agrée !) A Fès, la terre est excellente, l’eau très-douce, le climat tempéré, aussi la population s’accrut-elle promptement, et avec elle les biens et l’abon­ dance, et bientôt on vit de tous côtés accourir une foule innombrable de gens qui venaient se rallier au descendant de la famille de l’Élu, race généreuse et pure. (Que Dieu la comble de bénédictions !) Un grand nombre de gens de tous pays et quelques fragments de tribus vinrent bientôt, de l’Andalousie chercher à Fès le repos et la sûreté ; en même temps une foule de juifs s’y réfugièrent, et il leur fut permis de s’établir depuis Aghlen jusqu’à la porte de Hisn Sadoun, moyennant un tribut annuel (djeziâ) qu’Edriss fixa à 30,000 dinars. Les grands et les kaïds choisirent leurs habitations dans l’Adoua el-Andalous, et Edriss, après avoir laissé à la garde de gens de confiance ses chevaux, ses chameaux, ses vaches et ses troupeaux, fixa sa résidence dans l’Adoua el-Kairaouyn avec sa famille, ses serviteurs et quelques négociants, marchands ou artisans. Fès demeura ainsi pendant tout le règne d’Edriss et de ses successeurs Jusqu’à l’époque des Zenèta; sous la domination de ceux-ci, elle fut consi­ dérablement agrandie ; on construisit, au dehors une infinité de maisons qui rejoignirent bientôt les jardins de la ville. Du Bab Ifrîkya jusqu’à l’Aïn Aslî­ ten s’élevèrent au nord, au sud et à l’est des fondouks (caravansérails), des bains, des moulins, des mosquées et des souks (marchés, places). Tout cet espace fut, rempli par les tribus Zenèta, Louata, Maghila, Djyraoua, Oua­ raba, Houara, etc. qui s’établirent chacune dans un quartier à part ; auquel elles donnèrent leurs noms. C’est ainsi que prirent naissance le faubourg Louata, le faubourg El-Rabt ou Aghlân, le faubourg Aben Aby Yakouka cou Berzakh, le faubourg Beni Amar ou El-Djer el-Ahmar, etc. Huit mille familles de Cordoue, ayant été battues et chassées de l’An­ dalousie par l’imam Hakym ben Hischâm(1), passèrent dans le Maghreb et vinrent à Fès ; elles s’établirent dans l’Adoua el-Andalous et commencè­ rent à bâtir à droite et à gauche depuis Keddân, Mesmouda, Fouara, Harat el-Bryda et Kenif jusqu’à Roumelia. C’est depuis lors que cette Adoua s’appela Adoua el-Andalous. L’autre Adoua prit également son nom de Kai­ raouyn, de trois mille familles de Kairouan qui vinrent s’y fixer du temps d’Edriss. Les Zenêta bâtirent dans l’Adoua el-Kairaouyn les bains nommés hamam el-Kerkoufa, hamam el-Amir, hamam Rechacha, hamam Rbatha, et dans l’Adoua el-Andalous, ceux nommés hamam Djerouaoua, hamam-Ked­ dân, hamam Cheikhyn et hamam Dyezyra. Ils augmentèrent également le

    ____________________ 1 Hakym ben Hischâm. troisième Khalife ommiade d’Espagne (180 à 200 de l’hégyre).

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    nombre des fondouks (caravansérails) et des mosquées. Ils retirèrent les khatheb (prédicateurs) de la mosquée El-Cheurfa, construite par Edriss ben Edriss, mais ne touchèrent point au monument par respect pour le fondateur, et nul après eux n’osa y porter le moindre changement, jusqu’à ce qu’enfin le temps eût fait tomber sort toit et fait crouler ses murs ; alors seulement, en 708 (1308 J. C.), elle fut reconstruite, exactement telle que l’avait bâtie Edriss, par le docte mufty El-Hadj el-Moubarek Abou Meryn Chouayb, fils du docte El-Hadj el-Meberour Aby Abd Allah ben Aby Medyn, qui s’efforça ainsi de mériter le pardon et les récompenses du lieu très-haut. C’est à l’époque des Almohades que Fès fut dans toute la splendeur de la richesse, du. luxe et de l’abondance. Elle était la plus florissante des villes du Maghreb. Sous le règne d’El-Mansour l’Almohade et de ses suc­ cesseurs, on comptait à Fès sept cent quatre-vingt-cinq mosquées ou chapel­ les; quarante-deux diar loudhou et quatre-vingts skayat, soit cent vingt-deux lieux aux ablutions à eau de fontaine ou de rivière; quatre-vingt-treize bains publics; quatre cent soixante et douze moulins situés autour et; à l’intérieur des murs d’enceinte et non compris ceux du dehors. Sous le règne de Nasser, on comptait en ville quatre-vingt-neuf mille deux cent trente-six maisons ; dix-neuf mille quarante, et un mesrya(1) ; quatre cent soixante-sept fondouks destinés aux marchands, aux voyageurs et aux gens sans asile ; neuf mille quatre-vingt-deux boutiques ; deux kaysseria(2), dont un dans l’Adoua elAndalous, près de l’Oued Mesmouda, et l’autre dans l’Adoua el-Kairaouyn; trois mille soixante-quatre fabriques ; cent dix-sept lavoirs publics ; quatre­ vingt-six tanneries ; cent seize teintureries ; douze établissements où l’on travaillait le cuivre ; cent trente-six fours pour le pain, et mille cent soixante et dix autres fours divers. Les teinturiers s’établirent, à cause de la proximité de l’eau, des deux côtés de la langue de terre qui partage l’Oued Kebyr depuis son entrée en ville jusqu’à Roumelia. Les faiseurs de beignets et les marchands de gazelle ou autres viandes cuites, bâtirent également leurs petits fours en cet endroit, et au-dessus d’eux, au premier étage, se fixèrent tous les fabricants de haïks. Le Oued Kebyr est le seuil qui se présente aujourd’hui encore nettement à la vue; tous les autres ruisseaux de la ville de Fès sont couverts par les constructions. La plupart des jardins ont aussi disparu, et il ne reste plus des anciennes plantations que les oliviers de Ben Athya. Il y avait à Fès quatre cents fabriques de papier; mais elles furent toutes détruites à l’époque de la famine, sous les gouvernements d’El-Adel et de ses frères El-Mamoun est Rachid, de l’an 618 à l’an 638. Ces princes,

    ____________________ 1 Mesrya, petits logements à un étage. ou simple chambre indépendante pour un homme seul. 2 Kaiysseria, bazar généralement couvert, comme un passage.

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    qui régnèrent pendant ces vingt années de malheur et de misère, furent remplacés par les Meryn, qui relevèrent le pays et rétablirent la sûreté des routes. L’auteur de ce livre déclare avoir pris tout ce qui précède d’un manus­ crit du cheïkh docte et noble Abou el-Hassen Aly ben Omar el-Youssy, qui l’avait pris lui-même d’un ouvrage écrit de la main du noble El-Kouykiry, inspecteur de la ville sous le règne de Nasser l’Almohade. Ben Ghâleb raconte dans son histoire que l’imam Edriss, ayant achevé de construire la ville, monta en chaire un jour de vendredi, et qu’aussitôt après le prône, levant les mains au ciel, il s’écria : «O mon Dieu ! vous savez que ce n’est point par vanité, ni par orgueil ou pour acquérir des grandeurs et de la renommée que je viens d’élever cette ville ! Je l’ai bâtie, Seigneur, afin que, tant que durera le monde, vous y soyez adoré, que votre livre y soit lu et qu’on y suive vos lois, votre religion et le Sonna de notre seigneur Mohammed (que Dieu le comble de bénédictions !). O mon Dieu ! proté­ gez ces habitants et ceux qui viendront après eux, défendez-les contre, leurs ennemis, dispensez-leur les choses nécessaires à la vie, est détournez d’eux le glaive des malheurs et des discussions, car vous êtes puissant sur toutes choses !» Amen ! dirent les assistants. En effet, la nouvelle ville prospéra bientôt. Du temps d’Edriss et pen­ dant cinquante ans, l’abondance fut si grande que les récoltes étaient sans valeur. Pour deux drahem on avait un saa de blé, et pour un drahem un saa d’orge; les autres grains se donnaient. Un mouton coûtait un drahem et demi; une vache, quatre drahem ; vingt-cinq livres de miel, un drahem ; les légumes et les fruits ne coûtaient rien. Lorsque la ville fut achevée, l’imam vint s’y établir avec sa famille et en fit le siège de son gouvernement. Il y. demeura jusqu’en 197 (812 J. C.); à cette époque, il en sortit pour aller faire urne razia sur les terres des Messa­ mides, dont il conquit le, pays et les villes de Nefys et. de -Aghmât. Étant rentré à Fès, il en sortit de nouveau en 199 (814 de J. C. ) pour combattre les Kabyles de Nefrata ; il les vainquit, et vint à Tlemcen, qu’il visita et qu’il fit réparer ; il dota d’une chaire la mosquée de cette ville, et, à ce sujet, Abou Mérouan Abd el-Malek el-Ourak rapporte ce qui suit : «Je suis allé, dit-il, à Tlemcen, en 550, et j’ai vu, au sommet de la chaire de la mosquée, un mor­ ceau de bois de l’ancienne chaire sur lequel l’imam avait gravé ces mots: Construit par les ordres de l’imam Edriss ben Edriss ben Abd Allah ben Hos­ sein hein el-Hosseïn (que Dieu les agrée tous !), dans le mois de moharrem, an 199.» Edriss demeura trois ans à Tlemcen et, dans ses environs, et revint à Fès, d’où il ne sortit plus. Il mourut-à l’âge de trente-trois ans, an 213 (828 J. C.). (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Il fut enterré dans la mosquée du côté de l’orient, disent les uns, du côté de l’occident, selon les autres.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    El-Bernoussy rapporte qu’Edriss ben Edriss mourut étouffé en man­ geant des raisins, le 12 de djoumad el-tâny, an 213 ; qu’il était âgé de trente­ huit ans, et se trouvait à cette époque à Oualily, dans le Zraoun, où il fut enseveli dans le cimetière d’Oualily à côté du tombeau de son père. Edriss mourut après avoir gouverné le Maghreb pendant, vingt-six ans, et laissa douze enfants : Mohamed, Abd Allah, Ayssa, Edriss, Ahmed, Giaffar, Yhya, El-Kassem, Omar, Aly, Daoued et Hamza. Mohammed, l’aîné de tous, lui succéda.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM MOHAMED BEN EDRISS BEN EDRISS L’OSSEÏNIEN.

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    L’imam Mohammed ben Edriss ben Edriss ben Abd Allah ben Hos­ sein ben el-Hosseïn ben Aly ben Abou Thaleb (que le Dieu très-haut les agrée tous !) eut pour mère une femme légitime d’Edriss, appartenant à une famille noble de la tribu de Nefiza. Il était blond, bien fait; il avait urne figure agréable et les cheveux frisés. A peine fut-il au pouvoir que, pour, complaire aux désirs de Khanza, sa grand-mère, il divisa le Maghreb en préfectures ou provinces, dont il donna le commandement à ses frères comme il suit : A Kassem, les villes de Tanger, Sebta (Ceuta), Hadjer el-Nesr (Alhu­ cema), Tétouan et leurs dépendanses, auxquelles il joignit le pays de Mes­ mouda; A Omar, les villes de Tedjensas, Targha, les pays de Senhadja et de Ghoumâra; A Daoued, les pays de Houara, Tsoul, Mekenesa el, le Djebel Ghyatha; A Yhya, les villes de Basra, Asîla, Laraïch et dépendances jusqu’au pays de Ourgha ; A Ahmet, les villes de Meknès, de Tedla et le pays de Fezez ; A Abd Allah, la ville de Aghmât, les pays de Nefys, de Messamid et le Sous el-Aksa; A Hamza, la ville de Tlemcen et dépendances. L’imam Mohammed, s’établit à F’ès où il fixa le siège de son gouver­ nement, et garda auprès, de lui, sous la tutelle de son aieule Khanza, ceux de ses frères qui, à leurs grands regrets, n’avaient point eu de commandements. Mohammed et ses frères s’occupèrent chacun à fortifier et à organiser leurs gouvernements, à assurer là tranquillité des routes, et firent tous leurs efforts pour . rendre leurs actions utiles et méritoires. Cependant Ayssa, qui com­ mandait à la ville de Chella et au pays de Temsena, se révolta contre l’imam, son frère, avec l’intention manifeste de s’emparer du pouvoir. Mohammed écrivit immédiatement à Kassem, gouverneur de Tanger, et lui ordonna d’al­ ler soumettre le rebelle; mais Kassem ne répondit pas même à la lettre de son frère, qui s’adressa alors à Omar, qui était à Tedjensas, dans le pays de Ghoumâra. Celui-ci se prit aussitôt en campagne avec une forte armée

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    composée de Berbères de Ghoumâra, Ouaraba, Senhadja et autres, et marcha contre son frère Ayssa. Étant arrivé dans les environs de la ville de Chella, il écrivit à l’imam pour lui demander un renfort de dix mille cavaliers Zenèta; puis, ayant rencontré Ayssa à la tête de ses troupes, il livra bataille et rem­ porta une victoire complète. Il chassa Ayssa de la vrille et le força même de sortir des états qu’il commandait. Omar, écrivit, aussitôt à Mohammed pour l’informer de ses succès, et l’imam, l’ayant beaucoup remercié, lui confia le gouvernement du pays qu’il venait de soumettre, et lui ordonna d’aller sur­ le-champ châtier El-Kassem, qui lui avait désobéi en refusant d’aller com­ battre Ayssa. Omar exécuta ce nouvel ordre et livra bataille à Kassem qui, à son approche, était sorti de Tanger à sa rencontre. Le combat fut sanglant; El-Kassem fut battu et forcé de se retrancher dans sa ville; mais, bientôt, tout le pays étant tombé au pouvoir de son frère, il dut songer à sa sûreté et, prenant la fuite par le rivage, il arriva près d’Asîla, où il construisit une cha­ pelle sur le bord d’une petite rivière nommée El-Mharhar, et là, il renonça au monde et consacra à la prière le reste de ses jours. Que Dieu lui fasse miséricorde !). Omar joignit les états de Kassem aux siens et à ceux d’Ayssa, et les gouverna tranquillement au nom de son frère Mohammed jusqu’à sa mort. Son corps fut transporté de Fedj el-Fers, du pays de Senhadja, à Fès, où son frère Mohammed le fit ensevelir après avoir lu lui-même les prières d’usage sur son cercueil. Omar ben Edriss est l’aïeul dés deux Mohammed qui régnèrent en Andalousie vers l’an 400 de l’hégyre; il laissa quatre enfants, Aly et Edriss, fils de Zineba bent el-Kassem el-Djady, et Abd Allah et Mohammed qu’il avait eus de Rebaba, Elle d’une esclave. L’imam Mohammed ne survécut que sept mois à son fière Omar; il mourut à Fès dans le mois de raby el-tâny, an 221 (387 J. G.), et fut enseveli dans la mosquée du côté, de l’orient, auprès de son frère et de son père. Il avait régné huit ans et un mois. Durant sa dernière maladie, il choi­ sit pour lieutenant son fils Aly, qui lui succéda.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR ALY BEN MOHAMMED, BEN EDRISS EL-TÂNI L’HOSSEÏNIEN. QUE DIEU LES AGRÉE TOUS !

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    L’émir Aly ben Mohammed ben Edriss ben Edriss eut pour mère Rakietta, femme légitime de l’imam Mohammed et fille d’’Ismaël ben Omar ben Mosshab el-Azdy. Il fut proclamé le jour même de la mort de son père, qui déjà l’avait nommé son khalife. L’émir Aly avait alors neuf ans et quatre mois, et à cet âge il avait déjà l’esprit droit et distingué et toutes les qualités de ses ancêtres et de sa noble famille. Il suivit, la voie de son père et de sou aïeul, et comme eux il fut juste, vertueux, religieux et prudent. Il gouverna au nom de la vérité, organisa le pays, fit réparer les villes et tint ses ennemis en res­ pect. Le peuple du Maghreb vécut dans la paix et le bonheur sous son règne.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Aly mourut au mois de radjeb de l’armée 234 (848 J. C.), et eut pour suc­ cesseur Yhya son frère.

    HSTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YHYA BEN MOHAMMED BEN EDRISS BEN EDRISS L’HOSSEÏNIEN.

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    L’émir Yhya ben Mohammed ben Edriss, etc. fut proclamé souverain le jour de la mort de son frère Aly, et marcha dans la voie de ses prédéces­ seurs. Sous son règne la population de Fès s’accrut considérablement, et la ville fut bientôt insuffisante ; une foule d’étrangers venus de l’Andalousie, de l’Ifrîkya et, de toutes les parties du Maghreb, furent obligés de s’établir dans les jardins du dehors. Yhya fit construire de nouveaux bains et de nouveaux caravansérails pour les marchands, et c’est à cette époque que fut bâtie la célèbre mosquée El-Kairaouyn. (Que Dieu l’ennoblisse de plus en plus !)

    HISTOIRE DE LA MOSQUÉE EL-KAIRAOUYN, SA DESCRIPTION, SES ACCROISSEMENTS DEPUIS SA FONDATION JUSQU’À NOS JOURS, AN 726.

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    L’auteur de ce livre (que Dieu lui pardonne !) a dit : Sous les Edris­ sites, les cérémonies religieuses du vendredi furent toujours célébrées dans mosquée El-Cheurfa bine par Edriss dans l’Adoua el-Kairaouyn et, dans la mosquée des cheïkhs de l’Adoua el-Andalous. L’emplacement où est cons­ truite la mosquée El-Kairaouyn était alors un terrain nu, contenant du gypse et clairsemé de quelques arbres ; il appartenait à un homme d’Houara qui en avais hérité de son père, lequel en était devenu propriétaire avant que la ville fût achevée. Or on se rappelle que du temps d’Edriss un grand nombre de familles de Kairouan vinrent s’établir à Fès; de ce nombre était celle de Mohammed el-Fehery el-Kairouany qui était arrivé d’Ifrîkya avec sa femme, sa sœur et sa fille. Cette dernière, appelée Fathma et surnommée Oumm elBenïn (la mère des deux fils), était une femme vertueuse et sainte; à la mort de ses Parents elle hérita d’une grande fortune légitimement acquise, dont on ne s’était jamais servi pour le commerce, et qu’elle voulut consacrer à une œuvre pieuse pour mériter la bénédiction de Dieu. Fathma a crut attein­ dre ce but en bâtissant une mosquée, et, s’il plaît à Dieu très-haut, elle trou­ vera sa récompense en l’autre monde, le jour où chaque âme retrouvera devant elle le bien qu’elle aura fait !(1) Elle acheta du propriétaire, moyen­ nant une forte somme d’argent, l’emplacement de la mosquée El-Kairaouyn dont elle jeta les premiers fondements le samedi 1er du mois. de ramadhan le grand, an 245 (859 J. C.). Les murs furent bâtis en tabiah .et en keddhân que l’on extrayait au fier et à mesure d’une carrière située sur le terrain même,

    ____________________ 1 Koran, chap. III, verset 28.

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    qui fournissait aussi la terre, les pierres et le sable dont on avait besoin. Fathma fit creuser le puits qui existe aujourd’hui encore au milieu de la cour, et d’où l’on tira toute l’eau nécessaire aux travailleurs, de sorte que cette mosquée sacrée fut entièrement bâtie avec les matériaux de son propre sol, et que l’on eut ainsi la certitude que rien de ce qui aurait pu n’être pas par­ faitement légitime et pur n’avait été employé. La sainte femme jeûna tout le temps que durèrent les travaux, et, lorsqu’ils furent achevés, elle adressa des actions de grâces au Dieu très-haut qui l’avait secondée. La mosquée bâtie par Fathma mesurait 150 empans du nord au sud ; elle avait quatre nefs, une petite cour, un mîhrab(1) qui occupait la place située aujourd’hui sous le grand lustre. Son minaret était peu élevé et construit sur l’Aneza du côté du sud. Telle est la version que rapporte Abou el-Kassem ben Djenoun, dans ses Commentaires sur l’Histoire de Fès. On raconte aussi que Mohammed el-Fehery avait deux filles, Fathima Oumm el-Benin et Meriem Fathma bâtit la mosquée El-Kairaouyn, et Meriem la mosquée El-Andalous avec les biens légitimes dont elles avaient hérité de leur père et de leur frère. Ces mosquées restèrent telles que les avaient construites les deux sœurs pendant le règne des Edrissites jusqu’à l’époque des Zenèta. Ceux-ci, devenus maîtres du Maghreb, renfermèrent dans une seule enceinte les deux Adoua et les jardins qui les entouraient, et ils reculèrent ainsi les premières limites de la ville, dont aujourd’hui encore on peut voir les vestiges. Puis, la population s’étant accrue, la mosquée ElCheurfa devint insuffisante pour les cérémonies du. vendredi, et les Zenèta les firent célébrer à la mosquée El-Kairaouyn qui était la plus spacieuse et qu’ils embellirent d’une chaire. Cela eut lieu en l’an 306 (918 J. C.). Le premier prône fut prononcé par le docte et distingué cheïkh Abou Abd Allah ben Aly el-Farsy. Selon une autre version, le premier qui fit passer les khatheb de la mosquée El-Cheurfa à la mosquée El-Kairaouyn fut l’émir Hamed ben Mohammed el-Hamdany, lieutenant d’Obeïd Allah el-Chyhy au Maghreb, an 321 (932 J. C.). L’émir Hamed déplaça également les khatheb de la mos­ quée des cheïkhs, et les attacha à la mosquée El-Andalous, où le premier prône fut prononcé par Abou el-Hassan ben Mohammed el-Kazdy. Les choses restèrent, en cet état et aucun changement ne fut plus apporté ni à l’une ni à l’autre de ces mosquées, jusqu’à l’époque où l’émir des croyants Abd er-Rahman el-Nasser Ledyn Illah, roi de l’Andalousie, s’étant emparé de l’Adoua (El-Gharb) fit reconnaître sa souveraineté à Fès, dont il confia le gouvernement à un préfet choisi entre les Zenèta et nommé Ahmed ben Aby Beker el-Zenéty. Celui-ci, homme de bien, vertueux,

    ____________________ 1 Le Mihrab est une niche pratiquée dans le mur de la mosquée pour indiquer la direction de la Mecque.

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    religieux et intègre, écrivit aussitôt à l’émir des croyants pour lui demander l’autorisation de faire réparer, agrandir et embellir la mosquée El-Kai­ raouyn. El-Nasser accueillit favorablement son message, et lui envoya de fortes sommes d’argent provenant du cinquième du butin fait sur les chré­ tiens, et lui ordonnant de les consacrer comme il le désirait à la mosquée ElKairaouyn. Ahmed ben Aby Beker se mit de suite à l’œuvre, et lit élargir la mosquée du côté de l’orient, du côté de l’occident et du côté du nord. Il détruisit les restes de l’ancien minaret situé sur l’Aneza, et fit élever celui qui existe aujourd’hui.

    HISTOIRE DU MINARET DE LA MOSQUÉE EL-KAIRAOUYN. QUE DIEU L’ENNOBLISSE !

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    L’imam Ahmed ben Aby Beker construisit le minaret de la mosquée El-Kairaouyn en forme de tour carrée, ayant sur chaque côté 27 empans(1) de base sur 108 empans, somme des quatre bases ou côtés, de hauteur, dimen­ sion exacte de cet édifice construit, d’ailleurs, dans les règles de l’architec­ ture. Sur la porte située à la façade du couchant sont gravés dans le plâtre et incrustés d’azur les morts suivants : «Au nom de Dieu clément et miséri­ cordieux! Louange à Dieu l’unique, le tout-puissant ! Ce minaret a, été élevé par Ahmed ben Aby Beker Saïd ben Othman el-Zenèty. Que Dieu très-haut le conduise dans la vraie voie, lui donne la sagesse et lui accorde ses récom­ penses les plus belles ! Sa construction fui commencée le premier mardi du mois de radjeb, l’unique de l’année 344 (955 J. C.), et fut entièrement ,achevée dans le mois de raby el-tâny, an 345 (956 J. C.).» On lit également, sur un des côtés de la porte, «Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mohammed est l’apôtre de Dieu ;» et sur le côté opposé : «Dis, ô mes serviteurs : vous qui avez agi uniquement envers vous-mêmes, ne désespérez point de la miséri­ corde divine ; car Dieu pardonne tous les péchés ! il est indulgent et miséri­ cordieux(2).» Sur le sommet, du minaret on plaça une pomme en métal doré et incrustée de perles et de pierreries ; l’imam Ahmed ben Aby Beker fit sur­ monter cette pomme de l’épée de l’imam Edriss ben Edriss, afin d’attirer sur l’édifice la bénédiction du fondateur de Fès. On raconte, à ce sujet, que le minaret était à peine achevé lorsque les descendants de l’imam Edriss, se disputant la propriété de cette épée, en appelèrent, après de vives querelles, à l’imam Ahmed ben Aby Beker. «Soyez d’accord, leur dit celui-ci, et vendez­ moi cette arme ! — Et qu’en feras-tu, émir ? redemandèrent-ils unanime­ ment; — Je la placerai sur le haut de ce minaret que je viens de construire,

    ____________________ 1 Spithama, empan, palme. 2 Koran, chap. XXXIX, verset 54.

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    afin qu’elle le couvre de sa bénédiction. — Si tel est ton désir, émir, nous te vendons l’épée et nos querelles sont finies.» Et ainsi il fut fait. Ce minaret avait été bâti en belles et bonnes pierres de taille ; mais, une fois achevé, personne n’y toucha plus et les oiseaux, pigeons et étourneaux, entre autres, y établirent leurs nids. Ce ne fut qu’en 688 (1289 .J. C.) que le docte et ver­ tueux Abou Abd Allah ben Aby el-Sbar, qui cumulant les fonctions de kady, de khatheb et d’imam de la mosquée El-Kairaouyn, eut là pensée de répa­ rer cet édifice, et en demanda l’autorisation à l’émir des musulmans Abou Yacoub, fils de l’émir des croyants Youssef ben Abd el-Hakk (que Dieu leur fasse miséricorde et les agrée !). Ce prince la lui. accorda et lui offrit les fonds nécessaires prélevés sur les tributs imposés aux chrétiens ; mais Abou Abd Allah le, remercia en lui disant que les biens des mosquées (habous) suffiraient avec l’aide de Dieu, et il commença aussitôt les réparations, en ayant soin de planter de grands clous en fer de distance en distance pour soutenir le plâtre et la chaux : 18 rbah 1/2 (460 livres) de clous furent ainsi employés. Une fois ce travail finit, les ouvriers se mirent à polir et repolir la surface jusqu’à ce qu’elle fût devenue unie comme celle d’un miroir très­ pur, et on parvint ainsi, en embellissant le minaret, à le préserver des oiseaux qui lui avaient causé maints dégâts. Abou Abd Allah bâtit, en même temps; la chambre des muezzins qui est située auprès de la porte. Après l’émir Ahmed ben Aby Beker, nul ne toucha à la mosquée bénie jusqu’à l’époque de Hachem el-Mouïd, qui éleva à la dignité de hadjeb El-Mansour ben Aby Amer. Celui-ci construisit un dôme à la place de l’ancien minaret sur l’Aneza situé au milieu de la cour, et fit placer sur ce dôme les, signes et les talismans qui se trouvaient sur la coupole qui surmontait dans le temps le premier mîhrab. Ces anciennes figures furent ajustées sur des pointes de fer que l’on planta sur le nouveau dôme. Un de ces talismans avait pour vertu de préserver la mosquée de tous les nids de rats; ces animaux ne pouvaient pénétrer dans le saint lieu sans, être aussitôt découverts et détruits. Un autre, sous la forme d’un oiseau tenant en son bec un scorpion dont on n’apercevait que les palpes, garantissait la mosquée ,des scorpions, et s’il arrivait. qu’un de ses insectes y pénétrât transporté sur le haïk de quelque fidèle, il ne tom­ bait point et sortait en même temps que celui auquel il s’était accroché. «Un vendredi, raconte le docte El-Hadj Haroun, assistant à la prière, je vis un scorpion qui était entré sur les vêtements d’un fidèle ou plus probablement sur quelque objet qui avait été déposé à terre, venir dans l’espace qui sépa­ rait le rang dont je faisais partie du rang de ceux qui priaient devant moi, et tout à coup demeurer là étourdi et privé de tout mouvement. Les assis­ tants, d’abord saisis de crainte, se rassurèrent, croyant l’animal mort ; mais il ne l’était point, et lorsque, la prière finie, on voulut l’écraser, il se débattit

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    longtemps.» Ce fait-là est certain. Un troisième talisman, monté sur une pointe de cuivre jaune, a la forme d’un globe et éloigne les serpents, aussi n’en a-t-on jamais vu un seul dans la mosquée, où ils ne pourraient pénétrer sans être aussitôt découverts et tués. Abd el-Malek ben el-Mansour ben Aby-Amer fit construire le Bit elMostadhil (chambre ombragée) situé près du Hafat (bord de la rivière et la Skayah (bassin, réservoir) qui reçoit les eaux de l’Oued Hassen qui coule hors de la ville du côté de Bab el-Hadid. Il fit également construire une chaire en bois de jujubier et d’ébène, sur laquelle fut gravée l’inscription suivante : «Au nom de Dieu clément, et miséricordieux ! Que Dieu comble de ses bénédictions notre seigneur Mohammed, sa famille et ses compagnons et leur accorde le salut ! Cette chaire a été construite par les ordres du kha­ life, épée de l’Islam, El-Mansour Abd Allah Hachem ben el-Mouïd Billah (que Dieu prolonge ses jours !), sous la direction de son hadjeb Abd elMalek el-Medhafar ben Mohammed el-Mansour ben Aby Armer (que le Très-Haut le protège !). Djoumad el-tàny, an 375 (985 J. C.)» Jusqu’au temps des Lemtouna, les khatheb firent leurs sermons dans cette chaire. Les gouverneurs, les émirs et les rois eurent toujours à cœur d’ajouter quelque chose à la mosquée El-Kairaouyn, ou au moins de réparer ce que le temps endommageait, dans l’espérance que les récompenses du Très-Haut leur seraient acquises. A l’époque de la domination des Morabethoun (Almoravides) dans le Maghreb, et sous le règne de l’émir des musulmans Aly ben Youssef ben Tachfyn el-Lemtouni, la population de Fès s’accrut considérablernent, et la mosquée El-Kairaouyn devint insuffisante, au point que, les vendredis, les fidèles étaient obligés de prier dans. les rues et les marchés environ­ nants. Lés cheïkhs et les fekhys se réunirent chez le kady de la ville Abou Abd Allah Mohammed ben Daoued pour délibérer à ce sujet, et chercher le moyen de remédier à cet inconvénient. Le kady, homme de science, de justice et d’une intégrité parfaite; écrivit à l’émir des croyants pour lui faire part de la réunion de ce conseil, et lui demander l’ordre de faire agrandir la mosquée. L’émir accueillit favorablement cette demande et ouvrit à Ben Daoued un crédit sur le bit el-mâl (trésor) pour subvenir aux dépenses ; mais celui-ci le remercia et lui répondit : «Dieu fera peut-être que nous n’aurons pas besoin de toucher aux, fonds du trésor, et qu’il nous suffira de retirer les rentes des habous qui sont entre les mains des oukils (percepteurs).» Toutefois Aly ben Youssouf lui recommanda bien de n’employer que des sommes pures, et appartenant exclusivement aux mosquées ; il l’engagea en même temps à me rien épargner pour les réparations et les embellissements de la mosquée El-Kairaouyn, et lui ordonna de rechercher avec soin tous les

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    habous et d’en réunir les produits en les retirant des mains de ceux qui en jouissaient. Le kady se rendit au lieu où il faisait la justice, et, ayant mandé tous les oukils, il lui fut aisé de découvrir qu’il y avait entre eux des hommes impies qui avaient dépensé les biens qui leur étaient confiés, et d’autres qui se les étaient appropriés ; il fit rendre compte à chacun, non seulement des propriétés habous, mais encore des revenus dont ils avaient joui, et se fit restituer le tout ; en même temps, il nomma de nouveaux oukils d’une pro­ bité garantie, et qui par leurs soins augmentèrent les produits et les rentes de cette année-là. Le docte Mohammed ben Daoued parvint ainsi à réunir une somme de plus de r 18,000dinars ; il commença par acheter les terrains attenant au sud et à l’est de la mosquée, et il en paya la juste valeur pour ne méconten­ ter personne. Cependant, comme il y avait sur ces emplacements un assez grand nombre de maisons appartenant à des juifs (que Dieu les maudisse !) qui refusaient de les vendre, on fit une juste estimation de ces propriétés, on leur en compta la valeur et on les chassa, conformément à une loi établie par l’émir des musulmans Omar ben el-Khettâb (que Dieu l’agrée ! qui s’était trouvé dans un cas semblable lorsqu’il voulut agrandir la mosquée sacrée, de la Mecque. Lorsque le terrain nécessaire fut acheté, le kady fit abattre toutes les maisons qui y étaient situées, et vendit les décombres pour une somme égale à celle qu’il avait dépensée, de sorte que l’emplacement ne lui coûta rien, tant est grande la bénédiction de Dieu ! Il joignit-ce nouveau terrain à celui de la mosquée, et y fit bâtir la grande porte de l’occident, nommée ancien­ nement Bab ek-Fekharyn (porte des potiers), et appelée aujourd’hui Bab elChemahyn (porte des vendeurs de cire). Mohammed ben Daoued assistait aux travaux et donnait lui-même les mesures de hauteur, largeur et profon­ deur de cette porte ; il y plaça de magnifiques battants ajustés sur de beaux gonds, véritables chefs-d’œuvre, et il fit graver ces mots sur le fronton inté­ rieur : «Cette porte a été commencée et achevée dans le mois de dou’l hidjâ, an 528 (1133 J. C.)» En creusant à l’endroit où l’on voulait établir le support des battants, c’est-à-dire à gauche en entrant, où se trouve aujourd’hui la Doukhana, on découvrit une fontaine fermée par une pierre carrée de huit achebars de côté, et surmontée d’une voûte très ancienne dont on ne put reconnaître l’époque. Les travailleurs pensèrent qu’il pouvait y avoir là quel­ que trésor caché, et ils commencèrent à démolir ; or ils ne trouvèrent qu’un réservoir rempli d’eau douce dans laquelle vivait une énorme tortue, d’une surface égale à celle du réservoir; quelques-uns essayèrent de tirer dehors cet animal, mais cela leur fut impossible, et ils coururent faire part de la découverte au kady Ben Daoued et aux autres fekhys de la ville. Ceux-ci

    ____________________ 1 Achebar, empan, palme.

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    décidèrent dans leur sagesse de laisser la tortue tranquillement à sa place, et de rebâtir la voûte telle qu’elle était auparavant. «Glorifions Dieu magni­ fique et puissant qui dispense comme il lui plait les choses nécessaires à la vie de ses créatures ! Il n’y a de Dieu que Dieu, vers lequel tout retourne.» Ce fait est raconté comme il précède par Abou el-Kassem ben Djenoun. «Cependant, ajoute l’auteur du livre, j’ai lu une note écrite de la main du docte et juste Aly el-Hassan ben Mohammed ben Faroun Ellezdy qui a fait remarquer que la voûte en question fut découverte près du Karsthoun, à droite en entrant.» Cette grande porte resta telle que l’avait construite le kady Abou Abd Allah ben Daoued, jusqu’à I»incendie des bazars, dans la vingt-deuxième nuit du mois de djoumad el-tâny, an 571 (1175 J. C.). Le feu partit du Souk, près du Bab el-Selselat, et détruisit. tout ce qu’il rencontra jusqu’à cette porte, qui fut elle-même consumée en grande partie ainsi que le dôme qui lui était attenant. L’émir des croyants, Abou Youssef ben Aly ben Abd elMoumen, fit relever la porte et le dôme dans de mois de djoumad el-tâny, an 6oo (1203 J. C.), et confia à Abou el-Hassen ben Mohammed el-Layrak elAthar la direction des travaux qui furent faits aux frais du bit el-mâl (trésor) dont le kady Abou Yacoub ben Abd el-Hakk était alors le gardien. Le docte kady Abou Abd Allah ben Daoued fuit remplacé à sa mort par le vénérable Abd el-Hakk, ben Abd Allah ben el-Mahycha, qui acheva ce qui était commencé, et fit réparer ce qui était endommagé. Ce nouveau magistrat, ayant conçu le projet de construire le mihrab (niche) El-Kai­ raouyn sur l’emplacement de l’Aïn Kerkouba, rassembla les principaux maçons et les artisans les plus habiles, qui reconnurent que la chose n’était pas possible à cause des maisons du fekhy Aly ben Aby el-Hassen qui étaient situées sur ce terrain: Il fut donc résolu que l’on agrandirait la mos­ quée de trois nefs seulement, pour construire le mihrab et la chaire, et on ajouta, en effet, une nef au-dessus du niveau du sol, au nord, et deux nefs de l’est à l’ouest. Tous ces travaux furent faits avec les matériaux du propre sol, sains qu’il fût besoin d’avoir recours aux carrières dont on extrayait les pierres pour les constructions ordinaires. En creusant au milieu de la deuxième nef, on découvrit une carrière d’où l’on put tirer en même temps du sable, de la terre, et de grosses pierres qui, passant directement de la main des carriers dans celle des maçons, rendaient le travail plus commode, et assuraient par leur pureté la solidité et la durée de ces constructions. Le docte kady décida également dans sa sagesse que toutes les portes fussent doublées de cuivre jaune, que chacune fût surmontée d’un dôme, qu’elles fussent agrandies, et qu’il fût fait quelques, changements au minaret. Lorsque le mihrab fut achevé, on construisit sa coupole, que l’on incrusta d’or, d’azur et autres diverses couleurs ; la précision et l’élégance

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    de ce travail étaient telles que les curieux restaient émerveillés, et que les fidèles ne pouvaient même s’empêcher d’être distraits de leurs prières par l’éclat ales peintures; aussi, lorsque les Almohades entrèrent à Fès (le jeudi dixième jouir de raby el-tâny, an 540 (1145 J. C.) les cheikhs et les fekhys de la ville craignirent que les nouveaux venus, qui n’étaient arrivés au pouvoir que par mensonge et hypocrisie, ne leur reprochassent vivement ce luxe de décors et de peinture, et leur crainte redoubla quand ils surent que le lende­ main, vendredi, l’émir des croyants Abd el-Moumen ben Aly, accompagné de ses cheikhs, devait entendre la prière dans la mosquée El-Kairaouyn. Dans cet embarras, ils rassemblèrent à la hâte les principaux maçons, et, pendant la nuit, ils leur firent recouvrir tout le dôme avec du papier sur lequel ils passèrent une couche de plâtre et quelques couches de chaux, de sorte que les Almohades ne virent le lendemain qu’un dôme parfaitement blanc. A la même époque fut construite la chaire dont on se sert encore aujourd’hui. Cette chaire est faite en bois d’ébène, de sandal incrusté d’ivoire, d’arneg, de .jujubier et antres bois précieux; on la doit aux soins du cheikh distingué Abou Yhya el-Attady, imam, rhéteur et poète, qui vécut environ cent ans. Il en était au tiers de ses travaux lorsqu’il fut remplacé par le kady de la ville, le docte, le zélé, le savant, le conseiller Abou Merouan Abd el-Malek ben Bydha el-Khissy. Celui-ci acheva tout ce qui était commencé conformé­ ment aux plans d’Abou Mohammed Abd el-Hakk ben el-Mahycha, excepté qu’il ne doubla point les portes en cuivre jaune, et qu’il ne porta aucun chan­ gement au minaret. Tous les travaux dont on vient de parler furent achevés dans le mois de Dieu châaban le grand, an 538 (9 1143 J. C.). Le premier prédicateur qui fit le khotba dans la nouvelle chaire d’ElKairaouyn fut le cheikh, le fekhy vertueux Abou Mohammed Mehdy ben Ayssa. Ce célèbre khatheb prêcha depuis tous les vendredis sans jamais pro­ noncer deux fois le même sermon ; il fut destitué, parles Almohades, qui bouleversèrent tout à leur arrivée à Fès ; autorités, khatheb, imam, furent remplacés, sous prétexte que, ne connaissant point la langue berbère, leur ministère devenait inutile. Le Sehan (la cour) fut pavé sous le kady Abou Abd Allah ben Daoued, architecte habile. Avant lui quelques essais avaient été faits, mais ces tra­ vaux inachevés ne lui convinrent point, et il confia l’entreprise au connais­ seur Abou Abd Allah Mohammed ben Ahmed ben Mohammed el-Khoulany, qui l’engagea à faire un sol uni et assez incliné pour que les eaux pussent s’écouler jusqu’à la dernière goutte. El-Khoulany (que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) avait quatre maisons, biens hallal dont il avait hérité ; il les vendit et employa le produit à faire fabriquer les briques nécessaires et à payer le salaire des ouvriers. Ainsi, de son propre argent, et sans le secours de per­ sonne, il eut la gloire de paver cette cour, de même qu’il avait pavé celle de

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    Ben Messaoud. n’espérant d’autres récompenses que celles qu’il plaira à Dieu de lui donner. Puisse Dieu très-haut le récompenser ! Cinquante-deux mille briques furent employées au pavage de la cour de la mosquée El-Kairaouyn. Voici le calcul : il y a 11 arcades, et sous chaque arcade il y a 20 rangs de 200 briques chacun, soit, 40,000 briques; donc 11 fois 4,000 font 44,000, et à cette somme il faut encore ajouter 8,000, nombre des briques faisant le tour des arcades; on a donc, 52,000 briques, total sur lequel il n’est permis d’élever aucun doute. C’est à cette même époque, 526 (1131 J. C.), que ledit kady Ben Daoued fit construire la grande porte qui est située vis-à-vis le karsthoun. Quand le pavage de la cour fut achevé, le docte kady fit faire une tente en coton, soigneusement doublée, de la grandeur exacte du Sehan, qui s’étendait, et se pliait à volonté au moyen de poulies et de grosses cordes. En été on se préservait ainsi de la chaleur, et pendant la canicule on laissait la tente tendue nuit, et jour. Le temps détruisit ce, chef-d’œuvre, que nul, depuis, n’a été capable de remplacer. Le bassin et le jet d’eau qui sont au milieu de la cour furent construits en 599 (1222 J. C.), sous Aby Amrân Moussa ben Hassen ben Aby Chemâa, géomètre et architecte habile, qui dirigea lui-même les travaux faits aux frais du fekhy ben Abou el-Hassen el -Sidjilmessy. (Que Dieu le récompense !) Abou el-Hassen était religieux, humble, modeste, et dépensait chaque jour en aumônes 10 dinars de son bien ou de ses revenus. Moyennant un canal de plomb souterrain on amena l’eau du grand réservoir jusque. dans la cour au bassin et au jet d’eau. Le bassin est de beau marbre blanc d’une pureté irréprochable, et reçoit par plusieurs robinets une quantité d’eau égale à celle qui peut sortir en même temps par quarante ori­ fices pratiqués sur les bords, vingt à droite, vingt à gauche. L’ajustage du jet d’eau est en cuivre rouge doré et monté sur un tuyau également de cuivre, de cinq palmes de haut au-dessus du sol. Ce tuyau est divisé dans sa longueur en deux compartiments ; dans l’un, l’eau monte à l’ajustage au bout duquel elle jaillit par dix ouvertures d’une pomme en métal, et elle retombe dans un petit bassin d’où elle redescend par le deuxième compartiment du tuyau, de sorte que le jet va sans cesse, et que le grand bassin est toujours plein d’eau, constamment renouvelée sans qu’il s’en répande une seule goutte à terre. Cette eau est à la disposition du Public ; en prend qui veut pour son usage, et celui qui désire boire trouve des gobelets dorés suspendus à de petites chaînes tout autour de la fontaine. Au-dessus du bassin on construisit, en marbre blanc, une fenêtre à grillage, merveille de l’époque, sous laquelle on grava sur une pierre rouge l’inscription suivante : «Au nom de Dieu clément et miséricordieux ! Que le Dieu très-haut répande ses bénédictions sur notre Seigneur Mohammed, car des rochers coulent des torrents, les pierres se

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    fendent et font jaillir l’eau ! Il y en a qui s’affaissent par la crainte de Dieu! et certes Dieu n’est pas inattentif à vos actions(1).» Ces ouvrages furent achevés dans le mois de djoumad el-tâny, an 599. Au sortir du bassin et de la fontaine à jet, l’eau passe dans les réservoirs de l’Aïn Kerkouba, alimente les maisons et les abreuvoirs des environs, et se répand dans les fabriques, où elle est entièrement absorbée. L’ancien Anezà, où l’on fait les prières en été, était construit en plan­ ches de bois de cèdre, et surmonté de cette inscription : «Cet Anezà a été construit dans le mois de châaban, an 524.» L’Anezà actuel, construit aux frais des habous, par le docte, le khathîb, le kady Abou Abd Allah Abenou Aby el-Sbor à l’époque de son kadydat, fut commencé le premier dou’l kaada, an 687 (1288 J. C.), et mis en place an 689 (1290 J. C.), le samedi 18 raby el-aouel, correspondant au 10 mars de l’ère barbare. Il y a dans la mosquée El-Kairaouyn 270 colonnes qui forment 16 nefs de 21 arcs chacune, tant en longueur qu’en largeur. (Dans chaque nef s’établissent, les jours de prières, 4 rangs de 210 fidèles, soit 840 fidèles par nef, somme exacte à n’en pas douter, puisque chaque arc contient 10 hommes d’une colonne à l’autre. Pour avoir le nombre d’hommes qui peu­ vent assister à la prière, on a donc 16 fois 840, soit 13,440, total auquel il faut ajouter 560, nombre des fidèles qui se placent au besoin devant les colonnes, plus 2,700 que contient la cour, plus, enfin, 6,000 autres qui prient, sans ordre, dans la galerie, les vestibules et sur le seuil des portes, ce qui fait en tout 22,700, nombre exact, ou à peu près, des personnes qui peuvent, le vendredi, entendre ensemble la prière de l’imam, comme cela s’est vu aux époques florissantes de Fès. On compte 467,300 tuiles sur les toits de la mosquée El-Kairaouyn, qui a quinze grandes portes d’entrée pour les hommes, et deux petites portes exclusivement réservées aux femmes. Les plus anciennes de ces portes sont celles de l’orient, de l’occident et du midi ; la porte du nord est nouvelle, mais la plus récemment faite de toutes est la grande porte de l’escalier, qui est située au midi, et qui a été construite par le fekhy, le juste Abou el-Has­ san Aly ben Abd el-Kerym el-Djedoudy à l’époque de son commandement à Fès. El-Djedoudy perça également une nouvelle porte faisant face à la mosquée el-Andalous, et y amena l’eau de l’Aïn ben el-Sâady, aujourd’hui Aïn el-Khouazyn (source des potiers), qu’il conduisit par le Rahbâ el-Zebyb (marché aux raisins) où il construisit un nouveau réservoir. Ces travaux furent achevés en 689. Cependant l’émir des Croyants Abou Yacoub ben Abou Youssef ben Abd el-Hakk, irrité de ce qu’on avait ouvert cette dernière porte, qui était d’ailleurs inutile, sans ses ordres et même sans sa permission,

    ____________________ 1 Koran, la Vache, chap. II, verset 69.

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    adressa de vifs reproches au fekhy el-Djedoudy, son gouverneur, et lui ordonna de la faire fermer immédiatement. Le grand lustre fut construit sous le fekhy, le sage, le khatbîb, le ver­ tueux Abou Mohammed Abd Allah ben Moussa. Celui dont on se servait à cette époque était abîmé et en partie. détruit par le temps ; Abou Mohammed le fit fondre avec une quantité suffisante, de cuivre de la même qualité pour en faire un nouveau, et dépensa de son propre argent 717 dinars 2 drahem 1/2, tant pour l’achat du métal que pour le salaire des ouvriers. Ce lustre pèse 1,763 livres, et a 509 becs ou lampes qui ne contiennent pas moins ensemble d’un quintal et sept jarres d’huile. Dans la vingt-septième nuit du ramadhan, où il est d’usage d’allu­ mer toutes les lampes de la mosquée, au nombre de 1,700, on consomme trois quintaux et demi d’huile. Le grand lustre fut régulièrement allumé les vingt-septièmes nuits de ramadhan jusque sous le kadydat d’Abou Yacoub ben Amran, qui ordonna de l’allumer durant tout ce mois. Ce kady mourut le jour d’Arafat(1), an 617 ; c’est lui qui fit ouvrir le Bab el-Ouarakyn (porte des lecteurs), surmonté de cette magnifique coupole en plâtre découpée. L’année suivante (618) on alluma encore le grand lustre pendant tout le ramadhan ; mais c’est alors que survinrent ces temps. malheureux, où la population de Fès fut décimée par les troubles, la misère et la faim : la mosquée, appauvrie, ne put plus se procurer de l’huile, qui avait fini par disparaître complètement du pays, et le grand lustre ne fut plus allumé, ni pendant tout le ramadhan, ni même pendant la ving-septième nuit. On s’en consola pourtant sur ces paroles du fekhy : «Ce n’est point le feu que nous adorons, mais c’est Dieu.» Les choses restèrent ainsi jusqu’en 687 : à cette époque, le fekhy, le khathîb, Aby Abd Allah ben Aby el-Sebor, kady de la ville, demanda l’autorisation d’allumer de nouveau le grand lustre à l’émir des Musulmans, Abou Youssef Abd el-Hakk (que Dieu lui fasses miséri­ corde !), qui voulut bien la lui accorder, toutefois pour la vingt-septième nuit seulement du ramadhan de chaque année. Cet usage s’est conservé depuis, et se pratique encore de nos jours. Les deux battants rouges de la porte El-Kabla, qui donne sur le pas­ sage de Bab el-Djysa, appartenaient dans le temps à Abou el-Kassem elMeldjoun, connu sous le nom de Ben Berkya, qui les avait fait faire à grands frais pour une pavillon construit sur sa maison, située au faubourg Louata. De ce pavillon Ben Berkya dominait l’intérieur des maisons voisines, et voyait les femmes entrer nues dans leurs bains ; il se plaisait surtout à plon­ ger ses regards dans le meslah (vestiaire) de la fille El-Ban, qui demeurait à côté, et cela si souvent que l’on finit par porter plainte à l’émir des Croyants.

    _____________________ 1 Jour d’Arafat, neuvième jour du mois dou’l hidjà, où les pèlerins de la Mecque se rendent au mont Arafat.

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    Abou Youssef ben Abd el-Hakk, en appuyant l’accusation du témoignage du lieutenant Abd el-Malek. L’émir envoya aussitôt au kady de Fès, Abou Mohammed el-Tadly, l’ordre de faire raser ce pavillon, et cela fut fait le mercredi, 30 radjeb, an 588. Les successeurs de Ben Berkya conservèrent les deux battants de ce pavillon, et, ne pouvant mieux les employer, ils en firent présent à la mosquée El-kairaouyn, où ils furent mis en place en 617, avec une inscription portant le nom de Ben. Berkya, celui de l’ouvrier qui les avait. construits, et la date à laquelle ils avaient été achevés, mois de radjeb an 578. Le Mestoudâ (Sacrarium) fut commencé par le fekhy vertueux Aby Mohammed Ychekour, qui fit faire la chambre souterraine, dont, les parois en pierre et en terre, soutiennent une voûte en marbre qui est recouverte de sable et de plâtre. Le fekhy, Abou el-Kassem ben Hamyd, chargé de ces constructions, fit poser trois serrures à chacune des deux portes du Mes­ toudâ, et plaça dans l’intérieur plusieurs coffres-forts, mais cela n’empêcha pas que sous le kadydat d’Abou Amrân, les capitaux de la mosquée, les reve­ nus des habous, les livres et autres dépôts précieux, y furent volés sans qu’on ait pu jamais découvrir le voleur. Le mur de l’orient et ses dépendances, déjà très anciens et n’ayant pu être entretenus, faute d’argent, pendant le temps de famine et de troubles qui désolèrent Fès, tombaient en ruine. En 682 (1283 J. C.), Abou Abd Allah elMadhoudy écrivit à l’émir des Musulmans El-Kaïm Bil Hakk Abou Yacoub ben Abd el-Hakk, pour lui demander la permission de faire toutes les répara­ tions nécessaires. Ce prince généreux (que Dieu l’agrée !) lui répondit favo­ rablement, et l’autorisa à prélever les fonds sur les revenus de la djeziâ et de l’achoura, après toutefois que les sommes habous auraient été employées. Abou Abd Allah el-Madhoudy refit donc à neuf toute la partie est de la mos­ quée, et y dépensa de fortes sommes. Le mur du nord tombait également en ruines ; en 699, le fekhy Abou Ghâleb el-Maghyly demanda l’autorisation de le réparer à l’émir des Musul­ mans Aby Yacoub (que Dieu l’agrée !). Ce prince la lui accorda, et lui envoya en même temps un bracelet d’or de la valeur de cinq cents dinars. «Sers-toi de ce bracelet, lui écrivit-il, pour refaire à neuf la partie nord de la mosquée. C’est un bien hallal, pur. L’émir mon père fit, faire ce bijou avec l’argent, que Dieu lui avait dispensé sur le cinquième du butin remporté sur les Chrétiens en Andalousie, et en fit présent à ma mère, dont j’ai hérité. Puis-je en faire un meilleur usage que de le consacrer à la mosquée bénie ?» (Que le Dieu très-haut les récompense tous trois !) Le mur du nord fut donc refait à neuf avec le produit de ce bracelet, depuis le Bab el-Hafat jusqu’à la petite chapelle des femmes. La grande skayah (réservoir, bassin) fut construite sous le fekhy, l’imam vertueux, intègre et modeste, le béni Abou Mohammed Ychekour

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    (que Dieu le .protége !), et aux frais du cheïkh Aby Amran Moussa ben Abd Allah ben Sydâf. Ce cheïkh, qui était fort riche, avait quitté le Djebel Beny Bezgha, son pays, et s’était fixé à Fès, où il s’était lié avec le fekhy Abou Mohammed Ychekour. «J’ai beaucoup de biens, lui dit-il un jour, et je dési­ rerais l’employer à quelque œuvre utile à la mosquée sacrée ; mes richesses sont hallal et pures, j’en ai hérité de mon père, auquel mon grand-père les avait laissées ; jamais elles n’ont servi à faire le commerce ; mes aïeux les ont amassées du produit de leurs terres et de leurs troupeaux.» Mais le fekhy Abou Mohammed Ychekour, ne s’en tenant pas à ces paroles, refusa son offre et lui déclara d’abord qu’il ne permettrait pas, qu’un seul drahem de ces biens fût employé à la mosquée. Pourtant Aby Amrana l’ayant supplié encore de lui laisser au iinoins construire une skayah et un dar loudhou (réservoir et lieux aux ablutions) pour le service des fidèles, à côté de la mosquée, le fekhy ne put le lui refuser, mais, il exigea qu’il prêtât serment, et, lorsque, dans la mosquée, au milieu du mîhrab, une main star le Livre, il eut juré que ses biens étaient purs et hallal, qu’ils provenaient de l’héritage de ses pères, et que, jamais ils n’avaient servi à faire le commerce, Il lui dit : «A présent, Aby Amram, tu peux employer tes richesses à une bonne œuvre: construis la skayah ; Dieu très-haut le récompensera !» Aby Amram acheta donc le terrain du dar loudhou qui est situé vis­ à-vis le Bab el-Hafat, et après l’avoir soigneusement nivelé, if fit ses cons­ tructions, qui furent achevées dans les premiers jours du mois de safar, an 576 (1120 J. C.). De son côté, le fekhy Abou Mohammed Ychekour écrivit à l’émir des Musulmans pour lui faire part de cette affaire et pour lui deman­ der, en même temps, l’autorisation de faire arriver l’eau à ce nouveau réser­ voir. L’émir lui ayant répondu de prendre toute l’eau qu’il voudrait, dût-elle passer à travers la ville, il rassembla les hommes de l’art, les maçons et les principaux habitants, et leur ordonna de désigner le lieu d’où l’on pour­ rait titrer cette eau. Leur choir. tomba sur Aïn el-Debâghin (fontaine des tanneurs) ; mais il ne convint pas au fekhy Abou Mohammed, qui objecta que les eaux de cette fontaine étaient corrompues par les tanneries dont elle recevait toutes les immondices, et, sur son refus, on désigna la magni­ fique fontaine nommée Aïn Khoumâl, située au dehors des tanneries, dans une fabrique de teinture. Aby Amram acheta cette fabrique et la paya le double de sa valeur à cause de ladite fontaine. La source est située dans une chambre souterraine semblable à une salle de bains, où l’eau jaillit en deux endroits à travers un rocher. Cette eau, bien que difficile à digérer, est pure et douce. Aby Amram l’amena, au moyen d’un canal, dans un bassin situé à côté de ladite chambre ; de là il établit, une conduite eu plomb qui passe à travers la montée du Souk el-Doukhan, suit le karsthoun au sud de la mos­ quée El-Cheurfà, traverse les bazars, le marché El-Hararyn (des soyers), la

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    place El-Khezâzyn (marchands d’étoffes), et aboutit au bassin en plomb situé devant la dernière boutique des mouthekyn (notaires) qui est attenante à la mosquée El-Kairaouyn. De ce bassin l’eau passe dans une citerne carrée doublée de plomb, d’où enfin elle se répand en quantité suffisante à chaque endroit, dans les skayah, à l’ancien jet d’eau, au Bab el-Hafat, dans les chambres du dar loudhou et dans le grand bassin de la fenêtre à grillage. Le dar loudhou (lieux d’aisances), est pavé en marbre et, contient quinze cabinets qui reçoivent l’eau chacun en même temps. Au milieu du beydhat (chambre aux ablutions) est construite une large pile au centre de laquelle s’élève un tuyau de cuivre d’où l’eau jaillit par plusieurs robinets. Tout cela est d’un travail fini et d’une remarquable élégance. Le beydhat est surmonté d’une magnifique coupole en plâtre, incrustée d’azur et d’autres couleurs diverses ; il fait face au Bab, el-Hafat. A, côté de cette porte, qui est moins haute que large, et par laquelle lai foule entre et sort le plus, se trouve un petit bassin en cuivre, d’où l’eau retombe sur des dalles de marbre blanc, vert et rouge, pour le service de ceux qui vont pieds nus ; toutes les autres portes d’entrée furent pavées en marbre jusqu’à la cour par le khathib Abou Abd Allah Mohammed ben Aby Sbor; avant lui elles étaient pavées en briques, comme la cour. A côté du Bal et-Hafat est située l’ancienne skayah, construite par Abd el-Melek el-Moudhafar. Les fidèles, y font aussi leurs ablutions, et quelques-uns y viennent puiser l’eau qui leur est nécessaire. Au sortir de cette skayah, les eaux forment un ruisseau où les ouvriers prennent l’eau dont ils ont besoin et où les écoliers vont jouer et se baigner.

    HISTOIRE DES KHATHEB(1) (PRÉDICATEURS) DE LA MOSQUÉE EL-KAIRAOUYN, SOUS LE RÈGNE DES ALMOHADES ET SOUS CELUI DES MERYN, DESCENDANTS D’ABD EL-HAKK. QUE DIEU PROLONGE LEURS JOURS ET ÉTERNISE LEUR GOUVERNEMENT !

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    L’auteur du livre a dit : Le premier khathib qui prêcha dans la chaire d’ElKairaouyn, construite par Abou Mohammed Abd el-Hakk ben Mahycha fut le

    ____________________ 1 Les fonctions d’imam et de khathîb sont très-simples ; ces prêtres président à la prière, la commencent à haute voix aux heures où les musulmans se rendent à la mosquée, et veillent au maintien de l’ordre. Les plus anciens ou les plus habiles remplis­ sent un rôle analogue à celui de nos prédicateurs : ce sont les khatheb. Chaque vendredi, à l’heure de midi,. ils montent eu chaire et prononcent ce que l’on appelle le khotbah, sermon, espèce de prône qui doit renfermer la louange de Dieu, celle du prophète et une formule ou acclamation en faveur du sultan et pour la longue durée de son règne. Cet usage date de l’époque des premiers khalifes d’orient, qui l’avaient institué, en leur nom, dans leurs états et dans ceux qui reconnaissaient leur suzeraineté. Plus tard, et après l’extinction de la race des Abbassides, chaque prince mahométan fit faire cette prière, véritable Domine salvum, pour son propre compte et en son nom seul, ce qui s’observe

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    kady, le fekhy, vertueux et intègre Abou Mohammed Mehdy ben Ayssa. Homme de bien et grand orateur, il avait la parole facile, claire et persuasive. Chaque vendredi il prononçait un nouveau sermon, cependant il ne conserva ses fonctions que pendant cinq mois, et il fut remplacé, à l’arrivée des Almo­ hades, par le docte et vertueux Abou el-Hassem ben Athya, qui avait l’avan­ tage de parler le berbère. Celui-ci prêcha pour la première fois, le premier vendredi du mois de djoumad el-aouel, an 540, et demeura khathîb de la mosquée jusqu’au jour de sa mort, le samedi 8 du mois dou’1 kaada, an 558. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Le fekhy Abou Mohammed Ychekour el-Djeroury lui succéda. C’était un des cheïkhs du Maghreb en religion, en bienfaisance et en générosité ; fort riche et possédant dans son pays d’im­ menses troupeaux et de nombreuses bêtes de somme dont il avait hérité de son père, il s’était adonné aux belles-lettres et à l’étude des sciences. Toute­ fois il ne parlait qu’un berbère si inintelligible qu’il ne lui fut pas possible de faire le khotbah ; conservant les fonctions d’imam, il confia celles de khathib à Abou Abd Allah Mohammed ben Hassen ben Zyad Allah el-Mezly, qui les remplit jusqu’au jour de sa mort, le mercredi 23 djoumad el-aouel, an 572. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Il fut remplacé par le fekhy Abou el-Kassen Abd er-Rahman ben Houmyd, également désigné par Mohammed Ychekour, lequel exerça pendant quarante ans les fonctions d’imam de la mosquée El-Kairaouyn, et n’oublia pas une seule fois de remplir ses devoirs religieux, tant son cœur était dégagé de toute antre pensée. Le khathîb Abou el-Kassem mourut le mardi 14 ramadhan le grand, an 581, et eut pour suc­ cesseur le fekhy Abou Amram Moussa el-Maâlim (le maître) qui tenait une école sur le point d’Aby Raous. El-Maâlim avait la parole si touchante que tous ceux qui lui entendaient réciter le Koran ne pouvaient retenir leurs

    encore aujourd’hui non-seulement au Maroc, mais en Turquie, en Perse et chez plusieurs peuples de l’Asie centrale. Le khatbîh, lorsqu’il prend la parole, tient en main un bâton, en guise d’épée, insigne d’une religion dont l’esprit dominant a été la conquête et est encore aujourd’hui l’intolérance. Quelquefois il arrive que le sermon se borne à la lecture d’une sentence impériale ou d’un ordre relatif à quelque affaire de douane ou d’administration. Qu’il s’agisse, par exemple, d’une levée d’hommes ou d’impôts, et les fidèles manqueront de voix pour le vivat de l’empereur. Mais il est des circonstances. rares il est vrai, surtout dans les temps modernes, où le khathîb soulève d’un mot un enthousiasme frénétique, c’est lorsqu’il s’agit de faire appel à la guerre sainte contre les Chrétiens. A la lecture solennelle du chapitre VIII* du Koran, intitulé le Butin, succèdent, suivant les circons­ tances et les localités, des commentaires qui peuvent émaner d’ordres supérieurs, comme cela s’est pratiqué en 1846, ou bien, comme on l’a vu souvent en Algérie, n’être dictés que par le fanatisme de simples marabouts. * C’est sur le 63e verset de ce chapitre, «S’ils inclinent à la paix (les infidèles), tu t’y prêteras aussi et tu mettras ta confiance en Dieu, car il entend et sait tout,» que s’est appuyé Moulaï Abd el-Rahman, en t 1844, pour se disculper aux yeux des bons musulmans d’avoir traité avec la France.

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    larmes. En recevant l’ordre qui lui conférerait les fonctions de khathîb il fut saisi d’étonnement et de crainte «O mon Dieu ! s’écria-t-il, en sanglotant, ne me couvrez pas de, confusion au milieu de vos serviteurs, ô Seigneur clé­ ment et miséricordieux !» Le lendemain, jeudi, il s’en alla dans les zaouias et se mit à visiter les tombeaux des Justes en pleurant et en priant ; le soir il se retira dans urne chapelle oie se trouvaient plusieurs personnes, et passa toute la nuit en larmes à invoquer le Très-Haut et à réciter le Koran. Les assistants émus, pleuraient, de ses pleurs et étaicnt tristes de sa tristesse. Ils firent avec lui la prière du matin. Lorsque le muezzin fit entendre le premier chant du vendredi, El-Maâlim, revêtu de ses plus beaux habits, se rendit, précédé des muezzins, à la mosquée sacrée ; triste et silencieux, il s’assit sur un banc de pierre; puis, au second appel du muezzin, il monta dans la chaire, autour de laquelle le peuple se pressait ; tant que les chiants durèrent, il ne cessa de verser des pleurs ; alors il se leva et lut la prière correctement et sans hésitation, et, s’étant placé sur, le mîhrab, il fit le khotbah avec tant de sagesse et d’éloquence que les assistants ne purent retenir leurs larmes, et chacun, à la fin du sermon, se précipita vers lui pour lui baiser les mains. Moussa el-Mâalim continua, dès lors, à remplir les fonctions de khathîb. Lorsque le kady Abou Abd Allah Mohammed ben Mymoun el-Houary vint à Fès, son premier mot, en entrant en ville, fut pour demander aux habi­ tants quel était le khathîb de la mosquée El-Kairaouyn. «Un saint homme, lui répondit-on ; et après qu’on l’eut nommé, il approuva le, choix. Cepen­ dant le vendredi suivant, étant allé à la prière, il trouva à Moussa el-Maâlim une figure si déplaisante qu’il ne put s’empêcher de dire qu’il était honteux d’avoir conféré une pareille dignité à un tel homme. «Seigneur, lui répliqua quelqu’un, quand vous entendrez son khotbah, vous trouverez sa figure, belle.» Et, en effet, à peine le khathîb eut-i1 prononcé quelques mots que le kady ben Mymoum ne put retenir ses larmes et alla lui demander humble­ ment pardon des paroles qu’il avait dites. Le fekhy Abou Amram Moussa el-Maâlim était d’une grande sensibilité, et d’une modestie qui allait parfois jusqu’à la crainte. A la mort d’Abou Mohammed Ychekour (20 dou’l kaada, an 598), il réunit les fonctions d’imam à celles de khathîb, mais il ne les conserva que pendant trois mois, étant mort lui-même le 20 safar, an 599. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Le fekhy Abou Abd Allah succéda à son père Moussa el-Maâlim. La première fois qu’il monta en chaire il avait à peine dix-huit ans ; mais, aussi beau que sage, il se distinguait déjà par sa bienfaisance, son intégrité et son éloquence. Il n’eut aucune des passions de la jeunesse, et dès sa plus tendre enfance il se livra exclusivement à l’étude des sciences et de la religion. C’est le seul exemple d’un homme jeune et imberbe qui soit monté dans la chaire de la mosquée El-Kairaouyn; ses rares qualités étaient connues de tous ; vertueux, religieux, modeste, sa conduite fut toujours aussi belle que sa figure. Lorsque Moussa el-Maâlim tomba

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    malade, on vint le prier de désigner son fils pour lui succéder au khotbah; mais le vertueux fekhy répondit : «Dieu connaît le bien, et à lui seul il appar­ tient de choisir les serviteurs, de sa maison !» et, quelques jours après il rendit l’âme. Lorsque son corps fut transporté au cimetière et déposé au bord de la tombe, tous les assistants sanglotaient et disaient : «Qui est ce qui pourra réciter les prières sur ce cercueil ? — C’est au fils, répondit le kady, qu’il appartient de rendre les derniers devoir du père !» Et le jeune Abou Mohammed l’ayant pris la parole, récita les prières d’usage et l’on se sépara. Le fils d’El-Maâlim avait ainsi rempli ses premières fonctions d’imam. Le vendredi suivant, il se revêtit des vêtements que, son père portait en chaire, et ayant passé pardessus un burnous blanc dont lui avait fait cadeau Abou Mrouan, il lut le khotbah et récita les prières avec une onction qui étonna les assistants et les remplit d’admiration pour cet enfant si sensible et si craintif encore. L’émir des croyants, Abou Abd Allah el-Nasser étant venu à Fès, désira voir le fekhy Abou Mohammed pour lui offrir quelques cadeaux. Lejeune khathîb s’étant rendu au palais (situé sur le Oued Fès) dans la matinée du mardi, engagea avec l’émir une conversation dans laquelle il fit preuve d’un esprit et d’une éloquence qui plurent fort à ce prince. A l’heure du Douour, l’émir le pria de faire la prière, et lui dit : «Qui est ce qui récitera la prière dans la mosquée aujourd’hui, puisque tu es avec nous ? «— J’ai laissé un remplaçant, qui vaut mieux que moi, répondit le fekhy, c’est le maître qui m’a enseigné à lire le livre, du Dieu que je chéris. Avant de sortir je me suis souvenu du Prophète, et ne sachant pas quand je reviendrais, j’ai prié mon maître de mie remplacer à la Chaire et à la prière, et mon maître est mon seigneur ; car le Prophète (que Dieu le comble de ses bénédictions !) a dît : Celui qui vous enseigne les versets du livre de Dieu très-haut est votre seigneur et maître. Je l’ai donc choisi et tous, m’en ont remercié.» Abou Abd Allalh el-Nasser, ayant congédié le jeune khathîb, le fit suivre d’un serviteur chargé de sept vêtements et d’une bourse contenant mille dinars, mais le fekhy, revenant aussitôt sur ses pas pour le remercier, lui dit : «Ô émir des Croyants ! j’accepte volontiers les sept vêtements que tu m’offres; mais je te rends l’argent, dont je n’ai nul besoin. Je suis copiste habile et mes copies me donnent de quoi vivre. — N’importe, lui répondit l’émir, garde toujours cette somme : elle te servira à te minir de choses utiles. — Ô émir des Croyants garde-toi d’ouvrir pareille porte, Cette somme t’est, plus nécessaire qu’à moi. Tu as des serviteurs et des soldats à payer, des bons Musulmans à secourir et des frontières à défendre.» Et il sortit sans vouloir accepter un seul drahem. Abou Mohammed ben Moussa el-Maâlim remplit les fonctions d’imam et de khathîb jusqu’à sa mort, le dimanche 11 du moi de radjeb l’unique, an 621 (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Pendant sa

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    maladie il choisit pour le remplacer son maître Abou Mohammed Kassem el-Koudhakhy, qui lui avait enseigné la lecture du livre de Dieu chéri. Devenu imam et khathîb, à la mort de son élève, El-Koudhakhy, fut bientôt attaqué par des fekhys et des cheïkhs, qui l’accusèrent d’avoir des rapports avec les femmes par l’entremise de ses écoliers. Le fekhy Abou Mohammed ben el-Nehyry, ayant écrit au prince des croyants pour lui faire part de ce qui se passait, reçut cette réponse de l’émir : «Ce que vous m’écrivez relative­ ment à El-Koudhakhy est impossible, car j’ai moi-même entendu son prédé­ cesseur dire que son Maître valait, mieux que lui ; en conséquence, j’entends que rien ne soit changé. Cependant, lorsque le fekhy Abou Mohammeed Kassem el-Koudhakhy eut connaissance de cette accusation, il abandonna l’école et ne sortit plus de la mosquée, où il vécut retiré dans son apparte­ ment d’imam jusqu’au jeudi 22 ramadhan, an 625. (Que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) A la mort d’El-Koudhakhy, le khotbah passa au fekhy Abou Abd Allah Mohammed ben Abd er-Rahmam el-Chekhaby, homme docte, bien­ faisant, religieux, éloquent et versé dans la connaissance des temps et des astres. C’est durant son imamat qu’arriva du Ksar Ketâma le muezzin Abou el-Hadj Youssef ben Mohammed ben Aly el-Skathy, astronome habile et doué d’une si belle voix, que le kady Ben Amrân lui conféra, en 626, le khotbah dans la mosquée de la Kasbah, dont le Khathîb était malade. ElChekhaby mourut en 629, et fut remplacé par le fekhy vénérable, El-Hadj el-Khathib, auquel succéda, en 635, le cheikh Abou Mohammed Abd elKhaffar, qui céda lui-même ses fonctions au bout de six mois au cheïkh Abou el-Hassan Aly ben el-Hadj, qui mourut en 653. Son successeur, le cheikh, l’imam, le savant, le guerrier saint, le conseiller, le vertueux, l’intè­ gre Abou Abd Allah Mohammed ben el-Cheikh el-Hadj ben el-Hadj Yous­ sef el-Mezdaghy (que Dieu le récompense !) confia le khotbah à son fils, le fekhy Abou el-Kassem, et garda pour lui les fonctions d’imam. Il avait déjà refusé trois fois l’imamat, et, un jour, questionné sur la cause de ces refus, il répondit : «Le cheïkh vertueux et versé dans le Hadits, Abou Der el-Hacheny, qui m’a enseigné à lire le livre de la sagesse, me dit, le jour même de la mort de l’imam Abou Mohammed ben Moussa el-Mâalim, en me regardant d’un regard prolongé : «O Mohammed ! tu deviendras l’émir de la prière dans la mosquée El-Kairaouyn, mais alors la fin de tes jours sera proche !» Cette pensée, qui me revient sans cesse à l’esprit, a été la cause de mes premiers refus.» Le fekhy Abou Abd Allah Mohammed fut remplacé, à sa mort, par le cheïkh, l’imam Abou el-Hassen Aly ben Hamydy ; et son fils Abou el-Kas­ sem céda le Khotbah à Abou Abd’Allah Mohammed ben Zyad el-Medemy ; à leur mort, les cheikhs et les fekhys de la ville élurent pour imam le fekhy

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    tueux et béni, le lecteur du livre dans la mosquée El-Kairaouyn, Abbas Ahmed ben Aly Zrah, et ils confièrent le khotbah au cheïkh vertueux et bien­ faisant, Abou el-Kassem ben Mechouna ; mais soixante et dix jours après ces nominations, il arriva un ordre supérieur de l’émir des Croyants, Abou Youssef, qui conférait le khotbah au fekhy versé dans le Hadits, Abou elKassem el-Mezdekhy, et l’imamat au cheïkh vertueux et juste, Abou Abd Allah Mohammed ben Aby el-Sebrany, qui le céda plus tard au juste, et versé dans le Hadits, Abou el-Abbas, fils du fekhy Aby Abd Allah ben Rachid, le plus docte, le plus saint imam de son époque. L’imam Abou elAbbas ben Rachid se retira au bout de trois ans environ, et fut remplacé par le fekhy Abou el-Kassem el-.Mezdakhy, qui remplit les fonctions d’imam et de khathîb tant que son âge avancé le lui permit, et les céda enfin à son fils, le fekhy vertueux et béni, Abou el-Fadhl. (Que Dieu le conserve par sa toute-bonté ; car Dieu est miséricordieux et bienfaisant !)

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    La mosquée El-Andalous demeura telle qu’elle avait été bâtie jusqu’à l’an 600. A cette époque, l’émir des Croyants Abou Abd Allah el-Nasser donna l’ordre d’y faire toutes les réparations nécessaires. En même temps il fit ouvrir la grande porte du nord, qui donne sur la cour, et fit construire au-dessous un réservoir en marbre rouge, dans lequel l’eau fut amenée du Bab el-Hadid. Le jet d’eau et le bassin de la cour furent faits aux frais de Sid Abou Zakaria, père de khalifes, qui versa entre les mains d’Abou Chama el-Djyachy, directeur des travaux, la somme nécessaire à ces cons­ tructions. Depuis lors, jusqu’en 695, on ne toucha plus à cette mosquée ; à cette époque, Abou Abd Allah ben Mechouna, imam et cheïkh, pria l’émir des Croyants, Abou Yakoub, fils de l’émir des Musulmans, Abou Youssef ben Abd el-Hakk (que Dieu les agrée !), de lui permettre de réparer cet édi­ fice. L’émir l’ayant autorisé, Ben Mechouna refit à neuf tout ce qui était détruit ou endommagé, et dépensa à cela de fortes sommes habous. Le jet d’eau, le bassin, le réservoir et les lieux aux ablutions reçurent leurs eaux de la source du Bab el-Hadid jusqu’à, l’époque de la famine de deux ans, où, tous les canaux ayant été détruits, il fallut puiser à la rivière Mesmouda l’eau nécessaire à la mosquée. Plus tard, l’émir des Musulmans, Abou Thâbet Amer ben Abd Allah, y amena de nouveau l’eau de la fontaine du Bab elHadid, en faisant reconstruire les travaux faits dans le temps par El-Nasser l’Almohade, et dont il ne restait plus que les traces. Ces travaux, semblables aux premiers, furent faits en 707 (1307 J. C.) aux frais du bit el-mal, et sous la direction de l’architecte Abou el-Abbas Ahmed el-Djyâny.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

    CONTINUATION DE L’HISTOIRE DES EDRISSITES HOSSEÏNIENS (QUE DIEU LEUR FASSE MISÉRICORDE !)

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    L’émir Yhya succéda à son père Yhya ben Mohammed ben Edriss ben Edriss, sous le règne duquel la mosquée El-Kairaouyn fut construite. Yhya ben Yhya était un prince de mauvaises mœurs ; il viola dans le bain une jeune fille juive nommée Hanyna, la plus belle femme de l’époque, qui avait résisté à ses offres et à ses prières. Bientôt Abd er-Rahman ben Aby Sahel et-Djedmy se révolta contre le nouvel émir, et forma, avec la femme de Yhya ben Mohammed, le complot de l’assassiner; mais Khateka, fille d’Aly ben Omar et femme de l’émir, ayant découvert leur projet, pressa son mari de passer dans l’Adoua el-Andalous, afin de se soustraire à leurs tentatives ; il n’en eut pas le temps ; il mourut dans la même nuit, de douleur et de remords de s’être attiré, par sa propre faute, la honte et l’opprobre qui le couvraient. Abd er-Rahman ben Aby Sahel prit alors le gouvernement de la ville ; mais Khateka écrivit aussitôt à son père, Aly ben Omar ben Edriss, pour lui faire part de ce qui venait de se passer et de l’usurpation de Ben Aby Sahel. A la réception de ces nouvelles, Aly ben Omar ben Edriss, qui gouvernait le pays des Senhadja, rassembla à la hâte ses soldats et ses gens, et marcha sur Fès. Il entra dans l’Adoua el-Kairaouyn, renversa l’usurpateur et fit reconnaître par les deux Adouas sa souveraineté, qu’il eut bientôt établie et étendue sur tout le Maghreb. C’est ainsi que le pouvoir passa des mains des descendants de Mohammed ben Edriss dans celles des descendants d’Omar ben Edriss, frère de. Mohammed.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM ALY BEN OMAR BEN EDRISS.

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    Aly ben Omar ben Edriss ben el-Hosseïn ben el-Hosseïn ben Aly ben Abou Thaleb (que Dieu les agrée !) fut proclamé souverain de Fès et de tout le Maghreb après la mont de son cousin Yhya ben Yhya. Il conserva le pouvoir jusqu’à l’époque où il fut attaqué par Abd el-Rezak el-Fehery, l’étranger. Celui-ci, étant passé de Ouechka(1) en Andalousie, son pays, dans le Maghreb, vint camper sur le mont Ouablân, situé à une journée et demie de Fès. Accueilli par un grand nombre de Berbères des tribus de Médiouna, de Ghyata et autres, qui l’élurent pour chef, il construisit, sur le mont Sla, dans les terres de Médiouna, un château qu’il appela Ouechka, du nom de sa patrie, et qui existe encore aujourd’hui. Ensuite, ayant fait une descente dans le pays de Sfarya, il s’empara du village de Sfar, dont les habitants augmentè­ rent le nombre de ses soldats, et alors, revenant sur ses pas, il marcha sur Fès. A son approche, l’émir Aly ben Omar, ben Edriss sortit de la ville avec une forte armée et lui livra bataille. Le combat fut sanglant, mais la victoire resta

    1 Huesca.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    à Abd el-Rezak, et l’émir, voyant la plus grande partie de son armée détruite, prit la fuite et se retira dans le pays de Ouaraba. Abd el-Rezak entra à Fès et s’établit dans l’Adoua el-Andalous, où les khotbah furent faits en son nom. Toutefois il ne put se faire reconnaître par les habitants de l’Adoua el-Kairaouyn qui, ayant envoyé chercher Yhya ben el-Kassem ben Edriss, surnommé el-Mekadem (le chef), le proclamèrent émir et le mirent à leur tête. Celui-ci, ayant attaqué Abd el-Rezak, le défit et le chassa de l’Adoua elAndalous, où sa souveraineté fut aussitôt reconnue et par les indigènes et par les étrangers andalous qui l’habitaient. L’émir Yhya ben el-Kassem confia le gouvernement de l’Adoua el-Andalous à un préfet nommé Thalabah ben Mehârib ben Abd Allah, de la tribu de Azdy, du pays de Rebath et descen­ dant de Mehhaleb ben Aby Sfrah. Thalabah fut remplacé à sa mort par son fils AbdAllah, surnommé Abboud, également nommé par l’émir Yhya, et auquel succéda son fils Mehârib ben Abboud ben Thalabah.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YHYA BEN EL-KASSEM BEN EDRISS EL-HOSSEÏN, SURNOMMÉ EL-MEKADEM (LE CHEF).

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    L’émir Yhya ben. El-Kassem fut proclamé souverain de Fès après la fuite de son cousin Aly ben Omar, et après avoir chassé Abd el-Rezak de l’Adoua el-Andalous, dont il confia le gouvernement à son préfet Thalabah ben Mehârib. Ce prince se mit immédiatement en expédition pour aller châ­ tier les gens du pays de Sfarya contre lesquels il eut à soutenir de grands combats et de sanglants massacres. D’ailleurs, il gouverna heureusement jusqu’en 292, époque à laquelle il fut assassiné par Rébi ben Soléïman.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YHYA BEN EDRISS BEN OMAR BEN EDRISS.

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    Yhya ben Edriss ben Omar ben Edriss, l’Hosseïnien, succéda à son cousin germain Yhya ben el-Kassem el-Mekadem ; il fut proclamé émir par les deux Adouas, et son nom fut placé dans tous les khotbah du Maghreb. Il distribua les commandements des provinces aux descendants d’Omar, et fut le plus grand et le plus illustre des Edrissites après Edriss ben Edriss. Aucun ne fut si instruit, si bien élevé, si puissant, et n’eut une domination aussi étendue. Docteur en loi et versé dans le Hadits, il parlait l’arabe pur, et il fut juste et religieux. Il gouverna tranquillement jusqu’en 305, où il lut atta­ qué par Messala ben Habous el-Mekenèsy, kaïd d’Obeïd Allah el-Chyay(l), qui régnait alors à Kayrouan. A l’approche de ce général, l’émir Yhya

    1 Obeid Allah el-Chyay on Chyi, fondateur de la dynastie des Fathimites, en Afri­ que, appelée aussi des Obeïdites ou des lsmaëliens. Obeïd Allah surgit de Sidjilmessa en 296 ou 298 de l’hégire, refaisant appeler El-Mehdy, le directeur, et se disant annoncé par ces paroles de Mahomet : Vers l’an 300 le soleil se lèvera du côté de l’occident.» (D’Herbelot.)

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    sortit de la ville avec ses troupes ; mais il fut battu et forcé de rentrer à Fès, où il se renferma. Assiégé par Messala, il fut bientôt obligé de capituler et de se soumettre aux conditions du vainqueur, qui exigea de fortes sommes, et une déclaration écrite par laquelle l’émir se reconnaissait dépendant d’Abd Allah el-Chyay, souverain de l’Ifrîkya. Messala retourna alors à Kayrouan, laissant la surveillance du Maghreb à Moussa ben Aby el-Afya, maître de Tsoul et du pays de Taza qui, à son arrivée, était venu au-devant de lui avec des présents, l’avait bien accueilli dans ses états et avait pris part à la guerre qu’il venait de faire dans le Maghreb. Moussa ben Aby el-Afya, enorgueilli parle succès, chercha bientôt à faire prévaloir son autorité dans le Maghreb; mais il ne put l’emporter sur Yhya ben Edriss, l’Hosseïnien, qui avait pour lui noblesse, générosité, religion, justice, et qui contrecarrait aisément tous ses plans. Moussa était dévoré de colère et d’envie; aussi, en 309, lorsque le kaïd Messala passa pour la seconde fois dans le, Maghreb, lui adressa-t-il les plus vives instances pour qu’il s’emparât de la personne de l’émir de Fès, tant qu’enfin ce général, excité et poussé à bout par, ses supplication réitérées, condescendit à ses désirs et marcha sur Fès. A son approche, l’émir Yhya sortit avec l’élite de ses soldats pour le recevoir ; mais à peine arrivé, il fut arrêté et couvert de chaînes. Messala entra à Fès précédé de son prisonnier, monté sur un chameau ; puis, à force de mauvais traitements, il se fit livrer tous les biens et les trésors cachés du malheureux Yhya, et, lorsqu’il n’eut plus rien à attendre de ses révélations, il lui ôta ses chaînes et l’exila dans la ville d’Asila, nu et manquant de tout. L’émir Yhya passa quelque temps chez son cousin, où la pitié de ses amis lui prodiguait des secours. Bientôt, ne pouvant plus se résigner à accepter ces aumônes, il partit pour passer en Ifrîkya ; mais, arrêté en route par Moussa, il fut jeté dans les prisons de la ville de Mekenès, où il demeura très-longtemps avant de recouvrer sa liberté. Tel fut pourtant l’effet de la colère paternelle. Un jouir, Omar ben Edriss, son père, s’étant fâché, avait appelé sur lui la douleur; la misère et la honte; et, en effet, le malheureux Yhya resta près de vingt ans dans les prisons de Ben el-Afya. Lorsqu’il en sortit, il ne trouva d’autre refuge que la ville de Mehdïa, dont le peuple était en révolte, et il mourut de faim au commencement de l’année 332 (943 J. C.), pendant qu’Abolu Zyd Moukl­ halid ben Keïdâd , le Zenèta, assiégeait cette ville. Messala conserva le gouvernement de Fès et des pays circonvoisins pendant environ trois ans, sous le commandement de son préfet, Ryhan, qui fut, chassé par El-Hassen ben Mohammed ben el-Kassem ben Edriss el-Hosseïn.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR EL-HASSEN BEN MOHAMMED BEN ELKASSEM BEN EDRISS EL-HOSSEÏN, SURNOMMÉ EL-HADJEM (LE CHIRURGIEN, LE BARBIER, LE PHLÉBOTOMISTE).

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    L’émir El-Hassen ben Mohammed ben el-Kassem ben Edriss fut sur­ nommé El-Hadjem parce que, dans un grand combat qu’il soutint contre son oncle Ahmed ben el-Kassem, il frappait les cavaliers ennemis justement au mehadjem (endroit du cou où s’appliquent les ventouses) ; ce que voyant, Ahmed s’était écrié : «Décidément mon neveu est hadjem.» Le surnom lui resta, et, c’est ce qui lui fit un jour répondre à quelqu’un ce vers : «On m’ap­ pelle Hadjem, mais je ne suis point hadjem, bien que je ne manque jamais le mehadjem de mes ennemis.» L’an 310 (922 J. C.), l’émir el-Hassen entra secrètement à Fès avec quelques hommes, et peu de jours après il se fit proclamer souverain, à l’insu du gouverneur Ryhan el-Mekenèsy, qui prit la fuite ; il fut reconnu par un grand nombre de tribus berbères, et étendit sa domination sur les villes, de Louata, Sefra, Médiouna, les deux Mekenès, Basra, et sur la plus grande partie du Maghreb. En 311, il se mit en expédition pour aller atta­ quer Moussa ben Aby el-Afya, auquel il livra bataille à Fahs el-Dhad, sur les bords de l’Oued el-Methahen(1). Ce fut le plus grand combat qui eut lieu. sous les Edrissites ; 2,300 soldats de Moussa restèrent sur le champ de bataille, et de leur nombre était Sahel, fils de ce général. L’émir El-Hassen ne perdit environ que 600 hommes, mais, en retournant à Fès, il eut l’im­ prudence de devancer son escorte et de rentrer seul en ville. En le voyant arriver ainsi, le kaïd Hamed ben Hamdan el-Hemdany el-Ouaraby, qui était d’origine africaine, saisit l’occasion, et fit fermer les portes de la ville à la face de l’armée qui arrivait. Ayant attendu la nuit, il se rendit chez l’émir, le chargea de chaînes et l’emmena prisonnier dans sa maison ; puis il expédia un courrier à Moussa ben Aby, el-Afya pour lui annoncer ce qu’il venait, de faire et l’engager à venir prendre le gouvernement de Fès. Moussa arriva en toute hâte, entra dans l’Adoua el-Kairaouyn, et fut bientôt maître de l’Adoua el-Andalous. Une fois souverain de Fès, Moussa dit à Hamed ben Hamdan : «Livre-moi El-Hassen afin que par sa mort je compense la perte de mon fils.» Mais Hamed frémit à cette demande, car il n’était pas assez criminel pour faire verser le sang de la famille pair excellence. Il cacha encore plus soigneusement son prisonnier, et, à la faveur de la nuit, il alla le trouver, rompit ses fers et le fit échapper par-dessus les murs de la ville. Le malheu­ reux El-Hassen,, faute d’une corde, dût sauter de fort haut et se cassa la jambe ; cependant il parvint à se traîner jusqu’à l’Adoua el-Andalous, où il mourut après y être demeuré caché pendant trois jours.

    ____________________ 1 Oued el-Methahen : rivière des moulins, entre Fès et Taza.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    En apprenant cette fuite, Moussa ben Aby el-Afya, oubliant, que c’était à Hamed ben Hamdan qu’il devait le gouvernement de Fès, résolut de le faire périr à la place de Hassen el-Hadjem ; mais il n’en eut pas le temps, Hamed ben Hamdan avait pris la fuite pour la Mehdïa. Le règne de l’émir El-Hassen dit El-Hadjem avait duré environ deux années.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE MOUSSA BEN ABY EL-AFYA, ÉMIR DE FÈS ET D’UNE GRANDE PARTIE DU MAGHREB.

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    L’émir Moussa ben Aby el-Afya ben Aby Bacel ben Aby el-Dhahak ben Medjoul ben Feradys ben Feradys ben Ouanif ben Meknas ben Sethif elMekenèsy émir des Mekenèsa, se rendit maître de Fès en 313 (953 J. C.), et étendit successivement sa domination sur les villes de Taza, Tsoul, El-Kou­ tany, Tanger, El-Basra et sur une grande partie des provinces du Maghreb. A peine les habitants de Fès eurent reconnu sa souveraineté, il s’éleva entre lui et Hamed ben Hamdan une forte querelle au sujet de l’émir Hassen; et, comme nous l’avons raconté, Hamed ben Hamdan, déjà accablé de remords, n’ayant pu consentir à livrer l’émir, ne dut son salut qu’à la fuite. Bientôt Moussa, proclamé émir par tous les cheïkhs et les Kabyles du Maghreb, se mit à la tête de ses troupes pour chasser les Edrissites de leur pays; et, à mesure qu’il les renvoyait impitoyablement de leurs demeures, il s’empara des villes de Asîla, de Chella et de quelques autres points que ces mal­ heureux princes avaient conservés. Vaincus, subjugués, poursuivis, les des­ cendants d’Edriss se réfugièrent tous ensemble dans la citadelle d’Hadjer el-Nser (Alhucema), place forte et inexpugnable. (Mohammed ben Ibrahim ben Mohammed ben El-Kassem dit, dans son histoire, qu’à cette époque les Edrissites disparurent dans un nuage(1)). Moussa ben Aby el-Afya vint aussi­ tôt mettre le siége devant Hadjer el-Nser avec l’intention manifeste d’anéan­ tir la race des Edrissites. Mais les cheïkhs et les principaux du Maghreb qui l’accompagnaient l’en empêchèrent : «Comment, lui dirent-ils, vous voulez enlever à notre pays jusqu’au dernier rejeton de la famille du prophète ! Vous voulez exterminer cette race bénie ! cela ne sera pas, et, non-seulement nous ne vous aiderons point, mais nous nous y opposerons par tous nos moyens.» Moussa, honteux de ces justes reproches, leva le siège et retourna à Fès, en laissant toutefois un de ses kaïds, Abou el-Fath de Tsoul, avec 1,000 cavaliers pour bloquer et gouverner les derniers descendants d’Edriss. Ces événements s’accomplirent en 317 . Moussa, émir de Fès, gou­ verna tranquillement jusqu’en 320, époque de la venue, dans le Maghreb, de Hamid ben Sahel, kaïd d’Obeïd Allah el-Chyay, émir de Mehdïa, qui arriva

    ____________________ 1 Image : la forteresse de Hadjer el-Nser (rocher de l’aigle) est située sur le sommet d’un mont souvent enveloppé de nuages.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    à la tête d’une grande armée avec Hamed ben Hamdan el-Hemdany. Voici pourquoi : A son retour de Hadjer el-Nser, Moussa était reste quelque temps à Fès, et, pendant son séjour, il avait fait périr Abd Allah ben Thalabah ben Mhârib ben Abboud, gouverneur de l’Adoua el-Andalous, et avait nommé à sa place Mohammed ben Thalabah, frère d’Abd Allah, qui, destitué à sont tour, avait été remplacé par Taoual ben Aby Yezy ; d’un autre côté, il avait confié l’Adoua el-Kairaouyn à Moudyn, son propre fils. Alors il s’était mis en marche et s’était porté sur Tlemcen, qui était encore au pouvoir d’un descendant d’Edriss, nommé Hassen ben Abou el-Aïch ben Edriss, lequel, ayant fait aussitôt sa soumission, se retira, en 319, à Melilia, une des îles de la Moulouia, abandonnant à Moussa Tlemcen et ses dépendances. Un an après, au mois de châaban 320, Moussa s’était emparé de la ville de Tekrour et de tout le pays environnant ; et alors, comme roi de Fès, de Tlemcen et de Tekrour, il avait envoyé sa soumission à l’émir de l’Andalousie, Abd erRahman el-Nasser Ledyn Illah, au nom duquel il fit faire les khotbahs dans tous ses états. Ce fut, en apprenant cette dernière nouvelle, qu’Obeid Allah elChyhy, régnant à Mehdïa, se décida à envoyer dans le Maghreb son kaïd Hamid, à la tête de dix mille cavaliers. Ce général, ayant rencontré Moussa à Fahs-Mysour, lui livra bataille. Le combat fut sanglant, mais sans résultat. Alors Hamid; ayant attendu la nuit, tomba sur le camp ennemi et le défit entièrement. Moussa prit la, fuite et se retira avec le reste de ses soldats à Aïn Ashak dans le pays de Tsoul. Après ce succès, le kaïd Hamid marcha sur Fès, dont il s’empara sans coup férir, et dont le gouverneur, Moudyn, fils de Moussa, avait pris la fuite à son approche. Le kaïd Hamid confia le gou­ vernement de ses conquêtes à Hamed ben Hamdan el-Hemdany et retourna en Ifirîkya. Quand les Edrissites, réfugiés à Hadjer el-Nser, apprirent la défaite de Moussa, la fuite de Moudyn, et que Fès était, au pouvoir de Hamed ben Hamdan, ils se soulevèrent contre le kaïd Abou el-Fath, le chassèrent et dis­ persèrent ses soldats. Ceci eut lieu l’an 321. Cependant Hamed ben Hamdan ne conserva pas longtemps le com­ mandement de Fès. Attaqué par Ahmed ben Aby Beker Abd er-Rahman ben Sahel, kaïd de Moussa, il fut défait et resta aux mains du vainqueur, qui envoya sa tête et son enfant à Moussa. ben Aby e1-Afya, lequel les adressa en hommage à l’émir des Musulmans, El-Nasser Ledyn Illah à Cordoue. Ahmed ben Aby-Beker gouverna la ville de Fès, au nom de Moussa. ben Aby el-Afya, jusqu’en l’an 323 (934 J. C.) ; à cette époque il fut atta­ qué, à son tour, par Mysour el-Fetah, kaïd d’Aby el-Kassem el-Chyly, qui, étant passé dans le Maghreb pour tirer vengeance de la mort d’Obeïd Allah

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    el-Fehery, père d’Aby el-Kassem, vint mettre le siége devant Fès. Ahmed se défendit aussi longtemps qu’il put ; mais, n’ayant pu lasser îles assiégeants, il se décida à faire sa soumission, sortit de la ville avec de riches présents qu’il vit déposer aux pieds de Mysour. Celui-ci accepta les présents, puis aussitôt il le fit prendre, le chargea de chaînes et l’envoya à la Mehdïa. A la vue de cette trahison, les gens de Fès fermèrent de nouveau les portes de leur ville et continuèrent de soutenir le siége, sous le commandement de Hassen ben el-Kassem el-Louaty, qu’ils élurent gouverneur. Pendant six mois encore tous les efforts de Mysour furent vains. Voyant qu’il ne faisait pas le moindre progrès, il se décida, à, son tour, à parlementer avec les assié­ gés, et leur accorda la paix moyennant, six mille dinars et quelques provi­ sions. De plus, il se fit donner par écrit acte de leur soumission à l’émir des Musulmans, Aby el-Kassem el-Chyhy, leur enjoignit de frapper la monnaie au nom de ce prince, et de faire dire le khotbah pour lui dans toutes les chai­ res. Ces points étant réglés, Mysour leva le siége et se porta contre Moussa ben Aby el-Afya, l’atteignit, et lui livra un sanglant combat dans lequel les descendants d’Edriss se battirent avec un courage acharné. Moussa fut vaincu et s’enfuit au Sahara, poursuivi par les vainqueurs. A cette époque, les Edrissites, quoique placés sous le commandement de Aby el-Kassem, possédaient déjà plus de biens que n’en avait Ben Aby el-Afya lui-même; aussi Moussa, n’osant plus se hasarder, continua à errer dans le Sahara et dans le pays qu’il avait pu conserver sous sa domination, c’est-à-dire depuis Aghersyf jusqu’à Tekrour, et, mourut enfin, en 341, dans les environs de la Moulouïa. Selon El-Bernoussy, Moussa ben Aby el-Afya serait mort en 328, et aurait eu pour successeur son fils Ibrahim, mort en 335, auquel aurait succédé Abd Allah, son fils, mort en 360, auquel enfin aurait succédé Mohammed, son fils, avec lequel s’éteignit, en 363, la dynas­ tie des Beni El-Afya de Mekenèsa. Quelques historiens rapportent encore que ce dernier prince, Mohammed, eut pour successeur son fils El-Kassem ben Mohammed, l’ennemi des Lemtouna, contre lesquels il aurait fait une guerre acharnée, et qui aurait enfin succombé sous les coups de Youssef ben Tachefyn, qui se serait. emparé de tous ses états et aurait ainsi anéanti la race des Beni el-Afya. Suivant ce récit, la dynastie des Beni el-Afya aurait régné cent quarante ans, de 305 à 445, c’est-à-dire depuis le commencement du règne d’Abd er-Rahman el-Nasser Ledyn Illah, jusqu’à la domination des Lemtouna. Le kaïd Mysour, après avoir accordé la paix au peuple de Fès, en laissa :le-commandement à Hassen ben el-Kassem, qui gouverna cette ville pendant dix-huit ans, de 323 à 341, époque à laquelle il céda volontairement la place à Ahmed ben Aby-Beker, revenu de Mehdïa. Aben el-Ban, dans son histoire intitulée Djellan el-Dhân, rapporte que, lorsque Moussa, chassé par

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    le kaïd Mysour, eut pris la fuite, le gouvernement du Maghreb passa aux enfants de Mohammed ben el-Kassern ben Edriss el-Hosseïn, Kennoun et Ibrahim, frères utérins ; l’aîné, Kennoun, prit le premier le gouvernement.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR KENNOUN.

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    Le vrai nom de l’émir Kennoun était Kassem ben, Mohammed ben el-kassem ben Edriss ben Edriss l’Hosseïnien. Il régna sur tout le Maghreb, à l’exception de la ville de Fès, et tint sa cour à Hadjer el-Nser, où il mourut en 337, laissant pour successeur son fils Abou el-Aïch Ahmed ben Kennoun.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU EL-AÏCH AHMED, BEN EL-KASSEM KENNOUN.

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    Ce prince était très-savant, versé dans l’étude des lois et des sciences abstraites. Il savait l’histoire des souverains et l’histoire des peuples; il con­ naissait les origines des tribus du Maghreb et des Berbères ; prudent, cons­ tant, éloquent, vertueux, généreux, on le distingua des autres descendants d’Edriss en joignant à son nous l’épithète El-Fadhl (le vertueux). Partisan des Mérouan, il avait choisi son entourage parmi les descen­ dants de ce prince, et, lorsqu’il succéda à son père, il secoua le joug des Obéïdes pour se placer sous la souveraineté d’Abd Allah el-Nasser Ledyn Illah, khalife d’Espagne, au nom duquel il fit faire le khotbah dans tous ses états. El-Nasser lui ayant répondu qu’il n’acceptait sa soumission que, si les villes de Tanger et de Ceuta lui étaient livrées, Abou el Aïch repoussa cette condition, et El-Nasser envoya un corps d’armée contre lui qui le battit et le força à consentir à la cession demandée des places de Tanger et de Ceuta. Ce prince, ses frères et ses cousins Edrissites fixèrent alors leur résidence à Basra et à Asîla, et demeurèrent vassaux de l’émir de Cordoue, tandis que les généraux d’El-Nasser, à la tête de nombreux soldats de l’Andalousie, continuaient à faire la conquête de l’Adoua, en faisant périr ceux qui résis­ taient, en accueillant avec bienveillance ceux qui se soumettaient, se servant des uns pour combattre les autres, et soutenant ceux qui envoyaient à l’émir El-Nasser des contributions d’hommes et d’argent; c’est ainsi que l’émir de l’Andalousie parvint à s’emparer de la plus grande partie du Maghreb, et maintint sous sa domination un grand nombre des tribus Zenèta et autres Berbères. Les khotbahs furent prononcés en son nom dans toutes les chaires, depuis Tanger jusqu’à Teheret, à l’exception de celles de Sidjilmessa, qui était, gouvernée à cette époque par Menâder le Berbère. Les habitants de Fès, suivant, l’exemple des autres, proclamèrent éga­ lement la souveraineté de. l’émir El-Nasser, qui confia alors le gouvernement

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    de toute l’Adoua à Mohammed ben el-Kheyr ben Mohammed el-Yfrany elZenèty, qui fut le plus fort et le plus puissant des rois Zenèta, respectant et louant sincèrement les émirs Ommyades, parce que Othman ben Offan s’étant attaché à son aïeul Harb ben Has ben Soullat ben Ourhan el-Yfrany, lui avait fait embrasser l’islamisme, et lui avait, donné le gouvernement des Zenèta. Aussi l’amitié et les bons rapports ne cessèrent jamais entre ses suc­ cesseurs et les Ommyades. Mohammed ben el-Kheyr devint donc émir de Fès ; il resta environ un an dans cette capitale, et il vit sortit pour passer en Andalousie faire la guerre sainte contre les Chrétiens, laissant le gouvernement de 1a ville à son cousin, Ahmed ben Aby-Beker ben Ahmed ben Othman ben Saïd elZenèta, qui bâtit le minaret de la mosquée El-Kairaouyn, en l’an 344. En 347, l’émir El-Nasser donna le gouvernement de Tanger et dépendances à Yaly ben Mohammed el-Yfrany, qui vint alors s’établir dans ce pays avec sa tribu des Yfran. Lorsque Abou el-Aïch vit que El-Nasser avait conquis l’Adoua, il lui écrivit à Cordoue pour lui demander l’autorisation de venir faire la guerre sainte ; l’émir El-Nasser accéda à sa prière, et ordonna qu’on lui bâtit des forts à toutes ses étapes, depuis Algérisas jusqu’à la frontière, et qu’on lui fournit, à chaque halte, la nourriture, la boisson et les lits nécessaires, plus mille dinars. Cet ordre fut exécuté sur toute la route comprenant trente étapes, depuis Algérisas jusqu’à la frontière. En partant pour l’Andalousie, Abou el-Aïch avait nommé à sa place son frère, El-Hassen ben Kennoun ; il mourut en combattant les Chrétiens, en l’an 343 (954 J. C.). Que Dieu lui fasse miséricorde !

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR HASSEN BEN KENNOUN.

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    Hassen ben Kennoun ben Mohammed ben el-Kassem ben Edriss elHosseïn fut proclamé émir après le départ de son frère, qui mourut à la guerre sainte. Ben, Kennoun est le dernier des rois Edrissites au Maghreb, et il resta sous la suzeraineté des Mérouan jusqu’à l’époque où Mâdh el-Chyhy; maître de l’Ifrîkya, ayant appris que Nasser avait conquis l’Adoua et soumis à la dynastie des Ommyades les populations berbères et zenèta qui l’habitaient, donna ses pleins pouvoirs à Mehdy ben Ismaël et envoya son kaïd Ismaël Djouhar el-Roumy (le chrétien(1)) à la tête de vingt mille cavaliers, avec ordre de parcourir le Maghreb et de le subjuguer. Djouhar partit de Kairouan en

    ____________________ 1 Djouhar le Chrétien, nom d’un esclave Grec de nation, lequel, ayant été affran­ chi par El-Mansour, khalife des Fathimites en Afrique, s’avança dans les charges militai­ res jusqu’à celle de général d’armée. Ce fut lui qui conquit l’Égypte pour Mouaz Ledyn Illah, et qui lit bâtir la ville du Caire en 358, sous l’horoscope de la planète de Mars, surnommée El-Kaher par les astronomes arabes. (Dr. Herbelot.)

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    347 et marcha sur le Maghreb ; à la nouvelle de son approche, Yaly ben Mohamlhed el-Yfrany, émir des Beni Yfran et lieutenant du khalife El-Nas­ ser Ledyn Illah dans l’Adoua, rassembla les Beni Yfran et les Zenèta et s’avança à la tête d’une nombreuse armée jusqu’aux environs de la ville de Teheret, qui furent le théâtre d’une guerre sanglante entre les deux partis. Enfin le kaïd Djouhar étant parvenu à, corrompre, moyennant. de fortes sommes d’argent, les chefs de la tribu de Ketama, ceux-ci se révoltèrent contre Yaly ben Mohammed, le massacrèrent et envoyèrent sa tête et ses vêtements à Djouhar, qui les récompensa par de riches présents, et envoya ces sanglants trophées à son maître, Mâdh Mouaz ben Ismaël, lequel les fit promener dans les rues de Kairouan. Après la mort de leur prince, les Beni Yfran furent chassés et dispersés, et Yaly fut le dernier émir de cette tribu, quoique quelques-uns des Beni Yfran se fussent ralliés pour nommer Yddou fils d’Yaly ben Mohammed pour succéder à son père. Après ce premier succès, Djouhar se porta sur Sidjilmessa où régnait en ce temps-là Abou Mohammed ben el-Fath el-Kharydjy, plus connu sous le nom de Ouachoul ben Mejmoun ben Medrar el-Safyry, qui prétendait être khalife et se faisait appeler émir des Croyants. Il s’était fait surnommer elChaker Billah (le reconnaissant envers Dieu), et faisait battre monnaie sous ce nom, et cette monnaie, d’ailleurs fort bien frappée, s’appelait chakerya. Malgré cela, Mohammed ben el-Fath était homme de bien, et gouvernait selon la justice et le Sonna, en suivant la doctrine El-Maleky. Djouhar mit le siège devant Sidjilmessa, et après l’avoir de plus en plus resserrée, il y entra les armes à la main, s’empara de Chaker, dispersa ses soldats, fit périr ses compagnons et ses favoris de Safyria, et l’emmena à Fès captif et enchaîné; cela était en l’an 3ûg (g6o J. C.). Djouhar fit le siège de Fès, et après l’avoir bloquée de tous côtés pendant treize jours, il y entra à l’assaut, massacra beaucoup de monde et fit prisonnier l’émir Ahmed ben Aby Beker el-Zenety, qui avait reçu le gouvernement de cette capitale de l’émir El-Nasser, lors­ que celui-ci avait été proclamé par le peuple de Fès. Djouhar fit périr les principaux habitants, s’empara des trésors, détruisit les murailles et lit d’im­ menses ravages ; son entrée à Fès eut lieu dans la matinée du jeudi 20 de ramadhan de l’année 349 ; aussitôt après. Djouhar parcourut le Maghreb, dispersant les chefs et les partisans des Mérouan (Ommyades) ; s’emparant des villes, et chassant devant lui les Zenèta et autres Kabyles qui fuyaient à son approche. C’est ainsi qu’il tint le gouvernement du Maghreb durant trente mois ; il retourna alors auprès de son maître Mâdlh ben Ismaël elObéïdy, pour lui rendre compte de ses exploits au Maghreb où il avait ren­ versé la puissance des Mérouan en faveur des Obéïdes, au nom desquels, les khotbah se prononçaient dans toutes les chaires. Djouhar arriva à la

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    Mehdïa(1), traînant à sa suite Mohammed Abou Beker el-Yfrany, l’émir de Fès et vingt-cinq de ses cheïkhs, et Mohammed ben el-Fath, émir de Sid­ jilmessa, tous emprisonnés dans des cages de bois, hissés sur le dais des chameaux, et coiffés de calottes de vieille bure surmontées de cornes. Ces prisonniers furent d’abord ainsi promenés et exposés sur tous les marchés de Kairouan, et à leur arrivée à Mehdïa ils furent jetés dans des cachots, où ils moururent. L’émir El-Hassen ben Kennoun reconnut la suzeraineté des Fathimites durant, tout le séjour de Djouhar au Maghreb ; mais au départ de celui-ci, à la fin de l’année 349, il se plaça sous celle des Ommyades, non point certes par affection, mais par la crainte qu’ils lui inspiraient, et il leur resta soumis jusqu’à l’arrivée de Belkyn ben Zyry ben Mounâd, le Senhadja, qui passa de l’Ifrîkya au Maghreb pour venger la mort de son père. Belkyn battit les Zenèta et domina tout le Maghreb, où il renversa les Ommyades, dont il fit périr les représentants, et il remplaça tout ce pays sous la suzeraineté de Mâdh ben Ismaël, comme Djouhar l’avait, fait avant lui. A l’arrivée de Belkyn, l’émir Hassen ben Kennoun, qui résidait à Basra, avait été le premier à attaquer les Ommyades, et à secouer leur jou ; aussi El-Hakem el-Moustan­ syr, furieux en apprenant cette défection, expédia aussitôt contre lui son kaïd Mohammed ben el-Kassem, à la tête d’une nombreuse. armée. Ce général partit d’Algérisas et débarqua à Ceuta avec un corps d’armée considérable, dans le mois de raby el-aouel, an 362 (972 J. C.); il se mit immédiatement en marche pour aller attaquer Ben Kennoun et ses Kabyles berbères. Les deux armées se rencontrèrent dans les plaines de Tanger connues sous le nom de Fahs beny Mesrah. Le combat fut sanglant ; Mohammed ben el-Kassem fut tué avec un grand nombre des siens, et le restant prit la fuite et se réfugia à Ceuta. Ceux-ci se renfermèrent dans la ville et écrivirent au khalife pour lui demander du secours. El-Moustansyr leur envoya Ghâleb son premier kaïd, son compagnon de guerre, le plus distingué de tous ses généraux par son courage, son énergie, son intelligence, son habileté et son intrépidité, auquel il donna de fortes sommes et une armée nombreuse, avec ordre d’aller atta­ quer les Alydes chez eux et de les exterminer. En le congédiant il lui dit : «O Ghâleb ! va prudemment, et ne reviens ici que vainqueur ou tué ; ne ménage point l’argent, répands le largement pour attirer les hommes à toi !» Ghâleb sortit de Cordoue à la fin du mois de chouel de l’année 362. A la nouvelle de son approche, Ben Kennoun fut saisi d’épouvante, et il sortit de la ville de Basra emportant avec lui son harem, ses trésors et ses

    ____________________ 1 Mehdïa, sur la côte de Tunis, à deux journées de Kairouan, bâtie en 303 par Obeïd Alllah, premier khalife des Fathimites, surnommé El-Mehdy (le directeur dans la bonne voie) par ceux-ci, et El-Chyhaï (l’hérétique, l’imposteur), par les Sunnites. (Dr. Herbelot.)

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    biens, et il se réfugia à Hadjer el-Nser, près Ceuta, où il renferma le tout. Ghâleb arriva par mer d’Algérisas au château Mesmouda, où il trouva Ben Kennoun à la tête d’une armée. Après quelques combats, Ghâleb, faisant usage de son argent, envoya de fortes sommes aux chefs berbères qui soute­ naient l’émir, en leur faisant dire qu’ils avaient l’aman et pouvaient venir à lui. En effet, ceux-ci abandonnèrent El-Hassen, qui resta bientôt seul avec les gens de sa suite, et n’eut d’autre ressource que de rentrer à Hadjer elNser, où il se fortifia. Ghâleb le suivit de près et assiégea la place en l’entou­ rant de tous côtés, de façon à intercepter toutes communications. Telle était la situation, lorsque, sur l’ordre de Hakem el-Moustansyr, tous les Arabes et les principaux guerriers de l’Andalousie vinrent rejoindre Ghâleb, qui, en recevant ces renforts, au commencement du mois de moharrem, an 363, redoubla les rigueurs du siége, au point que El-Hassen Kennoun se vit bien­ tôt réduit à demander merci ; il sollicita l’aman pour sa personne, pour sa famille, pour ses biens et pour les gens de sa suite, avec condition de se rendre et d’aller résider à Cordoue. Sur l’acceptation de Ghâleb, El-Hassen ben Kennoun, ouvrant la place aux assiégeants, se rendit avec sa famille, ses biens et les gens de sa suite. Ghâleb, prenant le commandement de la forteresse d’Hadjer el-Nser, y fit transporter tous les Alydes qui se trouvaient sur les terres ou dans les villes de l’Adoua, sans en excepter un seul. Cela fait, il se rendit à Fès, et, après avoir dirigé le gouvernement pendant quelque temps, il confia le commandement de l’Adoua el-Kairaouyn à Mohammed ben Aby ben Kchouch, et celui. de l’Adoua el-Andalous à Abd el-Kerym ben Thalabah ; ces deux gouverneurs restèrent fidèles aux Ommyades jus­ qu’à la conquête de Zyry ben Athya el-Zenèty el-Maghraouy. Ghâleb revint donc en Andalousie, emmenant avec lui El-Hassen ben Kennoun et tous les princes Edrissites, après avoir subjugué le Maghreb entier et y avoir établi ses gouverneurs; après avoir anéanti le culte des Obéïdes et l’avoir remplacé partout par celui des Ommyades. Ghâleb sortit de Fès à la fin de ramadhan de l’année 363, et se rendit à Ceuta, où il s’embarqua pour Algérisas. De là, il écrivit à El-Hakem elMoustansyr pour lui annoncer son arrivée et celle des Alydes qu’il condui­ sait. A la réception de cette lettre, El-Hakem ordonna à la population de la ville de se porter à la rencontre du vainqueur, et lui-même, étant monté à cheval, se rendit au-devant de Ghâleb avec une brillante escorte composée de tous les personnages les plus distingués de sa cour. Le jour de cette entrée solennelle fut une grande fête à Cordoue ; c’était le 1er de moharrem, de l’an 364. (974 J. C.). El-Hassen ben Kennoun s’inclina devant le khalife, qui l’accueillit avec bienveillance et lui accorda son pardon. El-Moustansyr lui fit donner tout ce qui lui était nécessaire et une forte pension pour lui et les

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    gens de sa suite, qu’il admit même au nombre de ses employés. Ils étaient en tout sept cents hommes, mais ils en valaient bien sept mille des autres. Ils demeuraient tous à Cordoue, ainsi que Ben Kennoun, jusqu’en 365, époque où ils en furent chassés, et voici pourquoi : Ben Kennoun possédait un mor­ ceau d’ambre fort gros et d’un parfum exquis, qu’il avait trouvé un jour en se promenant sur la plage, durant sois règne, et qu’il plaçait habituellement sons son oreiller quand il dormait. Un jour El-Hakem eut envie de ce mor­ ceau d’ambre, et le lui demanda en lui offrant en échange tout ce qu’il vou­ drait, mais Kennoun le lui refusa obstinément, et El-Hakem, perdant enfin patience, fit piller sa demeure et lui enleva non-seulement le morceau d’am­ bre, mais tout ce qu’il avait. Ce morceau d’ambre resta dans le trésor des rois de Cordoue jusqu’à la conquête de Aly ben Hammoud el-Hosseyny, qui, après avoir vaincu les émirs de l’Andalousie, pénétra dans le palais des Ommyades, où il retrouva ce morceau d’ambre qui venait de son cousin Ben Kennoun et qui, après être ainsi passé de mains en mains, retourna aux Alydes, ses premiers propriétaires. El-Hakem, non content de la disgrâce de Kennoun et de tous les biens qu’il lui avait enlevés, lui ordonna de sortir de Cordoue avec tous les Alydes et de s’en aller dans le Levant. Ils partirent donc, et s’embarquèrent à Almé­ ria pour Tunis, en l’an 365, et El-Hakem n’eut plus à penser à leur entretien. De Tunis, Ben Kennoun et les siens passèrent en Égypte et s’établirent près de Nysar ben Mad, qui les accueillit parfaitement et leur promit généreuse­ ment de les venger en les aidant à reprendre leur puissance. Ils restèrent au Caire jusqu’au commencement de l’an 373, sous le règne de Hachem elMouïd. A cette époque, El-Nysar les invita à retourner dans le Maghreb, et il écrivit à son lieutenant de l’Ifrîkya, Belkhyn ben Zyry ben Mounady, de leur fournir les troupes nécessaires. El-Hassen ben Kennoun arriva chez Belkhyn, qui lui donna une armée de trois mille cavaliers, à la tête desquels il rentra au Maghreb, où il reçut la soumission des tribus berbères accourant au-devant de lui. A cette nouvelle, El-Mansour ben Aby Amer, lieutenant de Hachem el-Mouïd, expédia son cousin, le visir Abou el-Hakem Omar ben Abd Allah ben Aby Amer, avec une forte armée, et en lui donnant ordre d’al­ ler prendre le gouvernement du Maghreb et d’en chasser Hassen ben Ken­ noun. Abou el-Hakem se mit aussitôt en marche, passa la mer et débarqua à Ceuta, d’où il s’élança à la poursuite de Hassen, qu’il battit et harcela assez, longtemps sans résultats, Jusqu’à l’arrivée d’El-Mansour ben Aby Amer ben Abd Allah el-Malek, envoyé de l’Andalousie avec une forte armée pour ren­ forcer celle du visir. C’est alors que Ben Kennoun, se sentant perdu et ne trouvant aucun moyen de s’échapper, demanda l’aman avec condition d’al­ ler à Cordoue, comme la première fois. Le visir Aby-Beker accéda à sa

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    demande, et lui fournit tout sors nécessaire, en prévenant son cousin ElMansour de la prochaine arrivée à Cordoue de son ennemi vaincu ; mais El-Mansour ne ratifia point du tout l’aman donné par son cousin, et il lui ordonna de faire périr Ben Kennoun en route, ce qui fut exécuté. Le visir fit décapiter Kennoun, dont le corps fût enterré et la tête envoyée à El-Man­ sour, qui la reçut à Cordoue le premier jour de djoumad el-aouel, an 375 (985 J. C.). Le règne de Hassen ben Kennoun avait duré seize ans la première fois, de l’an 347 à l’an 364, et un an et neuf mois la seconde fois. C’est ainsi que le vent des Alydes s’éteignit an Maghreb et qu’ils furent dispersés ; il en resta un petit nombre à Cordoue, faisant partie du divan du sultan pour les affaires du Maghreb, jusqu’au règne d’Aly ben Hamoud, qui releva leur position. A la mort de Kennoun il y eut un coup de vent terrible qui emporta son manteau, qu’on ne revit jamais. Selon Ibn el-Fyadh, Hassen ben Ken­ noun était méchant, cruel et sans merci. Lorsqu’il s’emparait d’un ennemi, d’un voleur ou d’un bandit, il le faisait précipiter du haut des remparts de Hadjer el-Nser dans des précipices dont 1’oei1 ne voyait pas le fond, et où les condamnés n’arrivaient qu’en morceaux. La dynastie des Edrissites hosseïniens s’éteignit ainsi dans le Maghreb par la mort de Ben Kennoun, qui fut le dernier de leurs rois. Leur règne, depuis le jour de la proclamation d’Edriss dans la ville d’Oualily, jeudi 7 de raby el-aouel, an 172 (788 J. C.) jusqu’à la mort de Kennoun, dans le mois de djoumad el-aouel, an 375 (985 J. C.) avait duré deux cent deux ans et cinq mois. Leur domination s’étendit depuis le Sous el-Aksa jusqu’à la ville d’Oran, et ils eurent pour capitale Fès, et plus tard El-Basra. Ils furent alter­ nativement en lutte avec deux grandes dynasties, celle des Obéïdes en Égypte et en Afrique, et celle des Ommyades en Andalousie, qui leur enlevèrent le khalifat, le pouvoir et les richesses. Lors de leur plus grande prospérité, ils s’étendirent jusqu’à Tlemcen; mais l’adversité les réduisit aux villes d’ElBasra, Asîla et Alhucema, et c’est ainsi qu’ils finirent et que finit leur règne. Dieu seul est éternel ! Dieu sans lequel il n’y a pas de Dieu ! Celui qui ne finit jamais et qui est seul adorable !

    CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EU LIEU DANS LE MAGHREB SOUS LES EDRISSITES.

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    De l’an 208 à l’an 240 (823 à 861 J. C.) consécutivement, il y eut grande abondance dans le Maghreb ; à Fès, le prix moyen du blé fut, durant cette période, de trois drahems la charge.

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    232 (846 J. C.). Grande sécheresse dans l’Andalousie; les animaux, les arbres, les figuiers et les vignes périrent. - Les sauterelles dévastèrent les campagnes. - Mort de l’imam Abd er-Rahman ben el-Hakem. 237 (831 J. C.). Un muezzin des environs de Tlemcen, se disant pro­ phète et changeant, à son gré, le vrai sens du Koran, parvint à rassembler parmi les mauvais sujets un grand nombre de prosélytes. Entre autres pré­ ceptes, la nouvelle loi défendait de se couper les cheveux et les ongles, de s’épiler et de porter des ornements, disant qu’il ne fallait, rien Changer aux créatures de Dieu. L’émir de Tlemcen donna l’ordre d’arrêter ce faux pro­ phète, qui prit aussitôt la fuite et parvint à gagner le port de Honein (entre Oran et Nemours), où il s’embarqua. Étant passé en Andalousie, il continua à prêcher sa doctrine, et réussit encore à former un nombreux parti de toutes sortes de gens. Enfin le roi de l’Andalousie le fit prendre, et après l’avoir vai­ nement engagé à abjurer ses erreurs, le condamna à être crucifié ; le muezzin supporta le supplice et mourut eu répétant : Tuerez-vous un homme parce qu’il dit : Dieu est mon Seigneur(1) ! 253 à 265, (867 à 878 J. C.). Grande disette et longue sécheresse qui désolent les pays de l’Andalousie et de l’Adoua. 254 (868 J. C.). Éclipse totale de lune pendant une grande partie de la nuit. 260 (873 J. C.). Disette générale dans tout le Maghreb, en Andalou­ sie, en Afrique, en Égypte et dans Hedjaz. Les habitants de la Mecque eux­ mêmes durent aller chercher leur, subsistance en Syrie, et leur ville resta presque entièrement déserte. La kâaba fut fermée pendant quelque temps. Dans le Maghreb et l’Andalousie il y eut de plus urne forte peste, qui fut, ainsi que la famine, un très-grand nombre de victimes. 266 (879 J. C.). Dans la nuit du neuvième jour avant la fin du mois de safar (21 safar), une magnifique rougeur (aurore boréale) apparut sur le ciel et dura toute la nuit. Jamais on n’avait, vu un pareil phénomène. 267 (880 J. C.). Dans la nuit du jeudi 29 chouel il y eut un terrible tremblement de terre, comme on n’en avait jamais ressenti de mémoire d’homme. Les palais furent détruits jusque dans leurs fondements. Les habi­ tants des villes s’enfuirent dans les campagnes, et la plupart des maisons furent renversées. Les oiseaux eux-mêmes, abandonnant leurs nids et leurs petits, se tinrent dans les airs jusqu’à la fin du désastre. Les secousses les plus violentes se firent, sentir en même temps dans l’Adoua, depuis Tlemcen jusqu’à Tanger, dans toute l’Andalousie, dans les montagnes aussi bien que dans les plaines de tous les pays compris entre la mer El-Chamy (mer de Syrie, Méditerranée) et le Maghreb el-Aksa (extrême occident); néanmoins

    ____________________ 1 Koran, ch. XL, le Croyant, v. 29.

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    personne ne périt, tant est grande la bonté de Dieu pour ses créatures. 273 (886 J. C.). Mort de l’imam Mohammed ben Abd er-Rahman ben Abd el-Hakim(1) ; il est remplacé par son fils El-Moundhîr. 276 (889 J. C.). Les troubles et la discorde désolent l’Andalousie, le Maghreb et l’Afrique. 287 (900 J. C.). Il y eut, cette année-là, une horrible famille dans l’Andalousie et le Maghreb, où l’on vit les hommes se manger entre eux. A ce fléau succédèrent bientôt la peste et les maladies, qui firent d’innom­ brables victimes. Les cadavres étaient jetés pêle-mêle dans une même fosse, sans qu’il fût possible de les laver ou seulement de réciter sur eux les prières des morts. 299 (911 J. C.). Éclipse totale de soleil, le mercredi 29 chouel ; le soleil s’obscurcit après la prière de l’Asser, et un grand nombre de per­ sonnes, entendant l’Adhen (chant du muezzin, accoururent dans les mos­ quées pour faire la prière du Maghreb (prière du soir). Bientôt le disque du soleil fut entièrement couvert et les étoiles brillèrent. Puis le soleil reparut et resta encore une demi-tiers d’heure (dix minutes) avant de se coucher, et le peuple, reconnaissant son erreur, recommença l’Adhen et la prière du soir. 296 (908 J. C.). El-Chyhy subjugue l’Ifrîkya et en chasse les Beni Ghâleb dont il renverse le gouvernement. 297 (909 J. C.). Le même El-Chyhy proclame l’Ifrîkya indépendante des Abassides, s’intitule émir des Croyants et fait, comme tel, prier pour lui dans les khotbahs ; il se donne le surnom de Mehdy. C’est lui qui, le premier, fit battre monnaie. 303 (915 J. C.). Grands troubles en Andalousie, dans l’Adoua et en Ifrîkya, auxquels succède une famine semblable à celle de l’an 260. Jamais peuple ne souffrit d’une faim pareille. Un moud de blé se vendait trois dinars! La mortalité fut si grande qu’on ne put même plus ensevelir les cadavres. 305 (917 J. C.). Senet el-Nahr (l’année du feu) fut ainsi nommée parce que l’incendie détruisit presqu’en même temps, dans le mois de chouel, les bazars de la ville de Teheret, capitale des Zenèta, les bazars de Fès, les jardins de Mekenès et les bazars de Cordoue. 307 (919 J. C.). Grande abondance dans le Maghreb, en Andalousie et en Ifrîkya; malheureusement la peste fit encore de grands ravages, et dans l’Adoua un épouvantable coup de vent déracina les arbres et renversa plu­ sieurs édifices de Fès. Le peuple, terrifié, accourut dans les mosquées pour implorer la miséricorde de Dieu, et on ne se livra qu’aux bonnes œuvres. 313 (925 J. C.). Moussa ben Aby el-Afya S’empare de Fès et soumet tout le Maghreb à sa domination.

    ____________________ 1 Cinquième khalife omnyade d’Espagne.

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    323 (934 J. C.). Le kaïd Mysour prend Fès d’assaut et fait périr trois mille habitants ; il s’empare également, les armes à la main, de Ouarzigha et Ghousedja, villes du pays de Mekenèsa, qui étaient défendues par plus de sept mille soldats qu’il extermina. 327 (938 J. C.). Année de nuage. Le soleil est obscurci pendant cinq jours consécutifs, et, les brouillards sont si épais qu’on ne voit. que la place que l’on occupe. Le peuple, effrayé, fait des aumônes et des bonnes œuvres, et Dieu disperse les nuages. 328 (944 J. C.).Mort de Moussa ben Aby el-Afya, maître de tout le pays de Mekenèsa. 333 (960 J. C.). Abou Zyd Moûkhalled ben Kydâd el-Yfrany s’em­ pare de la ville de Kairouan- et de toute l’Ifrîkya. 349 (960 J. C.). Djouhar, kaïd d’El-Chyhy, prend d’assaut la ville de Fès, dont il massacre un grand nombre d’habitants, et emmène les cheikhs prisonniers en Ifrîkya. Il s’empare également de Sidjilmessa et renverse la dynastie des Beny Medrâr ; dans cette même année, Abd er-Rahman el-Nas­ ser se rend maître de Ceuta et de Tanger, qu’il fait réparer et en partie recons­ truire : quelques-uns rapportent cet événement en l’an 319. 325 (936 J. C.). Un homme nommé Hamym, se disant prophète, surgit dans les montagnes de Ghoumâra, et parvint à convertir à sa religion un grand nombre des habitants de ce pays. Hamym prescrivait à ses prosélytes de faire deux prières par jour, la première au lever du soleil, l’autre au coucher ; de faire trois rikha (prosternations) dans chacune ; de pleurer en priant, et de mettre les mains entre la face et la terre, en se prosternant. Il fit aussi un Koran (une lecture), que l’on devait réciter après l’invocation suivante : «Délivre moi du pêché, ô toi qui permets aux yeux de voir l’uni­ vers ! Délivre-moi du péché, ô toi qui tiras Jonas du ventre du poisson et Moise de la mer !» Et chaque rikha, il fallait dire : «Je crois en Hamym et en son compagnon Aby Ykhelaf, et je crois en Talya, tante de Hamym !» Or la femme Talya était une magicienne. Hamym ordonnait le jeûne les mardi, jeudi et vendredi de chaque semaine; dix jours dans le mois de ramadhan et deux jours dans le mois de chouel. Celui qui, sans nécessité, n’observait pas le jeûne du jeudi, était obligé de. faire une aumône de trois taureaux, et une amende de deux taureaux était imposée à celui qui mangeait le mardi. Hamym prescrivait l’aumône et fixait la dîme au dixième de tout, ce que l’on possédait. Il supprimait le pèlerinage, les ablutions et la purification après l’acte conjugal. Il permettait de manger la femelle du porc ; «car, disait-il, Mohammed a défendu le porc, mais non pas la femelle du porc.» Il défendait le poisson mort sans être égorgé, ainsi que les œufs et la tête de toutes espè­ ces d’animaux. Tout cela donna aux Chrétiens de l’Andalousie sujet de se moquer et de blâmer le gouvernement, qui, ouvrant enfin les yeux, fit prendre

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    et crucifier le faux prophète au Ksar Mesmouda. La tête de Hamym fut envoyée à Cordoue, et tous ses sectateurs revinrent à l’islam. 339 (950 J. C.). L’hiver fut des plus rigoureux. Il tomba des grêlons pesant jusqu’à une livre chacun. Les oiseaux, les animaux sauvages et domestiques, et bon nombre de personnes moururent de froid. Les arbres fruitiers et les autres plantes furent gelés, et il s’ensuivit une grande disette. 342 (953 J. C.). L’hiver est également fatal. Le froid tue les animaux et les arbres. fruitiers. Les pluies dépassent les besoins du pays. Tout le Maghreb est sillonné par d’impétueux torrents ; grandes tempêtes succes­ sives, les éclairs et la foudre font place à un vent violent qui renverse les constructions tes plus fortes. 344 (955 J. C.): La peste fait de grands ravages en Andalousie et dans le Maghreb. El-Nasser Ledyn Illah se rend maître de la ville de Tlemcen, faisant partie de l’Adoua. 350 (961 J. C.). Mort d’Abd er-Rahman el--Nasser Ledyn Illah. 355 (965 J. C.). Violent coup de vent qui déracine les arbres, renverse les maisons et emporte les hommes. - Dans la treizième nuit du mois de radjeb, une comète apparaît sur la mer, sa chevelure resplendissante s’élève comme une colonne magnifique, qui éclaire la nuit de sa lumière et la rend semblable à la nuit d’El-Kadr(1) ; sa clarté est comme celle du jour. - Dans le même mois, éclipse de soleil et éclipse de lune, la première le 28, l’autre le 14. 358 (970 J. C.). Conquête de l’Égypte, par El-Chyhy. 361 (971 J. C.). Fléau des sauterelles dans le Maghreb. 362 (972 J. C.). Entrée des Zenèta el-Maghraoua dans le Maghreb. Mort du cheikh, le juste et vertueux fekhy Abou Mymoun Drar ben Ismaël. 363 (973 J. C.). Mort de Mâdh ben Ismaël el-Chyhy, roi d’Égypte et d’Ifrîkya. 366 (976 J. C.). Mort d’El-Hakym el-Moustansyr, roi de l’Andalou­ sie. Il est remplacé par son fils Hachem el-Mouïd, âgé de dix ans. 368 (978 J. C.). Conquête de la ville de Louata par Yaly ben Zyd elYfrany. 369 (979 J. C.). Belkhyn ben Zyry entre dans le Maghreb, marche sur Fès, s’en empare, fait mourir les deux gouverneurs Mohammed ben Aby Aly ben Kchouch, qui commandait l’Adoua el-Kairaouyn, et Abd el-Kerym ben Thalabah, commandant l’Adoua el-Andalous. Il passa ensuite en Afrique par Ceuta. 368 (978 J. C.). Zyd ben Athya soumet les Kabyles Zenèta à sa domi­ nation.

    ____________________ 1 Lilla el-Kadr, la nuit de la puissance, est celle où le Koran descendit du ciel. Les Musulmans ont des doutes sur l’anniversaire de cette nuit. Au Maroc, on la célèbre la vingt-septième nuit de ramadhan. C’est cette nuit-là que sont réglés les décrets de Dieu et les événements de I’année suivante.

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    375 (985 J. C.). Askélâdja passe de l’Andalousie en Afrique, prend Fès d’assaut et y établit la souveraineté des Ommyades, à l’exception de l’Adoua el-Kairaouyn, qui demeure au pouvoir de Mohammed ben Amer el-Mekenèsy, kaïd des Obéïdes, jusqu’en 379. A cette époque, Aby Byach Ythouth ben Belkyn el-Maghraoua, s’étant emparé les armes à la main de l’Adoua el-Kairaouyn, fit périr le gouverneur Mohammed ben Amer, et y établit également la souveraineté des Ommyades. 377 (987 J. C.). Fléau de sauterelles dans tout le Maghreb. 378 (988 J. C.). Pluies torrentielles, débordement des rivières et des fleuves. 379 (989 J. C.). Le vent d’est souffle avec violence pendant six mois consécutifs, et, aussitôt après, la peste et les maladies sévissent sur le Maghreb. 380 (990 J. C.). Grande abondance dans le Maghreb, au point qu’on ne trouvait à qui vendre les récoltes, et que dans beaucoup d’endroits on ne se donna même pas la peine de moissonner.

    HISTOIRE DU RÈGNE DES ZENÈTA EL-MAGHRAOUYN ET EL-YFRANYN DANS LE MAGHREB.

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    Après les Edrissites et les Beny Aby el-Afya el-Mekenèsy, le Maghreb passa, sous la domination des Zenèta. Le premier d’entre eux qui le gouverna fut Zyry ben Athya ben Abd Allah ben Mohammed el-Zenéta el-Maghraoua el-Khazeri, roi des Zenèta en 368. Placé sous la suzeraineté de Hachem-elMouïd et de son hadjeb El-Mansour ben Aby Amer, Zyry conquit tout le Maghreb, et vint, en 376, fixer sa demeure et sa cour à Fès, où il s’était fait précéder par ses kaïds Askélâdja et Aby Byach. Il s’occupa, d’abord, à tran­ quilliser le Maghreb, et il devint bientôt fort et puissant partout. Sur ces entrefaites, en 377, Abou el-Behary ben Zyry ben Menâd, le Senhadja, se souleva contre son neveu Mansour ben Belkhyn, émir d’Afri­ que et prince de la dynastie des Obéïdes, et se plaça sous la suzeraineté des Mérouan. Il s’empara des villes de Tlemcen, Tunis, Oran, Chelef., Chelchel, Médéa, des monts Ouanchéris et d’une grande partie du Zab, en faisant, en même temps, prier dans les khotbahs pour El-Mouïd et son hadjeb ElMansour ben Aby Amer. Celui-ci, en récompense de cette soumission, con­ firma El-Behary dans le commandement des villes qu’il avait conquises, et luis envoya, entre autres présents, un vêtement d’honneur et quarante mille dinars ; mais, environ deux mois après avoir reçu ces dons, El-Behary se replaça sous les Obéïdes. El-Mansour, outré de cette mauvaise foi, écrivit aussitôt à Zyry ben Athya pour lui donner l’ordre de s’emparer des possessions d’Abou elBehary, et de le faire mourir. En effet, le roi zenèta sortit de Fès à la tête d’une armée innombrable, composée, en majeure partie, de tribus zenèta, et

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    marcha sur El-Behary ; mais, à son approche, celui-ci prit la fuite, et alla se réfugier auprès de son neveu Mansour ben Belkhyn. Zyry ben Athya s’empara de tout le pays abandonné par El-Behary, et devint ainsi souve­ rain maître du Maghreb, depuis le Zab jusqu’au Sous el-Aksa. Son premier soin fut de rendre compte de ses succès à El-Mansour ben Aby Amer, et il accompagna son message de riches présents, composés, entre autres choses, de deux cents magnifiques chevaux de race, cinquante chameaux Mehary(1), mille boucliers recouverts de peau de lamt(2), de nombreuses charges, d’arcs en bois de zan(3), de chats musqués, de girafes, de lamts et autres animaux du Sahara, de mille charges de dattes et d’une quantité d’étoffes en laine fine. El-Mansour reçut ces dons avec plaisir, et, en reconnaissance, il lui renou­ vela l’acte qui lui conférait, la souveraineté du Maghreb. On était alors en 381 (991 J. C.). Zyry ben Athya rentra à Fès, et établit sa tribu sous les murs de l’occident de la ville, où elle dressa ses tentes. Un an après, en 382, ayant reçu une lettre d’El-Mansour qui l’invitait à venir le voir à Cordoue, l’émir Zyry confia le gouvernement du Maghreb à son fils El-Mouaz, en lui enjoignant d’aller demeurer à Tlemcen, et laissa le commandement de Fès à deux de ses kaïds, Abd er-Rahman ben Abd el-Kerym ])en Thalabah pour l’Adoua el-Andalous, et Aly ben Mohammed ben Aby Aly ben Kchouch, pour l’Adoua el-Kairaouyn, auxquels il adjoignit pour remplir les fonctions de kady le fekhy Abou Mohammed Kassem ben Amer el-Ouzdy. Après avoir pris ces dispositions, il se mit en voyage, portant avec lui, entre autres présents magnifiques, un oiseau savant qui parlait l’arabe et le berbère, un animal produisant le musc, des bœufs sauvages semblables à des chevaux, deux lions dans leurs cages de fer, et des dattes d’une beauté extraordinaire et dont quelques-unes étaient aussi grosses qu’un melon. Il était suivi de six cents serviteurs ou esclaves, dont trois cents à cheval et trois cents à pied. El-Mansour lui fit une magnifique réception, et lui donna pour demeure le palais du Hadjeb Djafar. Il le combla d’attentions, de générosités, et il lui accorda le titre de visir, en le revêtant d’une robe d’honneur. Enfin, après lui avoir remis l’acte qui lui conférait le gouvernement du Maghreb et de riches présents, il le congédia. Zyry ben Athya s’embarqua et passa à Tanger. A peine fut-il descendu à terre, il s’écria en portant les mains à sa tête : «Maintenant tu m’appartiens, ô ma tête !» puis, dédaignant les présents que lui avait faits El-Mansour, il ne voulut pas du titre de visir, et il apostropha ainsi le premier qui le lui donna. «Malheur à toi ! je suis émir, fils d’émir, par Allah, et non point visir. Certes, les grandeurs d’Aby Amer sont bien dignes d’admiration ! mieux vaut

    ____________________ 1 Mehary. (V. Le Grand Désert, par M. le général Daumas.) 2 Lamt, espèce de bubale. (V. Marmol, t. I, p. 52.) 3 Zan, espèce de chêne bien connue en Afrique.

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    entendre le lion que de le voir ! et s’il y avait un seul homme de cœur en Andalousie, les choses ne seraient pas ainsi.» Cependant, l’émir Yddou ben Yaly el-Yfrany, profitant de l’absence de Zyry, s’était emparé de la ville de Fès et était entré les armes à la main dans l’Adoua el-Andalous, au mois dou’l kaada an 382 (992 J. C.). L’émir Yddou ben Yaly, qui commandait à toute la tribu d’Yfran, était, l’égal de l’émir Zyry par la naissance, les bonnes qualités et la fortune. Yfran et Maghr, dont descendaient les Beni Yfran et les Beni Maghraoua, étaient frères, tous deux fils de la même mère et de Ysslyn ben Sâary ben Zakya ben Ouarchihh ben Dâjna ben Znat. Yddou ben Yaly avait succédé dans le commandement des Beni Yfran à son père Yaly ben Mohammed, qui avait été tué, en 347, par Djouhar, lieutenant d’El-Chyhy ; il gouvernait un vaste pays dans le Maghreb ; il avait plusieurs fois livré de grands combats à Zyry ben Athya el-Maghraouy, auquel il disputait le pouvoir et le gouvernement de Fès qu’il avait enlevé et perdu tour à tour, et jusqu’alors rien n’avait pu mettre fin à cette rivalité acharnée. A son retour de l’Andalousie, Zyry, ayant donc appris que Yddou, profitant de son absence, s’était rendu de nouveau maître de Fès, et avait fait périr un grand nombre des Beni Maghraoua, se mit en route et arriva à marche forcée dans les environs de Fès où l’atten­ daient les troupes de Yddou. Le combat fut sanglant et la victoire, longtemps disputée, resta enfin aux Beni Maghraoua. Zyry entras à Fès les armes à la main, et fit périr Yddou , dont il envoya la tête à El-Mansour ben Aby Amer, à Cordoue, après l’avoir exposée pendant quelques jours en ville. On était alors en 383. Zyry, plus fort et plus puissant que jamais, soumit tout le Maghreb, inspira le respect aux autres souverains, et continua à entretenir les meilleures relations avec El-Mansour. Profitant de sa tranquillité, il bâtit la ville d’Oudjda, et dès qu’il eut achevé les murs d’enceinte et la kasbah, et que les portes furent, à leur place, il s’y transporta avec sa famille, ses trésors et ses gens, y établit sa cour et en fit la capitale de ses états. Ce. fut dans le mois de radjeb de l’an 384 (994 J. C.), que Zyry ben Athya traça l’enceinte de la ville d’Oudjda. Cependant la bonne intelligence entre lui et l’émir El-Mansour ne tarda pas à être troublée. On rapporta à l’hadjeb de Cordoue que Zyry refu­ sait d’exécuter ses volontés et tenait de méchants propos sur son compte. D’abord El-Mansour, n’écoutant point, ces accusations, conserva à Zyry le titre et la puissance de visir ; mais, en 386 (996 J. C.), il cessa de lui envoyer les dons et son traitement de chaque année et il le destitua. Zyry, de son côté, ne dissimula plus ses intentions de se soulever et de se maintenir par la force, et il les signifia en faisant supprimer dans le khotbah le nom d’ElMansour et en y laissant seulement; celui de Hachem el-Mouïd. El-Mansour envoya immédiatement contre lui une forte armée commandée par un de ses

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    serviteurs, nommé Ouadhyh el-Fatah. Celui-ci traversa la mer et débarqua à Tanger, où quelques tribus de Ghoumâra, Senhadja et autres reçurent de l’argent et des vêtements d’honneur, et se joignirent à lui pour aller combat­ tre Zyry ben Athya et les Zenèta. De plus, El-Mansour fit passer à Tanger tous les Berbères qui se trouvaient en Andalousie, pour compléter l’armée d’Ouadhyh qui, à leur arrivée, se mit aussitôt en marche. A la nouvelle de l’approche de l’ennemi, Zyry ben Athya sortit de Fès à la tête de ses troupes zenèta, et. vint à la rencontre d’Ouadhyh el-Faitah Jusque sur les bords de l’Oued-Zâdat. Ce fut une guerre acharnée qui dura trois mois; enfin Ouadhyh, ayant perdu la plus grande partie de ses soldats et se voyant vaincu, battit en retraite et rentra à Tanger, d’où il écrivit aussi­ tôt à El-Mansour pour lui faire part de ses revers, et pour lui demander des secours d’hommes, d’animaux et d’argent. A .la réception de cette lettre, ElMansour sortit lui-même de Cordoue et vint à Djezira el-Khadhra(1), où il fit embarquer pour Ceuta son propre fils Moudhefar. Zyry, fort effrayé en apprenant ces nouvelles, entreprit les plus grands préparatifs de défense ; il fit un appel à tous les Kabyles Zenèta, qui arri­ vèrent bientôt en foule des pays du Zab, de Tlemcen, de Melilia, de Sid­ jilmessa, et qu’il prépara au combat. Abd el-Malek rejoignit. Ouadhyh el-Fatah et sortit avec lui de Tanger à la tête d’une armée innombrable; ils atteignirent l’ennemi sur les bords de l’Oued-Mîna, non loin de cette ville. On se battit depuis le lever du soleil jusqu’au soir, et jamais combat n’avait été si sanglant. Voici ce qui décida la victoire : un soldat nègre, nommé Sellam, dont Zyry avait jadis tué le frère, crut l’occasion favorable pour. appliquer à l’émir la peine du talion ; s’étant approché de lui, il lui porta trois coups de couteau au cou ; mais, ayant manqué la gorge, il ne le tua point, et, prenant aussitôt la fuite, il passa dans le camp d’El-Malek auquel il apprit le coup qu’il venait de faire. Ce général, saisissant, le moment, rassembla immédiatement ses soldats et fondit sur les Zenèta démoralisés par l’assas­ sinat de leur chef. Sa victoire fut, complète, et, le camp de Zyry fut livré au massacre et au pillage. Zyry, malgré ses graves blessures, prit la fuite, abandonnant à l’en­ nemi un butin énorme d’argent, munitions, armes, chameaux et bêtes de somme, et parvint à gagner un endroit appelé Madhyk el-Djebeh dans les environs de Mekenès, où il fit halte. Il s’occupa aussitôt à rassembler le reste de ses soldats avec la ferme intention de revenir à leur tête venger sa défaite; mais El-Moudhefar, prévenu de ces préparatifs, envoya immédiate­ ment contre lui un détachement de cinq mille cavaliers sous le commande­ ment d’Ouadhyh el-Fatah, lequel, ayant combiné sa marche de manière à

    ____________________ 1 L’île Verte. Aujourd’hui Algésiras.

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    arriver de nuit à Madhyk el-Djebeh, tomba sur le camp des Zenèta qui se livraient au repos en toute confiance. On était alors vers le milieu du ramad­ han, an 387 (997 J. C.). Ouadhyh fit un grand massacre et s’empara de deux mille cheurfa (nobles) Maghraoua qui furent accueillis avec bienveillance par El-Moudhefar et rangés aussitôt dans la cavalerie. Zyry, ayant eu encore le bonheur de s’échapper, prit la route de Fès avec un petit nombre de ses compagnons et de ses parents ; mais, à son arrivée, il trouva les portes closes, et il dut implorer ses sujets de lui rendre au moins ses femmes et ses enfants. Les gens de Fès les lui accordèrent et lui firent passer en même temps quelques bêtes de somme et des provisions. Alors, se sentant toujours poursuivi par El-Moudhefar, il s’enfuit vers le Sahara et atteignit le pays des Senhadja, où il s’arrêta. El-Moudhefar entra à Fès le dernier samedi du mois de chouel 387, et y fut accueilli avec joie par les habitants qu’il rassura, de son côté, par des paroles pleines de bonté. Il écrivit aussitôt à son père pour lui faire part de ses victoires, et sa lettre fut lue dans la chaire de la mosquée El-Zahrâ à Cordoue et dans toutes les chaires des provinces de l’orient et de l’occident de l’Andalousie. A cette occasion, et pour témoigner sa recon­ naissance au Très-haut, El-Mansour rendit la liberté à quinze cents Mame­ luks et à trois cents femmes esclaves ; il fit distribuer de fortes sommes d’argent aux gens de bien, et aux pauvres, et, en répondant à son fils, il l’invita à se conduire avec indulgence et justice dans le Maghreb ; sa lettre fut lue dans la mosquée El-Kairaouyn le vendredi, dernier jour du mois dou’l kaâda, 387. Ouadhyh el-Fatah revint en Andalousie, et El-Moudhefar demeura à Fès, où il gouverna. jusqu’au mois de safar 389 (998 J: C.) avec une justice sans précédents. A cette époque, il fut rappelé par son père ElMansour, qui confia le commandement, de Fès et de toutes ses possessions dans l’Adoua à Ayssa ben Saïd, lequel revint à son tour en Andalousie et fut remplacé par Ouadhyh el-Fatah. A son arrivée dans le pays des Senhadja, Zyry ben Athya trouva les habitants en rébellion contre leur roi Edriss ben Mansour ben Belkhyn qui avait succédé à son père Mansour; mettant cette circonstance à profit; il fit appel aux Zenèta, aux Maghraoua et. autres qui accoururent en nombre, et, à leur tête, il attaqua les habitants du pays de Senhadja, qu’il dispersa ; il s’empara de la ville de Teheret et d’une grande partie du Zab, et joignant à ses conquêtes les terres de Tlemcen, Chelef et Msyla, il se forma un nouvel état qu’il gouverna sous la suzeraineté d’El-Mouïd j’osqu’en 391 (1,000 J. C.). Il mourut alors des suites des blessures que lui avait faites le nègre pen­ dant qu’il assiégeait la capitale des Senhadja; son fils el-Mouâz lui succéda, et fit la paix avec El-Moudhefar ben Mansour qui lui restitua le gouverne­ ment des anciennes possessions de son père sur tout le Maghreb. Le règne de Zyry ben Athya avait duré environ vingt ans.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

    HISTOIRE DU RÈGNE D’EL-MOUÂZ BEN ZYRY BEN ATHYA ELMAGHRAOUY, ÉMIR DE FÈS ET DU MAGHREB.

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    Mouâz était fils de ben Zyry ben Athya el-Zenèty el-Maghraouy et de Tekâtour, fille de Menâd ben Tebâdelt el-Maghraouy. Proclamé souverain à la mort de son père par les tribus zenèta, il eut bientôt atteint la suprême puissance ; il fit la paix avec El-Mansour ben Aby Amer, reconnut sa souve­ raineté, et ordonna que son nom fût proclamé dans le khotbah de tous ses états. A la mort d’El-Mansour, an 393, EI-Moudhefar, en reconnaissance de cette soumission, rappela Ouadhyh el-Fatah de Fès, et en donna le comman­ dement à Mouâz, ainsi que celui de toutes ses possessions dans le Maghreb, à la condition que ce prince lui enverrait chaque année à Cordoue une cer­ taine quantité de chevaux, de boucliers, et une forte somme d’argent. Mouâz dut, de plus, se soumettre à laisser en otage à Cordoue son fils Manser, lequel, malgré son ardent désir de revoir son pays, demeura en Andalousie jusqu’à la chute des Beny Amer, dont le règne eut aussi sa fin ; car il n’y a d’éternel que Dieu, et lui seul est vraiment adorable ! L’émir El-Mouâz mourut dans le mois de djoumad el-aouel, an 422 (1,030 J. C.), après un, règne de trente-trois mois, durant lequel le Maghreb jouit de tous les bienfaits de la paix et de la sécurité. Hamâma ben el-Mouâz ben Athya el-Zenèty el-Maghraouy, son cousin germain, lui succéda dans le mois suivant de djoumad el-tâny. Quelques historiens rapportent que ElMouâz fut remplacé par son fils et non par son cousin ; mais cela est inexact, et leur erreur provient de ce qu’ils ont confondu les noms des pères avec ceux des fils. El-Mouâz ben Athya n’eut, d’ailleurs, qu’un seul fils nommé El-Man­ ser et non point Hamâma, qui fut bien le cousin et le successeur de cet émir.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR HAMÂMA BEN EL-MOUÂZ BEN ATHYA EL-ZENÉTY EL-MAGHRAOUY.

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    L’émirHamâma ben el-Mouâz succéda à son cousin El-Mouâz ben Zyry, et gouverna sagement les Zenèta soumis à sa domination. Il fut chassé de Fès par Temym ben Zimour ben Aly ben Mohammed ben Taleh elYfrany, émir de Salé, qui vint l’attaquer à la tête des Beny Yfran. L’émir Hamâma, étant sorti à sa rencontre avec son armée composée des Beny Maghraoua, fut battu après avoir soutenu un sanglant combat, et se vit forcé de prendre la fuite, laissant la plus grande partie de ses soldats sur le champ de bataille. Il se réfugia à Oudjda, qui dépendait alors de Tlemcen.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR TEMYM EL-YFRANY.

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    Abou el-Kamel Temym ben Zimour ben Aby, de la tribu d’Yfran, était émir de tous les Beny Yfran, lorsqu’il s’empara de Fès après la défaite et la

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    fuite de Hamâma, dans le mois de djoumad el-tâny, an 424 (1032 J. C.). Ce prince persécuta les Juifs; il en, fit périr plus de six mille, et enleva aux autres leurs richesses et leurs femmes. Fanatique et ignorant, il avait déclaré la guerre sainte aux Berghouata contre lesquels il faisait habituel­ lement deux expéditions par an, pour les massacrer et les piller. Cela dura jusqu’à sa mort, en 448 (1056 J. C.). Quatorze ans plus tard, en 462, lorsque son fils Mohammed faut tué dans la guerre des Lemtouna, on porta son corps pour l’ensevelir à côté de son père, et quelle ne fut pas la surprise des assis­ tants en entendant célébrer les louanges de Dieu dans la tombe de Temym ! On l’ouvrit aussitôt, et l’on trouva le cadavre intact, comme si l’on venait de l’enterrer à peine. Dans la nuit, du même jour, Temym apparut en songe à un de ses parents. «Que signifient, lui demanda celui-ci, ces hymnes à Dieu et cette profession de foi que nous avons entendues dans ta tombe ? — Ce sont, lui répondit Temym, les cantiques des anges auxquels Dieu a ordonné de chanter ses louanges auprès de mon cercueil pour me mériter la grâce d’être conservé jusqu’au jour de la résurrection. — Qui es-tu donc, reprit le dormant, ou bien qu’as-tu fuit pour mériter une pareille récompense du Très-haut, et être comblé de tant de générosité ? — J’ai fait chaque année avec acharnement la guerre sainte aux Berghouata.» L’émir Temym demeura sept ans à Fès ;pendant cette période, Hamâma ben el-Mouâz, après être resté un an à Oudjda, et s’être vu succes­ sivement abandonné par ses soldats et ses compagnons, s’en vint à Tunis. Là, il fit un appel aux Kabyles maghraoua qui arrivèrent en nombre suffisant pour former une armée. Hamâma se mit à leur tète, et marcha sur Fès dont il chassa Temym ben Zimour el-Yfrany, qui prit la fuite et alla se réfugier à Chella. Cet événement eut lieu en 431 ; quelques-uns le font remonter à l’an 429. Pour la seconde fois Hamâma maîtrisa Fès et une grande partie du Maghreb, qu’il continua à gouverner jusqu’à sa mort, an 440 (1048 J. C.). Son règne avait duré dix-huit ans., pendant lesquels il était resté sept ans, ou cinq ans, selon quelques historiens, dépossédé par Temym el-Yfrany ; son fils Dounas lui succéda.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DOUNAS BEN HAMÂMA BEN ATHYA EL-MAGHRAOUY.

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    L’émir Dounas succéda à son père Hamâma, dont il conserva toutes les possessions. Son règne fut un règne de paix et de prospérité. Les fau­ bourgs de Fès s’agrandirent et se peuplèrent ; de nombreux commerçants vinrent de toutes parts se fixer dans la capitale. Dounas fit ceindre les fau­ bourgs de murs, et construisit des mosquées, des bains et des fondouks; il releva ainsi la métropole du Maghreb. Depuis son avènement jusqu’à sa mort, en chouel 452 (1060 J. C.), il ne cessa de bâtir. Il régna à peu près douze

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    ans, et partagea ses états entre ses deux fils; il légua le gouvernement de l’Adoua el-Andalous à son fils El-Fetouh, et celui de l’Adoua el-Kairaouyn à son fils Adjycha.

    HISTOIRE DU RÈGNE DES DEUX FRÈRES EL-FETOUH ET ADJYCHA.

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    A la mort de l’émir Dounas, leur père, El-Fetouh et Adjycha prirent possession de leurs gouvernements respectifs; mais Adjycha, plus turbulent que son frère, ne tarda pas à l’attaquer, et une guerre sans relâche com­ mença, dès lors, entre les deux frères. El-Fetouh construisit une forteresse à l’endroit nommé El-Keddân, et Adjycha en éleva une semblable sur la hauteur nommée Sather, dans l’Adoua el-Kairaouyn. La haine et les discussions des deux frères portèrent bientôt leurs fruits : la cherté d’abord, et puis la famine et le meurtre. Tout le Maaghreb l’ut bouleversé, et les Lemtouna apparurent sur quelques points. A Fès, on se battait sans relâche, nuit et jour, et le massacre ne cessa qu’à la mort d’Adjycha. Ce fut Fetouh ben Dounas qui construisit la porte située au sud des murs d’enceinte, et que l’on nomme aujourd’hui Bab el-Fetouh; Adjycha avait fait également élever une porte du côté nord sur le sommet de la hauteur Sather, en lui donnant son nom ; mais à sa mort son frère ordonna que ce nom fut changé, et on supprima le ghaïn, ce qui fit le nom de ElDjycha que cette porte a encore aujourd’hui. La guerre des deux frères durait depuis trois ans consécutifs, lorsque El-Fetouh, ayant employé la ruse, pénétra dans l’Adoua el-Kairaouyn, sur­ prit son frère et le tua. Ensuite il gouverna tranquillement la ville de Fès, jusqu’à l’époque où les Lemtouna vinrent l’assiéger. Alors, préférant son salut à la défense de ses états, il abandonna, en 457 (1064 J. C.) le gouver­ nement, qui passa dans les mains d’El-Manser ben el-Mouâz, son cousin. Le règne d’El-Fetouh avait duré cinq ans et sept mois, période de discussions, de guerre, de famine et de malheurs.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR MANSER BEN EL-MOUÂZ BEN ZYRY BEN ATHYA EL-MAGHRAOUY.

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    Ce fut dans le mois de ramadhan le grand, en 457, que l’émir Manser prit les rênes du gouvernement, lâchement abandonnées par Fetouh lien Dounas. Manser était résolu, audacieux, brave et vaillant ; il résista aux Lemtouna et leur livra de grands combats jusqu’en 460 (1067 J. C.). A cette époque, il disparut dans un engagement et personne ne sut ce qu’il avait plu à Dieu de faire de lui ; cinq jours après sa disparition, les Lemtouna entrè­ rent à Fès sans coup férir, ayant à leur tête l’émir Youssef ben Tachefyn elLemtouny ; et cette première entrée s’opéra en paix-et avec l’aman: L’émir demeura quelques jours en ville, et partit bientôt pour le Djebel Ghoumâra,

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    en laissant le commandement de Fès àun de ses lieutenants, avec une garni­ son de quatre cents cavaliers lemtouna; mais sitôt après son départ Temym ben Manser arriva à la tête d’une armée formidable de Zenèta, et se fit livrer la ville en promettant l’aman aux Lemtouna qui s’y trouvaient; cependant, à peine fut-il entré, qu’il commença à les faire mourir dans le feu ou sur la croix, et il était encore occupé à ces sanglantes exécutions quand l’émir Youssef, arrivant en toute hâte, assiégea Fès à son tour et la prit d’assaut après quelques combats acharnés. Ce fut là la seconde et grande entrée des Lemtouna; cette fois ils firent périr tous les Maghraoua et les Beny Yfran, qui furent impitoyablement massacrés dans les mosquées et dans les rues au nombre de plus de vingt mille. Ce massacre des Zenèta Maghraouy et Yfrany eut lieu dans le cou­ rant, de l’an 462, et leur domination dura donc environ cent ans, de 362 à 462. Le commencement de leur règne fut prospère et leur puissance fut grande ; ils entourèrent de murs les faubourgs de Fès, ils embellirent les portes, agrandirent les mosquées El-Kairaouyn et El-Andalous, et, à leur exemple, les habitants bâtirent un grand. nombre de maisons. Cette pros­ périté dura environ jusqu’à l’apparition des Almoravides dans le Maghreb ; déjà même, à cette époque, la puissance des Maghraoua commençait à s’ébranler, et leurs possessions s’étaient amoindries, car la corruption les gagnait ; les princes dépouillaient leurs sujets, faisaient couler leur sang et violaient toutes les lois sacrées ; aussi le pays cessa de payer les impôts, et resta plongé dans la terreur. Les vivres devinrent fort rares, la cherté succéda à l’abondance, la crainte à l’aman , l’injustice à la justice. La fin de leur règne fut entièrement obscurcie par le nuage de l’iniquité, des guer­ res civiles, et d’une famine sans exemple dans l’histoire des temps. Fès et ses dépendances furent réduites aux dernières extrémités de la faim sous le règne d’El-Fetouh ben Dounas et sous celui de son cousin El-Manser. La farine, seul aliment qui restât à l’homme, se, vendait à un drahem l’once, non-seulement en ville, mais aussi dans tons les pays circonvoisins. Toutes les autres denrées avaient disparu. Les chefs Maghraoua et Beny Yfran enva­ hissaient les maisons des particuliers et pillaient leurs biens, sans que nul osât se plaindre, car au moindre mot ils les faisaient massacrer par leurs gens; ils envoyaient leurs esclaves sur le mont El-Ardh, qui domine la ville, pour découvrir les maisons d’où il sortait de la fumée, et, sur les indications qui leur étaient données, ils les envahissaient et prenaient de force les ali­ ments que l’on y faisait cuire. Tels furent les motifs pour lesquels le Très-Haut enleva le pouvoir aux Zenèta et leur retira ses bienfaits, car Dieu ne change point ce qu’il a accordé aux hommes tant qu’ils ne le changent pas eux-mêmes(1) ! Dieu fit fondre sur eux les Almoravides, qui leur ravirent leurs états, dispersèrent leurs légions,

    ____________________ 1 Koran, chap. XIII, le Tonnerre, vers 12.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    les massacrèrent et les chassèrent du Maghreb. Sous la terreur des dernières années de leur règne, la faim arriva à une telle extrémité, que les habitants creusèrent de petites caves dans leurs maisons, pour faire leur pain sans être entendus, ou pour cacher ce qu’ils pouvaient avoir à manger, et construisirent des espèces de galetas sans esca­ lier, dans lesquels, à l’heure des repas, le maître de la maison montait avec sa famille au moyen d’une échelle qui se retirait ensuite, afin de ne laisser accès à aucun étranger durant le repas.

    CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EU LIEU SOUS LES ZENÈTA BENI MAGHRAOUA ET BENI YFRAN, DE L’AN 380 À L’AN 462.

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    En 381 (991 J. C.), le Maghreb, l’Andalousie et l’Ifrîkya furent déso­ lés par la sécheresse; cependant un immense torrent, comme il ne s’en était point vu encore, vint tout à coup se jeter dans l’Oued Sidjilmessa, au grand étonnement des habitants, qui n’avaient pas eu une goutte de pluie pendant toute l’année. Ces pays furent ravagés, à la mène époque, par une grande famine, qui dura trois ans, de 379 à381. — Dans la vingt-troisième nuit du mois de radjeb de la même année, il apparut dans le ciel une étoile qui avait à l’œil nu la forme d’un-superbe- minaret ; elle s’éleva du côté de l’orient et fit, sa course vers le nord-ouest en jetant de magnifiques étincelles. Le peuple, frappé d’épouvante, adressa des prières au Dieu très-haut pour qu’il détournât les maux dont cette étoile pouvait être le présage. — A la fin du même mois, il y eut, une éclipse de soleil, suivant le livre de Ben el-Fyadh intitulé El-Nyhyr (les lumières) ou El-Kabes (le morceau de feu). Selon Ben Mendour, cette éclipse aurait eu lieu en 380. - Enfin, dans les derniers jours de l’année 381, Dieu arrosa la terre et répandit sa miséricorde sur le monde ; les pluies firent partout reverdir la campagne, les prix des denrées diminuèrent, les moissons et les récoltes furent abondantes, les populations retrouvèrent le bien-être, les animaux et les troupeaux purent se désaltérer. Malheureusement des légions de sauterelles énormes arrivèrent bientôt et dévastèrent toute l’Espagne. Le plus grand nombre s’abattit sur Cordoue et désola les environs. El-Mansour fit distribuer des secours d’argent à la popu­ lation, et ordonna aux habitants de se mettre en campagne pour détruire ces insectes, ce que l’on fit de bonne volonté, et une partie du marché fut affec­ tée à la vente des sauterelles, pour que chacun pût venir y débiter le produit de sa chasse. Cela dura trois ans, de 381 à 383(1). En cette même année, 381, Yddou ben Yaly secoua la suzeraineté

    ____________________ 1 Les choses se pratiquent encore exactement ainsi au Maroc. Nous avons vu, en 1847-48, les habitants de Mogador et de Safy sortir en masse, sur l’ordre des kaïds, contre les sauterelles, et chaque année, durant l’été, il se débite sur les marchés des mon­ ceaux de ces insectes cuits à l’eau et au sel, mets fort goûté par les indigènes.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    d’El-Mansour ben Aby Amer. A Fès, Thalâbah prit le gouvernement de l’Adoua el-Andalous, et Ben Kechouch celui de l’Adoua el-Kairaouyn. Le fekhy Amer ben Kassem fut fait kady des deux Adouas. En 382. (992 J. C.), Yddou ben Yaly prit d’assaut l’Adoua el-Andalous. — Grande inondation de Cordoue ; l’eau détruisit les bazars et monta jus­ qu’au Zahar. —Vent violent sur le Maghreb qui renversa plusieurs édifices. — Éclipse totale de soleil. - El-Mansour ben Aby Amer supprima des écrits le cachet d’El-Mouïd, le remplaça par le sien et prit en même temps le nom d’El-Mouïd. — Naissance du fekhy El-Dhahery Abou Mohammed Aly ben Ahmed ben Saïd ben Hazem ben Ghâleb, client de Yezid ben Aby Souffian, qui écrivit plusieurs ouvrages sur les sciences, et mourut en 450 environ. En 385 (995 J. C.), on vit les animaux emportés par un vent violent s’en aller entre ciel et terre. Que Dieu nous préserve de sa colère ! En 391 (1001 J. C.), mort de l’émir Zyry ben Athya; son fils ElMouâz lui succède. En 392, (1001-2 J. C.), l’émir El-Mansour ben Aby Amer, roi de, l’Andalousie, meurt à l’âge de soixante-cinq ans dans le mois de ramadhan; il est enterré à Médina Salem(1), et son cercueil fut recouvert de la poussière qu’il avait recueillie dans les combats(2). En 399 (1008-9 J. C.), Abd el-Malek, fils d’El-Mansour ben Aby Amer, auquel il avait succédé, mourut empoisonné, et fut remplacé par son frère Abd er-Rahman, auquel El-Mouâz ben Zyry envoya de magnifiques présents, entre autres cent cinquante beaux chevaux. Abd er-Rahman ben elMansour, en recevant ces cadeaux, envoya chercher Manser, fils de Mouâz, qui était en otage à Cordoue, et, après lui avoir fait des présents ainsi qu’aux ambassadeurs de son père, il le renvoya dans son pays en liberté. El-Mouâz fut, si content de revoir son fils, qu’il rassembla tous ses chevaux et les expé­ dia à l’émir de l’Andalousie, à Cordoue ; il y en avait neuf cents, et jamais le Maghreb n’avait faut un aussi beau présent à l’Espagne. En 396 (1005 J. C.), apparition d’une immense comète extrêmement scintillante. Cette comète est une des douze Nïazek(3) connues dans l’anti­ quité, et que les anciens savants ont longtemps observées; ces astronomes prétendaient que ces comètes n’apparaissaient que comme un signe de malheur ou de quelque chose d»extraordinaire dont Dieu aillait frapper le monde ; mais Dieu connaît mieux ses secrets que qui que ce soit.

    ____________________ 1 Medina Cœli. 2 El-Mansour mourut le 27 ramadhan 392 (dimianche 9 août 1002), après sa défaite de Calat el-Nser (Hauteur de Vautour, aujourd’hui Calatanasor). «C’était la pre­ mière bataille que perdait Almanzor ; aussi il ne voulut point y survivre ; il refusa de soigner les blessures qu’il avait reçues dans le combat, et expira de désespoir, pleurant, ses triomphes inutiles et son nom déshonoré.» (L. A. Sedillot.) 3 Nïazek : pluriel de (Hasta brevis), «Stelllæ cadentes.» (Freytag.)

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    En 400 (1009 J. C.), l’émir Mouâz ben Zyry ben Athya s’empara de la ville de Sidjilmessa. En 401 (1010 J. C.), mort du fekhy le kady Abou Mohammed Abd Allah ben Mohammed. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) En 407 (1016 J. C.), apparition d’une étoile scintillante dont le disque était énorme et très-brillant. Fin du gouvernement des Ommyades en Andalousie et commencement de la dynastie des Ahmohades ; le règne des Ommyades avait duré deux cent soixante-huit ans et quarante-trois jours. En 411 (1020 J. C.), famine dans tout le Maghreb, depuis Tysert (ou Teheret) jusqu’à sidjilmessa ; la mortalité fut grande. - En cette même aimée, la désunion et la révolte éclatèrent entre les diverses villes de l’Andalousie, qui commencèrent à cette époque à être gouvernées par des rois différents. En 415 (1024 J. C.) , grand tremblement de terre en Andalousie qui bouleversa les montagnes. En 416 (1025 J. C.), mort de l’émir El-Mouâz ben Zyry ben Athya à Fès. En 417 (1026 J. C.), mort de l’imam El-Fekhy ben Adjouz à Fès. En 43o (1038 J. C.), mort du fekhy Abou Amran de Fès à Kairouan. En 431 (1039 J. C.), mort du kady Ismaël ben-Abbad à Séville. En 448 (1056 J. C.), entrée de l’imam Abou Beker ben Amer au Maghreb. En 450 (1058 J. C:), Abou Mohammed Abd-Allah, ben Yassyn elDjezouly, le Mehdy des Lemtouna, fut tué par les idolâtres Berghouata et mourut martyr. En 452 (l060 J. C.), El-Mehdy ben Toula s’empara des villes de Mekenèsa.

    HISTOIRE DES MORABETHYN (ALMORAVIDES) DE LA TRIBU DES LEMTOUNA DANS LE MAGHREB ET L’ANDALOUSIE. HISTOIRE DE LEURS ROIS ET DE LEURS RÈGNES DEPUIS LEUR ORIGINE JUSQU’À LEUR DESTRUCTION.

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    Mohammed ben el-Hassen ben Ahmed ben Yacoub el-Hemdany, auteur du livre intitulé El-Iketâl fi el-Doulet el-Hamyria (Couronne de la Dynastie Hamyarite), raconte que les Lemtouna tirent leur origine des Senhadja, lesquels descendent des Ouled Abd el-Chems ben Ouathal ben Hamyar. «Le roi Ifrîkych, fils d’Ouathal ben Hamyar, dit cet écrivain, gou­ vernait les Hamyr quand il se mit en campagne pour effectuer quelques raz­ zias dans les environs du Maghreb sur les terres d’Afrique. Après s’être beaucoup avancé dans le pays, il bâtit une ville à-laquelle il donna son nom d’lfrîkya, et y établit, les principaux des Senhadja pour instruire les Berbè­ res, percevoir leurs impôts et les gouverner.» Un autre historien, Abou Obeïd, rapporte, d’après Ben el-Kalby,

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    qu’Ifrîkych passa dans le Maghreb à la tête des Berbères de Syrie et d’Égypte,qu’il bâtit la,ville d’lfrîkya, et qu’il établit ces Berbères dans le Maghreb, avec lesquels il laissa les-deux grandes tribus de Senhadja et de Ketâma qui, aujourd’hui encore, vivent au milieu des Berbères. El-Zebyr ben Bekan a écrit, de son côté, que de père des Senhadja fut Senhadj ben Hamyar ben Sebâ ; et on trouve dans la poésie historique d’Abou Farès ben Abd el-Aziz el-Melzouzi intitulée Nedham el-Slouk fi Akhbar el-Embya ou el-Khoulafâ ou el-Moulouk (Chapelet de l’histoire des prophètes, des khalifes et, des rois), que les Morabethyn descendent (l’Ha­ myar et nullement de Moudhar, et qu’Hamyar était fils de Sebâ et père de Senhadj. Suivant une autre version, les Senhadja descendent des Houara, les­ quels descendent de Hamyar, et sont ainsi nommés parce, que leur père étant passé dans le Maghreb et étant arrivé dans le pays de Kairouan en Ifrîkya, s’écria : Gâd tahouarna, fi el-bled, c’est-à-dire : «Nous avons envahi un pays sans y penser ;» et le nom de Houara resta à la tribu. Dieu sait la véritè ! Les Senhadja se divisent en soixante et dix tribus, dont les principa­ les sont: Lemtouna, Djedâla, Messoufa, Lamta, Mesrâta, Telkâta, Mdousa, Benou Aoureth, Beny Mchelly, Beny Dekhir, Beny zyad, Beny Moussa, Bcny Lemâs, Beny Fechtal. Chacune de ces grandes tribus comprend plu­ sieurs branches ou divisions qui se subdivisent, à l’infini. Toutes ces peu­ plades appartiennent au Sahara et occupent dans le sud un espace de pays de sept mois de marche de long sur quatre mois de marche de large, qui s’étend depuis Noul Lamtha (0. Noun) jusqu’au sud d’Ifrîkya et de Kai­ rouan, en Afrique, c’est-à-dire toute la contrée comprise entre les Berbères et le Soudan. Ces peuplades ne cultivent point la terre et n’ont ni moissons ni fruits. Leurs richesses consistent en bétail et chameaux (dromadaires). Ils se nourrissent de viande et de lait, et la plupart d’entre eux meurent sans avoir mangé un seul morceau de pain dans leur vie. Quelquefois, cependant, les marchands qui traversent leur pays leur laissent du pain et de la farine. Ils sont Sonnites, et ils font la guerre sainte aux nègres du Soudan. Le premier qui régna an Désert fut Tloutan ben Tyklân le Senhadja le Lemtouna ; il gouvernait tout le Sahara, et était suzerain de plus de vingt rois du Soudan, qui lui payaient tous un tribut. Ses états s’étendaient sur un espace de trois mois de marche en long et en large, et ils étaient peuplés partout. Il pouvait mettre sur pied cent mille cavaliers; il vivant du temps de l’imam Abd er-Rahman, souverain de l’Andalousie, et il mourut en 222 (836 J. C.), âgé d’environ quatre-vingts ans. Son neveu El-Athyr ben Bethyn ben Tloutan lui succéda, et gouverna les Senhadja jusqu’à sa mort, en 937, après soixante-cinq ans d’existence. Il fut remplacé par son fils Temym ben el-Athyr, qui conserva son commandement jusqu’en 306, et fut renversé par les cheïkhs des Senhadja, qui se révoltèrent et le mirent à mort. A la suite de cela, les cheïkhs ne voulurent plus se soumettre à personne, et restèrent dans

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    l’anarchie pendant cent vingt ans. Alors ils choisirent entre eux un émir, Abou Mohammed ben Tyfat, connu sous le nom de Tarsyna el-Lemtouny, et ils le reconnurent pour souverain. Ce prince était religieux, vertueux et bienfaisant; il fit le pèlerinage à la Mecque, et la guerre sainte; il gouverna les Senhadja pendant trois ans, et fut tué dans une razzia. sur les tribus du Soudan, à l’endroit nommé Bkâra. Ces tribus habitaient les environs de la ville de Teklessyn; elles étaient arabes et pratiquaient la religion juive. Teklessyn est habitée par la tribu senhadja des Beny Ouarith, qui sont gens de biens et suivent le Sonna qui leur fut apporté par Okba ben Talah elFehery, à l’époque de sa venue dans le Maghreb ; ils font, la guerre sainte aux habitants du Soudan qui ne professent pas l’Islam.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YHYA BEN IBRAHIM EL-DJEDÂLY.

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    A la mort de l’émir Mohammed Tarsyna el-Lemtouny, le gouverne­ ment des Senhadja passa entre les mains de l’émir Yhya ben Ibrahim el-Dje­ dâly. Les Djedâla et les Lemtouna sont frères, descendants du même père; ils habitent l’extrémité du pays de l’Islam, et font la guerre aux infidèles du Soudan ; à l’ouest ils ont pour limite la mer de la Circonférence(1). L’émir Yhya ben Ibrahim resta à la tête des Senhadja et de leurs guer­ res contre les ennemis de Dieu jusqu’en 427 (1035 J. C.). A cette époque, il se fit remplacer par son fils Ibrahim ben Yhya, et partit pour l’Orient dans le dessein de faire le pèlerinage de la Mecque et de visiter le tombeau du Prophète. (Que le salut soit sur lui !) Il arriva, en effet, à la Mecque, remplit toutes les cérémonies du pèlerinage, et se mit en route pour retourner dans son pays. S’étant arrêté en chemin, dans la ville de Kairouan, il y rencontra le saint Abou Amram Moussa ben Hadj el-Fessy. Cet illustre docteur, natif de Fès, était venu à Kairouan pour suivre les cours d’Abou el-Hassan elKaboussy, et s’était ensuite rendu à Bagdad pour assister à la classe du kady Abou Beker ben el-Thaïeb, auprès duquel il avait acquis beaucoup de science. Revenu à Kairouan, il n’en sortit plus, et mourut le 13 de ramadhan, an 430. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Yhya ben Ibrahim el-Djedâly, étant arrivé à Kairouan, se présenta donc chez le fekhy Abou Amram elFessy pour entendre ses leçons ; le fekhy, l’ayant remarqué et s’intéressant à son sort, le prit bientôt en affection et le questionna sur sou nom, sa famille et sa patrie. Yhya, lui ayant répondu, lui fit connaître l’étendue et la popula­ tion de son pays. Le fekhy lui demanda encore à quelle secte appartenait son peuple. «C’est un peuple vaincu par l’ignorance, lui dit Yhya, et qui n’a pas de Livre.» Effectivement le fekhy, lui ayant fait alors passer un petit examen sur les principes de la religion, s’aperçut bientôt qu’il était complètement ignorant

    ____________________ 1 Océan Atlantique.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    et qu’il ne savait pas un mot du Koran et du Sonna; mais, en même tempsil comprit qu’il était animé du plus grand désir de s’instruire, qu’il avait de bons sentiments, la foi et la confiance. «Qu’est-ce qui vous empêche donc de vous instruire ? lui dit-il en terminant. Ô mon seigneur, lui répondit Yhya, tous les habitants de mon pays sont ignorants, et ils n’ont personne pour leur lire le Koran ; mais ils ne désirent que le bien et font leur possible pour y arriver. Ils voudraient bien trouver quelques savants pour leur faire la lecture du Livre et leur apprendre les sciences, pour les instruire dans leur religion et les diriger dans la voie du Koran et de la Sonna, en leur expliquant les lois de l’islamisme et les préceptes du Prophète. (Que Dieu lui accorde le salut !) Si vous voulez gagner les récompenses dut Très-Haut en enseignant aux hommes la pratique du bien, envoyez donc avec moi, dans notre pays, un de vos élèves, pour lire le Koran et enseigner la religion à mes compatriotes, cela leur sera très-utile ; ils écouteront et obéiront, et vous aurez mérité ainsi la grande récompense du Dieu très-haut, car vous aurez été le principe de leur direction dans la droite voie.» Le fekhy Abou Amram fit la proposition à chacun de ses élèves qu’il croyait aptes à cette mission ; mais nul ne voulut accepter, par crainte des fatigues et des dangers du Sahara. Ayant perdu tout espoir autour de lui, il dit à Yhya : «Il existe à Néfys, dans le pays de Mes­ samda, un fekhy habile, pieux et austère, qui m’a rencontré ici et a beaucoup appris avec moi. Je lui connais toutes les qualités nécessaires ; il se nomme Ou-Aggag ben Zellou el-Lamthy, et il est originaire du Sous el-Aksa. En ce moment il adore Dieu, enseigne les sciences et prêche le bien dans un ermitage de l’endroit ; il a de nombreux élèves ; je lui écrirai une lettre polar lui demander de vous adjoindre l’un d’eux. Allez chez lui , vous y trouverez ce que vous cherchez.» En effet, le fekhy Amram écrivit à Ou-Aggag une lettre ainsi concue : «A vous le salut et la miséricorde de Dieu ! ensuite, si le porteur de cette lettre, Yhya ben Ibrahim el-Djedâly vous arrive, envoyez avec lui, dans son pays un de vos élèves, à vous connu pour être religieux, bon, instruit et habile ; il enseignera le Koran et les lois de l’islamisme à ces gentils, et vous gagnerez tous deux la récompense de Dieu ; car le Très-Haut ne manque jamais de récompenser ceux qui font le bien(1) ; salut.» Yhya ben Ibrahim el-Djedâly partit avec cette lettre, et arriva chez le fekhy Qu-Aggag, dans la ville de Néfys ; il le salua et la lui remit ; on était alors au mois de radjeb, an 430. Ou-Aggag ayant lu la lettre, rassembla ses élèves pour leur en donner Connaissance, et leur demander de mettre à exécution l’ordre du cheïkh Abou Amram. Un d’entre eux, originaire de Djezoula, et connu sous le nom d’Abd Allah ben Yassyn el-Djezouly, accepta la mission ; c’était, un disciple habile et instruit, pieux et austère, possédant bien les lois et les sciences. Il partit avec Yhya ben Hibrahim et ils arrivèrent ensemble au pays

    ____________________ 1 Koran, ch. XII. Joseph, V. 56.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    de Djedâla, où ils furent accueillis avec joie par les Kabyles et les Lem­ touna.

    HISTOIRE DE LA VENUE DU FEKHY ABD ALLAH BEN YASSYN LE DJEZOULY DANS LE PAYS DES SENHADJA, ET DE SON ÉLÉVATION CHEZ LEURS TRIBUS DES LEMTOUNA ET DES MORÂBETHYS.

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    Abd Allah ben Yassyn ben Mekouk ben Syr ben Aly ben Yassyn elDjezouly arriva avec Yhya ben Ibrahim au pays des Senhadja et s’y établit. Quand il eut vu les vices qui infestaient cette contrée, où l’homme épousait cinq, six, dix femmes et même davantage s’il le voulait, il adressa les plus vifs reproches aux habitants et leur défendit cette coutume, en leur disant: «Cela n’est point conforme au Sonna ; le Sonna de l’Islam ne permet à l’homme d’épouser que quatre femmes libres et de prendre des esclaves à son bon plaisir.» Il entreprit alors de leur enseigner la religion et les lois de l’Islamisme et le Sonna ; il leur ordonna de faire le bien et leur défendit le mal ; mais ceux-ci, voyant la sévérité qu’il apportait pour changer leurs habitudes et supprimer leurs vices, s’éloignèrent bientôt de fui, et se prirent à le détester comme un personnage fort ennuyeux ; enfin Abd Allah ben Yassyn, lassé d’avoir affaire à des hommes qui ne priaient pas, qui ne pro­ nonçaient pas même le nom de Dieu, et connaissaient à peine le témoi­ gnage(1), qui, subjugués par l’ignorance, s’éloignaient de lui pour suivre leurs passions, voulut les abandonner et partir pour le Soudan, où le maho­ métisme avait déjà commencé à briller; mais Yhya ben Ibrahim s’y opposa en lui disant : «Je ne te laisserai point aller, parce que je t’ai amené pour profiter de tes leçons et de ta science, pour apprendre ma religion, et je n’ai que faire avec mon peuple sous ce rapport-là ; permets-moi donc, en vue des récompenses de l’autre monde, de te faire une proposition. — Qu’est-ce donc? dit le fekhy. — Ici, sur notre côte, reprit Yhya, est une île sur laquelle ont peut arriver à pied lorsque la mer est basse, et 0ù nous nous rendons sur des barques quand la marée est pleine. Sur cette île la nourriture est allel (pure); il y a des arbres sauvages, et diverses espèces d’oiseaux, de quadru­ pèdes et de poissons ;allons-y, et nous y vivrons de choses permises et nous y adorerons Dieu jusqu’à la mort. — Partons, dit Abd Allah ben Yassyn, cela vaudra mieux ; entrons sur cette île au nom du Très-Haut. Ils s’y rendi­ rent, en effet, accompagnés de sept personnes de Djedâla, avec lesquelles ils construisirent un ermitage et se mirent à adorer Dieu. Au bout de trois mois, lorsqu’on eut appris ce qu’ils faisaient pour arriver au paradis et éviter l’enfer, on vint en foule vers eux. Les nouveaux adeptes arrivaient pleins de repentir, et Abd Allah ben Yassyn commença aussitôt à leur enseigner le ____________________

    1 La profession de foi : «Il n’y a de Dieu que Dieu et Mohammed est l’envoyé de Dieu.»

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    Koran, et à les diriger vers le bien, en leur faisant espérer les récompenses de Dieu ou en les menaçant des souffrances de sa punition. Au bout de quelques jours, environ mille élèves d’entre les nobles des Senhadja étaient rassem­ blés autour de lui. Il les nomma Morabethyn (liés) parce qu’ils ne quittaient plus son ribath(1) (ermitage). Il leur enseigna le Koran, le Sonna, les ablu­ tions, la prière, l’aumône et les devoirs que Dieu impose. Quand il les vit pénétrés de ces principes et en nombre suffisant, il commença à prêcher pour les exhorter à faire le bien, à désirer le paradis et à redouter le feu éternel et la colère de Dieu ; et c’est ainsi qu’en les éloignant du mal et en leur parlant des récompenses de Dieu à la fin du monde, il arriva à proclamer la guerre sainte contre ceux des Senhadja qui refusaient de les suivre, dans la vraie foi. «Morabethyn, s’écria-t-il un jour, vous êtes nombreux, vous êtes les grands de vos tribus et les chefs de vos compagnons ! Le Très-Haut vous a corrigés et dirigés dans la droite voie ; vous devez le remercier de sa honte en exhortant les hommes à faire le bien et à éviter le mal et en com­ battant avec ardeur pour la foi de l’Islam.» Ils répondirent : «Ô cheïkh béni, cornmandez-nous, vous nous trouverez obéissants à vos ordres et soumis, lors même que vous nous ordonneriez de tuer nos pères. — Eh bien ! leur dit Yassyn, partez donc avec la bénédiction de Dieu. Allez dans vos tribus, enseignez leur la loi de Dieu, et menacez-les de son châtiment. Si elles se repentent, si elles rentrent dans la droite voie et se rendent à la vérité en changeant de conduite, laissez-les suivre leur chemin ; mais si elles refusent, si elles persistent dans leur erreur et continuent à s’adonner à leurs excès, invoquez le secours divin contre elles, et nous leur ferons la guerre jusqu’à ce que Dieu décide entre nous. Il est le meilleur des juges.» A ces mots, chacun partit pour sa tribu et se mit à prêcher chez les siens pour les prévenir et leur ordonner de changer de conduite; mais personne ne voulut les écouter et ils revinrent. Abd Allah ben Yassyn sortit alors lui-même et se rendit chez les cheïkhs et les principaux Kabyles ; il leur fit lecture de la loi de Dieu et leur ordonna de se repentir et de redouter le châtiment de Dieu. Après être resté sept jours à les exhorter inutilement, et fatigué de voir qu’ils ne l’écoutaient pas et persistaient de plus en plus dans la voie du mal, il dit à ses amis : «Nous avons fait notre possible et nous les avons exhortés en vain ; le moment est venue de leur faire laguerre.Combattons-lesaveclabénédic­ tion du Dieu très-haut.» Abd Allah ben Yassyn se dirigea d’abord chez les Djedâla à la tête de deux mille Morabethyn et les dispersa devant lui ; il en tua un ,grand nombre et fit embrasser l’Islamisme aux autres, qui devinrent bons et remplirent, les devoirs imposés par Dieu. Cela eut lieu dans le mois de safar 434 (1042 J. C.). Ensuite il se rendit chez les Lemtouna et les combattit

    ____________________ 1 Lieu de retraite et de prière ; de là, «marabout».

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Lemtouna et les combattit jusqu’à ce que, vaincus, ils eussent fait, leur sou­ mission et se fussent repentis ; les Lemtouna le proclamèrent pour chef, et il y consentit à condition qu’ils suivraient le Koran et le Sonna. Passant alors chez les Massoufa, il les battit et les soumit à son commandement comme les Djedâla et les Lemtouna. Les Senhadja, en voyant cela, s’empressèrent de manifester leur repentir et de faire acte d’obéissance au fekhy, qu’ils pro­ clamèrent également chef. Tous ceux qui arrivaient chez lui repentants rece­ vaient, préalablement, cent coups de nerf en signe de purification, et, il leur enseignait le Koran et les lois musulmanes, en leur prescrivant la prière, l’aumône et la dîme. Bientôt il créa un bit-el-mal, pour y réunir les produits de la dîme et de l’aumône destinés à l’achat d’armes pour combattre les ennemis. Abd Allah ben Yassyn conquit ainsi tout le Sahara et en devint le maître. Après chaque combat, il distribuait les dépouilles des vaincus aux Morabethyn, et, ayant rassemblé une grande valeur des produits de l’aumône, de la dîme et du cinquième du butin , il l’envoya aux tolbas et aux kadys des pays de Messamda. Bientôt la renommée des Morabethyn se répandit Rus le désert, dans le sud, à Messamda, dans tout le Maghreb et jusque dans le Soudan. On racontait partout qu’il y avait chez les Djedâla un homme modeste et austère qui ramenait les humains à Dieu et les conduisait dans le droit Chemin, en rendant la justice selon les lois du Koran. Yhya ben Ibrahim el-Djedâly mourut et Abd Allah ben Yassyn voulut, le remplacer par un autre. Les Lemtouna étaient les plus obéissants à Dieu, les plus religieux et les plus vertueux d’entre les Senhadja ; aussi Ben Yassyn les préférait et les distinguait en les plaçant à la tête des autres tribus; et cela était ainsi parce que Dieu avait décrété qu’ils apparaîtraient et qu’ils règne­ raient sur le Maghreb et sur l’Andalousie. Abd Allah ben Yassyn , ayant donc rassemblé les grands des Senhadja, leur donna pour émir Yhya ben Omar, le Lemtouny, qu’il revêtit du commandement général: Mais, en fait, c’était. lui-même qui était l’émir, puisque c’était lui qui dictait. les ordres, qui dirigeait, qui donnait et qui recevait; en d’autres termes, l’émir Yhya n’était autre chose que le chef de la guerre, le général des troupes, et le fekhy Ben Yassyn était le chef de la religion, de la loi, et le percepteur de l’aumône et de la dîme.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YHYA BEN OMAR BEN TELAKAKYN, LE SENHADJA, LE LEMTOUNY.

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    Yhya ben Omar, le Lemtouny, le Morabeth, qu’Abd Allah ben Yassyn éleva au pouvoir, était religieux, vertueux, austère et modeste, saint et ne faisant nul cas des choses de ce monde. Abd Allah lui ordonna de faire la guerre sainte, et Yhya était l’homme le plus soumis à ses conseils et à ses défenses. Voici un bel exemple de cette obéissance : un jour Ben Yassin lui

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    dit : «Yhya, tu mérites d’être puni. — Pourquoi donc, seigneur ? — Je ne te le dirai que lorsque tu auras subi ta punition. Et là-dessus le fekhy mit l’émir à nu et lui donna vingt coups de nerf, après quoi il ajouta : Je ne t’ai frappé ainsi -que parce que tu te bats et tu exposes ta vie dans chaque engagement avec l’ennemi ; c’est là ta faute ; un émir ne doit point, se battre, mais se conserver, au contraire, pour encourager les combattants et leur donner du cœur. La vie d’un chef d’armée est la vie de tous ses soldats, et sa mort est leur perte.» L’émir Yhya ben Omar s’empara de tout le Sahara et du plus grand nombre des villes du Soudan. En 447, les fekhys et les saints de Sidjilmessa et de Drâa se réunirent et écrivirent au fekhy Abd Allah ben Yassyn, à l’émir Yhya et aux cheïkhs des Morabethyn pour les prier de venir chez eux purifier leur pays des vices qu’il renfermait, tels que la violence et l’injus­ tice qui caractérisaient leur émir Messaoud ben Ouenoudyn el-Maghraouy, les savants et les religieux, et, en général, tous les Musulmans, qui étaient plongés dans l’avilissement et l’iniquité. Lorsque cette lettre parvint à Ben Yassyn, il rassembla les chefs files Morabethyn, leur en donna connaissance et demanda leur conseil. Ils répondirent : «Ô fekhy ! c’est, là ce qu’il nous faut, à nous comme à vous-même ; conduisez-nous donc avec la bénédiction de Dieu très-haut.» Alors il leur ordonna de faire leurs préparatifs pour la guerre sainte, et bientôt après, le 20 safar 447, il se mit en campagne à la tête d’une nombreuse armée et il s’avança jusqu’au Drâa, dont il chassa le gouverneur nommé par l’émir de Sidjilmessa, auquel il enleva mille cinq cents. chameaux dispersés dans les pâturages. L’émir Messaoud, en appre­ nant cela, rassembla ses troupes et marcha contre Yassyn. Les deux armées se rencontrèrent et se livrèrent un sanglant combat. Dieu donna la victoire aux Morabethyn ; Messaoud ben Ouenoudyn et la plus, grande partie de ses soldats restèrent sur le champ de bataille, et le reste prit la fuite. Abd Allah ben Yassyn s’empara des richesses, des animaux et des dépouilles de l’ennemi ; il en ajouta le cinquième au cinquième des chameaux pris dans le Drâa, et le distribua aux fekhys et aux saints de Sidjilmessa. Il fit don aux Morabethyn des quatre cinquièmes restant, et il partit aussitôt pour Sidjil­ messa, où il entra et tua tous les Maghraoua qui s’y trouvaient. Il demeura dans cette ville jusqu’à ce que la tranquillité s’y fût rétablie. Il réglementa l’administration, et réprima les abus ; il fit briser les instruments de musi­ que et brûler les établissements où l’on vendait du vin ; il supprima tous les droits et les impôts qui n’étaient point commandés par le Koran et le Sonna; enfin il installa un gouverneur Lemtouna et s’en retourna au Sahara. L’émir Abou Zakerya Yhya ben Omar fut tué en combattant dans le Soudan, au mois de moharrem 448 (marc 1056 J. C.).

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU BEKER BEN OMAR, LE LEMTOUNA, L’ALMORAVIDE.

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    A la mort de Yhya ben Omar el-Lemtouny, Abd Allah ben Yassyn nomma à sa place son frère Abou Beker ben Omar, le Lemtouna, et le char­ gea des affaires de la guerre. Celui-ci, ayant exhorté les Morabethyn à atta­ quer les pays de Masmouda et du Sous, se mit en campagne, à leur tête, au mois de raby el-tâny 448. Il plaça l’avant-garde sous les ordres de son cousin Youssef ben Tachefyn, le Lemtouna, et s’avança jusqu’au Sous ; il envahit le pays de Djezoula et s’empara des villes de Massa(1), de Tarudant et de tout le Sous. Il y avait à Tarudant une population de Rouafidh(2) appelée Bedje­ lia, du nom du chef de leur secte, Aly ben Abd Allah el-Bedjely, qui était arrivé au Sous lorsque Obeïd Allah el-Chyhy gouvernait l’Ifrîkya, et y avait répandu sa fausse doctrine, transmise des uns aux autres après sa mort. Ces sectaires ne voyaient la vérité qu’en eux ; Abou Beker et Abd Allah ben Yassyn les combattirent jusqu’à ce qu’ils leur eurent arraché leur ville d’as­ saut; ils en tuèrent un grand nombre, et ceux qui restèrent se rendirent à la loi du Sonna. Les biens des tués furent distribués aux Morabethyn; et c’est ainsi que Dieu les secondait et élevait leur puissance ! Ils s’emparèrent aussi des forteresses et autres lieux de refuge du pays de Sous, dont ils soumirent toutes les tribus. Abd Allah ben Yassyn délégua ses gouverneurs dans les environs, avec mission de rendre la justice, de prêcher le Sonna, de percevoir l’aumône et, la dîme, et d’abolir tous les impôts qui n’étaient point confor­ mes à la loi. Puis il se transporta chez les Masmouda et s’empara du Djebel Deren; il conquit également par la force des armes les pays de Rouda et de Chefchaoua, de Nefys et de tout le Djedmyoua. Les Kabyles de Haha et de Radjeradja vinrent vers lui et firent acte de soumission; ensuite il se rendit à Aghmât, ville alors gouvernée par Lekout ben Youssef ben Aly elMaghraouy, il en fit le siége et l’attaqua vigoureusement. Lekout, s’aperce­ vant bientôt. de son impuissance contre un pareil ennemi, lui livra la ville et prit la fuite, pendant la nuit, avec tous les siens, du côté de Tedla, où il se mit sous la protection des Beni Yfran, qui en étaient, les maîtres. Les Morabethyn entrèrent à Aghmât en 449 (1057 J. G.). Abd Allah ben Yassyn y resta environ deux mois pour donner du repos à sa troupe, et il se remit en campagne pour envahir le Tedla ; il s’en empara, en effet, et extermina tous les Beni Yfran, ainsi que Lekout el-Maghraouy qu’il avait fait prison­ nier. Ensuite, il conquit encore le Temsna, et là il apprit qu’il y avait sur les terres situées au bord de la mer un grand nombre de tribus de Berghouata, qui étaient infidèles et vouées au culte des idoles.

    ____________________ 1 Massa ou Messa, ville située à l’embouchure de l’Oued Sous, peuplée de Ber­ bères, de Maures et d’environ trois mille juifs. 2 Partie des Chyhytes.

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    HISTOIRE DES INCURSIONS D’ABD ALLAH BEN YASSYN CONTRE LES IDOLÂTRES BERGHOUÂTA ; LEUR FAUSSE LOI. LEUR RELIGION IGNOBLE ET INSENSÉE.

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    Quand Abd Allah ben Yassyn arriva au pays de Temsna, il apprit que, sur les bords de la mer, vivaient des tribus Berghouata en nombre considé­ rable, et que ces tribus étaient idolâtres, infidèles, perverties, et suivaient une détestable religion ; on lui raconta que les Berghouata ne descendaient ni d’un seul père, ni d’une seule mère, mais que c’était un mélange de plusieurs tribus berbères, réunies dans le temps sous les ordres de Salah ben Thryf, qui prétendait. être prophète et vint fixer sa résidence à Temsna, sous le règne de Hischam ben Abd el-Malek ben Mérouan ; il était originaire (que Dieu le maudisse !) de Bernatha, forteresse de la province de Chedouna (Sidonia), en Andalousie, et ses premiers disciples furent appelés Bernathy, dont les Arabes firent Berghouaty, d’où leur nom de Berghouata. Salah ben Thryf, le prétendu prophète, était un scélérat, de race juive, descendant des Ouled Chemaoum ben Yacoub (à lui le salut !) ; et avait surgi, en effet, à Bernatha, en Andalousie. De là il était allé en Orient, et s’était instruit chez Obeïd elMoutazly el-Kadary, auprès duquel il s’occupa de magie et acquit beaucoup d’art ; alors il revint au Maghreb et s’établit à Temsna où il trouva une popu­ lation de Berbères ignorants, aux yeux desquels il fit briller l’Islamisme en leur prêchant la continence et la piété. Puis il commença à s’emparer de leur esprit et de leur affection par sa magie, son éloquence et les tours de toute espèce dont il les émerveillait, au point que ces Berbères ne tardèrent pas à croire à ses vertus et à sa sainteté, qu’ils en firent leur chef et suivirent ses conseils dans toutes leurs affaires, se soumettant à ses ordres et à ses défenses. Ce fut alors qu’il se prétendit prophète, et prit le nom de Saleh elMoumenyn (le vertueux parmi les Croyants), leur disant : «Je suis bien le Saleh el-Moumenyn(1) dont Dieu a parlé dans son livre chéri, qu’il a fait des­ cendre à notre seigneur Mohammed (que Dieu le couvre de sa miséricorde et du salut !)» et en même temps il établit une religion qu’ils adoptèrent. C’était en l’an 125. Cette hérésie, instituée par Salah ben Thryf, consistait à le reconnaître pour prophète, à jeûner pendant le mois de radjeb, et à manger pendant le ramadhan, à faire dix prières, dont cinq pendant la nuit et cinq pendant le jour. Chaque musulman était tenu de faire un sacrifice le 21 de moharrem ; il leur prescrivait dans les ablutions de se laver le nombril et les hanches, de prier en remuant la tête seulement sans se prosterner le front contre terre, excepté dans la dernière rikha, pendant laquelle ils devaient se

    ____________________ 1 Koran, chap. LXXVI : la Défense, vers. 4. Mais si vous vous joignez contre le Prophète, sachez que Dieu est son protecteur, que Gabriel, que Saleh el-Moumenyn (le vertueux parmi les Croyants) et des anges lui prêteront aussi assistance.»

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    prosterner cinq fois ; de dire, en commençant à manger ou à boire besm Yakess, (au nom de Yakess), prétendant que cela voulait dire besm Allah (au nom de Dieu) ; de payer la dîme de tous les fruits; il leur permettait d’épou­ ser autant de femmes qu’ils voulaient, à l’exception de leurs cousines, avec lesquelles il leur défendait de se marier ; ils pouvaient répudier et reprendre leurs femmes mille fois par jour si bon leur semblait, les femmes n’étant jamais défendues ; il leur ordonnait de tuer le voleur partout où ils 1e trou­ veraient, prétendant que le sabre seul pouvait le purifier de sa faute ; il leur permit de payer le prix du sang avec des bœufs, il leur défendit la tête de toute espèce d’animaux et les volailles comme des choses sales et répu­ gnantes. Quant aux coqs, attendu qu’ils indiquaient les heures de prière, il était défendu de les tuer et d’en manger sous peine de rendre la liberté à un esclave ; il leur prescrivait encore de lécher la salive, de leur gouverneur en guise de bénédiction ; et, en effet, lorsqu’il crachait dans la paume de leurs mains, ils léchaient religieusement ces crachats, ou ils les emportaient soigneusement à leurs malades pour assurer la guérison. Il leur fit un Koran pour lire leurs prières dans leurs mosquées, prétendant que ce Koran lui avait été inspiré et envoyé par Dieu très-haut. Celui qui mettait en doute un seul de ces préceptes était infidèle. Le Koran de Ben Thryf avait quatre­ vingts chapitres, qui se nommaient pour la plupart des noms des prophètes ; il contenait les chapitres suivants : Adam, Noé, Job, Moïse, Aaron, Asbath, les douze tribus, Pharaon, les fils d’Israël, le coq, la perdrix, la sauterelle, le chameau, Harout et Marout(1), Eblis, la résurrection, les merveilles dit monde. Il pré tendait que ce livre renfermait la science suprême ; il pres­ crivait encore de ne point se laver après le coït, à moins que ce ne fût un coït criminel. Mais nous avons déjà parlé plus complètement de ces Ber­ ghouata et de leurs rois dans notre grand ouvrage intitulé : Zohrat el-Bous­ tan fi Akhbar el-Zeman ou Deker el-Moudjoub bi mâ ouakâ fi el-Oudjoud, «Fleurs des jardins sur l’histoire des temps anciens, et récits des faits qui se produisent dans ce monde.» L’auteur de ce livre (que Dieu, lui pardonne !) continue son récit: Lorsque Abd Allah ben Yassyn fut informé de l’état d’ignorance et des erreurs des Berghouata, il vit qu’il fallait commencer par leur déclarer la guerre, et il se mit en campagne avec son armée de Morabethyn pour les attaquer. Les Berghouata avaient alors pour émir Abou Hafs Omar ben Abd Allah ben Aby el-Ansâry ben Aby Obeïd ben Moukhled ben Elyas ben Salah ben Thryf el-Berghouaty, le faux prophète.Il y eut entre les deux partis une guerre terrible. et sanglante. Beaucoup de monde périt de part, et d’autre ; et

    ____________________ 1 «Ce sont les démons qui enseignent .aux hommes la magie et la science qui étaient descendues d’en haut sur les deux anges de Babel - Harout et Marout.» (Koran, chap II, vers. 96.)

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    c’est dans un de ces combats que finit Abd Allah ben Yassyn el-Djezouly, le chef et le directeur des Morabethyn. Couvert de blessures sur le champ de bataille, il fut transporté, dans son camp ; respirant à peine, il fit rassem­ bler immédiatement les cheikhs et les chefs Almoravides et leur dit : «Mora­ bethyn ! vous êtes dans le pays de vos ennemis, et je vais mourir aujourd’hui sans doute ; prenez garde d’être lâches ou faibles et de vous laisser découra­ ger ! Que la vérité vous ne l’un à l’autre ; soyez frères en l’amour de Dieu très-haut, et gardez-vous de la discorde et de l’envie dans le choix de vos chefs, car Dieu donne la puissance à qui bon lui semble(1), et charge celui qui lui plaît d’entre ses esclaves d’être son lieutenant sur la terre ! Je vais me séparer de vous ; choisissez donc celui qui vous gouvernera, qui veillera sur vos intérêts, conduira vos armées, combattra vos ennemis, partagera le butin entre vous et percevra vos aumônes et vos dîmes.» Les Morabethyn décidèrent à l’unanimité de nommer Abou Beker ben Omar le Lemtouna, que ben Yassyn leur avait précédemment donné pour chef avec l’assentiment des cheikhs Senhadja. Abd Allah ben Yassyn mourut le soir même, jour du dimanche 24 djoumad el-aouel 451 (1059 J. C.). On l’ensevelit dans un endroit nommé Kerifla, et on bâtit une mosquée sur sa tombe. Abd Allah ben Yassyn était très-austère, et pendant tout le temps qu’il resta au Maghreb, il ne mangea point de viande et ne but point de lait, car les troupeaux n’étaient pas purs (allel) à cause de la profonde ignorance du peuple. Ben Yassyn ne vivait que de gibier; mais cela ne l’empêchait point de voir un grand nombre de femmes; chaque mois il en épousait plusieurs et s’en séparait successi­ vement ; il n’entendant pas parler d’une jolie fille sans lai demander aussi­ tôt en mariage. Il est vrai qu’il ne donnait jamais plus de quatre ducats de dot. Voici un signe de sa bénédiction. Les Morabethyn qui le suivirent dans ses expéditions au Soudan se trouvèrent un jour sans eau et sur le point de mourir de soif. Abd Allah ben Yassyn, ayant lait ses ablutions avec du sable, récita deux rikha et implora le Très-Haut. Les Morabethyn, se confiant à sa prière, reprirent courage, et quand il l’eut terminée il leur dit : «Creusez l’endroit sur lequel j’ai prié, ils creusèrent, et à un empan de profondeur ils trouvèrent une eaux douce et fraîche dont ils se désaltérèrent ainsi que leurs animaux, et remplirent leurs autres. Cette bénédiction dont il était revêtu lui permit aussi, entre autres choses, de jeûner depuis le premier jour de sa venue dans le Maghreb jusqu’à sa mort. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Et la principale de ses bonnes œuvres fut d’introduire chez tout un peuple le Sonna et la réunion (dans les mosquées), qu’il affermit en décrétant que celui qui manquerait à la prière dans les mosquées recevrait vingt coups de nerf, et que celui qui en manquerait une partie en recevrait cinq coups.

    ____________________ 1 Koran, chap. II ; la Vache, vers. 248.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

    CONTINUATION DU RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU BEKER, LE SENHADJA, LE LEM’TOUNA.

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    L’émir Abou Beker ben Omar ben Thlekakyn ben Ouayaktyn, le Lemtouna, le Mhamoudy, eut pour mère Safya, femme libre de Djedâla. Nommé par Abd Allah ben Yassyn et confirmé par les chefs des Mora­ bethyn, Senhadja et autres Kabyles, son autorité se trouvait être parfaite­ ment établie ; son premier acte fut de faire ensevelir Abd Allah ben Yassyn; aussitôt après, il réunit son armée et, mettant sa Confiance en Dieu pour ses combats et pour toutes ses affaires, il se porta contre les Berghouata avec la ferme résolution de les exterminer. Les Berghouata, battus, prirent la fuite devant lui; mais les Morabethyn, s’élançant à leur poursuite, firent prison­ niers tous ceux qu’ils ne massacrèrent pas, et leur déroute fut complète. Quelques-uns à peine parvinrent à s’échapper dans les bois ; les autres embrassèrent l’Islamisme, et, depuis lors jusqu’à ce jour, il n’est plus resté de trace de leur fausse religion. L’émir Abou Beker réunit les biens et les dépouilles des vaincus à Aghmât(1), et y demeura jusqu’au mois de safar 452. Alors il se remit en campagne avec son armée et accompagné d’une foule innombrable de Sen­ hadja, de Djezouly et de Masmoudy, et il conquit le pays de Fezaz, ses mon­ tagnes, les terres des Zenèta et les villes du Mekenèsa. De là il se porta contre la place forte de Louata, en fit le siège, et y entra par la force des armes. Il y fit un massacre considérable de Beny Yfran, et détruisit la ville, qui ne s’est plus relevée jusqu’à ce jour. Les événements eurent lieu à la fin du mois de raby el-tâny 452. Après ses exploits de Louata, Abou Beker retourna à Aghmât, où il s’était précédemment marié avec une femme nommée Zyneb bent Ishac el-Houary, négociant originaire de Kairouan. Cette femme était résolue, intelligente, douée d’un sens droit et d’opinions justes, prudente et versée dans les affaires, à tel point qu’on la surnommait la Magicienne. L’émir était auprès d’elle à Aghmât depuis trois mois, quand un envoyé du pays du Sud vint lui annoncer que le Sahara était en révolu­ tion. Abou Beker était un saint homme, d’une abstinence entière, et qui ne supportait pas que l’on attaquât des Musulmans et que l’on fît couler leur sang inutilement ; il résolut, en conséquence, d’aller lui-même au Sahara pour rétablir l’ordre et faire la guerre aux infidèles du Soudan. Au moment de partir, il se sépara de sa femme en lui disant : «Ô Zyneb ! tu es un être accom­ pli de bonté et de beauté extrêmes ; mais je dois te quitter et m’en aller au Sahara pour faire la guerre sainte et gagner le salut du martyr et les grandes

    ____________________ 1 Aghmât, grande ville jadis fortifiée et florissante, n’ayant pas plus aujourd’hui de cinq mille cinq cents habitants, dont mille Juifs environ, située à une journée sud du Maroc, au pied de l’Atlas, sur le chemin du Tafilelt.

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    récompenses de Dieu. Tu n’es une faible femme, et il te serait impossible de me suivre et de vivre dans ces déserts ; c’est pourquoi je te répudie. Quand le terme fixé sera passé, marie-toi avec mon cousin Youssef ben Tachefyn, car il est mon lieutenant dans le Maghreb.» S’étant ainsi séparé de Zyneb, l’émir sortit d’Aghmât et traversa le pays de Tedla jusqu’à Sidjilmessa, où il entra et resta quelques jours pour orga­ niser le gouvernement. Au moment de quitter cette ville, il fit venir son cousin Youssef ben Tachefyn et le nomma émir du Maghreb ; il l’investit de pouvoirs absolus et lui ordonna d’aller faire la guerre à ce qui restait des Maghraoua, des Beny Yfran et des Kabyles, ZenèTa et Berbères. Les Cheïkhs des Morabethyn reconnurent la souveraineté de Youssef parce qu’ils savaient qu’il était religieux, vertueux, courageux, résolu, entrepre­ nant, austère, et qu’il avait l’esprit juste. Il rentra donc au Maghreb avec la moitié de l’armée des Morabethyn, et l’émir Abou Beker ben Omar partit, avec l’autre moitié pour le Sahara; cela eut lieu dans le mois dou’l kâada, an 453 (1061 J. C.). Youssef ben Tachefyn épousa Zyneb, excellente conseillère d’état, qui lui valut, par sa publique habile, la conquête de la plus grande partie du Maghreb; elle mourut en 464 (1071 J. C.). L’émir Abou Beker arriva au Sahara, apaisa les révoltés et, purifia le pays ; ensuite Il rassembla une grande armée et se mit en campagne pour courir sur les pays du Soudan, où il combattit jusqu’à l’entière soumission de toute cette contrée, qui n’a pas moins de trois mois de marche. De son côté, Youssef ben Tachefyn conquit la plupart des villes du Maghreb, et y affermit de plus en plus sa puissance. L’émir Abou Beker, ayant appris l’ex­ tension que prenait le royaume de son cousin, et toutes les conquêtes que Dieu lui avait accordées, quittai le Sahara et se mit en marche pour venir le remercier et le remplacer ; mais Youssef, devinant ses projets, demanda conseil à sa femme Zyneb, qui lui répondit : «Youssef, votre cousin ; est un saint homme qui ne veut pas répandre le sang ; dès que vous le rencontre­ rez, manquez aux égards qu’il était habitué à rencontrer chez vous, ne lui montrez ni politesse modestie, et recevez-le comme votre égal. En même temps, offrez-lui quelques riches cadeaux, des étoffes, des vêtements, de la nourriture et des objets utiles et curieux; offrez-lui en beaucoup, car, dans le Sahara, tout ce qui vient d’ici est rare et précieux.» En effet, à l’appro­ che de l’émir Abou Beker ben Omar vers les états d’Youssef, celui-ci sortit au-devant de lui et, l’ayant rencontré en chemin, il le salua de cheval, brus­ quement et sans descendre de sa monture. L’émir, jetant les yeux sur ses troupes, fut frappé de leur grand nombre : «Youssef, lui dit-il, que faites­ vous donc de cette armée ? — Je m’en sers contre quiconque est mal inten­ tionné contre moi,» lui répondit-il.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Dès lors Abou Beker conçut des doutes sur ce salut fait à cheval et sur cette réponse; mais apercevant, aussitôt mille chameaux chargés venir vers lui : «Qu’est-ce que cette caravane ?» dit-il. Et son cousin lui répondit : «Ô prince, je suis venu vers vous avec tout ce que j’ai de richesses, d’étoffes, de vêtements et de provisions de bouche pour que vous n’en manquiez pas dans le Sahara.» A ces morts, l’émir comprit tout à fait, et lui dit : «Ô Youssef, descendez de cheval pour entendre mes recommandations :» Ils descendi­ rent tous deux ; on leur mit des tapis à terre et ils s’y étendirent. L’émir reprit : «Ô Youssef, je vous ai donné le pouvoir, et Dieu m’en tiendra compte; crai­ gnez Dieu et pensez à lui dans votre conduite, envers les Musulmans ; que vos bonnes œuvres me donnent la liberté en l’autre monde et vous l’assurent à vous-même. «Veillez avec soin sur les intérêts de vos sujets, car vous aurez à en répondre devant Dieu. Que le Très haut vous rende meilleur; qu’il vous accorde son aide et vous dirige dans la bonne voie et dans la justice envers votre peuple, car c’est lui qui me remplace ici pour vous et vos sujets.» Alors il retourna au Sahara et y passa sa vie à faire la guerre aux infidèles jusqu’à ce qu’enfin, blessé dans un combat par une flèche empoisonnée, il mourut martyr (que Dieu lui fasse miséricorde !), dans le mois de châaban le sacré ; an 480 (1087 J. C.), après avoir étendu sa domination sur le Sahara jusqu’au Djebel Deheb (montagne d’or), dans le Soudan. Et c’est ainsi que le pouvoir échut entièrement. à Youssef ben Tachefyn.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YOUSSEF BEN TACHEFYN, LE LEMTOUNA, SA VIE ET SES GUERRES.

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    L’émir des Musulmans Youssef ben Tachefyn ben Ibrahim ben Tarkout ben Ouartakthyn ben Mansour ben Mesâla ben Oumya ben Outasela ben Talmyt et-Hamiry, le Senhadja, le Lemtouna, descendant d’Abd Chems ben Ouatil ben Hamyar ; sa mère était Lemtouna, cousine de son père et se nommait Fathma bent Syr fils de Yhya ben Ouaggâg ben Ouartakthyn sus­ nommé. Voici le portrait de Youssef : teint brun, taille moyenne, maigre, peu de barbe, voix douce, yeux noirs, nez aquilin, mèche de Mohammed retom­ bant sur le bout de l’oreille, sourcils joints l’un à l’autre, cheveux crépus. Il était courageux, résolu, imposant, actif, veillant sans cesse aux affaires de l’état, et aux intérêts de ses villes et de ses sujets, entretenant avec soin ses forteresses, et toujours occupé de la guerre sainte, aussi Dieu le soutenait et lui donnait la victoire ; généreux, bienfaisant, il dédaignait les plaisirs du monde; austère, juste et saint, il fut modeste jusque dans ses, vêtements ; quelque grande que fût la puissance que Dieu lui donna, il ne se vêtit jamais qu’avec de la laine à l’exclusion de toute autre étoffe ; il se nourrissait d’orge, de viande et de lait de chameau, et s’en tint strictement à cette nourriture

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    jusqu’à sa mort. (Que Dieu lui lasse miséricorde !) Le seigneur lui donna un vaste royaume en ce monde, et permit que le khotbah fût lu en son nom en Andalousie, et au Maghreb sur mille neuf cents chaires. Son empire s’étendit depuis la ville d’Afragha(1), première ville des Francs, la plus reculée à l’est de l’Andalousie, jusqu’à l’extrémité des provinces de Schantarin et d’As­ chbouna(2), sur l’océan, à l’occident de l’Andalousie, sur Une étendue de trente-trois jours de marche en longueur, et environ autant en largeur. Dans le Maghreb il possédait, depuis l’Adoua de Djezaïr, Beny Mezghanna(3) jus­ qu’à Tanker d’une part, et jusqu’à l’extrémité du Sous el-Aksa et des mon­ tagnes d’or, dans le Soudan. Dans aucune de ses possessions, sa vie durant, on ne paya d’autres impôts, droits ou tributs, dans les villes un dans les cam­ pagnes, que ceux ordonnés par Dieu et prescrits dans le Koran et le Sonna, c’est-à-dire l’aumône, la dîme, la Djezya. (tribut) des sujets infidèles et le cinquième du butin fait en guerre sainte; il réunit ainsi plus d’argent que jamais souverain n’en avait amassé avant lui. On dit qu’à sa mort il se trou­ vait dans le bit el-mâl 13,000 mesures (roubah) de monnaies d’argent et 5,040 roubah de monnaies d’or. Il confia la justice aux kadys et abrogea toutes les lois qui n’étaient pas musulmanes. Chaque année il faisait le tour de ses provinces pour inspecter les affaires de ses sujets ; il aimait les fekhys, les savants et les saints, il s’en entourait, et leur demandait leurs conseils qu’il estimait beaucoup. Pendant toute sa vie, il les combla d’honneurs et leur alloua des traitements sur les fonds du bit el-mâl. Un excellent carac­ tère, une grande modestie, et des mœurs très-douces complétaient toutes ses vertus, et comme l’a dit le fekhy, le secrétaire Abou Mohammed ben Hamed, dans une poésie dédiée à ce prince et à ses enfants : «c’était un roi possédant la plus haute noblesse des Senhadja descendants d’Hamyr, et quand on possède, comme eux, toutes les vertus, on devient humble, modeste, et l’on se couvre le visage(4).» Youssef ben Tachefyn naquit dans le Sahara, l’an 400 (1006 J. C.), et mourut l’an 500 (1106 J.C.), à l’âge de cent; ans. Son règne, au Maghreb, date du jour où l’émir Abou Beker le nomma son lieutenant, et finit à sa mort, c’est-à-dire qu’il dura quarante-sept ans, de l’an 453 à 500. Son surnom était; Abou Yacoub, et plus habituellement on le nommait l’Émir. Lorsqu’il conquit l’Andalousie, et après la bataille de Zalâca, où Dieu

    ____________________ 1 Aujourd’hui Fraga, à 50 milles de Lérida. 2 Santarem et Lisbonne. 3 Les îles des fils de Mezghanna. Aujourd’hui Alger. 4 Allusion à l’usage du Litham, voile, espèce de bandeau dont les Lemtouna, fraction des Senhadja el-Moulethemyn (les voilés), se couvraient le visage; comme le font encore de nos jours, sur la lisière du Sahara, les Touareg, qui descendent également des Senhadja.

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    abaissa les rois des Chrétiens, tous les émirs de l’Andalousie et les princes présents à cette guerre le reconnurent pour souverain. Ces rois étaient au nombre de treize, et ils le, proclamérent Amir el-Moumenyn. Youssef ben Tachefyn est le premier des souverains du Maghreb qui prit ce titre de Prince des Croyants par lequel, depuis lors, il commença ses lettres, dont les premières furent lues en chaire dans les villes de l’Adoua et de l’An­ dalousie pour annoncer la nouvelle de la victoire de Zalâca et tout ce que Dieu lui avait accordé de butin et de conquêtes. A partir de cette époque, il fit, battre une nouvelle monnaie, sur laquelle étaient gravés ces mots, Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mohammed est l’envoyé de Dieu, et an-dessous: Youssef ben Tachefyn, émir des Musulmans, et en exergue : Celui qui veut une religion autre que l’lslam, Dieu ne le recevra pas, et au dernier jour, il sera parmi les perdants(1). Sur le revers de la pièce était gravé, L’émir Abd Allah el-Abessy, prince des Croyants, et en exergue, la date et le lieu de la fabrication. L’émir Youssef ben Tachefyn eut cinq fils : Aly, qui lui succéda, Temym, Abou Beker, El-Mouâz et Ibrahim, et deux filles, Kouta et Ourkya. Lorsque Abou Beker ben Omar lui donna le commandement du Maghreb et le revêtit de pouvoirs absolus, en 453, il quitta la ville de Sidjilmessa, et arriva à l’Oued Moulouïa ; là il examina son armée et y compta quarante mille Morabethyn, dont il confia une partie à quatre généraux, dont voici les noms : Mohammed ben Temym el-Djedély, Amran ben Soliman el-Mes­ soufy, Medreck el-Talkany et Syr ben Aby Beker et Lemtouna ; il donna à chacun d’eux le commandement de cinq mille hommes de leurs tribus, et il les fit marcher en avant pour aller combattre ce qui restait dans le Maghreb de Maghraoua, Beny Yfran et autres tribus berbères en état de révolte. Sui­ vant, leurs traces, il envahit lui-même, l’une après l’autre, toutes les villes et les tribus du Maghreb. Les uns fuyaient à son approche, les autres se soumettaient ou étaient vaincus après quelques combats, et c’est ainsi qu’il ne revint à Aghmât qu’après avoir tout subjugué. C’est alors qu’il épousa Zyneb, répudiée par son cousin Abou Beker ben Omar, et qui fut le soutien de sa prospérité. L’an 454, vit les affaires de Youssef ben Tachefyn se forti­ fier au Maghreb et sa renommée grandir. Il acheta, à un propriétaire de Mas­ mouda, le terrain de la ville de Maroc, et s’y établit sous une tente, auprès de laquelle il fit bâtir une mosquée pour la prière, et une petite kasbah pour y déposer ses richesses et ses armes ; mais il ne l’entoura point de murs. Quand on commença la construction de la mosquée, il se couvrit de mauvais vêtements et travailla lui-même au mortier et à la bâtisse avec les maçons, et cela par humilité et modestie. (Que Dieu lui accorde le pardon et utilise le

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     1 Koran. chap. III : la famille d’Imran, v. 79.

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    but de ses travaux !) L’endroit où Youssef travailla ainsi se nomme aujourd’hui Sour el-Kheyr à Maroc, et est situé au nord de la mosquée des Ketoubyn (marchands de livrées). L’emplacement de Maroc étant sans eau, on y creusa des puits et l’on s’en procura à peu de profondeur ; les habitants s’établirent ainsi sans murs d’enceinte ; on en construisit en huit mois sous le règne d’Aly, fils de Youssef, l’an 526. Plus tard, l’émir des Musulmans Abou Youssef Yacoub el-Mansour ben Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, l’Almohade, régnant au Maghreb, embellit Maroc de construc­ tions nouvelles et de citernes. Cette ville fut sans interruption la capitale des Morabethyn, et après eux des Mouaheddyn (Almohades) jusqu’à la fin de leur règne, où le siège du gouvernement fut transféré à Fès. Dans ladite année 554, Youssef organisa ses armées, augmenta le nombre de ses généraux, et conquit un grand nombre de villes ; il institua l’usage du tambour et des enseignes dans ses troupes; envoya des gouver­ neurs munis de nominations écrites dans les chefs-lieux, et créa des légions de Aghzâz et d’arbalétriers pour en imposer aux Kabyles du Maghreb. Avec ces corps nouveaux, son armée comptait cette année-là cent mille cavaliers des tribus Senhadja, Djezoula, Masmouda et Zenèta. S’étant mis à leur tête, il se dirigea du côté de Fès, et il rencontra sur son chemin des corps nombreux et formidables de Kabyles Zouagha, Lemaya, Loueta, Sedyna, Sedrâta, Meghyla, Behloula, Médiouna et autres qui demandaient l’attaque. Il y eut entre lui et ces tribus une terrible guerre, qui eut leur défaite pour issue ; les vaincus se réfugièrent dans la ville de Médiouna ; mais Youssef, arrivant sur leurs traces, s’en empara d’assaut, détruisit ses murs et y mas­ sacra plus de quatre mille hommes ; puis il s’avança vers Fès, et s’établit auprès de cette ville, après en avoir soumis tous les environs. C’était à la fin de l’an 454. Youssef demeura campé en cet endroit pendant quelques jours, et étant parvenu à s’emparer du gouverneur de la ville, Bekâr ben Brahim, il le fit mourir. Marchant alors sur Soforou, il y entra immédiatement par la force du sabre et y massacra les Ouled Messaoud el-Maghraoua, qui étaient les maîtres de cette ville et la gouvernaient. Revenant aussitôt à Fès, il en fit le siége et s’en empara pour la première fois; c’était en 455. Youssef resta quelques jours dans cette capitale où il établit un gouverneur Lemtouna, et il partit pour le pays de Ghoumâra ; mais à peine se fut-il éloigné de Fès et avancé chez les Ghoumâra, les Beni Manser ben Hamed, arrivant d’un autre côté, s’emparèrent, à leur tour de cette ville et tuèrent le gouverneur Lemtouna. En cette même année, El-Mehdy ben Youssef el-Keznany, chef de la province de Mekenèsa, reconnut la souveraineté de Youssef ben Tachefyn, et fit sa soumission aux Morabethyn ; Youssef le laissa gouverneur de sa

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    province et lui ordonna de se mettre en campagne à la tête de ses troupes pour combattre les tribus du Maghreb. El-Mehdy fit ses préparatifs et partit avec son armée de la ville de Ghousedja pour rallier Youssef ben Tachefyn; mais, à cette nouvelle, Temym ben Manser el-Maghraoua, qui gouvernait Fès, craignant que les Morabethyn ne devinssent trop forts contre lui, sortit en toute hâte de la ville pour lui couper le chemin, à la tête d’une armée de Maghraoua et de Zenèta. Il l’atteignit, en effet, en route et l’attaqua. Le combat fut terrible; El-Mehdy ben Youssef fut tué, son armée fut disper­ sée, et Temym ben Manser envoya sa tête au gouverneur de Septa (Ceuta) nommé Soukra el-Berghouaty. - Les habitants de Mekenèsa envoyèrent aus­ sitôt un message à Youssef ben Tachefyn pour lui apprendre la perte de leur émir, et lui offrir leur pays. Youssef accepta et envoya de temps en temps des détachements de Morabetllyn pour harceler Temym ben Manser et faire des riazas sur ses terres. Celui-ci, voyant sa position devenir de plus en plus difficile par la prolongation d’une guerre qui occasionnait la famine en ne permettant plus aux denrées du dehors d’entrer à Fès, rassembla toute son armée de Maghraoua et de Beny Yfran, et fit, à leur tête, une sortie contre les Morabethyn. Il fut vaincu et tué dans le combat, ainsi que la majeure partie de ceux qui l’entouraient. El-Kassem ben Mlolammed ben Abd er-Rahman ben Brahim ben Moussa ben Aby el-Afya le Zenèta, s’érigea aussitôt à la place de Temym ben Manser comme gouverneur de Fès, et réunit à son tour les tribus Zenèta pour marcher contre les Morabethyn. Il les rencontra à l’Oued Syffy, et les défit après de grands combats où la majeure partie de leur cavalerie fut détruite. Cette nouvelle parvint à Youssef pendant qu’il assiégeait la forteresse de Madhy dans le Fezaz, et il abandonna aussitôt les opérations, laissant un corps de Morabethyn suffisant pour continuer le siège. (Ce siége dura neuf ans, et les Morabethyn finirent par entrer dans la place sans coup férir, en 465.) Ce fut en 456 que Youssef partit de .la forte­ resse de Madhy; il se rendit chez les Beny Merassa, dont l’émir était alors Yaly ben Youssef, les envahit, en massacra une grande partie, et s’empara de leur pays. De là il alla dans le pays de Fendoula, qu’il conquit entière­ ment. En 458 (1065 J. C.), il s’empara des terres de Ouargha, et, en 460, il subjugua tout le pays de Ghoumâra, ainsi que les montagnes du Rif jusqu’à Tanger. En 462, Youssef ben Tachefyn marcha sur Fès avec toute son armée. Après un siége rigoureux, il entra par la force des armes dans cette capitale, et y massacra tout ce qu’elle renfermait de Maghraoua. de Beny Yfran, de Mekenèsa et de Kabyles Zenèta. Il en fit un tel carnage que les rues et les places étaient couvertes de cadavres. Plus de trois mille hommes furent mis à mort dans les mosquées El-Kairaouyn et El-Andalous. Les survivants pri­ rent la fuite dans les environs de Tlemcen. Telle fut la seconde prise de Fès

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    par Youssef ben Tachefyn. Il y entra le jeudi, deuxième jour de djoumad el­ tâny, an 462. Une fois maître de la ville, son premier soin fut de la fortifier et da la réparer. Il fit abattre les murs qui séparaient les deux Adoua El-Andalous et El-Kairaouyn, de façon à n’en faire qu’une seule et même ville. Il ordonna de bâtir des mosquées dans les faubourgs et dans tous les passages, et lors­ qu’il trouvait une rue sans mosquée, il adressait des reproches à ses habi­ tants et leur enjoignait d’en construire une immédiatement. Il fit également bâtir des bains, des fondouks, des moulins, et réparer et embellir les bazars. Youssef ben Tachefyn passa ainsi un an environ, àFès; au mois de, safar 463 (1070 J. C.), il se mit en campagne pour les pays de la Moulouïa, et il conquit les forteresses d’Ouatat. En 464, il réunit autour de lui les émirs du Maghreb et les cheïkhs des Zenèta, des Masmouda, des Ghoumâra et de toutes les tribus berbères. Ces cheïkhs, en arrivant, reconnaissaient sa sou­ veraineté, et, il leur donnait à chacun des vêtements et de l’argent. Il sortit ensuite à leur tête pour parcourir les provinces du Maghreb et inspecter les affaires de ses sujets et la conduite des gouverneurs et de leurs préfets; il améliora ainsi beaucoup de choses. En 465, il s’empara par la force des armes de la ville de Demna, située sur les confins de Tanger, et il conquit, le Djebel Ghaloudan. En 467 (1074 J. C.), il se rendit, maître des monts Ghyata, Beny Mekoud et Beny Rehyna, dont il fit périr un grand nombre d’habitants ; ensuite il divisa ses états du Maghreb en plusieurs commande­ ments ; il nomma Syr ben Abi Beker gouverneur de Mekenèsa et des pays de Meglâla et Fezaz ; Omar ben Soliman gouverneur de Fès et ses dépen­ dances; Daoud ben Aycha gouverneur de Sidjilmessa et du Draa ; et son fils Temym gouverneur d’Aghmât, de Maroc, des pays du Sous el-Aksa, de Masmouda, de Tedla et de Temsna. A cette époque (467, El-Moutamed ben Abbed, émir de Séville, adressa un message à Youssef ben Tachefyn pour l’inviter à venir faire la guerre sainte en Andalousie, et pour lui demander du secours. Youssef lui répondit : «Je ne puis le faire tant que je ne posséderai pas Tanger et Ceuta.» Ben Abbed lui conseilla alors de marcher avec ses troupes sur ces villes, tandis que lui-même y enverrait des bâtiments pour les bloquer, jusqu’à ce qu’il les eût prises, et Youssef commença dès lors ses préparatifs pour cette expédition. En 470 (1077 J. C.), il envoya son général Salah ben Amran avec douze mille cavaliers Morabethyn et vingt mille cavaliers Zenèta et autres, avec ordre de marcher sur Tanger. Quand cette armée arriva dans les environs de la ville, le gouverneur Soukra el-Berghouaty, vieillard de quatre-vingt­ six ans, sortit à sa rencontre à la tête de ses troupes ; et, à la vue de l’en­ nemi, il s’écria : «Par Dieu ! le Peuple de Ceuta n’entendra pas le tambour

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    des Morabethyn tant que je serai en vie !» Les deux armées se rencontrè­ rent sur les bords de l’Oued Mina, à quelque distance de Tanger. Le combat s’engagea; Soukra fut tué et ses troupes furent détruites. Les Morabethyn entrèrent à Tanger; mais il leur restait encore à prendre Ceuta, qui était gou­ vernée par Dhya el-Doula Yhya, fils de Soukra. Néanmoins le kaïd Salah ben Amran écrivit à Youssel ben Tachefyn pour lui annoncer sa victoire. En 473 (1079 J. C.), Youssef envoya son kaïd Mezdely pour occuper la ville de Tlemcen. Ce général s’y rendit à la tète de vingt mille Morabethyn, s’en empara, et, aussitôt entré, il fit mourir le fils de l’émir de cette ville, Maly ben Yala el-Maghraoua. Il revint ensuite auprès de Youssef qu’il trouva à Maroc. L’année suivante 473 (1080 J. C.), Youssef ben Tachefyn renouvela la monnaie dans toutes ses possessions, et la fit frapper en son nom. A cette même époque, il s’empara des villes d’Agersyf, de Melila et de tout le Rif; il prit également et détruisit la ville de Takrour, qui ne s’est plus relevée depuis. En 474 (1081 J. C.), il se porta sur Oudjda, dont il s’empara, ainsi que des environs et des terres des beny Iznaten. Poursuivant son expédition il prit Tlemcen, Tenès, Oran, et se rendit maître des montagnes Ouancherys et de tout le Chélif jusqu’à Alger, Mors il retourna à Maroc, où il fit son entrée dans le mois de raby el-tâny 475 (1082 J. C.). Il reçut là une nouvelle lettre d’El-Moutamed ben Abbed qui l’informait de la misérable situation de l’Andalousie, envahie, en grande partie, par les ennemis. qui occupaient les villes et les forteresses, et il terminait en le priant, de venir lui prêter secours et assistance. Youssef lui répondit : «Si Dieu me donne Ceuta, je viendrai chez vous et je combattrai les ennemis de tout mon cœur et de toutes, mes forces.» En cette année-là, Alphonse (que Dieu le maudisse !) se mit en marche à la tête d’une armée innombrable de Chrétiens, Francs, Bechquen, Djlellka(1), etc. et parcourut l’Andalousie, s’arrêtant dans chaque pays et devant chaque ville pour saccager, détruire, tuer et faire des prisonniers ; se transportant ainsi de point en point, il s’approcha de Séville qu’il assié­ gea pendant trois jours, et il détruisit un grand nombre de villages dans l’est de l’Andalousie; il saccagea Chedounah (Sidonia) et les environs, et arriva enfin jusqu’à Djezyra Târyf (Tarifa), où, faisant entrer les pieds de son cheval dans la mer, il s’écria : «Voici enfin l’extrémité de l’Andalousie, que je viens de re soumettre aussi. Alors il revint vers la ville de Sarkousta (Sara­ gosse), dont il entreprit le siège en jurant qu’il ne s’en irait point avant de s’en être emparé, et que la mort seule pourrait l’en empêcher. C’était la ville qu’il avait à cœur de prendre la première de toutes celles de l’Andalou­ sie. L’émir qui la commandait, El-Moustayn ben Houd, lui offrit de fortes

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     1 Biscaïens et Galliciens.

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    sommes d’argent qu’il refusa en lui répondant : «L’argent et la ville, tout est à moi !» En même temps il détacha différents corps d’armée pour assiéger et bloquer simultanément tous les chefs-lieux de l’Andalousie. Enfin, en 477 (1084 J. C.), il s’empara de la ville de Thlythla (Tolède). En voyant cela, les émirs et les grands de l’Andalousie convinrent d’un commun accord d’ap­ peler à leur aide Youssef ben Tachefyn, et ils lui adressèrent un message pour l’appeler chez eux, afin de combattre et chasser l’ennemi qui assié­ geait, leurs villes. Plusieurs lettres écrites dans le même sens, c’est-à-dire demandant secours pour les Musulmans contre les Infidèles, étant parvenues à Youssef, celui-ci envoya son fils El-Mouâz à la tête d’une forte armée pour s’emparer de Septa (Ceuta). El-Mouâz fit le siége de cette place et y entra victorieux dans le mois de raby el-tâny, an 477. Youssef reçut la nouvelle à Fès, et entreprit aussitôt de grands préparatifs de guerre. Il rassembla les Kabyles du Maghreb pour célébrer la victoire de Ceuta, et il se mit, immé­ diatement en route pour se rendre dans la ville conduise et passer de là en Andalousie. C’est. alors que Moutamed ben Abbed, voyant, d’un côté, qu’Alphonse s’était emparé de Tolède, de ses environs, et qu’il avait redou­ blé les rigueurs de son siége contre Saragosse, et apprenant, d’un autre côté, que Youssef avait conquis Ceuta, se mit en mer et passa dans l’Adoua pour redoubler ses instances auprès d’Youssef ben Tachefyn. Il le, rencontra sur la route de Tanger, à l’endroit nommé Belyouta, à trois jours de marche de Ceuta, et il lui donna des nouvelles de l’Andalousie ; il lui exposa la terreur et la faiblesse des habitants, ses craintes et le mal qu’Alphonse et ses armées faisaient aux Musulmans, qui ne rencontraient partout que la mort ou la cap­ tivité. Enfin, il le prévint du projet de ce prince de s’emparer de Saragosse. Youssef lui répondit : «retournez dans votre pays et préparez-vous ; j’arri­ verai bientôt avec l’aide de Dieu.» L’émir Ben-Abbed rentra donc en Anda­ lousie, et Youssef arriva à Ceuta, où il mit en ordre le gouvernement et les affaires. Il fit préparer ses navires et rassembla ses soldats. De toutes parts il lui arrivait du monde. Les Kabyles venaient en troupes du Sahara, du Sud, du Zab et du Maghreb. Il commença alors à embarquer son armée, et il est impossible de dire le nombre d’hommes qui passèrent ainsi en Andalousie. Quand toute cette armée fut débarquée sur l’autre bord, à El-Hadra (Algézi­ ras), Youssef s’embarqua. lui-même avec un nombre considérable de Kaids des Morabethyn, de guerriers et de saints. Dès qu’il fut monté à bord du navire, il leva les mains en priant le Très-Haut et disant : «Ô Dieu, si vous savez que cette traversée dont être utile aux Musulmans, facilitez-moi le passage de la mer, et, dans le cas contraire, faites que ce voyage soit diffi­ cile et pénible au point de me forcer à retourner ici.» Dieu lui facilita le pas­ sage, qui fut très-prompt. Il eut lieu le Jeudi, à midi, 15 de raby el-aouel, an 479(30 juin 1086 J. C.). L’émir débarqua à Algéziras (El-Hadra) et y fit, sa

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    prière du Douour. Il y trouva Moutamed ben Abbed et tous les émirs et les grands de l’Andalousie qui l’attendaient. A la nouvelle dit passage en Andalousie de l’émir des Musulmans Youssef ben Tachefyn, Alphonse se retira de Saragosse et se porte à sa ren­ contre pour l’attaquer.

    HISTOIRE DU PASSAGE EN ANDALOUSIE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS YOUSSEF BEN TACHEFYN POUR FAIRE LA GUERRE SAINTE ET RÉCIT DE LA BATAILLE DE ZALACA.

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    L’auteur de ce livre (que Dieu lui fasse miséricorde !) a écrit : «Aus­ sitôt que, Youssef ben Tachefyn, arrivant sur les traces de son armée, fut débarqué, la nouvelle en parvint à Alphonse, et ébranla son courage et sa résolution. Il se retira de Saragosse et adressa immédiatement des messages à Ben Radmyr(1) et, à Berhâmes(2) (que Dieu les maudisse !) En ce moment, Ben Radmyr assiégeait la ville de Tartoûcha (Tortose), et Berhânes assié­ geait Valence ; ils accoururent joindre leurs forces à celles d’Alphonse, qui demanda également des secours dans les pays de Kachtela (Castille), de Djalikia (Galice) et de Biouna (Bayonne), d’où il lui arriva bientôt des armées innombrables de Chrétiens. Dès qui’Alphonse eut réuni ces troupes infidèles et qu’il les eut, mises en ordre, il marcha en avant à la rencontre d’Youssef ben Tachefyn et des armées musulmanes. Youssef, de son côté, quitta en toute hâte El-Hadra pour s’avancer contre les Infidèles ; il expédia à l’avant-garde, son général Abou Soliman Daoud ben Aycha, avec dix. mille cavaliers Morabethyn, et il les fut suivre de près par El-Moutamed ben Abbed, accompagné des émirs de l’Andalousie à la tête de leurs troupes. Au nombre de ces émirs figuraient Ben Smâdah, maître d’El-Merya (Almeria); Ben Habous, maître de Grenade; Ben Mousselma, maître des dernières fron­ tières (aragonaises) ; Ben Dânoum, Ben el-Afthas et Ben Ghazoun. Youssef leur ordonna d’accompagner El-Moutamed ben Abbed, afin que toutes les troupes de l’Andalousie ne fissent qu’une seule et même armée, et que les Morabethyn formassent la leur à eux seuls. Ceci réglé, les marches s’effec­ tuèrent dans un tel ordre, qu’aussitôt que l’armée d’El-Moutamed quittait un campement, Youssef y arrivait avec ses colonnes. Ils s’avancèrent tous ainsi jusqu’à Tartoûcha, (Tortose), où ils restèrent pendant trois jours, et c’est là que Youssef ben Tachefyn adressa une lettre à Alphonse, pour lui offrir trois partis à prendre : payer tribut, embrasser l’Islamisme, ou faire la guerre. À. La réception de cette lettre, Alphonse se mit dans une grande colère, et, plein d’orgueil, il répondit à l’envoyé de Youssef : «Dis à l’émir, ton maître, de

    ____________________ 1 Ben Radmyr, fils de Ramire ; don Sanche, roi d’Aragon. 2 Berhânes, don Sanche, roi de Navarre.

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    ne pas se déranger, et que je viendrai le trouver moi-même.» Youssef s’avança donc et Alphonse aussi jusque dans les environs de la ville de Bathaliouch (Badajoz), où Youssef fixa son camp, à l’endroit nommé Zalaca; El-Moutamed et les autres émirs, arrivés les premiers, avaient campé au delà d’une colline qui les séparait d’Youssef, pour en imposer davantage à l’Infi­ dèle. Les armées ennemies n’étaient séparées que par le fleuve de Badajoz, dont les uns et, les autres buvaient l’eau. Cette situation dura trois jours, durant lesquels les émissaires allaient et venaient, entre les deux camps, jus­ qu’à ce que l’on fut tombé d’accord pour fixer la bataille au lundi 14 du mois de radjeb, an 479 (1086). Sitôt après cette convention, El-Moutamed envoya un courrier à Youssef pour l’engager à se tenir sur ses gardes et prêt au combat, parce que les ennemis étaient rusés et traîtres. Le jeudi soir, 10 de radjeb susdit, Ben Abbed prépara ses colonnes et rangea son armée. Il plaça des cavaliers sur un mont élevé pour épier l’ennemi et ses mouve­ ments, et lui-même ne suspendit sa surveillance qu’à l’aurore du vendredi. Mais, tandis qu’il achevait la prière du matin, pour laquelle il était un peu en retard, les cavaliers qu’il avait postés en vedette arrivèrent en toute hâte et lui apprirent que l’ennemi s’étant mis en mouvement et se portait contre les Musulmans avec une armée nombreuse comme des nuées de sauterelles. A l’instant, Ben Abbed transmit la nouvelle à Youssef, qui se trouvait déjà prêt au combat, et avait également mis en ordre de bataille ses légions, durant cette nuit où personne ne dormit. Youssef fit aussitôt avancer son kaïd, ElMoudhafar Daoud ben Aycha, à la tête d’une forte troupe de Morabethyn et de volontaires. Ce Daoud ben Aycha était sans égal pour la résolution, le courage et la persévérance. De son côté, l’infidèle ennemi de Dieu, Alphonse, partagea son armée en deux corps, et s’avança à la tête de l’un d’eux, contre l’émir des Musulmans Youssef. Ayant rencontré l’avant-garde sous les ordres du kaïd Ben Aycha, le combat s’engagea, il fut sanglant, et les Morabethyn eurent à déployer la plus grande résignation, car le maudit les écrasa par le nombre de ses soldats, et ils furent presque tous détruits, non toutefois sans avoir porté tant de coups, que les fils des lames de leurs sabres étaient devenus comme des scies, et que leurs lances avaient volé en éclats. La seconde partie de l’armée des maudits se porta sous les ordres de Berhânes et de Ben Radmyr, contre le camp de Ben Abbed qu’elle écrasa. Tous les chefs andalous s’enfuirent vers Bathaliouclh, et il n’y eut que Ben Abbed qui, ferme avec ses soldats, soutint la bataille avec acharnement, en prenant patience, cette grande patience, que les hommes généreux ont à déployer contre la guerre des méchants. Youssef ben Tachefyn, en apprenant la défaite des chefs de l’Andalousie et la résistance héroïque opposée par El-Montamed et par Daoud ben Aycha, envoya sur-le-champ à leur secours

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    son kaïd Syr ben Abou Beker à la tête des Arabes Zenéta, Mesmouda, Ghou­ mâra et de tous les Berbères qui étaient au camp. Ensuite, il s’élança lui­ même avec les troupes Lemtouna, des Morabethyn et: les Senhadja contre le camp d’Alphonse, et il ne s’arrêta que lorsqu’il y eut pénétré. En ce moment-là Alphonse était absent et occupé à combattre Daoud ben Aycha. Youssef incendia le camp et massacra les fantassins et les cavaliers qu’Al­ phonse avait laissés pour garde, et dont quelques-uns à peine purent pren­ dre la fuite et arriver jusqu’à lui, poursuivis par l’émir des Musulmans, qui marchait victorieux, enseignes déployées, tambour battant, et précédé par ses troupes de Morabethyn qui abattaient les Infidèles avec leurs sabres et s’abreuvaient de leur sang. Alphonse, surpris à cette vue, s’écria : «Qu’est-ce donc cela ?» On lui répondit que son camp était brûlé et pillé, que ses gardes avaient été massacrés, et ses femmes faites prisonnières. Il fit aussitôt volte­ face pour attaquer l’émir des Musulmans qui, de son côté, se précipita sur lui. La bataille s’engagea, et elle fut telle, que jamais on n’en avait vu de pareille L’émir des Musulmans, monté, sur une jument, parcourait les rangs des Croyants pour les exciter et leur donner le courage et la patience néces­ saires à la guerre sainte ; il disait : «Ô Musulnnans ! soyez, forts et patients dans cette guerre sainte, contre les infidèles ennemis de Dieu : celui qui d’entre vous mourra ira au paradis comme un martyr, et celui qui ne mourra pas gagnera de grandes récompenses et un riche butin.» Et certes, les Musul­ mans combattirent ce jour-là comme combattent ceux qui aspirent au mar­ tyre et qui ne craignent point la mort ! Cependant, El-Moutamed ben Abbed, qui résistait encore avec ses compagnons, commençait à désespérer de la vie. Ignorant ce qui venait de se passer, il fut surpris de voir les Chrétiens reculer et s’enfuir, et il se figura que c’était lui qui venait enfin de les vaincre. «En avant donc contre les ennemis de Dieu !» s’écria-t-il, et aussitôt tous ses compagnons reprirent courage. Bientôt aussi, le kaïd, Syr ben Abou Beker, arrivant sur les lieux avec les Kabyles du Maghreb, Zeinèta, Mesmouda et Ghoumâra, fondit sur les Chrétiens, dont la défaite fut complète. En apprenant la victoire de l’émir des Croyants, les corps de troupes musulmanes qui avaient pris la fuite revinrent à Bathaliouch (Badajoz), et la nouvelle, courant de camp en camp, ranima tous les cœurs contre Alphonse, qui soutint le combat : jusqu’au cou­ cher du soleil. Quand il vit, le maudit, que la nuit arrivait, que son armée était, presque totalement détruite, et qu’il ne pouvait rien espérer contre la résistance et la résolution des Morabethyn, il prit la fuite en déroute, avec cinq cents cavaliers environ, qui se cachaient dans les chemins détournés, tandis que : les Morabethyn les poursuivaient en les tuant à coups de sabre, et les détruisant un à un, comme les pigeons détruisent quelques grains

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    parsemés dans un vaste champ, jusqu’à ce que les ténèbres viennent les séparer de leur pâture. Les Musulmans passèrent toute cette nuit-là à cheval, tuant ou faisant prisonniers leurs ennemis, ramassant du butin, et rendant grâce au Très-Haut de la victoire qu’il leur avait donnée. Ils firent la prière du matin sur le champ de bataille. Cette défaite des ennemis de Dieu fut la plus grande de toutes les victoires, car elle coûta la vie aux rois, aux guer­ riers et aux protecteurs des infidèles ; un seul s’échappa, et ce fut Alphonse le maudit, qui prit la fuite, couvert de blessures et escorté de cinq cents cava­ liers blessés comme lui, ont dont quatre cents environ restèrent en route. En rentrant à Tolède, Alphonse n’avait plus avec lui que cent cavaliers, compo­ sés de ses domestiques et des gens de sa suite. Cette bataille bénie eut lieu le vendredi 12 de radjeb de l’année (479. Environ trois mille Musulmans furent tués en combattant, et ce sont là autant d’hommes pour lesquels Dieu a amis le comble aux bienfaits qu’il leur avait déjà dispensés, en leur accordant la mort des martyrs ! L’émir des Musul­ mans ordonna que l’on coupât les têtes des Chrétiens tués, ce que l’on fit; et, lorsqu’on les eut amassées devant lui, il y en avait un tel nombre, qu’on eût dit une montagne. L’émir envoya dix mille têtes à Séville, et autant à Saragosse, à Murcie, à Cordoue et à Valence; de plus, il en expédia quarante mille au Maghreb, où elles furent réparties dans les différentes villes, pour y être exposées aux regards des hommes, invités par cette vue à rendre grâce à Dieu pour cette grande victoire et pour ses bienfaits. On dit que le nombre des Chrétiens qui furent tués à Zalaca s’élevait à quatre-vingt mille cava­ liers et deux cent mille fantassins ; il ne s’échappa qu’Alphonse avec cent cavaliers. C’est ainsi que Dieu abaissa les sociétaires(1) en Andalousie, et ils ne relevèrent plus leur tête durant soixante ans. C’est aussi à partir de ce jour, où le Très-Haut fit briller l’Islam et donna une preuve d’affection à son peuple, que Youssef ben Tachefyn prit le titre d’émir el-Moumenyn (prince des Croyants). L’émir écrivit sa nouvelle victoire aux villes du Maghreb, et à Temym ben el-Mouâz, maître de la Mehdïa. L’on fit de grandes réjouis­ sances partout, en Andalousie, dans le Maghreb, en Afrique, et l’union de l’Islamisime se cimenta. Les hommes firent des aumônes et donnèrent la liberté à des esclaves, en actions de grâce envers Dieu très-haut, bienfaisant et généreux. Voici quelques passages des lettres écrites par l’émir Youssef ben Tachefyn aux villes de l’Adoua : «Louanges à Dieu très-haut, qui garantit la victoire à ceux qui suivent la religion qu’il a choisie ! qu’il couvre de sa miséricorde et du salut notre Seigneur Mohammed, le plus vertueux de ses

    ____________________ 1 Sociétaires, ceux qui associent d’autres dieux à Dieu. C’est cette association que les musulmans croient voir dans la Sainte-Trinité.

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    Prophètes, la plus noble et la plus honorable de ses créatures. L’ennemi, roi des Chrétiens (que Dieu le maudisse !), que nous avions mis en demeure en rapprochant notre camp du sien de choisir une des trois choses, l’islamisme, le tribut ou la guerre, a choisi la guerre, et a fixé avec nous le jour de, l’at­ taque au lundi 15 de radjeb, en nous disant : Vendredi est jour de fête pour les Musulmans, samedi pour les Juifs, dont le nombre est grand parmi nos soldats, et dimanche pour nous, les Chrétiens. Nous nous mîmes ainsi d’ac­ cord; mais le maudit ne tint pas ses engagements, et fit le contraire de ce qu’il nous avait dit. Heureusement que sachant combien ce peuple est traître et manque à sa parole, nous fîmes de notre côté les préparatifs du combat, et nous mîmes les espions sur pied pour épier les mouvements. En effet, nous reçûmes l’avis, au point du jour du vendredi 12 de radjeb, que le maudit s’avançait avec son armée contre les Musulmans qu’il croyait surprendre. Mais les guerriers et les cavaliers des Croyants, au contraire, s’avancèrent courageusement vers l’ennemi, et commencèrent l’attaque les premiers ; ils refondirent sur les Chrétiens avant que les Chrétiens fondissent sur eux, tombant sur eux comme le vautour tombe sur sa proie, comme le lion tombe sur sa victime. Nos drapeaux, heureux et victorieux, se déployaient partout, dans la mêlée, contre Alphonse le maudit; et quand le Chrétien eut senti la victoire de nos troupes et de nos enseignes, quand il se vit assailli par l’éclair de nos sabres, enveloppé par les nuées de nos lances et foulé aux pieds de nos chevaux, il se groupa autour de son roi Alphonse, et se battit en désespéré dans une dernière attaque que les Morabethyn accueillirent avec courage et loyauté. Le vent de la guerre soufflait avec violence ; il tombait une pluie continuelle de coups de sabres et de lances le sang coulait à tor­ rents; re et la victoire bien-aimée descendit du ciel sur les amis de Dieu. Alphonse prit la fuite, blessé au genou, accompagné seulement de cinq cents cavaliers, derniers débris d’une armée de quatre-vingt mille cavaliers et deux cent mille fantassins, que Dieu avait fait tomber sous le coup de la mort subite. Il se sauva (que Dieu le maudisse !) sur une montagne des environs, du sommet de laquelle il contempla avec douleur son camp livré partout à l’incendie et au pillage. Homme sans résignation, il ne pouvait supporter cette vue ; impuissant, désormais, à réparer ses désastres, il se mit à proférer des imprécations et des blasphèmes, et il se sauva à travers les ténèbres de la nuit.» L’émir des Musulmans, au contraire, couvert par la grâce de Dieu, était debout au milieu de ses cavaliers victorieux, sous l’ombre de ses dra­ peaux flottants et glorieux dans la guerre sainte, et entouré de ses nombreux soldats. Il remercia le Très-Haut de l’avoir ainsi favorisé selon ses désirs ; il permit le pillage du camp ennemi, et sa destruction après que ses guerriers

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    en eurent enlevé, les trésors, et cela sous les yeux même d’Alphonse, qui regardait comme un homme ivre, et en se mordant les doigts de douleur et de colère. Les chefs de l’Andalousie qui avaient pris la fuite revinrent l’un après l’autre à Bathaliouch (Badajoz), où se réunirent. aussi tous les fuyards qui craignaient la honte. Un seul avait résisté, et c’est Abou el-Kassem el-Mou­ tamed ben Abbed, le plus habile des grands et des kaïds de l’Andalousie. Il arriva vers l’émir, faible, harassé, avec un bras cassé, et il le félicita de cette grande victoire et de ces hauts, faits. Alphonse se sauva à la faveur des ténèbres, n’ayant ni repos ni sommeil, et perdant quatre cents cavaliers tués en route sur cinq cents qui s’étaient échappés avec lui ; il ne lui restait plus que cent hommes lorsqu’il entra à Tolède. Grandes louanges soient rendues à Dieu pour cela ! Cette grâce immense et ce don magnifique du Très-Haut furent accor­ dés le vendredi 12 de radjeb de l’an 479, correspondant au 23 octobre, et, en preuve de cela. Aben Lebâna a dit : «C’est le vendredi qu’a eu lieu cette bataille, j’étais présent; qui pourra la décrire !» Et Aben Djemhour a dit aussi : «Ne savez-vous pas que le jour où les Chrétiens vinrent en masse était un vendredi, et que le vendredi est le jour des Arabes ?» Les grands de l’Andalousie qui assistèrent à la bataille de Zalaca n’ont laissé aucune trace assez louable pour pouvoir être décrite, à l’exception de Ben Abbed, qui résista avec une fraction de son arme et reçut six blessures en se battant avec bravoure. C’est lui qui dit à un de ses enfants : «O Abou Hachem ! les coups de lance m’ont brisé, mais Dieu m’a donné la force de supporter mes blessures : Au milieu de la poussière du combat, j’ai pensé à vous, et ce souvenir m’a préservé de prendre la fuite.» L’émir des Musulmans Youssef reçut, ce jour-là, la nouvelle de la mort de son fils, Abou Beker, qu’il avait laissé malade à Ceuta ; il en éprouva un vif chagrin et revint en toute hâte à l’Adoua, où il ne serait pas retourné de sitôt sans cet événement; il entra dans sa capitale du Maroc et il y séjourna jusqu’en 480, au mois de raby el-tâny, où il se mit en marche pour faire une tournée dans le Maghreb, dans le but d’examiner les affaires de ses sujets, de s’occuper des intérêts musulmans, et de contrôler la conduite des kaïds et des kadys. En 481 (1088 J. C.), l’émir passa en Andalousie pour la seconde fois pour y faire la guerre sainte : voici pourquoi : Alphonse (que Dieu le maudisse!), après s’être un peu refait de sa déroute, de ses blessures et de la perte de son armée, établit ses retranchements à Lebyt(1), château-fort voisin de la province de Ben Abbed, où il laissa de

    ____________________ 1 Lebyt ou Loubyt, aujourd’hui Aledo.

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    nombreux cavaliers et arbalétriers, auxquels il donna l’ordre d’assaillir le pays de Ben Abbed de préférence à tout. autre, parce que c’était lui qui avait appelé l’émir Youssef en Andalousie. En effet, hommes et chevaux envahirent les serres de Lebyt, et chaque jour les Chrétiens couraient tuant ou faisant prisonniers tous ceux qu’ils rencontraient, ainsi que c’était leur profession. Cet état de choses effrayait et chagrinait considérablement Ben Abbed qui, n’en prévoyant, pas la fin, se décida à passer la mer et vint à l’Adoua pour s’entendre avec l’émir des Musulmans ; il rencontra Youssef à la Mamoura, près de l’Oued Sebou, et lui exposa ses plaintes au sujet du fort Lebyt et le tort que cela faisait aux Musulmans; enfin il lui demanda du secours et l’émir promit de le lui porter lui-même. Ben Abbed s’en revint alors en Andalousie, et Youssef le suivit de près. L’émir des Musulmans s’embarqua à Kessar el-Medjâz, et il débarqua à Algéziras où Ben Abbed vint le recevoir avec mille bêtes de somme chargées de munitions et de pro­ visions de bouche. A Algéziras, Youssef écrivit aux émirs de l’Andalousie pour les convier à la guerre sainte. «Notre rendez-vous, leur disait-il, sera au fort Lebyt, où nous nous rencontrerons tous.» Après cela, il se mit en marche; il sortit d’Algéziras au mois de raby el-aouel, an 481, et se dirigea vers Lebyt ; mais aucun des émirs à qui il avait écrit ne vint le rejoindre, à l’exception d’Abd el-Azyz, maître de Murcie, et de Ben Abhed, maître de Séville. Ces deux émirs se joignirent à lui sous les murs de Lebyt, et ensemble ils commencèrent à battre et à bloquer cette place, pendant que Youssef envoyait chaque jour des détachements faire des incursions sur les terres des Chrétiens. Le siége du château-fort Lebyt dura quatre mois, pen­ dant lesquels on se battait à chaque instant, la nuit comme le jour. Enfin la saison d’hiver arriva, et, de plus, l’émir Abd el-Azyz se prit de querelle avec Ben Abbed. Celui-ci ayant porté plainte à l’émir des Musulmans, Youssef appela son kaïd ben Aby Beker et lui ordonna de s’emparer de la personne d’Abd el-Azyz et de l’arrêter. Aby Beker exécuta cet ordre et vint remettre à Ben Abbed l’émir de Murcie enchaîné ; mais l’armée dudit émir Abd elAzyz, se voyant sans chef, se révolta, et, se dispersant dans les campagnes avec ses kaïds, intercepta les convois de provisions, et la disette ne tarda pas à s’étendre sur le camp des Musulmans. Alphonse, apprenant. ces circons­ tances, se mit aussitôt en marche vers Lebyt avec une armée innombrable ; mais Youssef, n’attendant point son approche, prit les devants par Lourca et arriva à Almeria, où il s’embarqua pour l’Adoua, le cœur plein de cour­ roux contre les émirs andalous, qui n’étaient point venus le rejoindre au fort Lebyt, comme il le leur avait écrit. Après le départ de Youssef et son retour à l’Adoua, Alphonse ayant continué sa marche arriva à Lebyt ; il en tira les Chrétiens qui avaient échappé à la mort, et il les conduisit à Tolède. Lors­ que la forteresse fut évacuée, Ben Ahbed y entra. La garnison de Lebyt se

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    composait de douze mille Chrétiens, sans compter les femmes et les enfants, quand Youssef vint, l’assiéger ; et ils moururent tous de faim ou de leurs blessures, à l’exception d’une centaine qu’Alphonse vint délivrer, comme il a été dit. Youssef resta dans l’Adoua jusqu’en 483 (1090 J. C.), et pour la troi­ sième fois, il passa en Andalousie pour faire la guerre sainte ; il arriva jus­ qu’à Tolède, où il assiégea Alphonse ; il endommagea les murailles, il abattit les arbres et saccagea les environs ; aucun des émirs de l’Andalousie ne lui vint en aide, et cela le remplit d’indignation. Aussi, après avoir battu Tolède, il s’en vint à Grenade, qui était alors gouvernée par Abd Allah ben Balkyn ben Bâdys ben Habous. Cet émir avait fait la paix avec Alphonse et l’avait aidé contre Youssef en lui fournissant de l’argen ; de plus, il s’était renfermé et fortifié chez lui, ce qui fit dire à un poète : «Il bâtit sur lui-même sans honte, comme le ver à soie, mais il ne sait pas ce qu’il adviendra de cette bâtisse si la puissance, de Dieu ne lui est point propice.» Lorsque Youssef arriva à Grenade, Ben Balkyn lui ferma ses portes à la figure, et il fit alors le siège de cette ville ; ce siège dura deux mois, au bout desquels Balkyn, ayant obtenu l’aman, livra la place. Une fois maître de Grenade et de ses environs, Youssef envoya à Maroc Balkyn, ex-émir de Grenade, et son frère Temym, ex-émir de Malaga, avec leurs harems et leurs enfants, et il leur fit une pension jusqu’à leur mort. Ben Abbed, à la nouvelle des conquêtes de Youssef, fut saisi de crainte et se tint à l’écart; bientôt les rapports et les accusations aigrirent contre lui l’humeur de l’émir des Musulmans, qui retourna mécontent à l’Adoua, dans le mois de ramadhan le grand, an 483. Youssef, arrivé à ,Maroc, envoya son kaïd Syr ben Aby Beker el-lemtouna en Andalousie, dont il lui conférait le gouvernement absolu, sans lui donner, cependant, aucun ordre relativement à Ben Abbed. Aby Beker se rendit d’abord dans les environs de Séville, pensant que Ben Abbed, instruit de son passage ; viendrait à sa rencontre en route pour lui offrir l’hospitalité. Au lieu de cela, Ben Abbed, à la nouvelle de son approche, se renferma dans la place, et ne lui fit offrir ni hospitalité ni quoi que ce fût. Syr ben Aby Beker se décida alors à lui envoyer un message pour l’engager à se soumettre et à lui livrer le pays ; mais El-Moutamed ayant formellement rejeté ces propo­ sitions, Syr lui déclara la guerre et l’assiégea. En même temps, il détacha à Gyan (1) son kaïd Bathy, qui assiégea cette place et s’en empara pour les Morabethyn. Syr annonça cette victoire à Youssef et donna ordre au kaïd Bathy de continuer et d’aller attaquer Cordoue. Cette ville était alors gouver­ née par le fils de Moutamed el-Mamoun ben Abbed. El-Bathy arriva sur lui avec sa troupe de Morabethyn et s’empara de la place, où il entra victorieux,

    ____________________ 1 Gyan ou Djyan, Jaen.

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    le mercredi 3 de safar, an 484 (1091 J. C.). Il conquit ensuite successivement les places de Byasa, Oubeda, Bilât, El-Madour, Seghyra et Skoura(1), le tout dans ledit mois de safar, à la fin duquel il ne restait plus à ben Abbed que Kermouna(2) et Séville. Le kaïd El-Bathy ben Ismaël se retrancha à Cordoue, et il envoya un kaïd Lemtouna à la tête de mille cavaliers pour restaurer et fortifier Kalat-Babah(3), kasbah des Musulmans. De soit côté, Syr ben Aby Beker marcha sur Kermouna et, s’en empara, le samedi matin 17 de raby el­ aouel de ladite année 484. Ben Abbed, se voyant de plus en plus compromis et menacé, envoya demander du secours à Alphonse (que Dieu le maudisse!) en lui promettant, s’il l’aidait à chasser les Lemtouna, de lui donner Tarifa et ses dépendances. Alphonse lui envoya aussitôt son général El-Kermech(4) à la tête d’une armée de vingt mille cavaliers et quarante mille fantassins. A la nouvelle de l’approche des Chrétiens, Syr fit un choix de dix mille cava­ liers parmi ses meilleurs guerriers, et les envoya à la rencontre de l’ennemi Sous le commandement de Brahim ben Ishac el-Lemtouna. Les deux armées engagèrent la bataille près de la forteresse d’El-Madour; elle fut sanglante; un grand nombre de Morabethyn furent tués, mais Dieu leur donna la vic­ toire, et ils finirent par disperser le petit nombre de Chrétiens qu’ils n’avaient pas massacrés. Cependant Syr ben Aby Beker poursuivit le siége de Séville avec ses autres kaïds Lemtouna, et il finit par enlever la place à Ben Abbed, après lui avoir donné l’aman pour lui, sa famille et ses serviteurs. Syr les expédia tous à l’émir des Musulmans, qui les fit conduire à Aghmât, où ils moururent. L’entrée de Syr ben Aby Beker à Séville, prise au nom des Mora­ bethyn, eut lieu le dimanche 22 de radjeb 484. Dans le mois de chaâban de la même année., les Morabethyn s’emparèrent de la ville de Nebra. Au mois de chouel, le kaïd Youssef ben Daoud ben Aycha conquit la ville et la province de Murcie, et fit part de sa victoire à l’émir des Musulmans. Cet Youssef, sans reproche aux yeux de Dieu, fut vénéré par tout le monde. Dans cette même année, le kaïd Mohammed ben Aycha se porta contre Alméria avec un corps de Morabethyun, et, à son approche, le gouverneur de cette ville, Mouâz el-Doula ben Samadhy, prit la fuite par mer, en lfrîkya, avec sa famille et ses trésors. Mohammed ben Aycha annonça cette nouvelle con­ quête à l’émir des Musulmans, et c’est ainsi que Youssef conquit cinq royau­ mes en Andalousie dans l’espace d»un an et demi. Les cinq rois vaincus sont: ben Abbed, Ben Habous, Abou el-Ahouas, ben Abd el-Azyz et Abd Allah ben Aby Beker, émir de Gyan, d’Ablat el Assidja(5).

    ____________________ 1 Aujourd’hui Baeza, Ubeda, Albacète, El-Modovar, El-Sukheira el Seguro. 2 Carmona. 3 Calatrava. 4 El-Kermech, Gomez. 5 Niebla et Ecija.

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    En 485 (1092 J. C.), Youssef ben Tachefyn donna ordre à son kaïd Ben Aycha de se porter à Daniéta(1). Ben Aycha s’y rendit aussitôt et s’en empara, ainsi que de Châtyba(2). Ces, deux, villes appartenaient à Ben Aycha, qui s’enfuit en les abandonnant. Ben Aycha, continuant ses conquêtes, s’em­ para alors de Chekoura, puis de Valence, qui lui fut livrée par la fuite du gou­ verneur de cette ville, El-Kadyr Aben Dylchoun, qui commandait un grand nombre de Chrétiens. Ben Aycha écrivit alors à l’émir des Musulmans pour lui faire part de ses victoires. En 486, les Morabethyn conquirent la ville de Fraga à l’orient de l’Andalousie, et c’est ainsi que l’émir Youssef ben Tachefyn, ne cessant d’envoyer ses généraux et ses années pour faire la guerre sainte aux Chré­ tiens, reversa tous leurs chefs, et conquit l’Andalousie entière. En 496 (1102 J. C.), il conféra le gouvernement de ses conquêtes à son fils Aly, qui établit le siége de sa royauté à Cordoue, où il fut proclamé par tous les chefs Lem­ touma, par les cheïkhs et les docteurs, dans le mois dou’l hidjâ. Aly était resté jusqu’alors à Ceuta, où il avait été élevé. Vers la fin de l’année 498 (1104 J. C.), l’émir des Musulmans tomba malade, et sa maladie, qui le prit à Maroc, alla toujours en empirant jusqu’à sa mort, qui eut lieu le 1er de moharrem de l’an 500 (que Dieu lui fasse miséricorde !). Il vécut environ cent ans, et son règne dura, depuis son entrée à Fès l’an 462, jusqu’au jour de sa mort, c’est-à-dire trente-huit ans, ou même plus de quarante ans si l’on compte à partir du jour où l’émir Abou Beker ben Omar l’avait nommé son lieutenant au Maghreb.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR ALY BEN TACHEFYN AU MAGHREB ET EN ANDALOUSIE.

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    Aly ben Youssef ben Tachefyn ben Ibrahim ben Tarkout ben Ouarta­ kathyn ben Mansour ben Messala ben Oumya ben Ouasela ben Talmyt le Senhadja, le Lemtouna, surnommé Abou el-Hassan, était fils d’une captive chrétienne nommée Kamrâ (lune), et surnommée Fadh el-Hassen (perfec­ tion de beauté). Il naquit à Ceuta, en l’an 477 ; son teint était blanc, ses joues colorées; sa taille haute, son visage ovale, ses dents écartées, son nez aquilin, sans favoris, yeux noirs, cheveux frisés. Il eut pour fils Tachefyn qui lui succéda, Abou. Beker et Syr ; il eut pour secrétaire Abou Moham­ med Achefath. Conformément à la volonté de son père, il prit les rênes du gouvernement le jour même de la mort de Tachefyn à Maroc, et il reçut le titre d’émir des Musulmans, le 3 de moharrem, an 500, à l’âge de vingt-trois ans.Il tint sous sa domination tout le Maghreb, depuis la ville de Bedjaïa(3)

    ____________________ 1 Denia. 2 Aujourd’hui Xativa. 3 Bougie (Algérie).

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    jusqu’au Sous el-Aksa inclusivement, depuis Sidjilmessa jusqu’au Djebel el-Dheb (montagnes d’or) dans le Soudan; de plus, toute l’Andalousie orien­ tale et occidentale, et les îles du Levant, Myourka (Majorque), Mynourka (Minorque), Yabysa (lviçai). Le Khotbah fut prononcé en son nom dans deux mille trois cents chaires environ. Son empire s’étendit même sur des pays que son père n’avait jamais gouvernés ; mais si toutes les affaires pros­ pérèrent en ses mains, on le dut beaucoup aussi à la bonne organisation et au bon état des finances qui lui avaient été léguées. Dès le début, il gouverna selon la justice et il fortifia ses villes ; il ouvrit les portes des prisons, il répandit de l’argent et il établit de bonnes institutions dans les provinces; en un mot, il suivit les traces de son père, et comme lui il prospéra. Il retira le commandement de Cordoue des mains de l’émir Abou Abd Allah ben elHadj pour le donner au kaïd Abou Abd Allah Mohammed ben Aby Zelfa ; il conquit Tolède et remporta une grande victoire sur les Chrétiens à la porte d’El-Kantara(1). On raconte qu’au moment de mourir Youssef le recouvrit de son manteau, et que c’est ainsi présenté par son frère Aby Thaher Temym, qui le conduisait par la main, qu’il fut proclamé souverain par les Mora­ bethyn, auxquels Temym aurait dit : «Allons ! levez-vous et saluez l’émir des Musulmans !» Tous ceux qui étaient présents, Lemtouna et Senhadja, cheïkhs et docteurs des Kabyles s’inclinèrent devant leur nouveau maître, et aussitôt que la proclamation fut accomplie à Maroc, Aly expédia des cour­ riers dans tout le Maghreb et en Andalousie pour annoncer la mort de son père et son avènement. Bientôt, les félicitations et les députations lui arrivè­ rent de tous les côtés; il n’y eut que la ville de Fès qui s’abstint. Cette ville était gouvernée par le neveu d’Aly, Yhya ben Aby Beker, nommé émir par son grand-père ; aussi, en apprenant la mort d’Youssef son oncle, et l’avè­ nement de son cousin, il fut tellement contrarié qu’il refusa de reconnaître le nouveau souverain, en se faisant appuyer par quelques fractions des Lem­ touna, dont les kaïds suivirent son exemple. A cette nouvelle, l’émir des Musulmans Aby ben Youssef partit de Maroc et marcha sur Fès, mais à, peine était-il arrivé dans les environs de cette ville, que son neveu, saisi de crainte, et certain que toute résistance lui serait impossible, prit la fuite et lui abandonna la place. La fuite de Yhya et l’entrée à Fès de l’émir des Musul­ mans Aly eurent lieu le mercredi, huitième jour de raby el-tâny, an 500. On raconte que Aly, en s’approchant de Fès, s’arrêta dans la ville de Meghyla(2), située aux environs de cette capitale, et adressa une lettre à son neveu pour

    ____________________ 1 Nom d’une des portes de Cordoue. 2 Il existe encore des Meghyly, soit des descendants de Meghyla, à Salé, mais la ville est inconnue et les vestiges de son emplacement sont à chercher.

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    lui reprocher sa conduite et l’engager à faire comme, tout le monde, en se soumettant; il joignit à cette lettre une invitation formelle aux cheïkhs de la ville de reconnaître sa souveraineté. A la lecture de ce message, Yhya fit un appel général à la résistance des habitants, qui refusèrent de le défen­ dre, et c’est alors que, se sentant abandonné, il quitta la ville et s’enfuit vers Mezdely, gouverneur de Tlemcen. Celui-ci, qui venait lui-même porter son adhésion à l’émir des Musulmans, rencontra Yhya en route sur les bords de la Moulouïa, et après l’avoir salué et s’être mis au courant de ce qui venait de se passer, il lui dit : «Viens avec moi, retourne vers l’émir et je te réconcilierai avec lui.» A leur arrivée à Fès, Mezdely lit cacher Yhya dans le quartier de Oued Chedrouh, et se présenta à l’émir qu’il salua et proclama. Aly l’ayant accueilli avec joie, il se hasarda de lui parler d’Yhya et lui avoua qu’il l’avait ramené sous sa sauvegarde. «Qu’il soit pardonné, lui répondit l’émir, l’aman lui est accordé.» Yhya se présenta alors, et Aly, ayant reçu sa soumission, lui offrit de choisir l’une des deux résidences de l’île Majorque ou du Sahara. Yhya préféra se rendre au Sahara, d’où il passa dans l’Hedjaz pour faire son pèlerinage de la Mecque. A son retour, il revint chez son cousin pour le sup­ plier de le garder à sa cour à Maroc, et cela lui fut accordé. Il resta longtemps; mais l’émir ayant fini par s’apercevoir qu’il cherchait à le trahir et à le ren­ verser, le fit arrêter et l’exila à Algérisas, où il finit ses jours. En 501 (1107 J. C.), l’émir Aly retira le gouvernement du Maghreb à son frère Temym ben Youssef, et le confia au kaïd Abou Abd Allah ben elHadj, qui commanda Fès et tout le pays durant six mois, au bout desquels il fut, à son tour, remercié et envoyé à Valence, dans l’orient de l’Andalousie, d’où il passa ensuite à Saragosse. En 502 (1108 J. C.), eut lieu l’affaire d’Akelych(1) avec les Chrétiens. Temym ben Youssef était alors général en chef de l’armée musulmane, et gouvernait Grenade. C’est de cette ville qu’il partit pour aller courir sur les terres des Chrétiens. Étant arrivé sous les murs de la forteresse d’Akelych, habitée par une forte garnison de Chrétiens, il en fit le siège et y pénétra. Les Chrétiens, s’étant retranchés dans la kasbah, expédièrent un courrier à Alphonse, qui se mit aussitôt en mouvement. Au moment de son départ, sa femme l’arrêta en le suppliant d’envoyer son fils à sa place à la rencontre de Temym. «Observez, lui dit-elle, qu’il est plus convenable d’opposer à Temym, fils de l’émir des Musulmans, votre fils Chandja(2), fils de l’émir des Chrétiens !» Alphonse, se rendant à cet avis, envoya donc Chandja à la tête d’une grande armée de guerriers qui s’avança promptement jusque sens les murs d’Akelych. A la nouvelle de l’approche des Chrétiens,

    ____________________ 1 Château d’Uclès. 2 Chandja, l’infant dom Sancho, fils d’Alphonse et de Zaïda.

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    Temym manifesta le désir d’éviter le combat, en évacuant la place; mais Abd Allah ben Mohammed ben Fâtyma et Mohammed ben Aïcha, ainsi que quelques autres kaïds Lemtouna, le dissuadèrent, et lui rendirent l’espoir et le courage, en lui affirmant que l’ennemi n’avait pas plus de trois mille cava­ liers et qu’il était loin encore. Temym crut à leurs paroles ; et, le soir même, les Chrétiens fondaient sur lui par nombreux milliers ; il voulut fuir, ne se sentant point capable de combattre, mais il était trop tard, et il ne pouvait déjà plus avancer, ni reculer, lorsque les kaïds Lemtouna se précipitèrent sur l’ennemi, auquel ils livrèrent un combat désespéré et tel qu’on n’en avait jamais vu de pareil. Dieu très-haut renversa l’ennemi et donna la vic­ toire aux Musulmans. Le fils d’Alphonse fut tué ainsi que vingt-trois mille Chrétiens environ. Les Musulmans entrèrent à Akelych par la force de leurs sabres, et un grand nombre de Croyants périrent à l’assaut (que Dieu leur fasse miséricorde !). En apprenant ce désastre, Alphonse ressentit un tel chagrin qu’il tomba malade et mourut vingt jours après. Temym envoya un courrier à son père Aly pour lui annoncer cette victoire. Dans la même année, Mohammed ben el-Hadj sortit de Valence et se rendit à Saragosse, dont il s’empara, et expulsa Ben Houd. Il fit part de sa conquête à l’émir des Musulmans, et il ne sortit plus de Saragosse que pour aller en expédition du côté de Barcelone, où il fut tué en l’an 508 (1114 J. C.). Durant tout son règne à Valence et à Saragosse, il n’avait cessé d’inquiéter les Chrétiens et de leur prendre leurs terres. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Dans sa dernière expédition, il parcourait les campagnes avec ses kaïds Lemtouna, et il enlevait des troupeaux entiers qu’il envoyait chez lui par les grandes routes, tandis qu’il prenais, les sentiers les plus courts pour rentrer dans les domaines des Musulmans. Un jour, ayant ainsi renvoyé la plus grande partie de son monde avec le bétail butiné, il s’aventura sur un chemin excessive­ ment ardu et étroit, au point de ne donner passage qu’à une personne après l’autre. Arrivé à la moitié de sa course, l’émir Ben el-Hadj se trouva pris au milieu de difficultés énormes, et enveloppé par des Chrétiens qui l’atta­ quèrent vigoureusement. Ne pouvant reculer, il combattit jusqu’à, son der­ nier soupir. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Tous ses compagnons périrent également, à l’exception du seul kaïd Ben Mohammed ben Aycha, qui, à force de ruse et de détours, parvint à gagner les terres des Musulmans. A la nouvelle de ce désastre, l’émir des Musulmans fut consterné ; il remplaça Ben el-Hadj par le gouverneur de Murcie, Abou Beker ben Brahim ben Tafe­ lout, qui reçut ainsi simultanément le commandement de Valence, Tortose, Fraga et Saragosse. Abou Beker sortit de Murcie avec son armée et se rendit à Valence, où il rassembla toutes les troupes de la province et celles de Saragosse. S’étant mis à leur tête, il se porta dans les environs de Barcelone, qu’il dévasta pendant

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    vingt jours, abattant les arbres, incendiant les champs et renversant les villa­ ges. C’est alors qu’arriva Ben Radmyr avec une nombreuse armée, compo­ sée de soldats de Bsyt(1), de Barcelone et du pays d’Arbouna(2). La bataille fut sanglante, la plus grande partie des Chrétiens périrent ainsi que sept cents Musulmans environ. En 503 (1109 J. C.), l’émir Aly ben Youssef passa en Andalousie pour faire la guerre sainte; il s’embarqua à Ceuta, le jeudi 15 de moharrem, emmenant avec lui plus de cent mille cavaliers, et se rendit directement à Cordoue, où il séjourna un mois avant de rentrer en campagne ; il commença par s’emparer de la ville de Thalabout(3), qu’il emporta à l’assaut, ainsi que vingt-sept châteaux forts des environs de Tolède ; il conquit également Mad­ jrêt et Oued el-Hidjâra(4), et, étant arrivé à Tolède, il l’assiégea et, dévasta les campagnes ; durant un mois il ne fit que détruire, puis il revint à Cordoue. En 504 (1110 J. C.) et dans le mois dou’l-kaâda, l’émir Syr ben Aby Beker conquit les villes de Santarem, Badajoz, Oporto, Evora, Lisbonne; et toute la partie occidentale de l’Andalousie ; il ,annonça ses victoires à l’émir des Musulmans. Ce général mourut et fut enterré à Séville dans le courant de l’année 507 (1113). Il eut pour successeur Mohammed ben Fatyma, qui gouverna Séville jusqu’à sa mort, en 510. En 507, l’émir Mouzdaly assiégea Tolède et s’en empara ; il prit d’as­ saut la forteresse d’Ardjyna(5), dont il massacra la garnison, et emmena en captivité les femmes et les enfants. A cette nouvelle, le roi des Chrétiens, Berhânes, marcha contre lui ; mais Mouzdaly, n’ayant point jugé à propos de l’attendre, se mit en chemin pendant la nuit et arriva à Cordoue avec un immense butin. Après avoir ravitaillé Rahêna et les environs et y avoir mis des garnisons, l’émir Mouzdaly, ayant appris que Zend Gharsys, maître de l’Oued el-Hidjâra, assiégeait Médina Sâlem, se porta vers lui en toute hâte; mais Zend Gharsys, à son approche, abandonna le siège et prit la fuite avec une si grande précipitation qu’il abandonna tout, tentes, armes et bagages, dont Mouzdaly s’empara. Cet émir mourut (que Dieu lui fasse miséricorde!) en l’an 510 sur les terres des Chrétiens, auxquels il faisant la guerre. L’émir des Musulmans, ayant appris sa mort, le remplaça, à Cordoue, par son fils Mohammed ben Mouzdaly, qui ne gouverna que trois mois, ayant comme son père trouvé la mort en combattant pour Dieu. En 509 (1115 J. C. ), l’émir Aly ben Youssef conquit les îles orientales de l’Andalousie(6).

    ____________________ 1 Albacète. 2 Narbonne, 3 Talaveira. 4 Madrid et Guadalaxara. 5 Arjona, ville située entre Cordoue et Jaen. 6 Iles Baléares.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    En 511 (1117 J. C.) , Abd Allah ben Mouzdaly, gouverneur de Valence et de Saragosse, se rendit à Grenade, dont le fils de Radmyr (que Dieu le maudisse !) ravageait les environs. Abd Allah lui livra combats sur combats, jusqu’à ce qu’il l’eût chassé du pays, et rentra à Saragosse, où il mourut un an après. Saragosse étant alors restée sans maître, Ben Radmyr accourut pour l’assiéger, tandis que, de son côté, Alphonse arrivait pour bloquer Lérida ,avec une armée considérable de Chrétiens. A cette nouvelle, l’émir des Musulmans écrivit aux émirs de l’Andalousie pour leur donner ordre de se rassembler auprès de son frère Temym, roi de toute l’Andalousie orien­ tale, afin d’aller avec lui porter secours à Saragosse et à Dérida. Abd Allah ben Mouzdaly et Abou Yhya ben Tachefyn, roi de Cordoue, arrivèrent à la tète de leurs soldats, et Temym, sortant de Valence, se joignit à eux avec les Lemtouna, et se mit en marche pour Lérida. Après une sanglante bataille, Alphonse, vaincu, prit la fuite en abandonnant Lérida, qu’il n’avait pu pren­ dre, malgré tous ses efforts et une perte de plus de dix mille hommes. Temym revint, vainqueur à Valence; mais Ben Radmyr, ayant appris la défaite d’Alphonse, demanda du secours aux Francs pour prendre Sara­ gosse, et les Francs arrivèrent à lui comme une pluie de guêpes et de saute­ relles ; ils commencèrent par cerner la ville, et, ils construisirent de petites tours, en bois qu’ils placèrent sur des roues, de façon à les rapprocher de plus en plus de la place ; ces tours portaient vingt machines de guerre, qui devaient tôt ou tard leur assurer la prise de la place. Le blocus dura ainsi jusqu’à ce que la population, réduite à la famine et ayant péri en grande partie d’inanition, demanda et obtint de Ben Radmyr une trêve, pour lui lais­ ser le temps de se procurer du secours ; mais nul secours n’étant venu, les habitants lui livrèrent la ville à la fin du délai convenu, et ils s’en allèrent à Murcie et à Valence ; c’était en l’an 512. Les Chrétiens entrèrent donc à Saragosse et la gouvernèrent. Une, armée de douze mille cavaliers, que l’émir dès Musulmans avait expédiée de l’Adoua, arriva trop tard le décret de Dieu s’était accompli. En 513 (1119 J. C.), Ben Radmyr s’empara d’une partie de l’est de l’Andalousie ; il emporta la forteresse d’Ayoub (1), qui était la plus forte de tout l’Orient, et il se dirigea ensuite vers le nord. En apprenant ces mou­ vements, l’émir des Musulmans Aly ben Youssef passa en Andalousie pour faire la guerre sainte, et inspecter les places et les forts ; ce fut son deuxième voyage en Espagne ; il s’y rendit avec un très-grand nombre de Morabethyn et de volontaires arabes, Zenèta, Mesmouda et Berbères. Arrivé à Cordoue, il campa sous ses murs avec son armée, et il reçut la visite de tous les grands de l’Andalousie, auxquels il demanda des renseignements précis et détaillés sur la situation du pays ; il destitua Ben Rochd de ses fonctions de kady à Cordoue, parce qu’il ne s’était pas présenté, donnant pour excuse qu’il était

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    occupé à l’étude des livres de la science, et il le remplaça par Abou el-Kas­ sem ben Houmyd. L’émir des Musulmans se dirigea d’abord sur la ville de Samberya(1), dont il s’empara, et il partit de là pour ravager toute la partie de l’ouest ; il dévasta les, campagnes, renversa les villages et les édifices, tuant les Chrétiens, les faisant prisonniers ou les forçant de se renfermer dans leurs forteresses. En 515 (1121 J. C.) , l’émir revint à l’Adoua laissant à son frère Temym le gouvernement de toute l’Andalousie, que celui-ci conserva jus­ qu’à sa mort, en 520. Son successeur, l’émir Tachefyn ben Aly, passa à cette époque en Andalousie avec cinq mille cavaliers, et, s’étant mis à la tête de toutes les troupes andalouses, il porta la guerre sainte dans la province de Tolède, dont il prit les forteresses à l’assaut et dévasta les environs. Puis il battit Les Chrétiens qui s’étaient réfugiés à Fahs Sebbat, et en fit un grand massacre ; il conquit trente forteresses dans la partie du couchant, et il fit part de ses victoires à son père. En 528, il fit une expédition contre Cantara Mahmoud, qu’il prit d’assau ; en 530 (1135 J. C.), il dispersa les troupes chrétiennes à Fahs Attya et il en fit périr une grande partie. En 531 (1136 J. C.), il emporta d’assaut la ville de Kerky(2), dont il massacra toute la garni­ son. Enfin, en 532 (1137 J. C.) il quitta l’Andalousie et retourna en Afrique après avoir subjugué Chkounia(3), d’où il ramena six mille prisonniers dans l’Adoua. Il vint à Maroc, où il fut reçu en grande pompe, et se présenta à son père l’émir des musulmans qui l’accueillit avec bonheur et Joie. En 533, l’émir Aly ben Youssef proclama lui-même la souveraineté de son fils Tachefyn, qui lui succéda à sa mort, en l’an 537 (1142 J. C.).

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS TACHEFYN BEN ALY BEN YOUSSEF BEN TACHEFYN EL-LEMTOUNY.

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    L’émir des Musulmans, Tachefyn ben Aly ben Youssef ben Tachefyn el-Senhadja el-Lemtouny, surnommé Abou-Amar, et, selon d’autres, Abou el-Moudz, était fils d’une captive chrétienne, nommée Dhoou el-Sebah (lumière du matin, aurore). Conformément au vœu manifesté par son père vivant, il lui succéda, et sa proclamation eut lieu le 8 de radjeb an 537 ; époque de grands troubles et de l’apparition des Mouahedoun (Almohades) dont l’éclat, la force et la puissance s’étendirent sur tout le pays, de l’Adoua. Lorsque Abd el-Moumen ben Aly sortit de Tynmal(4) pour conquérir le Maghreb, Tachefyn quitta Maroc, dont il laissa le commandement à son fils

    ____________________ 1 Santiberia. 2 Caracâil. 3 Ségovie. 4 Tinoumal, Tînznâl, ville dans le Djebel-Deren (Atlas), à vingt lieues sud de Maroc.

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    se mit à sa poursuite ; d’étapes en d’étapes, de combats en combats, il arriva jusqu’à Tlemcen, où il se retrancha, et où Abd el-Moumen l’enveloppa. Les Almohades étaient campés dans un défilé entre la ville et la montagne, Tachefyn fit une sortie et alla camper avec son armée senhadja dans la plaine près de l’Oued Saf-saf. Bientôt ses soldats, impatients, voulurent commen­ cer l’attaque, mais Tachefyn leur dit de bien se Garder d’engager le combat sur la montagne, et qu’il fallait attendre que l’ennemi descendit lui-même dans la plaine. Refusant de suivre ces conseils, ils se précipitèrent sur la montagne et ils furent culbutés par les Almohades, qui les mirent complè­ tement en déroute. Tachefyn prit la fuite et arriva à Oran. Il avait laissé le commandement de Tlemcen à son khalife Mohammed, connu sous le nom d’El-Chyour. Abd el-Moumen, de son côté, ayant chargé son khalife Yhya heu Youmar de continuer le siége de Tlemcen, se dirigea vers Oran à la pour­ suite de Tachefyn ; celui-ci, se sentant cerné, fit une sortie de nuit contre les Almohades, mais il se trouva en présence d’un si grand nombre d’ennemis, cavaliers et fantassins, qu’il prit la fuite. Il se dirigea sur une haute montagne dont le sommet penchait sur la mer, et dans sa course, croyant aller toujours vers son camp du coté d’Oran, il se précipita du haut de ce sommet, et il expira. Cet événement eut lieu durant une nuit sombre et pluvieuse, la vingt­ septième du Mois de ramadhan, an 539. Son cadavre fut retrouvé le lende­ main sur le rivage par les Almohades, qui coupèrent la tête et l’expédièrent à Tynmal, où on la pendit à un arbre. Telle fut la fin des Morabethyn. L’émir Tachefyn n’eut pas une heure de repos et fit constamment la guerre depuis le jour de son avènement au pouvoir jusqu’à sa mort. (Que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) Il régna deux ans et un mois et demi. Et c’est Dieu qui avait voulu que les choses arrivassent ainsi, car ni n’y rien en dehors de sa volonté, et lui seul est adorable !

    DATES ET ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES DE LA PÉRIODE DES LEMTOUNA, DE L’AN 462 A L’AN 540.

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    Les Lemtouna étaient un peuple des campagnes, religieux et honnête ; ils surent conquérir un immense empire en Andalousie et au Maghreb, dont ils régularisèrent le gouvernement, et ils firent la guerre sainte. Ben Djenoun rapporte que les Lemtouna étaient religieux, charitables, justes, et que leur culte était pur ; qu’ils gouvernèrent l’Andalousie depuis le pays des Francs jusqu’à l’Océan, et le Maghreb depuis la ville de Bedjaïa jusqu’au Djebel el-Dheb du Soudan. .Leur règne fut tranquille et ne fut troublé par aucune révolte, ni dans les villes, ni dans les campagnes ; on fit les khotbah en leur nom dans plus de deux mille chaires. Leurs jours furent heureux, prospères et tranquilles, et durant leur période l’abondance et le bon marché firent tels, que pour un demi-ducat on avait quatre charges de blé, et que les autres grains

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    ne se vendaient ni ne s’achetaient: Il n’y avait ni tribut, ni impôt, ni contri­ bution pour le gouvernement, si ce n’est l’aumône et la dîme. La prospérité s’augmenta toujours, le pays se peupla, et chacun put s’occuper librement de ses propres, affaires. Leur règne fut exempt de mensonge, de fraude et de révolte, et ils furent chéris par tout le monde jusqu’au moment où ElMehedy, l’Almohade, se leva contre eux en 515. Les dates remarquables de leur époque furent les suivantes : 462 (1069 J. C. ), conquête de Fès et prise, du gouvernement du Maghreb. 463 (1070 J. C.) , conquête des forteresses Ouatat du pays de la Mou­ louïa. 464 (1071 J. C.), mort d’El-Moutamed ben Abbed ben el-Khady Mohammed ben Ismaël Abbed, roi de Séville, auquel succéda son fils Mohammed ben Moutamed ben Abbed. 465 (1072 J. C.), Youssef ben Tachefyn conquit Sedareta et Sofrou. 467 (1074 J. C.), au mois dou’l-hidja, apparition d’une comète au Maghreb. — Youssef ben Tachefyn prit d’assaut la ville de Tahadart, prés de la Moulouïa, et tua son émir Kassem ben Aby el-Afya, dont il détruisit l’armée jusqu’au dernier homme ; il s’empara aussi du gouvernement de Tanger; mort de l’émir de cette ville, Sarkout el-Berghouaty. 471 (1078 J. C.), éclipse totale de soleil, le lundi à l’heure du Zouel (vers dix heures du matin), vingt-huitième jour du mois; jamais on n’avait vu une éclipse pareille. - Alphonse conquit la ville de Couria, dont il chassa les Musulmans. 472 (1079 J. C.), conquête d’Oudjda et des montagnes environnantes par Youssef. - Au mois de, raby el-tâny, un épouvantable tremblement de terre, comme jamais on n’en avait ressenti au Maghreb, renversa les tours, les minarets et les édifices, et une infinité de personnes périrent sous les ruines ; les secousses se répétèrent nuit et jour depuis le premier de raby el­ aouel jusqu’au dernier jour de djoumad el-tâny.- Au mois de dou’l-kaâda le peuple de Tolède se souleva contre son émir, El-Kadyr ben Danoun, dont il massacra les ministres et la plus grande partie des gardes. El-Kadyr ne dut son salut qu’à la fuite, et il emmena avec lui ses femmes jusqu’au fort Kanaka, où il se réfugia. 474 (1081 J. C. ), prise de la ville de Tlemcen par Youssef. - Mort du fekhy El-Haffyd (zélé) Abou Thaleb Mekky, inspecteur des marchés et chef des préteurs de Cordoue. - Naissance du kady Abou Abd Allah Mohammed el-Asbagh, connu sous le nom de Ben Menâsef, auteur du poème de l’Ar­ jouaza. - En djoumad el-aouel, mort du Mokaddem Abou Djafar ben Houd, émir de Saragosse; son fils Youssef el-Moutamed lui succéda. 497 (1103 J. C.), mort du fekhy El-Haffyd Abou Abd Allah Moham­ med el-Thaleb, auteur de plusieurs ouvrages. L’auteur du livre intitulé

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    El-Techaouif raconte que Abou Djabel mourut en 503, et qu’il fut enterré dans le monastère situé au sortir de la porte Yasilyten de Fès. Abou Djabel fut un grand sage qui vit au Caire Abou el-Fadhl Abd Allah ben Hassan elDjouhâry. Il était boucher de profession ; son teint était noir, mais ses traits étaient réguliers et pleins de sincérité ; cœur pur, vertueux et craignant Dieu. On raconte que le Kadhyr(1) (à lui salut !) lui apparut quarante ans après qu’il se fut entièrement voué à Dieu, pour lui annoncer que le Très-Haut avait dési­ gné sa place parmi les Abdâl, qui sont les colonnes de la Foi. Abou Djabel est célèbre par ses longs voyages. 514 (1120 J. C.), El-Mehdy paraît au Maghreb et rencontre Abd elMoumen ben Aly, qu’il s’adjoint sur la route du Levant. 519 (1125 J. C.), affaiblissement des Lemtouna. dont la dispersion commence ; défaits par El-Mehdy et les Almohades venus du Djebel Deren, ils perdirent leur puissance en Andalousie, et bientôt ils ne purent se soute­ nir nulle part ; les Almohades, s’agrandissant de plus en plus, leur enlèvent toutes leurs possessions. 521 (1127 J. C.), et le 19 raby el-aouel, mort du kady le fekhy Abou el-Oualyd el-Badjy, à Séville, où il n’exerçait déjà plus ses fonctions. 539 (1144 J. C.), le kady Ben Hamyd chasse les Almoravides de Cor­ doue avec l’aide du peuple.

    HISTOIRE DU RÈGNE DES ALMOHADES, ET DE LEUR ÉLÉVATION COMMENCÉE PAR MOHAMMED BEN TOUMERT, APPELÉ LE MEHDY.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit que El-Mehdy, qui fonda le règne de la dynastie d’Abd el-Moumen au Maghreb el-Aksa, était, d’après les historiens des deux empires, Mohammed ben Abd Allah ben Abd er-Rhaman ben Houd ben Khâlyd ben Temân ben Adnân ben Sofyan ben Sfouan ben Djebyr ben Yhya, ben Athâ ben Ryâh ben Yassar ben elAbbès ben Mohammed ben el-Hassan ben Aly ben Aby Thaleb. (Que Dieu l’agrée!) Quelques historiens et Ben Methrouh el-Kaïssy, entre autres, disent qu’il s’était lui-même arrogé cette généalogie chérifienne ; qu’il était de la tribu d’Hargha, fraction des Masmouda, et connu sous le nom de Moham­ med ben Toumert el-Harghy; d’autres disent qu’il était de la tribu des Djen­ fysa ; Dieu seul sait la vérité de tout cela. Dans les premiers temps de sa vie El-Mehdy était un homme pauvre, étu­ diant la science et la doctrine, et doué d’une grande intelligence. Il s’en alla dans le Levant pour continuer ses études. Là, il se mit à fré­ quenter les principaux docteurs, qui l’instruisirent dans les hautes sciences, et,

    ____________________ 1 El-Khadhyr, Khedr ou Khidr, désigné dans le Koran ( chap. XVIII), par l’Inconnu, est un personnage mystérieux que les Musulmans regardent comme un prophète ayant acquis l’immortalité en buvant de l’eau de la fontaine de la Vie qu’il avait découverte.

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    entre autres, celles des traditions du Prophète de Dieu (que le Seigneur le comble de ses bénédictions !), et celles des notaires et des légistes. Parmi la réunion des savants où Mehdy acquit toutes ses connaissances se trouvait le cheikh, l’imam incomparable, le célèbre Abou Harnyd el-Ghazâly (que Dieu lui lasse miséricorde et l’agrée !) auquel il s’attacha pendant trois ans. ElGhazâly, en voyant El-Mehdy pour la première fois, devina son avenir, et, lorsqu’il fut sorti, il dit à ses disciples : «Il n’y a pas de doute que ce Berbère ne devienne souverain du Maghreh el-Aksa et qu’il n’y fonde un vaste et puissant empire. Il porte en lui tous les signes décrits dans les traditions.» El-Mehdy, avant eu connaissance de cette prédiction, et quelques-uns de ses compagnons lui avant, dit, que le docteur l’avait même trouvée dans son livre, se consacra entièrement aux leçons d’El-Ghazâly, qu’il suivit jusqu’à ce qu’il n’eût plus rien à apprendre. Et c’est alors qu’il partit pour suivre la destinée que le Très-Haut avait dictée. L’auteur du livre continue son récit. Mohammed el-Mehdy, confiant dans le secours de Dieu, quitta le Levant pour porter en Occident la loi du Seigneur et le Sonna du Prophète (à lui le salut !). Il se mit en route le premier de raby el-aouel, an 510, et il parcourut les diverses villes de l’Afrique et du Maghreb, prêchant partout la vertu, l’abstinence et le mépris des choses de ce monde. Il arriva ainsi jusqu’aux Tchours de Tadjoura, aux envierons de Tlemcen, où il s’arrêta. C’est là qu’il rencontra Abd el-Moumen ben Aly, qui suivit ses leçons et adopta ses doctrines. Quand El-Mehdy pensa que son disciple était suffisamment instruit, il lui fit part de son dessein de s’emparer de l’Empire, et celui-ci l’ayant approuvé, lui jura fidélité et s’engagea à lui être soumis en tout Ils partirent ensemble pour le Maghreb el-Aksa. El-Mehdy, était sans égal pour l’éloquence et les connaissances des traditions et des. sciences; son instruction était profonde, et dans ses ser­ mons au peuple il affirmait qu’il était l’imam El-Mehdy l’annoncé, et devant reparaître à La fin du monde. Il disait que sa mission était de remplacer sur la terre le règne de l’iniquité par celui de la justice, qu’il découvrirait une à une les turpitudes des Morabethyn ; qu’il les détruirait comme des infidèles, et ne laisserait trace de leur gouvernement. C’est ainsi qu’il allait de souk en souk, prêchant la vertu et anathématisant le vice ; brisant les instruments de musique et jetant le vin partout où il le rencontrait. Enfin, arrivé à Fès, il descendit dans la mosquée de Tryana, où il demeura jusqu’en 514, occupé à l’étude de la science. Alors il se rendit à Maroc, sachant bien que ce ne serait que dans cette capitale qu’il pourrait se faire connaître. L’émir Aly ben Youssef ben Tachefyn régnait à Maroc lorsque Mehdy y arriva obscurément et alla s’établir dans une mosquée accompagné d’Abd el-Moumen, qui avait entrevu un brillant avenir en-restant avec lui. Bientôt il se mit à parcourir les marchés et les places de la ville en prêchant la vertu et condamnant, le vice,

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    détruisant les instruments de musique et les boissons défendues, et tout cela sans ordre ni permission de l’émir des Musulmans, de ses kadys ou de ses ministres. Aly ben Youssef, apprenant ce qui se passait, ordonna que l’on lui amenât El-Mehdy et, en le voyant si Misérablement vêtu, il lui fit des reproches et lui dit : «Qu’est-ce que l’on m’a donc appris sur ton compte? — El-Mehdy lui répondit : «Ce que tu as appris, ô émir, c’est que je suis un pauvre fakyr qui pense à l’autre monde et point du tout à celui-ci, où je n’ai que faire, si ce n’est de prêcher de faire le bien et de fuir le mal ; et cela n’est-ce pas toi qui devrais le faire ? Toi qui, bien au contraire, es la cause du mal, lorsque ton devoir est de pratiquer les préceptes du Sonna et que tu as le pouvoir de les faire pratiquer aux autres ! Le crime et l’hérésie apparaissent partout dans tes états, et cela est bien contraire aux ordres de Dieu qui veut, que l’on suive le Sonna. Fais ton devoir, car, si lu le négliges, c’est toi-même qui auras à rendre compte à Dieu de toutes les fautes commises dans ton empire, et Dieu en a puni beaucoup pour de pareils méfaits, ceux dont il a dit: Ils ne se repentaient point du mal qu’ils commettaient(1).» L’émir Aly, en entendant cela, fut saisi de crainte et se mit à réfléchir, le front penché vers la terre; il reconnût la justesse de tout ce qui venait de lui être dit, et lorsqu’il releva les yeux vers ses ministres, il leur ordonna de convoquer tous les­ docteurs et les tholbas de la ville, ainsi que les cheikhs des Lemtouna et des Morabethyn. Ceux-ci, ayant-bientôt rempli la salle du conseil, essuyèrent les plus vifs reproches et comprirent que l’émir des Musulmans avait reçu les ordres et les inspirations, d’El-Mehdy. Aly leur dit enfin : «Je vous ai convoqués pour que vous vous livriez à l’examen de cet homme, et si vous lui reconnaissez la science, nous nous soumettrons à lui ; si, au contraire, vous le convainquez d’imposture, et nous le punirons comme il le mérite.» Aussitôt les conversations et les commentaires s’engagèrent et se multipliè­ rent de plus en plus. El-Mehdy savait d’avance qu’on nierait sa science et ses vertus. L’émir, s’apercevant bientôt que rien ne se faisait au milieu de tant de bruit, dit à l’assemblée : «Cessez donc vos injures et vos calomnies, et choisissez quelques-uns de vos savants pour discuter avec lui, en se guidant sur le Livre de Dieu, et l’on verra ce qui en est.» Ils cherchèrent alors dans le conseil les plus instruits des docteurs versés dans les Hadits et la science; niais il ne s’en trouva aucun capable de discuter avec El-Mehdy, qui dit au premier qui se présenta : «O fekhy, c’est toi qui es chargé de porter la parole au nom de tous les autres, eh bien ! dis-moi si les voies de la science sont limitées ou non ?» Le fekhy lui répondit : «Oui, elles sont limitées au Livre, au Sonna et à ses commentaires.» Mehdy lui répliqua : «Je t’ai demandé si les règles de la science sont limitées ou non ; réponds à cela seulement, car

    1 Koran, ch. V : La table, vers. 82.

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    il est de règle de répondre à la question qui est posée.» Le fekhy ne comprit pas ce qu’il voulait dire par là et se tut. «Dis-aloi alors, reprit El-Mehdy, quelles sont les sources du bien ou du mal ?» Et, comme à la première ques­ tion, le fekhy ne sut que se taire. «Allons, dit El-Mehdy, si ni toi ni tes com­ pagnons une pouvez me répondre, je vais donc vous instruire.» Et comme ils continuèrent tous à garder le silence, il commença son explication : «Les sources du bien et du mal, dit-il, sont au nombre de quatre : la science, qui est la source du droit chemin ; l’ignorance, le doute et l’opinion, qui sont les sources du mal. Alors il entreprit de leur énumérer les règles de la science en termes techniques qu’ils n’entendaient pas ; si bien qu’ils ne purent pas répondre un mot à son sermon, auquel ils n’avaient rien compris. Aussi, voyant que cet homme possédait un si haut savoir, ils se sentirent, humiliés, et, dévorés par l’envie et par la honte de se voir ainsi surpassés, ils se tour­ nèrent vers l’émir et lui dirent : «Ô prince des Croyants ! cet homme est un hérétique furibond, fourbe et menteur, et si vous le tolérez davantage, il cor­ rompra toute la population.» L’émir chassa donc de la ville El-Mehdy, qui se rendit au cimetière et fixa sa demeure au milieu des tombeaux. Quelques tholbas vinrent pour s’instruire auprès de lui ; puis d’autres, et bientôt il se vit entouré d’une boule nombreuse, avide de ses leçons et ses bénédictions. Alors il. avoua sa qualité et son but de détruire les Almoravides. Il se mit à prêcher à ses disciples que les Almoravides devaient être traités comme des infidèles corporels, et que, quiconque savait que Dieu était unique dans son règne, était obligé de leur faire la guerre avant même de la faire aux Chrétiens et aux Idolâtres. Plus de quinze cents hommes se rangèrent à ses prescriptions. L’émir des Musulmans, en apprenant ces détails, et s’étant assuré que El-Mehdy attaquait ouvertement le gouvernement des Almora­ vides qu’il traitait d’infidèles dans ses propres états, et que son parti s’aug­ mentait toujours, lui envoya un messager pour le chercher et lui dit : «Ô homme ! crains Dieu pour toi-même, rappelle-toi que je t’ai défendu de ras­ sembler du monde et que je t’ai chassé de la ville ! Je t’ai obéi, lui répondit El-Mehdy, puisque je suis sorti de la ville pour aller vivre au cimetière, où j’ai dressé ma tente au milieu des tombeaux. J’ai travaillé ainsi pour mériter les récompenses de la vie future, mais toi-même garde-toi des paroles des pervers.» Cette réponse exaspéra l’émir des Musulmans, qui fut sur le point de le faire arrêter ; mais Dieu le protégea, car Dieu ne commande que ce qui est écrit par son ordre. Invité à se retirer, El-Mehdy prit le chemin de sa tente ; mais à peine fût-il parti, l’émir des Musulmans éprouva un si grand regret de l’avoir laissé échapper, qu’il s’écria, en s’adressant à ceux qui l’en­ touraient : «Quel est celui d’entre vous qui me l’apportera sa tête ?» Un des

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    adeptes de Mehdy, ayant entendu ces paroles, courut en toute hâte pour pré­ venir son maître, qu’il rejoignit sur le seuil de sa tente et qu’il aborda en chantant ce verset : Ô Moïse ! les grands délibèrent pour le faire mourir, quitte la ville, je te le conseille en ami(1). Il répéta cela trois fois de suite, et il se tut. Mehdy comprit et partit à marche forcée, au point qu’il arriva le jour même à Tynmâl. Cela eut lieu dans le courant du mois de chouel de l’an 514. El-Mehdy s’arrêta en cette ville, où il fut bientôt rejoint par ses dix compagnons on disciples, dont voici les noms : Abd el-Moumen ben Aly, Abou Mohammed el-Bechyr, Abou Hafs, Abou Hafs ben Yhya ben Byty. Abou Hafs Omar ben Aly ben Aznadjy, Soliman ben Khalouf, Ibrahim ben Ismaël el-Hezredjy, Abou Mohammed Abd el-Ouahed el-Khadhry, Abou Amrân Moussa ben Thoumâr, et Abou Yhya ben Bouhyt. Ces dix personna­ ges furent les premiers qui adoptèrent les doctrines de Mehdy, qu’ils procla­ mèrent le vendredi 15 ramadhan, an 515, à la suite de la prière du Douour. Le lendemain, El-Mehdy se rendit à la mosquée de Tynmâl avec ses dix compagnons armés de leurs sabres, et, étant monté en chaire, il fit un sermon à l’assistance, à Laquelle il déclara qu’il était l’imam El-Mehdy l’annoncé, avant pour mission de ramener la justice sur la terre, qu’il couvrirait de ses actions éclatantes, et il termina en invitant le peuple à lui prêter serment de fidélité. En effet, tous les, habitants de Tynmâl proclamèrent le nouvel imam, auquel se soumirent également les tribus circonvoisines et les Kaby­ les des montagnes. Alors Mehdy envoya ses compagnons prêcher dans le pays, et il expédia dans toutes les directions des hommes dont il connaissait les principes, avec mission de répandre partout la renommée du vertueux imam, dont le but n’était point d’acquérir les biens de ce monde. C’est ainsi que les populations vinrent de tous côtés pour le proclamer et le couvrir de bénédictions, et que sa puissance s’accrut considérablement. Il prenait note de toutes les tribus dont il recevait la soumission, et les nommait ElMouâhedoun (Almohades, unitaires). Il leur donnait le Thouâhîd (doctrine de l’unité) écrit en langue berbère, et divisé en versets, en sections et en chapitres pour en faciliter l’étude, et il leur disait : «Quiconque ne suivra pas ces maximes ne sera point Almohade, mais bien un infidèle avec lequel on ne fera pas sa prière, et on ne mangera pas la chair des animaux tués par ses mains. Ce Touâhîd se répandit chez tous les Mesmouda, qui le chérirent bientôt à l’égal du Koran bien-aimé, tant ils étaient ignorants dans leur reli­ gion et dans les choses du monde. El-Mehdy sut si bien se les attacher par sa douceur et par son éloquence, qu’ils finirent par ne rien reconnaître en dehors de lui. Ils invoquaient son nom en toute occasion et même en com­ mençant leurs repas ; dans toutes les chaires on priait au nom de Mehdy

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     1 Koran, chap. XXVIII : L’histoire, vers. 19.

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    l’imam impeccable. Un nombre considérable d’hommes ayant embrassé sa nouvelle doctrine, El-Mehdy divisa le commandement entre ses dix disci­ ples, et forma un conseil de cinquante compagnons choisis, pour l’aider à soutenir son imamat et veiller aux affaires des Musulmans. L’affluence des tribus vers lui continuant toujours, le khotbah se fit en son noie, et bientôt il put compter plus de vingt mille Almohades des tribus Mesmouda et autres. Alors il. commença à prêcher la guerre sainte contre les Almoravides avec tant de vigueur et de persuasion, que les Almohades jurèrent de lui obéir en combattant jusqu’à la mort. Il choisit entre les plus valeureux dix mille hommes, dont- il confia le commandement à Aabou Mohammed el-Bechyr, auquel il remit un pavillon blanc, et il expédia cette armée contre la ville d’Aghmât. En apprenant ces mouvements, l’émir des Musulmans Aly ben Yous­ sef envoya à la poursuite des Almohades un corps de ses troupes d’élite, sous le commandement de Ahouel, général Lemtouna. Cette armée fut battue et Ahouel Akeltmoum fut tué; les Almohades poursuivirent les Lemtouna, sabres en mains, jusque sous les murs de Maroc, où leurs débris se réfugiè­ rent. Ils assiégèrent cette place pendant quelques jours, au bout desquels, ils furent forcés de se retirer dans les montagnes devant le nombre toujours croissant des Lemtouna. Ces faits eurent lieu le 3 du châaban le sacré, an 516 (1122 J. C.), et la renommée d’El-Mehdy s’étendit de plus en plus dans le Maghreb et en Andalousie. Il divisa le butin fait sur les Lemtouna entre ses soldats Almohades, en leur récitant ces paroles du Koran : Dieu vous avait promis de vous rendre maîtres d’un riche butin, et il s’est hâté de vous le donner(1).

    HISTOIRE DES CAMPAGNES D’EL-MEHDY CONTRE LES LEMTOUNA.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : A la suite de la défaite de l’armée de l’émir Aly ben Youssef, la puissance d’El-Mehdy grandit encore. Après avoir monté la plus grande partie de ses soldats sur des chevaux enlevés aux Almoravides et les avoir exhortés à la guerre contre les impies, il se mit en campagne avec toutes ses troupes almohades et il se dirigea vers Maroc. Arrivé au mont Ydjelyz, non loin de cette ville, il y établit son camp, et pendant trois ans, de 516 à 519, il ne cessa de battre les environs et de harceler journellement les Lemtouna. Ne voulant pas prolon­ ger davantage son séjour en cet endroit, il se rendit à l’Oued Nefys, dont il suivit les bords en se faisant reconnaître par toutes les populations des plai­ nes et des montagnes et, entre autres, par les tribus de Djermyoua. Il soumit également la tribu de Radjeradja, à laquelle il apprit à connaître Dieu très­

    ____________________ 1 Koran, chap. XLVIII : La victoire, vers. 20.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    haut et les lois musulmanes. Il se rendit ensuite chez les Mesmouda, et il battit tous ceux qui ne voulurent pas de bon gré reconnaître ses ordres et sa domination. Il conquit une grande étendue de pays et la majeure partie des tribus Mesmouda. Il revint alors à Tynmâl, où il resta deux mois pour laisser reposer son armée. Quand il se remit en campagne, il se trouvait être à la tête de trente mille hommes, et il se porta sur Aghmât et les tribus de Hazradja dont les habitants, s’étant réunis à un grand nombre de Hachem, de Lemtouna et autres, marchèrent contre lui. Les deux armées se rencontrèrent et, la bataille fut sanglante ; là victoire resta aux troupes almohades, qui cul­ butèrent l’ennemi et en firent un grand carnage. El-Mehdy distribua le, butin à ses soldats et se mit à parcourir les tribus du Deren, faisant périr ceux qui refusaient de se soumettre et accueillant avec, bonté ceux qui venaient au­ devant de lui. C’est ainsi qu’il conquit tous les châteaux et les forteresses du Deren, et qu’il soumit les tribus de Hentâta, de Djenfysa, Hargha et autres. Après cela il revint à Tynmâl pour s’y reposer quelque temps, et, ayant ras­ semblé lies Almohades, il leur donna ordre de se préparer pour aller atta­ quer la ville de Maroc et faire la guerre sainte à tous les Almoravides qui s’y trouvaient. Il donna le commandement en chef de l’expédition à Abd elMoumen ben Aly, qui se mit aussitôt en marche. Arrivé à Aghmât, Abd elMoumen se trouva, en présence de l’émir Abou Beker ben Aby Youssef, qui était à la tête d’une nombreuse armée de Lemtouna, Senhadja, Hachem et autres, les deux armées se livrèrent des combats sanglants pendant huit jours de suite, au bout desquels le Dieu très-haut donna la victoire aux Almoha­ des. L’émir Abou Beker partit en déroute, et Abd el-Moumen se mit à sa poursuite, massacrant tous les Almoravides qu’il atteignait. Leurs derniers débris se réfugièrent à Maroc, dont ils fermèrent les portes à la face des Almohades, qui après trois jours de siège, s’en revinrent à Tynmâl. Ces évé­ nements eurent lieu dans le mois de radjeb, an 524. El-Mehdy sortit de la ville pour recevoir ses soldats victorieux, et, après les avoir salués et leur avoir manifesté sa satisfaction, il leur énuméra toutes les conquêtes qui leur restait à faire, et les prévint que sa mort était proche et qu’il ne passerait pas l’année. A cette nouvelle les Almohades fondirent en larmes, et, en effet, l’imam fut aussitôt pris du mal qui allait l’emporter. Abd el-Moumen ben Aly remplit les fonctions d’imam durant la maladie d’El-Mehdy, qui empira toujours jusqu’à sa mort, le jeudi 25 ramadhan de l’année 524.

    RÉCIT DE LA MORT D’EL-MEHDY, QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE ET L’AGRÉE !

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    Quelques historiens racontent que El-Mehdy fit un rêve avant sa mort. Dans ce rêve il vit un homme debout sur le seuil de sa chambre et qui lui dit en

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    vers : «Il me semble, avoir vu déjà périr le maître de cette demeure, et ses derniers vestiges être perdus dans l’oubli. El-Mehdy répondit : C’est ainsi, en effet, que s’en vont toutes les choses humaines ; les plus nouvelles sont bientôt anéanties, et tout ce que nous croyons être la vérité a sa fin. L’homme reprit : Fais du bien sur cette terre parce que tu vas la quitter; et, comment répondras-tu aux questions qui te seront faites ? El-Mehdy répondit : Je pro­ testerai que Dieu est en vérité, et cette parole les vaut toutes. L’homme lui dit alors : prépare-toi à la mort, car tu mourras bientôt, et ce que tu dois rencon­ trer s’approche. Mehdy répondit : Dis-moi, je t’en prie, quand cela aura lieu, afin que je hâte mes préparatifs. Et l’homme se mit à chanter : Trois jours encore après vingt nuits, et tu verras la fin de ta vie et de ta puissance. En effet, El-Mehdy mourut vingt-trois nuits après ce rêve. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) On raconte que El-Mehdy, voyant son mal empirer, et comprenant que la mort était proche, fit appeler Abd el-Moumen pour lui dicter ses volontés. Il lui recommanda d’être attentif envers ses frères, et il lui remit le livre Djefr qu’il avait reçu de l’imam Abou Hamyd el-Ghazâly (que Dieu l’agrée !). Il lui ordonna de tenir sa mort secrète aussi longtemps qu’il fau­ drait pour cimenter l’union des Almohades; il lui désigna les vêtements dont il désirait être recouvert, et il lui ordonna de le laver, de l’ensevelir, de faire les prières et de l’enterrer lui-même et sans témoin, dans la mosquée de Tynmâl. Abd el-Moumen reçut toutes ces prescriptions en fondant en larmes à l’idée de cette séparation, et Mehdy mourut dans la matinée du jeudi 25 ramadhan le grand, an 524. Tout ceci est pris dans El-Bernoussy. Ben el-Hacheb, dans ses commentaires, place cette mort au mercredi 13 ramad­ han 524, comme quelques autres auteurs qui ont écrit que l’élévation d’ElMehdy et sa proclamation eurent lieu le premier samedi de moharrem, an 515 , et qu’il mourut le 13 ramadhan, an 524. D’après ceux-ci, le règne d’ElMehdy aurait duré huit ans, huit mois et treize jours ; mais les récits les plus exacts paraissent être ceux de Ebnou Sahab el-Salat, auteur du livre intitulé El-Menn bel Imâma (don de l’imamat) et de Abou Aly ben Rachyk de Murcie, auteur du Myzân el-Elm (poids de la science). Ces historiens rapportent que Mehdy fut proclamé le samedi 1er ramadhan 516, et qu’il mourut le mercredi 13 ramadhan 524. D’autres ont enfin prétendu qu’ils avaient lu eux-mêmes des autographes de l’émir des Musulmans Abou Yacoub Youssef ben Abd el-Moumen écrits en présence et même sous la dictée de Abd el-Moumen, et qui attestaient que le règne d’El-Mehdy avait duré trois mille cinq cent quatre-vingt-cinq jours, soit huit ans, huit mois et treize jours, à partir du samedi, jour de la proclamation, jusq’au mercredi, jour de sa mort.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

    PORTRAIT, VIE ET PRINCIPAUX FAITS D’EL-MEDHY.

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    Mohammed, connu sous le nom d’El-Mehdy, fondateur du règne des Almohades, était d’une belle taille ; il avait le teint cuivré, le visage petit, les dents écartées, le nez fin, les yeux enfoncés, peu de favoris, le dessus de la main droite orné d’un tatouage. Il était. prudent, très-rusé, très-instruit, savant docteur ; il possédait les Hadits du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !). Zélé, connaissant les origines et les sciences théologiques, éloquent et capable de diriger les grandes affaires, énergique et sanguinaire, ne revenant jamais sur ses décisions, se connaissant mieux soi-même que personne ne le connaissait, très-actif et très-soigneux dans les affaires de son gouvernement, il rencontra des peuples ignorants et il se servit de cette igno­ rance au profit de sa cause ; les Mesmouda furent les premiers à le procla­ mer, et il leur donna ce Touâhîd en langue berbère, dont les lumières brillent aujourd’hui encore dans ces lieux-là. Il leur apprit qu’il était l’imam Mehdy annoncé comme devant paraître dans le cinquième siècle. Il leur dénonça les Almoravides comme infidèles, et il ordonna de leur faire la guerre sainte et de leur enlever femmes, enfants et propriétés ; il leur dit : «Quelques-uns s’appellent eux-mêmes émirs des Musulmans, mais leur vrai nom est Mou­ lethemyn les voilés, et ils sont, bien ce peuple décrit par le Prophète de Dieu (à lui bénédiction et salut !) comme devant être excludu paradis; hommes qui paraîtront à la fin du monde avec des queues comme les vaches, et dont les femmes seront ivres, nues, indécentes, et auront des bosses de chameau pour têtes.» C’est ainsi que El-Mehdy en imposait à ces peuplades crédules et ignorantes dont il frappait l’esprit par de tels récits. Voici un exemple, de sa fourberie, qui était aussi grande que sa cruauté : un jour, il enterra vivants quelques-uns de ses soldats en leur lais­ sant une petite ouverture pour prendre haleine, et il leur dit : «Quand on venus interrogera, vous répondrez que vous avez trouvé chez Dieu ce qui vous avait été promis ; que vous avez vu la châtiment préparé pour ceux qui refusent de combattre. les Lemtouna ; et qu’il faut faire tout ce que dit l’imam El-Medhy, parce que c’est la vérité. Quand vous aurez répondu cela, ajouta-t-il, je viendrai vous délivrer, et je vous ferai à chacun une position élevée.» Or, voici ce qui le préoccupait : les Almohades, ayant été battus dans une rencontre avec les Almoravides, venaient d’éprouver des pertes énormes qui-pouvaient faire le plus grand tort à leur cause, et c’est pour parer au découragement de ses soldats due Mehdy eut l’idée de revenir la nuit sur le champ de bataille et d’enterrer quelques-uns de ses hommes, comme il a été dit, au milieu des morts. Le lendemain, de retour au camp, il harangua les chefs Almohades. «Vous êtes braves et bons guerriers, leur dit-il, et votre cause est, celle de Dieu et de la justice ; préparez-vous donc à

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    combattre vos ennemis, et faites attention à vous ; agissez de concert; mais, si vous doutez de mes paroles, allez sur le champ de bataille et informez­ vous auprès de vos frères qui sont, morts, et ils vous diront eux-mêmes le prix que vous retirerez de vos combats.» Les chefs Almohades se rendirent aussitôt sur le champ de bataille, et ils s’écrièrent : «Ô nos compagnons morts ! dites-nous ce que vous avez trouvé chez. Dieu chéri.» Ils répondi­ rent : «Ce que nous avons trouvé chez Dieu très-haut, ce sont toutes sortes de biens, plus que ne peuvent en voir les yeux et en entendre les oreilles.» A cette réponse, ils revinrent en toute hâte au milieu de leurs tribus et racontè­ rent partout ce qu’ils venaient d’entendre. Tout le monde fut émerveillé, et El-Mehdy s’en alla aussitôt mettre le feu aux ouvertures qu’il avait laissées pour respirer à ceux qu’il avait enterrés et qu’il fit ainsi tous périr miséra­ blement, de crainte qu’en sortant de leurs tombeaux ils ne divulguassent l’artifice. Autre exemple de sa ruse et de son imagination : ne réussissant pas à apprendre le premier chapitre du Koran à une fraction des Mesmouda, qui ne pouvaient pas prononcer l’arabe, il compta les mots et appela chacun par un de ces mots ; ensuite, les faisant asseoir en rang, il demandait au premier: «Comment te nommes-tu ? El-Hamdou Lillah (louange à Dieu !). Et toi ? Rabb (maître). Et toi ? El-Alemyn (de l’univers),» et ainsi de suite jusqu’à la fin du premier chapitre El-Fatiha. Alors il leur disait : «Dieu ne vous agréera que lorsque vous réunirez tous ces noms en une seule phrase, et que vous la répéterez dans chaque partie de la prière.» Et c’est ainsi qu’il leur apprit le premier chapitre du Koran. Tel est le récit de l’auteur du livre intitulé ElMougharryb fi akhbâr moulouk el-Maghreb. (L’étranger, Histoire des rois du Maghreb.)

    HISTOIRE DU RÈGNE DU KHALIFE, L’ÉMIR DES CROYANTS, ABOU MOHAMMED ABD EL-MOUMEN BEN ALY EL-KOUMY, EL-ZENETY.

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    Abd el-Moumen ben Aly ben Yala ben Mérouan ben Nasser ben Aly ben Amer ben el-Amouaty ben Moussa ben Aoûn Allah ben Yhya ben Ouzd­ jeïa ben Stâfoun ben Nafour ben Metâla ben Houd ben Madghys ben Berber ben Bez ben Kyss ben Ghylân ben Moudhyr ben Nezâra ben Mahd ben Adnân. Telle est la généalogie d’Abd el-Moumen d’après les divers histo­ riens de sa vie et de son règne, qui prétendent l’avoir tirée d’un manuscrit de son petit-fils, Abou Mohammed Abd el-Ouahed. Dieu seul sait la vérité. Abd el-Moumen était Zenèta d’origine, et son père était potier. Tout jeune, il s’adonna à l’étude et à la lecture du Koran dans les mosquées; il fuit amené au Maghreb par El-Mehdy, qui le garda près de lui, et c’est ainsi que les décrets du Dieu très-haut s’accomplirent. Ce qui est certain dans son histoire,

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    c’est qu’il était Zenèta, de la tribu Koumya, et qu’il naquit à Tadjoura, endroit situé à trois milles du Port-Hœnyn(1). El-Mehdy l’avait désigné comme son successeur, et, à sa mort, gardée secrète selon ses ordres, Adb el-Moumen fut reconnu imam par les dix compagnons, qui unirent aussi compte de la familiarité qui avait toujours existé entre eux, et de ces paro­ les que Mehdy répétait souvent en chantant : «Ô mon élève ! tu réunis en toi toutes les qualités, et tous, tant que nous sommes, nous apprécions tes vertus, ta gaieté, ta générosité, ton noble cœur et ta belle figure !» Et, en effet, chacun connaissait ses vertus, sa conduite, sa religion, son énergie, sa parfaite instruction et son bon sens. On raconte aussi qu’à la mort d’El-Mehdy, chacun des dit compa­ gnons voulut lui succéder, et qu’étant tous de tribus différentes, chacun fit appel aux siens pour se faire élire khalife. Aussi il y eut des troubles et des divisions jusqu’à ce que les dix disciples, s’étant réunis en conseil avec les cinquante compagnons de l’imam, reconnurent que, pour ne point perdre leur position et leur crédit, il fallait se hâter de tomber d’accord, et c’est alors qu’ils proclamèrent Abd el-Moumen, qui était étranger, mais dont on connaissait la liaison intime avec El-Mehdy, qui lui avait toujours témoigné une si .grande affection. Ebnou Sahab et-Salat raconte, dans le El-Menn bel Imâma, qu’ElMehdy ayant ordonné que sa mort fût tenue secrète, Abd el-Moumen et ses dix compagnons se conformèrent à ce vœu et menèrent heureusement pendant trois ans toutes les affaires, et cela grâce à l’adresse et à l’instruc­ tion d’Abd el-Moumen dont voici, d’ailleurs, un trait : à la mort de son maître, il se procura un petit lionceau et un oiseau qu’il éleva comme il l’en­ tendit, mais si bien que le lion s’apprivoisa et devint son gardien, tandis que l’oiseau apprit à dire en bon arabe : «La victoire et la puissance appartien­ nent au khalife Abd el-Moumen, émir des Musulmans.» Lorsque l’éduca­ tion fut complète, il convoqua les cheïkhs Almohades et les Kabyles pour tenir conseil, et il ordonna à ses gens de lui dresser une. grande tente en dehors de la ville (Tynmâl) ; puis, ayant fait garnir l’intérieur de tapis, il plaça l’oiseau sur le support de la tente, et il prescrivit de lui amener le lion quand l’assemblée serait réunie, pour le lâcher au milieu des assistants. En effet, lorsque le conseil fut formé, Abd el-Moumen se leva pour faire la prière ; il adressa deux fois de suite des louanges à Dieu et pria pour le Pro­ phète (que le Seigneur le comble de bénédictions !), pour ses compagnons et pour l’imam El-Mehdy, dont il annonça la mort. Les assistants prièrent et pleurèrent abondamment en mémoire de leur imam; mais Abd el-Moumen fit cesser leurs cris et leurs sanglots en leur disant : «El-Mehdy est monté vers Dieu pour recevoir sa récompense ; faites donc taire votre douleur, et

    ____________________ 1 Aujourd’hui Nemours.

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    voyez à qui vous voulez remettre la direction de vos affaires; unissez vos voix en faveur de celui que vous désignerez pour succéder à l’imam, et tâchez de vous mettre d’accord, parce que vos divisions seraient la perte de votre puissance et la victoire de vos ennemis.» Au même moment, les cheïkhs commencèrent à délibérer ; mais le maître ayant sifflé, le lion parut et l’oiseau dit clairement en arabe : «La victoire et la puissance appartien­ nent au khalife Abd el-Moumen, émir des Musulmans.» Le lion, aussitôt lâché, bondit, en frappant le sol avec sa queue, et, faisant voir ses dents, il mit tous les assistants en fuite à droite et à gauche, à l’exception d’Abd elMoumen, qui resta seul impassible à sa place, où le lion, l’ayant aperçu, vint tout joyeux en remuant la queue. Les Almohades, enthousiasmés à cette vue, furent unanimes pour proclamer Abd el-Moumen ; ils disaient : «Devant choses pareilles il ne peut plus y avoir de discussions ni d’autre khalife que celui qui est l’objet de ces prodiges, celui pour qui un oiseau parle et dont le lion vient caresser les mains, d’autant plus que c’est lui que l’imam avait déjà désigné pour nous lire la prière, qui est la source de l’Islam. Agissons donc comme des compagnons du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !), dont le premier soin fut d’élire Abou Beker (que Dieu l’agrée!) à cause de sa vertu et de sa science, et aussi parce que c’était lui que le prophète, étant malade, avait désigné pour faire les prières. On le proclama, quoique, au nombre de ses compagnons, ce le Prophète eût des proches parents.» Certains écrivains ajoutent que-lorsque le lion vint à lui, Abd el-Moumen le caressa, lui passa les mains dans la crinière et lui dit de s’en aller. Le lion comprit l’ordre et se retira, et, s’il avait put parler, il aurait sûrement prononcé les louangés du Seigneur ! Les assistants, émer­ veillés, répandirent la nouvelle dans le monde entier où elle fut écrite sur les feuilles de l’histoire comme un vrai miracle et un signe évident. C’est à ce sujet qu’Abou Aly a dit en vers : «Le lionceau resta caché et ignoré jusqu’à ce qu’il devint lion lui même, et il allait vers son maître comme il aurait été vers son père. L’oiseau chanta la proclamation de sa puissance en présence de l’assemblée, et, tous ceux qui furent témoins dirent, Les signes sont apparents, et c’est toi qui succéderas à l’imam; mais cela datait déjà de longtemps !» La proclamation d’Abd el-Moumen ben Aly eut lieu le jeudi 14 ramadhan, an 524, par les dix compagnons d’El-Mehdy, et deux ans plus tard, le vendredi 20 de raby el-aouel 526, par tous les Kabyles, qui lui prê­ tèrent serment dans la mosquée de Tynmâl, après la prière. D’après d’autres récits, Abd el-Moumen fut proclamé, d’abord par les dix compagnons, puis par les cinquante cheïkhs, et enfin par tous les Almohades, sans en excepter un seul, qui jurèrent son bonheur et la perte des Almoravides. En effet, ses jours furent heureux, ses armées dispersèrent les

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    Lemtouna, auxquels il ravit l’empire du Maghreb ; il conquit l’Ifrîkya jus­ qu’à Barka, et l’Andalousie. Partout les khotbah furent faits en son nom. Dès qu’il eut assuré son gouvernement, il se mit en campagne contre ses ennemis; sa première expédition fut celle de Tedla; il sortit de Tynmâl le jeudi 24 de raby el-aouel, an 526, à la tête de trente mille Almohades, et il arriva à Tedla, qu’il livra au pillage, et dont il fit tous les habitants prison­ niers. Puis il enleva successivement les pays de Drâa, de Thyghar, de Fezez et d’Aghmât. Au mois de safar 534 (1139 J. C.), il entreprit une longue campagne durant laquelle il ne cessa de battre l’ennemi et de conquérir des villes, jus­ qu’en 541 (1146 J. C.) ; il commença par subjuguer tout le pays de Taza et les montagnes de Ghyata. Ses combats avec les Lemtouna ne discontinuè­ rent pas depuis le jour de sa proclamation jusqu’à la mort de l’émir Aly ben Youssef ben Tachefyn, et sous le règne de son fils Tachefyn, son succes­ seur. Après. être resté deux ans à Khernatha, en face de l’émir Tachefyn, combattant le jour et se reposant la nuit, Abd el-Moumen porta son camp vers le Djebel Ghoumâra ; Tachefyn l’ayant suivi, il s’arrêta sur les bords de l’Oued Thalyt, près de L’Aïn el-Kadym (la source antique), où il demeura deux mois, durant lesquels ses soldats, pour remédier aux rigueurs de la saison d’hiver, durent brûler les charpentes et les bois des maisons, et puis leurs tentes mêmes. Abd el-Moumen se mit alors en route pour Tlemcen, mais Tachefyn, ayant marché sans s’arrêter, le devança et se fortifia dans cette vile, de sorte qu’il dut se contenter de camper dans la vallée et de har­ celer l’ennemi, jusqu’au moment où il se décida à aller à Oran, en laissant une partie de sa troupe pour continuer le siége de Tlemcen. Tachefyn, de son côté, ayant confié la défense de la place à une garnison almoravide, se mit en marche pour Oran, et c’est en route qu’il tomba du sommet d’une mon­ tagne dans la mer et qu’il mourut. Abd el-Moumen occupa Oran et Tlemcen dans le mois de ramadhan, an 539. C’est ainsi que les faits sont racontés par l’auteur du Menn, el-Imâma. Ben Methrouh el-Keyssy a écrit qu’Abd el-Moumen, ayant été pro­ clamé à Tynmâl, se dirigea avec une armée Almohade vers Maroc en Chouel 526 , et qu’il en fit longtemps le siége ; de là il se rendit à Tedla, et après s’en être emparé, il vint à Salé, dont les habitants se rendirent, et où il entra le samedi 24 dou’1-hidja, de ladite année 526. En 527 il conquit Tâza, et en 528 il prit le titre d’émir des Musulmans ; en 529 il fit construire la ville de Rabat-Tâza (Tafersyft), et, depuis l’an 530 jusqu’en 539, il fit à Tachefyn une guerre sanglante qui ne se conclut qu’au siége de Tlemcen; Tachefyn, voyant sa position devenir de plus en plus mauvaise, s’en alla à Oran, où Abd el-Moumen, arrivant sur ses pas, le bloqua, tandis qu’un corps d’armée almohade continuait le siége de Tlemcen. Tachefyn, de plus en plus resserré

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    et menacé, tenta une sortie de nuit avec un petit nombre des siens pour sur­ prendre le camp d’Abd el-Moumen ; la nuit était très-sombre et son cheval le précipita du sommet d’une hauteur. Le lendemain matin son cadavre fut trouvé sur le bord de la mer, on lui coupa la tête et un la remit à Abd elMoumen, qui l’expédia à Tynmâl, où elle fut pendue à un arbre de Safsaf (peuplier). Abd el-Moumen rentra victorieux à Oran dans le mois de mohar­ rem, an 540. Le mois suivant, safar, il fit son entrée à Tlemcen prise d’as­ saut par les Almohades; les Almoravides se réfugièrent à Agadir, où ils se soutinrent jusqu’en 544, époque à laquelle les Almohades les en chassèrent également. El-Bernoussy rapporte qu’Abd el-Moumen conquit Tlemcen en 529, et qu’aussitôt après il envoya une armée de dix mille cavaliers Almohades en Andalousie, où ils débarquèrent sur la plage d’El-Khadera(1). Leur pre­ mière conquête en Espagne fut celle de la ville de Chérich(2), où ils entrè­ rent . sans coup férir. Le kaïd de cette place, Abou Kamar des Beni Ghânya, vint au-devant d’eux avec sa garnison de trois cents Almoravides pour pro­ clamer Abd el-Moumen et faire soumission. Aussi les Almohades nommè­ rent-ils les gens de Chérich les premiers Croyants, et ils leur laissèrent, à jamais leurs biens et leurs propriétés, pour lesquels ils n’eurent même plus à donner le quart des produits, comme cela se faisait dans toute l’Anda­ lousie. C’était à Chérich que les-souverains Almohades envoyaient chaque année ceux qui voulaient embrasser l’islamisme, et lorsque ceux-ci s’en allaient, il en arrivait d’autres. La conquête de Chérich eut lieu le premier dou’l hidja, an 539. Ben Ferhoun rapporte que les Almohades passérent en Andalousie dans le mois dou’l hidja 539, et qu’ils débarquèrent à Tarifa sous le com­ mandement du cheïkh Abou Amran Moussa ben Saïd. Ils furent accueillis par les habitants de Tarifa sans coup férir, et ils se rendirent à Algéziras où la population les appelait, et dont ils chassèrent en entrant, le jour même de l’Aïd el-kebyr, les Almoravides, qui s’enfuirent à Séville. En 540, Abd el-Moumen prit Fès après un long siège, à la fin duquel il imagina de barrer la rivière qui traverse la ville; ce qu’il fit moyennant bois et bâtisse. Lorsque l’eau ainsi arrêtée fut arrivée au niveau de la barrière et commença à déborder dans la plaine, il fit rompre la digue, et l’eau, se préci­ pitant en un seul torrent, renversa les remparts et emporta plus de deux mille maisons; une multitude de personnes périrent noyées, et la ville fut presque entièrement submergée. Les Almoravides demandèrent alors l’aman, mais, une fois maître de la place, Abd el-Moumen dit qu’il ne pouvait pas y avoir

    ____________________ 1 Algéziras. 2 Xérès.

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    d’aman pour les Morabethyn, et il les fit tuer comme des infidèles; il détrui­ sit la majeure partie des remparts cil disant : «Je n’ai pas besoin, moi, d’être défendu par des murs ; mes murs ce sont mon épée et ma justice.» Fès resta ainsi sans murailles jusqu’à l’époque où El-Mansour, petit-fils d’Abd elMoumen, les fit reconstruire, et elles ne furent achevées que par le fils de celui-ci, Mohammed el-Nasser, en l’an 600. En 540 susdit, les Almohades entrèrent à Séville, où on fit les khotbah au nom d’Abd el-Moumen ben Aly, ont ils s’emparèrent de Malaga. Abd el-Moumen fit construire les murs de Tadjerart, près Tlemcen, ainsi que la mosquée et les murs d’enceinte de cette ville. Il conquit à la même époque les pays de Doukâla. En 541 , vers le milieu de moharrem, Abd el-Moumen entra à Agbmât sans coup férir. A la fin de raby les Almohades prirent Tanger, et ils en chassèrent les Almoravides; le huit de chouel, samedi, Abd el-Moumen pénétra dans la ville de Maroc après de sanglants combats, et fit périr un nombre considérables d’Almoravides, ainsi que l’émir Ishac ben Aly ben Youssef ben Tachefyn, qu’il fit prisonnier d’abord, et massacra ensuite. Durant ce même mois toutes les tribus Mesmouda firent leur soumission, et le Maghreb entier fut ainsi acquis à Abd el-Moumen. En 542, un Saletin surnommé El-Messaty, dit El-Hâdy, dont le vrai nom était Mohammed ben Houd ben Abd-Allah, tisserand, et dont le père était brocanteur et marchand d’objets de rebut, se révolta contre Abd elMoumen, après l’avoir reconnu lors de la prise de Maroc, et se rendit dans les tribus de Temsna, où il se fit proclamer par la majeure partie des Mes­ mouda, de façon qu’il, ne resta bientôt plus que la ville de Maroc à Abd elMoumen dans cette partie du pays. L’émir des Musulmans envoya contre lui le cheïkh Abou Hafs à la tête d’une forte armée Almohade ; l’expédi­ tion se mit en marche de Maroc le premier dou’l kaada, et Abd el-Moumen l’accompagna jusqu’au Tensyft. Abou-Hafs atteignit El-Messaty au delà de Temsna et lui livra bataille. Le combat fut sanglant; le général Almo­ hade tua de sa propre main le rebelle, dont les soldats se dispersèrent en déroute. Cela eut lieu au mois dou’l hidja. Abou-Hafs, l’Almohade, fut sur­ nommé Syf Allah (épée de Dieu), comme Khalèd ben el-Oualyd. (Que Dieu l’agrée!) En. cette même. année une députation de personnages de Séville vint à Maroc pour reconnaître la souveraineté d’Abd el-Moumen ben Aly qui, occupé de la guerre d’El-Messaty, ne les reçut qu’un an après leur arrivée, le jour de l’Aïd el-kebyr, au sortir de la prière ; ils saluèrent l’émir tous ensem­ ble et ils le suivirent. Abd el-Moumen accueillit leurs hommages et demanda au kady Abou Beker ben el-Arby, qui faisait partie la députation, s’il ne s’était point trouvé avec El-Mehdy lorsqu’il étudiait chez El-Ghozâly. Le

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    kady lui répondit : «Non, je ne me suis point trouvé avec lui, mais j’ai entendu Ghazâly qui en parlait. Et que disait donc Ghazâly ? - Il disait que ce Berbère ne pouvait manquer de s’illustrer.» Abd el-Moumen congédia alors ses visiteurs et leur donna des titres d’exemption d’impôts. Ils partirent en djoumad el-tâny, an 543 (1148 J. C.). Au commencement de cette, même année, Abd el-Moumen ben Aly se rendit à Sidjilmessa, où il, entra sans coup férir et en donnant l’aman à la population. Puis il revint à Maroc où il resta quelque temps, et il se remit, en route pour Berghouata dont il défit les défenseurs dans un san­ glant combat; un très-petit nombre de fuyards échappèrent au carnage. A cette même, époque, les habitants de Ceuta se révoltèrent à l’instigation de leur kady El-Ayad ben Moussa, contre les Almohades qu’ils avaient reconnus et reçus dans leur ville ; ils les massacrèrent tous, et leurs chefs furent brûlés vifs. Après ce coup de main, le kady El-Ayad s’embarqua et se rendit auprès de Ben Ghânya pour le proclamer et lui demander un gouverneur ; Ben Ghânya envoya Saharaouy, commander Ceuta, et les choses restèrent ainsi pour le moment. Les Berghouata, apprenant qu’Abd el-Moumen marchait contre eux, adressèrent un message à Saharaouy pour l’appeler à leur secours contre Abd el-Moumen ; Saharaouy, s’étant donc mis à la tête de tous les Berghouata, fit éprouver un fort échec à Abd elMoumen; mais celui-ci, reprenant bientôt l’offensive, culbuta l’ennemi et le mit en déroute, massacrant ou faisant prisonniers tous ceux qui se lais­ saient atteindre. El-Saharaouy prit la fuite et demanda l’aman à l’imam, qui le lui accorda et dont il ne contesta plus la souveraineté. En apprenant ces nouvelles, les habitants de Ceuta, au désespoir, frappèrent dans leurs mains. Ils. écrivirent leur soumission et remirent l’acte aux cheïkhs et aux principaux de la ville, en les chargeant de le porter à Abd el-Moumen. L’imam leur accorda le pardon, à la condition que tous ces chefs et le kady El-Ayad iraient, résider à Maroc, et que les murs de Ceuta seraient démolis, ce qui fut fait immédiatement. Le mercredi 3 de djoumad el-aouel de cette année, Abd el-Moumen enleva à l’assaut là ville de Mekenès, assiégée depuis sept ans ; il massacra la plus grande partie de la garnison, et il prit le cinquième de tous les biens des habitants. Cette ville n’a plus été depuis lors jusqu’à ce jour qu’une place de commerce. Durant cette même année, les Almohades conquirent Cordoue, qui leur fut. livrée par. son gouverneur Yhya ben Aly ben Aycha, qui se rendit à Gre­ nade pour engager le gouverneur à chasser les Lemtouna, et à livrer la place aux Almohades comme il avait fait lui-même de Cordoue et de Carmona. Yhya mourut à Grenade le vendredi 14 de châaban, an 543, et il fut enterré à la kasbah, à côté du tombeau de Bâdys ben Djebous ; c’est enfin en 543

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    qu’Abd el-Mounten s’empara de la ville de Djyan(1), où le khotbah fut fait en sont nom. En 544, les Almohades s’emparèrent de la ville de Miliana, et il surgit un homme de Temsna, appelé Aby Terkyd, qui fut proclamé par les Ber­ ghouata et un grand nombre de Berbères avec, lesquels il fit la guerre aux Almohades, jusqu’au jour où il fut tué. Sa tête fut envoyée à Maroc, et un nombre considérable de Berbères périrent avec lui. En 545 (1150 J. C.), l’émir des Musulmans vint à Salé, et fit faire les travaux nécessaires pour y conduire les eaux de la source de Ghaboula par Rabat el-Fath. Il donna ordre aux gouverneurs de l’Andalousie de lui envoyer des députations. En conséquence, cinq cents cavaliers, kadys, doc­ teurs, prédicateurs, cheikhs et kaïds arrivèrent à Salé, où ils furent reçus à la distance d’environ deux milles de la villa par le ministre Abou Hafs et le secrétaire, le fekhy Abou Djafar ben Athya, accompagnés des cheikhs Almohades. Les visiteurs reçurent une hospitalité aussi généreuse qu’agréa­ ble, et trois jours après ils furent présentés à l’émir Abd el-Moumen ben Aly, qu’ils acclamèrent ; c’était, le 1er de moharem an 546. Ils furent introduits par le fekhy Abou Djafar, qui présenta d’abord les envoyés de Cordoue, au nom desquels le kady Abou el-Kassenn ben el-Hadj prit la parole; il donna à l’émir des détails précis sur la situation de Cordoue, et termina en disant : «O émir des Musulmans ! Alphonse (que Dieu le confonde !) a ruiné notre pays.» Après lui vint Abou Beker ben el-Djedy, qui prononça un long dis­ cours; puis chacun exposa successivement ses plaintes et ses vœux ; Abd elMoumen les écouta tous attentivement, satisfit à toutes leurs demandes, et les congédia en leur ordonnant de retourner chez eux. En 546 (1151 J. C:), Abd el-Moumen laissa le commandement. de Maroc à Abou Hafs ben Yhya, et entreprit une campagne dans l’est, pour s’emparer de Bedjeya(2). Il se rendit d’abord .à Salé, où il séjourna deux mois; de là il passa à Ceuta, pour faire croire qu’il allait en Andalousie, et, arrivé dans cette ville, il fit venir des députations de Séville et de Cordoue, et les principaux docteurs et généraux d’Espagne, auxquels il donna ses ins­ tructions, et qu’il congédia avec quelques présents. Ayant alors réuni toutes ses troupes, il se mit en marche pour El-Kassar Abd el-Kerym(3), et, à son arrivée, il passa en revue tous ses soldats, leur distribua de l’argent, et leur donna l’ordre de renouveler leurs provisions. Il se remit en route à travers les champs, et, laissant la ville de Fès à sa droite, il passa la Moulouïa et attei­ gnit Tlemcen où il s’arrêta une journée. De Tlemcen il arriva à Djézaïr(4), où

    ____________________ 1 Djyan, Jaén. 2 Bougie. 3 Al-Kassar. 4 Alger.

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    il entra sans coup férir, et en donnant l’aman aux habitants. Le gouverneur de cette ville prit la fuite et se rendit à Bedjeya, où il annonça la prochaine arrivéed’Abd el-Moumen au kaïd Ben Hamed, qui ne s’y attendait nulle­ ment. L’émir des Musulmans arriva bientôt devant cette place, dont la porte lui fut ouverte par Abou Abd Allah ben Mîmoun, connu sous le nom de Ben Hamdoun. Le gouverneur Ben Hamed prit la fuite par mer et se rendit à Bône, d’où il passa à Constantine. Ces événements eurent lieu dans le mois de dou’l kâada, an 547. En ladite année 546, le cheikh Abou el-Hafs passa en Andalousie, où Abd el-Moumen l’avait envoyé à la tête d’une armée considérable et accompagné de son fils Abou Saïd, pour faire la guerre aux Chrétiens, et leur enlever Alméria dont ils s’étaient emparés. Arrivés sous les murs de cette place, les Almohades entreprirent le siége avec vigueur, et l’émir Abou Saïd entoura son camp d’une muraille. Les Chrétiens d’Alméria demandèrent du secours à Alphonse, qui leur envoya El-Isselthyn et Ben Merdnîch avec de nombreuses troupes; mais toutes leurs tentatives et tous leurs efforts ayant été inutiles, ils prirent le parti de se retirer, ils ne revinrent plus. Abou Saïd s’empara alors, sans coup férir, d’Alméria, dont les habitants demandèrent et obtinrent l’aman par l’intermédiaire du ministre le secrétaire Abou Djafar ben Athya. En 547 (1152 J. C.), pendant qu’Abd el-Moumen prenait possession de Bedjeya, les Almohades enlevaient Constantine à Ben Hamdoun en don­ nant l’aman aux habitants qui proclamèrent Abd el-Moumen. Ben Hamdoun seul fut envoyé à Maroc, où l’émir lui fit donner des biens et une jolie rési­ dence. Abd el-Moumen resta deux mois à Bougie pour asseoir son gouver­ nement en ville et dans les environs, qu’il plaça sous le commandement des Almohades, et il revint à Maroc. En 548 (1153 J. C.), l’émir fit arrêter Yslîten, parent d’El-Mehdy, qu’on lui amena enchaîné de Ceuta, et qu’il fit tuer et crucifier à la porte de Maroc. Après cette exécution, il se rendit à Tynmâl pour visiter 1e tombeau d’El-Medhy. Il distribua de fortes sommes aux habitants, et fit agrandir et embellir la mosquée et, la ville. Il vint alors à Salé, où il finit l’année. En 549 (1154 J. C.), il désigna son fils Mohammed pour lui succéder après sa mort, disposition dont il fit part par écrit à tous les cheïkhs et les chefs de son empire. Puis il distribua comme il suit les principaux comman­ dements à ses fils : il donna Tlemcen et dépendances au Sid Abou Hafs, en lui ,adjoignant Abou Mohammed Abd el-Hakk et le fekhy Abou el-Hassem Abd el-Malek ben Ayach, qui fut plus tard le secrétaire des deux khalifes ; au Sid Abou Saïd le gouvernement de Ceuta et de Tanger, avec Ben Hassen pour lieutenant; au Sid Abou Yacoub Youssef le gouvernement de Séville et dépendances, et au cheïkh Abou Zyd ben Moudjyb celui de Cordoue et

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    dépendances. C’est après avoir pris ces dispositions que l’émir Abd el-Mou­ men apprit qu’à la nouvelle de la mort de Yslîten, qu’il avait fait tuer, Abd elAzyz et Aïssa, frères d’El-Medhy, étaient sortis de Fès pour marcher contre lui à Maroc, par le chemin d’El-Mâden (de la mine). Quittant aussitôt la ville de Salé, il s’en alla, à marché forcée, vers Maroc, en se faisant devancer par son ministre Abou Djafar ben Athya ; mais quand il se présenta, Abd el-Azyz et Aïssa, arrivés avant lui, avaient déjà tué le kaïd de la ville, Abou Hafs ben Yfryn. Aussi il ne voulut rien entendre et il les fit mourir sur la croix. Cette année-là se termina par la prise elle Lybla(1) par les Almoha­ des, après un long siège, qu’A’bd el-Moumen avait confié à son kaïd Abou Zakerya ben Youmar. Ce général, après avoir emporté la place à l’assaut, fit sortir les habitants de la ville, et, les ayant alignés en rangs, il les fit tous massacrer, sans en exempter les docteurs, au nombre desquels se trouvaient le fekhy ben Bathal, versé dans le Hadits, et le fekhy vertueux et pieux Abou Amer ben el-Djyd, qui fuit très-regretté. Le nombre des victimes de Lybla s’éleva à huit mille hommes de la ville et à quatre mille hommes des envi­ rons. Leurs lemmes, leurs enfants et leurs biens furent vendus ; mais tout cela fut fait sans ordres de l’émir, qui adressa les plus vifs reproches au kaïd Abou Zakerya, et lui signifia qu’il ne pouvait admettre ni excuser une pareille, conduite. Puis il envoya de Maroc des gardes pour l’arrêter, et on le lui amena enchaîné, le jour même de l’aïd el kebyr ; il le fit jeter en prison, où il resta longtemps ; mais rien de ce qu’il avait pris ne fut rendu aux habi­ tants de Lybla. En 550 (1156 J. C.), l’émir Abd el-Moumen ordonne de restaurer et de bâtir les mosquées dans tout son empire, et prescrivit à tous les gouver­ neurs et aux tolbas de l’Andalousie. et du Maghreb de punir le crime et, le faux témoignage, et de ne point s’écarter des principes du Hadits. En 551 (1156 J. C.), les Almohades s’emparèrent de Grenade où les khotbah furent faits au nom d’Abd el-Moumen ben Aly, auquel les habitants envoyèrent leur acte de soumission. L’émir leur expédia un gouverneur ; mais bientôt, violant leurs engagements, ils mirent à mort ce gouverneur à la place duquel s’élevèrent Ben Merdnîch, ben Houmouchk et Akrâ le chré­ tien. En 552 (1157 J. C.), l’émir des Musulmans donna ordre d’attaquer Grenade, et il confia l’expédition à ses fils Youssef et Othman, qui partirent avec un nombre considérable de soldats, assiégèrent la place et y entrèrent à l’assaut. Akrâ le chrétien et toute la garnison furent massacrés ; mais Ibrahim ben Hoummouchk et ben Merdnîch prirent la fuite. Ceci est écrit d’après le récit de Ben Metrouh. Ben Sabah el-Salat, de son côté, rapporte que la conquête de Grenade et la mort de Akrâ le chrétien eurent lieu en 557 ;

    ____________________ 1 Niebla.

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    mais Dieu seul qui est vrai connaît la vérité. En cette même année, l’émir fit jeter en prison son ministre Abou Djafar ben Athya, et après l’y avoir laissé quelque temps, il le fit mettre à mort au mois de chouel, et le remplaça dans ses fonctions par Abd el-Selam ben Mohammed el-koumy. Abd elMoumen avait, épousé la mère de cet Abd el-Selam, et en avait eu une fille qui avait été maniée à Abou Hafs avec lequel elle divorça, Après l’exécution de Abou Djafar, l’émir choisit, pour secrétaire Abd el-Malek ben Ayach, de Cordoue. En 553 (1158 J. C.), eut lieu l’expédition de la Mehdia; Abd el-Mou­ men enleva cette place aux Chrétiens et soumit toute l’Ifrîkya La Mehdïa, avant d’appartenir aux Chrétiens, était gouvernée par Hassen ben Aly ben Yhya ben Temym ben el-Mouaz ben Badys, qui en avait hérité de son père et de ses dieux ; elle lui fut prise par les ennemis chrétiens venus de Skylia (Sicile). Ces Chrétiens entrèrent à l’assaut à la Mehdïa après en avoir fait le siège, vers l’an 540, et ledit Hassen ben Aly prit la fuite et atteignit Alger, où il se réfugia. Lorsque Abd el-Moumen arriva à Alger avec son armée almohade, il y trouva Haseon ben Aly, qui vint au-devant de lui pour faire sa soumission. Abd el-Moumen l’accueillit et le ramena à Maroc, où il le garda auprès de lui jusqu’en 553, à l’époque où il fit son expédition dans l’est et conquit la Mehdïa, qu’il attaqua par terre et par mer, et qu’il ne cessa de battre qu’en 555, lorsqu’il l’eut enlevée aux Chrétiens. Telle est la version d’El-Bernoussy. Ben Djenoun raconte qu’Abd el-Moumen se mit en campagne, contre la Mehdïa, et sortit de Maroc dans la première période (décade) du mois de chouel de l’an 553 ; il laissa le commandement de cette capitale à Abou Hafs ben Yhya, assisté de son fils le Sid Abou el-Hassen ; il nomma également Abou Yacoub Youssef ben Soliman gouverneur de Fès et dépendances ; Sid Abou Yacoub, son fils, gouverneur de Séville, Cordoue et dépendances et de toutes ses possessions de l’ouest en Andalousie; et. enfin son autre fils, Abou Saïd, gouverneur de Grenade et dépendances. Il partit à la tête d’une armée innombrable, composée d’Almohades, de kabyles Zenèta, d’Aghzâz et d’arbalétriers, et il se dirigea vers l’orient. Dieu l’accompagna dans sa marche ; il traversa les terres du Zab et, de l’Ifrîkya, conquérant le pays et les villes, donnant l’aman ceux qui le demandaient et tuant les récalcitrants. Il arriva ainsi jusqu’à Tunis, dont il fit le siège pendant trois jours. Puis, lassant l’armée almohade pour continuer ce siège, il se rendit au Kairouan dont il s’empara; de là il conquit Sousa et Sfax, et il arriva à la Mehdïa, où il tomba sur les Chrétiens par terre et par mer, les battant sans relâche nuit et jour avec ses machines de guerre, et leur présentant, chaque matin de nouveaux soldats, jusqu’au moment où il entra dans la place et les massacra en nombre considérable.

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    En 554 (1159 J. C.), dans le mois de djoumad el-aouel, Tunis fut pris et les khotbah y furent faits au nom de l’émir Abd el-Moumen ben Aly, au moment où il s’emparait lui-même de la Mehdïa, dont le siége avait duré sept mois. C’est pendant cette année-là qu’Abd el-Moumen soumit toute l’Ifrîkya sans exception, depuis Barka jusqu’à Tlemcen; il divisa ses nouvel­ les conquêtes en provinces, à chacune desquelles il donna un de ses kaïds et un de ses kadys ; il régularisa son gouvernement par une bonne organisation, et il fit restaurer les villes et les ports. Ensuite il ordonna d’arpenter ses pos­ sessions d’Ifrîkya et du Maghreb. L’on mesura depuis Barka jusqu’au Bled Noul (Noun) dans le Sous el-Aksa, en fersagh (parasanges) et en milles, en long et en large, moins une superficie d’un tiers environ, occupée par les montagnes, les précipices, les fleuves, les marais, les forêts et le désert. Les pays arpentés furent divisés en fractions pour les contributions à payer en blé et en argent, et c’est la première, fois que cela fut fait au Maghreb. Selon quelques historiens, Abd el-Moumen serait entré dans la Mehdia le jour de l’Achoura, an 555. C’est durant cette année-là que l’émir des Musulmans ordonna de bâtir une ville sur le Djebel el-Fath(1) et de l’entourer de murs, ce qui fut fait. Les premiers fondements furent jetés le 9 de raby el-aouel, et les travaux furent terminés dans le courant du mois de dou’1 käada. Dans cette même année, Abd el-Moumen quitta l’Ifrîkya pour rentrer au Maghreb et se rendre à Tanger, d’où il avait l’intention de passer en Andalousie ; mais, arrivé à la Karya d’Oran, les Arabes de l’Ifrîkya lui ayant demandé de les laisser retourner à leurs affaires et dans leurs familles, il accéda à leurs désirs, et il ne retint auprès de lui, pour les conduire au Maghreb, que mille hommes de chaque tribu avec leurs femmes et leurs enfants, tous Arabes Hacheras. C’est dans ce voyage de retour qu’Abd el-Moumen bâtit la ville d’El-Betheha(2), et en voici la cause : Les Almohades, voyant que leur séjour dans le Levant se prolongeait indéfiniment, furent pris du désir de revoir leur pays et leurs familles, et formèrent un complot pour assassiner Abd el-Moumen pendant son sommeil. Un cheïkh, ayant eu connaissance de leur conspiration, accou­ rut auprès de l’émir pour le prévenir du danger, et il ajouta : «Permets-moi, ô émir, de prendre ta place cette nuit ; s’ils font ce qu’ils ont comploté, j’aurai ainsi sacrifié ma vie pour le bien des Musulmans et je trouverai ma récom­ pense chez Dieu, qui me rémunérera également pour mes bonnes intentions, si j’échappe à la mort.» En effet, le cheïkh se coucha dans le lit de l’émir et il fut étranglé. Le lendemain matin, Abd el-Moumen, après s’être éveillé et avoir fait sa prière, se souvint du cheïkh et se rendit dans sa tente, où il ne

    ____________________ 1 Gibraltar. 2 El-Betheha, ville sur la rive droite de l’Oued Mina, à 20 kilomètres du Chélif.

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    trouva plus qu’un cadavre. Il le prit et le chargea lui-même sur le dos d’une chamelle, qui se mit en route sans être conduite, allant tantôt à droite tantôt à gauche, jusqu’à un endroit où elle s’arrêta et s’agenouilla d’elle-même. Alors Abd, el-Moumen fit descendre le cadavre pour l’enterrer, et la cha­ melle resta agenouillée tout le temps qu’on creusa la fosse. On bâtit une koubbâ sur la tombe du cheïkh, et on y adjoignit une mosquée ; puis enfin, sur l’ordre de l’émir, on y construisit une ville alentour, dans laquelle il laissa dix personnes de chaque tribu du Maghreb. La mémoire de ce cheïkh devint célèbre dans toute cette partie du pays, et aujourd’hui encore ou se rend en pèlerinage à son tombeau. En rentrant à Tlemcen, l’émir fit arrêter son ministre Aly Abd el-Selam ben Mohammed el-Koumy, et le mit en prison, puis il s’en débarrassa en lui faisant boire un vase de lait empoi­ sonné, qui le tua dans la nuit. Quittant ensuite Tlemcen pour rentrer au Maghreb, il arriva à Tanger dans le mois de dou’l hidjâ, an 555. L’année suivante, 556 (1161 J. C.), Abd el-Moumen partit de Tanger et passa en Andalousie. Il débarqua au Djebel el-Fath, où il resta deux mois pour examiner la situation de l’Espagne. Les cheïkhs et les kaïds de l’Anda­ lousie étant venus lui rendre visite, il leur ordonna de porter la guerre dans l’ouest de la péninsule. Le cheïkh Abou Mohammed Abd Allah ben Aby Hafs partit de Cordoue avec une forte armée almohade, et vint s’emparer de la forteresse de Athernakech, aux environs de Bathaliouch(1), où il mas­ sacra tous les Chrétiens qui s’y trouvaient. Alphonse accourut en toute hâte de Thlytela(2) pour porter secours à cette, garnison, mais, lorsqu’il arriva, la perte des Chrétiens était consommée. Alors il attaqua les Almohades ; il fut défait par Dieu très-haut, et six mille de ses soldats périrent. Les Musulmans rapportèrent leur butin et les prisonniers à Cordoue et à Séville. Durant cette même année, les Almohades s’emparèrent de Bathaliouch, Tadja et Bayra(3), et ils enlevèrent la forteresse d’El-Kaysar(4). Le commandement de ces nou­ velles conquêtes fut confié à Mohammed ben Aly ben el-Hadj, et l’émir revint à Maroc. En 557 (1162 J. C.), l’émir donna ordre de fortifier toutes ses côtes, et de se préparer à faire la guerre aux Chrétiens par terre et par mer; il fit mettre quatre cents navires sur les chantiers ; savoir : cent vingt au port de la Mamoura ; cent à Tanger, Ceuta, Badis et autres ports du Rif ; cent en Ifrîkya, à Oran et au port Hœnin ; et quatre-vingts en Andalousie. En même temps il faisait réunir en masse des chevaux, des armures et des équi­ pements, et il ordonna à tous ses sujets de fabriquer des flèches ; on lui en

    ____________________ 1 Badajoz. 2 Tolède. 3 Badja et Evora. 4 Castro-Marino.

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    fournissait dix quintaux par jour; il eût été impossible de les compter. C’est pendant qu’il faisait trous ces préparatifs, que lui arriva de la tribu de Koumya une superbe armée de quarante mille cavaliers ; voici pourquoi : Lors de la conspiration des Almohades, qui coûta la vie au cheïkh, l’émir Abd el-Moumen n’ayant pu conserver aucun doute sur les dangers qu’il courait, pensa que ces dangers venaient surtout de ce qu’il était étranger, et n’avait autour de lui aucun confident ni garde de sa propre tribu ; alors il écrivit secrètement aux cheikhs des Koumy, en les invitant à venir à lui à cheval, avec tous les hommes de la tribu qui auraient atteint l’âge de puberté. En même temps, il leur envoya de l’argent et des vêtements. Les koumy se réunirent donc au nombre de quarante mille pour venir à Maroc servir de garde particulière à l’émir. Tout le Maghreb s’émut à l’apparition de cette armée, et, dès son arrivée à Oumm el-Rebya, les Almohades, saisis de crainte, allèrent en hâte prévenir Abd el-Moumen qui, faisant semblant de tout ignorer, donna ordre au cheïkh Abou Hafs de se porter au-devant de ces étrangers avec, les principaux cheïkhs Almohades et leurs hommes, pour leur demander ce qu’ils apportaient de nouveau. Les Almohades se mirent aussitôt en marche, et, arrivés à Oumm el-Rebya, ils dirent aux koumy : «Que le salut, soit avec vous ! Êtes-vous amis ou ennemis ?» Ceux-ci rendi­ rent le salut et répondirent : «Nous sommes de la tribu de l’émir des Musul­ mans Abd el-Moumen ben Aly le Koumy, le Zenèta, et nous venons pour lui rendre visite.» A cette réponse, Abou Hafs et ses compagnons retournèrent pour, informer l’émir, qui donna ordre à tous les Almohades d’aller à leur rencontre. Les Koumy arrivèrent ainsi à Maroc, et leur entrée fut un jour de fête. Abd el-Moumen les mit au deuxième rang, entre les gens de Tynmâl et ceux de sa suite, puis il les rapprocha de sa personne, et il finit par s’en faire tout à fait entourer quand il sortait. En l’an 558 (1163 J. C.), l’émir des Musulmans sortit de Maroc pour aller faire la guerre sainte en Andalousie, le jeudi 5 de raby el aouel ; arrivé à Rabat el-Fath, il fit un appel général aux armes au Maghreb, en Ifrîkya et dans le Sous, conviant tous les Kabyles à la guerre sainte. Un peuple entier répondit à cet appel, et plus de trois cent mille cavaliers Almohades, Arabes et Zenèta, vinrent se joindre à ses troupes qui ne comptaient pas moins de quatre-vingt mille cavaliers et cent, mille fantassins. A peine si le terrain était suffisant pour le camp, qui s’étendait aux environs de Salé, depuis l’Aïn Ghaboula jusqu’à l’Aïn el-Khamîs, et se déployait jusqu’au cap de la Mamoura. Mais au moment où l’émir achevait d’assembler et d’organiser cette immense armée, il tomba malade et une se releva plus. Sa maladie fut longue et douloureuse, et, lorsqu’il sentit que la mort approchait, il annula les dispositions qu’il avait prises en faveur de son fils Mohammed, qui ne lui

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    paraissait pas capable de gouverner un si grand empire. Il écrivit cet acte le vendredi 2 de Djoumad el-tâny, et expédia des courriers dans toutes les directions pour en faire part à ses sujets ; son mal s’accrut alors de plus en plus, et il succomba dans la nuit du vendredi 8 de djoumad el-tâny de ladite année. Selon d’autres, il mourut le mardi dans la nuit, à l’aube, le 12 dudit mois de djoumad el-tâny. Qu’il soit glorifié celui qui seul ne meurt jamais, qui ne sera jamais enseveli, et dont le règne n’a point de fin ! D’après Ben el-Khacheb, Abd el-Moumen vécut soixante-trois ans ; Ben Sahab el-Salat lui en donne ; soixante-quatre dans le Menn el-Imâma. Son corps fut transporté à Tynmâl, où il fut enterré à côté du tombeau de l’imam El-Mehdy. Son règne avait duré trente-trois ans, cinq mois et vingt­ trois jours, comme l’ont rapporté plusieurs historiens de son règne. Abd el-Moumen laissa un grand nombre d’enfants, dont voici les principaux : Abou Yakoub, qui lui succéda, et son frère utérin Abou Hafs, Mohammed le déshérité, Abd Allah, prince de Bougie, Othman, prince de Grenade, ElHassen, El-Houssein, Soliman, Yhya, Ismaël, Ibrahim, Aly, Yacoub, Abd erRahman, Daoued, Ayssa et Ahmed ; plus, deux filles, Aychâ et Safya. Au nombre de ses fils il faut citer encore le Sid Abou Amran, qui fut préfet de Maroc, et qui se distingua par ses connaissances en littérature et par une grande noblesse de caractère.

    PORTRAIT DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABD EL-MOUMEN BEN ALY ; SA CONDUITE ET SES QUALITÉS. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’émir Abd el-Moumen gouverna sagement et sa conduite fut belle ; il n’eut point d’égal chez les Almohades pour les vertus, les sciences, la reli­ gion et l’art de monter à cheval. Son teint était blanc : et ses joues colorées, ses yeux noirs, sa taille haute, ses sourcils longs et fins, son nez aquilin, sa barbe épaisse ; éloquent, savant docteur, versé dans le Hadits du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !) ; il avait lu beaucoup, et il connais­ sait tous les écrits des savants sur les choses de la religion et du monde ; maître sur la grammaire et l’histoire, ses mœurs étaient irréprochables, son jugement sûr et solide ; il était généreux guerrier, entreprenant et imposant, fort et victorieux ; avec l’aide de Dieu il n’attaqua jamais un pays sans s’en emparer, ni une armée sans la vaincre. Il affectionnait particulièrement les lettrés et les docteurs, et il était, lui-même bon poète. On raconte qu’étant sorti un matin de bonne heure avec son ministre Abou Djafar ben Athya, pour aller passer la journée dans un de ses jardins de Maroc, il aperçut, en pas­ sant dans la rue et à travers le grillage d’une fenêtre, la figure d’une femme belle comme le soleil ses yeux s’étant rencontrés avec ceux de cette femme, il prononça ces vers : «La vue de cette grille et de ce visage m’a percé

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    le cœur, car il n’est pas possible de voir une pareille houri sans en être séduit.» Mais Abou Djafar lui répliqua en vers également : «Éloignez donc cette passion de votre cœur, car elle n’est point digne de vous, qui êtes l’épée victorieuse des Almohades.» En entendant ces mots, l’émir joyeux remercia son ministre Djafar et passa son chemin. Puis il lui témoigna de nouveau sa reconnaissance et lui donna un vêtement d’honneur et des biens considéra­ bles. Ce fait est rapporté par Ben Djenoun. Abd el-Moumen était doué d’un jugement aussi sain que sa puissance était grande. Il était si modeste qu’à le voir on aurait pu croire qu’il ne pos­ sédait absolument rien. Il n’aimait ni les plaisirs, ni les distractions, et il ne se reposait jamais. Il soumit le Maghreb entier ; il subjugua l’Espagne, et il enleva aux Chrétiens la Mehdïa en Afrique, et Alméria, Évora, Baëza et Bada­ joz en Andalousie. Il eut successivement pour secrétaires et ministres Abou Djafar ben Athya et son frère Athya ben Athya, Abd el--Selam ben Moham­ med el-Koumy, Abou el--Hassan ben Ayach, Medjmoun et Abd Allah, fils d’Habel, et enfin, son propre fils le sid(1) Abou Hafs et Edriss ben Djemâ son coadjuteur. Ses kadys furent Abou Amran Moussa ben Sahar, de Tynmâl, Abou Youssef Hadjedj ben Youssef, et enfin Abou Beker ben Mimoun, doc­ teur de Cordoue, qui fut celui, dit-on, qui fit ces vers à l’adresse d’un jeune homme d’Agmât, connu sous le nom d’Abou el-Kassem ben Tasyt. «Ô Abou el-Kassem ! j’aspire à toi comme au Paradis ; mais si je t’atteignais, je ne guérirais plus. L’élévation préserve du feu de l’enfer, et les larmes de la mer éteignent l’incendie ; et si j’étais Abraham ou Moïse, je ne craindrais ni le feu ni l’incendie !»

    RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS YOUSSEF BEN ABD EL-MOUMEN BEN ALY. QUE. DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’émir des Musulmans Abou Youssef ben Abou Mohammed Abd elMoumen ben Aly el-Zenèty el-Koumy eut pour mère une femme légitime de son père nommée Aychâ et fille du fekhy le kady Abou Amran de Tynmâl. Il naquit le jeudi 3 de radjeb, an 533. Son visage était blanc et ses joues colo­ rées, taille haute, barbe blonde, très-chevelu, dents écartées, nez recourbé, visage ovale, se servant indifféremment de l’une ou l’autre main, plein de jugement, de bontés et de vertus, il n’aimait point faire verser le sang, agréa­ ble, capable et bon conseiller, il chérissait la guerre sainte. Lorsqu’il prit les rênes du khalifat, il adopta le gouvernement de son père dont il suivit les traces et la conduite. Il accumula de grandes richesses; il fut le premier des émirs Almohades qui passa la mer pour faire la guerre

    ____________________ 1 Sid, Cid, plus exactement Séyd (maître, seigneur), titre donné, sous les Almo­ hades, aux princes descendants d’Abd el-Moumen.

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    sainte, et il employa une partie de ses biens à augmenter le nombre et le bien­ être de ses troupes. Il affermit sa domination sur urne vaste étendue des deux Adouas et il embellit son royaume. Son empire s’étendait depuis Souïka Beni Matkouk, à 1’extrérnité de l’Ifrîkya, jusqu’aux dernières villes du Bled Noun dans le Sous el-Aksa ; et, en Espagne, depuis Tolède dans l’est, jusqu’à San­ tarem dans l’ouest. Tous les peuples compris dans ces limites lui payaient régulièrement les impôts ordinaires, et les finances s’accrurent prodigieuse­ ment sous son règne. Il assura la tranquillité des routes, il restaura les villes et les ports, et il régularisa l’administration de ses sujets dans les villes et dans les campagnes. Tout cela fut le résultat de sa conduite sage et juste, de sa sollicitude pour toutes ses possessions proches ou éloignées; il se faisait informer de partout de façon à ne rien, ignorer, et, souvent il s’en allait lui­ même sur les lieux pour s’assurer de ce qu’on lui rapportait. L’émir Youssef eut dix-huit enfants, savoir : Yacoub, surnommé ElMansour, qui lui succéda, Ishac et Yhya, Ibrahirn et Moussa, Edriss, Abd elAzyz, Abou Beker, Abd Allah, Ahmed, Yhya el-Seghyr, Mohammed, Omar et Abd er-Rahman, Abou Mohamnred Abd el-Ouahed le détrôné, Abd elHakk et lshac, et Talha. Son hadjeb (premier ministre d’état) fut son frère, le sid Abou Hafs. Ses ministres furent Abou el-Ola, Edriss ben Djâma et Abou Beker Yacoub. Ses kadys furent le fekhy Abou Youssef Hedjadj ben Youssef, le fekhy Abou Moussa Ayssa ben Amran, et le fekhy Abou el-Abbès ben Madhâ elKortouby (de Cordoue). Ses secrétaires furent : 1° Abou el-Hassen Abd el-Malek ben Ayach el-Kortouby, originaire d’Evora, auteur, homme d’esprit et de jugement, con­ naissant, le Hadits, les lois et les textes sacrés (que Dieu lui fasse misé­ ricorde!); 2° Abou el-Fadhl ben Zahar de Badjâ et surnommé Haschara, savant, vertueux et religieux. Il était le plus distingué rédacteur de son temps, et il fut aussi secrétaire de Mansour et de Nasser, fils et petit-fils de l’émir. Ses médecins furent le visir, le docteur Abou Beker ben Toufyl de l’Oued Ayâch (Guadix) , savant distingué dans l’art de la médecine et chirur­ gien remarquable, mort en 581 (que Dieu lui fasse miséricorde !); 2° le visir, le docteur Abou Merouan Abd el-Malek ben Kassem de Cordoue, excellent praticien ; 3° le docteur le célébre Abou el-Oualyd ben Rochd(1) que l’émir des Musulmans fit venir à Maroc, en 578, pour faire de la médecine, et qu’il envoya ensuite kady à Cordoue, où il fut connu sous le nom de Ben Rochd le zélé ; 4° le visir Abou Beker ben Zohr(2), qui venait de temps en temps à la cour et s’en retournait en Andalousie, jusqu’en 578, où il se fixa à Maroc avec

    ____________________ 1 Averroës. 2 Abenzoar.

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    toute sa famille. Il demeura dans cette capitale jusqu’à la guerre de San­ tarem, à laquelle il prit part, et il s’attacha alors à El-Mansour. C’était un savant en médecine, en littérature, excellent conseiller et versé dans le Hadits et les commentaires. A son sujet, Abenou el-Djedân a dit qu’il savait le livre de Sidi el-Boukhary par cœur d’un bout à l’autre ; qu’il était géné­ reux. et poète renommé. Il mourut (que Dieu lui fasse miséricorde !) à Maroc, le 21 dou’l hidjâ an 595, âgé de quatre-vingt-quatorze ans. Les fekhys qui formaient la suite de l’émir et qui passaient la soirée avec lui étaient : Abou Abd Allah ben Thafer et Abou Beker ben el-Djiddy. Abou Abd Allah ben Thafer était kady à Séville, lorsque l’émir l’envoya chercher pour le garder auprès de lui, et, plus tard, il lui confia la garde et la direction du trésor.

    PROCLAMATION ET VIE DE L’ÉMIR YOUSSEF. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    Youssef fut proclamé émir après la mort de son père, le mercredi 11 djoumad el-tâny, an 558, et il mourut durant l’expédition de Santarem en Andalousie, le samedi 18 de raby el-tâny, an 580. Il vécut quarante-sept ans, et son règne dura vingt et un ans, un mois et quelques jours. D’après les notes d’un de ses fils, il aurait été proclamé de mardi 10 de djoumad el-tâny, le lendemain même de la mort de son père. Cependant, selon les historiens, et Ben el-Khâcheb, entre autres, on tint secrète la mort d’Abd el-Moumen à cause de l’absence de sort fils et successeur Youssef, qui se trouvait en Andalousie, et on ne publia l’événement que lorsque celui-ci fut-revenu de Séville. Le kady Abou Hadjedj Youssef Omar, historien de son règne, rap­ porte que Youssef fut d’abord proclamé par quelques personnes, et que ce ne fut que deux ans après la mort de son père, le vendredi 8 de djoumad el-tâny, an 560, qu’il fut reconnu par tout le monde, à l’exception de ses frères, le sid Abou Mohammed, émir de Bougie, et; le sid Abou Abd Allah, émir de Cordoue, qui refusèrent de lui faire soumission. Youssef parut ne pas faire attention à eux et se contenta d»abord du titre d’émir ; il ne prit celui d’émir des Musulmans que lorsque ses ordres furent reconnus partout. Ben Metrouh raconte de soir côté que, lorsque Abd el-Moumen mourut, son fils Youssef était à Séville, et que sa mort fut tenue secrète jusqu’à l’arrivée dudit Youssef à Salé, où il vint en toute hâte, et que c’est là qu’il fut pro­ clamé par tout le monde, à l’exception d’un petit nombre de personnes dont il ne tint pas compte. La première chose qu’il fit en prenant le gouvernement fut de licencier la grande armée qui était prête pour, aller faire la guerre sainte, et de renvoyer chacun dans sa tribu et dans ses foyers. Il donna des ordres pour que toutes les portes des prisons fussent ouvertes, il fit d’abon­ dantes aumônes et il prit le titre d’émir ; puis il alla à Maroc, où il convoqua

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    ses sujets à venir faire leur soumission ; ils arrivèrent de toutes parts de l’Ifrîkya, du Maghreb et de ]’Andalousie, excepté de Cordoue et de Bougie, qui étaient gouvernées par ses frères. Bientôt la nouvelle de son avènement fut, connue du mode entier. Il envoya ses kaïds dans les deux Adouas, et distriibua de l’argent aux Almohades et à toutes ses troupes. En 559 (1163 J. C.), ses frères, le sid Abou Mohammed, émir de Bougie, et le sid Abou Abd Allah, émir de Cordoue, vinrent, à lui soumis et repentants Pour le reconnaître accompagnés des cheikhs et des docteurs de leur pays. L’émir des Musulmans Youssef les accueillit avec bonté et leur fit des présents. En cette même année, Ben Derâ el-Ghoumary, natif de Senhadja Miftâh, s’insurgea et fit battre monnaie, sur laquelle il fit graver ces mots: De Derâ l’étranger, que Dieu lui accorde promptement la victoire ! Il fut proclamé, en effet, par un grand nombre de tribus de Ghoumara, de Send­ haja et de Ouaraba, et il bouleversa tourte cette partie du pays, il entra dans la ville de Tarda, dont il massacra la plupart des habitants et fit les autres prisonniers. L’émir des Musulmans envoya contre lui une armée Almohade, qui le tint en déroute et rapporta sa tête à Maroc. En 560 (1164 J. C.) eut lieu l’affaire de Djelâb, en Andalousie, entre le sid Abou Saïd ben Abd el-Moumen et Ben Merdinych, à la tête d’une armée chrétienne de treize mille hommes. Ben Merdnych fut défait; tous ses soldats périrent, et le sid Abou Saïd fit part de sa victoire à son frère Youssef. En 561 (1165 J. C.), l’émir des Musulmans donna ordre à son frère, le sid Abou Zakeria, gouverneur de Bougie, d’inspecter toute l’Ifrîkya, en lui recommandant d’agir avec justice et rigueur. En cette même année eut lieu la révolte de Youssef ben Mounkafad, qui surgit dans le Djebel Tyzyran, du pays de Ghoumara. En 562, l’émir entreprit une expédition à Ghoumara ; il défit Youssef ben Mounkafad et ses partisans et il envoya la tête du rebelle à Maroc; il fut alors proclamé par tout le pays de Ghoumara. En 563, la soumission étant générale dans tous les pays, Youssef prit le titre d’émir des Musulmans dans le mois de djoumad el-tâny. En 564, des députations arrivèrent vers lui, de tourtes parts, des pays d’Ifrîkya, du Maghreb et de l’Andalousie. Kadys, prédicateurs, docteurs, poètes, cheïlkhs et kaïds se présentèrent à l’émir pour le saluer et l’entretenir des affaires de leurs pays ; ils furent reçus à Maroc, où chacun apporta quel­ ques présents, suivant ses moyens, à l’émir, qui satisfit toutes leurs deman­ des et leur donna des lettres de recommandation pour leurs gouverneurs respectifs. Ils s’en retournèrent très-contents. En 565, l’émir des Musulmans envoya son frère, le sid Abou Hafs, en

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    Andalousie, pour faire la guerre sainte. Celui-ci s’embarqua à Kessar elDjouez et débarqua à Tarifa avec une armée de vingt mille Almohades et autres, à la tête de laquelle il marcha sur Tolède. En 566 (1170 J. C.), l’émir donna ordre de construire un pont sur le Tensyft, et les travaux commencèrent le dimanche 3 de safar; ensuite il passa en Andalousie pour en visiter les frontières et mettre ordre aux affaires; il arriva à Séville, où il demeura toute l’année, et où il reçut les députations des kaïds, des cheikhs et des kadys andalous, qui vinrent le complimenter et lui donner les détails de la situation. Quand l’année fut finie, il se mit en route et se dirigea vers Tolède, dont il saccagea les environs; il s’empara d’un grand nombre de châteaux dépendant de cette ville, fit périr une multitude de Chrétiens, enleva un butin considérable, et il rentra victorieux à Séville. En 567, l’émir des Musulmans, Youssef, commença à bâtir la mosquée ElMoharrem (la sacrée) à Séville, dans laquelle le premier khotbah fut pro­ noncé par le fekhy Abou el-Kassem Abd er-Rahman ben Khafyr el-Benyny, en dou’l hidjâ, soit onze mois après, tant les travaux furent rapidement ter­ minés. Dans cette même année, if fit construire un pont de bateaux sur le fleuve de Séville; les deux kasbah, intérieure et extérieure, de cette ville, les fossés qui entourent les remparts, la muraille de la porte de Djouhar, les quais, en pierre des d’eux côtés du fleuve et enfin l’aqueduc qui amenait en ville l’eau de la colline de Djaber. Il dépensa pour tous ces travaux. des sommes immenses, et il revint à Maroc dans le mois de châaban le sacré de l’année 571, après, être resté quatre ans dix mois et quelques jours en Andalousie. En 567, Mohammed ben Saïd ben. Merdnych, maître de l’orient de l’Espagne, étant mort, l’émir Youssef profita du moment pour se mettre en campagne ; il conquit entièrement toute cette partie du pays, et il retourna à Séville. En 568 (1172 J. C.), l’émir des Musulmans Youssef envoya son fils, le sid Abou Beker, courir sur les terres des Chrétiens. Ce prince s’avança jusque sous les murs de Tolède 4n battant et détruisant tout, et il fit des pri­ sonniers et un riche butin. Le général chrétien Sancho, connu sous le nom de Bou Berdha (l’homme à la selle, parce qu’il était monté sur une selle en soie brodée d’or et ornée de pierreries et de perles), fit une sortie et se présenta à l’armée d’Abou Beker, qui lui livra bataille. Sançho Bou Berdha fut tué et son armée fut taillée en pièces. Pas un de ces Chrétiens n’échappa à la mort, et ils étaient au nombre de trente-six mille : En 569, l’émir Youssef fit l’expédition de Karkouna (1) dans l’est de l’Andalousie ; il ravagea toute cette partie du pays, tuant les Chrétiens ou les faisant prisonniers, incendiant les village, dévastant les campagnes et abattant

    ____________________ 1 Tarragone.

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    les arbres, et il revint à Séville. En 570, l’émir des Musulmans épousa la fille de Mohammed ben Saïd ben Merdnych, et les noces furent d’une splendeur qu’on ne saurait décrire. En 571 (1175 J. C.) , l’émir passa dans l’Adoua et rentra à Maroc au mois de châaban; il y resta jusqu’à la fin de l’année 574. Alors, ayant appris que Ben Zyry s’était révolté à Kafsa, ville de l’Ifrîkya, il se mit en campa­ gne, et il arriva en 575 dans l’Ifrîkya, où il se porta aussitôt sous les murs de Kafsa(1); il assiégea et battit cette place sans relâche, jusqu’au montent où il l’enleva à Ben Zyry, qu’il fit mettre à mort; cela eut lieu en 576, et l’émir retourna à Maroc, où il entra en 577 et où, quelque temps après, il reçut Abou Serhân Messaoud ben Sultan el-Ryahy, qui se mit à son service avec un fort détachement des principaux Ryâh. En 578 , l’émir des Musulmans sortit de Maroc pour faire construire le château d’lskander, qui fut bâti sur l’endroit où les mines paraissent. L’an­ née suivante (579), l’émir Youssef se mit en campagne pour faire la seconde guerre sainte ; il sortit de Maroc le samedi 25 de chouel par la porte de Dou­ kela pour se diriger d’abord vers l’Ifrikya. A son arrivée à Salé, il reçut la visite de Abd Allah ben Mohammed ben Abou Ishac, de l’Ifrîkya, qui lui assura que tout le pays était soumis; et tranquille. Alors il se mit en marche pour l’Andalousie ; il sortit de Salé dans la matinée du jeudi, dernier jour du mois de dou’l kâada, et il campa sous les murs de cette ville jusqu’au lendemain vendredi ; il arriva à Mekenès le mercredi 6 de dou’l hidjâ, et il y passa l’Aïd el-Kebyr, campé aux environs de la place ; de là il se rendit à Fès, où il finit le mois et commença l’année 580. Il partit de Fès le 4 de moharrem et il se rendit à Ceuta, où. il resta jusqu’à la fin du mois à diriger l’embarquement de ses troupes ; il fit d’abord passer les Arabes, puis suc­ cessivement les Zenèta, les. Mesmouda, les Maghraoua, les Senhadja, les Ouaraba, les Almohades, les Aghzâz et les arbalétriers. Quand ils furent tous passés, il s’embarqua lui-même avec sa garde, et il traversa la mer le jeudi 5 de safar ; il débarqua: dans le port de Djebel el-Fath (Gibraltar), et il passa à Algéziras ; de là il marcha vers Séville par la route du Djebel el-Souf (mon­ tagne de la haine), suivant Kalat Ghaoulan, Arkouch, Cherich et Nebrycha(2). Le vendredi 23 de safar, il campa sur les bords de l’Oued Bedherkal, où son fils, le sid Abou Ishac, se dirigea aussitôt avec les docteurs et les cheïkhs de Séville pour le complimenter ; mais il leur envoya dire de s’arrêter en chemin et de l’attendre. En effet, à peine eut-il fait la prière du Douour, il monta à cheval et vint vers eux. Après avoir reçu leurs compliments, il fit monter tout le monde à cheval et il se dirigea, vers l’ouest de l’Andalousie

    ____________________ 1 Kafsa ou Gafsa, dans le Djerid tunisien. 2 Aujourd’hui Arcos de la Frontera, Xerès et Lebrixa (Andalousie).

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    pour attaquer la ville de Santarem, où il arriva le 7 de raby el-aouel, an 580. Il établit son camp sous les murs de la place et il en commença le siège, livrant combats sur combats et employant toutes ses forces et tous ses .moyens inutilement jusqu’à la nuit du 22 dudit mois, où il se décida à lever le camp de la partie nord, où il était, pour l’établir à l’ouest de la place; ce mouvement ne fut point compris par les Musulmans et les fit murmurer. Lorsqu’il fut nuit close, et après la dernière prière du soir, l’émir fit venir son fils, sid Abou Ishac, gouverneur de Séville, et lui ordonna de se mettre en marche le lendemain matin de bonne heure pour faire diversion et aller attaquer la ville d’Achbouna(1) ; il lui recommanda de ne prendre avec lui que l’armée andalouse et de faire en sorte d’arriver le jour même ; mais les troupes, ne saisissant pas le sens des nouveaux ordres, pensèrent qu’il s’agissait de profiter de la nuit pour se retirer à Séville, et l’esprit de Satan, pénétrant dans les rangs des Musulmans, ils crurent que l’émir des Musul­ mans voulait profiter de la nuit pour prendre la fuite. Les soldats commen­ cèrent à s’entretenir de ce sujet, et une grande partie d’entre eux décampa à la faveur des ténèbres. Au point du jour, le sid Abou Ishac leva le camp et se mit en route avec ses soldats ; mais les autres troupes suivirent son exemple, et l’émir des Musulmans fut ainsi abandonné sans s’en douter. A son réveil, il fit sa prière, et quand il fit jour il s’aperçut que, de toute son armée, il ne restait plus qu’un très-petit nombre de tentes qui entouraient la sienne et qui étaient celles des gens de sa suite et, des kaïds andalous qui lui servaient d’éclaireurs. Au lever du soleil, les Chrétiens assiégés, étant montés sur les murs de leur ville, virent avec joie que l’armée des Musulmans s’était éloi­ gnée et qu’il ne restait plus au camp que les tentes de l’émir et celles de son entourage. Après s’être, bien assurés de la situation, ils ouvrirent leurs portes et firent une sortie générale. Tous, tant qu’ils étaient de combattants, fondirent sur la petite troupe de l’émir ; ils attaquèrent d’abord les tentes des nègres, et, après les avoir culbutés, ils pénétrèrent dans celle de l’émir des Musulmans, qui se défendit courageusement ; il tua six ennemis de sa propre main, et alors seulement il fut blessé; il abattit encore trois de ceux qui l’avaient blessé, et il combattit tant qu’il put tenir sur ses jambes. En le voyant tomber, ses soldats, ses nègres, ses Almohades et les kaïds andalous jetèrent de grands cris, et une partie de ceux qui avaient fui revinrent sur leurs pas pour combattre autour de la tente de leur émir. Il y eut pendant une heure un horrible massacre, et les ennemis de Dieu furent enfin défaits; le Seigneur redoubla les forces des Musulmans, et leurs épées furent victorieu­ ses. Ils poursuivirent les Chrétiens jusqu’aux portes de la ville, où ils furent forcés de s’enfermer, après avoir perdu environ dix mille hommes. La perte

    ____________________ 1 Lisbonne.

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    des Musulmans fut aussi considérable. L’émir des Musulmans remonta à cheval, mais sa destinée devait bientôt s’accomplir. Mortellement blessé, il se mit en chemin avec la petite troupe qui lui restait, tandis que ceux qui avaient ,abandonné le camp le matin erraient partout sans savoir où aller jusqu’à ce qu’enfin le tambour de l’émir les ralliât sur la route de Séville. Les blessures de l’émir allèrent toujours en empirant, et, selon Ben Metrouh, il mourut en chemin le 12 de raby el-tany de l’an 580, près d’Algéziras, où il se rendait pour passer dans l’Adoua. Son corps fut transporté à Tynmâl, où il fut enterré à côté du tombeau de son père. Selon d’autres récits, l’émir Yous­ sef ne mourut qu’à Maroc, d’où son corps fut transporté à Tynmâl. Depuis le jour où il reçut ses blessures, il avait abandonné la direction de toutes les affaires à son fils, le khalife El-Mansour, qui ne le quitta pas jusqu’à sa mort. Son règne avait duré vingt-deux ans un mois et six jours, et son fils, tenant d’abord sa mort secrète, ne la divulgua qu’à son arrivée à Salé. Dieu seul est durable ! Dieu unique, qui dirigeait avant lui toutes choses, qui les dirigea après et les dirigera toujours !

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS YACOUB BEN YOUSSEF BEN ABID EL-MOUMEN. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’émir des Musulmans, serviteur de Dieu, Yacoub ben Youssef ben Abd el-Moumen, surnommé El-Mansour bi Fadhl Allah (le victorieux par la grâce de Dieu), était fils d’une négresse qui avait été donnée à son père, et il naquit dans la maison de son grand-père, Abd el-Moumen, à Maroc, l’an 555. Il fut aussi surnommé Abou Youssef, et il portait sur son anneau : Ala Allâhi Toukelt (à Dieu je me suis confié). Voici son portrait : Teint brun, taille moyenne, yeux noirs, épaules larges, nez aquilin, cou long, dents écartées, visage ovale, barbe rare, cils et sourcils épais et longs, se joignant ensemble; il était charitable, énergique, instruit sur le Hadits, sur les sciences et la littérature, sur les choses de la religion et du monde, il aimait les ulémas, il les secourait, et ne faisait rien sans leur demander conseil ; il faisait beaucoup d’aumônes, et chérissait la guerre sainte ; il assistait aux funérailles des fekhys et des saints, et visitait souvent leurs tombeaux pour s’acquérir leurs bénédictions. Il eut quatorze enfants mâles, dont trois devinrent khalifes après lui ; ce sont : Abou Abd Allah el-Nasser, Abou Mohammed Abd Allah el-Adel et Abou el-Olâ Edriss elMamoun. Les ministres, secrétaires et médecins de son père furent les siens; ses kadys furent Abou el-Abbas ben Medhâ, de Cordoue, et Abou Amran Moussa, fils du kady Ayssa ben Amran. Son règne commença le jour de sa proclamation, le dimanche 19 raby el-tâny, an 550 (1184 J. C.) ; mais, ayant tenu secrète la mort de son père, il ne fut réellement reconnu par tout le monde que le samedi 2 de djoumad el-aouel de ladite année. Il mourut à

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    Maroc (que Dieu lui fasse miséricorde !) le jeudi 32 de raby el-aouel 595, et, suivant d’autres, le vendredi, dans lai nuit, vers le matin. Son corps fat transporté à Thynmâl, où il fut enterré. Il ne vécut que quarante ans, et son règne dura cinq mille deux cent quatre-vingt-douze jours, soit quatorze ans onze mois et quatre jours. Lors de son avènement, après avoir été proclamé et reconnu par le peuple, il commença par tirer 100,000 dinars en or du bit el-mâl, pour les distribuer dans les différentes villes du Maghreb. Il ordonna que toutes les portes des prisons fussent ouvertes, et que partout les injustices des gouver­ neurs commises sous le règne de son père fussent réparées ; il combla de bienfaits les fekhys, les religieux et les saints, et il augmenta leurs pensions sur les fonds du trésor. Il prescrivit à tous ses kaïds et aux chefs de se ren­ fermer dans les lois de la justice des kadys. Il régularisa les affaires du pays et de ses sujets ; il restaura les villes et les ports, et y mit des garnisons de cavaliers et de fantassins ; il distribua de fortes sommes aux Almohades et à toutes les troupes. Sensé, intelligent et religieux, c’est lui qui le premier des souverains Almohades écrivit de sa main, en tête de ses lettres : Louan­ ges à Dieu l’unique ! On se conforma partout à cet usage(1), en commen­ çant tous leurs écrits par ces belles paroles de ralliement qui embellirent et ennoblirent son règne. Son époque fut remarquable par la tranquillité, la sûreté, l’abondance et la prospérité qui régnèrent partout. Durant tout son règne, Dieu chéri couvrit de son aman le Levant, l’Occident et l’Andalousie. C’était au point que les femmes; partant seules, voilées, du Bled-Noun, arri­ vaient jusqu’à Barka sans être arrêtées ou même interpellées en route par qui, que ce fût. C’est, lui qui fit la célèbre expédition d’El-Alark(2). Il fortifia ses fron­ tières et embellit les villes; il bâtit des mosquées et des écoles au Maghreb, en Algique et en Andalousie. Il institua des hôpitaux pour les malades et pour les fous, et il établit des rentes pour les fekhys et les tholbas suivant leurs rangs et leurs mérités ; il pourvut à l’entretien des hospices pour les lépreux et les aveugles dans tout son empire ; il fit construire des minarets, des ponts et des aqueducs partout où cela était nécessaire, depuis le Sous el-Aksa, jusqu’à Souïka Beni Matkouk. Ce fut un règne de bonheur pour le peuple de l’Islam, qui, sous les drapeaux d’El. Mansour, fut toujours victo­ rieux et supérieur à ses ennemis. En 582 (1186 J. C.), El-Mansour fit périr ses frères, Abou Yhya et Omar, et son oncle, Abou el-Rebya. A cette même époque, il fit une expé­ dition contre la ville de Kafsa, de l’Ifrikya, qui s’était révoltée. Il sortit de Maroc le 3 de chouel, et, arrivé devant la place rebelle, il en fit le siège et

    ____________________ 1 Cet usage est scrupuleusement observé de nos jours encore. 2 Alarcos.

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    s’en empara, l’an 583. Après avoir soumis Kafsa, il entra en campagne contre les Arabes de l’Ifrîkya, qu’il dépouilla complètement et dont il dévasta les terres. Ces Arabes ayant fait leur soumission, il les interna dans le Maghreb, et il rentra lui-même à Marrie dans le roiurant elle radjeb de l’an 584. En 585 (1189 J. C.), il commença l’aqueduc de Maroc, et il se mit en campagne pour aller soumettre la partie occidentale de l’Andalousie. Ce fuit sa première guerre sainte. Il s’embarqua à Kessar el-Djouez pour Algéziras, le jeudi 3 de raby el-aouel 585, et, aussitôt débarqué, il marcha sur Santa­ rem, d’où il se replia sur la ville d’Achbouna (Lisbonne). Il dévasta tous les environs, abattant les arbres, détruisant les troupeaux, tuant, pillant, renver­ sant les villages, incendiant les moissons. Puis il rentra à l’Adoua, emme­ nant avec lui trois mille femmes et prisonniers. Il arriva à Fès à la fin du mois de radjeb de cette même année, et il y resta quelque temps. Alors, ayant appris que le Mayorky(1) avait paru en Afrique, il sortit en toute hâte de Fès le 8 de châaban, et il se dirigea vers Tunis, où il arriva le 1er dou’l kaada ; mais, à la nouvelle seule de son approche, le Mayorky s’était enfui dans le Sahara, et il trouva tout le pays tranquille. En 586 (1190 J. C.), les Chrétiens, ayant appris l’éloignement et les occupations d’El--Mansour en Afrique, s’emparèrent des villes de Chelbâ, de Bedjâ et Beyrâ(2), dans l’occident de 1’Andalousie. A peine El-Mansour eut-il connaissance de ces événements qu’il écrivit aux kaïds de l’Andalou­ sie pour leur adresser de grands reproches et leur ordonner de courir sur les terres de l’Ouest en attendant sa venue, qui suivrait de près l’arrivée de ses ordres. En effet, les kaïds de l’Andalousie, s’étant tous réunis chez Mohammed ben Youssef, gouverneur de Cordoue, se mirent en campagne à la tête d’une nombreuse armée d’Almohades, d’Arabes et d’Andalous, et ils se rendirent sous les murs de Chelbâ, qu’ils assiégèrent et battirent jus­ qu’à la prise. Mohammed ben Youssef conquit également le château d’Aby Danès et les villes de Bedjd el, Beyrâ, et il revint à Cordoue ramenant quinze mille têtes de bétail et trois mille prisonniers chrétiens, qui entrèrent en ville enchaînés par bandes de cinquante, et cela au mois de chouel 587 (1191 J. C.). Dans ce même mois, El-Mansour, revenant d’Ifrîkya, rentrait à Tlem­ cen, où il resta jusqu’à la fin de l’année. Le 1er de moharem de 588 (1192 J. C.), appelé l’an de la Litière, ElMansour sortit de Tlemcen malade et vint à Fès porté sur une litière. Entré dans cette ville, il ne s’y rétablit qu’au bout de sept mois, et il se rendit à Maroc, où il demeura jusqu’en 591, époque de son départ pour la guerre sainte et la. célèbre campagne d’Alarcos.

    ____________________ 1 Le Mayorquin Yhya ben Ishac ben Ghânia. 2 Silves, Bedja et Vera.

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    RÉCIT DE L’EXPÉDITION D’EL-ALARK (ALARCOS) ET DE LA DÉFAITE DES CHRÉTIENS.

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    C’est la seconde expédition d’El-Mansour en Andalousie. L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : Pendant qu’El-Mansour était en Ifrîkya et malade dans l’Adoua, les ennemis, profitant de son éloignement, avaient relevé leurs armées et pris beaucoup de pays. Ranimant leur haine contre les Musulmans, ils ravagèrent leurs terres et se mirent en campagne, pillant et renversant tout sans que nul fût capable de les arrêter ou de leur résister. L’armée des Chrétiens arriva ainsi jusque dans les environs d’Algéziras, et le maudit (Alphonse) écrivit une lettre à l’émir des Musulmans El-Mansour pour le défier au combat, tant étaient grands son orgueil et la confiance qu’il avait en lui-même. Cette lettre était ainsi conçue : «Au nom de Dieu clément et miséricordieux ; de la part du roi chrétien à l’émir El-Hanefy.» Ensuite : «Si tu es dans l’intention de te battre avec nous et qu’il te soit. difficile d’arriver jusqu’à nous avec ton armée, envoie-nous des navires et des radeaux, et nous viendrons nous-même avec nos troupes te livrer bataille sur ton propre terrain. Si tu remportes la victoire, je te ferai des cadeaux (le présent sera venu de lui­ même dans tes mains), et tu seras le roi de la religion ; et si la fortune est pour moi, je serai le roi des deux religions. Salut.» Lorsque El-Mansour reçut ce message, il en fut humilié, et l’amour­ propre de l’Islam se révolta en lui. Il rassembla les Almohades, les Arabes, les Kabyles Zenèta, Mesmouda et toutes les troupes pour leur lire cette lettre, et, après les avoir harangués et excités à la guerre sainte, il leur donna ordre de faire leurs préparatifs de départ. Ayant ensuite appelé son fils Mohammed, son lieutenant, il lui remit la lettre du maudit en le chargeant d’y répondre. Mohammed prit la lettre, la lut et écrivit au dos : «Dieu très­ haut a dit : retourne vers ceux qui t’envoient, nous irons les attaquer avec une armée à laquelle ils ne sauraient résister. Nous les chasserons de leur pays, avilis et humiliés(1).» Puis il montra ces lignes à son père qui fut enchanté d’une pareille preuve de sa haute intelligence, et qui expédia aussitôt le courrier. En même temps il ordonna de faire sortir les étendards et la tente rouge, et de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que les troupes et les Almohades pussent immédiatement se mettre en campagne pour aller faire la guerre sainte. Il écrivit en Ifrîkya et dans toutes les provinces du Maghreb et du Sud pour faire appel aux Croyants, et de toutes parts de nom­ breux guerriers vinrent à lui. Il sortit de Maroc le jeudi 18 de djoumad el­ aouel, an 591, et partit à marche forcée, sans halte et doublant les étapes, ne s’arrêtant pour personne. L’armée, composée de troupes de tous pays, marchait sur ses traces pleine d’ardeur contre les Infidèles. Aussitôt arrivé

    ____________________ 1 Koran, chap. XXVII : la Fourmi, vers. 37.

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    à Kessar el-Djouez, il commença l’embarquement des troupes, et, sans interruption aucune, il les fit passer successivement dans l’ordre suivant : les Arabes, les Zenèta, les Mesmouda, les Ghoumara, les volontaires de toutes les parties du Maghreb, les Aghzâz, les arbalétriers, les Almohades et les nègres. C’est ainsi que toute l’armée passa la mer et débarqua sur le rivage d’Algéziras. L’émir suivit, immédiatement, entouré d’un magnifique état-major de cheïkhs Almohades, de guerriers, de docteurs et de saints du Maghreb. Dieu très-haut l’accompagna ; il mit pied à terre en très-peu de temps à Algéziras, où il arriva peu après la prière du vendredi 20 de radjeb de ladite. année. Il ne séjourna que vingt-quatre heures à Algéziras, et il se mit aussitôt en marche pour ne pas laisser refroidir un instant l’ardeur de ses troupes, immense armée bien organisée et sérieusement résolue, et aussi pour ne pas donner le temps à l’ennemi de se retirer dans son pays avant qu’il eût reçu la nouvelle de l’arrivée précipitée de l’émir des Musul­ mans et de l’ardeur de sa course pour venir le combattre sur le terrain qui lui convenait. Alphonse le maudit resta donc avec son armée auprès de la ville d’Alarcos, et El-Mansour arriva vers lui assisté par la force et la puissance de Dieu très-haut, sans être arrêté nulle part ni avoir attendu per­ sonne, avançant à marche forcée et sans faire cas de ceux qui restaient, der­ rière ; il ne s’arrêta que lorsqu’il ne lui restait plus que deux étapes pour arriver à la ville d’Alarcos. C’est là qu’il campa le jeudi 3 du mois de châa­ ban. Dès le lendemain, il rassembla les Musulmans pour prendre conseil sur l’attaque à faire aux ennemis de Dieu, les Infidèles, et Il se conforma ainsi aux ordres du Tout-Puissant et au Sonna de son Prophète, à l’exem­ ple de Mohammed et de ses compagnons, qui suivirent les prescriptions du Très-Haut exprimées par ce verset : Ceux qui décidant leurs affaires com­ munes en se consultant et font des largesses des biens que nous leur avons dispensés(1) ; et par cet autre : Consulte-les dans les, affaires, et lorsque tu entreprends quelque chose, mets ta confiance en Dieu, car Dieu aime ceux qui ont mis leur confiance en lui(2). L’émir prit donc successivement les avis des, principaux Almohades, des cheïkhs arabe, des cheïkhs Zenèta et autres Kabyles, des Aghzâz et des volontaires. Chacun donna ses bons conseils et fit connaître son opinion, Alors il manda les kaïds andalous, et, quand ils se furent présentés, il les fit asseoir près de lui, et après leur avoir dit les mêmes paroles qu’il avait dites aux autres, il ajouta : «O Andalous ! ceux dont j’ai pris les conseils avant vous sont d’excellents guerriers, mais ils ne connaissent pas la guerre des Chrétiens comme vous qui êtes habitués à vous mesurer avec eux ; vous connaissez leurs coutumes, leur tactique et leurs ruses.» Ils lui répondirent:

    ____________________ 1 Koran, chap. XLII : la Délibération, vers. 36. 2 Koran, chap. III : la Famille d’Imam, vers. 153.

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    «Ô émir des Musulmans ! nos opinions et nos connaissances se trouvent toutes réunies en un seul d’entre mous, que nous avons choisi à cause de son savoir, de sa religion, de son intelligence, de ses vertus et de, sa con­ naissance de la guerre et de la tactique militaire. Sincère et dévoué pour les Musulmans, il sera notre interprète, et ce qu’il dira exprimera exactement nos pensées sur ce que vous désirez connaître. Que Dieu vous soit propice ! Cet homme est le kaïd Aby Abd Allah ben Sanâdyd.» En effet, Ben Sanâdyd, s’étant rapproché de l’émir, qui l’accueillit avec distinction, écouta attenti­ vement ses questions au sujet de la guerre des Chrétiens et des dispositions qu’il fallait prendre contre de pareils ennemis, et il lui répondit : «O émir des Croyants ! les Chrétiens (que Dieu très-haut les confonde !) sont des hommes pleins de ruses dans la guerre, et il nous convient d’abord de les attaquer partout où ils se présenteront, en ayant toujours nos regards portés sur leurs fronts. Que par ton ordre élevé, un cheïkh Almohade, connu pour son courage, sa religion et sa fidélité, s’avance avec toutes les troupes com­ posées des corps andalous, Arabes, Zenèta, Mesmouda et autres Kabyles du Maghreb; donne-lui une enseigne victorieuse qui se déploie sur leurs têtes bénies contre les soldats ennemis (que Dieu les accable !). Garde auprès de toi l’armée Almohade (que le très-Haut la fortifie !), les nègres et les Hachem, et tiens-toi dans les environs du champ de bataille, masqué et de façon à être prêt à porter secours aux Musulmans si besoin en était. Tu demeureras là, si nous remportons la victoire avec ton khalife et par la grâce et la bénédiction du Très-Haut. Dans le cas contraire, tu, te précipiteras avec tes Almohades sur l’ennemi que tu mettras alors facilement en déroute. Tel est mon avis ; que Dieu l’agrée et toi aussi ! — Très-bien, lui répondit ElMansour, ton conseil est excellent. Que le Très-Haut t’en récompense !» Là-dessus chacun s’en retourna dans sa tente. L’émir des Musulmans passa toute la nuit (vendredi 4 châaban) en prière, invoquant avec ferveur Dieu très-haut (qu’il soit glorifié !), et lut demandant d’accorder la victoire aux Musulmans contre leurs ennemis, :les Infidèles. Enfin, à l’heure du sahaur(1), le sommeil vainquit ses yeux et il dormit quelques instants dans la mosquée. Il fit un beau rêve, et, se réveillant tout joyeux, il envoya chercher les cheïkhs Almohades et les docteurs, qui accoururent à lui. Il leur dit : «Je vous ai envoyé quérir à cette heure pour vous raconter le, motif de ma joie, et ce que j’ai vu en songe par la puissance de Dieu durant cette heure bénie. Pendant que j’étais prosterné, le sommeil ayant été plus fort que mes yeux, j’ai vu en rêve une porte qui s’ouvrait dans le ciel pour donner repassage à un cava­ lier monté sur un cheval blanc qui descendit à moi. Ce cavalier était d’une beauté éblouissante, est il tenait dans sa main un étendard vert qui, en se

    ____________________ 1 tempus paulo ante auroram. Kam. prima lux auroræ. Kam.

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    d`éployant, aurait couvert le globe par sa grandeur. Après le salut, je lui demandai qui êtes vous donc (que Dieu vous bénisse !) ? Il me répondit : Je suis un ange du septième ciel; envoyé pour t’annoncer la victoire de la part du Maître de l’univers ; la victoire pour toi et pour tous ceux qui m’accom­ pagnent, et qui sont prêts à sacrifier leurs vies pour mériter les récompenses du Très-Haut. Alors il se mit à chanter ces vers, que j’ai retenus comme s’ils étaient gravés dans mon cœur : Bonne nouvelle, la victoire de Dieu vient vers toi afin que l’on sache que Dieu prête son appui à celui qui défend sa cause. Réjouis-toi, car la victoire et le secours divin te sont acquis et sont proches, et qu’il n’y a pas de doute à concevoir sur la victoire que Dieu donne. Tu abattras les armées chrétiennes par l’épée et le massacre, et tu délivreras le payé de ce culte dont, il n’apparaîtra plus de vestiges. Et c’est ainsi que je compte sûrement sur la victoire et la conquête, s’il plaît à Dieu chéri et bien aimé.» Le samedi 5 de châaban, l’émir des Musulmans, se tenant dans sa tente rouge, signe de combat contre les ennemis, manda son premier minis­ tre, le vénérable Abou Yhya ben Hafs. (Les Beni Hafs étaient une tribu pleine de science et de religion qui s’était jointe aux Almohades dans le Levant, et n’avait bientôt formé qu’un seul et même corps avec eux. Abou Yhya se présenta, et l’émir lui donna le commandement général des trou­ pes ,andalouses, des Arabes, Zenèta, des Hentâta, des volontaires et des tribus du Maghreb; il lui remit sa propre enseigne, l’heureuse, et nomma les chefs de corps qu’il plaçait sous ses ordres, savoir: Ben Sanâdyd, com­ mandant des troupes andalouses ; Djermoun ben Byâh, commandant de tous les Arabes; Lémerid el-Maghraouy, commandant des Maghraoua;Limayou ben Aby Beker ben Hamâma ben Mohammed, commandant des Kabyles de Mediouna ; Djébyr ben Youssef, commandant des kabyles d’Abd el-Ouahed; Abd el-Azyz el-Toudjyny, commandant des Kabyles Toudjyny, Askoury et Mesmouda; Mohammed ben Mounkâfid, commandant des Ghoumara ; le Hadj Aby Arz Yhelef el-Ouaraby, commandant des volontaires. l’émir des Musulmans garda auprès de; lui toute l’armée almohade et les nègres, et donna ordre de se mettre en route. Le cheïkh Abou Yhya s’avança le premier avec le corps des guerriers andalous, commandés par le kaïd Sanâdyd. La marche fuit combinée de façon que l’émir arrivât le soir sur le même lieu de campement que Abou Yhya avait quitté le matin, et cela jusqu’au moment où son armée musulmane arriva en présence des sociétaires (que Dieu les extermine !). Il s étaient canapés sur une hauteur très-élevée et couverte de rochers escarpés et ardus, en face de la ville d’Alarcos. L’armée musulmane s’arrêta dans la plaine le mercredi matin, de châaban le sacré, et Abou Yhya donna aussitôt ordre de faire les préparatifs de combat et munit chaque com­ mandant d’une enseigne pour rallier sa troupe. Il volontaires. Il fit placer les

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    troupes andalouses à sa droite, les Zenèta, les Mesmouda et tous les Arabes à sa gauche ; au front, les volontaires, les Aghzâz et les arbalétriers, et lui­ même il occupa le centre avec les Kabyles Hentâta. C’est dans cet admirable ordre de bataille que les premiers Mouvements s’opérèrent ; chaque troupe, ayant formé les rangs, était prête à combattre autour de son drapeau. Le commandant des Arabes, l’émir Djermoun bon Byâh, parcourait les rangs des Musulmans pour exciter leur courage au nom de la guerre sainte et en leur récitant ces versets du Miséricordieux : O Croyants ! soyez patients, luttez de patience les uns avec les antres; soyez fermes et craignez Dieu. VOUS serrez heureux(1). O Croyants ! si vous assistez Dieu dans sa guerre contre les méchants, il vous assistera aussi et il affermira vos pas.(2) Ils étaient dans cette position en face de l’armée ennemie, qui se trou­ vait sur les hauteurs à proximité de la ville, lorsqu’un corps considérable de sept à huit mille cavaliers infidèles (que Dieu les confonde !), tous cui­ rassés de fer et armés de pied en cap, se précipita sur les rangs musulmans. Le cheikh Abou Yhya ben Hafs s’écria alors : «Ô compagnons musulmans, serrez vos rangs, et que nul ne quitte sa place ; tournez vos pensées vers le Très-Haut et espérez en lui ! Priez Dieu chéri avec ferveur dans vos cœurs, car la circonstance ne saurait être plus rebelle pour vous : d’une part, le martyre et le paradis ; de l’autre, une bonne oeuvre et le butin !» Alors le: commandant s’élança à son tour et parcourut les rangs en criant : «Adora­ teurs de Dieu, vous êtes le peuple du Seigneur; soutenez courageusement le combat contre ses ennemis, car l’armée du Très-Haut sera toujours pro­ tégée et victorieuse !» Les Chrétiens, dans leur charge, arrivèrent jusque dans les rangs musulmans, au point que les chevaux se heurtaient le poitrail contre les boucliers des Croyants, mais sans pouvoir les ébranler: A peine si quelques-uns reculèrent. Les Chrétiens firent deux fois tous ensemble une charge à fond ; et, à la troisième, le kaïd Ben Sanâdyd et le chef des Arabes s’écrièrent aux milieu des rangs : «Ô compagnons musulmans, ne bougez pas, soyez inébranlables pour lieu, qui appréciera grandement votre fer­ meté !» Les ennemis firent une trouée et pénétrèrent jusqu’au centre, où se trouvait Abou Yhya, pensant y rencontrer l’émir des Musulmans. La mêlée fut sanglante. Abou Yhya (que Dieu lui fasse miséricorde !) fit preuve de patience, de cette grande patience qui ne le quitta qu’au moment où il témoigna (mourut). Un grand nombre de Musulmans Hentâta, volontaires et autres, témoignèrent comme lui, comme tous ceux pour qui Dieu avait décrété le martyre et l’éternelle béatitude en cette circonstance. Les Musul­ mans déployèrent une si grande valeur, que le jour fut obscurci comme la

    ____________________ 1 Koran, chap. III ; 1a Famille d’Imram, vers. 200. 2 Koran, chap. XLVII : Mohammed, vers. 8.

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    nuit par des ténèbres de poussière. Les troupes arabes, les volontaires et les arbalétriers s’avancèrent alors et ils entourèrent, les Chrétiens; tandis que, de son côté, Ben Sanâdyd, à la tête des Zenèta, des Mesmouda, des Ghou­ mara et de tous les Berbères, s’élançait sur la hauteur où se tenait Alphonse (que Dieu le maudisse et le confonde !) avec son armée chrétienne et son camp., dépassant en nombre trois cent mille hommes, cavaliers et fantassins. Les musulmans, en gravissant la colline, commencèrent l’attaque, et la jour­ née fut chaude. D’un autre côté, les dix mille Chrétiens qui avaient, fait les premières charges commençaient à être massacrés ; c’étaient des hommes d’élite choisis un à un par l’orgueilleux maudit qui, dans sa coupable pensée, faisait reposer sur eux la victoire, comme s’ils n’avaient point eu d’égaux. Leurs évêques les avaient bénis et, purifiés en les aspergeant de l’eau du bap­ tême, et ils avaient fait serment sur la Croix de ne point, revenir avant d’avoir exterminé tous les Musulmans(1). Mais ceux-ci se résignèrent en Dieu, qui tint sa promesse et les rendit victorieux. Lorsque la bataille s’échauffa et que ces .Infidèles comprirent, qu’ils n’avaient que la mort et la destruction à attendre, ils prirent la fuite en se dirigeant vers la hauteur où se tenait Alphonse ; mais ils trouvèrent le passage déjà barré pair les soldats de l’Is­ lam, et ils retournèrent en déroute dans la plaine, où ils furent mis en pièces par les volontaires, les Arabes, les Hentâta et les arbalétriers, qui n’en laissè­ rent pas échapper un seul. L’insolence d’Alphonse fut ébranlée par le désas­ tre des hommes sur lesquels il faisait si grand compte. Des cavaliers arabes partirent aussitôt au galop pour venir annoncer à l’émir des Musulmans que déjà Dieu très-haut avait vaincu l’ennemi. A cette nouvelle, les tambours battirent, les drapeaux se déployèrent, les professions de foi retentirent, et, chacun se précipita pour combattre. l’ennemi de Dieu. L’émir des Musul­ mans et son armée Almohade accoururent pour atteindre l’Infidèle ; la cava­ lerie partit au galop, et les fantassins forcèrent la marche pour arriver à temps au massacre. En ce moment, le présomptueux Alphonse, l’ennemi de Dieu, s’avan­ çait contre les Musulmans avec toute son armée. En entendant le tambour à sa droite, ce bruit immense, et sentant la terre trembler sous ses pieds, il crut à un bouleversement général; il leva la tête pour regarder du, côté d’où venait le tumulte, et il aperçut les drapeaux almohades qui s’avançaient et l’étendard blanc le victorieux, sur lequel était écrit : Il n’y a de Dieu que Dieu. Mohammed est le prophète de Dieu ; et il n’y a de vainqueur que Dieu! Suivi par les héros musulmans qui s’excitaient et se précipitaient en criant leur profession de foi, il demanda : «Qu’est-ce donc ? — «O le maudit, lui

    _____________________ 1 L’auteur entend parler ici des chevalier des ordres religieux de Calatrava, de Saint-Jacques et de Saint-Julien, qui composaient en grande partie la cavalerie d’Al­ phonse à la bataille d’Alarcos.

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    répondit-on, c’est l’émir des Mu-donna le drapeau vert aux sulmans qui arrive pour t’exterminer aujourd’hui, avec cette armée et ces généraux qui t’atteindront jusque sur ton sommet.» Dieu chéri frappa d’épouvante le cœur des Infidèles, et, mis en déroute, ils firent voir leurs dos ; les cavaliers musul­ mans les abattaient en les frappant par devant et par derrière, et, sans s’arrê­ ter ils leur passaient leurs lances et leurs sabres à travers le corps, et ils les en retiraient ensanglantés. Ils les poursuivirent ainsi en les massacrant jusqu’à la ville d’Alarcos, où l’ont pensait que le maudit, ennemi de Dieu, s’était réfugié ; mais Alphonse, l’infidèle, était entré par une porte et sorti par une autre du côté opposé. Les Musulmans pénétrèrent dans la place, les armes à la main, après avoir incendié les portes, et la mirent au pillage, enlevant tout ce qui s’y trouvait, armes, richesses, bêtes de somme, chevaux, femmes et enfants. Le nombre des Infidèles qui périrent ce jour-là ne peut se compter ni se dépasser, et personne n’a pu le s’avoir, si ce n’est Dieu très-haut. Il fut fait vingt-quatre mille prisonniers, des plus nobles Chrétiens, et l’émir des Musulmans leur rendit généreusement la liberté, et cela pour se rendre: célè­ bre; mais ce moyen ne plut point aux Almohades et aux autres Musulmans, qui tinrent ce fait pour la plus grande erreur dans laquelle souverain ait pu jamais tomber. Cette bataille sacrée eut lieu le 9 de châaban, en 591. Entre cette vic­ toire d’Alarcos et celle de Zalaca, il s’était écoulé cent douze ans. La victoire d’Alarcos est célébré dans les fastes de l’islam, et c’est la plus grande que les Almohades remportèrent pour l’amour de leur Dieu et de leur religion. ElMansour écrivit la nouvelle de sa victoire à tous les peuples de l’Islam qui étaient sous sa domination en Andalousie, dans l’Adoua et en l’Ifrîkya ; il préleva le cinquième d’usage sur le butin, et il distribua tout le surplus aux combattants. Puis il commença à courir sur les terres des Chrétiens avec ses troupes, détruisant les villes, les villages et les châteaux, pillant, massacrant et faisant des prisonniers jusqu’à ce qu’il eut atteint le Djebel Selim ; seule­ ment alors il revint sur ses pas avec ses soldats chargés de butin, et jusqu’à son arrivée à Séville il ne trouva plus de Chrétiens capables de se mesurer avec lui. A son arrivée dans cette ville, il entreprit les premiers travaux de la grande mosquée et de son magnifique minaret (la Giralda). Dans les premiers jours de l’an 592 (1195 J. C.), l’émir des Musul­ mans entreprit sa troisième expédition contre les infidèles. Il conduit les for­ teresses de Kalat Rabah, l’Oued el-Hidjarâ, Madjrit(1), Djebel Souleïman, et la plus grande partie des environs de Tolède. Arrivé sous les murs de cette grande ville, occupée par Alphonse, il en fit le siége et la resserra ; il lui coupa les eaux, incendia ses jardins et saccagea ses campagnes. Alors il se

    ____________________ 1 Aujourd’hui Calatrava, Guadalajara, Madrid.

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    porta sur la ville de Thelmanka(1), où il entra les armes à la main, et massacra toute la garnison, sans en excepter un seul homme ; il fit les femmes prison­ nières, s’empara de toutes les richesses, incendia les bazars, et finit par raser la ville entière. Enfin, après avoir enlevé les châteaux d’El-Belât et Terdjâla(2), il rentra à Séville dans les premiers trois jours du mois de safar, an 593, et il reprit les travaux de la grande mosquée et du minaret ; il fit construire un tefafyhh (pommes superposées) aussi beau que possible, et d’une grandeur, surprenante, c’est-à-dire que la moyenne des pommes ne put pas entrer par la porte du muezzin, et que pour l’y faire passer, il ne fallut rien moins que démolir la partie inférieure en marbre de cette porte. Le pivot en fer sur lequel ces pommes étaient montées pesait à lui seul 40 rouba (1,000 livres). L’artiste qui construisit ces pommes et les éleva au haut du minaret fut Abou el-Lyth el-Sekkaly ; il employa pour les dorer 100,000 dinars d’or. Avant de passer en Andalousie pour la campagne d’Alarcos, El-Man­ sour avait donné les ordres nécessaires pour faire bâtir : 1° la kasbah de Maroc, la mosquée sacrée et son beau minaret attenant à ladite kasbah ; 2° la mosquée El-Koutoubyn ; 3° la ville de Rabat el-Fath sur les terrains de Salé; 4°la mosquée d’Hassan et son minaret [tour d’Hassan(3)]. Lorsque la mos­ quée de Séville fut achevée et qu’il y eut fait la prière, l’émir des Musulmans ordonna de bâtir la forteresse d’El-Ferdj sur le bord du fleuve de Séville, et revint dans l’Adoua. Il arriva à Maroc dans le mois de châaban 594 (1197 J. C.), et il trouva que tous ses ordres avaient été exécutés ; toutes les cons­ tructions, kasbah, palais, mosquées et minarets étaient achevés, et pour tout cela on ne s’était servi que du cinquième du butin fait sur les Chrétiens. Il manifesta un grand mécontentement contre les intendants et les ouvriers qui avaient dirigé ces travaux, parce qu’on lui rapporta, par jalousie, qu’ils avaient détourné une partie des sommes qu’ils avaient reçues, et que, de plus, ils n’avaient fait que sept portes à la mosquée, même nombre que celles de l’enfer. Mais lorsqu’il visita cette mosquée il ne put s’empêcher d’être

    ____________________ 1 Aujourd’hui Salamanque. 2 Aujourd’hui Albalete et Truxillo. 3 La tour d’Hassan, à Rabat, la tour de Maroc et la Giralda de Séville, ont toutes trois la même forme, le même escalier et les mêmes proportions. Selon toutes les tradi­ tions, elles ont été construites par le même architecte «musulman, né à Séville, nommé Guever,» d’après don Antonio Ponz. La tour d’Hassan est encore parfaitement conservée. La rampe seule est un peu dégradée, ainsi que l’angle de l’est sud-est, qui a été emporté par la foudre à la fin du siècle dernier. La tour d’Hassan, entièrement Abandonnée aux ravages du temps et des animaux qui y ont leurs nids ou leurs repaires, est située à deux milles environ de la ville de Rabat; sur une hauteur, au bord de la rivière. Elle se voit de fort loin, et sert en mer de point de reconnaissance aux navires qui viennent à Rabat. Elle peut avoir de 65 à 70 mètres de hauteur au-dessus du sol.

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    satisfait, et ayant alors demandé aux entrepreneurs combien de portes ils avaient faites, ceux-ci lui répondirent: «sept, et celle par laquelle est entré l’émir des Musulmans est la huitième. - Bien, dit-il, si c’est comme cela, il n’y a pas de mal, car ils ont su me répondre ;» et il fut très-content. Quelque temps après son arrivée à Maroc, l’émir des Musulmans désigna pour son successeur son fils Aby Abd Allah, surnommé El-Nasser Ledyn Illah , qu’il fit reconnaître par tous les Almohades et par tous ses sujets de l’Andalousie, du Maghreb et de l’Ifrîkya, depuis Tripoli jusqu’au Bled Noun du Sous el-Aksa, et depuis la mer jusqu’au Sahara dans le Sud. Dans tout le pays compris dans ces limites, villes, villages, plaines et mon­ tagnes, Berbères et Arabes nomades, on reconnut le successeur désigné et on lui paya les impôts, l’aumône et la dîme, et on fit le khotbah en son nom. Après cette proclamation, et avoir assis son fils sur le trône des khalifes, en lui remettant le gouvernement et la direction des affaires, El-Mansour se retira dans son palais, où la maladie s’empara de lui. C’est alors qu’il dit : «De toutes les actions de ma vie et de mon règne, je n’en regrette que trois, trois choses qu’il aurait beaucoup mieux valu que je ne fisse point : la pre­ mière, c’est d’avoir introduit au Maghreb les Arabes nomades de l’Ifrîkya, parce que je me suis déjà aperçu qu’ils sont la source de toutes les séditions ; la deuxième, c’est d’avoir bâti la ville de Rabat el-Fath, pour laquelle j’ai épuisé inutilement le trésor public, et la troisième, c’est d’avoir rendu la liberté aux prisonniers d’Alarcos, car ils ne manqueront pas de recom­ mencer la guerre.» El-Mansour mourut après la dernière prière du soir du vendredi 22 raby el-aouel, an 595, dans la kasbah de Maroc. Mais la durée n’appartient qu’à Dieu qui est seul adorable. El-Mansour fut le plus grand roi des Almohades, le meilleur et le plus magnanime en toutes choses. Son gouvernement fut excellent ; il augmenta le trésor ; sa puissance fut élevée ; ses actions celles d’un souverain célèbre; sa religion fut profonde et il fit beaucoup de bien aux Musulmans. (Que Dieu lui fasse miséricorde par sa grâce, sa générosité et sa bonté, car il est clément et il aime à pardonner !)

    RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS EL-NASSER BEN EL-MANSOUR BEN YOUSSEF BEN ABD EL-MOUMEN BEN ALY.

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    L’émir des Croyants El-Nasser ben Yacoub ben Youssef ben Abd elMoumen ben Aly, le Zenèta, le Koumy, l’Almohade, eut pour mère une femme légitime nommée Ammet Allah (servante de Dieu), fille du sid Abou Ishac ben Abd el-Moumen ben Aly. Il fut surnommé El-Nasser Ledyn Illah. Son cachet portait pour devise : A Dieu j’ai confié mon sort il est mon espoir et le meilleur oukil (directeur fondé de pouvoirs). Ses écrits commençaient

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    tous par Louanges à Dieu l’unique ! Blanc, haut de taille, teint pale, yeux doux et noirs, grande barbe et sourcils épais ; il était persévérant en toutes choses, conseiller agréable et très-attentif à ses affaires et à son gouver­ nement, qu’il dirigeait seul. Il eut pour ministres Ben el-Chahyd et Ben Methna, au-dessus desquels était son hadjeb, le kaïd Abou Saïd ben Djâmy (que lieu le maudisse !). El-Nasser ne fut point reconnu souverain durant la vie de son père, mais il fut proclamé partout le vendredi matin, quelques heures après que El-Mansour eut rendu le dernier soupir. Sa domination s’étendit sur tous les pays almohades, et l’on prêcha et pria en son nom dans toutes les chaires. Il demeura à Maroc jusqu’à la fin de raby el-tâny, et il en sortit le 1er de djoumad el-aouel pour venir à Fès, où il finit l’année 595 ; il se rendit mors au Djebel Ghoumara, où il combattit Haloudân el-Ghou­ mary qui s’était insurgé. A son retour à Fès, il fit reconstruire la kasbah et les murailles que son grand-père, Abd el-Moumen, avait détruites lors de sa conquête, et il resta dans cette capitale jusqu’en 598. A cette époque il reçut la nouvelle de l’Ifrîkya que le Mayorky s’était mis en état de révolte et s’était déjà emparé de plusieurs villes. Il sortit en hâte de Fès pour se rendre en Ifrîkya, et il arriva à Djezaï- Beni Mezghanna(1), d’où il partit avec sa troupe et sa flotte pour aller attaquer la ville de Mayorka(2), qu’il conquit et enleva aux Almoravides, dans le mois de raby el-aouel, an 600. La population de la ville vint en masse faire sa soumission et saluer l’émir des Musulmans ElNasser, qui accueillit chacun avec bienveillance et accorda gracieusement tout ce qui lui fut demandé. Il nomma kady de Mayorka, l’imam versé dans le Hadits, Abd Allah ben Bouta Allah, et il revint alors dans l’Ifrîkya, dont il parcourut toutes les provinces, examinant les affaires de ses sujets, et chas­ sant devant lui le Mayorky, qui s’enfuit au Sahara. Il reçut la soumission de tous ceux chez lesquels il se présentait, et de toutes les places, sans être obligé de combattre, à l’exception de la Mehdïa, qui était gouvernée par ElHâdj (3), lieutenant de Yhya el-Mayorky, aussi courageux qu’instruit dans l’art militaire. El-Nasser campa sous les murs de la place, et en fit le siége par terre et par mer, en employant les balistes et autres machines de guerre. Les Almohades et, autres troupes ne cessaient de combattre jour et nuit, mais El-Hâdj leur opposait une défense vigoureuse, et il se montra bon et infatigable soldat. Le siége dura longtemps, et les Almo­ hades surnommèrent El-Hâdj l’Infidèle. Enfin El-Nasser, redoublant de vigueur, érigea contre la place une machine sans égale pour la grandeur et

    ____________________ 1 Alger. Les Beni Mezghanna habitent aujourd’hui l’Aghâlik des Beni Djâd, à quarante-cinq kilomètres sud-est d’Alger. 2 Majorque. 3 El-Hadj (le pèlerin) Aly ben Ghâzy ben Mohammed ben Aly ben Ghanîa.<o:p></o:p>

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    qui lançait des projectiles du poids de cent vingt-cinq livres, qui détruisaient la ville. Enfin une de ces pierres ayant atteint au milieu les battants de la grande porte, les brisa eu deux, quoiqu’ils fussent entièrement en fer. (Ces battants roulaient sur des gonds en cristal vert, et étaient supportés par des lions de cuivre jaune sculptés). Lorsque El-Hâdj vit cela, il comprit qu’il ne pouvait se soutenir davantage et qu’il faillait se soumettre au bon vouloir de l’émir des Croyants. En conséquence il le proclama en lui faisant remise de la ville. El-Nasser lui accorda l’aman et le pardonna généreusement ; il lui fit une bonne position, et, reconnaissant, le courage avec lequel il avait défendu la place qui lui avait été confiée par son maître, il ordonna aux Musulmans qui l’avaient surnommé El-Hâdj el-Kâfer (le Hâdj infidèle), de ne plus l’ap­ peler désormais que El-Hâdj el-Kâfy (le Hâdj serviable). Cette conquête de la Mehdia eut lieu en l’an 601. En 602, (1205 J. C.), l’émir des Musulmans confia le gouvernement général de l’Ifrikya au cheïkh Abou Mohammed Abd er-Rhaman ben Aby Beker ben Aby Hafs, et il retourna au Maghreb. A son arrivée à l’Oued Chélif, Yhya el-Mayorky se présenta devant lui avec une armée considérable d’Arabes, de Senhadja et de Zenèta, et il le battit complètement dans une grande bataille, le mercredi, dernier jouir de raby el-aouel, an 604 (1207 J. C.). Dans cette même année, El-Nasser ordonna de construire la ville d’Oudjda, et les premiers travaux commencèrent le 1er de radjeb. C’est aussi à cette même époque qu’il fit bâtir les remparts d’El-Mezemma(1) et la for­ teresse. de Badès(2), dans le Rif. Au mois de chouel, l’émir sortit de Fès pour Maroc, après avoir donné les ordres nécessaires pour la construction de l’aqueduc de l’Adoua el-Andalous, qui apporte en ville l’eau de la source située au dehors du Bab el-Hadid. Il avait également fait bâtir la porte du Nord, ornée d’un escalier, sur le terrain situé devant la cour de la mosquée El-Andalous (que la parole de Dieu l’ennoblisse !) ; il employa pour ces travaux des sommes considérables du bit el-mal. Dans la même année, il fit construire la chapelle de l’Adoua el-Kairaouyn, et il ordonna. aux Croyants de ne plus prier désormais dans celle de l’Adoua el-Andalous. Les fidèles se conformèrent à cette injonction pendant trois années consécutives, au bout desquelles ils firent comme auparavant leurs prières dans l’Adoua el-Anda­ lous. El-Nasser entra à Maroc en 6o5, et l’année suivante, 6o6 (1209 J. C.), il reçut la nouvelle qu’Alphonse (Dieu le maudisse !) envahissait les terres de l’Islam, renversant villes et villages, massacrant les hommes, enlevant les femmes et pillailt les trésors et les biens des habitants. El-Nasser fit aussitôt un appel à ses peuples et distribua de l’argent aux kaïds et aux soldats. Il

    ____________________ 1 EI-Mezemma, sur l’Oued Nokour, près d’Alhucema. 2 Badès (Peñon de Velez), port, point de débarquement dans le Rif, le plus proche de Fès.

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    fit prêcher la guerre contre les Infidèles dans toutes les parties du Maghreb, de l’Ifrîkya et du Sud, et un nombre considérable de Musulmans répondirent à son appel ; toutes les tribus du Maghreb, cavalerie et infanterie, vinrent à lui avec le plus grand empressement. Quand toute l’armée fut réunie, l’émir se mit à la tête de l’expédition, et sortit de Maroc le 19 de châaban le béni, an 607 (1210 J. C.). Il arriva à Kessar el-Djouez, et commença aussitôt l’em­ barquement des troupes. Le passage des kabyles, des soldats, des chevaux et du matériel dura depuis le 1er du mois de chouel jusqu’à la fin du mois de dou’l kâada. Lorsque tout fut passé, l’émir s’embarqua lui-même et arriva le 25 dou’l kâada sur la plage de Tarifa, où il trouva tous les kaïds, les fekhys et les saints de l’Andalousie qui étaient venus le saluer. Il resta trois jours à Tarifa et se mit en marche pour Séville avec une armée innombrable. Ses légions couvraient les plaines et les hauteurs comme des nuées de sauterel­ les, et à peine y avait-il assez d’espace et d’eau pour elles. El-Nasser fut émerveillé envoyant la grandeur et la force de ses troupes, et il les divisa en cinq corps : première division, les Arabes; deuxième, division, les Zenèta, Senhadja, Mesmouda et tous les autres kabyles du Maghreb ; troisième divi­ sion, les volontaires, au nombre de cent soixante mille, entre cavaliers et fantassins ; quatrième division, les Andalous; cinquième division, les Almo­ hades. Il ordonna à chacun de ces grands corps de marcher par des routes ou des côtés différents, et il arriva à Séville le 17 dou’1 hidjâ de ladite année 607. A la nouvelle de son débarquement en Andalousie, tous les pays chré­ tiens furent frappés de stupeur, et la crainte s’empara des cœurs de leurs rois, qui s’empressèrent d’abandonner le voisinage des villes et des villages musulmans pour aller se fortifier chez eux. La plupart de ces émirs lui écri­ virent pour lui adresser des compliments et réclamer son indulgence. Un d’eux, le roi de Byouna(1), vint même en personne lui demander la paix et le pardon. Lorsque ce maudit-là apprit que l’émir des Musulmans était entré à Séville, il en fut si consterné pour lui et pour son pays, qu’il lui envoya un courrier pour lui demander l’autorisation devenir auprès de lui. El-Nasser la lui accorda, et en même temps il envoya des ordres sur toute la route que le maudit devait suivre, afin qu’à chaque étape on lui donnât une libérale hos­ pitalité pendant, trois jours, et qu’on lui retînt mille cavaliers de son escorte en le congédiant le quatrième jour. Ce roi sortit de son gouvernement à la tête d’une armée pour venir chez l’émir des Musulmans, et, dès qu’il arriva sur les terres musulmanes, il fut reçu par les kaïds qui venaient en grande pompe au-devant de lui avec leurs troupes et une partie de la population. A chaque halte, on lui donnait, pendant trois jours, une généreuse et splendide hospitalité, et le quatrième jour, au moment de son départ, oui lui retint mille

    ____________________ 1 Bayonne.

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    cavaliers de son armée. L’on fit cela partout jusqu’à son arrivée à Carmouna, où il ne lui restait plus que mille cavaliers pour toute escorte. Après l’avoir fêté comme les autres pendant trois jours, le gouverneur de cette ville lui retint les derniers mille cavaliers, et alors il se récria en disant : «Comment ! vous m’enlevez même cette dernière escorte qui m’accompagne chez l’émir des Croyants ? - Allez donc, lui répondit-on, pour arriver chez l’émir des Croyants vous n’avez besoin d’autre protection que celle de son épée et de sa parole qui ne vous fera pas défaut.» En effet, il quitta Carmouna (que Dieu le maudisse !) accompagné seulement de ses femmes, de ses serviteurs et des porteurs de ses cadeaux pour El-Nasser. Au nombre de ces présents figuraient des lettres que le Prophète (que Dieu le comble de bénédictions!) avait écrites à Harkal, roi des Chrétiens(1). Le maudit apportait ces lettres pour obtenir sûrement son pardon et prouver qu’il tenait son royaume de très grands et très haut ancêtres. Ces nobles écrits étaient poue eux effectivement un bien riche héritage ; ils étaient soigneusement recouverts d’une étoffe de soie verte et enfermés dans une boîte en or parfumée de musc, et certes, tout cela était peu encore ! L’émir des Musulmans ordonna à ses troupes de former la haie devant la porte de Carmouna jusqu’à celle de Séville, et aussitôt, cavaliers et fantassins formèrent les rangs sur la droite et sur la gauche ; ils étaient tous en grande tenue de vêtements, d’armes et de harnais, et ils se touchaient l’un l’autre sur toute la ligne des rangs de Carmouna à Séville, soit sur un parcours de quarante milles environ de longueur. L’émir de Bayonne avança ainsi sous l’ombre des épées et des lances musulmanes, et à son approche de Séville, El-Nasser fit dresser sa tente rouge hors de la ville sur la route de Carmouna, et il y fit placer trois siéges. Alors il demanda quel était celui d’entre les kaïds qui connaissait la langue barbare. On lui désigna Abou el-Djyouch, et il le fit appeler : «Abou el-Djyouch, lui dit-il, lorsque cet infidèle arrivera, il faudra bien que je le reçoive convenablement ; mais, s’il vient à moi et que je me lève pour aller au-devant de lui, j’agirai contrairement au Sonna, qui défend de se lever pour un infidèle en Dieu très-haut. D’un autre côté, si je ne me dérange pas et que chacun fasse comme moi, ce sera manquer aux égards de politesse qui lui sont dus, car il est grand roi d’entre les rois chrétiens, il est mon hôte et il est venu me rendre visite. Je t’ordonne donc de te poster au milieu de la tente, et, lorsque l’infidèle se présentera à une porte, j’entrerai, moi, par l’autre porte. Tu te lèveras aussitôt et tu me prendras la main pour me faire asseoir à ta droite ; tu offriras également l’autre main à l’infidèle et tu le feras asseoir à ta gauche, et tu te placeras toi-même entre nous deux pour nous servir d’interprète(2).» Le kaïd Abou el-Djyouch exécuta littéralement

    ____________________ 1 Héraclias, roi des Grecs. 2 Au Maroc, les sultans montent à cheval pour recevoir les ambassadeurs chrétiens

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    le tout, et lorsque l’émir et le roi de Bayonne furent assis, il dit à celui-ci, «Voici le prince des Musulmans,» et ils échangèrent leurs salutations. Alors ils parlèrent librement et ils causèrent très-longtemps; Puis ils montèrent tous deux à cheval et ils se mirent, en marche, le roi de Bayonne se tenant un peu en arrière de l’émir ; ils étaient escortés de toute la cavalerie almohade, et ils furent reçus en grande pompe par les troupes et les habitants de Séville, et ce fut un grand jour de fête. El-Nasser entra en ville précédant le roi de Bayonne, qu’il installa dans l’intérieur de Séville grandement et de manière à satisfaire tous ses désirs. Il lui accorda la paix pour tout le temps de son règne et de celui de ses descendants almohades, et il le congédia comblé de bienfaits et après lui avoir accordé toutes ses demandes. Aussitôt après cette visite, El-Nasser se mit en campagne pour, aller attaquer les frontières de la Castille. Il partit le 1er de safar, an 608 (1211 J. C.), et il arriva jusque sous les murs de Salvatierra. C’était une magnifique forteresse, située sur le sommet d’une haute montagne qui se perdait dans les nues, et à laquelle on ne pouvait parvenir que par un seul chemin étroit et difficile. Aussitôt arrivé, il commença le siège de cette forteresse, contre laquelle il érigea quarante catapultes sans aucun résultat. Son visir Abou Saïd ben Djâmy, qui était de basse extraction et méprisé par la noblesse almohade, s’était mis, dès son avènement au pouvoir de hadjeb, à persécu­ ter les nobles et les hauts fonctionnaires, si bien qu’il les éloigna tous d’ElNasser, et qu’il conserva seul toute la direction des affaires avec un certain homme connu sous le nom de Ben Mounsa. L’émir n’entreprenait rien sans leur demander conseil. En passant auprès de cette forteresse pour se rendre en Castille, il fut frappé des difficultés qu’elle présentait ; mais ses con­ seillers lui répondirent : «Ô prince des Musulmans, n’allons et pas outre avant de nous en être emparés, et ce sera le début de nos victoires, s’il plait à Dieu très-haut !» L’on raconte qu’El-Nasser demeura si longtemps sous les murs de Salvatierra, que les hirondelles bâtirent leurs nids sous. sa tente, firent leurs oeufs et leurs petits, qui devinrent grands et s’envolèrent. Il y resta en effet pendant huit mois, et lorsque l’hiver arriva, le froid était si rigoureux que les vivres devinrent de plus eu plus rares pour les hommes et pour les animaux. Les soldats, dénués de tout, après avoir consommé tout ce

    ____________________ qui leur sont présentés à pied et à distance. Jusqu’en ces dernières années, les ministres, les pachas, les kaïds et tous les autres fonctionnaires marocains ne se levaient jamais devant les agents européens, et lorsque quelqu’un de ceux-ci se formalisait de ce manque d’égards, on s’excusait en prétextant l’ignorance des usages chrétiens. Enfin un chargé d’affairés de France, qui avait appris en pays arabes à ne point croire à ce genre d’igno­ rance des Musulmans, força le ministre, pacha de Tanger, à venir en personne lui faire des excuses au consulat général pour être resté assis en le recevant, et depuis lors les fonctionnaires marocains emploient, à l’occasion, le stratagème de l’émir El-Nasser ; ils entrent dans le lieu de réception en même temps que leurs visiteurs.

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    qu’ils avaient, perdirent courage, et leur découragement pervertit l’esprit qui les animait pour la guerre sainte. Ils se fatiguèrent du repos et de la misère. Lorsque l’ennemi de Dieu, Alphonse, se fut bien assuré de cet, état de choses, et qu’il apprit que les forces musulmanes, ayant perdu leur pre­ mière ardeur, commençaient à se disperser, prit ses dispositions pour les atteindre, et il éleva la croix invoquée dans toutes les contrées des Infidèles. Les rois chrétiens arrivèrent à lui avec leurs troupes pleines d’enthousiasme et avides de massacre et de carnage ; il fut également, rejoint par les servi­ teurs (pénitents) de sainte Marie, possédés de leur ferveur païenne. Quand toute l’armée fut réunie, Alphonse se mit en marche et arriva sous les murs de la place forte de Kalat Babah (Calatrava), qui était commandée par le kaïd juste et distingué le guerrier Abou el-Hadjej ben Kâdys, et défendue par une garnison de soixante et dix cavaliers musulmans. Alphonse en fit le siége et la réduisit aux dernières extrémités. Ben Kâdys souffrit beaucoup ; chaque jour il expédiait un courrier à l’émir des Musulmans pour l’informer de sa détresse et lui demander du secours ; mais lorsque ses lettres arrivaient au ministre, celui-ci les cachait soigneusement, de crainte que l’émir, en les lisant n’eût envie d’abandonner le siége de la forteresse; et tout cela n’était qu’une trahisons envers l’émir et envers tous les Musulmans ! C’est ainsi qu’il lui cachait la situation du pays et de ses sujets, et les événements qu’il était urgent de ne point lui laisser ignorer. Le siége s’étant prolongé, Ben Kâdys épuisa toutes ses ressources, toutes les munitions et, les flèches qui se trouvaient dans la place. Enfin, désespérant d’être secouru, et craignant pour les Musulmans, pour les femmes et pour les enfants, qu’Alphonse ne finît par entrer à l’assaut, il lui livra la place à la condition que tous ceux qui s’y trouvaient seraient épargnés et auraient leur liberté. Aussitôt après que les Musulmans eurent évacué Kalat Rabah et que les ennemis y eurent établi leur gouvernement, Ben Kadys se dirigea vers l’émir des Croyants, accompagné de son beau-frère, qui était aussi courageux que lui, et qu’il avait supplié de ne pas le suivre. «Par Dieu ! retourne-t’en, lui disait-il, je suis un homme mort ! car j e ne puis survivre à cette fatale journée ; mais Dieu recevra mon âme pour avoir sauvé la vie à tous les Musulmans qui étaient dans la place.» Tout fut inutile, son beau-frère s’obstina à le suivre en répondant à ses instances : «Si tu meurs, quel cas puis-je faire encore de ce monde ?» En arrivant au camp d’El-Nasser, ils furent accueillis par les kaïds andalous avec une grande distinction ; mais lorsque Ben Djâmy, le ministre, fut instruit de leur venue, il se dirigea vers eux en toute hâte, et les fit arrêter et lier par ses nègres ; puis, entrant chez l’émir, il lui dit, «Voici Ben Kâdys qui vient à vous,» et il ajouta, «Un pareil misérable ne doit point entrer chez l’émir des Mulsulmans;» et, progressivement, il monta tellement l’esprit

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    d’El-Nasser, que l’émir lui ordonna de le faire périr, et aussitôt Ben Kâdys et son beau-frère furent étranglés. Les kaïds andalous, outrés d’un pareil meurtre, ne purent. s’empêcher de manifester leur mécontentement ; mais le ministre Ben Djâmy, s’étant rendu à l’extrémité du camp, les envoya cher­ cher, et, dès qu’ils parurent, il s’écria : «Sortez de l’armée des Almohades ; nous n’avons que faire de vous, car Dieu très-haut a dit : S’ils étaient allés avec vous, ils n’auraient fait qu’augmenter vos embarras ; ils auraient mis le désordre au milieu de vous(1). Allez-vous-en, et, après la conclusion de cette affaire, je saurai bien vous faire rentrer dans l’ordre.» Cependant, quand Et-Nasser apprit qu’Alphonse venait à lui, après avoir emporté Kalat Rabah, la plus forte des places musulmanes, il en éprouva un tel chagrin, qu’il ne put plus ni boire ni manger, et qu’il tomba malade. Redoublant tous ses efforts contre Salvatierra, il dépensa de grandes sommes, et il finit par y entrer sans coup férir, à la fin du mois de dou’l hidjâ de l’an 608. Lorsque Alphonse apprit qu’El-Nasser s’était emparé de Salva­ tierra, il se dirigea de ce côté avec tous les rois chrétiens et leurs troupes. A son approche, El-Nasser se porta au-devant de lui, avec l’armée musulmane. La rencontre eut lieu à l’endroit nommé Hisn el-Oukab(2). La tente rouge, signe de combat, était dressée sur le sommet de la montagne : El-Nasser s’y rendit et s’assit sur son bouclier, en tenant son cheval devant lui. Les nègres, armés, de pied en cap, entourèrent la tente, et devant eux se placèrent, les tambours, les drapeaux et les légions commandées par le ministre Abou Saïd ben Djâmy. Les Chrétiens, arrivant comme des nuées de sauterelles, s’abat­ tirent d’abord sur les volontaires, qui, malgré leur nombre de cent soixante mille hommes, ne purent résister au choc, et laissèrent entamer leurs rangs, après un combat terrible, où les Musulmans eurent à déployer la grande rési­ gnation. Tous les volontaires furent exterminés jusqu’au dernier, sous les yeux mêmes des Almohades, des Arabes et des kaïds Andalous à la tête de leurs troupes, qui ne bougèrent pas. Après en avoir fini avec les volontaires, les Chrétiens se précipitèrent sur les Almohades et les Arabes ; et, pendant que le combat s’engageait avec eux, les kaïds Andalous prirent la fuite avec tous leurs soldats, poussés en cela par la vengeance et la haine que leur avaient laissées au cœur le meurtre de Ben Kâdys et les outrages de Ben Djâmy. Les Almohades, ayant vu la destruction des volontaires et la fuite des Andalous, comprirent que le combat allait devenir de plus en plus désas­ treux pour les derniers restants, et, tandis que le nombre des Chrétiens aug­ mentait toujours, ils partirent en déroute en abandonnant El-Nasser. Les Chrétiens arrivèrent ainsi le sabre au poing jusqu’aux nègres et aux hachems qui entouraient l’émir comme un rempart de pierre qu’ils ne purent d’abord

    ____________________ 1 Koran, C. IX : l’Immunité ou le Repentir, vers. 47. 2 Hisn el-Oukab, le château de l’Aigle, Las navas, de Tolosa.

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    entamer; et c’est alors qu’opposant aux flèches des nègres les croupes cui­ rassées de leurs chevaux, ils finirent par ouvrir la brèche. El-Nasser, toujours assis sur son bouclier au seuil de sa tente, s’écria, «La vérité est en Dieu, et le mensonge est en Satan,» et il resta calme jusqu’au moment même où les Chrétiens allaient l’atteindre, après avoir exterminé les dix mille nègres et plus qui l’entouraient. Un Arabe, monté sur une jument, accourut vers lui et lui dit : «O émir des Musulmans ! jusqu’à quand resteras-tu là ? - Ne vois-tu pas que les décrets et la volonté de Dieu s’accomplissent, et que les Musul­ mans sont tous morts ?» L’émir se leva alors pour monter sur le magnifique cheval qu’il tenait devant, lui ; mais l’Arabe, ayant sauté à bas de sa jument, lui dit : «Monte là-dessus, car celle-ci ne se laisse ni dépasser, tu atteindre, et Dieu chéri l’aidera pour te sauver; car désormais il ne reste plus d’espoir que dans ton propre salut.» El-Nasser échangea donc son cheval contre cette jument, et partit sans escorte ; tandis que l’Arabe, à la tête d’une troupe de nègres, se livra à la poursuite des Chrétiens, qui continuèrent à massacrer les Musulmans jusqu’à la nuit. Ils périrent tous jusqu’au dernier; tout au plus s’il en échappa un sur mille ! Les hérauts d’Alphonse criaient partout, au nom du maudit, de ne point faire de prisonniers et de tout massacrer, aver­ tissant que quiconque amènerait un prisonnier périrait avec lui. Aussi il ne fut pas pris un seul Musulman vivant dans cette désastreuse bataille, qui eut lieu le lundi 14 de safar, an 609 (16 juillet 1212 J. C.). C’est ainsi que la puissance musulmane fut détruite en Andalousie et ne se releva plus, tandis que celle de leurs ennemis s’affermit. Ceux-ci prirent une grande partie du pays; et leur ambition de s’en emparer entièrement aurait été satisfaite, si Dieu n’avait permis que l’émir des Musulmans, Abou Yousef Yacoub ben Abd el-Hakk (que le Très-Haut lui fasse miséricorde et l’agrée !) ne fût arrivé au pouvoir pour secourir les terres de l’Islam, relever les minarets et saccager les pays infidèles. En retournant d’Hisn el-Oukab, Alphonse (que Dieu le maudisse !) prit d’assaut la ville d’Évora, dont il fit mettre à mort tous les habitants, grands et petits; puis il conquit chaque place l’une après l’autre ; et, au bout de peu de temps, il ne restait plus aux Musulmans, de toute l’Andalousie, qu’un très-petit nombre de points qu’ils ne perdirent pas, parce que Dieu vint en aide au règne des Meryn (que Dieu prolonge .leur dynastie !). L’on dit que tous les rois chrétiens qui assistèrent à la bataille d’El-Oukab et qui entrèrent dans Évora moururent tous, sans exception, dans cette même année. El-Nasser, après sa défaite, vint à Séville, où il entra dans la dernière décade du mois de dou’l hidjâ. Il était consterné, et ne cessait de penser avec amertume à cette immense armée qu’il avait rassemblée pour cette expédi­ tion, et qui surpassait en cavalerie et en infanterie tout ce que jamais émir avait, réuni avant lui… Il avait cent soixante mille volontaires, infanterie et

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    cavalerie ; plus, trois cent mille soldats ; plus, trente mille nègres, qui lui servaient de garde et d’escorte ; et dix, mille aghzâz et arbalétriers, sans compter les Almohades, les Zenéta, les Arabes et autres. Il lui semblait être invincible avec une pareille armée ; mais Dieu chéri et adoré lui fit voir que c’est lui seul qui donne la victoire, et que toute force et toute puissance n’est, qu’en lui, Très-Haut, qu’il soit glorifié ! A son retour à Maroc, après le désastre d’El-Oukab, El-Nasser dési­ gna pour lui succéder son fils, le Sid Abou Yacoub Youssef, surnommé ElMoustansyr, qui fut proclamé par tous les Almohades, et dont le nom fut célébré, dans tous les khotbah, dans la dernière décade du mois de dou’1 hidjâ de l’an 609. Puis il se retira dans son palais, où il s’adonna entière­ ment, aux plaisirs, s’enivrant nuit et jour jusqu’à sa mort. Il fut empoisonné par ses ministres, qu’il avait lui-même l’intention de faire périr, mais qui le devancèrent, en lui faisant, donner par une de ses femmes une coupe de vin qui le tua subitement, le mercredi 11 de châaban 610, dans son palais, à la kasbah de Maroc. Son règne avait, duré cinq mille quatre cent cinquante et un jours, qui font quinze ans, quatre mois et dix-huit jours, depuis le ven­ dredi 22 raby el-aouel 595, jour de sa proclamation, après la mort de son père, jusqu’au samedi 10 de châaban, veille de son assassinat.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS YOUSSEF EL-MOUSTANSYR BILLAH BEN NASSER BEN EL-MANSOUR BEN YOUSSEF.

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    L’émir des Musulmans, Youssef ben Aby Abd Allah el-Nasser ben Yacoub el-Mansour ben Youssef (le martyr) ben Abd el-Moumen ben Aly le Zenèta, le Koumy, eut pour mère une femme blanche nommée Fathima, fille du sid Abou Aly Youssef ben Abd el-Moumen ; qualifié du nom, d’El-Mous­ tansyr Billah (celui qui attend tout son secours de Dieu), il fut surnommé Abou Yacoub. Fort jeune, il avait une taille élancée, une jolie figure, le teint frais, le nez fin, la chevelure épaisse. Il conserva les secrétaires de son père, et il eut pour ministres ses propres oncles, qui prirent les rênes du gouver­ nement avec les cheïkhs Almohades, parce que, lors de sa proclamation, il était pubère à peine, imberbe, ignorant et inexpérimenté. Ce furent donc les cheïkhs Almohades et ses oncles qui lui conservèrent le khalifat, durant lequel il ne fit ni expédition ni guerre, et il m’eut aucune puissance. Ses gou­ verneurs et ses fonctionnaires, en faisant ce qu’ils voulaient chez eux, (lais­ saient tomber la renommée des Almohades, dont la décadence alla toujours en augmentant, malgré la tranquillité et la paie, dont ils jouirent sous son règne. Lorsqu’il fut plus âgé, il voulut gouverner lui-même, et il écarta ses oncles et les cheïkhs Almohades qui lui avaient conservé le trône, pour les

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    remplacer par des étrangers indignes de sa confiance. Il envoya Abou Mohammed Abd Allah ben el-Mansour prendre le gouvernement de Valence et de Xativa, en Andalousie, et il confia à son cousin, Abou Mohammed Abd Allah ben el-Mansour le commandement de Murcie, Denia et dépendances, en lui adjoignant le cheïkh Abou Zyd ben Yrdjan, un des plus nobles Almo­ hades. Il expédia son cousin l’aîné, Abou el-Olâ, en Ifrîkya, pour en chasser le Mayorky. Cet Abou el-Olâ est celui qui bâtit la tour, située à la porte de la Mehdïa et qui la fortifia ; c’est lui aussi qui fit construire la tour d’or, à Séville, pendant qu’il gouvernait cette ville, durant la vie de son père. Il demeura longtemps en Ifrîkya, d’où il ne vint que lorsqu’il fut remplacé par le cheïkh Abou Mohammed Abd Allah ben Hafs. En 614 (1217 J. C.), les Musulmans furent battus au Kessar d’Aby Dânys, et ce fut là une de leurs plus grandes défaites, approchant du désas­ tre d’El-Oukab. Les ennemis étant arrivés pour faire le siège de Kessar Aby Dânys, les troupes de Séville, de Cordoue, de Jaen et celles des pays occi­ dentaux de l’Andalousie partirent en expédition, sur l’ordre de l’émir ElMoustansyr, pour porter secours à cette place ; mais, avant même de s’être trouvés en présence de leurs adversaires, les Musulmans, se souvenant du désastre d’El-Oukab, se dispersèrent et prirent la fuite. Les ennemis, sem­ blables à des chiens enragés, pleins de force et déjà accoutumés aux vic­ toires, se mirent à leur poursuite, le sabre en main et ils les exterminèrent jusqu’au dernier ; ensuite Alphonse revint au Kessar Aby Dânys, l’assiégea, y entra à l’assaut et massacra tous les Musulmans qui s’y trouvaient. En 620, l’émir des Musulmans, Youssef, mourut à Maroc accidentel­ lement ; il fut frappé au cœur par les cornes d’une vache, et il expira subi­ tement ; il était grand amateur de taureaux et de chevaux, et il se faisant envoyer des taureaux de l’Andalousie même pour les lâcher dans son grand jardin de Maroc. Un, Soir, étant sorti pour les voir, il était à cheval au milieu d’eux, lorsqu’une vache furieuse, se faisant jour à travers les autres, vint le frapper mortellement. Cela eut lieu le samedi 12 du mois de dou’l hidjâ, an 620 (6 janvier 1224 J. C.). Il mourut sans enfants et ne laissant qu’une concubine enceinte ; il ne sortit jamais de Maroc durant sa vie. Sa puissance fut très-précaire, et sa jeunesse, autant que la courte durée de son règne, ne lui permit pas de se développer. Il régna trois mille six cent vingt-cinq jours, qui représentent dix ans quatre mois et dix jours ; il avait été proclamé le mercredi 11 du mois de châaban le béni de l’an 610, jour de son avénement, et son dernier jour fut, le samedi 12 du mois de dou’l hidjâ, an 620. C’est ainsi que l’ont attesté les témoins de sa mort et ses proches.

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    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU MOHAMMED ABD EL-OUAHED EL-MAKHELOU (LE DÉTRÔNÉ). QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’émir des Musulmans Abou Mohammed Abd el-Ouahed, fils de l’émir des Musulmans Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, l’Almohade, fut proclamé par les cheïkhs Almohades comme étant le seul descendant de Mansour restant à la kasbah de Maroc, dans la matinée du dimanche 13 de dou’l hidjâ de l’an 620 ; c’était alors un bon vieillard, paisi­ ble et vertueux. Pendant deux mois l’on fit en son nom les khotbah dans tout le pays soumis aux Almohades, à l’exception de Murcie, qui était gouver­ née par sou neveu El-Sid Abou Mohammed ; surnommé El-Adel (le juste). Celui-ci avait alors pour ministre le cheïkh Abou Zyd ben Yrdjan, connu sous le nom d’El-Asfar (le jaune), et le plus astucieux des Almohades. ElMansour ne pouvait le voir, et quand il s’approchait de lui, il le repoussait au nom de Dieu, à cause de sa malignité, et en disant : «O Jaune ! tout ce qui passe par tes mains est occasion de troubles !» Lorsque la .nouvelle de la proclamation de l’émir Abou Mohammed Abd el-Ouahed arriva à Murcie, Abou Zyd ben Yrdjan dit à Abou Mohammed ben Abd Allah ben Mansour : «Gardez-vous bien de reconnaître Abd el-Ouahed, parce que le khalifat vous est dû ; vous en êtes le plus rapproché, car vous êtes le fils de Mansour, frère d’El-Nasser, et oncle d’El-Moustansyr ; de plus, vous êtes capable, censé, généreux et expérimenté ; vous devez demander aux Almohades de vous proclamer, et certes ils ne vous refuseront pas ; hâtez-vous pendant qu’il en est temps encore, avant que le nouveau gouvernement se consolide.» En entendant tout cela, Abou Mohammed se rendit en toute hâte dans la salle du conseil, et il envoya quérir à Murcie et dans les environs tous les cheikhs et les docteurs Almohades qui s’y trouvaient et qui, à sa demande, s’em­ pressèrent de le proclamer. Alors il envoya un message à son frère Abou el-Olâ, gouverneur de Séville, pour l’inviter à le reconnaître, ce que celui-ci fit, en entraînant avec lui le peuple de Séville et tous les Almohades qui s’y trouvaient. Abou Mohammed (El-Adel), pensant alors à ceux qui avaient déjà proclamé Abd el-Ouahed, écrivit aux cheïhks Almohades qui étaient à Maroc, pour les inviter à le reconnaître et à forcer Abd el-Ouahed d’abdi­ quer, leur promettant de fortes sommes, de hauts emplois et de belles posi­ tions. Ceux-ci se laissèrent séduire, et, s’étant introduits auprès de l’émir Abd el-Ouahed, ils le menacèrent de le tuer s’Il n’abdiquait pas lui-même et ne reconnaissait la souveraineté d’El-Adel. Le vieil émir consentit à tout, et ils le quittèrent en laissant dans le palais des hommes chargés d’entretenir l’épou­ vante dont ils l’avaient frappé. Cela eut lieu le samedi 11 du mois de châa­ ban le sacré, an 621. Le lendemain dimanche, ils revinrent au palais amenant

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    avec eux le kady, les docteurs et les cheïkhs, devant lesquels Abd el-Ouahed prononça son abdication et proclama El-Adel. Treize jours après, ils retour­ nèrent chez lui et ils le pendirent. Dès qu’il fut mort, ils pillèrent son palais, son trésor et envahirent son harem. Ce fut le premier des descendants d’Abd el-Moumen qui fut détrôné et tué ; cela n’était jamais arrivé, et les cheïkhs Almohades devinrent ainsi pour la dynastie d’Abd el-Moumen ce que les Turcs avaient été pour celle des Beni el-Abbès (des khalifes Abbasides) ; ils furent la cause de leur décadence et de leur propre chute. Par les meurtres de leurs rois et de leurs princes, ils ouvrirent la première porte à la guerre civile et aux séditions de leurs peuples coutre eux-mêmes. Abd el-Ouahed le détrôné mourut dans la nuit du mercredi 5 de ramadhan le grand, an 621; son règne avait duré en tout deux cent quarante-cinq jours, soit huit mois et cinq jours ; le premier jour fut un dimanche, et le dernier, celui de son abdication, fut un samedi.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIIR DES MUSULMANS ABOU MOHAMMED EL-ADEL (LE JUSTE). QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    Abd Allah ben Yacoub el-Mansour ben Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, surnommé El-Adel fi Hakem Allah (le juste dans la jus­ tice de Dieu) et Abou Mohammed, était fils d’une captive chrétienne prise à Santarem, nommée Syr el-Hassen (beauté parfaite). Il était blanc, sa taille était haute, son teint jaune, ses yeux châtains, son nez droit, sa barbe rare. Sage et prudent, il était très-attaché à sa religion. Sa première proclamation eut lieu à Murcie, vers le milieu de safar de l’an 621. Il fut reconnu par tous les Almohades, excepté ceux de l’Ifrîkya, et ce ne fut qu’après l’abdication d’Abd el-Ouahed que l’on fit le khotbah en son nom, dans toutes les chaires de l’Andalousie et du Maghreb, à partir de dimanche 22 de châaban le béni, 621. Ceux qui refusèrent de le reconnaître furent le sid Abou Zid, fils du sid Abou Abd Allah ben Youssef ben Abd el-Moumen, roi de Valence, de Xativa et de Denia, et les gouverneurs de l’Ifrîkya et les Hafsides, qui étaient très­ puissants, et qui furent cause que son gouvernement ne se consolida point. Le. sid Abou Mohammed ben el-Sid Abou Abd Allah ben Youssef, appre­ nant que son frère le sid Abou Zid refusait de reconnaître la souveraineté d’El-Adel, suivit son exemple à Baëza qu’il gouvernait, et, prêchant pour lui-même, il fut, proclamé par la population de cette ville ainsi que par celles de Cordoue, de Jaén, de Quesada et des forteresses de l’intérieur. Il prit le nom de Baëzy, d cause de sa proclamation à Baëza, et c’est ainsi que les troubles et les révoltes envahirent les descendants d’Abd el-Moumen, qui ne virent plus que des malheurs. El-Adel expédia son frère Abou el-Olâ avec une forte armée pour faire le siége de Baëza, où le Baëzy, se sentant de plus en plus resserré, finit par demander une paix qui lui fut, généreusement

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    accordée, et il proclama El-Adel ; mais à peine Abou el-Olâ fut-il parti, qu’il se révolta de nouveau et demanda des secours à Alphonse en lui offrant de lui livrer en retour les places de Baëza et de Quesada. Il fut le premier de tous qui livra ainsi du pays aux Chrétiens : Alphonse lui envoya une armée de vingt mille cavaliers. Ayant réuni ce renfort, à ses. cavaliers et à ses légions, il sortit de Cordoue et marcha sur Séville. A son approche, le sid Abou el-Olâ vint à sa rencontre avec une armée ; le combat fut sanglant, et le frère d’El-Adel, le sid Abou el-Olâ, fut complètement défait. Le Baëzy et les Chrétiens qui étaient avec lui pillèrent le camp et emportèrent tout ce qui s’y trouvait d’armes, d’animaux et, de butin. El-Adel, en voyant la déroute d’Abou el-Olâ et de son armée, craignit que le Baëzy victorieux ne lui enle­ vât le khalifat, et, après avoir confié la direction des affaires de l’Andalousie à son frère le sid Abou el-Olâ, il passa dans le Maghreb, et vint à Maroc, ou il se renferma dans le palais des émirs. Abou el-Olâ gouverna l’Andalou­ sie au nom de. son frère El-Adel, jusqu’en chouel de l’an 624 (1227 J. C.), et il se révolta lui-même pour prendre les rênes du gouvernement sous le nom d’El-Mamoun. Il fut proclamé, par le peuple de Séville et par tous les Musulmans de l’Andalousie, et aussitôt après il écrivit aux Almohades du Maghreb pour leur faire part de l’adhésion générale des Andalous et de tous les Almohades qui se trouvaient en Espagne, et qui en le proclamant avaient prononcé la déchéance d’El-Adel. En conséquence, il les invitait à se con­ former à ces changements, et il leur promettait des présents et des emplois. Les Almohades, hésitant d’abord, tinrent conseil et décidèrent bientôt à l’unanimité de détrôner El-Adel. Ils se rendirent dans son palais et le som­ mèrent d’abdiquer. Sur son refus, ils plongèrent sa tête dans le bassin d’un jet d’eau en lui disant : «Nous ne te délivrerons que lorsque tu auras abdiqué et proclamé ton frère El-Mamoun.» Il leur répondit : «Faites ce que vous voudrez, mais je mourrai émir des Musulmans.» Alors ils lui passèrent son turban autour du cou et ils l’étranglèrent, laissant sa tête plongée dans le bassin jusqu’à son dernier soupir. Cela eut, lieu le 21 de chouel, an 624. Ils expédièrent leur soumission écrite à El-Mamoun ; mais bientôt ils changè­ rent encore d’avis, et, ne reconnaissant plus la souveraineté d’El-Mamoun, ils proclamèrent Yhya ben el-Nasser. Le règne d’El-Adel, depuis le jour de son avènement à Murcie jusqu’au jour de sa mort, avait duré, trois ans, sept mois et neuf jours.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS YHYA BEN NASSER ET DE SES GUERRES AVEC SON ONCLE EL-MAMOUN.

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    L’émir des Musulmans Yhya benAbyAbdAllah el-Nasser ben el-Man­ sour benYoussef benAbd el-Moumen benAly, nomméAbou Zakerya, et selon

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    d’autres Abou Soliman, était surnommé El-Mouthassem Billah (le protégé par Dieu). Il était fort jeune et avait une belle taille et une jolie figure, le teint, rouge, la barbe claire, les sourcils se rattachant ensemble et les che­ veux blonds. Les cheikhs Almohades se réunirent pour le proclamer aussitôt après qu’ils curent tué El-Adel et reconnu El-Mamoun. Ce revirement fut causé par la frayeur qui s’empara d’eux aussitôt qu’ils eurent envoyé leur acte de soumission et El-Mamoun, à la pensée que cet émir, dont l’énergie et la sévérité leur étaient connues, leur réclamerait le talion pour les meurtres qu’ils avaient commis de ses proches, soit de son oncle Abd el-Ouahed elMakheloû et puis de son frère El-Adel. Ils se retournèrent donc vers Yhya, dont l’extrême jeunesse ne leur inspirait aucune crainte. Ce prince n’avait que seize ans lorsqu’il fut proclamé à la kasbah de Maroc, dans la mosquée d’El-Mansour, après la prière du soir, le mercredi 28 de chouel, an 624. Les Arabes Khelouth et les kabyles d’Haskoura refusèrent leur soumission en disant : «Nous avons déjà reconnu El-Mamoun, et nous ne violerons jamais nos serments.» Yhya envoya contre eux une armée d’Almohades et d’irré­ guliers; mais elle fut battue, et les Khelouth et les Haskoury, fidèles à ElMamoun, poursuivirent les Almohades jusqu’à Maroc en les massacrant. Les troupes furent ainsi toujours vaincues durant le règne d’Yhya. Aussitôt après sa proclamation à Maroc, il envoya chercher le cheïkh Abou Zyd ben Yrdjan et son fils Abd Allah, et il les fit mettre à mort. Leurs têtes furent pendues au Bab el-Kohoul et leurs cadavres furent traînés dans la ville. Un mois après l’avènement d’Yhya, tout le pays était en révolution ; partout la révolte, la disette et les routes infestées de brigands; partout des troubles, des malheurs et les vices qui en étaient la conséquence. Les cheïkhs Almo­ hades recommencèrent leurs disputes pour les descendants d’Abd el-Mou­ men, tantôt proclamés, tantôt renversés, nommés khalifes et aussitôt mis à mort. Aussi, l’émir Yhya pressentant bien que les Almohades, dont la plu­ part s’étaient de nouveau retournés vers El-Mamoun, ne tarderaient pas à le faire périr à son tour, sortit, de Maroc et s’enfuit à Tynmâl, dans le mois de djoumad el-tâny, an 626 ; ce fut le signal de l’anarchie pour les habitants de Maroc, qui finirent par nommer un gouverneur au nom d’El-Mamoun qu’ils proclamèrent, en lui faisant savoir la fuite d’Yhya dans les montagnes, et en l’appelant à eux. Mais quatre mois après, Yhya, arrivant avec de nou­ velles forces, entra à Maroc et fit mourir le gouverneur d’El-Mamoun; il ne resta que sept jours dans cette capitale, et il se porta en toute hâte au Djebel Djelyz, où il se fixa dans l’espoir d’y surprendre ou d’y rencontrer El-Mamoun arrivant pour lui livrer bataille. L’émir Yhya ne cessa de lutter contre, El-Mamoun et son fils Rachyd, jusqu’à sa mort. Il fut assassiné dans la vallée d’Abd Allah, aux environs de

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    Rabat Thaza(1), par les Arabes, le lundi 22 ramadhan 633 (1235 J. C.)..Sa tête fut apportée à Rachyd, à Maroc. Son règne avait duré trois mille cent quatre­ vingt-dix-sept jours, depuis le mercredi de sa proclamation jusqu’au diman­ che, puisqu’il fut tué le lundi, soit neuf ans et neuf jours, durant lesquels il fut constamment en guerre avec El-Mamoun et son fils . El-Rachyd.

    HISTOIRE DU KHALIFAT DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABY EL-OLÂ(2) BEN EL-MANSOUR L’ALMOHADE.

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    L’émir des Musulmans, Edriss-el-Mamoun ben Yacoub el-Mansour ben Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly, était nommé Abou el-Olâ et sur­ nommé El-Mamoun. Sa mère était blanche ; nommée Safya (Sophie), fille de l’émir Abou Abd Allah ben Merdnych. Blanc, yeux noirs, taille moyenne, jolie figure, éloquent, savant, versé dans la connaissance du Hadits du Pro­ phète de Dieu (que le Seigneur le comble de bénédictions !), plein de foi, ayant beaucoup lu, et doué d’une excellente prononciation, imam dans la science de la langue arabe, dans la politique et l’histoire, il fut l’auteur de plusieurs écrits admirables; très-instruit sur les commentaires, il ne cessa durant tout son khalifat d’étudier les livres El-Moutha(3), El-Bokhary et le Sonna d’Abou Daoued. Docteur dans les sciences religieuses et profanes, il était énergique, rigide, despote, prompt à entreprendre les grandes choses, sanguinaire et expéditif dans sa justice. Il naquit à Malaga, en 581. A peine fut-il khalife, que tout le pays fût en feu ; partout guerre, troubles, cherté, disette et insécurité des routes. Les ennemis relevés avaient envahi la plus grande partie des pays musulmans de l’Andalousie, tandis que les Hafsides s’emparaient de l’Ifrîkya et que les Beny Meryn, faisant invasion dans le Maghreb, enlevaient les campagnes, dont ils donnaient le gouvernement à leurs parents et à leurs proches, de telle sorte que personne ne savait plus à qui il convenait de s’attacher. Cette situation ne saurait mieux se résumer que par ces vers de l’époque : «Et les chevreuils se présentèrent en si grand nombre au-devant des chiens de chasse, que ceux-ci ne savaient plus les­ quels ils devaient prendre.» La première proclamation d’El-Mamoun eut lieu à Séville, le jeudi 2 de chouel, an 624, et il fut reconnu par toutes les provinces de l’Andalousie ainsi que par celles de Tanger et de Ceuta dans l’Adoua. Aussitôt, après il envoya son message aux Almohades de Maroc, pour les inviter à reconnaître sa souveraineté et à renverser son frère El-Adel. Ses ordres furent ]immédia­ tement exécutés ; El-Adel fut assassiné, et les cheikhs lui envoyèrent l’acte

    _____________________ 1 Aghersyft. 2 Aby el-Olâ, nommé Abu l’Ola et Aby Aly ou Aba Aly par Condé et Abuli par Mariana. 3 Traité de droit de Malek ben Ans.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    de leur soumission et tirent le khotbah en son nom dans la mosquée d’ElMansour ; mais, changeant bientôt d’opinion, comme nous l’avons dit, à causse de la crainte qu’El-Mamoun leur inspirait, ils proclamèrent le soir même son neveu Yhya. Abou el-Olâ reçoit l’acte de sa proclamation par les Almohades du Maroc à Séville, et le fit publier dans toute l’Andalousie : ensuite, il se mit en campagne pour venir à Maroc, capitale des rois de sa dynastie, est il arriva à Algéziras pour s’embarquer. Ce ne fut que là qu’il apprit le revirement des Almohades contre lui en faveur de son neveu Yhya, et il partit aussitôt, plein de colère, en récitant les paroles d’Hassân, lorsque l’émir des Musulmans, Othman ben Ofân, fut tué : Entendez-vous les cris qui partent de leurs demeures; allons, hommes, accourez pour venger Oth­ mane ! Il expédia un courrier au roi de Castille pour lui demander du secours contre les Almohades, et, le pria de lui envoyer une armée chrétienne pour passer avec lui dans l’Adoua, coutre Yhya et les Almohades. Le roi de Cas­ tille lui répondit : «Je te donnerai l’armée que tu une demandes, à la condition que tu me livreras dix places fortes, les plus proches de mes frontières, et que je choisirai moi-même ; de palus, si Dieu te vient en aide et que tu entres à Maroc, tu feras bâtir une église chrétienne en cette. ville, où les soldats qui t’auront accompagné pourront pratiquer leur culte, et où les cloches sonne­ ront à l’heure de leurs prières. Si quelque chrétien veut se faire musulman, tu ne l’accepteras pas et tu le livreras à ses frères, qui le jugeront d’après leurs lois, mais si quelque musulman veut embrasser le christianisme, personne n’aura à s’y opposer(1). Toutes ces conditions ayant été acceptée, le roi de Castille lui envoya une superbe armée de douze mille cavaliers chrétiens pour servir sous ses ordres et passer dans l’Adoua. Ce fut la première fois que des troupes chrétiennes passèrent et agirent dans le Maghreb. Cette armée arriva près d’El-Mamoun dans le mois de ramadhan 626, et il se rendit aussitôt dans l’Adoua. Mais à peine se fut-il éloigné, que l’Andalousie se souleva, et la plus grande partie des provinces proclamèrent la souveraineté de Ben Houd, émir, de l’Espagne orientale(2). El-Mamoun s’embarqua à Algéziras et débarqua à Ceuta dans le mois

    ____________________ 1 Il n’y a plus, au Maroc, qu’une seule église ou chapelle chrétienne, à Tanger, résidence des représentants des puissances, on un capucin espagnol dit la messe le dimanche ; mais cette chapelle, enclavée dans l’hôtel consulaire d’Espagne, ne doit avoir aucun signe extérieur, et il est expressément interdit de faire sonner les cloches (1860). (Voir la brochure de l’abbé Godard, Le Maroc, notes d’un voyageur, p. 16 et suiv.) 2 Abou Abd Allah Mohammed ben Youssef ben Houd, descendant des émirs de l’Espagne orientale, proclamé émir des Musulmans à Escuriante, le 1er de ramadhan 625 (4 août 1228).

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    de dou’l kâada. Après avoir passé quelques jours dans cette place forte, il se mit en marche pour Maroc, au environs de laquelle il rencontra Yhya avec l’armée Almohade, le samedi 25 de raby el-aouel, au 627, à l’heure de la prière de l’Asser. Yhya fut battu et prit la fuite dans les montagnes ; la plus grande partie de ses soldats furent tués, et El-Mamoun entra à Maroc, où il fut reconnu par tous les Almohades ; il monta lui-même en chaire dans la mosquée d’El-Mansour, et, après avoir fait le khotbah au peuple, il maudit El-Mehdy et ses actes : «O hommes ! s’écria-t-il, ne dites plus qu’El-Mehdy est massoum (impeccable), mais appelez-le le grand medmoun (séducteur misérable), car il n’y a point de Mehdy, si ce n’est Jésus, fils de Marie (que le salut soit sur lui !). Je vous dis, moi, que toute l’histoire de votre Mehdy n’est qu’une ianpostùre !» En terminant, il ajouta : «O mes compagnons Almohades ! ne pensez pais que je vous aie dit tout cela pour conserver le gouvernement que vous m’avez confié. Ceux qui me succéderont vous répèteront les mêmes choses, s’il plait à Dieu.» Alors il quitta la chaire, et il expédia immédiatement des proclamations dans tous les pays soumis à son commandement pour inviter les peuples à se détourner de la voie d’ElMehdy, et de toutes les nouveautés religieuses qu’il avait créées pour les Almohades. Il ordonnait de s’en tenir aux traces des anciens souverains, de ne plus prononcer le nom d’El-Mehdy dans les khotbah et de l’effacer des dinars d’or et des pièces de cuivre qu’il avait fait frapper. Il fit arrondir toutes les monnaies d’El-Mehdy, décrétant que quiconque continuerait à se servir de pièces carrées serait coupable d’hérésie. Après cela, il se retira dans son palais, et personne ne le vit plus pendant trois jours ; le quatrième, il se montra et il envoya chercher les cheikhs Almohades. Aussitôt qu’ils furent réunis, il leur dit : «O compagnons Almohades ! vous avez suscité des émeu­ tes et des troubles, et vous êtes allés bien avant dans la perversité; vous avez trompé la confiance qu’on avait mise en vous, trahi le gouvernement, tué mes frères et mes oncles, sans songer aux bienfaits dont ils-vous com­ blaient.» Tirant alors la lettre de soumission qu’ils lui avaient envoyée de Séville, il la leur fit voir en preuve de leur trahison, et ils battirent leurs mains en signe de leur confusion et de leur honte. El-Mamoun, s’adressant ensuite au kady El-Mekyouy, qui était devant lui et qu’il avait amené de Séville, il lui dit : «Que t’en semble, ô docteur, et que faut-il faire de ces traîtres ?» Le kady lui répondit : «Ô émir des Musulmans, Dieu a très-haut, a dit dans son livre manifeste : Quiconque violera le serment, le violera à son détriment, et celui qui reste fidèle au pacte, Dieu lui accordera la récompense maagnifique !(1)» l’émir reprit : «Oui, c’est bien là la vérité de Dieu, et c’est par sa justice que je dois, les juger, car ceux qui ne jugeront pas d’après le livre

    ____________________ 1 Koran, C. XLVIII la Victoire, vers. 10.

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    que dieu a fait descendre d’en haut seront les vrais coupables(1).» Il con­ damna à mort, tous les cheïkhs et les nobles Almohades, et ils furent tous exterminés jusqu’au dernier, sans excepter même leurs pères et leurs enfants. Cependant on lui amena un jeune fils de sa sœur, qui avait à peine treize ans et qui savait déjà le Koran par cœur. En se voyant si près de la mort, cet enfant lui dit : «O émir des Croyants ! fais-moi grâce au nom de trois choses. — Lesquelles ? lui répondit l’émir. L’enfant reprit : Ma jeunesse, ma parenté et ma connaissance du livre du Dieu chéri !» L’émir, regardant alors le kady El-Mekyouy comme pour le consulter, lui dit : «Que penses-tu des supplications de cette créature et des paroles qu’il vient de prononcer ici.» Le kady lui répondit : «O émir des Musulmans ! Car si tu en laissais, ils séduiraient les serviteurs et n’enfanteraient que des impies et des incré­ dules(2).» Et l’émir fit mettre à mort son jeune neveu. Alors il ordonna d’ex­ poser les têtes sur les mur, de la ville, et il y en eut suffisamment pour garnir toute l’enceinte. Compte fait, il se trouva quatre mille six cents têtes. On était au milieu de l’été, et la ville fut infectée au point que l’odeur de la putréfaction rendit, les habitants malades. Sur les plaintes qui lui furent por­ tées, l’émir répondit : «Tout cela n’est qu’une excuse de ceux qui portent le deuil de ces têtes, dont la pourriture doit, au contraire, leur faire beaucoup de bien. L’odeur des cadavres de ceux qu’on aime est suave comme le parfum ; les cadavres des ennemis seuls sentent mauvais.» Et il improvisa ces vers : «Peuple de troubles et le plus pervers du monde, qui ne jurait que par le nom frappé sur les monnaies carrées ! sa destruction servira à bien d’autres que moi, qui les ai taillés en pièces et pendus aux arbres; ils n’auraient pas servi d’exemple si on n’avait vu leurs débris sur les dattiers et les murs. C’est ainsi que le talion a été pratiqué par la justice que chacun approuve. Certes si, par la volonté de Dieu, tous les hommes eussent été comme eux, il n’y aurait que des peuples du feu (d’enfer).» El-Mamoun s’empara également du kady de Maroc, Abou Mohammed Abd el-Hakk, et le remit enchaîné à Hallel ben Hamydan ben Mokaddem el-Khathy, qui le tint en prison jusqu’à ce qu’il eût payé six mille dinars. El-Mamoun resta cinq mois à Maroc, et il en sortit durant le ramad­ han de 627, pour aller attaquer dans la montagne Yhya et ses Almohades. Il l’atteignit au pays de Loukâghâ et il le mit en déroute. Il massacra la plu­ part des soldats de la montagne et il envoya quatorze mille têtes à Maroc. En 628 (1230 J. C.), El-Mamoun donna l’ordre dans tout son royaume de pratiquer les choses connues et de punir les abus. C’est durant cette année que l’Andalousie entière secoua le joug des Almohades pour se soumettre à Ben Houd.

    ____________________ 1 Koran, C. V : la Table, vers. 49. 2 Koran, C. LXXI : Noé, vers. 28.

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    En 629, El-Mamoun fut méconnu par son frère le sid Abou Moussa Amran ben el-Mansour, qui se fit proclamer et nommer El--Mouïd dans la ville de Ceuta, A cette nouvelle, l’émir sortit contre lui et vint l’assiéger pen­ dant quelque temps, mais sans succès. Son absence s’étant prolongée, Yhya, qui avait repris de nouvelles forces, descendit de la montagne et s’empara de Maroc, où son premier soin fut de faire démolir l’église bâtie pour les Chré­ tiens. Il massacra un grand nombre de juifs et de Beni Ferkhan, dont il pilla tous les biens, et entrant dans le palais, il y ramassa tout ce qu’il put pour l’emporter dans sa montagne. En apprenant cela, El-Mamoun abandonna Ceuta, pour venir en toute hâte à Maroc, et il se remit en chemin dans le mois de dou’l hidjâ. A peine se fut-il retiré, que Abou Moussa passa en Andalousie pour faire sa soumission à ben Houd et lui, donner Ceuta. Ben Hood l’investit du gouvernement d’Alméria, en le traitant comme un second lui-même, et c’est là qu’Abou Moussa mourut. El-Mamoun était en route lorsqu’il apprit que Ben Houd était maître de Ceuta. Il en conçut une telle peine, qu’il tomba malade et mourut de chagrin à Oued el-Abyd(1), au retour du siège de Ceuta, le samedi dernier jour du mois doul’ hidjâ, an 629 (16 ou 17 octobre 1232). Son règne avais, duré mille huit cent cinquante-huit jours, soit cinq ans, trois mois et un jour. Le premier jour fut un jeudi et le dernier un samedi. Il ne cessa d’être en lutte avec Yhya, et durant tout son règne les Almohades furent divisés en deux parties, et leur gouvernement en deux gouvernements. C’est ainsi que leur dynastie s’en allait, que leur gloire s’évanouissait de plus en plus, et que le fer ne cessa de les frapper que lorsqu’ils furent tous exterminés ; et certes, si son époque n’avait été aussi bouleversée par les troubles qui remplissaient l’Andalousie et le Maghreb, El-Mamoun aurait été aussi grand que son père El-Mansour, dont il avait toutes les qualités.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU MOHAMMED ABD EL-OUAHED EL-RACHYD(2). QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    Abou Moltammed Abd el-Ouahed ben Edriss el-Mamoun bed Yacoub el-Mansour ben Youssef, le martyr, ben Abd el-Moumen el-Mouyd ben Aly le Koumy, l’Almohade, prénommé Abou Mohammed, surnommé ElRachyd, eut pour mère une captive chrétienne, appelée Habèb, femme distinguée et douée d’une grande intelligence. Il fut proclamé à l’Oued elAbyd, le lendemain de la mort de son père, soit le dimanche premier du mois de moharrem 630 (1232 J. C.), à l’âge de quatorze ans, par Kanoun ben

    ____________________ 1 Oued el-Abyd, branche supérieure de l’Oumm el-Rebya. 2 Nommé dans les livres d’histoire espagnols Al Rascid, et appelé Anasio par Mariana, qui en fait à tort le successeur immédiat d’El-Nasser.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Djermoun el-Soufyany, Chouayb Akaryth el-Askoury et Francyl, général chrétien; voici comment : Habèb, ayant tenu secrète la mort de son mari ElMamoun, manda auprès d’elle ces trois généraux, qui était les colonnes de l’armée d’El-Mamoun et commandaient chacun dix mille de leurs frères, et en leur apprenant la perte qu’elle venait de faire, elle les pria de nommer son fils pour successeur de l’émir et de se charger de sa proclamation. En même temps elle leur remit de très-fortes sommes et leur promit de leur donner la ville de Maroc s’ils réussissaient à en chasser l’ennemi. Ceux-ci se rendirent à ses désirs, et prirent les affaires en main en proclamant. El-Rachyd et en le faisant proclamer par les leurs et puis par tout le monde, soit de gré, soit de force et à l’aide de là crainte qu’inspirait leur sabre. Quand la proclamation fut achevée, le nouvel émir se mit en route pour Maroc, en se faisant précé­ der du cadavre de son père porté dans un cercueil. Cependant les habitants de Maroc, ayant appris les conditions que Habèb la chrétienne avait offertes aux généraux au sujet de leur ville, sortirent en rangs de bataille sous la con­ duite de Yhya pour attaquer Rachyd. Mais, à la première rencontre, Yhya fut complètement battu, et Rachyd arrivait déjà aux portes de Maroc, lors­ qu’elles lui furent fermées en face par les habitants, qui ne les lui ouvrirent que lorsqu’il leur eut donné l’aman, et qu’il eut payé au général chrétien et à ses compagnons le prix de Maroc. Ils reçurent, dit-on, 500,000 dinars. El-Rachyd rentra à Maroc et il y demeura jusqu’en 633. A cette époque, ayant appelé les cheïkhs des Khelouth, il en fit décapiter vingt-cinq dans son palais même ; c’est pourquoi les Khelouth, s’étant soulevés, s’emparèrent de Maroc. Rachyd prit la fuite avec son armée pour aller se retrancher à Sidjilmessa, et les Khelouth, ayant alors proclamé Yhya, l’aidèrent à revenir dans cette capitale, où il demeura à son tour jusqu’au moment où Rachyd l’en chassa. Celui-ci, ayant refait ses forces en argent et en hommes, sortit de Sidjilmessa et vint à Fès, où il demeura quelque temps à se concilier l’es­ prit de la population; en distribuant de riches présents et de fortes sommes d’argent aux docteurs et aux saints. C’est alors qu’il se porta sur Maroc et qu’il défit de nouveau Yhya à la tête de son armée d’Arabes et d’Almoha­ des dont il détruisit le plus grand nombre. Yhya, vaincu, s’enfuit en toute hâte vers Rabat Taza, et ce fut en route qu’il fut trahi et assassiné par les Arabes Makhaly, qui envoyèrent sa tête à Rachyd, à Maroc. Celui-ci, maître de nouveau de cette capitale, y demeura jusqu’à sa mort (que Dieu lui fasse miséricorde !). Il se noya dans un bassin le jeudi 9 de djoumad el-tâny, an 640 (4 décembre 1242). Son règne avait duré trois mille sept cents jours, soit dix ans, cinq mois et neuf jours. Il fut proclamé à Séville dans le ramadhan de 635, et à Ceuta le mois suivant, chouel. A cette époque l’Adoua et l’Anda­ lousie furent désolées par une grande disette et par une peste épouvantable,

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    qui laissa la plus grande partie du pays sans habitants. Le prix du blé s’éleva jusqu’à 80 dinars le kafyz.

    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU EL-HASSEN EL-SAÏD. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE

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    Aly bill Edriss el-Mamoun ben Yacoub el-Mansour ben Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, l’Almohade, eut pour mère une esclave nubienne. Il fut prénommé Abou e1-Hassen, surnommé Saïd, et qualifié de El-Moutamyd Billah (le soutenu par la flaveur de Dieu). Il était très-brun, de sang mêlé haut de taille, très-droit, il avait une chevelure abondante, de jolis yeux, une forte barbe, une belle prestance ; énergique, redoutable, grand batailleur, courageux, il l’emportait par ses qualités sur tous ses frères. Il fut proclamé au palais de Maroc, le lendemain de la mort de son frère, le vendredi 10 de djouauad el-tâny 640, et il mourut. (que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) le mardi, dernier jour de safar 646, pendant qu’il assiégeait Yagh­ mourâsen(1) ben Zyan Abd el-Ouahedy, qui s’était retranché, dans le château de Tamezdyt aux environs de Tlemcen. Son khalifat compte ainsi deux mille vingt-huit jours, à partir du jour de son avènement jusqu’à celui de sa mort, soit cinq ans, huit mois et vingt et un jours. C’est à l’époque de sa proclamation à Maroc que les Beni Meryn commencèrent à briller de leur éclat au Maghreb, dont ils gouvernaient déjà toutes les campagnes. Saïd envoya contre eux diverses armées, mais elles furent toutes défaites. En 643, l’émir Saïd, ayant appris que l’émir Yhya ben Abd el-Hakk s’était emparé de Mekenès, tandis que Yaghmourâsen ben Zyan s’était approprié Tlemcen et ses environs, et que Mohammed el-Moustansyr, gou­ verneur d’lfrîkya, avait osé prendre, contre tout usage, le titre d’émir des Musulmans (le tout au détriment de l’empire que lui avait légué son frère, et au mépris de son gouvernement), résolut de faire une grande expédition contre eux, et il sortit lui-même, de Maroc à la tête d’une armée innombrable d’Almohades, d’Arabes et de Chrétiens. Dès qu’il eut atteint, l’Oued Beht(2), l’émir Yhya ben Abd el-Hakk abandonna Mekenès, et se rendit à la forteresse de Taza et de là dans le Rif, où les Kabyles de Beni Meryn se joignirent à lui. L’émir des Musulmans, ElSaïd, entra à Mekenès, dont la population sortit au devant de lui pour implo­ rer l’aman. Ils étaient précédés par le cheïkh, le saint Abou Aly Mansour ben Harouz, qui vint se livrer à l’émir accompagné des enfants des écoles,

    ____________________ 1 Appelé dans l’histoire d’Espagne Jagmorasin, et probablement le Gomarança de Mariana. 2 Oued Beht, dans la province des Beni Hassen, entre Mekenès et Salé.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    portant leurs planchettes sur leur tête et leurs Korans à la main(1). L’émir Saïd leur accorda le pardon et se rendit à Fès où il campa sous les murs, dit côté du Midi. Il demeura là quelques jours et reçut l’acte de soumission de l’émir Yhya, ce qui le combla de joie ; il accueillit parfaitement les mes­ sagers, leur fit de riches présents, et leur donna sa réponse, par laquelle il investissait Yhya du gouvernement du Rif et de toutes les places fortes qui s’y trouvaient. L’émir Saïd leva son camp le 14 de moharrem 645 ; mais dans la nuit il y eut une éclipse totale de lune, et le lendemain matin, au moment où il montait à cheval pour se mettre en route, son parasol royal se brisa et les morceaux furent emportés par le vent. Frappé de ces mauvais présages, il s’arrêta et ne se mit en marche que le 16 ; il se porta sur Tlemcen, mais à son approche Yaghmourâsen prit la fuite, emportant ses trésors, ses femmes et ses enfants, et il vint se retrancher dans le château de Temzezdekt, où il se fortifia. Saïd, maître de Tlemcen, ainsi abandonné, poursuivit son ennemi jusqu’audit château, où il l’assiégea durant trois jours. Le quatrième jour il monte à cheval vers midi, au moment où les soldats avaient l’habitude de se reposer, et il s’en alla avec son ministre, à l’insu de tous, pour examiner les fortifications du château et chercher les moyens à prendre pour le battre et s’en emparer ; mais étant arrivé vers le milieu de la montagne, dans un endroit, tries-difficile, il fut aperçu par, un cavalier des Beni Abd el-Oua­ hedy, connu sous le nom de Youssef el-Cheytân (le diable), qui faisait la ronde, et qui fondit sur lui à l’improviste avec Yaghmourâsen et Yacoub ben Djouber el-Abd el-Ouahedy. L’émir fut tué par El-Cheytân, et son ministre par Yacoub ben Djouber. Les témoins de cet événement. vinrent en courant l’annoncer au camp, et les troupes, frappées de stupeur, prirent la fuite. Yaghmourâsen, se précipitant aussitôt avec les Beni Abd el-Ouahedy, qui gardaient le château, livra le camp au pillage et enleva tout ce qui s’y trou­ vait d’argent, d’armes, chevaux, esclaves, tentes, tambours, enseignes et dra­ peaux. Ensuite il ordonna de laver le corps de Rachyd et de l’ensevelir avec les serviteurs de Dieu , au dehors de la porte de Tlemcen.

    ____________________ 1 C’est encore ainsi, planchettes en tête et Koran en main, que les tholbas et les écoliers parcourent processionnellement, au Maroc, les villes et les campagnes pour implorer la clémence du ciel durant une calamité ; ils chantent tous ensemble des cou­ plets compensés pour la circonstance, comme celui-ci, par exemple, que nous avons entendu en temps de sécheresse : Ta pluie, ta pluie, ô Allah ! De l’eau, s’il plaît à Dieu !

     Les épis ont soif, arrose-les, ô notre seigneur !

     Ô notre maître, nous implorons ta grâce. Qui nous fera miséricorde, si ce n’est toi ?

     Nous sommes debout à ta porte, ô clément des éléments !

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU HAFS OMAR EL-MOURTHADHY. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’émir des Musulmans Omar ben el-Syd Abou Brahim Ishac, fils de l’émir des Musulmans Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy l’Al­ mohade, prénommé Abou Hafs, surnommé El-Mourthadhy (l’agréé), eut pour mère une femme légitime, fille de l’oncle de son frère. Il fut proclamé après la mort de son frère Saïd par tous les cheikhs Almohades de Maroc, le mercredi 1er de raby el-aouel 646, d’après le livre de Ben Rachyk, intitulé Myzân el-Amel (poids de l’administration). Mais cela ne peut pas être exact, parce que Saïd étant mort le mardi, dernier jour de safar, il n’était point pos­ sible que la nouvelle en parvint à Maroc dans une seule nuit. Il est, probable que El-Mourthadhy ne fut proclamé que dix jours au moins après la mort de son frère, mais que l’acte de proclamation fut écrit dans la mosquée d’ElMansour, sous la date du 2 de raby el-aouel. Le Mourthadhy gouvernait la kasbah de Rabat el-Fath au nom de son frère, depuis que celui-ci était parti pour Tlemcen, et ce fut là qu’il reçut sa proclamation qu’il publia aussitôt et qui fut agréée par tous les Almohades, les docteurs et les cheikhs qui l’entouraient. Il se rendit aussitôt à Maroc, et, après avoir fait renouveler sa proclamation, il prit les rênes de son gouvernement, qui s’étendait sur tout le pays compris entre la ville de Salé et le Sous. Il resta dans sa capitale jus­ qu’en 653, et il en sortit pour aller attaquer Fès et les Beny Meryn, à la tête d’une immense armée de quatre-vingt mille cavaliers Almohades,, Aghzâz, arbalétriers, andalous et Chrétiens. Arrivé au Djebel des Beni Behloul, au sud de la ville de Fès, il campa ; mais déjà la crainte des Beny Meryn s’était tellement emparée du cœur de ses soldats, qu’ils n’en dormaient plus la nuit. Un soir il arriva qu’un cheval, s’étant échappé, se prit à galoper en tous sens .au milieu des tentes; on se mit à sa poursuite, mais les soldats, apercevant ce mouvement, crurent qu’il s’agissait d’une attaque des Beny Meryn, et, l’épouvante gagnant de l’un à l’autre, toute l’armée monta à cheval. Les différents corps ne se reconnaissant plus entre eux s’effrayèrent réciproque­ ment, et prirent la fuite dans une déroute aussi complète que si elle eût été causée par l’ennemi. En apprenant cela, l’émir Yhya sortit de Fès et vint piller le camp. Il s’empara de tout ce qui s’y trouvait, richesses, armes et bagages. Le Mourthadhy, vaincu, s’en revint à Maroc avec, un très-petit nombre de Chrétiens et cheïkhs qui lui étaient restés fidèles, et, il demeura dans cette capitale jusqu’au samedi 22 moharrem, an 665 (1266 J. C.), à l’arrivée d’Abou Debbous, auquel il n’échappa que par la fuite. Il fut pris et tué dans le mois suivant, le 22 safar. Ceci est attesté par un grand nombre de personnes qui en furent témoins. Son règne avait duré six mille six cent quatre-vingt seize jours, soit dix-huit ans, dix mois et vingt-deux jours. Le

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Mourthadhy se fit remarquer par son abstinence et ses goûts pour la vie monastique, et il fut appelé le troisième Omar. Il était passionné, pour la musique religieuse, dont il ne se serait détaché ni jour ni nuit. Son époque fut tranquille et prospère, et l’abondance fut si grande sous son règne, que les habitants du Maghreb n’en virent plus jamais de semblable.

    HISTOIRE DU RÈGNE D’EDRISS, SURNOMMÉ ABOU DEBBOUS(1), DERNIER SOUVERAIN DES DESCENDANTS D’ABD EL-MOUMEN.

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    Abou el-Olâ Edriss ben el-Sid Abou Abd Allah ben Sid Aly Hafs, fils de l’émir des Musulmans Abou Mohammed Abd el-Moumen ben Aly, reçut le titre d’émir des Musulmans et celui d’El-Ouathik Billah (le confiant en Dieu). Sa mère était une captive chrétienne nommée Chemcha (soleil). Il était blanc, coloré et couvert de rousseurs, haut de taille ; il avait; les yeux bleus et la barbe longue ; il était adroit, courageux, expérimenté et fort, habile ; il entra à Maroc par surprise contre Omar el-Mourthadhy, qui s’en­ fuit. Maître du gouvernement, il fut proclamé dans la mosquée d’El-Man­ sour par tous les Almohade, les cheikhs, les, visirs, les kadys, les docteurs et les principaux Arabes et Mesmouda, 1e dimanche 23 de moharrem, an 665, le lendemain de son entrée en ville. Voici comment les événements eurent lieu : Abou Debbous, informé qu’El-Mourthadhy voulait le faire périr pour plusieurs motifs, s’échappa de Maroc et se rendit à Fès chez l’émir des Musulmans, Abou Youssef Yakoub ben Abd el-Hakk, pour lui faire sa soumission. Celui-ci, l’ayant parfaite­ ment accueilli et comblé de générosités, il lui demanda son appui et ses secours pour faire la guerre à El-Mourthadhy, et pour s’emparer de Maroc ; en effet, l’émir Abou Youssef consentit à lui donner une armée de trois mille cavaliers Beny Meryn, et, en la lui confiant, il lui remit le tambour, les drapeaux et vingt mille dinars pour pourvoir aux dépenses de l’expédition ; de plus, il donna ordre aux Arabes Hachem de l’accompagner, et, de son côté, Abou Debbous s’engagea à lui livrer la moitié de toutes ses conquêtes. Abou Debbous partit donc avec son armée, enseignes déployées, et au son du tambour; il arriva à Salé, d’où il écrivit aux cheïkhs Almohades, arabes et Mesmouda soumis à El-Mourthadhy, pour les inviter à le proclamer en leur faisant mille promesses. S’étant remis en route, il fut rejoint dans le chemin par une députation d’Arabes de Haskoura qui le proclamèrent et l’accompagnèrent jusque dans leurs terres. Là il écrivit à quelques ministres d’El-Mourthadhy pour leur demander des nouvelles de Maroc, et ceux-ci lui répondirent de se mettre en route de suite et de se hâter, lui assurant, qu’il

    ____________________ 1 Abou Debbous (l’homme à la masse d’arme), appelé Budebusio par Mariana.

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    n’avait rien à craindre, que toutes les troupes étaient, éparses dans le pays, et que le moment était fort propice pour un coup de main. Abou Debbous partit la nuit même du jour où il reçut ces nouvelles, et arriva le lendemain à Maroc, où il entra par la porte El-Sahla, au moment où personne ne s’y attendait; c’était le samedi, dans la matinée du 22 de moharrem 665. Il parvint ainsi lorsqu’à la porte de la kasbah, qui fut aussi­ tôt fermée et que les nègres, essayèrent de défendre ; mais lorsque El-Mour­ thadhy comprit que la kasbah même allait être prise, il s’échappa du palais en fuyant par la porte El-Fâtiha. Abou Debbous rentra au palais, et, ayant été proclamé, il s’assura le gouvernement. El-Mourthadhy s’enfuit à Azimour, où se trouvait son beau-père, ben Athouch, qu’il y avait nommé gouverneur à l’époque de son mariage et qu’il avait comblé de bienfaits et d’argent. Il arrivait donc vers lui avec confiance et assurance , mais Ben Athouch le fit arrêter et enchaîner, puis il écrivit à Abou Debbous une lettre contenant. ces mots : «Ô émir des Musulmans ! apprends que j’ai arrêté le fuyard et que je l’ai chargé de chaînes.» Abou Debbous lui envoya dire de lui expédier de suite le prisonnier, et il le fit tuer en chemin. Abou Debbous entreprit alors d’organiser son gouvernement de Maroc et des environs. Cependant l’émir Abou Youssef, ayant appris ses succès, lui écrivit pour le complimenter et l’inviter à exécuter les conditions qu’ils avaient faites ensemble, c’est-à-dire de lui céder la moitié de ses con­ quêtes ; mais, à la réception de ce message, Abou Debbous, aussi arrogant que gonflé d’orgueil, oublia tous les bienfaits dont l’émir des Musulmans l’avait comblé, et il répondit au courrier : «Va-t’en dire au serviteur du Misé­ ricordieux, Yacoub ben Abd el-Hakk, de rester tranquille et de jouir en paix des pays qui sont replacés sous sa domination, s’il ne veut pas que je vienne le trouver avec des légions qu’il ne soupçonne pas. Lorsque Youssef reçut ce courrier, qui lui rapporta les paroles d’Abou Debbous et lui remit de sa part une lettre telle que celles qu’un émir adresse à ses kaïds ou au commandant à ses serviteurs, il fut convaincu de la mauvaise foi et de la fourberie que Debbous avait apportées dans toutes ses actions, et il se mit en devoir d’aller l’attaquer. Il commença par envoyer des troupes dans toutes les directions pour saccager ses terres et pour battre ses partisans, jusqu’en 667 (1268 J. C.) ; alors il se mit lui-même il la tête de toute l’armée des Beny Meryn, et vint se présenter à Abou. Debbous, dans la province de Doukela. Ils se livrèrent une sanglante bataille, et Abou Debbous, combattant lui-même au milieu de la mêlée, fut tué ; ses troupes furent mises en déroute et son camp fut entièrement pillé. Sa tête fut rapportée à l’émir des Musulmans, Abou Youssef, qui l’expédia à Fès, où, par son ordre, elle fut promenée sur les places et les marchés, et puis pendue à la porte de cette capitale.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    La mort d’Abou Debbous et la fin de son règne eurent lieu le ven­ dredi, dernier jour de dou’l hidjâ, de l’an 667. Il avait régné mille quarante­ deux jours, soit deux ans onze mois et sept jours. Sa mort marqua la fin de la dynastie des Almohades, descendants d’Abd el-Moumen. Mais il n’y a de règne durable et de vie éternelle qu’en Dieu, seul invincible, maître de toutes choses avant et après ; seul seigneur, seul adorable ! C’est à lui qu’ap­ partient la terre et tout ce qu’elle contient, et il est le meilleur des maîtres! — Le règne des Almohades, depuis la proclamation d’El-Mehdy (en 515) jusqu’à la mort d’Abou Debbous (en 667), dura cent cinquante-deux ans, et leur dynastie compte quatorze souverains.

    CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EU LIEU SOUS LES ALMOHADES, DEPUIS LE COMMENCEMENT JUSQU’À LA FIN DE LEUR RÈGNE.

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    La première chose mémorable fut l’avènement de Mehdy en 516 (1121 J. C.), sa proclamation et, l’apparition des Almohades qui ne cessèrent de briller et de fortifier leur gouvernement. En 524 (1130 J. C.), El-Mehdy mourut, et les Almohades proclamè­ rent la souveraineté d’Ald el-Moumen ben Aly. En 528 (1134 J. C.), Abd el-Moumen s’empara du Drâa de Tedla, de la ville de Salé et des pays de Taza, et il prit le titre d’émir des Musulmans. En 529 (1135 J. C.), il ordonna de bâtir la ville de Rabat-Taza, qui fut construite et fortifiée d’une enceinte de murailles. En 537 (1142 J. C), les Almohades conquirent Xérès, et le khotbah y fut fait en leur nom. Ben Razyn et Ben Hamdyn, kady de Cordoue, se sou­ levèrent contre les Almoravides, qu’ils expulsèrent. En 539 (1144 J. C.), l’armée Almohade passa en Andalousie et s’em­ para de Tarifa et d’Algérisas, d’où les Almoravides prirent la fuite. En 540 (1145 J. C.), Aly ben Ayssa ben Mymoun le Lemtouny ren­ versa les idoles des Saints ; les Almohades conquirent Malaga, et les enne­ mis vinrent d’Alméria avec quatre-vingts vaisseaux sur lesquels ils s’en retournèrent après avoir incendié les jardins environnants. D’un autre côté, Abd el-Moumen s’empara des villes de Fès, Tlemcen, Oran et de tous leurs environs. Il fut proclamé par les habitants de Séville, qui expulsèrent les Almoravides de chez eux. Enfin, il fit construire les murs d’enceinte, les for­ tifications et la mosquée de Tagrart, près Tlemcen. En 541 (1146 J. C.), Abd el-Moumnen se rendit maître de Maroc, d’Aghmât, de tout le pays de Doukela, et enleva Tanger aux Almoravides qui l’occupaient et qui périrent tous. Ce fut la lin, du règne des Almoravides dans tout le Maghreb et en Andalousie. En 543 (1148 J. C.), l’émir des Musulmans conquit Sidjilmessa,

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    Ceuta, et il fit son expédition contre les Berghouata. Les Almohades s’em­ parèrent de Cordoue, Carmouna et Jaën. A la fin de cette même année, les habitants de Ceuta se soulevèrent contre les Almohades, tuèrent et jetèrent au feu leur gouverneur. En 544 (1149 J. C), les Chrétiens s’emparèrent de Mehdia en Ifrîkya, et, en Andalousie, ils prirent les places de Lisbonne, Alméria, Tortose, Merida, Braga, Santarem et Santa Maria. Tous ces pays furent conquis sous le commandement de Ben Rezyn (que Dieu le maudisse!). Durant cette même année, Yhya ben Ghânya livra aux Chrétiens les villes d’Oubéda, de Baëza et tous les châteaux qui en dépendaient. En 545 (1150 J. C.), les Almohades s’emparèrent de Mekenès, qu’ils emportèrent d’assaut après l’avoir assiégée pendant sept ans. Ils massacrèrent la plupart des habitants, dont ils pillèrent les trésors et envahirent les harems; c’est à cette époque qu’ils bâtirent la ville de ce nom, qui existe encore aujourd’hui, et qu’ils abandonnèrent l’ancienne. En cette même année, Abd el-Moumen donna ordre d’amener l’eau de l’Aïn Ghaboula, à Salé. En 546 (1151 J. C.), Abd el-Moumen conquit les monts Ouancherich (Ouanseris), Meliâna, Almeria, Djezaïr des Beni Mezghanna et Bougie. En 547 (1152 J. C.), il s’empara des villes de Bône, Kosthyla (Touzer), Constantine, de la province de Bône, de tout le Djérid et du Zab africain. En cette même année, les Almohades enlevèrent aux Chrétiens Almé­ ria, Oubéda et Baëza, dont les Musulmans prirent le gouvernement. En 549 (1154 J. C.); ils s’emparèrent de Niebla en Andalousie, à l’as­ saut, et ils massacrèrent toute la garnison, dont ils enlevèrent les harems et les trésors. Ce fut une très-grosse affaire. En 550 (1155 J. C.), ils s’emparèrent de Grenade, dont les habitants se révoltèrent ensuite, et les en chassèrent. Ils n’y rentrèrent qu’en 552, après un très-long siège. En 553 (1158 J. C.), Abd el-Moumen se rendit maître de Tunis, Sousa, Gabès, El-Kayrouan, Sfax. Tripoli du Midi et de la Mehdïa, qu’il enleva aux Chrétiens. En 556 (1161 J. C.), il donna ordre de bâtir la forteresse de Gibraltar, et l’ordre fut exécuté. En 558 (1163 J. C.), mort, d’Abd el-Moumen et avènement de son fils Youssef. En 559 (1163-1164 J. C.), révolte de Ben Derâ dans la province de Ghoumara. En 560 (1164 J. C:), expédition du Djelab, dans laquelle périrent un grand nombre de Chrétiens. En 564 (1168 J. C.) , mort du cheïkh le fekhy, le saint Abou Omar Othmân benAbdAllah el-Seladjy el-Assouly, auteur d’El-Bourhanya (preuves

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    évidentes) et imam du Maghreb dans la science de lareligion. En cette même armée il y eut une grande inondation à Séville. En 566 (1170 J. C.), l’émir Youssef donna ordre de construire le pont du Tensyft, et il fut construit. En 567 (1171 J. C.), il fit jeter le pont de bateaux du fleuve de Séville, et il fit bâtir la kasbah de cette capitale et les murs inclinés qui l’entourent. Cette même année mourut Mohammed ben Sad ben Merdnych, maître de l’Orient de l’Andalousie, et les Almohades s’emparèrent de Valence, de Xativa, de Denia et de tout son gouvernement. En 568 (1172 J. C.), le 12 chouel, il y eut un grand tremblement de terre général, qui détruisit la plus grande partie des villes de Syrie, du Maghreb, du Mossoul, de Djzyra et de l’Irak; mais ce fut surtout en Syrie que les secousses furent terribles il périt en cette occasion une multitude de personnes, au point que les habitants eurent peur des Francs, à la vue des ruines et du grand nombre de morts. C’est en cette année-là qu’Abou Berdha (l’homme à la selle), le Chrétien, fut battu et tué, ainsi que tous ses soldats, par les Almohades. En 569 (1173 J. C.), à la fin de châaban, mourut le cheikh, le docteur, le saint, Abou el-Hassen Aly ben Ismaël ben Mohammed ben Abd Allah ben Harzahîm ben Zyan ben Youssef ben Choumrân ben Haffs ben el-Hassan ben Mohammed ben Abd Allah ben Omar ben Othman ben Ofân (que Dieu l’agrée !), et il fut enterré au sortir du Bab El-Fetouh de la ville de Fès. C’était un illustre docteur, méprisant les choses de ce monde, et entièrement voué à la vie monastique. Voici ce qui fut raconté à son sujet par son serviteur, nommé Abou Karn : «Un jour le cheïkh Abou el-Hassen ben Harzahîm, après avoir appelé sur moi le pardon et la grâce de Dieu, me dit : J’ai vu en songe le maître de la gloire, qui m’a dit : Ô Aly, demande ce que tu désires. — J’ai répondu : Ô Seigneur, je te demande le pardon de mes fautes, une bonne santé et le salut en religion, dans ce monde et dans l’autre. - Dieu m’a répondu : Tes vœux sont exaucés; et c’est pour cela que, n’ayant plus à m’inquiéter de ces bienfaits pour moi-même, j’ai prié pour te les mériter aussi.» Au commence­ ment du mois de châaban, il dit à un de ses serviteurs : «Je ne jeûnerai point avec les fidèles au prochain ramadhan. Cependant il continua à se bien porter jusqu’à la fin du mois, mais ses paroles furent prophétiques ; il tomba malade et mourut le 30 de châaban, veille du ramadhan, Ce jour-là, il se leva comme d’habitude, se parfuma, et après il dit à son domestique : «Ce sont là tes der­ niers services auprès de moi.» Il rentra dans sa chambre, pria deux fois, et il se coucha sur son tapis. Lorsque l’heure de la prière du Douour fut venue, son serviteur entra pour le réveiller, et il le trouva mort. En 570 (1174 J. C.), mort du fehky. le cheïkh, le vertueux, Abou Chaïb

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    Yacoub ben Saïd El-Sennadjy, connu sous le nom d’El-Sarya (la colonne), parce que, lorsqu’il priait, il se tenait debout et immobile pendant un temps infini(1). Quelques-uns disent qu’il fut du nombre des Abdâl (?). En 571 (1175 J. C.), la peste fit les plus grands ravages à Maroc. En 572 (1176 J. C.), mort du fekhy, le kady, Abou Yacoub el-Had­ jâdj. C’est à cette époque que l’émir Youssef disgracia son frère Hassen, qui lui adressa quelques vers qui lui valurent sort pardon et le gouvernement de Cordoue. En chouel de ladite année, s’éteignit l’étoile polaire de l’épo­ que, l’admiration de son siècle, Abou Yaza(2) el-Nour ben Mymoun ben Abd Allah el-Azmyry, de la tribu des Beni Sabyh d’Askoûra. Il mourut âgé de cent trente ans; après être resté pendant vingt ans solitaire et entièrement dévoué à Dieu, dans la montagne qui est au-dessus de Tynmâl, il vint sur 1e rivage, où il vécut seul pendant dix-huit ans, ne mangeant que de l’herbe et des racines. Il était noir cuivré, grand et maigre, vêtu d’une tunique en feuilles de palmier, d’un burnous tout rapiécé et coiffé d’une chéchia en joncs. En 573 (1177 J. C.), le docteur célèbre Abou Mohammed Abd Allah ben el-Melky, cheïkh des tholbas de son époque, mourut dans le mois dou’l hidjiâ, et l’émir des Musulmans, Youssef, assista lui-même à ses funé­ railles. En 578 (1182. J. C.) mourut le cheïkh vertueux, Abou Moussa Ayssa ben Amrân, kady de Maroc, qui fut remplacé par Abou el-Abbès ben Moundhyr, de Cordoue. Le kady Abou Amrân fut un des hommes remarqua­ bles de l’époque par ses belles qualités et sa charité ; il écrivait parfaitement, comme l’atteste cette lettre qu’il adressait à son fils, qu’il avait envoyé tout jeune, à peine pubère, à Fès : «A mon fils. (Que Dieu lui soit en aide, le conserve et le complète par la science et la vertu !) Je vous écris pour, vous exprimer la peine que je ressens de votre éloignement, que Dieu très-haut a décrété dans le courant des choses. O mon fils! quand je vous verrai, au milieu de ceux qui savent le Koran par cœur et qui cultivent les belles-let­ tres et les sciences, je vous ferai des présents qui dépasseront votre attente. Sachez que les imams réunis ont reconnu que le repos ne vient pas après le repos, et que la science ne s’acquiert pas dans l’oisiveté. Étudiez donc les lettres pour devenir savant ; exercez votre mémoire pour, la conserver, et lisez beaucoup pour élever votre esprit ; évitez la fréquentation des hommes vils ou nuls ; suivez les principes que l’opinion publique approuve, et évitez ceux qu’elle blâme. Votre meilleur indice sera toujours le terme moyen ; l’homme est là où son esprit le place. Travaillez donc à des œuvres

    ____________________ 1 Au point, disent les Marocains aujourd’hui, que les oiseaux des champs venaient se reposer sur sa tête. 2 Aujourd’hui Moulaï Bouaza, c’était un marabout fort vénéré au Maroc.

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    salutaires. Adieu !» En cette même année, des Musulmans conquirent les villes de Chan­ tafyla et, d’Akelych, où ils massacrèrent tous les Chrétiens, dont ils enlevè­ rent les femmes et les trésor. Mort du cheikh Abou Khazr Yakhlaf ben Khazr el-Ouaraby, illustre savant et vertueux personnage de la ville de Fès. En 580 (1184 J. C.), mort de l’émir des Musulmans Youssef, et avène­ ment de son fils El-Mansour. C’est dans cette même année, le vendredi 6 de châaban, qu’El-Mayorky entra à Bougie à l’heure de la prière, pendant que tous les fidèles étaient à la mosquée. Jusque-là les portes des villes ne se fer­ maient pas le vendredi. El-Mayorky, ayant attendu le moment où tous les fidè­ les étaient à la prière, entra dans la ville et fit aussitôt cerner la grande mosquée par des cavaliers et des fantassins ; il accueillit ceux qui le proclamèrent et massacra les autres ; il demeura sept mois maître de Bougie avant. d’en être chassé. C’est à partir de cette époque que les Musulmans ont pris l’usage. de fermer les pontes, des villes chaque vendredi à l’heure de la prière. En 584 (1188 J. C.), mort du Cheikh, le phénix de soit époque, Abou Medyan Chouayb ben el-Hassen el-Ansâry, originaire de Sathmâna, dépen­ dance du gouvernement de Séville. Il mourut à Tlemcen et fut enterré au Djebel el-Abbed ; il n’avait d’autres occupations que la prière, à l’exemple d’Abo el-Hassen ben Harzhem; il suivit les préceptes du Sonna qu’Aby Ayssa el-Termydhy avait écrits pour Ben Ghâleb, et il apprit le Tsouf de Ben Abd Allah el-Doukkak. Ses derniers mots, au moment d’expirer, furent: «Dieu très-haut est durable et éternel !» Quelques auteurs donnent l’an 576 pour date de sa mort. En 585 (1189 J. C.), El-Mansour fit arriver l’eau dans la ville de Maroc. En 586 (1190 J. C.) , les Chrétiens enlevèrent les villes de Chelba, Badja et Bayra dans l’occident de l’Andalousie. En 587 (1191 J. C.), les Musulmans s’emparèrent du château d’Aby Dânys. En 591 (1195 J. C:), les Chrétiens furent défaits à la bataille d’Alarcos et y périrent par nombreux milliers. En 593 (1197 J. C.), la ville de Rabat el-Fath fut construite et entourée de murs munis de portes. C’est en cette même année que furent construits : à Rabat el-Fath la mosquée et la tour d’Hassan(1), qui n’ont point été achevées; la mosquée et le minaret de Séville ; la mosquée El-Katebyn de Maroc, ainsi que la kasbah et la mosquée de cette ville. Mort du cheikh, le savant docteur Abou Abd Allah Mohammed ben Brahim, né à la Mehdïa, auteur du livre El­

    ____________________ 1 Voyez page 324.

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    Hédaya (les présents). Il arrivaà l’âge de quarante ans sans avoir jamais fait ses prières hors des mosquées. Mort du fekhy vertueux Abou Abd Allah Mohammed ben Aly ben Abd el-Kerym el-F’endlaouy, à l’enterrement duquel l’émir des Musulmans assista. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Il fut du nombre des savants et célèbre entre les docteurs. Détaché de ce monde, il ne s’occupait que de l’autre, et il priait et jeûnait sans cesse pour combattre ses ennemis internes, au point qu’il ne restait que le squelette de sa personne. Il est, l’auteur de ces vers : «L’amour et les désirs ne m’ont rien laissé, rien que le souffle qui m’agite encore. Je suis insaisissable pour la mort elle-mime, et mon âme se traîne dans mon ombre !» En 598 ( 1202 J. C.), le cheïkh, imam de la mosquée El-Kairaouyn, Abou Mohammed Ychekour el-Djourây, mourut dans la matinée du samedi 11 de dou’l kâada ; il était né à Tedla et mourut à Fès, où il résidait; il s’ins­ truisit des doctrines d’Abou Khazr, et il suivit les cours d’Aby el-Reby, de Tlemcen, d’Abou el-Hassen ben Harzhem et d’Abou Yaza ; il était très-aus­ tère. Quand arrivait le ramadhan, il liait son lit et il ne cessait de prier durant toute la nuit, récitant le Koran d’un bout à l’autre d’un seul trait. Un jour, quelqu’un lui dit : «Quand donc te livreras-tu un peu au repos et accorde­ ras-tu quelque chose au sommeil, comme tu devrais le faire ?» Il répondit : «C’est, bien ainsi que j’acquerrai le repos que je désire.» Et il récita ces vers: «Ne faites pas du ramadhan un mois de réjouissance, et ne vous livrez pas à la conversation ; apprenez que vous ne mériterez les grandes récompenses que lorsque, durant ce mois, vous veillerez la nuit et jeûnerez le jour.» En 600 (1204 J. C.), les constructions et les réparations des murs de Fès s’achevèrent, ainsi que la porte El-Cheryah, à laquelle on plaça les bat­ tants. A cette époque, El-Obeïdy, s’étant révolté dans le Djebel Ourgha, fut pris et tué ; sa tête fut pendue au-dessus de la nouvelle porte El-Cheryah de Fès, et son corps fut brûlé au milieu de ladite porte le jour même où on l’achevait, et c’est ce qui lui a valu son nom de Bab el-Mahrouk (la porte du brûlé). En 601 (1205 J. C.), Yaïch, gouverneur chrétien, construisit dans le Rif les fortifications de la ville de Badès et celles de Mezemma et de Melilia, pour se mettre à l’abri des surprises de l’ennemi. En 602 (1206 J. C. ), les Hafsides s’emparèrent du gouvernement de l’Ifrîkya. En 604 (1208 J. C.), les fortifications de la ville de Oudjda furent refaites à neuf, et El-Nasser fit construire les lieux aux ablutions et les bas­ sins situés à côté de la mosquée El-Andalous de Fès, et dans lesquels il fit venir l’eau de la source qui est en dehors du Bab el-Hadid. C’est à cette même époque que, furent construites la chapelle El-Kairaouyn, et la grande

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    porte avec escalier qui donne sur la cour de ladite mosquée. El-Nasser tira du bit el-mal les sommes qui furent nécessaires à ces travaux. En 608 (1211 J. C,.), mort du cheïkh, le saint Abou Abd Allah ben Hazyz, connu sous le nom de Ben Takhemyst, originaire de Fès; c’était un homme très-distingué et. vertueux, qui avait une écriture superbe et qui pas­ sait son temps .à copier des Korans pour les distribuer à ceux qui en avaient besoin, espérant ainsi mériter les grandes récompenses, il ne cessa d’étudier et de lire dans les écoles jusqu’à sa mort. C’est lui qui a fait ces vers : «Le savant ne meurt pas ; il vit encore lors même qu’il tombe en poussière sous terre. L’ignorant, au contraire, ne vit pas; il se meut, mais son esprit est mort.» En 609 (1212 J. C.), défaite des Musulmans à Hisn el-Oukab, où péri­ rent toutes les troupes du Maghreb et de l’Andalousie. En 610 (1213 J. C.), le fils d’El-Obeïdy, brûlé à Fès, se souleva dans le Djebel Ghoumara en prétendant qu’il était le Fathmy, et -il fut proclamé par un nombre considérable de montagnards et de Bédoins. El-Nasser envova une armée contre lui, et il fut pris et tué. En cette même année, mort de l’émir des Musulmans El-Nasser, et avènement de son fils Youssef. Les Beny Meryn, venant du sud du Zab de l’Ifrîkya, entrèrent au Maghreb en grand nombre. Grande peste en Andalou­ sie et dans le Maghreb. Les Chrétiens s’emparèrent de la ville d’Oubéda. En 613 (1216 J. C.), les Beny Meryn défirent l’armée almohade au Fahs el-Zad. Les Almohades, rentrés à Fès complètement nus, furent obligés de se couvrir avec des feuilles de Méchâala (?), et c’est pour cela que cette année-là fut appelée El-mechâala. En 614 (1217 J. C.), les Musulmans furent battus au Kessar d’Aby Dânys, et les ennemis les massacrèrent en nombre considérable. En 615 (1218 J. C. ), Alphonse prit à l’assaut ledit château d’Aby Dânys, et fit périr tous les Musulmans qui s’y trouvaient. En 617 (1220 J. C.), grande disette, sécheresse et fléau des sauterelles dans le Maghreb. C’est en cette année-là que fut construite la Tour d’or sur la rive du fleuve de Séville. En 618 (1221 J. C.), on refit à neuf les murs de Séville et on construi­ sit les chaussées extérieures qu’on entoura de fossés. En 619 (1223 J. C.), les Almohades conquirent l’île de Majorque. En 620 (1123 J. C.), mort de Youssef el-Mousthansyr. En 622 (1224 J. C.), proclamation d’El-Adel à Murcie, et mort de l’émir des Musulmans Abd el-Ouahed, le détrôné. En 624 (1225 J. C.) , le sid Abou Mohammed. surnommé El-Baëzy, se fit proclamer à Baëza, et livra cette place et la ville de Fidjatha aux Chré­ tiens. Les ennemis prirent également la ville de Marbouna, du gouvernement

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    de Murcie ; dont ils massacrèrent tous les habitants, à l’exception des femmes et des enfants, qui furent faits prisonniers. El-Baëzy livra à Alphonse environ vingt châteaux forts et un nombre considérable de tours. Alphonse s’empara de Merbâla(1) et prit Tolède à l’assaut en faisant un massacre épouvantable de Musulmans ; dix smille hommes de Séville, qui s’étaient mis en campagne pour porter secours à la garnison de Tolède, et un grand nombre de soldats de Murcie, qui s’étaient également aventurés pour aller secourir le château de Daleya(2), furent massacrés après avoir été mis en déroute par les ennemis. Tous ces désastres emportèrent un nombre si considérable d’Almohades de Séville et de Murcie, que les mosquées et les souks restèrent déserts. En 623 (1226 J. C.), l’ennemi s’empara de la ville de Loucha(3), dans l’occident de l’Andalousie, et El-Baëzy livra aux Chrétiens Salvatierra, pour la prise de laquelle El-Nasser avait dépensé de si fortes sommes. Cette même année, El-Baëzy fut tué dans le château El-Modovar, par Ben Bey­ rouk, qui porta sa tête à Séville. Les Chrétiens s’emparèrent de la ville de Kabala. Les Arabes Khelouth livrèrent bataille aux Almohades, qu’ils mirent en déroute dans l’Adoua. En 624 (1227 J. C.), disette au Maghreb et en Andalousie; le kafyz de blé coûtait 15 dinars. Fléau de sauterelles au Maghreb. Les habitants de Séville proclamèrent le sid Abou el-Olâ ben el-Mansour. Les Chrétiens s’emparèrent de l’île de Majorque. Mort d’El-Adel et avènement d’Yhya, d’une part, et d’El-Mamoun de l’autre. En 625 (1228 J. C.), apparition de Ben Houd, surnommé El-Metoukyl, dans le château d’Arbounâ, à l’orient de l’Andalousie, et sa proclamation par le peuple de Murcie comme khalife abbasside. En 626 (1229 J. C.), grande inondation à Fès qui détruisit la plus grande partie des murs du côté du midi, et renversa trois nefs de la mos­ quée El-Andalous, ainsi qu’un grand nombre de maisons et de fondouks de l’Adoua. En cette même année, Ben Houd s’empara de Xativa et de Denya, et les Chrétiens prirent le château de Djebel Ayoun(4), situé sur la frontière de Valence. Ben Houd fit périr le kady El-Koustahy, à Murcie, et s’empara de Grenade, où il massacra tous les Almohades qui s’y trouvaient. Il con­ quit également Jaën, et dans le mois de dou’l kâada, il fut proclamé à Cor­ doue par le peuple, qui chassa et massacra les Almohades. C’est alors, que Ben Houd fut nommé émir des Musulmans, et que El-Mamoun passa au Maghreb. Le lundi 23 de safar, correspondant au dernier jour de décembre­ des Européens, eut lieu le grand événement de Mayorqne dont Dieu affligea ____________________

    1 Aujourd’hui Marvella, port. 2 Dalia, près d’Alméria. 3 Loja, sur le Xenil, près Grenade 4 Aujourd’hui Gibraleon.

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    également l’islam. En 628 (1231 J. C.), défaite des Musulmans à Mérida, que les enne­ mis prirent d’assaut. Au mois de châahan, ils s’emparèrent également de Badajoz et de ses dépendances. En radjeb, Bell Houd prit Algérisas et Gibraltar, et il ne resta plus aucun pouvoir aux Almohades en Andalousie. En 629 (1232 J. C.), le sid Abou Moussa se leva contre son frère ElMamoun, à Ceuta, et Mohammed ben Youssef ben Nasser ; connu sous le nom de Ben el-Ahmar (fils du rouge), se présenta au peuple d’Ardjounâ, qui le proclama et lui donna le titre d’émir des Musulmans. Les ennemis s’em­ parèrent de la ville de Mourala, du gouvernement de Saragosse. En 630 (1233 J. C.), mort d’El-Mamoun et avènement de son fils ElRachyd. Ben Houd s’empara de Ceuta qu’il gouverna pendant trois mois, au bout desquels il fut trahi, et l’on proclama Ahmed el-Yenachty, appelé El-Mouaffyk. En cette même année, Cordoue et Carmouna se rendirent à Mohammed ben Youssef ben Nasser. Le kady El-Badjy fut proclamé à Séville. Ben Houd fit alliance avec l’ennemi pour combattre Ben el-Ahmar et. ElBadjy, avec la condition qu’il lui serait compté 1,000 dinars par jour. Grande famine et peste dans le Maghreb; le kafyz de blé atteignit le prix de 80 dinars. En 631 (1234 J. C.), grands combats, entre Ben el-Ahmar, El-Badjy et Ben Houd, dans lies environs de Séville. Ben Houd les vainquit ; mais Ben el- Ahmar ayant tué El-Badjy par trahison, entra à Séville, où il resta un mois et fut chassé par le peuple. En djoumad el-tâny, Chayb ben Mohammed ben Mehfouth s’éleva au pouvoir à Lybla, et prit le nom d’El-Moutasym. En chouel, Ben Nasser fit la paix avec Ben Houd, et le proclama à Jaën, Ardjouna et dépendances, et à Berkouna. En 632 (1234 J. C.), les ennemis assiégèrent l’île d’Iviça, qu’ils pri­ rent au bout de cinq mois. Les Génois vinrent à Ceuta avec une flotte innom­ brable, et battirent la ville avec leurs balistes, mais sans succès. En 633 (1235 J. C.), les Génois se retirèrent après un long siège, et un blocus rigoureux, durant lesquels ils avaient employé les plus horribles machi­ nes de guerre. Les habitants de Ceuta n’obtinrent la paix avec eux qu’en leur payant 400,000 dinars. Cette même année, le 3 chouel, les Chrétiens surpri­ rent la partie orientale de Cordoue, le matin de très-bonne heure, pendant que tous les habitants dormaient encore ; mais Dieu chéri sauva les femmes et les enfants, qui s’échappèrent à la partie occidentale; les hommes seuls restèrent et combattirent courageusement. Les Chrétiens assiégèrent la partie occiden­ tale, et lorsqu’ils l’eurent prise, ils furent maîtres de toute la ville. Alors, le roi de Castille accorda la paix et l’alliance à Ben Houd, pour quatre ans et moyennant 400,000dinars par an. C’est encore en cette année-là que l’émir des Musulmans El-Rachyd fit mettre à mort les cheikhs des Khelouth. En 635, (1237 J. C.), les habitants de Séville et de Ceuta proclamèrent

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    El-Rachyd. Famine et peste clans le Maghreb, tellement désastreuses, que les hommes se mangeaient entre eux, et que l’on ensevelissait cent cadavres dans une même fosse. En 640 (1242 J. C.), mort d’El-Rachyd et avènement de son frère ElSaïd. En 642 (1244 J. C.), prise de Valence par les Chrétiens. En 643 (1245 J. C.), prise de Mekenès par l’émirs Abou Yhya. En 644 (1246 J. C.), prise, de Jaën par les Chrétiens. En 646 (1248 J. C.), mort d’Abou el-Hassen el-Saïd. Prise de Séville par les ennemis. Abou Yhya s’empare de Fès et de Rabat-Tâza. C’est cette année-là qu’eut lieu le grand incendie des bazars de Fès, dans lequel fut détruit tout le faubourg, depuis le Bab el-Selsela (porte de la chaîne), jus­ qu’aux bains de la Halle aux Blés. Avènement d’El-Mourthadhy àMaroc. En 653 (1255 J. C.), défaite d’El-Mourthadhy chez les Beni Behloul, aux environs, de Fès. En 665 (1267 J. C.), El-Mourthadhy,tué à Maroc, est remplacé par Abou Debbous. En 667 (1268 J. C.), Abou Debbous fut tué et son armée détruite. l’émir des Musulmans, maître de Maroc et de ses dépendances, fit son entrée dans la capitale, le dimanche 9 du mois. de moharrem de l’année 668 (8 septembre 1269 J. C.).

    HISTOIRE DU RÈGNE FORTUNÉ DES MERYN, DESCENDANTS D’ABD ELHAKK. QUE DIEU PROLONGE ET CONSERVE LEUR DYNASTIE, QU’IL ÉLÈVE LEURS ORDRES ET LEUR PUISSANCE ! NOTICE SUR LEUR DESCENDANCE PURE ET SUR LEUR ÉLÉVATION PAR LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE ; LEURS ROIS, LEURS CONQUÊTES, LEURS GUERRES, LEUR BON GOUVERNEMENT, LEURS MONUMENTS ET LEURS OEUVRES.

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    L’auteur dut livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : La famille des Meryn est la première et la plus noble par descendance de la tribu des Zenèta, parmi lesquels ils se distinguèrent toujours par la grandeur de leur caractère et de leurs vertus. De mœurs très-douces, valeureux guerriers et profondément religieux, ils ne manquèrent jamais à leur parole. Très-nom­ breux et puissants, ils défendaient leurs voisins et ils. donnaient refuge et secours aux malheureux. Le feu de leur hospitalité ne s’éteignit jamais, et ils étaient incapables d’une lâcheté ou d»une trahison ; modestes, charita­ bles, ils venaient en aide aux docteurs et aux saints. Ne s’écartant jamais du Sonna ancien et des exemples transmis de père en fils ; célèbres dans l’histoire, ils le sont encore aujourd’hui. Que Dieu conserve leur dynastie et leur donne la victoire; que par la grâce et la puissance de Dieu leur sabre et leur drapeau soient toujours la terreur de leurs ennemis !

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    ORIGINE ET DESCENDANCE VÉRITABLES DES BENY MERYN.

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    L’auteur du livre continue : J’ai copié les notes ²suivantes de celles que le fekhy Abou Aly el-Miliany avait écrites de sa propre main, savoir : Les Beny Meryn sont une fraction des Zenèta, fils de Ben Ourtadjân ben Makhoukh ben Ouadjdîdj ben Fâten ben Yedder ben Yadjfet ben Abd Allah ben Ouartyb ben el-Magguer ben Ibrahim ben Seghyk ben Ouassyn, ben Yslîten ben Mazry ben Zakya ben Ouarsydj ben Zenât ben Djâna ben Yhya ben Temsyt ben Dharys, (qui est Djalout, premier roi des Berbères) ben Ouardjyh ben Madghys el-Abtar ben Bez ben Kys ben Ghylân ben Moudhyr ben Nizâar ben Mâd ben Adnân. C’est à partir de Zenèta ben Djdâna que s’est formée la tribu des Zenèta, qui sont Arabes purs. La cause du chan­ gement, de leur langue arabe eu langue berbère est ainsi rapportée par les écrivains les plus savants sur l’histoire des races et des origines: Moudhyr ben Nizâr eut deux fils, Elyas et Ghylân, de leur mère nommée Rebâb bent Hedjâ ben Omar ben Mâd ben Adnân. Ghylàn eut egalement deux fils, Kys et Douhmân. Douhmân n’eut qu’une faible postérité, qui forma les Beni Amâm, fraction de la tribu de Kys. Celui-ci engendra quatre fils et une fille : Saïd, Omar et Hafsa, lui eurent leur mère Mouzna, fille de Assad ben Rebia ben Nizâr ; le quatrième, Bez et sa sœur Toumadher, naquirent de Berîgha, fille de Medjdel ben Medjdoul ben Omar ben-Moudhyr, le Berbère, le Med­ jdouly. A cette époque, ces Berbéres Medjdouly, qui habitaient la Syrie, fré­ quentaient les Arabes dans les villages et sur les marchés, et souvent même ils s’associaient avec eux pour les pâturages, les eaux, l’espace et le jardi­ nage. Or Behâ, fille de Douhmân ben Ghylân, était la femme la plus accom­ plie de son temps en beauté et en qualités, et de toutes les tribus arabes se présentaient des prétendants nombreux ; mais les fils de son oncle Kys, ses cousins Saïd, Omar, Hafsa et Bez, déclarèrent qu’elle ne sortirait pas de la famille et qu’elle n’épouserait que l’un d’eux. Enfin, invitée à faire un choix, parmi les quatre, elle donna la préférence à Bez, qui était le plus jeune et le meilleur de tous, et il l’épousa en dépit de ses frères, qui conçurent le dessein de le tuer. Sa mère, Berîgha, qui était une femme de tête, tremblant pour son fils, fit prévenir Behâ de ce qui se passait, et convint avec elle de s’échapper dans le pays de ses frères, les Berbères, où elle emmènerait éga­ lement son fils Bez. Puis elle envoya chercher ses parents, qui arrivèrent secrètement, et elle partit avec eux, emmenant son fils Bez et sa belle-fille Behâ. Arrivés chez les Berbères, elle établit Bez dans sa famille, où il épousa en toute sécurité sa cousine Behâ, devint puissant et capable de résister à ses ennemis. Behâ lui donna deux fils, Alouân et Madghys. Alouân mourut jeune et sans enfants, mais Madghys, surnommé El-Abtar, fut le père des Berbères el-Boutery, dont tous les Zenèta font descendre leur origine.

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    Bez mourut chez les Berbères et y laissa son fils, Madghys, dont les enfants et les descendants furent innombrables ; ceux-ci, parlant la langue du pays, dont ils avaient pris les mœurs et les coutumes, passaient leur vie à courir dans les champs, montés sur leurs chevaux et leurs dromadaires, habitudes et instincts qu’ils conservèrent toujours. Toumadher, fille de Kys, ne cessa de pleurer son frère Bez, en chan­ tant les nombreuses poésies qu’il avait faites sur son pays, sur sa tente et sa terre natale. En entendant ces vers, nul ne pouvait retenir ses larmes en pensant à Bez ben Kys, qui avait été enlevé à sa famille et qui était mort sans que personne ne l’eût plus revu. C’est encore elle qui chantait : «Bez n’a rien laissé dans notre pays, si ce n’est sa maison, qu’il a fuie pour aller chercher la tranquillité ; il a appris la langue des barbares ; mais s’il n’avait point demeuré dans l’Hedjaz, il n’en eût point su d’autre.» Abd el-Azyz el-Melzouzy, auteur du poème Nadhm el-Selouk fi akhbar men nazel el-Maghreb men el-Moulouk (collier des fils de l’histoire des actions des rois de Maghreb), a dit : «Les Zenèta étaient voisins des Berbères, et ils en ont pris le langage; mais ils a n’ont rien changé de plus à leurs coutumes arabes ;qui sont restées et restent encore les mêmes. La langue arabe seule a été oubliée ; ils ne la parlent ni ne la comprennent. Plus; ils sont tels maintenant encore, et tels étaient les premiers Beny Méryn.»

    AVÈNEMENT DES BENY MERYN AU MAGHREB ET LEUR ÉLÉVAT10N EXTRAORDINAIRE AU POUVOIR.

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    Quand Dieu très-haut voulut, faire resplendir le règne heureux et béni des Beny Meryn, fils d’Abd el-Hakk, leur dynastie victorieuse s’affermit par sa toute-puissance et les décrets de sa justice s’accomplirent. Les Almoha­ des restèrent forts et grands jusqu’au désastre de l’Oukab, qui fut, le signal de leur décadence. El-Nasser, vaincu, rentra à Maroc ; mais son gouverne­ ment ne cessa d’aller de mal en pis jusqu’à sa mort, en l’an 610 , où il fut détrôné et, remplacé par son fils El-Moustansyr, jeune enfant non pubère encore, incapable de diriger les affaires, et qui, adonné aux plaisirs et à la débauche, laissa les rênes du gouvernement à ses oncles et à ses parents, à ses ministres et à ses cheikhs. Ceux-ci engagèrent entre eux luttes sur luttes, se disputant le commandement, se nommant et se destituant les uns les autres, au point d’étonner le monde. Tout se trouva bientôt bouleversé, l’anarchie devint générale, les forces s’affaiblirent, les vices envahirent le pays, la religion même se perdit, et il n’y eut plus dans tout l’Empire, que la guerre civile que Dieu fit éclater chez eux pour les anéantir et élever le gouvernement et la dynastie des Beny Meryn. Les Beny Mleryn étaient un peuple d’élite et voué à la vraie foi. Il est certain qu’ils vivaient sur les terres situées au midi du Zab africain jusqu’à

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Sidjilmessa. Nomades, ils s’étaient répandus chez les Berbéres et dans les lieux déserts; ils ne connaissaient ni argent ni monnaie et n’étaient point régis par un émir. Fiers et dédaigneux, ils ne supportaient ni attaque ni alliance; ils ne connaissaient ni l’agriculture ni le commerce, et leurs seules occupations étaient la chasse, le cheval et les razias. Tous leurs biens consis­ taient en chevaux, en chameaux et en nègres ; ils se nourrissaient de viande, de fruits, de laitage et de miel. Une partie d’entre eux entrait chaque été au Maghreb pour faire paître et abreuver leurs bestiaux. En automne, ils se réunissaient tous à Agersif, et de là ils se mettaient en route pour retourner chez eux. Telle était leur coutume depuis les temps anciens. En l’an 613, ils vinrent donc comme d’habitude ; mais ils trouvèrent tout bouleversé au Maghreb, dont les forces étaient affaiblies ou dispersées. Ils apprirent que toute l’armée avait péri à la bataille de l’Oukab, et ils trouvèrent partout des lieux déserts ou fréquentés seulement par les lions et les chacals. Alors ils s’établirent tout à fait sur les terres ainsi abandonnées, et ils envoyèrent aus­ sitôt prévenir leurs frères de la situation. «Venez, leur dirent-ils ; il y a ici, en abondance, de l’herbe et des grains excellents ; les pâturages sont vastes et bien nourris par les eaux des ruisseaux, les arbres sont, superbes et les fruits sont exquis ; partout des sources et des rivières. Arrivez sans crainte; personne ne s’opposera à vous ni ne vous chassera.» A la réception de ces nouvelles, les Beny Meryn se mirent immédia­ tement en mouvement et prirent la route du Maghreb, après s’être confiés à Dieu très-aimable et chéri. Ils vinrent d’étapes en étapes, montés sur leurs chevaux ou sur leurs chameaux, jusqu’à l’Oued Telâgh, qui fut la porte par laquelle ils entrèrent au Maghreb, avec leurs animaux, leurs bagages et leurs lentes ; ils arrivèrent en nombre, si considérable que leur troupe était com­ parable à la pluie ou aux étoiles de la nuit, ou bien encore à des légions de fourmis ou de sauterelles, et cela par la toute-puissance de Dieu, dont nul ne connaît l’étendue, car Dieu ne laisse voir que les choses dont les destinées sont décrétées. Abou Farès a dit dans son poème en vers : «C’est en l’an 610 que les Beny Meryn vinrent au Maghreb de leurs pays barbares, après avoir traversé le désert et les plaines de sable sur le dos de leurs chameaux et de leurs chevaux, comme avaient fait les Lemtouna avant eux. «Ils trouvèrent les rois Almohades déjà détachés de leurs affaires et de leurs devoirs, adonnés au vin, à la luxure et à la mollesse ; aussi entrèrent-ils sans peine et commen­ cèrent-ils aussitôt à enlever les kessours. C’est que la volonté de Dieu les avait appelés pour régner sur le Maghreb, et, comme des nuées de sauterel­ les, ils eurent bientôt envahi le pays, où ils se répandirent partout. Actifs et francs guerriers, ils ne cessèrent de s’étendre et de s’affermir de plus en plus,

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    s’emparant du pays morceau par morceau, jusqu’à ce qu’enfin ils défirent l’armée almohade l’an El-Mechâala, qui est l’an 613. L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) poursuit son récit. Je tiens d’un historien, en qui j’ai grande confiance, que, lorsque les Beny Meryn entrèrent au Maghreb, ils se répandirent sur le pays et s’y affermi­ rent, en faisant grâce à ceux qui se soumettaient à eux et en massacrant impi­ toyablement ceux qui les repoussaient. Les populations fuyaient devant eux à droite et à gauche, et s’en allaient sur les montagnes les plus difficiles, où elles se fortifiaient. En apprenant celle invasion, l’émir Youssef el-Moustan­ syr conçut de l’inquiétude, et, dans l’indécision sur ce qu’il y avait à faire à leur égard, il rassembla en conseil les magistrats, les ministres et les cheïkhs Almohades pour prendre leur avis. Ces conseillers lui dirent : «Ô émir des Musulmans ! ne faites pas attention à eux et soyez sans crainte ; ils sont fort simples et peu nombreux. Pour mettre fin à leurs progrès, il suffira d’envoyer contre eux un cheikh Almohade, qui fera périr les hommes et s’emparera de leurs femmes et de leurs biens, après les avoir poursuivis et dispersés.» En effet, l’émir expédia aussitôt une armée de vingt mille. Almohades sous les ordres du cheikh Abou Aly ben Ouandyn avec ordre d’aller attaquer les Beny Meryn et de les massacrer tous, pères et enfants, jusqu’au dernier d’entre eux. L’expédition partit de Maroc, et à la nouvelle de son approche, les ben, Meryn firent, eux aussi, tous leurs préparatifs pour recevoir et battre l’ennemi ; ils rassemblèrent leurs troupes, et tous les chefs, s’étant réunis en conseil, tombèrent d’accord pour mettre à l’abri, dans la forteresse de Tazout, leurs harems et leurs biens. Après avoir pris cette précaution, ils s’avancèrent résolument contre l’armée almohade. La rencontre eut, lieu dans les environs de l’Oued Nekour, du pays de Badès (dans le Rif), et ce fut là une sanglante et mémorable bataille. Les Beny Meryn, assistés par le Très-Haut, remportèrent la victoire , et ils massacrèrent la plus grande partie des Almohades, dont les débris s’enfuirent en déroute et frappés d’épou­ vante ; ils pillèrent le camp, et tout ce qu’ils enlevèrent d’argent, d’armes, de bagages, de chevaux et de mulets servit à les fortifier davantage; ils rendirent grâce à Dieu pour le secours magnifique qu’ils en recevaient, et la nouvelle de ce grand événement se répandit dans le Maghreb entier. Les débris des Almohades rentrèrent à Rabat-Taza et à Fès terrifiés, pieds nus, anéantis, n’ayant pour tout vêtement que des feuilles de Mechâala (?). Couverts de sang et de poussière, désespérés et avilis, ils versaient des larmes, et leurs cœurs étaient brisés. L’année prit le nom de Mechâala, et c’est à partir de là que les Beny Meryn grandirent de plus en plus, tandis que les Almohades s’affaiblirent tout à fait ; leurs terres devinrent désertes; ils ne sortirent plus, et leur décadence fut complète. Dieu alluma le feu de la guerre civile, et

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    leurs chefs moururent assassinés. Les cheïkhs faisaient et défaisaient les sultans; ils les nommaient et les tuaient ensuite pour en nommer d’autres, pillant chaque fois leur trésor et se divisant leurs femmes et le butin. C’est ainsi qu’ils proclamèrent Abd el-Ouahed et qu’ils le mirent à mort pour nommer El-Adel, qu’ils étranglèrent à son tour ; puis ils envoyèrent acte de leur soumission à El-Mamoun, et aussitôt ils le déclarèrent déchu pour élire son frère Yhya ; ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient, et c’est leur désordre qui fut leur ruine et l’anéantissement de leur pouvoir et de leurs forces, dont les Beny Meryn héritèrent.

    HISTOIRE DE L’ÉMIR BÉNI ABOU MOHAMMED ABD EL-HAKK.

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    L’émir Abou Mohammed était fils de l’émir Abou Khâled Mayou ben Abou Beker ben Hamâma ben Mohammed, le Zenèta, le Meryn. Son père, Abou khâled Mayou, avait fait la campagne d’Alarcos auprès de l’émir des Musulmans El-Mansour, qui, le jour de la bataille, lui avait confié le commandement de tous les Zenèta, avec lesquels il se couvrit. de gloire. Il mourut (que Dieu lui fasse miséricorde !), en l’an 592, dans son pays, au sud du Zab africain, à son retour de ladite campagne d’Alarcos, et à la suite des blessures qu’il en rapporta, et qui lui valurent la mort du martyr. Son fils, Abou Mohammed Abd el-Hakk, lui succéda et prit la direction des affaires. Il était déjà célèbre parmi les Beny Meryn, par ses vertus, sa religion, sa piété et sa sainteté ; humble et charitable, il prit la justice et le bon droit pour base de son gouvernement; généreux et bienfaisant, il était le refuge des orphelins et la providence des pauvres. Sa bénédiction était immense et sa main bienheureuse ; son bonnet et ses culottes opéraient des miracles, et tout le monde chez les Zenéta y avait recours ; on les portait aux femmes enceintes dont l’accouchement était, difficile, et Dieu, venant aussitôt en aide à ces créatures, facilitait la délivrance. L’eau qui restait de ses ablutions était remise aux malades qui s’en frottaient et guérissaient aussitôt. Il était fort austère ; il jeûnait en hiver comme durant les plus fortes chaleurs, et jamais on ne le vit manger dans le jour, à l’exception des fêtes. Priant et louant Dieu sans cesse, il récitait son chapelet et invoquait Dieu partout, et quelles que fussent ses occupations. Il ne mangeait, que les choses permises et provenant de ses propriétés mêmes, telles que la viande de ses chameaux ou de ses brebis, leur lait et le produit de sa propre chasse. Dans la tribu des Meryn il était, renommé comme savant et comme émir ; il veillait avec le plus grand soin aux affaires de ses compatriotes, qui ne faisaient absolument rien sans le consulter. Il n’eut que quelques enfants. Une nuit, après avoir fait ses ablutions et ses longues prières à Dieu, il fit durant son sommeil un songe, bienheureux qui lui annonçait le gouvernement de roi et d’imam

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    pour lui et. pour ses descendants. Il vit un jet de feu sortir de son membre viril, s’élever dans les airs et rayonner sur les quatre points cardinaux, puis concentrer ses rayons et couvrir de sa flamme tout le Maghreb. Il raconta ce rêve à quelques saints, qui lui dirent : ce Réjouissez-vous et soyez sans crainte ; cette vision est un signe de bonheur pour vous et vos descendants, qui serez nobles et grands ; vous serez roi puissant et illustre et vos enfants rempliront le Maghreb de leur célébrité. Quatre d’entre eux régneront jus­ qu’à leur mort, et transmettront leur trône en héritage à leurs fils et à leurs descendants.» Tout cela arriva comme ils le dirent, et l’émir put le voir avant de mourir. Il gouverna les Beny Meryn, et à sa mort ses quatre fils héritèrent de son gouvernement. Dans le mois de dou’1 hidjâ de l’an 613, l’émir Abou Mohammed Abd el-Hakk se porta avec l’armée des Beny Meryn à Rabat Taza, aux envi­ rons de laquelle il établit son camp, au milieu des oliviers. Le gouverneur de cette ville sortit pour l’attaquer avec une nombreuse armée d’Almohades, d’Arabes et de fractions des Tsoul, des Mekenèsa et autres. L’émir Abou Mohammed le battit et mit toute son armée en déroute ; resté maître d’un riche butin, armes, bagages et chevaux, il distribua tout à ses soldats, sans rien garder pour lui ; et il dit à ses enfants : «Faites bien attention de ne pas toucher à ce butin, la victoire et la renommée doivent vous suffire.» En djou­ mad el-tâny 614, les Meryn eurent une rencontre avec les Arabes Rîah et autres. Les Rîah formaient la tribu arabe la plus forte et la plus guerrière du Maghreb ; nulle n’avait un aussi grand nombre de cavaliers et de fantassins, et ne possédait ses immenses ressources. Quand ils se mirent; en campagne contre les Beny Meryn, ceux-ci se rallièrent tous autour d’Abou Mohammed et lui dirent : «Vous êtes notre émir et notre capitaine ; que pensez-vous de ces Arabes qui viennent pour nous attaquer ?» L’émir leur répondit : «Ô mes compagnons Meryn, si vous êtes disposés, résolus et unis, prêts à vous aider les uns les autres et à vous soutenir réciproquement contre l’en­ nemi, si vous êtes frères, liés entre vous par l’amour du Très-haut, je n’ai aucune crainte de vous conduire et d’engager le combat avec les peuples du Maghreb entier; mais si vous êtes désunis, si vos avis sont en désaccord les uns avec les autres, vos ennemis, soyez-en sûrs, vous vaincront et vous dis­ perseront ! Ils s’écrièrent alors : Nous sommes prêts, soumis et obéissants ; ne nous abandonnez pas et nous ne vous abandonnerons point ; nous mour­ rons tous sous vos yeux, s’il le faut. Allons, levez-vous et conduisez-nous avec la bénédiction de Dieu !» Les deux armées se rencontrèrent aux environs de l’Oued Sebou, à quelques milles de Taferthast. La bataille fut sanglante, et l’émir Abou Mohammed Abd el-Hakk fut tué ainsi que son fils Edriss. A la vue du cadavre

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    de leur émir, les Meryn, fous de douleur et de rage, devinrent comme autant de lions furieux et avides de sang. Levant la main droite, ils jurèrent de ne point enterrer les corps de leurs chefs avant de les avoir vengés; ils s’élancè­ rent contre les Rîah comme des lions affamés qui sautent sur une troupe de renards, et ils fondirent sur eux comme les aigles fondent sur les perdrix. La bataille fut de plus en plus meurtrière. Les Rîah eurent à déployer la grande résignation; ils furent presque tous massacrés, et ceux qui échappèrent au carnage s’enfuirent en déroute. Les Meryn pillèrent leur camp et enlevèrent tout ce qui s’y trouvait en argent, bagages, habillements, chevaux, chameaux et autres bêtes de somme. Ils élurent Othman, fils de l’émir Abou Moham­ med, pour succéder à son père et se mettre à leur tête. L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : Le kady Abou Abd Allah ben el-Oualdoun et son frère le fekhy Abou el-Hadjadj Youssef, qui faisait partie de la députation des nobles, des docteurs et des saints de la ville de Fès, qui vint rendre hommage à l’émir Abou Youssef ben Abd el-Hakk, à Rabat el-Fath, où il était arrivé de Maroc dans le ramadhan 683, avec l’intention de passer en Andalousie pour faire la guerre sainte, m’ont raconté eux-mêmes que, lors de leur réception, l’émir des Musulmans leur parla beaucoup de son père Abou Mohammed Abd el-Hakk, et qu’il leur dit, en propres termes : «Par Dieu, je vous l’assure, la parole de l’émir Abd elHakk était sûre. S’il disait, il faisait, et un mot de lui suffisait pour ne laisser aucun doute. Jamais il ne jurait par Dieu, ni justement, ni en vain ; il ne buvait point de boissons enivrantes, et ne se livrait jamais à la débauche ; ses vêtements bénits avaient des vertus, miraculeuses ; il suffisait de les porter chez une femme en couche pour assurer une délivrance heureuse. Il jeûnait et restait debout la plus grande partie de la nuit ; s’il entendait parler d’un saint ou d’un ermite, il accourait auprès de lui pour demander sa bénédic­ tion; il vénérait beaucoup les saints et leur était soumis. Il fut le poison de ses ennemis qu’il anéantit; quant à nous, nous n’avons hérité que de sa béné­ diction, et de la bénédiction des saints qui le bénirent.

    RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU SAÏD OTHMAN BEN ABD EL-HAKK.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : Lorsque les Beny Meryn eurent fini de combattre les Rîah et furent, de retour de leur pour­ suite, ils se groupèrent autour de l’émir Abou Saïd Othman ben Abd elHakk, et, après lui avoir fait les compliments, de condoléances pour la perte de son père et de son frère, ils le proclamèrent unanimement. L’émir Abou Saïd s’occupa avant tout de laver le corps de son père et de l’ensevelir, et son cœur se brisa de douleur. Quand il eut rempli ces pieux devoirs, il tourna ses pensées vers son peuple et ses frères, et ayant ordonné de réunir le butin,

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    il le distribua sans partialité aucune à tous les membres de la tribu des Beny Meryn; puis il se remit aussitôt en marche contre les Rîah, en jurant qu’il ne les épargnerait pas avant d’avoir tué cent de leurs cheikhs pour venger la mort de son père. En effet, il les massacra en grand nombre, et lorsque les Rîah virent qu’ils étaient perdus, il s’empressèrent de faire leur soumission à l’émir, qui l’accepta, à condition qu’ils lui payeraient un fort tribut chaque armée. Cet événement amoindrit encore le royaume des Almohades, dont la faiblesse devint manifeste, et, qui perdirent tout pouvoir dans les cam­ pagnes. Leurs émirs n’étaient plus écoutés que dans les villes, et la guerre civile se répandit de plus en plus dans les tribus. Les routes et les champs devinrent dangereux, et la plus grande partie des hommes, révoltés contre l’autorité, se disputaient et disaient à leurs chefs : «Nous ne vous devons plus ni respect ni obéissance.» Les nobles et les rustres devinrent égaux ; le fort mangeait le faible, et chacun faisait selon sa tête. Ils s’abaissèrent ainsi jusqu’aux crimes les plus abominables, au mépris du gouvernement et de leurs émirs, qui ne pouvaient plus les maîtriser. Les Kabyles du Fezaz, de Djenata, les Arabes et les Berbères coupaient les chemins et pillaient sans relâche les villages et les hameaux. L’émir Abou Saïd, ayant observé ce qui se passait, et ayant vu que les roi Almohades avaient perdu leur force et leur puissance, et qu’abandon­ nés de leurs sujets, ils étaient réduits à ne plus sortir de leurs palais où ils vivaient dans l’ivresse, et soumis à tous les effets de la débauche et des dérè­ glements, comprit que le moment était propice pour leur faire la guerre et les renverser. En conséquence, il rassembla les cheïkhs Meryn et les exhorta à se soulever au nom de la religion et des intérêts des Musulmans. Il les trouva tous prêts, et il avança avec ses légions conquérantes et victorieuses dans le Maghreb, envahissant toutes les tribus dans les montagnes comme dans les plaines et les vallées. Il donnait l’aman à ceux qui le reconnaissaient et lui Promettaient obéissance, il leur imposait un tribut et les laissait tranquil­ les; mais ceux qui lui résistaient, n’obtenaient ni trêve ni repos jusqu’à leur entière destruction. Les premières tribus qui se soumirent à lui furent celles de Houâra et de Radjeradja ; puis successivement celles de Tsoul, Mekenèsa, Bathouya, Fechtâla, Sedrata, Behloula et Mediouna ; il fixa le tribut de chacune d’el­ les et leur envoya des garnisons. Il accorda la paix aux habitants de Fès, de Mekenès, de Rabat-Taza et d’Al-Kassar Abd el-Kerym (Al-Cassar), moyen­ nant un tribut annuel, s’engageant de son côté à veiller à la sécurité du pays et à les défendre contre les attaques des Kabyles. En 620, l’émir Abou Saïd fit une expédition dans le pays de Fezaz, et il harcela les tribus Djenata qui l’habitaient, jusqu’à les avoir réduites à

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    soumission et avoir corrigé leurs habitudes de pillage et de crimes. En 621, il fit une razia dans le Fahs Azghâr(1), dont il battit et dépouilla les tribus. L’émir Abou Saïd était grand guerrier, plein d’ardeur et de courage, doué d’un esprit solide ; son commandement était ferme ; il était généreux pour ses amis, mais vindicatif et terrible pour ses ennemis ; secourable pour ses voisins, modeste, religieux et vertueux aux yeux de tous, respectant les docteurs et vénérant les saints, suivant en tout la voie tracée par son père, dont il ne s’écarta jamais jusqu’à sa mort. (Que Dieu lui fasse miséricorde!) Il fut assassiné en 638 (1240 J. C.) par un renégat qu’il avait, élevé tout jeune, et qui le frappa d’un coup de poignard à la gorge ; il mourut instan­ tanément. La durée de son règne sur les Beny Meryn et les campagnes du Maghreb, depuis son élection à la mort de son père, fut de vingt-trois ans et sept mois.

    RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU MAHROUF MOHAMMED BEN ABD EL-HAKK.

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    Aussitôt après la mort de l’émir Othman, les cheïkhs Meryn réunirent leurs voix en faveur de son frère Mohammed, qu’ils proclamèrent en lui jurant obéissance et fidélité durant la paix comme à la guerre, et ils lui con­ fièrent le soin de leurs affaires. L’émir Mohammed suivit les traces de son frère et conquit de nouvelles terres sur les montagnes et dans, les plaines du Maghreb. Grand guerrier, courageux et redoutable, Dieu l’assista dans ses conquêtes. Il était plein d’instruction ; son gouvernement fut sage, et il fut toujours entouré de la vénération de ses sujets obéissants ; il n’eut pas de plus chère, occupation que la guerre, dont il connaissait l’art et les ruses. C’est ce qu’un poète a dit ainsi : «Mohammed, habile dans ses affaires, ne passa pas un jour sans combattre ; associé de la guerre et des batailles, qui dira le nombre de guerriers qui se mesurèrent avec les siens ? Combien de légions se heurtèrent contre ses légions, et combien il détruisit d’armées ? Ses jour et ses nuits ne furent qu’une longue bataille ; mais il fut toujours victorieux et assisté par Dieu.» A toutes ses qualités guerrières, l’émir Abou Mahrouf joignait une grande bénédiction ; sa main était des plus heureuses. Doué d’un bon caractère, il était. sage, instruit, réfléchi, sincère et persévé­ rant ; il n’entreprenait rien sans l’achever ; s’il donnait, il donnait suffisam­ ment, et il n’abusait jamais de sa force. Il ne cessa de faire la guerre aux Almohades et de les avilir de plus en plus jusqu’en 642, où son gouverne­ ment prit un tel développement que Saïd l’Almohade s’en émut et envoya contre lui une armée de vingt mille cavaliers Almohades, Arabes, Haskoury et Chrétiens. A la nouvelle de l’approche de cette expédition, l’émir Abou

    ____________________ 1 Aujourd’hui Cherarda, entre le Sebou et Mekenès.

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    Mahrouf fit ses préparatifs, et les deux armées se rencontrèrent à l’endroit nommé El-Sakhrat Aby Byar, aux environs de Fès. La bataille fut sanglante et sans pareille ; elle dura depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil, et, le soir, l’émir Abou Mahrouf fut tué sur le champ de bataille par un chef chré­ tien. Son cheval s’étant abattu sous lui, le chrétien n’en tint pas compte et lui porta le coup mortel. (Que Dieu lui fasse miséricorde) Les Beny Meryn, battus, disparurent tous pendant la nuit, emportant avec eux leurs bagages, leurs familles et leurs trésors. Au point du jour, ils arrivèrent, au Djebel Ghyâtha, où ils se retranchèrent pendant quelque temps. La mort de l’émir About Mahrouf eut lieu le jeudi 9 de djoumad el-tâny, an 642 (1244 J. C.). Son frère, l’émir Yhya ben Abd el-Hakk, lui succéda.

    RÈGNE DE L’ÉMIR TRÈS-ILLUSTRE ABOU YHYA BEN ABD EL-HAKK.

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    L’émir Abou Beker ben Abd el-Hakk ben Mayou ben Abou Beker ben Hamâma fut prénommé Abou Yhya. Sa mère était une femme libre, descen­ dante d’Abd el-Ouahed, Il avait de teint blanc et rose, une belle taille, la peau fine, une jolie figure et la chevelure épaisse ; il se servait indistinctement des deux mains, et frappait deux coups de. lance en même temps. Cavalier accompli, il fut le plus grand guerrier de son époque ; énergique, ardent et résolu, nul n’était si terrible au combat et nul n’avait son, adresse ; il combat­ tait dans les rangs mêmes de ses soldats, et les meilleurs guerriers craignaient de se mesurer avec lui. Ces qualités ne l’empêchaient pas d’être bienfaisant et généreux comme le nuage qui donne l’abondance, et jamais émir ne répandit tant de bien autour de lui. Fidèle à sa parole, il tenait toujours ses promesses ; en un mot, il l’emportait sur tous les rois de la terre par son courage, sa générosité et sa sincérité. Il fut le premier des émirs Beny Meryn qui organisa son armée et son camp, et qui fit battre le tambour et déployer ses drapeaux. Maître des villes et des campagnes, il assura le gouvernement, et, avec l’as­ sistance de Dieu, il fut l’heureuse égide des Beny Meryn. Après sa proclamation, il commença par rassembler les cheïkhs Beny Meryn, et il leur divisa le commandement des provinces du Maghreb, en donnant à chacun une certaine étendue de terres que personne ne pouvait plus revendiquer. Il donna pour instructions, à chacun de ses nouveaux kaïds, de munir leurs hommes de chevaux et de préparer des troupes pour la guerre; ensuite il se rendit lui-même au Djebel Zraoun, où il campa avec ses proches et ses compagnons. De là, il harcelait continuellement, jour et nuit, la ville de Mekenès, dont il finit par s’emparer en l’an 643, sous le gouver­ nement de Saïd l’Almohade ; il entra en paix. dans la place, qui lui fut livrée volontairement par Je cheïkh Abou el-Hassen ben Abou el-Afya. L’émir Almohade Saïd, en apprenant la prise de Mekenès, se mit en campagne

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    et sortit de Maroc avec une armée. considérable de légions Almohades, de Mesmouda, Arabes et Chrétiens; il arriva sur les bords de l’Oued Beth, où il campa, menaçant pour l’armée d’Abou Yhya. Celui-ci sortit une nuit de Mekenès seul et incognito pour venir s’assurer par lui-même de la position des troupes Almohades ; il pénétra secrètement dans le camp ennemi, et, ayant examiné le nombre et les forces de ses ennemis, il comprit qu’il ne pouvait pas se mesurer avec eux, et il battit, prudemment en retraite en aban­ donnant le pays et la ville. Ayant rallié tous les Beny Meryn, il s’en alla avec eux dans le Rif, où il se fortifia dans le château de Tazouta. L’émir Saïd, à son arrivée sous les murs de Mekenès, fut reçu par les habitants, qui vinrent au-devant de lui avec leurs femmes et leurs enfants pour implorer son aman qu’il leur accorda. Alors il se rendit à Fès et campa sous ses murs du côté du Midi. Les cheïkhs de la ville sortirent en corps pour le complimenter et le prier d’entrer dans leurs murs. L’émir les accueillit avec faveur, mais il refusa de s’arrêter, et il s’en alla camper sous les murs de Rabat-Taza. Là il reçut l’acte de soumission de l’émir Abou Yhya, qu’il agréa, et en réponse il lui écrivit qu’il lui accordait l’aman, ainsi qu’à tous les Beny Meryn, à condition qu’il lui enverrait un corps de cinq cents de leurs meilleurs. cava­ liers pour servir auprès de lui. Abou Yhya lui répondit alors : «O émir des Musulmans ! retourne dans ta capitale et confie-moi quelques renforts, si tu veux que je te débarrasse de Yaghmourasen et que je te rende maître de Tlemcen et de ses dépendances.» L’émir Saïd fut sur le point de consentir à ces offres ; mais il consulta ses ministres, qui lui dirent : «O émir des Musulmans ! garde-toi bien d’une pareille imprudence. Souviens-toi que les Zenèta sont frères des Zenèta, et que celui-ci, au lieu de faire ce qu’il te dit, pourrait bien, au contraire, s’unir contre toi avec ceux qu’il te propose combattre.» En conséquence, l’émir lui donna l’ordre de rester où il était et de s’en tenir à lui envoyer le contingent demandé. Yhya, lui ayant expédié un corps de cinq cents de ses meilleurs cavaliers, l’émir Saïd s’en alla à Tlemcen et mourut sous les murs de la forteresse de Temzezdekt, où il assié­ geait Yaghmourasen ben Zyan. La nouvelle de cet événement fut apportée à l’émir Yhya par le corps des Beny Meryn qui étaient au service de Saïd, et qui lui donnèrent les détails de la mort de l’émir, de la défaite de son armée et du pillage de son camp. Yhya se mit aussitôt en marche et. se porta en toute hâte sur Mekenès, où il entra et dont il prit le gouvernement. Après être resté là durant quelques jours, il s’en alla à Rabat-Taza, dont il s’empara, ainsi que de toutes les forteresses de la Moulouïa, et cela durant le; mois de safar 646. Dans les derniers jours de râby el-tâny de cette même année, il se rendit maître de Fès et fit son entrée dans cette capitale, accueilli de bon gré par les habitants, qui avaient envoyé leurs cheïkhs au-devant de lui avec

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    l’acte de leur proclamation, qui lui fut remis à la chapelle. située au dehors du Bab el-Cheryah. Le premier qui le proclama fut le vertueux et saint Abou Mohammed el-Fechtâly, et il fut suivi par les docteurs et les cheikhs. Le cheïkh Abou Mohammed el-Abbés sortit de la kasbah avec ses femmes et, ses enfants, et l’émir Abou Yhya, lui ayant accordé l’aman, le fit accompa­ gner par une escorte de cinquante cavaliers jusqu’à l’Oued Oum el-Rebya. L’entrée d’Abou Yhya à Fès eut lieu vers dix heures du matin, le jeudi 26 de raby el-tâny, an 646, deux mois après la mort de Saïd. C’est ainsi que le gouvernement du Maghreb passa dans ses mains. Aussitôt qu’il fut maître de l’empire et de l’armée, les troubles s’apaisèrent, la sécurité des routes et l’abondance revinrent, le commerce reprit son mouvement. Les Kabyles reçurent ordre de rester sur leurs terres, de repeupler les villages et les hameaux abandonnés, et de se livrer à l’agriculture. Les denrées se donnèrent à bon marché, et l’émir organisa toutes les affaires de ses sujets; il confia à son frère Yacoub le commandement de Taza et de toutes les for­ teresses de la Moulouïa, et il demeura lui-même à Fès pendant une armée entière, occupé à recevoir les députation qui venaient vers lui de tous côtés. Au mois de raby el-aouel 647 (1249 J. C.), l’émir Yhya sortit de Fès pour se rendre à la mine d’El-Aouam, dans le Fezaz, et laissa le com­ mandemFent de la ville à l’affranchi El-Saoud ben Kharbâch El-Hachemy. Dès qu’il se fut éloigné, les cheïkhs de la ville se réunirent chez le kady Abou Abd er-Rahman el-Moughyly, et ils décidèrent de renverser l’émir Abou Yhya, de tuer El-Saoud, son lieutenant, et d’envoyer leur soumission à Mourthadhy, en gouvernant eux-mêmes la place jusqu’à son arrivée. Étant tous tombés d’accord, ils envoyèrent chercher Chedyd, le général des Chré­ tiens, pour lui faire part du complot. Le kaïd Chedyd commandait à Fès, pour les Almohades, une garnison de deux cents cavaliers chrétiens, lorsque les Beny Meryn s’emparèrent de cette capitale ; aussi il était resté très-fidèle aux Almohades qui l’avaient ainsi élevé ; dès qu’il parut, les conjurés lui dirent : «Faites périr le nègre El-Saoud, et prenez le commandement de la ville ; vous adresserez ensuite notre proclamation au Mourthadhy, et vous lui demanderez de nous envoyer un gouverneur.» Le chrétien, ayant partagé leur avis, promit de les défaire du nègre. En conséquence, le 22 de chouel 647, au matin, les cheïkhs se ren­ dirent à la kasbah pour souhaiter le bonjour à l’affranchi El-Saoud ; ils le saluèrent et s’assirent auprès de lui. Puis, Saoud ayant entrepris de leur adresser des reproches, ils lui ripostèrent avec colère, et, s’étant levés, ils appelèrent à eux le kaïd chrétien qui était posté avec ses soldats non loin du pavillon où Saoud venait de leur donner audience. El-Saoud et quatre de ses gardes furent tués, et leurs têtes, placées au bout de piques, furent

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    promenées dans les rues et sur les marchés de la ville. Les cheïkhs enva­ hirent le palais et pillèrent tout ce qui s’y trouvait, vêtements, argent et femmes, qu’ils se partagèrent; puis ils fermèrent les portes de la ville et envoyèrent leur proclamation au Mourthadhy. A cette nouvelle, l’émir Abou Yhya revint en toute hâte; mais il trouva les portes closes et les cheikhs prêts à faire résistance. Il les assiégea pendant sept mois, sans succès, et ayant appris alors que Yaghmourasen ben Zyan était sorti de Tlemcen pour s’emparer de Rabat-Taza, il laissa sous les murs de Fès une partie des Beny Meryn pour continuer le siége et inquiéter nuit et jour les assiégés par des combats incessants, et il se mit en marche contre Yaghmourasen. Il le ren­ contra à l’Oued Isly, aux environs d’Oudjda, et à l’issue d’une forte bataille, Yaghmourasen vaincu s’enfuit en abandonnant ses trésors et son camp, dont l’émir s’empara. Les principaux Beny Abd el-Ouahedy furent tués dans cette affaire. L’émir revint alors sur Fès, où il arriva dans le courant de djou­ mad el-tâny, an 648 (1250 J. C.). Il redoubla les rigueurs du siége et la vio­ lence des attaques, et les habitants, désespérés, frappèrent, dans leurs mains, se sentant perdus, puisqu’aucun chef Almohade ne venait les soutenir. Ils comprirent enfin leur erreur, et, ne pouvant prolonger plus longtemps leur résistance, ils envoyèrent un message à l’émir Abou Yhya pour implorer son pardon et l’aman. L’émir leur fit grâce, à condition qu’on lui rendrait, jus­ qu’à la dernière pièce de l’argent qui avait, été pillé, c’est-à-dire 100,000 dinars en or. Ceci étant convenu, ils ouvrirent les portes à l’émir, qui fit son entrée solennelle et triomphante en ville, le 23 de djoumad et-tâny de ladite année. Au bout de quelque temps, dans les premiers jours de radjeb, voyant qu’on ne s’empressait pas de lui compter l’argent, et qu’en maintes circons­ tances on avait même manqué au respect qui lui était dû, il fit arrêter les cheikhs, les chefs et les nobles ; et les mit aux fers en leur demandant la res­ titution de l’argent et de tous les effets qui avaient été, pillés dans le palais. Un de ces cheikhs, nommé Ben el-Khebâ, lui dit : «Ceux qui ont fait tout le mal étaient seulement six, pourquoi devons-nous tous être punis également? En faisant ce que je vais te dire, tu ne seras que juste. — Et qu’est-ce donc que tu vas me dire ? lui répondit l’émir. — Le voici : fais d’abord trancher la tête aux six qui ont causé les troubles, et alors ce sera à nous qu’il appartien­ dra de te rendre l’argent que l’on t’a pris. - En vérité, reprit l’émir, tes paro­ les sont justes ; et aussitôt il condamna à mort les six principaux cheikhs, savoir: le kady Abou Abd er-Rahman le Moughyly et son fils, El-Moucher­ ref ben Dacher et son frère, Ben Aby Thâta et son fils. Il confisqua leurs biens et leurs trésors, et ils furent exécutés au sortir du Bab el-Cheryah, le dimanche 28 de redjeb susdit, 648. Alors il se fit rembourser par tous les autres cheïkhs, que ce coup abattit au point que nul d’entre eux n’a plus

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    osé relever la tête jusqu’à ce jour. En 649 (1151 J. C.), l’émir Abou Yhya s’empara de la ville de Salé, et il en confia le, gouvernement, à son neveu Yacoub ben Abd el-Hakk. En 653, il défit El-Mourthadhy au Djebel Behloul, aux environs de Fès ; il enleva tout ce qui se trouvait dans son camp, trésors, bagages, tentes, pavillons, chevaux et chameaux, et les Beny Meryn s’enrichirent considérablement de ses dépouilles. En 655 (1257 J. C.), l’émir Abou Yhya conquit Sidjilmessa et le Drâa. Yaghmourasen désirant enlever ces possessions au Mourthadhy, s’en était rapproché avec une grande armée de Beny Abd el-Ouahed et d’Arabes, et en apprenant cela, l’émir Abou Yhya, qui se trouvait, à Fès, rassembla aussitôt ses soldats Beny Meryn, et marcha sur Sidjilmessa où il trouva Yaghmoura­ sen déjà campé sous les murs du Bab Tahsena. Il y eut entre eux une grande bataille, à l’issue de laquelle Yaghmourasen battu prit la fuite pour Tlemcen, en renonçant à ses projets contre Sidjilmessa et le Drâa. L’émir Abou Yhya s’empara alors de tout ce pays, et il y demeura le temps nécessaire pour y organiser son gouvernement; ensuite il en confia le commandement à Abou Yhya el-Ketrany, auquel il donna ses instructions, et il revint à Fès. C’est ainsi qu’il agrandit son empire et le nombre de ses troupes, qu’il assura la tranquillité du pays et dispersa les pervers, qu’il vit s’accroître la population et disparaître les fauteurs de troubles. Au mois de radjeb 656 (1258 J. C.), il tomba malade à Fès et mourut quelques jours après, de sa mort naturelle ; il fut enterré en dedans du Bab el-Djezyryn, une des portes de l’Adoua el-Andalous, auprès du tombeau du cheïkh vertueux Abou Mohammed el-Fechtâly, pour être couvert de sa bénédiction, ainsi qu’il l’avait bien recommandé durant sa vie. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Son règne, depuis le jour de sa proclamation après la mort de Saïd, au commencement de l’an 646, jusqu’à sa mort en radjeb 656, avait duré dix ans et un mois. A la mort de l’émir, le gouverneur de Sidjilmessa El-Ketrany se révolta et se rendit indépendant ; il fut proclamé par la population, et resta émir pendant deux ans; il fut tué, en 658. Alors le gouvernement de cette ville fut pris par Aly ben Omar, lieutenant d’El-Mourthadhy, au nom duquel il la commanda pendant trois ans et demi, jusqu’à sa mort en 662. Les Arabes el-Melâbat s’en emparèrent à cette époque au nom de Yaghmourasen ben Zyan qu’ils proclamèrent, et qui leur envoya un gouverneur des Beny Abd el-Ouahed. Le gouvernement de Sidjilmessa resta à Yaghmourasen jus­ qu’au moment où l’émir des Musulmans Abou Youssef Yacoub ben Abd elHakk y pénétra, le dernier jour du mois de safar, au 673 (1274 J. C.).

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    RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU YOUSSEF YACOUB BEN ABD EL-HAKK BEN MAYOU BEN ABOU BEKER BEN HAMAMA BEN MOHAMMED LE ZENÈTA.

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    Sa mère, femme légitime, se nommait Oum el-Iman (mère de la foi), et elle était fille d’Aly el-Bethary, le Zenèta. Lorsqu’elle étant encore jeune fille, elle vit en songe la lune se lever de son sein et monter au ciel, d’où elle répandit sa lumière sur toute la terre. Elle raconta aussitôt ce rêve à son père, qui s’empressa de se rendre chez le cheïkh, le saint Abou Othman elOuaragly, auquel il le communiqua. Celui-ci lui répondit : «Si tu dis vrai, le rêve de cette jeune fille signifie qu’elle enfantera un grand roi, saint et juste, qui couvriras ses sujets de bienfaits et de prospérités ; et cela fut ainsi. En la donnant en mariage à l’émir Abou Mohammed Abd el-Hakk, Aly elBethary lui dit : «Ma fille te porte avec elle la bénédiction de Dieu, car elle est, bienheureuse, et elle fera ton bonheur en te donnant un fils qui sera un grand roi, qui couvrira, ta nation de gloire jusque dans les derniers siècles.» Yacoub vint au monde en 607, et selon d’autres en 609 ; il fut prénommé Abou Youssef, et surnommé El-Mansour Billah. Il était blanc, haut de taille et fort, il avait urne belle figure, les épaules larges, la barbe longue et blan­ che comme la neige ; affable, bienveillant, généreux, puissant, clément et pieux, jamais ses enseignes ne furent battues. Jamais il ne combattit un ennemi sans l’abattre, ni une armée sans la défaire ; jamais il n’attaqua une place sans s’en emparer. Jeûnant toujours, il ne cessait de prier le jour, et la nuit, et ses mains quittaient rarement le chapelet; il faisait du bien aux saints, les vénérait et fréquentait leurs zaouïas; il leur rendait compte de la plupart de ses affaires, qu’il dirigeait selon leurs conseils, pour le bien des Musulmans. Il aimait à soulager les pauvres , et les nécessiteux. En prenant les rênes du gouvernement, il consolidai les affaires, et aussitôt après il fit construire des hôpitaux pour les malades et pour les fous; il pourvut à tous les frais nécessaires à leur entretien, et il donna ordre aux médecins de leur faire deux visites par jour, une le matin, une le soir ; le tout aux frais du bit el-mal. Il en fit autant pour les lépreux, pour les aveugles et pour les fakyrs, auxquels il alloua des secours tirés de la Djezya des juifs. (Que Dieu les maudisse !) Il bâtit des écoles et y établit des tholbas pour y lire le Koran et d’autres pour étudier les sciences; il leur fit des traitements mensuels. Tout cela pour mériter les récompenses du Très-haut, qui lui inspirait toutes ces bonnes œuvres. Ses kadys à Fès furent le fekhy Abou el-Hassen ben Ahmed, connu sous le nom de Ben el-Azâz ; le fekhy Abou Abd Allah ben Amrân, le fekhy Abou Djaffar el-Mezdaghy et le fekhy Abou Oumaya el-Delaghy. Ceux de Maroc furent le docte, le conseiller Abou Abd Allah Chérif et, le fekhy Abou

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    Farès el-Amrâny. Il eut pour ministres le cheikh Abou Zekeria Yhya ben Hazym el-Alaouy, le cheikh Abou Aly Yhya ben Aby Madjan el-Haskoury et le cheïkh Abou Salem Fath Allah el-Sederaty ; pour hadjeb, le kaïd Athyk, et, pour secrétaires, les fekhys Abou Abd Allah el-Kenâny et son frère Abou Thaïeb Sâd el-Kenâny, et le fekhy Abou Abd Allah Aby-Medyan el-Oth­ mâny. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) L’émir Yakoub fut proclamé khalife huit jours après la mort de son frère Abou Yhya, le 27 de radjeb 656, à l’âge de quarante-six ans ; il assura son gouvernement et soumit tout le pays, depuis le Sous el-Aksa jusqu’à Oudjda, et il mit fin au règne des Almohades, dont il effaça les dernières traces ; il conquit également Sidjilmessa, le Drâa et la ville de Tanger ; il fut proclamé par les habitants de Ceuta, qui lui payèrent un tribut annuel ; il passa en Andalousie pour faire la guerre sainte, et il y gouverna plus de cin­ quante forteresses entre villes et châteaux, au nombre desquelles il comptait, Malaga, Ronda, Algéziras, Tarifa, El-Mounkâb, Merbâla et Ochouna(1), ainsi que tous les forts, les villages et les tours compris entre ces places. On fit le khotbah en son nom dans toutes le chaires du Maghreb, et il fut le premier des rois Beny Meryn qui combattit pour l’Islamisme, qui renversa les croix et subjugua les pays chrétiens, dont il abattit les rois et pilla les palais. Dieu très-haut se servit de lui pour relever la religion et faire briller le flambeau de l’Islam. Avant lui, les Chrétiens avaient étendu leurs bras et pris la plu­ part des pays de l’Andalousie, où les Musulmans n’avaient plus remporté de victoires depuis le désastre de l’Oukab, en 609 ; ils ne se relevèrent que lors­ que ses drapeaux victorieux et son animée passèrent en Andalousie, en l’an 674 (1278 J C.). C’est ainsi qu’il gouverna les deux Adouas et régna double­ ment ; il fit. des expéditions célèbres, des actions mémorables ; ses faits et ses vertus le glorifièrent. Pieux, religieux et juste, il combla les Musulmans de bienfaits, il renversa les ennemis de Dieu, et telle fut la voie qu’il suivit jusqu’à sa mort. Voici quelle était la vie habituelle de l’émir Yacoub ben Abd el-Hakk: il passait un tiers de la nuit à lire le koran et récitait ses prières et son cha­ pelet jusqu’au lever du soleil ; ensuite il étudiait les livres de morale et d’histoire, entre autres le Fetouh el-Cham (conquêtes de Syrie), et il écrivait lui-même de très-belles pages : cela l’occupait jusqu’à dix heures; il faisait alors sa prière et se: remettait au travail ; il expédiait de sa propre main ses lettres et ses ordres, ensuite il donnait audience et présidait le conseil des cheikhs Beny Meryn, qui l’entouraient comme les perles étoilées entourent la lune. A midi, il se rendait à la chapelle, et il y restait jusqu’à trois heures; de là, il passait dans la salle de justice, où il jugeait le bien et le mal jusqu’à

    ____________________ 1 Aujourd’hui Almuñecar et Ossuna.

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    l’heure de la prière du soir, après laquelle il congédiait ses ministres et ses serviteurs, et il se retirait dans son intérieur, où il s’endormait pour rêver à la guerre sainte contre les Chrétiens. Après avoir consolidé son gouvernement, l’émir Yacoub ben Abd elHakk sortit de Fès et se rendit à Rabat-Taza (Tafersyft), où il prit des infor­ mations sur Yahgmourasen ben Zyan ; il entra dans cette place le 1er du mois de châaban 658, et y demeura jusqu’au 4 de chouel, jour où il apprit que les Chrétiens s’étaient emparés de Salé par surprise l’avant-veille, le 2 de chouel, et qu’ils y massacraient les habitants, dont ils enlevaient les femmes et pillaient les biens. Il partit aussitôt en toute hâte et arriva tout d’une traite sous les murs de Salé ; il sortit de Rabat-Taza à l’heure même (l’Asser) où les nouvelles lui parvinrent, avec une cinquantaine de cavaliers, et le lende­ main, à la même heure, il faisait sa prière sous les murs de Salé, où il était ainsi arrivé en vingt-quatre heures, il tomba sur les Chrétiens qui rôdaient aux environs, et, en rien de temps, il se vit entouré d’une armée musulmane, formée des contingents de toutes les tribus du Maghreb ; il assiégea les Chrétiens et les resserra sans cesser de les battre jour et nuit, jusqu’à ce qu’il se fût emparé de la ville, d’où ils furent ainsi chassés, après y être restés pen­ dant quatorze jours. C’est alors que l’émir fit bâtir les murailles et les forti­ fications qui donnent sur la rivière et qui n’existaient pas à cette époque, où les Chrétiens entrèrent, justement par ce côté ouvert. Les premiers travaux furent ceux du dar el-sanâa(1) (arsenal, donnant sur la mer. Yacoub assistait même aux travaux qu’il dirigeait et auxquels il prenait part de ses propres mains pour mériter les récompenses magnifiques de Dieu en s’humiliant ainsi et en dotant les fidèles d’ouvrages protecteurs. En cette même année, l’émir Yacoub s’empara de la province de Temsena et de la ville d’Anfâ(2). C’est là qu’il reçut les présents d’El-Mour­ thadhy, émir de Maroc, lui demandant la paix qu’il lui accorda, en conve­ nant que la frontière de leurs états respectifs serait marquée par l’Oued Oum el-Rebya. L’auteur du livre (que Dieu lui soit en aide !) reprend son récit : Durant l’année de l’avènement de l’émir des Musulmans Abou Youssef, le Très-Haut répandit sa bénédiction sur le peuple du Maghreb et le combla de bienfaits. Les habitants jouirent d’une prospérité et d’une abondance incon­ nues jusqu’alors. A Fès et dans les autres villes, la farine se vendit à un drahem le roubah, de blé à six drahem et l’orge à trois drahem le sahfa; les fèves et tous les autres légumes étaient sans prix, et nul n’en voulait. Pour un drahem, ou avait trois livres de miel ou quarante onces d’huile; les raisins, un drahem et demi le roubah; les dattes, huit livres pour un drahem, un sac

    ____________________ 1 Dar el-sanâa, maison du travail, de l’art, de l’industrie, d’où arsenal. 2 Anfâ, Anafé, aujourd’hui Dar el-Beyda, Casablanca.

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    d’amandes, un drahem; les aloses fraîches, un kyrath (un flous) la pièce ; le sel, un drahem la charge ; la viande de bœuf, cent onces pour un drahem; la viande de chèvre, soixante et, dix onces pour un drahem, un mouton entier pour cinq drahem. Et tout, cela à cause de la bénédiction de l’émir, de son habile gouvernement, de son admirable conduite et de ses bonnes intentions. En 659 (1260 J. C.), les rapports de l’émir des Musulmans et d’ElMourthadhy, émir de Maroc, s’aigrirent, et bientôt eut lieu l’affaire de l’Oum el-Rid-jeleïn, dans laquelle Abou Youssef battit complètement l’armée d’ElMourthadhy, composée d’Arabes, d’Almohades et de Chrétiens, dont les principaux restèrent sur le champ de bataille, et les survivants prirent la fuite en abandonnant tout à l’ennemi. El-Mourthadhy avait déployé toutes ses forces dans cette expédition, où il avait, réuni les principaux Almohades et leurs cheikhs avec les Arabes Hachem, khelouth, Soufyan, el-Aftah, Beny Djâber, Beny Hassân ; les kaïds chrétiens et andalous et les Alghzâz. A peine avait-il laissé quelques soldats à Maroc. Toute cette armée fut battue et aban­ donna armes et bagages, dont l’émir des Musulmans s’enrichit. En 66o (1261 J. C.), Abou Youssef se porta sur Maroc et vint camper sur le mont Djelyz, d’où il menaça la ville en déployant ses belles troupes avec grand apparat sous ses étendards flottants. El-Mourthadhy se retran­ cha dans la ville, dont il ferma les portes lui-même. C’est à ce sujet que le poète Abd el-Azyz a dit : «En l’an 660, le sultan Meryn est allé à Maroc ; victorieux, il s’arrêta au Djebel Djelyz, où il fit briller sa magnifique armée El-Mourthadhy, tremblant, s’enferma dans son propre palais, et les Arabes environnants vinrent battre et démolir les remparts de sa ville.» El-Mour­ thadhy envoya le sid Abou el-Olâ Edriss, surnommé Abou Debbous, pour livrer bataille. Le combat fut sanglant, et, dans la mêlée, l’émir Abd Allah, fils de l’émir des Musulmans Abou Youssef, fut tué. Cette perte fut, cause que l’émir Abou Youssef abandonna ses projets sur Maroc et revint à Fès, où il entra à la fin de radjeb, en 661. Dans la soirée du 12 de châaban de cette année parut une comète, qui se montra chaque nuit jusqu’à l’aurore, pendant environ deux mois. En cette même année, le célèbre chevalier Amar ben Driss passa la mer à la tête d’un corps d’armée de plus de trois mille cavaliers Meryn et volontaires pour aller faire la guerre sainte. L’émir des Musulmans lui confia sa bannière victorieuse et munit ses troupes d’armes, de chevaux et d’argent en leur donnant sa bénédiction. Ce fut la première armée des Beny Meryn qui passa en Andalousie.

    ___________________ 1 Oum el-Ridjeleïn (la mère aux deux pieds), nom donné en cette circonstance à l’Oued Oum el-Rebya, parce que le combat s’étant engagé dans le lit mène de la rivière, les traces des pieds des soldats restèrent sur des îlots que l’eau avait laissés à découvert.

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    En 662, (1263 J. C.), mort d’Abou el-Olâ Edriss ben Aby Koureïch, gouverneur de l’émir des Musulmans au Maghreb. En 663, le fekhy El-Azfy, gouverneur de Ceuta, envoya ses navires pour détruire les murs et les forts d’Asîla, de crainte que ses ennemis ne s’emparassent de cette ville et, ne s’y fortifiassent. En cette même ; année, l’émir des Musulmans se rendit aux environs de Maroc pour les saccager; mais, à son arrivée, il fut proclamé par tous les Arabes, qui habitaient les champs et le voisinage de cette capitale. Alors il rentra à Fès et s’y fixa. C’est à cette époque qu’El-Mourthadhy s’indisposa contre Abou Debbous, kaïd de l’armée, qu’il accabla de reproches en l’accusant d’entretenir des correspondances avec les Beny Meryn. En même temps, il voulut le faire arrêter ; mais Abou Debbous prit la fuite et vint à Fès auprès de l’émir des Musulmans, qui l’accueillit avec bonté, en lui disant : «O Edriss ! quel est le motif de ta venue ?» Il répondit : «J’ai fui devant la mort pour venir te demander aide et protection contre mes ennemis ; donne-moi des soldats Beny Meryn, leurs enseignes, leurs tambours et de l’argent. Pour suffire aux dépenses et je te rendrai maître de Maroc que nous partagerons par moitié.» L’émir lui accorda tout ce qu’il demandait aux conditions proposées, et ils engagèrent tous deux solennellement leur parole. L’émir donna à Abou Debbous cinq mille zenèta ; il lui confia les tambours et les enseignes, il le munit de chevaux, d’armes et de tout l’argent nécessaire pour les dépenses de la route ; il lui remit aussi des ordres écrits pour les tribus arabes et d’Askoura pour qu’elles aient à lui fournir leurs contingents, et il le congé­ dia après, lui avoir fait ses adieux. Arrivé à Askoura, Abou Debbous s’ar­ rêta et écrivit à ses proches, à Maroc, pour les prévenir de son arrivée et leur demander les renseignements de la situation. Ceux-ci lui répondirent: «Viens vite, les habitants sont occupés et les troupes sont éparses dans le pays ; saisis le moment, tu n’en trouveras plus d’aussi opportun» Abou Debbous se mit aussitôt en chemin et hâta la marche de ses troupes jusqu’à son entrée dans la capitale, qui eut lieu au moment où nul ne s’y attendait, vers dix heures du. matin, dans le mois de moharrem 665, par la porte ElSaliha; il s’établit dans le palais d’El-Mourthadhy, qui prit la fuite et fut tué au sortir de la ville. Peu de temps après, l’émir des Musulmans envoya un courrier à Abou Debbous, pour lui demander d’exécution de ses engagements ; mais celui-ci répondit à l’envoyé : «Va dire à ton maître qu’il n’y a entre nous d’autre engagement que le sabre, qu’il se dépêche de m’envoyer sa soumission et de me faire proclamer dans ses états, sinon je Viendrai le battre avec des légions dont il ne se doute pas. En recevant cette réponse, l’émir comprit qu’il avait eu affaire à un traître et un rebelle, et, étant aussitôt sorti de Fès, il vint

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    mettre le siége devant Maroc, dont il commença par saccager tous les envi­ rons. Abou Debbous, se voyant ainsi rigoureusement bloqué, tandis que ses champs furent dévastés, ses édifices détruits et son peuple réduit à la famine, écrivit à Yaghmourasen ben Zyan, pour lui offrir son alliance et lui deman­ der des secours contre Abou Youssef. Yaghmourasen , ayant accueilli ses propositions, se mit de suite à courir sur les terres de l’émir des Musulmans qui, à cette nouvelle, abandonna le siège et s’en alla en toute hâte vers Tlem­ cen pour venir l’attaquer lui-même, car il savait que de tout temps les Yagh­ mourasen avaient été des ennemis acharnés, et que celui-ci était des plus distingués chevaliers Zenèta. Étant rentré à Fès, il y demeura quelques jours pour donner le temps à ses troupes de se reposer, et il en sortit le 15 de moharrem 666 (1267 J. C.), en grande pompe, avec sa famille, ses tentes, ses Trésors, une armée innombrable et une magnifique cavalerie. A la nouvelle de son approche, Yaghmourasen sortit de Tlemcen pour le rencontrer, et la bataille s’engagea sur les bords de l’Oued Telagh. Les armes se choquèrent aux armes, les hommes aux hommes, les chevaux aux chevaux; des deux côtés les tentes et les familles se rangèrent. et formèrent une ligne, et les deux armées fon­ dirent l’une sur l’autre ; le combat fut sanglant, jamais on n’entendit pareil bruit ; les chevaux, percés de flèches, piaffaient de colère, et la rage empor­ tait les cavaliers. La bataille dura depuis le matin jusqu’à midi. Un grand nombre de Meryn eurent à déployer la grande patience, la résignation que l’on doit au Miséricordieux. Mais Dieu leur donna la victoire, et les Abd el-Ouahed furent détruits ou faits prisonniers sur les bords de cette rivière. Yaghmourasen, vaincu, prit honteusement la fuite, et son fils Omar, l’aîné de ses `enfants et son khalife, fut tiré. L’émir des Musulmans se mit à la poursuite des fuyards qui tombaient frappés par derrière à coups de lances ou de sabres. Yaghmourasen rentra à Tlemcen, vaincu, dépouillé, seul, aban­ donné, et les Meryn s’emparèrent de son camp et de tout ce qu’il possédait. La bataille de Telagh eut lieu le lundi 10 de djoumad el-tâny 666. L’émir des Musulmans rentra de cette expédition victorieux, content et plein d’ardeur contre Abou Debbous. Il demeura à Fès jusqu’au mois de châaban, et il se remit en campagne pour aller attaquer le traître. Les troupes arrivèrent tout d’une traite sur les bords de l’Oum el-Rebyâ, où elles campèrent. L’émir envoya de là des détachements dans tous les sens sur les terres d’Abou Deb­ bous, pour détruire les maisons et faucher les champs, et, le 1er de mohar­ rem 667 (1268 J. C.), il transporta son camp à l’Oued el-Abyd, où il resta quelques jours ; puis il saccagea les terres des Senhadja, et, revenant sur ses pas, il se tint aux alentours de Maroc jusqu’à la fin du mois de dou’l kâada. Cependant, les cheïkhs arabes et Mesmouda, s’étant réunis, se rendirent,

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    chez Abou Debbous auquel ils dirent : «Qu’attends-tu donc pour attaquer les Beny Meryn et marcher à leur rencontre, quand tu vois notre pays boule­ versé, nos biens pillés et nos harems violés ? Allons, lève-toi pour leur faire la guerre et ne crains pas d’aller les trouver, car ils sont en petit nombre, et la plupart de leurs guerriers sont restes Rabat-Taza pour garder cette place contre les Abd el-Ouahed qu’ils redoutent.» Abou Debbous se rendit à leurs exhortations et se mit à leur tête ; il sortit de Maroc avec une armée con­ sidérable d’Almohades, d’Arabes, de Chrétiens et de Mesmouda. A la nou­ velle de son approche, l’émir des Musulmans Abou Youssef se retira vers le Magreb, usant ainsi de ruse pour éloigner Abou Debbous de sa capitale. Celui-ci, en effet, en apprenant la retraite de l’émir, crut qu’elle était moti­ vée par la crainte qu’il lui inspirait, et il se mit à sa poursuite. Les, mouve­ ments furent tels, qu’à peine l’émir avait-il quitté un lieu de campement, Abou Debbous y arrivait avec son armée, et c’est ainsi que celui-ci suivit les traces de son ennemi jusque dans la vallée de l’Oued Aghfou ; là, Abou Youssef, faisant brusquement volte-face, marcha résolument contre lui ; les deux armées se rencontrèrent, et les Beny Meryn fondirent dans la mêlée comme des vautours ; ils déployèrent la grande patience, et le combat devint de plus en plus sanglant. Abou Debbous, certain d’une défaite, voulut se sauver à Maroc pour s’y renfermer et s’y fortifier ; mais dans sa fuite il fut atteint par un détachement de héros montés sur les meilleurs coursiers, qui lui coupèrent la retraite et l’attaquèrent vigoureusement. Il fut tué d’un coup de lance en se défendant, et son corps roula sous les pieds de son cheval. Sa tête fut coupée à l’instant et on l’apporta à l’émir des Musulmans, qui la déposa à ses côtés et rendit grâces et louanges à Dieux en se prosternant. Il expédia à Fès la tête d’Abou Debbous pour la donner en exemple au public, et il s’enrichit des dépouilles de tout le camp ennemi. Cela eut lieu le diman­ che 2 de moharrem 668. L’émir des Musulmans se rendit alors à Maroc, où il fit son entrée le dimanche suivant, 9 de moharrem, et il s’établit dans cette capitale. C’est ainsi qu’il réunit le gouvernement de tout le Maghreb. Le pays se tranquillisa, les affaires des Musulmans s’améliorèrent ; les routes devinrent sûres ; la paix, l’ordre et l’abondance régnèrent, partout, et l’on ne vit plus ni vols, ni assassinats, ni vices, ni débauche. En entrant à Maroc, il donna l’aman aux habitants et aux tribus envi­ ronnantes, qu’il combla de bienfaits et gouverna avec justice. Il envoya son fils, l’émir Abou Malek Abd et-Ouahed, dans le Sous et les régions méridionales, pour soumettre les rebelles et les bandits, et con­ quérir ce pays. Quand cela fut fait, Abou Malek revint à Maroc auprès de son père, qui éprouva une grande joie de son retour.

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    L’émir des Musulmans demeura à Maroc jusqu’au mois de ramadhan 669 (1270 J. C.), pour tranquilliser et organiser le pays. Le 1er de ce mois il se mit en marche pour aller, attaquer les Arabes dans le pays de l’Oued Drâa, où ils s’étaient déclarés indépendants; maîtres des forteresses et des châteaux, ils dévastaient les terres circonvoisines, dont ils massacraient les habitants et pillaient les richesses. L’émir les atteignit vers le indien dudit mois de ramadhan et les tailla en pièces, en leur enlevant leurs biens et leurs femmes ; il. conquit ainsi. tout l’Oued Drâa et ses forteresses ; une fraction des Arabes s’étant retranchée dans un lieu très-difficile, il les assié­ gea durant quelques jours ; puis ces rebelles ayant obtenu l’aman de son fils Abou Malek, il leur accorda leur pardon en ratifiant l’aman donné, et il ne resta plus un seul bandit dans tout le Draa. L’émir revint alors à Maroc, où il rentra vers le milieu de chouel de ladite année ; il y resta les derniers jours du mois, et il se mit en marche pour Rabat el-Fath, près de Salé, où il fit son entrée à la fin de dou’l kâada 669. Il y passa l’aïd el-kebyr, et ce jour-là même il proclama son fils Abou Malek pour lui succéder, en présence de tous les Beny Meryn. L’émir Abou Malek était un prince accompli en vertus, en courage et en générosité ; il était doué d’un caractère affable et noble ; il recherchait la société des hommes distin­ gués; il fréquentait les savants, les lettrés et les poètes dont il acquérait les connaissances; il avait fait un choix de docteurs pour former sa société et faire la conversation. Au nombre de ceux-ci étaient le kady Abou el-Hedjâdj ben Hakem, et le kady, le secrétaire Abou el-Hassam el-Moughyly, le fekhy respectable Abou el-Hakem Malek ben Markhal, le fekhy Abou Amran elTemymy, le fekhy Abou Farès Abd el-Azyz, et le poète Melzouzy. Grand amateur de la poésie et de la déclamation, il était lui-même improvisateur. L’émir des Musulmans, en proclamant son fils Abou Malek pour lui suc­ céder, indisposa une partie des fils d’Abd el-Hakk, qui s’enfuirent le soir même et gagnèrent dans la nuit le Djebel Aberkou, où ils se retranchèrent. C’était Mohammed ben Edriss ben Abd el-Hakk et Moussa ben Rahhou ben Abd el Hakk avec tous leurs fils et quelques-unes de leurs femmes. L’émir des Musulmans se unit aussitôt en mesure de les poursuivre ; il fit partir devant lui soit fils Abou Yacoub avec cinq mille cavaliers pour les envelop­ per sur ladite montagne ; le lendemain celui-ci fut rejoint par son frère Abou Malek, conduisant cinq mille autres cavaliers, et le troisième jour l’émir des Musulmans arriva lui-même avec tous ses soldats Meryn. Au bout de deux jours de siége, les rebelles firent leur soumission, en implorant l’aman, que Gémir leur accorda, à condition qu’ils s’en iraient tous à Tlemcen ; ils s’y rendirent en effet, et de là ils en Andalousie. En cette même année, Yacoub ben Djebyr el-Abd el-Ouahedy, qui

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    gouvernait Sidjilmessa au nom de Yaghmourasen, mourut d’une tumeur aux parties génitales. L’émir Abou Youssef entreprit une nouvelle expédition pour aller atta­ quer, à TLemcen, Yaghmourasen ben Zyan; il envoya son fils Abou Malek dans les provinces pour rassembler les contingents des tribus arabes el Mes­ mouda, et il sortit de Fès le 1er de Safar de ladite année 669 avec tourte l’armée. des Beny Meryn (que Dieu les fortifie !) ; il arriva sur les bords de l’Oued Moulouia, où il rampa quelques jours pour attendre l’émir Abou Malek, qui se joignit à lui avec une nombreuse armée d’arabes, de Hachem, d’Andalous, d’étrangers et de Chrétiens, tous bien organisés et disciplinés. L’émir resta encore trois jours. après l’arrivée de son fils, campé au même endroit pour passer en revue toute cette armée, et il se mit en marche contre Tlemcen. C’est au milieu de ces forces imposantes qu’il reçut un envoyé de Ben el-Ahmar, roi de Grenade, qui lui demandait de venir en Andalousie pour faire la guerre de religion et secourir les Musulmans, dont Alphonse (que bien le maudisse !) ruinait et saccageait les possessions. L’émir des Musulmans Abou ben Youssef (que Dieu lui fasse, miséricorde !) se rendit aussitôt sous la tente du conseil, où il réunit les cheïkhs Meryn et arabes, et, après les avoir mis au courant de la situation des Musulmans en Andalousie, il leur demanda leurs avis ; ceux-ci lui conseillèrent de faire la paix avec Yaghmourasen et de passer en Andalousie dès que le pays serait tranquille. En effet, l’émir envoya les cheïkhs de toutes les tribus Zenèta et arabes en députation auprès de Yaghmourasen pour lui demander la paix. En les con­ gédiant, il leur dit : «La paix est la meilleure des choses, et il est très-dési­ rable que Yaghmourasen l’accepte ; mais s’il la refuse et qu’il veuille la guerre, dites-lui que je suis prêt, et revenez de suite.» Les cheïkhs, étant arrivés chez Yaghmourasen, lui parlèrent donc de la paix dans les termes les plus engageants et les plus convenables ; mais celui-ci repoussa toutes leurs avances en leur disant : «Il n’y a pas de paix possible entre l’émir et moi depuis qu’il a tué mon fils. Par Dieu ! jamais je ne ferai la paix avec lui, et je le combattrai jusqu’à ce que ma vengeance soit assouvie dans l’anéantisse­ ment de tous ses états. Les émissaires, étant revenus auprès d’Abou Youssef, lui rapportèrent cette réponse, et, l’émir se mit immédiatement en marche, en demandant à Dieu de lui être propice et de lui accorder la victoire. A son approche, Yaghmourasen sortit de la ville avec toutes ses forces et s’avança avec des soldats nombreux comme des nuées de sauterelles. Les deux armées se rencontrèrent à l’Oued Isly, dans les environs d’Oudjda, et la bataille s’engagea avec fureur. L’émir des Musulmans plaça son fils Abou Malek à l’aile droite, son fils Abou Yacoub à l’aile gauche, et ils engagèrent les premiers le combat en soutenant ainsi leur père, qui occupait le centre.

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    La bataille, de plus en plus sanglante, dura jusqu’à la complète défaite de Yaghmourasen, qui eut son fils Farès tué et qui prit la fuite avec ses autres enfants à travers une grêle de coups de sabre. La majeure partie des Beny Abd el-Ouahed et des Beny Rachyd furent mis en pièces, ainsi que tous les Chrétiens qui combattaient avec eux, et il n’en serait pas resté un seul si les ténèbres de la nuit n’étaient venues interposer entre les deux armées. Yaghmourasen, abandonnant son camp. défait et livré au pillage, s’enfuit à Tlemcen, où il arriva comme ceux dont Dieu très-haut fait mention dans son livre : Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains et avec les mains des Croyants(1). Son camp, ses trésors, ses bagages furent incendiés. Le lendemain, l’émir des Musulmans ordonna la poursuite, et il arriva lui­ même à Oudjda, qu’il renversa et rasa jusqu’aux fondements, de manière à n’en pas laisser traces. La destruction d’Oudjda eut lieu vers le milieu de radjeb de l’an 670, et c’est au sujet de cet événement qu’ont été écrits les vers suivants dans quelque livre traitant de cette histoire : «Lorsque les che­ vaux se précipitent au combat, dites que cela vient de la puissance de Dieu, à qui nul ne peut se soustraire. Cette puissance est aussi le moteur qui a placé un fils à droite et l’autre fils à gauche de leur père qui s’avançait lui­ même au centre avec une fomidable armée. Comment pourrais-tu échapper maintenant ? Ô Yaghmourasen ! Tes yeux sont-ils enfin ouverts ou fermés encore, et aurais-tu ainsi chaque année un fils à livrer à la mort, un camp à abandonner au pillage et des tendres vierges à envoyer en captivité ?» Après la destruction d’Oudjda, l’émir des Musulmans se porta sur Tlemcen pour attaquer Yagmourasen. Aussitôt rendu, il entoura les murailles de la ville de son camp et commença le siège. Quelques jours après, l’émir Abou Zyan Mohammed ben Abd el-Kaouy el-Toudjyny arriva, à la tête d’une forte armée, avec tambours et enseignes ; l’émir des Musul­ mans alla à sa rencontre à cheval, escorté de son état-major, et ils se félici­ tèrent de leur jonction, qui allait leur permettre de redoubler les rigueurs du siège. Les Toudjyny, ennemis acharnés de Yaghmourasen, resserrèrent de plus en plus la place et se mirent à courir la campagne, saccageant les arbres, incendiant les jardins et fauchant les moissons, renversant tout et incendiant les villages, au point de ne plus laisser, dans tout ce pays, que les ronces et les joncs. Quand la dévastation fut achevée et que tous les parti­ sans de Yaghmourasen furent; détruits, l’émir des Musulmans invita Abou Zyan à. s’en retourner chez lui, et il Lui donna pour sa part du butin fait sur les Abd el-Ouahed, mille chameaux, cent chevaux, des vêtements, des tentes, des massues et des cuirasses.

    ____________________ 1 Koran. Ch. LIX : vers. 2.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    L’émir, craignant que Yaghmourasen ne s’élançât à la poursuite d’Abou Zyan, resta campé sous les murs de Tlemcen jusqu’au moment où il fut certain qu’il avait heureusement atteint l’Ouencherîs et ses foyers avec son butin, et alors il se mit lui-même en marche et revint au Maghreb, riche et victorieux ; il arriva à Rabat-Taza (Tafersyft) le 1er de dou’l hidjâ de l’an 670, et il y passa la fête du sacrifice (aïd el-kebyr) ; puis il se rendit à Fès, où il fit son entrée le III de moharrem de l’an 671 (1272 J. C.), et où il séjourna jusqu’au 11 du mois de safar. C’est à cette époque qu’il perdit son fils Abou Malek Abd el-Ouahed. Il en éprouva la plus vive douleur ; mais il se soumit à la volonté de Dieu et donna un bel exemple de résignation. Il se rendit à Maroc, où il entra le 1er de raby el-tâny, et il y demeura quelque temps pour mettre ordre aux affaires et pacifier les pays environnants ; ensuite il partit pour Tanger, sous les murs de laquelle il campa le 1er de dou’l hidjâ, et, commençant aussitôt le siége, il battit la place sans relâche du matin au soir pendant trois mois consécutifs. Depuis la mort du fils de l’émir Abou elYhya, Tanger était gouvernée par le fekhy Abou el-Kassem el-Azfy, maître de Ceuta, qui y demeurait avec ses cheïkhs. L’émir des Musulmans, voyant que le siége se prolongeait indéfiniment, s’était décidé à l’abandonner ; mais la veille de son départ un nouveau combat s’engagea entre les assiégeants et les assiégés, et, vers le soir, une troupe d’arbalétriers, apparaissant tout à coup sur l’un des forts de la ville avec les principaux chefs, appelèrent à eux les soldats du camp en agitant un drapeau blanc. Ceux-ci, accourant, s’emparèrent aussitôt du fort, et de là ils battirent les habitants durant toute la nuit. Le matin, quelques renforts d’arbalétriers et autres s’étant joints à eux, ils redoublèrent l’attaque, et les assiégés, ayant fait une brèche dans leurs murs, prirent la fuite pendant que les assiégeants entraient d’assaut. L’émir des Musulmans usa de sa clémence envers la population et fit aussitôt publier l’aman. Il ne mourut qu’un très-petit nombre de personnes, celles qui faisaient résistance aux troupes au moment où elles entraient, clans la place. Cette prise de Tanger et l’entrée de l’émir des Musulmans à l’assaut eurent lieu dans le mois de chouel, an 672 (1273 J. C.). Une fois maître de Tanger, l’émir envoya son fils, l’émir Abou Yacoub, à Ceuta pour y assiéger El-Azfy; mais, au bout de, quelques jours, celui-ci fit sa soumission et reçut l’aman, à condition qu’il payerait un tribut annuel. La paix ayant été ainsi réglée, About Yacoub s’en revint. Dans le mois de radjeb, l’émir des Musulmans se mit en campagne pour aller attaquer la ville de Sidjilmessa, qui était au pouvoir des Arabes el-Mounbat, et chez lesquels Yaghmourasen envoyait, chaque année un de ses fils pour percevoir les impôts. L’émir Abou Youssef étant arrivé avec son armée de Beny Meryn et d’Arabes, fit le siége de la place, qu’il battit et

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    resserra de plus en plus, faisant usage des balistes et autres machines de guerre. Les habitants, exaspérés, montaient sur les murs, d’où ils acca­ blaient les assiégeants d’injures et de malédictions. Ceux-ci frappèrent tant avec leurs machines qu’enfin ils démolirent un fort et firent une brèche par laquelle ils entrèrent d’assaut, malgré la résistance du gouverneur de la place, Abd el-Malek ben Hanîna, qui fut tué, ainsi que tous les Abd el-Oua­ hed et les Arabes Mounbat, qui étaient avec lui. La prise de Sidjilmessa eut lieu le vendredi 3 de raby el-aouel, 673, et, selon quelques versions, le 30 de safar de ladite année. L’émir des Musulmans fut clément envers la popula­ tion, à laquelle il accorda l’aman et dont il organisa le gouvernement. Après être resté quelques jours pour pacifier le pays, l’émir confia sa nouvelle con­ quête à un gouverneur et s’en revint. A son retour de Sidjilmessa, voyant qu’il ne restait plus un seul point du pays qui ne lui fût soumis, il proclama la guerre sainte. Peu de temps après, il reçut une lettre de ben el-Ahmar, qui le suppliait de venir secourir l’Andalousie, en lui faisant le tableau de la situation des Musulmans, journellement attaqués, massacrés ou faits prison­ niers. A l’arrivée de ce message, l’émir était déjà prêt à passer la mer pour la guerre sainte, et les envoyés de Ben el-Ahmar le pressèrent davantage, en lui disant : «O émir des Musulmans ! tu es le roi de l’Espagne et son défen­ seur ; c’est à toi qu’il appartient de rendre la victoire aux Musulmans et d’aider les faibles ! «Qui combattra pour l’Islamisme si ce n’est, toi ?» Le cheïkh Abou Abd Allah ben el-Ahmar, en mourant, avait bien recommandé à son fils d’appeler à son secours l’émir des Musulmans et de lui donner, en échange, tout le pays qu’il demanderait. L’émir des Musulmans, se rendant à l’appel de Ben el-Ahmar, lui répondit favorablement et sortit de Fès.

    PASSAGE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS EN ANDALOUSIE POUR FAIRE LA

     GUERRE SAINTE ; SA PREMIÈRE EXPÉDITION

     DANS LE PAYS DES SOCIÉTAIRES.

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    L’auteur (que Dieu lui fasse miséricorde !) a dit : Après avoir reçu plusieurs courriers de Ben el-Ahmar, lui demandant du secours pour l’An­ dalousie, l’émir des Musulmans sortit de Fès le 1er de chouel an 673, et arriva à Tanger. Là, il envoya chercher le fekhy Abou Kassem el-Azfy et lui ordonna de rassembler des troupes pour la guerre sainte contre les socié­ taires, d’armer des navires pour leur passage en mer, et de faire un appel au zèle de tous les Croyants. Ensuite il donna à son fils l’émir Abou Zyan le commandement de cinq mille cavaliers des principaux Meryn et Arabes, et en lui confiant l’enseigne impériale, il lui recommanda de craindre Dieu dans son cœur et aux yeux de tous. Puis il lui dit adieu et l’expédia pour le Kessar el-Medjâz, où le fekhy Abou Kassem el-Azfy avait déjà préparé

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    vingt navires pour le passage des guerriers saints. L’émir Abou Zyan s’em­ barqua donc à Kessar el-Medjaz avec toute sa troupe, et débarqua le 16 de dou’l kâada, an 673, à Tarifa, où il demeura trois jours pour donner le temps aux hommes et aux chevaux de se remettre des secousses de la mer, et il se rendit à Bahyra, qu’il mit au pillage et dont il envoya le butin à Algéziras. De là, il poursuivit sa marche, tuant, pillant et renversant châteaux et vil­ lages, incendiant les moissons, abattant les arbres et bouleversant tout jus­ qu’à son arrivée à Xérès, sans qu’aucun Chrétien fût capable de l’arrêter, ni osât même se présenter à lui. Il envoya à Algéziras le butin et les prison­ niers enchaînés, et la population fit de grandes réjouissances, car c’était la première victoire que les Musulmans remportaient depuis la défaite d’ElOukab, en 609, où les Chrétiens anéantirent les Almohades. Dieu ayant frappé leur cœur de crainte par ce désastre, les Musulmans n’avaient plus osé combattre ni s’opposer aux Chrétiens., qui s’emparèrent de leurs terres, de leurs forts et de leurs châteaux, et marchèrent toujours de succès en succès jusqu’au moment où le drapeau victorieux de l’émir des Musulmans Abou Youssef passa la mer sous la protection de Dieu, pour relever l’Islam et confondre les adorateurs des images. Après avoir congédié son fils, l’émir Abou Zyan, avec. ses enseignes impériales pour l’Andalousie, l’émir des Musulmans envoya son petit-fils, l’émir Tachefyn ben Abd el-Ouahed, chez Yaghmourasen ben Zyan, pour traiter de la paix et faire alliance avec lui au nom de la défense de l’isla­ misme, afin de n’avoir rien à craindre pour ses frontières pendant qu’il serait en guerre sainte. En effet, la paix fut signée à Tlemcen par la volonté de Dieu et sa toute puissance, et le peuple de l’Islam se trouva ainsi réuni en un seul cœur. L’émir des Musulmans, plein de contentement, fit d»abondantes aumônes en actions de grâces au Très-Haut, et écrivit aussitôt aux cheïkhs des Meryn et aux tribus arabes, Mesmouda, Senhadja, Ghoumara, Ouaraba, Mekenèsa et autres du Maghreb, pour les appeler à la guerre sainte. En même temps il se rendit lui-même au Kessar el-Djouez et il commença l’em­ barquement de son armée, hommes, chevaux et bagages, pour l’Andalousie, où chaque jour il expédiait une partie des guerriers saints avec un corps des Beny Meryn. Les Croyants passèrent ainsi sans interruption, un navire après l’autre, et, lorsqu’ils furent tous débarqués sur les rivages andalous, leur camp occupait le rivage entier depuis Tarifa jusqu’à Algéziras. L’émir des Musulmans arriva lui-même sur les traces de ses troupes, qui ne s’y atten­ daient pas, et il débarqua sur la plage de Tarifa. Son passage eut lieu dans la matinée du 21 de safar, an 674. Il fit la prière du Douour à Tarifa et il se mit aussitôt en chemin pour Algéziras, où il trouva Ben el-Ahmar et Ben

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    Achkyloula, émirs de l’Andalousie, qui l’attendaient avec leurs soldats et, leurs enseignes. Après les avoir salués et entretenus quelques instants, il mit fin à la mésintelligence qui existait entre ces deux rois, qui firent la paix et dont les cœurs s’unirent par la grâce de Dieu et pour l’avantage des Musulmans. L’émir leur demanda la manière de faire la guerre contre les sociétaires, et leur donna congé pour retourner chez eux ; Ben el-Ahmar s’en alla à Grenade, et Ben Achkyloula à Malaga. L’émir des Musulmans se mit alors en expédition avec toute sa sainte armée, et marcha sans halte ni repos, sans s’occuper des manquants ni des retardataires, sans dormir ni manger jusqu’à son arrivée sur les bords de l’Oued el-Kebyr (Guadalqui­ vir), et cela pour ne point laisser aux Chrétiens le temps d’être informés de son arrivée. Il donna le commandement de l’avant-garde, composée de cinq mille cavaliers, ü son fils l’émir Abou Yacoub, auquel il confia le tambour et les enseignes, et l’armée établit son camp sur les bords du Guadalquivir, où elle s’abattit, comme la pluie ou comme des nuées de sauterelles ; les soldats ne laissèrent pas un arbre debout, pas un village sans le détruire, pas de butin sans le piller, pas de moissons sans les incendier, et ils dévas­ tèrent complètement, cette partie du pays, tuant les hommes, enlevant les femmes et les enfants. C’est ainsi qu’ils arrivèrent jusqu’au château fort d’El-Modovar, tuant, pillant, renversait, saccageant, incendiant tout sur leur passage et dans les campagnes de Cordoue, d’Abra et de Baëza; les Chrétiens furent tués par milliers innombrables, et leurs femmes et enfants furent faits prisonniers, dans la même proportion. Les Musulmans entrèrent à l’assaut dans la forteresse de Belma(1), et ils s’emparèrent de tous les tré­ sors qu’elle contenait. C’est ainsi que les mains des Beny Meryn se rem­ plirent de butin. L’émir des Musulmans ayant donné ordre de réunir toutes les prises, l’on rassembla les bœufs, les chevaux, les bêtes de somme, les prisonniers, les Chrétiennes et les enfants, les bagages et les vêtements, en si grande quantité que les plaines et les collines en étaient couvertes, sans qu’il fût possible d’en faire le compte. Alors l’émir donna ordre de pous­ ser tout le butin devant lui, et il s’en alla dévastant toujours, et mettant le feu partout, au point que tout le pays semblait éclairé par les rougeurs de l’aurore ; le butin s’augmenta encore, et les troupeaux roulaient comme les eaux d’un fleuve. L’émir s’avança ainsi jusque sous la ville d’Estidjà(2), là il reçut, un courrier qui l’informait que tous les Chrétiens réunis à leurs chefs s’avançaient sous la conduite de Doun Nouna à la poursuite des Musul­ mans, et que ce jour même ils devaient arriver pour l’attaquer, et lui enlever le butin qu’il avait en son pouvoir.

    ____________________ 1 Huelma. 2 Ecija.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    RÉÇIT DE LA CAMPAGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU-YOUSSEF CONTRE DOUN NOUNA(1), GÉNÉRAL DES CHRÉTIENS.

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    En arrivant à Estidjà, l’émir des Musulmans cerna la place en l’en­ tourant de son armée victorieuse et de tout le butin que Dieu lui avait accordé. C’est en ce montent qu’un courrier vint lui annoncer l’approche de Don Nuño à la tête de l’armée chrétienne. Il réunit aussitôt les cheïkhs des Beny Meryn pour délibérer en conseil sur les dispositions à prendre contre les Infidèles. Bientôt on vit apparaître la cavalerie et l’infanterie des Chré­ tiens en rangs et rangs et par milliers, conduites par le général Don Nuño, qui se tenait, au centre. Alphonse (que Dieu le maudisse !) avait confié le commandement de son armée et la garde de ses états et de ses affaires à ce général, sous la conduite duquel les Chrétiens n’avaient jamais été vaincus et avaient toujours prospéré en s’emparant de la plus grande partie des pays musulmans. Infatigable, Don Nuño avait fait des conquêtes considérables, et il ne cessait jamais de courir et d’inquiéter jour et nuit le pays. Le maudit s’avança donc pour attaquer l’émir des Musulmans, à l’ombre de ses ensei­ gnes, et au son des clairons, marchant en tête de son armée noire comme la nuit et s’avançant rangs par rangs, comme les vagues de la mer. Cavaliers et fantassins arrivèrent à sa suite à pas accéléré, les uns après les autres, prêts à l’attaque et au combat, brandissant leur, armes sur leurs chevaux harnachés et cuirassés de fer. Dès que l’émir des Musulmans les aperçut et eut remar­ qué leur manœuvre, il fit partir tout le butin sous l’escorte de mille des plus vaillants cavaliers des Beny Meryn, et il s’apprêta au combat avec tous ses guerriers saints. Il descendit de cheval, et, après avoir fait ses ablutions et récité deux rikha, il leva les mains et il prononça une invocation qui donna pleine confiance aux Musulmans, car elle était semblable à celle que le pro­ phète (que Dieu le comble de bénédictions !) récitait lorsqu’il menait ses compagnons au combat. «O Dieu ! rends cette armée victorieuse, accorde­ lui le salut et ton aide puissante pour combattre tes ennemis !» Après la prière, l’émir des Musulmans, remontant à cheval, rangea son armée en bataille. Il plaça son fils l’émir Abou Yacoub à l’avant-garde, et il parcourut les rangs des cheikhs Beny Meryn, des émirs arabes et des chefs des tribus, en leur disant : «O mes compagnons musulmans, armée de guerriers saints, c’est un grand jour celui-ci, et ce lieu va vous offrir la mort glorieuse des martyrs ! Déjà les portes du paradis sont, ouvertes, et les avenues célestes sont parées pour vous recevoir : tenez-vous prêts à y monter, car Dieu Très­ haut a acheté aux Croyants leurs biens et leurs personnes pour leur donner

    ____________________ 1 Don Nuño de Lara.

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    en retour le paradis(1). Du curage, compagnons musulmans, et soutenez le combat contre les sociétaires. Celui d’entre vous qui mourra, mourra en témoignant martyr, et celui qui survivra, survivra avec un riche butin et il sera récompensé et honoré. Soyez patients, luttez dé patience les uns avec les autres, soyez fermes et craignez Dieu. Vous serez heureux(2) !» Lorsque les Croyants entendirent ces paroles, ils se prirent à envier le témoignage (la mort) ; le cœur serré, ils se dirent adieu et se jetèrent dans les bras les uns des autres, résignés à mourir en espérant gagner le paradis. Ils redoublèrent leurs témoignages avec enthousiasme, et, pleins d’ardeur, ils s’écriaient: «En avant, les serviteurs de Dieu ! que pas un ne recule !» C’est ainsi qu’ils devancèrent l’attaque des Chrétiens et qu’us se précipitèrent sur l’armée ennemie. La bataille s’échauffa de plus en plus, et clans la mêlée on voyait tomber les Chrétiens comme si le feu du ciel les frappait. Ennemis de Dieu, ils furent taillés en pièces ; le sang ruisselait sur les lames de sabres qui séparaient leurs têtes de leurs corps. Les héros Meryn se précipitaient sur eux comme des lions furieux et les massacraient avec délices. Ils eurent aussi à faire usage eux-mêmes de la grande patience que le Miséricordieux recommande dans les combats, et c’est ainsi que Dieu donna la victoire à son armée, qu’il illustra ses chefs et prêta son secours à ses soldats. Le général infidèle Don Nuño fut tué, ses légions furent anéanties, et toute son armée fut abattue en un clin d’œil, si complètement qu’il ne resta pas une lance qui me fût brisée, pas une cuirasse qui ne fût mise en pièces, pas un seul homme pour raconter la destruction des autres. L’émir des Musulmans donna ordre de couper toutes. les têtes des Chrétiens tombés sur le champ de bataille et de les compter. On en rassembla ainsi dix-huit mille en un monceau qui ressemblait à une montagne, et au sommet duquel les muezzins montèrent pour appeler les Croyants à la prière. Les Musulmans firent leurs dévotions du Douour et de l’Asser sur le champ de bataille, au milieu des cadavres noyés dans le sang. L’émir des Musulmans s’informa alors de ceux qui avaient témoigné dans la bataille et pour lesquels Dieu avait ainsi avancé l’heure des grandes récompenses. Ils étaient au nombre de trente-deux, dont neuf Beny Meryn, quinze Arabes et Andalous, et huit volontaires. 1’émir leur fit donner la sépulture, en chantant les louanges du très-Haut et en lui rendant grâces. Cette bataille sacrée, dans laquelle Dieu gratifia l’Islam d’un butin magnifique et anéantit les adorateurs des images, eut lieu le 15 de raby el­ aouel (mois de lui naissance de notre seigneur Mohammed, que Dieu le comble de bénédictions !) de l’an 674. L’émir des Musulmans expédia aus­ sitôt des courriers dans toutes les directions, en Andalousie et dans l’Adoua.

    ____________________ 1 Koran, chap. IX : l’Immunité, vers. 112. 2 Koran, chape. III : la Famille d’Imran. vers. 200.

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    Ses lettres furent lues dans toutes les chaires et l’on fit partout de grandes réjouissances ; l’on distribua d’abondantes aumônes, et l’on rendit la liberté aux esclaves en témoignage de reconnaissance envers le Très-Haut. L’émir revint alors avec le butin et les prisonniers à Algéziras, où il fit son entrée triomphante le 25 dudit mois de raby el-aouel, précédé des chefs chrétiens et de leurs familles traînant leurs chaînes. Il expédia à Ben el-Ahmar la tête de Don Nuño, en témoignage de la protection que le Très-Haut avait prêtée à ses serviteurs Beny Meryn. Ben el-Ahmar fit embaumer cette tête dans le musc et le camphre, et l’expédia à Alphonse pour lui être agréable et s’attirer son amitié. L’émir entreprit alors de faire le partage du butin dont Dieu avait comblé les Musulmans ; il préleva le cinquième pour le bit el-mal, et divisa le restant aux guerriers saints ; il se trouva cent vingt-quatre mille bœufs ; quant aux autres bestiaux, leur nombre était si considérable qu’il fut impos­ sible de les compter, et que pour un drahem on avait, une brebis au marché. Les prisonniers, hommes, femmes et enfants, s’élevaient au chiffre de sept mille huit cent trente, et l’on compta quatorze mille six cents têtes, entre chevaux, mulets et ânes;. les armures, les armes et les bagages étaient innombrables et tous les Musulmans s’en enrichirent ; l’émir, ayant fait la distribution sans partialité, aux puissants et aux pauvres, aux gens du peuple et aux nobles, finit à Algéziras le mois de raby el-tâny, et se mit en campagne le 1er de djoumad el-aouel pour se rendre à Séville.

    DEUXIÈME EXPÉDITION DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU YOUSSEF EN ANDALOUSIE. QUE DIEU LUI FASSE MISÉRICORDE !

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : Abou Youssef sortit d’Algéziras le 1er de djoumad el-aouel 674, pour faire sa seconde campagne ; il se dirigea vers Séville sous les murs de laquelle il campa avec l’armée musulmane, à l’endroit nommé Mâ el-Frouch, et il commença à courir dans les environ, expédiant dans tous les sens des détachements qui butinaient tout ce qui se présentait à eux ; le deuxième jour il monta à cheval et se rapprocha des portes de la ville qu’il menaça, tambour en tête et ensei­ gnes déployées. Les Chrétiens se précipitèrent sur les murs pour soutenir l’attaque ; mais il n’y eut aucun de leurs émirs ou de leurs guerriers qui osât se rapprocher de l’émir, et accepter son défi. Après avoir battu les murailles, ravagé les environs, brûlé les villages et tout saccagé, l’émir leva le camp et s’en vint à Xérès, qu’il traita pendant trois jours comme il avait traité Séville; puis il retourna à Algéziras, où il entra le 27 de djoumad el-aouel, et il fit le partage du butin et des prisonniers, dont le nombre était si consi­ dérable, qu’une chrétienne ne se vendait pas plus d’un ducat et demi. On se

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    trouvait alors au commencement de l’hiver,et l’émir demeura avec toutes ses troupes campé mur les bords de l’Oued el-Nysa, près d’Algéziras, durant toute la mauvaise saison. Les Chrétiens n’ayant point pu faire leurs semailles cette année-là, les denrées devinrent rares et chères, et bientôt il y eut famine dans tout le pays. D’un autre côté, les Beny Meryn, fatigués de leur séjour en Andalousie, avaient le plus grand désir de revoir leurs familles et leurs enfants; aussi l’émir se décida à rentrer au Maghreb. Il débarqua au Kessar el-Medjâz le 30 de radjeb, an 674. Son séjour en Andalousie avait duré six mois. Il se rendit aussitôt à Fès, où il entra vers le milieu de châaban. Peu de temps après, un de ses oncles maternels, Talha ben Aly elBethyry, se souleva coutre lui et se retrancha au Djebel Azerou dans le pays de Fezaz. L’émir, l’ayant poursuivi avec ses troupes, l’enveloppa de tous côtés, et Talha fit alors sa soumission, qui fut acceptée ; il fut pardonné et reçut l’aman, le 15 de ramadhan 674. Le 2 de chouel suivant, les juifs furent massacrés à Fès par les habi­ tants, qui, ayant fait irruption chez eux, en tuèrent quatorze, et il n’en serait pas resté un seul si l’émir des Musulmans n’était monté à l’instant à cheval pour arrêter le massacre, en faisant publier l’ordre formel de ne point appro­ cher des quartiers juifs. Le 3 de chouel, l’émir décréta la construction de la nouvelle ville de Fès, et, le jour mène, les premiers fondements furent jetés sur la rive du fleuve en présence de l’émir, à cheval, et les fekhys Abou el-Hassen ben Kethan et Abou Abd Allah ben el-Flabâk en tirèrent l’horoscope. La ville fut fondée sous l’influence d’un astre propice et d’une heure bénie et heu­ reuse, comme on l’a vu depuis, puisque le khalifat n’a jamais péri dans ses murs, et que jamais un étendard ni une armée, partis de son sein, n’y sont rentrés vaincus ou en fuite. Dans le même mois, l’émir donna ordre de bâtir la kasbah de Mekenès et sa mosquée. En moharrem 675 (1276 J. C.), Abou Youssef sortit de Fès et se rendit à Maroc, où il arriva vers le milieu du mois, et il y demeura jusqu’au 1er de raby el-aouel ; il fit alors une tournée dans le Sous, et quelques jours après son retour à Maroc, il partit pour Rabat el-Fath, où il arriva le 1er de châaban ; de là, il écrivit aux cheïkhs et aux Beny Meryn, aux Arabes et à tous les Kabyles du Maghreb pour les appeler à la guerre sainte. Sur leur refus, il renouvela son invitation plusieurs fois, mais toujours inutilement, jusqu’à la fin de l’an 675. Alors l’émir, voyant ce peu d’empressement pour la guerre sainte, et lassé de leurs lenteurs, résolut de se rendre sur les terres des Chrétiens avec son armée seulement ; il sortit de Rabat le 1er de mohar­ rem 676 (1277 J. C.), et il arriva au Kessar el-Medjaz, d’où il passa à Tarifa le 25 dudit mois.

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    TOISIÈME PASSAGE EN ANDALOUSIE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS, ABOU YOUSSEF POUR FAIRE LA GUERRE SAINTE.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : Lorsque l’émir des Musulmans vit le peu d’empressement des Croyants pour la guerre sainte, il se mit lui-même en campagne avec son armée; il sortit de Rabat elFath le 1er de moharrem 676, et il se rendit an kessar cl-Djouez. Ce n’est qu’alors que les Croyants, Voyant ses dispositions et ses force, se décidè­ rent à venir à lui, et c’est ainsi qu’il fut rejoint successivement par les Beny Meryrn, les Arabes, les volontaires, les Mesmouda, les Senhadja, les Oua­ raba, les Ghoumara, les Mekenèsa et autres. Les troupes ayant, effectué leur passage, l’émir s’embarqua lui-même, et il descendit sur le rivage de Tarifa le 28 dudit, moharrem ; il se rendit à Algéziras, où il demeura trois jours, et, il se porta sur Ronda sous les murs de laquelle il établit son camp. Là il reçut les deux fils d’Achkyloulâ, le roi Abou Yshak, maître de Guadix, et le roi Abou Mohammed, maître de Malaga, qui, après les compliments d’usage, se rangèrent sous ses drapeaux et se joignirent à lui polir aller attaquer Séville. L’émir leva le camp de Ronda le 1er de raby el-aouel pour se trans­ porter sous les murs de Séville, où se trouvait. Alphonse, roi des Chrétiens. Celui-ci, à la nouvelle de l’approche des Musulmans, fit sortir toutes ses troupes pour entourer la ville; il échelonna ses soldats le long de l’Oued elKebyr en rangs serrés et aussi nombreux que les épis de blé. Recouverts de leurs cuirasses et de leurs casques étincelants et armés de leurs lances éclatantes, ils aveuglaient les yeux et frappaient l’esprit d’épouvante. L’émir des Musulmans fit avancer son armée sainte et les intrépides Beny Meryn, le jour même de la naissance du Prophète (que Dieu le comble de bénédic­ tions !), et lorsque les deux troupes furent en présence de façon à ce que les yeux se rencontrassent avec les yeux, l’émir descendit de cheval et se pros­ terna deux fois, selon sa coutume, en demandant au Miséricordieux de lui accorder la victoire et son secours ; puis il s’écria : «O compagnons Meryn, combattez pour Dieu dans cette vraie guerre sainte, et remerciez-le de vous avoir fait naître Musulmans, car il ne verra point le feu (l’enfer) celui qui combattra les ennemis de Dieu, des Infidèles. Le Prophète (à lui le salut !) a dit la vérité, et voici ses propres paroles : Le feu ne réunira a jamais les Infidèles et ceux qui les auront tués. Réjouissez-vous donc quand la bataille est sanglante au point de ne plus voir celui que l’on frappe et détruit. Par Dieu, celui qui fait la guerre sainte en pensant au Très-Haut ne meurt jamais, car, après sa mort même, il vit pour recevoir sa récompense ;n’est-ce pas là le plus haut degré de gloire qui se puisse atteindre ?» Après avoir entendu cette allocution, les chevaliers Meryn et tous les Musulmans, Voyant que les Infidèles s’avançaient serrés comme des murailles, s’approchèrent,

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    également avec l’espoir de la victoire et prêts à mourir. L’émir Yacoub se mit le premier en marche avec son étendard heureux et, à la tête de mille cavaliers des principaux Meryn, précédant son père, l’émir des Musulmans; il s’élança contre l’armée chrétienne ; la poussière obscurcit les airs et les Musulmans Poussèrent leurs cris et leurs témoignages dans une sanglante mêlée. C’est alors que l’émir des Musulmans se précipita lui-même sur les traces de son fils avec ses troupes, tambour battant et enseignes déployées. Les Chrétiens, épouvantés, reculèrent vaincus et prirent leur course comme des ânes hors d’haleine fuyant devant leurs maîtres. Les Beny Meryn les atteignirent sur les bords du fleuve où ils sabrèrent tous ceux qui ne se pré­ cipitaient pas dans les flots, où ils se noyaient. Ceux qui restèrent sur le champ de bataille furent tués ou faits prisonniers ; des milliers moururent dans le fleuve, où les Musulmans les poursuivaient encore à la nage pour les massacrer. Les eaux coulaient rougies par le sang, et leur surface était couverte de cadavres, tant que c’était bonheur à voir ! C’est ainsi que leur armée et leur camp furent détruits. Les Musulmans continuèrent leurs exploits jusqu’au soir, et l’émir passa toute cette nuit à cheval devant la porte de Séville, faisant battre le tambour, et à la lueur de torches et de feux qui éclairaient le pays comme le jour. Les Chrétiens, cachés derrière leurs remparts, se frappaient la tête de désespoir. A l’aurore, l’émir fit sa prière du matin et s’en alla au Djebel el-Cherf(1), continuant à tout saccager sur son chemin et expédiant des détachements partout aux alentours pour détruire et incendier; il prit à l’assaut les forteresses de Hafalâ, Halyènâ et El-Kalâa, dont il détruisit les garnisons et fit prisonniers les femmes et les enfants ; il dévasta les campagnes, incendia les villages et n’épargna rien au Djebel el-Cherf ; il revint alors avec le butin à Algéziras, où il rentra le 28 dé raby el-aouel 676 ; il resta là le temps nécessaire pour faire le partage des dépouilles entre tous les guerriers saints et pour laisser reposer les troupes; il se remit en campagne, le 1er de djoumad el-aouel, pour aller attaquer Xérès. Le roi Abou Mohammed ben Achkyloula mourut à Malaga au retour de l’expédition de Séville.

    QUATRIÈME CAMPAGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS.

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    L’émir des Musulmans se .remit en campagne le 95 de raby el-tâny 676 pour aller attaquer Xérès, et avec la ferme résolution de la détruire. Arrivé sous les murs de cette place, il en fit le siège et commença à la battre; il fit couper les oliviers, les vignes, les arbres et incendia les moissons; il ren­ versa les villages et les châteaux que Dieu lui fasse Miséricorde!). Il mettait

    ____________________ 1 Entre Séville et Niebla.

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    lui-même le feu aux champs, il abattait les arbres de sa propre in main, et son exemple augmentait l’acharnement de ses troupes. C’est ainsi qu’en sui­ vant le droit, chemin il conduisit cette guerre sainte avec sagesse et profit, et qu’il acheva de ruiner cette partie du pays et de détruire les Chrétiens qui s’y trouvaient. Tous les chevaliers et les soldats infidèles périrent, et ce fut un immense désastre pour les chrétiens. Quand le pays fut complètement dévasté, l’émir des Musulmans expé­ dia son fils, l’émir Abou Yacoub, avec un détachement de trois mille cava­ liers pour attaquer les forteresses de l’Oued el-Kebyr. Abou Yacoub pilla les placés de Routa, Chlouka(1), Ghâlyana, el-Kenathyr, et, suivant les rives du fleuve, il remonta jusqu’à Séville, renversant et massacrant tout sur son pas­ sage; il revint alors avec le butin et les prisonniers vers son père, qui l’atten­ dait près de Xérès, et qui se réjouit beaucoup de son retour. L’émir rentra à Algéziras, où il fit le partage des dépouilles aux Beny Meryn et aux guer­ riers saints. Puis, ayant réuni les cheikhs Beny Meryn, arabes, andalous et autres, il les exhorta à la guerre sainte, et leur dit : «Ô mes compagnons de la guerre sainte ! les places de Séville et de Xérès sont ruinées ; leurs dépen­ dances sont battues et dévastées ; mais il reste Cordoue et ses environs, pays superbe, et fécond, d’où les Chrétiens tirent leurs subsistances et leurs forces ! Si nous allons envahir ces terres, incendier les moissons et renverser les arbres, les Chrétiens seront bientôt réduits à la famine et tout le pays infidèle sera affaibli. Pour moi, je suis prêt à marcher. Et vous, quel est votre avis ? Ils répondirent : «O émir des Musulmans ! que Dieu te récompense pour toutes tes vues, qu’il te seconde par son aide et son secours; nous te sui­ vrons, soumis et obéissants ; nous combattrons partout où tu nous conduiras, lors même qu’il nous faudrait traverser avec toi la mer ou le désert.» Il les remercia, appela sur eux les bénédictions par la prière, leur distribua des vêtements, de l’argent, et il augmenta leur solde. Il écrivit à Ben el-Ahmar, roi de Grenade, pour lui apprendre qu’il allait se mettre en campagne contre Cordoue et pour l’inviter à l’accompagner; il lui disait : «Si tu te joins à moi contre cette place, tu seras redouté dans le cœur des Chrétiens aussi long­ temps que tu vivras, et tu gagneras les grandes récompenses du Très-Haut.»

    CINQUIÈME CAMPAGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS. EXPÉDITION DE CORDOUE.

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    L’auteur du livre que Dieu lui fasse miséricorde !) a dit : L’émir des Musulmans- partit d’Algéziras le 1er de djoumad el-tâny, au 676, avec l’aide de Dieu et ses légions victorieuses. L’émir ben el-Ahmar sortit, de son côté,

    ____________________ 1 Rota et San Lucar.

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    de Grenade avec ses troupes, et les deux armées se rencontrèrent au jardin des Roses, sur les terres de Cherouka(1). Abou Youssef alla au-devant de Ben el-Ahmar et lui exprima sa joie de le voir, et c’est ainsi que Dieu très­ haut réunit la parole de l’Islam et fit renaître l’affection dans le cœur de son peuple. Les Musulmans unirent leurs pensées pour la guerre et leur ardeur s’accrut; la conquête et la victoire au cœur, ils fondirent sur le château Beny Bechyr, qu’ifs enlevèrent à l’assaut et dont ils massacrèrent la garnison, fai­ sant prisonniers les femmes et les enfants ; ils pillèrent tout et détruisirent la forteresse si complètement, qu’il n’en resta plus traces. L’émir des Musul­ mans dirigea la dévastation de tous côtés sur le pays des Infidèles, et il est impossible d’énumérer les quantités considérables de bœufs, moutons, chè­ vres, chevaux, mulets, ânes, huile, beurre, blé, orge, qui furent enlevées. Le camp regorgeait de provisions et de butin. L’armée s’avança alors jusque sous les murs de Cordoue, qu’elle enveloppa; l’émir fit battre le tambour et l’air retentit des cris et des témoignages des Musulmans. Tandis que les archers chrétiens défendaient leurs murs, Abou Youssef arriva à l’ombre de son étendard, et précédé de ses héros, jusqu’à la porte de la ville pour en exa­ miner les fortifications. D’un autre côté, Ben el-Ahmar se plaça-lui-même avec ses troupes andalouses devant. le camp pour le garder contre une atta­ que des Chrétiens. Les Beny Meryn et les Arabes se répandirent dans les environs de Cordoue, attaquant châteaux, forts et villages, massacrant et fai­ sant des prisonniers, saccageant tout, et enlevant enfin à l’assaut la forte­ resse de El-Zahra. L’émir des Musulmans demeura trois jours à Cordoue, et quand tous les environs furent ravagés, détruits et incendiés, il s’en vint à Berkouna. En même temps il .envoya un corps d’armée à la ville de Jaën, et des détachements dans toutes les directions pour mettre le pays entier à feu et à sang. Lorsque Alphonse vit ces désastres, la ruine de ses états, les maux et les massacres dont il était victime, il envoya des prêtres et des moines auprès de l’émir, pour implorer le pardon et la paix. Ces, émissaires se présentèrent à la porte de la tente impériale, humbles et soumis. Quand ils furent entrés, l’émir leur répondit : « Adressez-vous à Ben el-Ahmar ; je ne suis ici qu’un hôte étranger et n’ai d’autre paix à vous accorder que celle que Ben el-Ahmar consentira à faire.» Ils se rendirent, alors chez Ben elAhmar et lui dirent : «L’émir nous a enjoint de nous adresser à toi, et nous venons te supplier de nous accorder a une paix durable, une paix que rien ne rompra plus à l’avenir et qui continuera jour et nuit pendant les siècles.» Puis ils firent serment sur leurs croix de, renverser Alphonse s’il n’agréait pas ce pacte, car il était incapable de rendre la croix victorieuse, de défen­ dre ses places et de mener ses sujets contre les ennemis; de sorte que si la

    ____________________ 1 Archidona.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    situation se prolongeait encore, il ne resterait bientôt plus personne dans le pays. Ben el-Ahmar se rendit chez l’émir des Musulmans, et, l’ayant mis au courant, il lui avoua qu’en effet l’Andalousie ne pourrait plus se relever que par une paix durable et telle qu’elle plaisait à Dieu. La paix fut conclue en présence de l’émir des Musulmans, chez lequel Ben el-Ahmar avait amené les moines en leur disant : «Suivez-moi, car il est nécessaire que l’émir sanc­ tionne notre pacte et qu’il soit notre témoin à vous et à moi.» L’émir des Musulmans se retira d’Arjounâ et se rendit à Algéziras en prenant le chemin de Grenade. Il fit présent de tout le butin à Ben el-Ahmar, en témoignage de sa satisfaction et en lui disant : «Les Beny Meryn n’ont d’autres fruits à recevoir de cette campagne que le mérite de leurs actions et les récompenses magnifiques.» Alors Ben el-Ahmar rentra à Grenade, et l’émir des Musulmans se rendit à Malaga, d’où il vint à Algéziras dans la première décade de radjeb de l’an 676. Il campa avec son armée autour de la ville et il tomba malade ; sa maladie se prolongea pendant soixante et dix jours, soit vingt jours de radjeb, tout châaban et vingt jours de ra-madhan, au point que la nouvelle de sa mort courut dans tous les pays de l’Adoua, où il dut envoyer son fils l’émir Abou Yacoub pour démentir les bruits et rassurer les populations. Lorsqu’il eut recouvré la santé, il reçut un envoyé chrétien accompagné de prêtres et de religieux pour ratifier la paix, ce qui eut lieu le dernier jour dudit ramadhan. Cependant le roi Ben Achkyloula envoya un message à l’émir des Musulmans pour lui offrir Malaga, en lui faisant dire : «Je ne suis plus capable de maintenir le gouvernement de cette place, et si tu refuses de le recevoir de mes mains, je le livrerai aux Chrétiens ou à Ben el-Ahmar.» Or comme Ben el-Ahmar avait déjà reçu un grand nombre de villes et de places d’Alphonse et de Ben Achkyloula, l’émir des Musulmans envoya son fils, l’émir Abou Zyan, pour prendre possession de Malaga. L’entrée d’Abou Zyan dans la kasbah de cette ville eut lieu à la fin dudit mois de ramadhan. L’émir célébra la fête de la rupture du jeûne à Algéziras, et il se rendit le 3 de chouel à Malaga, où il arriva le 6, accueilli avec enthousiasme et avec de grandes réjouissances par la population, à laquelle il apportait le retour de la tranquillité et de la sûreté des routes. L’émir séjourna à Malaga le restant dudit mois, tout dou’1 kâada et dix-huit jours de dou’l hidjâ. Il revint alors à Algéziras, où il s’embarqua pour l’Adoua, après avoir laissé à Malaga urne garnison de mille cavaliers Beny Meryn et arabes, casernés dans la kasbah sous le commandement d’Omar ben Aly. L’émir passa dans l’Adoua durant la première décade de moharrem, an 677, et il rentra à Fès, où il séjourna quelques jours avant de partir pour Maroc. Quand Alphonse (que Dieu le maudisse !) se fut bien assuré que l’émir des Musulmans était passé dans l’Adoua et qu’il était arrivé à Maroc,

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    il rompit la paix, violant la foi jurée et oubliant les bienfaits C’est bien là le portrait des sociétaires tel que Dieu très-haut l’a décrit dans le livre évident : Il n’y a point aux yeux de Dieu d’animaux plus vils quai ceux qui ne croient pas et qui restent infidèles ; ceux avec lesquels tu as fait un pacte et qui le rompent à tout moment, et qui ne craignent point, Dieu(1). Le maudit, ayant fait appel à tous ses contingents, envoya sa flotte devant Algéziras pour la bloquer et empocher le passage. du détroit. En apprenant cela, Omar ben Aly, kaïd de l’émir des Musulmans à Malaga; craignit de se voir enlever la place, et il la vendit à Ben el-Ahmar pour 50,000 dinars et la forteresse Chloubania, vers le milieu du ramadhan 677. Ben el-Ahmar vint avec son armée pour prendre possession de Malaga ; d’où Omar ben Aly se retira en emportant tout l’argent et le matériel que l’émir des Musulmans lui avait laissé pour entretenir la garnison et la marine. Lorsque ces nouvelles arrivèrent en détail à l’émir des Musulmans, il sortit en hâte de Maroc, le 3 de chouel 677, pour aller en Andalousie. Il arriva au village Makoul du pays de Temsna ; mais, assailli la par les pluies, les vents et les torrents qui se déchaînaient en tem­ pêtes perpétuelles le jour et la nuit, il ne put aller en avant, et il était encore à la même place lorsqu’il apprit que les Chrétiens (Dieu les confonde !) avaient déjà cerné Algéziras par terre et par mer, d’un côté par les troupes et de l’autre par des navires ; que ceux-ci avaient jeté l’ancre vers le milieu de raby el-aouel 677, et qu’Alphonse était arrivé avec son armée le 6 de chouel. L’émir donna ordre de lever le camp pour Tanger, d’où il comptait passer en Andalousie pour chasser les Chrétiens d’Algéziras ; mais pendant que ses troupes faisaient leurs préparatifs de départ, il reçut la nouvelle que l’émir

    ____________________ 1 Koran, chap. VIII : le Butin. vers. 57 et 58. Une lettre du sultan Moulaï Abd er-Rahman. qui a passé sous nos yeux, prouve au moins que, depuis la conquête d’Alger, noirs jouissons dans l’esprit de l’émir des Musulmans de plus d’estime que ne nous en accorde le Koran, et, que le Kartas n’en accorde le Alphonse X. Voici la traduction littérale de cet ordre impérial, adressé à un chef de troupes durant une expédition contre les Zemmours (grande tribu insoumise entre Rabat-Salé et Mekenès) : «Louanges ,à Dieu l’unique ! Nous avons reçu ta lettre, et nous avons°compris ce que tu nous dis au sujet de ces pervers d’Aly, d’Hassen et des Khoutbyn (fractions des Zemmours) qui moissonnent leurs grains avant notre arrivée. Nous voulons que tu ne les laisses point faire et que tu les harcèles sans cesse pour les empêcher de manger leurs moissons. Sidi Mohammed (le sultan actuel) est en chemin, et nous lui avons ordonné de passer, le gué (de la rivière entre Rabat et Salé) pour se rapprocher de toi, Rappelez-vous tous. que les Zemmours sont vos ennemis et que des secours vous arrivent. Or ceux qui trouvent des secours contre leurs ennemis ne reculent jamais. Sachez que la guerre contre les: hypocrites est plus méritoire encore que la guerre sainte contre les Infidèles ; car s’il arrive de faire un pacte avec ceux-ci, ils s’y tiennent au moins, tandis que les antres n’ont ni pacte ni foi. Poursuis les opérations de ton côté, et nous viendrons te rejoindre par le Djebel el-Doum, s’il plait à Dieu ! Mais ne les laisse point profiter de leurs grains ! Salut. Écrit à Mekenès, le 19 du mois de ramadhan 1274 (3 mai 1858 ).»

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    Messaoud ben Kennoun s’était révolté dans le pays de Nefys aux environs de Maroc, et qu’il était suivi de tous les Arabes Soufyan. L’émir se décida alors à revenir sur Maroc, et à son arrivée Messaoud s’enfuit au Djebel Sek­ syoua dans le Sous, où il se retrancha, abandonnant ses trésors et ses biens dont Abou Youssef s’empara et qu’il distribua aux Beny, Meryn. L’émir, se mettant aussitôt à la poursuite du rebelle, l’atteignit et l’entoura sur le Djehel Seksyoua, après avoir juré de ne se retirer, si Dieu lui prêtait vie, que lors­ que Ben Kennoun aurait fait sa soumission. Cette révolte de Messaoud ben Kennoun eut lieu le dimanche 5 de dou’l kâada 677. L’émir, continuant à bloquer les rebelles, expédia son fils, l’émir Abou Zyan, dans le Sous pour faire justice de tous les bandits qui s’y trouvaient et percevoir les` impôts. Abou Zyan revint auprès de son père le 30 de dou’l hidjâ, après avoir rempli sa mission. Sur ces entrefaites, l’émir des Musulmans reçut les nouvelles d’Algéziras, dont le siége rigoureux donnait lieu à des combats incessants la nuit et le jour. Le nombre des Chrétiens qui enveloppaient la place du côté de la terre, avec Alphonse (que Dieu le maudisse !) était de trente mille cavaliers et de trente mille fantassins, et du côté de la mer ils avaient rangé leurs navires en murailles armées de leurs défenses, d’où ils mettaient en œuvre les balistes et autres machines. Toutes communications avec le dehors étaient ainsi interceptées, et les habitants ne recevaient plus aucune nou­ velle, si ce n’est celles qui leur étaient apportées par des pigeons qu’on leur expédiait de Gibraltar avec des billets écrits et qu’ils l’envoyaient avec leurs réponses. La population était complètement épuisée par la captivité et par la faim, par les combats incessants et par les gardes qu’il lui fallait monter nuit et jour sur les remparts. Aussi la plus grande partie des habitants étaient-ils morts à la peine, et ceux qui restaient encore avaient-ils déjà fait abandon de leur vie après avoir immolé leurs enfants, de crainte que les Chrétiens, s’em­ parant de la ville, ne les contraignissent à changer leur religion. En appre­ nant tout cela, l’émir des Musulmans, retenu lui-même par son serment auprès de Ben Kennoun, qu’il avait juré de soumettre ou de tuer, appela son fils, l’émir Abou Yacoub, et lui donna ordre de se rendre immédiatement à Tanger pour aller secourir Algéziras, et pour armer une flotte capable de chasser les assiégeants. L’émir Abou Yacoub partit de Maroc pour Tanger dans le mois de moharrem 678 (1279 J. C.), et il y arriva le 1er du mois suivant, safar. Il donna ordre aussitôt d’équiper des navires dans les ports de Ceuta, Tanger, Badès et Salé; il distribua de l’argent et des armes aux guer­ riers saints. La population de Ceuta déploya la plus grande activité pour l’ar­ mement de cette expédition; en recevant les ordres de l’émir Abou Yacoub, le fekhy Abou Hâtym el-Azfy (que Dieu lui fasse miséricorde !) rassembla à Ceuta, les cheikhs, les kaïds, les capitaines et leurs guerriers, et leur prêcha

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    la guerre sainte, en les exhortant à se préparer pour aller secourir la popu­ lation d’Algéziras et pour combattre et massacrer les Infidèles. Tous ceux qui se trouvaient à Ceuta, en ce moment, se levèrent et eurent bientôt rempli les navires, qui étaient au nombre de quarante-cinq, tant grands que petits ; soldats, docteurs, tholbas, marchands, boutiquiers, dont la plupart n’avaient même aucune connaissance des armes, s’engagèrent pour la cause du Dieu très-haut, et il ne resta à Ceuta que les enfants, les paralytiques, les vieillards sans forces, et les enfants qui n’étaient point pubères encore. D’un autre côté, Ben el-Ahmar arma douze navires à El-Mounkeb(1), Almeria et Malaga, et l’émir Abou Yacoub en équipa quinze autres entre Tanger, Badès. Salé et Anfâ(2). La flotte musulmane se composait en tout de soixante et douze navires, qui se rallièrent à Ceuta, et vinrent tous ensemble à Tanger pour être inspectés par l’émir Abou Yacoub. Leur arrivée offrit un coup d’œil magni­ fique et complet. C’est à Tanger qu’eut lieu l’embarquement des troupes, et l’émir Abou Yacoub, en congédiant les légions des Beny Meryn, leur confia son étendard heureux et victorieux en leur disant : «Allez avec la bénédic­ tion et la grâce de Dieu !» Les airs retentirent des cris et des témoignages des guerriers saints, et tous les autres Croyants priaient pour eux, invoquant le Très-Haut pour qu’il leur accorde la victoire. La flotte mit à la voile à Tanger, le 8 de raby el-aouel le béni, an 678, et tous les assistants pleuraient et priaient. Les habitants de Ceuta, de Tanger et du Kessar el-Medjaz res­ tèrent quatre jours et quatre nuits sans dormir et sans fermer leurs portes ; vieillards et enfants s’étaient réunis sur les remparts, d’où ils adressaient en commun à Dieu leurs plus ferventes prières. Les voiles musulmanes s’éloi­ gnèrent sur la mer où elles rencontrèrent les eaux tranquilles et parfaitement unies, et les vents apaisés par la toute-puissance de Dieu, qui embellit ainsi pour ses soldats le passage à la guerre et aux combats. Mais le calme ralen­ tit la marche de leurs grands navires, et ils relâchèrent à Gibraltar, où ils passèrent à l’ancre toute la nuit, durant laquelle les guerriers saints ne tirent que réciter le Koran et louer Dieu. Le lendemain matin, à l’aube, 10 de raby el-aouel, ils firent leurs prières et quelques docteurs de la foi, se levant au milieu d’eux, prêchèrent la guerre sainte et énumérèrent les magnifiques récompenses que le Très-Haut tenait en réserve pour les combattants. Ces sermons les remplirent d’enthousiasme, au point de leur faire désirer le mar­ tyre, et, après s’être pardonnés les uns les autres, ils répétèrent tous la pro­ fession de foi ; prêts à mourir, ils mirent à la voile et s’avancèrent contre les sociétaires. Le Chrétiens, en voyant la flotte musulmane qui cinglait sur eux, sen­ tirent leurs cœurs frappés d’épouvante. Leurs commandants étant aussitôt

    ____________________ 1 Almunecar. 2 Infâ, aujourd’hui Casablanca, ancienne Anafé.

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    montés sur le pont de leurs vaisseaux pour examiner l’ennemi, comptèrent mille navires et s’imaginèrent qu’il s’en présenterait bientôt d’autres, mais leur erreur était certainement l’œuvre de Dieu qui en avait ainsi multiplié le nombre à leurs yeux. Se sentant perdus, ils prenaient leurs dispositions pour la retraite et la fuite., quand les vaisseaux musulmans (que Dieu très-haut les seconde !), s’avançant tous ensemble, se mirent, en ligne comme des remparts ; de leur côté, les Croyants, confiants en Dieu pour toutes choses, étaient prêts à mourir, demandant au Très-Haut les récompenses du paradis en échange de leur vie. Le chef supérieur des Infidèles, monté sur son vaisseau, rallia à lui tous les autres commandants et leurs soldats, entièrement revêtus de fer et armés de pied en cap. Le nombre de leurs navires était bien supérieur à celui de la flotte musulmane, et, ils étaient si entièrement recouverts de Chrétiens qu’ils ressemblaient à des montagnes obscurcies par des vols de corbeaux; leurs mouvements étaient rapides comme ceux de coursiers rapides dans la plaine. Le combat s’engagea, et les Musulmans tirent leur profession de foi en disant : «C’est notre dernier Jour !» Puis ils fondirent sur leurs ennemis serrés comme la pluie et comme un vent impétueux, frappant partout, détrui­ sant tout à coups de lance et de sabre; ils entamèrent leurs navires et les for­ cèrent à s’échouer. Les Infidèles, voyant ce qui arrivait, s’écrièrent : «Voilà bien une affaire terrible et cruelle.» Et, en même temps, ils prenaient la fuite; mais les Musulmans, abordant leurs navires, en massacrèrent une quantité innombrable; ils avaient beau se jeter à la mer, nager comme des crapauds, ou se coucher sur l’eau comme sur leurs lits, les croyants les atteignaient toujours avec leurs lances et leurs sabres; ils les tuèrent jusqu’au dernier, puis ils s’emparèrent de leurs vaisseaux déserts et ils enlevèrent tout ce qu’ils contenaient d’agrès et de provisions. Les Musulmans, assiégés à Algéziras, furent au comble de la joie en voyant le massacre et la destruction de leurs ennemis, et ils reprirent courage quoiqu’ils fussent résignés à mourir. Dieu très-haut leur donna l’aman en faveur de leurs ferventes prières; il leur accorda le repos après la fatigue, la victoire après la patience, l’abondance après la famine, la joie après 1a dou­ leur, la lumière après les ténèbres et le beau temps après l’orage. Les Musul­ mans accostèrent à Algéziras, et, le sabre en main, ils entrèrent à l’assaut en ville, massacrant tous les Infidèles qu’ils rencontraient. Le chef supérieur fut fait prisonnier ainsi que tous les kaïds chrétiens qui l’entouraient, au nombre desquels se trouvaient le neveu d’Alphonse et les grands de sa cour. Les Musulmans s’emparèrent de tout ce qui se trouvait dans le port d’Algéziras : bagages, armes, vêtements et marchandises, telles qu’argent, étoffes, perles et autres apportés par le commerce, et tout cela forma un total que la langue

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    ne saurait exprimer. Lorsque l’on sut dans le camp des assiégeants par terre, ce lui venait d’arriver aux troupes de mer, massacrées ou prisonniè­ res, les soldats craignirent de voir arriver sur eux l’émir Abou Yacoub, qu’ils savaient s’être porté à Tanger pour faire la guerre sainte, et ils prirent aussitôt la fuite, abandonnant tout, armes, bagages et munitions. Les habi­ tants d’Algéziras, voyant cette déroute, sortirent tous ensemble, hommes et femmes, et tombèrent sur le camp, où ils pillèrent. et tuèrent tout ce qu’ils purent ; ils firent un butin considérable de bagages, d’argent, de provisions de toute espèce, et ils rentrèrent en ville avec des quantités inexprimables de légumes, de beurre, d’orge et de farine, tellement que la farine de Cor­ doue, dont on n’aurait pu trouver une once le matin même, à Algéziras, à aucun prix, se vendait à un drahem et demi les vingt-cinq livres quelques heures après. C’est ainsi que, par la grâce et le secours de Dieu, soixante et dix navires musulmans remportèrent la victoire sur la flotte des Chrétiens, qui comptait plus de quatre cents bâtiments. Un courrier, porteur de la bonne nouvelle, partit aussitôt pour aller annoncer à l’émir Abou Yacoub ce que le Très-Haut avait fait pour ses adorateurs dans cette magnifique et mémora­ ble circonstance. L’émir adressa des louanges en actions de grâces à Dieu et écrivit immédiatement à son père pour lui faire part de la victoire. Cette glo­ rieuse bataille eut lieu le 12 de raby el-aouel, mois béni, anniversaire de la naissance de notre Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !), an 678. La nouvelle arriva à l’émir des Musulmans pendant qu’il assiégeait encore Messaoud ben Kennoun sur le mont Seksyoua ; il se prosterna devant Dieu très-haut en lui adressant de longues actions de grâces, et il donna ordre de distribuer. des aumônes, de délivrer les prisonniers, de faire des réjouis­ sances et de battre le tambour dans tous ses états. (Que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) Depuis qu’il avait eu connaissance du siége d’Algéziras, il ne dormait plus et mangeait sans plaisir et sans profit, il ne s’approchait plus de sa femme, il négligeait sa mise et il avait pris la vie en grand dégoût ; il resta en cet état jusqu’à la nouvelle de la destruction des équipages infidèles et de la dispersion du camp qui assiégeait Algéziras. Dans les premiers jours de raby el-tâny, l’émir Abou Yacoub vint à Algéziras, et les Chrétiens, saisis de terreur, s’attendaient à être assiégés par­ tout ; mais les choses n’arrivent que lorsque Dieu chéri le veut, et il se trouva que, indisposé contre Ben el-Ahmar depuis qu’il avait pris Malaga, l’émir Abou Yacoub fit alliance avec Alphonse pour attaquer Grenade ensemble, et les principaux Chrétiens passèrent avec lui dans l’Adoua pour demander à son père la ratification de ce pacte ; mais dès que l’émir des Musulmans eut connaissance de cela, il lui adressa les plus vifs reproches. Plein de

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    courroux, il ne ratifia point le traité, et, bien au contraire, il s’interna dans le Sous, en jurant qu’il ne verrait jamais un seul de ces Chrétiens amenés par son fils, si ce n’était dans leur propre pays. Les chefs infidèles s’en retournè­ rent donc fort humiliés. L’émir des Musulmans revint alors de Sous à Maroc, et il y resta quelque temps avant de se rendre à Fès, où il séjourna dans la ville Blanche(1) ; il écrivit aux tribus Meryn et arabes de se réunir pour la guerre sainte, et, dans les premiers jours de radjeb 678, il sortit de la ville Blanche pour aller en Andalousie mettre fin aux querelles et combattre les ennemis; il arriva à Tanger vers le milieu dudit mois et descendit à la kasbah. En examinant la situation, il reconnut que le feu de la discorde s’était ral­ lumé en Andalousie, et que les haines et les brigandages s’étaient beaucoup accrus, tant du côté des Musulmans que de celui des Infidèles ; il trouva que l’ennemi avait fait de grands progrès depuis son éloignement, et qu’il avait profité de sa mésintelligence avec Ben el-Ahmar au sujet de Malaga; il envoya alors un émissaire à ce prince pour lui offrir son alliance moyennant la restitution de Malaga ; mais Ben el-Ahmar rejeta avec hauteur ses pro­ positions ; il avait déjà fait la paix avec Yaghmourasen ben Zyan, auquel il avait, envoyé de riches trésors et des présents magnifiques, afin que, s’alliant avec lui contre l’émir des Musulmans, il harcelât son armée et courût sur ses terres pour l’empêcher de passer en Andalousie. L’émir des Musulmans, ayant eu connaissance de cette intrigue, expédia un courrier chez Yaghmou­ rasen pour lui demander une explication et lui offrir la paix ; mais Yaghmou­ rasen répondit à l’émissaire : «Il n’y a pas d’entente possible entre l’émir et moi ; jamais il n’y aura d’alliance entre nous, et, ma vie durant, il ne doit s’attendre qu’à la guerre. Tout ce qu’on lui a dit de ma coalition avec Ben elAhmar est la vérité même ; qu’il s’attende donc à me rencontrer et qu’il se tienne prêt au combat.» L’envoyé rapporta cette réponse à l’émir des Musul­ mans, qui s’écria : «Ô Seigneur Dieu ! accorde-moi la victoire contre eux, Ô toi le meilleur des victorieux !» Après être resté trois mois et dix-sept jours à Tanger, l’émir des Musulmans revint à Fès où il entra à la fin de chouel, an 678. Alors il expédia un second message à Yaghmourasen pour entamer de nouvelles négociations et, lui démontrer son erreur : «Ô Yaghmourasen ! lui écrivit-il, jusqu’à quand persisteras-tu dans cette voie et quand te désis­ teras-tu de cette amertume en faveur de sentiments meilleurs ? Sache que tous nos différends sont vidés; aie donc du bon sens et agrée la paix qui est la plus belle chose que Dieu ait faite pour ses serviteurs. Je désire que tu sois fort et puissant, capable de prêter ton appui à la guerre sainte, et que cette guerre et les conquêtes sur les Infidèles deviennent ta seule ambition. Nous

    ____________________ 1 Fès el-Djedid.

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    devons être absolument en bonnes relations ensemble. Si tu refuses d’aller à la guerre sainte et que tu ne veuilles point entrer toi-même dans cette voie, laisse au moins agir les Croyants pour leur soutien et leur propre défense, et ne t’oppose plus au passage des Toudjyny, qui a sont les alliés des Beny Meryn.» Pendant que l’envoyé de l’émir parlait, Yaghmourasen sauta à diverses reprises sur son siège, et quand il entendit prononcer le nom des Toudjyny, il s’écria, hors de lui-même : «Par Dieu ! je ne veux plus entendre un mot de ces gens-là. Alphonse lui-même viendrait chez eux que je ne l’empêcherais point et le laisserais faire.» Quand l’émir victorieux eut perdu tout espoir d’alliance avec Yaghmourasen, il sortit de Fès pour aller l’attaquer, et cela dans le courant de dou’l hidjâ, an 679 (1280 J. C.). Arrivé au défilé d’Abd Allah, il fut rejoint par son fils, l’émir Abou Yacoub, et il se rendit, à Rabat Taza, d’où il partit au bout de quelques jours pour l’Oued Moulouïa; il n’avait pas même cinq cents cavaliers avec lui, mais là il fut rejoint par les contingents des Meryn et des Kabyles, qui arrivèrent nom­ breux comme la pluie, et son armée couvrit bientôt les hauteurs et les plai­ nes. Il s’avança alors jusqu’à Tama (Mama ou Nama), où il perdit son fils Ibrahim, et il poursuivit son chemin jusqu’à l’Oued Tafna. Là, Yaghmoura­ sen se présenta à lui avec ses trésors, sa famille et ses bagages, entouré de paisibles tribus arabes conduisant leurs chameaux et leurs bestiaux. A cette vue, l’émir des Musulmans commanda de suspendre l’attaque ; mais les Beny Meryn voulaient se battre, et une partie d’entre eux se mit en campa­ gne pour chasser et, en même temps, pour découvrir l’armée de Yaghmoura­ sen. Emportés par la chasse, ils arrivèrent sans s’en douter au camp ennemi, d’où les Abd el-Ouahed et autres Arabes s’élancèrent sur eux comme un essaim de sauterelles. Les cavaliers Meryn, battus et poursuivis, atteignirent avec peine les bords du fleuve ; mais, à leur vue, l’émir, qui finissait en ce moment sa prière du Douour, monta à cheval et bondit comme un lion avec tous ses soldats. La cavalerie se divisa, sur son ordre, en deux parties ; l’une se précipita sur le camp, et l’autre sur la troupe d’Arabes qui s’était présentée à lui. L’émir et son fils Abou Yacoub restèrent en arrière avec envi­ ron mille cavaliers des plus vaillants Beny Meryn. Le combat s’engagea el s’échauffa ; Satan apparut, et la bataille devint de plus en plus sanglante jus­ qu’à l’Asser. Alors l’émir des Musulmans se montra avec ses mille cavaliers Beny Meryn, tandis que son fils Abou Yacoub se présentait aussi d’un autre côté ; tous deux, avec leurs tambours et leurs enseignes, ils s’élancèrent dans la mêlée et combattirent courageusement. Yaghmourasen, comprenant que toute résistance était devenue impossible pour lui, s’en alla, abandonnant son camp, ses trésors, sa famille et sa suite; il prit la fuite en courant vers le désert, sans tenir compte, selon sa coutume, des biens et des femmes qu’il

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    laissait derrière lui. Ses troupes furent massacrées et ses enseignes abattues. pendant qu’il rentrait en cachette dans sa capitale, Tout son camp fut livré au pillage, et les Musulmans passèrent la nuit entière à faire du butin et à saccager les environs, pendant que le tambour de l’émir battait la victoire sans discontinuer. Tous les biens des Arabes furent pris, et les Meryn s’enri­ chirent de butin, de chameaux et de bestiaux. Abou Zyan ben Abd el-Kaouy accourut en toute hâte chez l’émir Abou Youssef qu’il proclama et qu’il aida avec ses tribus Toudjyny à rava­ ger les possessions d’Yaghmourasen. Lorsque. tout fut incendié et détruit, Abou Youssef donna ordre aux Toudjyny de retourner chez eux, et il leur alloua une forte partie du butin. Il resta lui-même devant Tlemcen jusqu’à ce qu’ils fussent à l’abri dans leur pays, et il se mit en chemin pour revenir au Maghreb. Il entra à Fès dans le ramadhan 680 ; il y resta jusqu’à la fin de chouel, et il en sortit le 1er de dou’l kâada pour Maroc, où il arriva dans les premiers jours de moharrem 681 (1282 J. C.). C’est, à cette époque qu’il épousa la femme de Messaoud ben Kennoun ; il expédia ensuite son fils Abou Yacoub dans le Sous, et il demeura à Maroc. Il reçût là un message d’Alphonse, qui lui adressait, des louanges et lui écrivait : «Ô roi victorieux ! les Chrétiens soulevés contre moi veulent me renverser pour élever mon fils Don Sancho à ma place, sous prétexte que je suis vieux, sans bon sens et sans forces. Puissé-je leur tomber dessus avec toi !» L’émir lui répondit aussitôt : «Je suis prêt et j’accours.» Il partit, en effet, de Maroc en raby el-aouel, et il marcha en toute hâte, sans halte ni repos, jusqu’au Kessar el-Medjaz d’où il passa à Algéziras dans le mois de raby el-tâny. Il trouva les Chrétiens dans un état complet d’épuisement et de désorganisation. Les princes et les chefs espagnols se présentèrent à lui et le saluèrent. Il se mit alors en marche, et arriva à Sakhrat el-Abâd. C’est là qu’Alphonse vint à lui, humble et faible, et que l’émir, l’accueillant généreusement, releva son courage. Alphonse se plaignit de la misère où il était tombé, et ajouta : «Je n’ai d’autres secours à attendre que ceux même tu m’accorderas, et d’autres victoires à espérer que celles que tu remporteras. Il ne me reste d’autres biens que ma couronne, c’est celle de mon père et de mes aïeux, prends-la en gage et donne-moi l’argent nécessaire pour me relever.» L’émir lui remit 100,000 dinars, et ils commencèrent ensemble à faire des razias sur les terres des Chrétiens jusque sous les murs de Cordoue, où ils établirent leur camp et battirent pendant quelque temps le fils d’Alphonse, qui s’y, était ren­ fermé. L’émir envoya des troupes vers Jaën pour détruire les moissons; il se rendit lui-même dans les environs de Tolède, et s’avança jusqu’à Madrid, en saccageant tout sur son passage ; les mains des Musulmans s’emplirent de dépouilles et de butin. L’émir retourna à Algéziras, en châaban, et il y

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    demeura jusqu’à la fin du mois de dou’l hidjâ, il en partit le 1er de moharrem 682 (1283 J. C.) pour Malaga, qu’il assiégea et il conquit un grand nombre de places fortes des environs, entre autres. les châteaux de Kertouma, de Dakhouân et de Souhyl. Durant cette même année le fils d’Alphonse fit alliance avec Ben el-Ahmar, pour contre-balancer celle de son père avec l’émir des Musulmans Abou Youssef. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Toute l’Andalousie fut en feu. Ben el-Ahmar, voyant que la perte de ses états était imminente, envoya des ambassadeurs à l’émir Yacoub, dans l’Adoua, pour le supplier de venir mettre de l’ordre en Andalousie. Abou Yacoub passa, en effet, le détroit dans le mois de safar 682, et, après ces longues et terribles discussions, Dieu très-haut fit faire la paix aux Musulmans, et sa bénédiction releva les enseignes de la religion et unit la parole de l’Islam. Les razias contre les adorateurs des images recommencèrent, et l’émir des Musulmans retourna une fois encore sur les terres infidèles pour faire du butin et des prisonniers. Il partit d’Algéziras pour Cordoue, et c’est l’expé­ dition d’El-Byrâ.

    EXPÉDITION DE L’ÉMIR DES MUSULMANS CONTRE EL-BYRÂ.

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    L’émir partit d’Algéziras le 1er de raby el-tâny de l’an 682, et s’avança jusqu’à Cordoue, dont il rasa les environs et pilla les châteaux; puis il se porta sur El-Byrâ après avoir laissé son camp et le butin à Baëza sous la garde de cinq mille cavaliers des plus vaillants, et en cela il fit preuve de beaucoup de jugement et de prudence. Il se rendit en toute hâte à El-Byrâ, courant deux jours dans un pays désert avant d’atteindre les lieux habités; les cavaliers qui étaient avec lui ne cessèrent de galoper, et il n’y eut de halte qu’aux environs de Tolède, à une journée de El-Byrâ. Le butin et les riches­ ses que les Musulmans acquirent dans cette expédition, et le nombre de mil­ liers de Chrétiens qu’ils firent périr sont incalculables. L’émir; changeant de direction, se porta sur Oubéda, renversant, pillant et incendiant, tout ce qui se trouvait. sur son passage; arrivé sous les murs de la place, il commença aussitôt l’attaque ; mais un instant après, un barbare, posté sur les remparts, lui décocha une flèche qui atteignit son cheval ; l’émir fut protégé par la grâce de Dieu ; néanmoins cet accident le décida à se retirer, et il revint au camp de Baëza, où il demeura trois jours pour laisser reposer ses troupes. Alors, malgré tous ses avantages, il s’en retourna à Algéziras avec les tré­ sors et les dépouilles dont il s’était rendu maître, et il entra dans cette ville en radjeb 682. Il fit la distribution du butin aux Musulmans, et passa dans l’Adoua 1er de châaban. Il séjourna trois jours à Tanger, et il se rendit à Fès, où il arriva dans la dernière décade de châaban ; il y fit son jeûne du ramadhan et y célébra la fête. Puis il partit pour Maroc et il s’arrêta deux

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    mois à Rabat el-Fath. Il arriva à Maroc en moharrem 683 (1284 J. C.), et il expédia son fils l’émir Abou Yacoub dans le Sous pour faire des razias sur les tribus arabes ; celles-ci, fuyant devant lui, s’en allèrent au Sahara, où il les poursuivit jusqu’à la Sakyât el-Hamra, et le plus grand nombre des fuyards moururent de faim. Sur ces entrefaites, l’émir des Musulmans Abou Youssef tomba très-dangereusement malade à Maroc, et il envoya l’ordre à son fils Abou Yacoub de rentrer de suite pour le voir avant de mourir. Celui-ci se mit précipitamment en marche pour la capitale, et tout le monde se réjouit quand il arriva auprès de son père. L’émir des Musulmans retrouva le repos et put bientôt se lever ; il reprit toute sa santé et il partit de Maroc pour aller de nouveau faire la guerre sainte en Andalousie, vers la fin de djoumad el-tâny, an 683. Il entra à Rabat el-Fath vers le milieu de châaban, il y passa le ramadhan, et c’est là qu’il reçut les cheikhs et les docteurs du Maghreb, qui vinrent le féliciter pour le rétablissement de sa santé. — Il y eut cette année-là une grande disette jusqu’à la fin du ramadhan. — Dans les derniers jours de chouel, l’émir quitta Rabat el-Fath et se rendit au Kessar elMedjâz, d’où il fit un appel aux Kabyles du Maghreb pour la guerre sainte. Toute la fin de l’an 683 fut employée aux préparatifs et au passage des trou­ pes en Andalousie.

    QUATRIÈME PASSAGE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS EN ANDALOUSIE.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui pardonne !) a dit : L’émir des Musul­ mans Abou Youssef passa pour la quatrième fois en Andalousie pour faire la guerre sainte, le jeudi 5 de safar, an 684 (1285 J. C.). Il débarqua à Tarifa, et se rendit à Algéziras, où il demeura quelque temps. Il se mit alors en course sur les terres chrétiennes qu’il rasa jusqu’à l’Oued Lekk(1), où il trouva les moissons en pleine maturité et une prodigieuse abondance. Il arriva à Xérès avec l’intention de rayonner de là sur tous les pays infidèles pour rétablir les Musulmans jusque dans leurs extrêmes limites, en s’arrêtant à chaque point aussi longtemps que Dieu très-haut le voudrait. Tel était son plan. Il arriva à Xérès le 20 de safar 684, et dès ce jour-là, chaque matin, après avoir fait sa prière, il montait à cheval avec ses guerriers devant la porte de la ville. et il lançait; ses troupes dans toutes les directions pour détruire les moissons, couper les arbres, saccager les habitations. sans relâche jusqu’à l’heure de la prière de l’Asser, où il ralliait tout son monde. (Que Dieu lui fasse misé­ ricorde !) Il rentrait alors sous sa tente et les troupes allaient se reposer dans leur camp. Il ne cessait d’exhorter les Musulmans et de les pousser en avant, parce qu’il savait que les Chrétiens (Dieu très-haut les confonde !)

    ____________________ 1 Guadalete.

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    avaient leurs greniers vides et qu’ils étaient menacés par la famine. Il crai­ gnait qu’ils ne se relevassent de cette situation misérable en conservant cette province, et c’est pour cela qu’il s’acharna ainsi à détruire leurs moissons et toutes leurs ressources. Le 24 de safar les détachements Beny Meryn et arabes, qui couraient dans le pays, rentrèrent au camp après avoir tout dévasté, champs, moissons et jardins, jusqu’aux alentours de la ville de Ben Selim, où ils avaient tué beaucoup de monde et fait des prisonniers. Le même jour, toute la cavalerie musulmane qui était restée à Tarifa, ainsi que les troupes des garnisons des diverses forteresses de l’Andalousie, arrivèrent chez l’émir avec armes et bagages, et se réunirent à son armée victorieuse. Le mercredi 25 de safar, l’émir des Musulmans envoya Ayad elAssamy attaquer la forteresse de Chelouka, où ce kaïd massacra tous les Chrétiens qui s’y trouvaient. Le jeudi 26, l’émir, escorté d’un fort détache­ ment, se porta devant la porte même de Xérès, et il envoya les chevaux et les mulets pour aller chercher les grains nécessaires à l’entretien de ses troupes ; tous les animaux du camp suffirent à peine pour transporter les quantités de blé et d’orge que l’on réunit. L’émir des Musulmans envoya ensuite ses deux ministres, les deux cheïkhs Abou Abd Allah Mohammed ben Athou et Abou Mohammed ben Amran, pour aller reconnaître la forte­ resse d’El-Kantara et celle de Routha. Ils montèrent à cheval et s’y rendi­ rent avec cinquante cavaliers ; ils inspectèrent les murs, de tous côtés, et se réjouirent en reconnaissant la faiblesse des Chrétiens, dont ils vinrent rendre compte à l’émir. Le vendredi, 27 dudit mois, l’émir demeura dans son camp et ne monta pas à cheval ; mais cela n’était qu’une ruse pour que les Chrétiens se crussent à l’abri d’une attaque ce jour-là. En effet, ils ne manquèrent pas de faire sortir leurs troupeaux de la ville pour les faire paître aux alentours, et l’émir Abou Aly ben Mansour ben Abd el-Ouahed, qui s’était embusqué dans les oliviers avec trois cents cavaliers, enveloppa en un instant lesdits troupeaux qu’il enleva après avoir tué tous les gardiens. Le samedi 28, l’émir monta à cheval avec tous ses guerriers, et se rendit devant la ville de Xérès, qu’il battit pendant une heure ; puis il se retira et fit abattre sur son passage un nombre considérable de vignes et de, figuiers ; il ne rentra au camp que le soir. Dimanche 29, il donna à son petit-fils, l’émir Abou Aly Mansour ben Abd el-Ouahed, le commandement de mille cavaliers, et il l’expédia à Séville ; puis, montant lui-même à cheval, selon sa coutume, il retourna devant Xérès, ordonnant à sa troupe de continuer l’œuvre de destruction sur les moissons. les oliviers et les figuiers. L’émir Abou Aly Mansour se mit en marche avec ses mille cavaliers

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    Beny Meryn, Arabes, Assam (garb), Khelouth, El-Aftadj et El-Aghzâz, le lendemain lundi à midi. Il ne s’arrêta qu’au Djebel Djeryr, où il fit la prière de l’Asser, et il remonta à cheval avec tous les Croyants qui l’accompa­ gnaient. Ils avancèrent jusqu’au coucher du soleil, au moment même où ils arrivaient sous les arches du pont d’El-Kantara. Là ils firent halte pour donner la ration aux chevaux, et ils se remirent en marche pour toute la nuit. A l’aube ils se trouvèrent entre le DjebeI Rahma(1) et Séville, où ils attendi­ rent le lever du soleil. L’émir Abou Aly Mansour prit alors conseil des chefs de la troupe, et il fut résolu que cinq cents cavaliers se porteraient en avant pour attaquer Séville, et que les cinq cents autres, resteraient en arrière pour les suivre à distance. Cinq cents chevaux partirent donc, et l’émir Abou Aly Mansour suivit leurs traces doucement avec le reste de sa troupe. Les Chré­ tiens, attaqués brusquement, furent mis en pièces ou faits prisonniers; leurs harems furent violés, leurs maisons pillées. Un corps de Musulmans Beny Souhoum, Beny Ouenhoum et quelques Berghouata, ayant fait la rencontre d’un détachement, de Chrétiens, livrèrent bataille, et Dieu très-haut anéantit cette portion d’Infidèles, qui furent tous tués ou faits prisonniers. Les trou­ pes ayant rallié, l’émir Abou Aly Mansour demanda au cheïkh Aby el-Has­ sen Aly ben Youssef ben Yergâten, quel chemin il convenait de prendre pour le retour. Le cheïkh lui répondit : «L’avis béni, s’il plaît à Dieu, est celui qui doit nous faire choisir la route entre Carmona et El-Kelâa.» L’émir ayant donné ordre de réunir le butin, le confia à un Amin, et le faisant passer devant, il se dirigea vers Carmona. Les Musulmans souffrirent beaucoup en route de la chaleur et de la soif. L’émir Abou Aly envoya le cavalier Abou Smyr en avant pour aller reconnaître Carmona. Abou Smyr partit au galop, mais il rencontra presque aussitôt une troupe de Musulmans qui s’étaient portés devant Carmona depuis le matin, et qui en revenaient en déroute et en fuite. Abou Smyr, s’arrêtant, leur dit : «Que vous arrive-t-il donc ? Ils répondirent : Nous étions devant Carmona, quand une troupe de cavaliers et de soldats en est sortie et nous a attaqués ; les voilà qui arrivent à notre pour­ suite derrière cette colline.» Abou Smyr s’arrêta donc en cet endroit avec les fuyard et attendit l’arrivée de l’émir Abou Aly escorté de ses troupes et du butin; il le mit aussitôt au courant, et ils se précipitèrent tous ensemble du côté des Chrétiens, qui firent volte-face et prirent la fuite en désordre. Les Musulmans les atteignirent à la porte même de la ville et les massacrèrent tous, à l’exception d’un petit nombre qui parvint à se sauver derrière les rem­ parts. L’émir ordonna alors d’incendier les moissons et de couper les arbres dans les environs de Carmona ; ce qui fut fait jusqu’à l’heure de l’Asser.

    ____________________ 1 Sierra Morena.

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    Au coucher du soleil il se mit en chemin pour aller à la rencontre du butin, avec lequel il passa la nuit sur les bords de l’Oued Lekk ; de là, il partit pour El-Kouas (les arches), et saccagea le pays et les moissons jusqu’à l’heure de la prière de l’Asser. Puis il se rendit à l’Oued Melâha, et, se remettant en marche, il arriva le lendemain heureusement au camp avec tout son butin. Lundi, 30 de safar, l’émir des Musulmans monta à cheval et condui­ sit ses guerriers couper les figuiers et les oliviers, incendier les moissons et piller les habitations, ce qu’ils firent jusqu’à l’heure de l’Asser; cette jour­ née fut des plus fatigantes. Il donna ordre à Saïd Bou Kheffs d’aller, avec un détachement arabe, chercher de l’eau douce et de suivie les combattants pour leur donner à boire, et cela fut fait tant que dura l’expédition. Le mardi, 1er du mois de raby el-aouel, l’émir monta à cheval et fit crier par ses hérauts l’ordre de se mettre en course pour ravager les moissons et couper les arbres ; il ne rentra dans sa tente qu’après la prière de l’Asser. Le même jour, il donna ordre aux Arabes El-Assam de s’embusquer devant la porte de Xérès pour faire prisonniers tous ceux qui en sortiraient et tuer ceux qui se présenteraient pour y entrer ; il leur enjoignit également d’atta­ quer la forteresse de Chelouka ; ils surprirent les habitants, qui se croyaient en sûreté ; ils enlevèrent les vaches, les bestiaux et les mulets, mirent la place à sac et firent quatorze prisonniers. Ayad el-Assamy rentra au camp chargé de butin. Le mercredi 2, l’émir des Musulmans (que Dieu lui fasse miséri­ corde!) expédia cinq cents cavaliers pour aller raser Achdja(1) et ses envi­ rons. Ce même jour arrivèrent au camp l’émir Abou Aly Omar ben Abd el-Ouahed, venant de l’Adoua, accompagné d’un grand nombre de guerriers et de volontaires, cavaliers et fantassins, parfaitement armés et équipés, et le fekhy Kassem, fils du fekhy Abou Kassem el-Azfy, avec les guerriers de Ceuta, au nombre de cinq cents arbalétriers. L’émir des Musulmans se réjouit beaucoup de l’arrivée de ces renforts, et il donna ordre à l’émir Mou­ helhel ben Yhya el-Kholthy de choisir mille cavaliers arabes Khelouth pour aller piller Xérès et l’entourer, pendant la nuit, de façon que personne n’en sortît pour l’approvisionner. Dès ce moment, les Khelouth ne cessèrent plus de cerner la place nuit et, jour. Le jeudi 3, l’émir des Musulmans donna à son petit-fils, l’heureux Abou Aly ben Abd el-Ouahed, le commandement de mille cavaliers pour ravager le pays des Infidèles. Ils partirent du camp au lever du soleil, après qu’Abou Aly eut reçu les adieux de son grand-père, et ils marchèrent jus­ qu’au fort El-Melâha, où ils s’arrêtèrent pour donner la ration aux chevaux; ils se mirent en chemin à l’entrée de la nuit, et le lendemain matin ils

    ____________________ 1 Ecija.

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    arrivèrent à Kalat Djaber, où ils campèrent jusqu’à la nuit ; ils marchèrent ensuite le tiers de la nuit et ils arrivèrent à l’Oued Lekk, où ils demeurèrent jusqu’au jour ; là ils se cachèrent jusqu’à midi pour donner le temps aux Chrétiens de se répandre sur leurs terres. Alors Abou Aly, aussitôt après avoir fait sa prière, partagea sa troupe en deux corps ; il en garda un avec lui et subdivisa l’autre en deux parties, dont la première s’en alla jusqu’à la porte le Merchâna(1), renversant tout sur son chemin, tuant un nombre considérable de Chrétiens et faisant prisonniers les femmes et les enfants qui étaient dans les jardins et auprès des moissons. Le soir, les prises furent réunies à l’Oued Lekk. L’autre subdivision s’en alla à Carmona, et l’émir Abou Hafs la suivit de près ; il s’arrêta sous un fort, défendu par trois cents Chrétiens environ, auxquels il livra un sanglant combat, et Dieu très­ haut lui donna la victoire. Les Musulmans entrèrent dans la place, dont ils massacrèrent la garnison et où ils pillèrent tout, armes, bagages, trésors et Chrétiennes. L’émir fit raser le fort et s’en revint heureux, victorieux, avec ses prises, jusqu’à l’Oued Lekk, où il se rallia avec la subdivision qui ren­ trait de Merchâna. Le lendemain matin, il fit passer devant lui tout le butin et il se dirigea vers El-Kouas, d’où il rentra au camp. L’émir des Musul­ mans se réjouit beaucoup de son retour et le félicita. Le même jeudi, les arbalétriers de Ceuta attaquèrent une forteresse chrétienne et ils firent qua­ tre-vingts prisonniers, hommes, femmes et enfants, qu’ils ramenèrent, avec eux au camp. L’émir des Musulmans préleva le cinquième des prises et leur partagea le reste. Le vendredi 4, l’émir des Musulmans monta à cheval avec tous ses guerriers, auxquels il donna ordre de ravager les moissons. et de couper les arbres comme de coutume. Les Musulmans se répandirent dans les champs de blé et se mirent à l’œuvre, tandis que l’émir alla s’embusquer dans les oliviers de Xérès à l’affût des Chrétiens qui auraient pu inquiéter les Musul­ mans. Il resta au même endroit jusqu’à la prière du Maghreb et, lorsque tous les soldats furent rentrés au camp, il y revint aussi. Le samedi 5, l’émir des Musulmans monta à cheval après avoir fait sa prière du Douour, et vint se présenter devant Xérès, où il engagea un san­ glant combat. Les Musulmans incendièrent les jardins et tuèrent plus de sept cents Chrétiens ; ils ne pendirent qu’un seul homme. Le dimanche 6, l’émir retourna à Xérès et donna ordre aux troupes de faucher les blés, tandis qu’il restait lui-même embusqué dans les oliviers pour garder les Musulmans dans le cas où les Chrétiens feraient une sortie. Comme de coutume, il rentra le dernier au camp. Ce même jour, Aly ben Hadjy el-Eftahyny sortit avec soixante et dix cavaliers de ses frères, et ils se

    ____________________ 1 Marchena.

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    portèrent sur Rota, qu’ils pillèrent ; ils tuèrent un grand nombre de Chrétiens et revinrent au camp avec leur butin. Le mardi 8, l’émir des Musulmans envoya un détachement de cinq cents cavaliers environ contre Arkoch, qu’ils pillèrent; ils prirent quatre­ vingts Chrétiennes, des vaches, des bestiaux et bêtes de somme ; ils tuèrent un grand nombre d’hommes et revinrent au camp avec leur butin. Le mercredi 9, l’émir des Musulmans donna à son fils, l’émir Abou Mahrouf, le commandement de mille cavaliers avec ordre d’aller saccager les environs de Séville. Ce même jour, quelques Arabes Khelouth mirent à sac un fort des environs de Xérès et prirent huit Chrétiens, trois cents mou­ tons, cent soixante et dix têtes, mules, vaches ou taureaux, et ils rallièrent le camp avec tout le butin. Ce même jour encore, les archers et les guer­ riers de Ceuta attaquèrent une forteresse chrétienne, où ils massacrèrent un grand nombre d’hommes et firent prisonniers treize Chrétiens et une Chré­ tienne, ainsi que leurs prêtres et leurs anciens. On trouva chez les prêtres une grande quantité de monnaies d’or musulmanes, dont l’émir préleva le. cinquième. D’un autre côté, quelques kaïds andalous ayant aussi attaqué un château chrétien, y entrèrent à l’assaut et massacrèrent toute la garnison; ils revinrent au camp avec six Chrétiens et quatre Chrétiennes prisonniers et cent vaches, plus une grande quantité d’arcs et de munitions de guerre. L’émir se contenta du cinquième de ce butin, comme il l’avait fait pour les soldats de Ceuta. L’émir Abou Mahrouf se mit en marche avec la cavalerie, dont il avait reçu le commandement ; son père, l’émir des Musulmans, l’accompagna à cheval pendant quelque temps et le congédia en lui recommandant bien de penser à Dieu, qu’il fût seul ou en public, d’avoir du calme, de la patience et, au besoin, de la résignation. L’émir Abou-Mahreuf marcha tout le jour et ne fit halte qu’au Djebel Abryz pour faire sa prière de l’Asser; rernontaut à cheval aussitôt après, il ne s’arrêta plus que le soir à l’Oued Lekk pour donner la ration aux chevaux; puis il se remit encore en route, et, le matin, il se trouva àla forteresse d’Aïn El-Sakhra, où il se reposa jusqu’à l’heure de i’Asser; pais, ayant encore avancé jusqu’au soir, il s’arrêta quelques heures pour donner la ration aux chevaux. Le lendemain matin, il atteignit El-ICe­ làa; il réudot là tous les cheïkhs de sa troupe eu conseil, et, sur leur avis, cinq cents cavaliers partirent aussitôt dans la direction de Séville, tandis que lui-même, à la tête des autres, déploya ses enseignes victorieuses et suivit leurs traces doucement. . A la vue du premier corps de cinq cents cavaliers, les Chrétiens sortirent de Séville en grand nombre, cavalerie et infanterie, pour les combattre; mais dès qu’ils eurent aperçu l’étendard victorieux qui guidait le second corps de cavalerie, ils prirent la fuite et rentrèrent en toute

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    hâte dans leur ville, dont ils fermèrent les portes et où ils se retranchèrent derrière leurs fortifications. L’émir Abou Mahrouf s’arrêta alors à une dis­ tance convenable pour être à l’abri des flèches ennemies, et donna ordre à ses soldats de saccager les environs, d’incendier les moissons et de détruire les habitations ; il resta lui-même posté ainsi en face de la porte de Séville, jusqu’à ce que les Musulmans eussent achevé leur œuvre de destruction et l’eussent rallié. Le tambour battait sans cesse pour épouvanter les ennemis. Les Musulmans firent un immense butin et tuèrent plus de (trois mille Chré­ tiens ; c’était le jour anniversaire de la naissance de notre prophète Moham­ med que Dieu le comble de bénédictions !) ; ils firent trois cent quatre-vingts prisonniers, femmes et enfants, et ils s’emparèrent de cent soixante-cinq têtes, taureaux, mulets et ânes, plus d’un grand. nombre de vaches et de bes­ tiaux ; aucun homme ne fut pris sans être aussitôt massacré, et ils revinrent au camp joyeux et chargés de butin. Le mardi 15 de raby el-aouel, l’émir des Musulmans envoya son petit-fils, Abou Aly Omar Abd el-Ouahed, avec un corps de mille archers de Ceuta et de mille Mesmouda et volontaires, accompagnés de mulets char­ gés de haches, de lances et d’arcs, pour attaquer un fort situé à huit milles du camp, d’où l’ennemi coupait le chemin aux Musulmans qui s’isolaient un peu. Abou Aly, aussitôt arrivé, combattit les Chrétiens, qui firent preuve de courage et de résignation ; ils avaient placé leurs hommes et leurs arbalé­ triers sur toutes les parties du fort, en haut et en bas. L’émir, étant descendu de cheval, prit son bouclier et s’élança lui-même à pied, combattant de sa propre main, entouré des cavaliers arabes qui avaient imité son exemple et suivi des archers de Ceuta et des Mesmouda. Ils entrèrent à l’assaut dans le fort, et ils tuèrent quatre-vingts Barbares ; ils firent les autres prisonniers, hommes et femmes, et ils s’emparèrent de tout, ce qu’ils trouvèrent, armes, bagages, provisions et farines; ils rentrèrent au camp le même jour, après avoir rasé le fort jusqu’aux fondements. En attendant, l’émir des Musul­ mans s’était porté devant Xérès, où il soutint un combat sanglant avec les Chrétiens de la ville qui avaient fait une sortie avec toutes leurs force, cavaliers, fantassins et archers. Les arbalétriers musulmans ayant entamé leurs rangs, les cavaliers Beny Meryn et arabes achevèrent de les mettre en déroute, et ils en tuèrent un grand nombre devant la porte même de leur ville. Le jeudi 17, l’émir des Musulmans monta à cheval avec toutes ses troupes et se porta contre un fort connu sous le nom de Mentkout, situé à environ dix milles du camp, et qui était gardé par un grand nombre de che­ valiers et de nobles chrétiens, qui s’étaient voués à la guerre et se tenaient prêts à l’attaque. Les Musulmans leur livrèrent un sanglant combat, où

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    les arbalétriers se distinguèrent; ils tuèrent environ soixante hommes, et, ayant pénétré dans le bas du fort, ils réunirent des combustibles et y mirent le feu. L’incendie dévora le fort sans cesser jusqu’au lendemain vendredi, à midi. Les Chrétiens, se voyant ainsi bridés d’une part et battus de l’autre, mirent bas les armes et vinrent eux-mêmes se constituer prisonniers entre les mains des Musulmans, qui prirent ainsi cent quatre-vingt-dix Barbares et soixante et quatorze de leurs femmes ; ils enlevèrent également leurs trésors, leurs animaux et leurs armes ; ils détruisirent, les dernières ruines du fort, et, après avoir dévasté la campagne environnante, ils revinrent au camp. Le samedi 19, Abd el-Rezak el-Bataouy vint au camp pour annoncer à l’émir des Musulmans la prochaine arrivée de l’Adoua de son fils, l’émir Abou Yacoub, qu’il avait laissé sous la ville de Ben Selim, campé dans une plaine trop étroite pour le nombre de ses troupes; il ajouta qu’Abou Yacoub avait livré combat à la ville de Ben Selim, où il avait tué un grand nombre de Chrétiens. Les Musulmans se réjouirent beaucoup en entendant ces nouvelles, et le cheikh Abou el-Hassen Aly ben Zedjdân sortit aussitôt, pour aller au-devant des nouveaux arrivants, avec nul détachement de Beny Askar.

    ARRIVÉE DE L’ÉMIR ABOU YACOUB EN ANDALOUSIE POUR Y FAIRE LA GUERRE SAINTE.

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    Lorsque l’émir Abou Yacoub fut passé, de l’Adoua en Andalousie avec une forte armée de guerriers et de volontaires, il se dirigeas vers le camp de soit père, auquel il envoya annoncer son arrivée quand il fut proche. L’émir des Musulmans monta à cheval pour aller à sa rencontre, accompa­ gné de toutes ses troupes, dont chaque corps, Beny Meryn, Arabes ou étran­ gers, se rallia autour de son enseigne avec armes et bagages et défila en faisant passer les fantassins devant les archers et les cavaliers. Les volon­ taires et les Mesmouda étaient ce jour-là au nombre de treize mille, et les Kabyles du Maghreb, Ouaraba, Ghoumara, Senhadja, Mekenèsa, Sedreta, Lamta, Beny Ouartyn, Beny Yazgha et autres, s’élevaient à dix-huit mille hommes. Lorsque l’émir aperçut son fils, il descendit de cheval et s’arrêta pour rendre des actions de grâce à Dieu. L’émir Yacoub, mettant également pied à terre, s’avança au-devant de son père et lui baisa les mains. L’émir des Musulmans reprit alors sa monture en invitant son fils à en faire autant, et les Croyants se saluèrent les uns les autres en se réunissant. Le tambour battit et le tumulte fit trembler la terre. De retour au camp, l’émir des Musulmans descendit sous sa tente et y fit entrer son fils avec les cheikhs Beny Meryn et arabes pour prendre part à leur repas, et puis l’émir Abou Yacoub retourna

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    à son camp avec deux cents archers de Malaga qu’il avait gardés avec lui. Le lundi 21, l’émir des Musulmans monta à cheval, et, faisant passer devant lui les fantassins et les arbalétriers, il se porta contre la forteresse d’El-Kantara, dont il battit les murs jusqu’au moment où les Musulmans livrèrent l’assaut; ils mirent le feu à la place, massacrèrent les hommes, pri­ rent les femmes et les enfants, et pillèrent tout, vaches, bestiaux et bêtes de somme. Le mercredi 23, l’émir des Musulmans se mit en campagne avec toute son armée et changea le camp de place, parce que les Musulmans com­ mençaient à ne plus y être commodément ; il traversa l’Oued Lekk, et les Croyants s’établirent au milieu des arbres et des jardins de Xérès, qu’ils bat­ tirent ce jour-là depuis dix heures du matin jusqu’au Douour. Le jeudi 24, l’émir des Musulmans renouvela l’attaque contre Xérès, qu’il battit depuis, le lever du soleil jusqu’au Douour, et il rentra dans sa tente. Le 26, il donna à son fils, l’émir Abou Yacoub, le commandement d’un corps de cinq mille cavaliers avec ordre de se porter vers Séville pour faire des razias, et de passer l’Oued el-Kebyr pour saccager toutes les terres des ennemis. Abou Yacoub se mit en marche le même jour après la prière du Douour ; l’émir l’accompagna en dehors du camp, et il le congédia après lui avoir recommandé de craindre Dieu et l’avoir béni ; il revint alors se poster de nouveau devant la porte de Xérès, qu’il battit jusqu’à l’heure de l’Asser. Après avoir fait tout le tour des murs, il rentra au camp. Le samedi 30, l’émir des Musulmans donna ordre à son fils, l’émir Abou Mahrouf, de monter à cheval avec un corps de combattants pour aller harceler Xérès. Abou Mahrouf se rendit aussitôt sous les murs de cette place qu’il battit jusqu’au soir, sans relâche et sans cesser de détruire les ennemis, tuant les hommes, faisant prisonniers les femmes et les enfants; mais le but de ces combats perpétuels était principalement pour empêcher les habitants de Xérès de se ravitailler, et pour que les Musulmans pussent tranquillement moissonner et récolter les blés dans les campagnes environnantes. Chaque jour, en effet, les Croyants sortaient du camp avec leurs animaux et rappor­ taient des quantités considérables de blé, d’orge et de provisions de toute espèce, au point que nul n’avait besoin de les vendre ou de les acheter. Les guerriers vivaient dans l’abondance et le camp devint bientôt semblable à une grande ville contenant tous les métiers et tous les commerces. Ceux qui en furent témoins oculaires peuvent seuls se faire une idée de ce que c’était. On trouvait là tous les arts et métiers et des fabriques de toutes choses, excepté de haïks ; il y avait 1e marché de la laine filée et du coton. Les souks couvraient la plaine et les hauteurs, et si en les parcourant on se séparait d’un

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    compagnon, on ne le retrouvait plus que deux un trois jours après, tant la foule était grande. L’émir Abou Yacoub était parti du camp avec cinq mille cavaliers des plus distingués, plus deux mille volontaires, treize mille hommes des Mesmouda et autres Kabyles du Maghreb, et mille archets ; il emmenait également avec lui une grande quantité de mulets et de chameaux chargés de bagages, d’armes et de munitions ; mais ce n’était point par crainte des Chrétiens qu’il déployait tant de forces, c’était parce qu’il avait la ferme intention de se répandre partout en même temps. Il fit sa première halte au Djebel Abryz, où il donna la ration aux chevaux, et de là il se rendit à El-Kouas. Les Musulmans commencèrent alors à chanter leurs hymnes à Dieu (qu’il soit glorifié !) avec une telle ardeur, que la force de leurs cris fit trembler la terre. Ils marchèrent, toute la nuit sans cesser leurs cantiques, et, le matin, ils atteignirent l’Aïn el-Sakhra, où ils firent leurs dévotions et se reposèrent jusqu’à l’Asser. Ils se remirent en route, et la nuit les surprit à l’Oued Lekk, où ils trouvèrent un chemin couvert de ronces et de pierres. L’émir Abou Yacoub n’en avança pas moins et les troupes le suivirent, mais ses soldats se perdirent bientôt dans les ténèbres et nul ne savait plus où était son voisin. Abou Yacoub, s’étant aperçu qu’il avait beaucoup devancé les Musulmans, s’arrêta et donna ordre aux cavaliers de retourner sur leurs pas pour les rallier ; il fit battre le tambour, et, en l’entendant, ceux qui s’étaient égarés rejoignirent l’émir, qui ne bougea pas de place jusqu’au retour du dernier absent. Alors il se remit en marche avec toute son armée, et le matin il put faire sa prière près de l’Oued el-Kebyr ; il avança encore jusqu’au lever du soleil, et, s’étant arrêté, il descendit de cheval, invoqua le Sei­ gneur et fit ses préparatifs de combat ; tous les Musulmans l’imitèrent pour demander l’assistance de Dieu. L’émir remonta à cheval et passa le fleuve avec toutes ses troupes; il donna ordre aux Croyants de commencer les opérations sur le pays des sociétaires, et chaque corps se dirigea de son côté. Les Beny Askar et les Arabes Khelouth partirent ensemble ; une heure après, ils rapportèrent à l’émir un butin considérable, vaches, bestiaux, bêtes de somme, Barbares et femmes. Les Arabes Soufyan se portèrent contre un château fort qu’ils enlevèrent à l’assaut après avoir mis le feu aux portes ; ils tuèrent les hommes, prirent les femmes, les enfants, les troupeaux, tout ce qu’ils trouvèrent, et ils revinrent vers l’émir chargés de butin. Les autres détachements se répandirent dans le pays, tuant les Chrétiens ou les faisant prisonniers, ravageant, incendiant, renversant tout, et ils retournèrent égale­ ment chargés de dépouilles vers l’émir Abou Yacoub, qui se tenait lui-même sur les traces des combattants avec un corps d’élite de Beny-Meryn et de cheïkhs arabes. Le général des Aghzâz, nommé Hasra, s’en alla avec cent cavaliers

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    attaquer le château d’El-Oued, où il fit soixante et dix prisonniers, après avoir tué un pareil nombre de Barbares qui défendaient les portes. Les Musulmans coururent sur les routes et dans les champs, dévastant et incen­ diant les moissons jusqu’à l’heure de l’Asser, à laquelle ils rallièrent le camp, où ils égorgèrent ce jour-là environ dix mille têtes de bétail. L’émir, ayant donné ordre de réunir le butin et de l’énumérer, prit note par écrit des quantités et les confia à des administrateurs. La nuit les soldats s’endor­ mirent joyeux et satisfaits, tandis que, sur l’ordre de l’émir, le camp était gardé par trois cents cavaliers postés en sentinelles ou faisant la ronde jus­ qu’au jour. Le lendemain matin, l’émir Abou Yacoub fit sa prière, et donna ordre de battre le tambour ; les Croyants montèrent à cheval et, s’étant ras­ semblés, ils pénétrèrent avec lui dans les bourgs situés dans les bois dont ils mirent à sac toutes les habitations; ils dévastèrent les cultures, tuèrent plusieurs milliers de Chrétiens et en firent autant prisonniers avec leurs femmes et leurs enfants ; ils passèrent deux jours à courir ainsi dans la forêt et les ravins, où ils ne laissèrent absolument rien aux Chrétiens. De retour sur les bords de l’Oued el-Kebyr, l’émir passa le fleuve en se faisant précé­ der de tout le butin, et, arrivé, sur l’autre rive, il prit d’assaut une forteresse chrétienne, dont il massacra la garnison et enleva les biens. Les troupes se reposèrent toute la nuit ; le lendemain matin, elles se remirent en marche doucement avec le butin, et. elles s’arrêtèrent près de Carmona pour passer la nuit. Le jour suivant, l’expédition atteignit El-Kouas et le Djebel Djeryz où l’émir se reposa les deux premiers tiers de la nuit; il se remit alors en chemin, et au jour il se trouva près du camp de l’émir des Musulmans, qui, à la nouvelle de son approche, monta à cheval avec ses guerriers pour aller à sa rencontre. Les deux troupes se rencontrèrent près de Xérès, le dimanche 5 de raby el-tâny. Le butin que l’émir Abou Yacoub apportait couvrait la terre en long et en large; et son armée défila devant Xérès avec toutes ses prises et précédée des prisonniers enchaînés et des femmes avec la corde au cou, dans le but de donner le tout en spectacle aux Chrétiens qui se trou­ vaient dans la place et de les frapper d’épouvante. Le tambour battait, les Croyants chantaient les grandeurs de Dieu, et ce fut un jour superbe qui enivra de joie les guerriers saints. Le lundi 6, l’émir Abou Zyan partit pour Tarifa avec une forte troupe de Musulmans, de volontaires et cinq cents cavaliers arabes des Beny Djaber; il livra le même jour un grand combat à Xérès. Le mardi 7, l’émir des Musulmans donna à son fils, l’émir Abou Zyan, le commandement de mille cavaliers avec ordre de courir sur les bords de l’Oued el-Kebyr. Abou Zyan sortit de la tente avec l’étendard de son père et se mit en marche. Ses mille cavaliers étaient composés de trois cents Arabes

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    Beny Djaber, commandés par Youssef ben Khytoun et sept cents Beny Meryn. Le soir il arriva près de El-Kouas, où il passa la nuit, et le lende­ main matin, en remontant à cheval, il expédia devant lui cinquante cavaliers pour ravager les environs de. Carmona. Ceux-ci partirent et tuèrent un bon nombre de Chrétiens, dont ils prirent les femmes et les biens. La cavalerie de Carmona fit une sortie contre eux, et ils soutinrent le combat jusqu’à l’ar­ rivée de l’émir Abou Zyan, qui mit les Infidèles en déroute et en tua beau­ coup. Les Musulmans se portèrent alors contre un château fort qui était tout proche et où étaient renfermés Un grand nombre de Chrétiens avec leurs femmes, leurs enfants et leurs biens. Après avoir battu la place pendant une heure, une partie des Beny Djaber descendirent de cheval et, boucliers en mains, ils s’avancèrent en lançant des flèches jusqu’au fort, où ils entrèrent à l’assaut; ils massacrèrent la garnison et prirent les femmes et les biens. Alors l’émir Abou Zyan donna ordre à ses troupes d’incendier les moissons, de couper les arbres et de détruire les habitations. Il saccagea ainsi tout, le pays entre Carmona et Séville, jusqu’à une forteresse située au sud de cette der­ nière ville, qu’il attaqua, emporta d’assaut et livra aux flammes. Il fit ensuite un choix de cinq cents cavaliers qu’il lança contre Séville, sous les murs de laquelle ils prirent, cent cinquante femmes et quatre cents Barbares. Dans un seul champ de blé ils massacrèrent plus de cinq cents Chrétiens occupés à moissonner pour Alphonse ; il ne s’en échappa pas un seul, et les Musul­ mans prirent une quantité innombrable de chevaux, mulets, vaches et bes­ tiaux. L’émir Abou Zyan ayant alors réuni tout le butin, le fit passer devant lui et rejoignit son camp à l’entrée de la nuit ; le lendemain, il se mit en marche pour retourner chez son père. Le lundi 13 de raby el-tâny, l’émir Abou Yacoub partit, avec trois mille guerriers saints et deux mille soldats et, arbalétriers, pour l’île de Keb­ tour(1) de l’Oued el-Beira. Les Musulmans passèrent le fleuve sur des navires qu’ils avaient fait ,venir de la mer, et entrèrent dans l’île, dont ils massacrè­ rent tous les habitants, excepté les femmes et les enfants qu’ils firent prison­ niers. Hasra, général des Aghzâz et son cousin se distinguèrent beaucoup dans cette expédition. Le jeudi 16, les Musulmans s’embarquèrent, de l’île de Kebtour pour passer à Algéziras, afin d’y prendre des balistes, des flèches et autres instru­ ments de guerre pour battre Xérès. Le vendredi, les Arabes Soufyan attaquèrent une forteresse et y pri­ rent trois cents vaches, quatre mille têtes de bétail, trente Chrétiennes et seize Barbares ; ils en tuèrent aussi un grand nombre et ils revinrent an camp avec le butin.

    ____________________ 1 Aujourd’hui Isla Mayor, sur le Guadalquivir.

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    Le mardi 21, l’émir des Musulmans expédia trois cents cavaliers pour courir sous Carmona, d’où ils rapportèrent au camp une forte quantité de bêtes de somme, vaches, bétail, femmes et enfants. Le jeudi 30, Ayad el-Assamy se mit en campagne avec une troupe de ses frères, et se porta contre une forteresse située sur les bords du fleuve; il enleva le faubourg à l’assaut, l’incendia, tua plus de trois cents Chrétiens, et il rentra au camp avec le butin et quatre-vingt-seize prisonniers, dont soixante et seize femmes et vingt barbares. Le vendredi 1er de djoumad el-aouel, les Chrétiens de Xérès firent une sortie pour se procurer des vivres et du bois, et les Arabes Soufyan, se portant aussitôt entre eux et la ville, leur coupèrent la retraite et leur tuèrent plus de cinquante hommes. Le samedi 2, l’émir des Musulmans donna à Hadj Abou Zoubyr Talhâ ben Aly le commandement de deux cents cavaliers, avec ordre d’aller explo­ rer Séville et de s’informer de la situation de Sancho ; roi des Chrétiens, dont, il n’avait aucune nouvelle ; il lui adjoignit des espions andalous et juifs. Le lundi 4, l’émir des Musulmans monta à cheval avec tous ses guer­ riers, fantassins et cavaliers, et sen alla attaquer la forteresse de Chelouka, qu’il battit et emporta d’assaut; il incendia les jardins et les habitations envi­ ronnantes ; il tua les hommes, prit les femmes et pilla les biens. Ce jour-là il ne resta au camp que les Arabes Soufyau pour le garder. Le jeudi 7, Ayad el-Assamy s’embusqua avec les siens dans les grot­ tes de Xérès, puis il s’avança avec quelques hommes et portant, lui-même son pavillon rouge jusque sous la porte de la ville. Les Chrétiens, le voyant ainsi isolé, s’élancèrent à pied et à cheval en un seul bond pour l’arrêter; mais Ayad, prenant la fuite, les attira à sa poursuite jusqu’à l’endroit où ses soldats se tenaient cachés, et ceux-ci, sortant tout à coup de leurs grottes, leur coupè­ rent la retraite et leur tuèrent soixante et treize hommes. Ayad (que Dieu lui fasse miséricorde !) était un excellent Musulman, ennemi juré des Chrétiens qu’il ne cessa de harceler nuit et jour, sans se reposer ni seul moment, depuis le jour de l’arrivée du camp à Xérès jusqu’au jour de son départ. C’est ainsi que l’émir des Musulmans Abou Youssef fit la guerre sainte, depuis le samedi 7 de safar 684, jour de son débarquement à Tarifa et de son campement à Aïn el-Chems, jusqu’au 28 de djoumad el-aouel de ladite année, jour de son départ ; il ne cessa de ravager les pays ennemis au levant et au couchant, marchant souvent la nuit, multipliant les combats et les razias, et envoyant successivement ses fils et petits-fils courir sur les terres ennemies avec de magnifiques troupes. Durant tout le siége de Xérès, chaque matin, à peine avait-il achevé sa prière, il mandait auprès de lui un de ses fils, petits-fils ou cheïkhs des Beny Meryn pour lui donner un détache­ ment de deux cents cavaliers avec ordre de se porter sur tel point du pays

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    qu’il voulait raser. Cela dura tant que tous les points voisins ou éloignés ne furent pas complètement battus. Les lieux les plus dévastés furent Niébla, Séville. Carmona, Ecija, Jaën et Djebel Cherf. Lorsque le pays entier fut abîmé, que toutes les moissons furent mangées, les bois coupés, les biens pillés, et que rien d’utile ne resta plus aux Chrétiens ; et comme, d’un autre côté, l’hiver commençant, les denrées devenaient de plus en plus rares et chères dans le camp, l’émir des Musulmans se décida à retourner dans son pays. Il était en route lorsqu’il apprit que les Chrétiens (que Dieu les con­ fonde !) avaient armé une flotte pour lui couper le passage du détroit; il se hâta d’arriver à Tarifa, où il donna ordre d’équiper immédiatement des navires; ce qui fut fait à Ceuta, Tanger, Rabat el-Fath, sur la côte du Rif, à Algéziras, à Tarifa et à Al-munecar. Il réunit ainsi trente-six bâtiments armés et équipés complètement et montés par de nombreux arbalétriers et autres guerriers. Lorsque les Chrétiens eurent connaissance de ces préparatifs et se furent assurés du nombre et de la force des navires des Croyants, ils craignirent d’être écrasés et, prirent la fuite sans attendre l’arrivée de la flotte musulmane, qui se rendit auprès île l’émir Abou Youssef à Algéziras. Les vaisseaux se mirent en rang dans la rade, sous ses yeux, pendant qu’il était dans la salle du conseil de son palais de la ville nouvelle, et ils firent des exercices et des simulacres de combat devant lui. L’émir complimenta chacun des chefs, leur fit des présents, et leur ordonna d’attendre qu’il eût besoin d’eux. Cependant Sancho, roi des Chrétiens, voyant son pays ruiné, ses guer­ riers détruits; ses femmes prisonnières, et apprenant de plus que les équipages qu’il avait envoyés pour intercepter le détroit avaient pris la fuite en déroute, envoya sa soumission et entra dans la voie de la paix et de l’humilité.

    ARRIVÉE DES PRÊTRES ET RELIGIEUX CHRÉTIENS À LA COUR DE L’ÉMIR DES MUSULMANS POUR LUI DEMANDER LA PAIX.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui fasse miséricorde !) a dit : Lorsque l’émir des Musulmans, pressé par l’hiver, eut décidé de s’en retourner chez lui, Sancho, roi des Chrétiens, sortit de Séville pour aller à Xérès, et à la vue des ravages que les guerriers saints avaient faits dans son pays désolé par le massacre, l’incendie, la captivité et la destruction de ses principaux sujets, il sentit le feu calciner son foie et il en perdit le sommeil. Il envoya une députation de confiance, composée de prêtres, de religieux et des principaux chefs, au camp de l’émir des Musulmans, où ils arrivèrent humbles, craintifs et soumis, pour implorer la paix; mais l’émir ne voulut ni entendre leurs discours, ni leur adresser un seul mot, et ils s’en retournèrent humiliés vers celui qui les avait envoyés ; néanmoins, Sancho leur ordonna de renouveler

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    leur ambassade dans l’espérance d’un meilleur succès. Ils revinrent donc vers l’émir et ils lui dirent : «O toi ! roi victorieux, écoute nos prières ; nous voici, le cœur brisé, implorant ta clémence. Nous te demandons le pardon et la paix, qui est une si bonne chose. Ne nous repousse pas et ne nous renvoie plus sans avoir exaucé nos prières.» L’émir Abou Youssef leur répondit : «Je ne ferai point la paix avec votre roi sans des conditions que je lui enverrai dans un traité, par un de mes officiers; s’il les accepte, je lui accorderai le salut ; sinon je continuerai à lui faire la guerre.» Alors il manda auprès de lui le cheikh Abou Mohammed Abd el-Hakk, l’interprète, et lui dit : «Va-t’en chez ce maudit, et signifie-lui que je ne lui accorderai in paix, ni repos, si ce n’est aux conditions que voici : Aucun empêchement ne sera mis aux affaires des Musulmans dans les pays chrétiens, ni à leur navigation dans tous les ports. Aucun Musulman ne sera inquiété sur terre il sur mer, et cela qu’il s’agisse de mes sujets ou de tous autres Mahomé­ tans. Le roi Sancho sera sous ma suzeraineté et soumis à mes ordres sans restriction. Les Musulmans voyageront et commerceront librement, nuit et jour et en tous lieux, sans être inquiétés ni empêchés, ni soumis à aucune taxe oui impôt, ni au payement quelconque d’un dinar ou d’un drahem. Le roi Sancho ne se mêlera pas même d’un mot des affaires des Musulmans et ne fera la guerre à aucun d’eux.» Abou Mohammed Abd et-Hakk partit pour remplir le message de l’émir des. Musulmans, et trouva Sancho de retour à Séville (que Dieu très-haut la rende à l’Islam !) ; il le salua et lui communiqua les paroles de l’émir et ses conditions, qu’il agréa et accepta. Abou Mohammed Abd el-Hakk lui dit alors : «O roi ! tu t’es soumis au traité, mais écoute bien mes conseils. - Parle, lui répondit Sancho, et dis­ moi ce que tu voudras. Abd el-Hakk reprit donc : «O roi ! il est une chose connue et que les confesseurs des deux religions savent par cœur, c’est que l’émir des Musulmans Abou Youssef (que Dieu lui soit propice !) est ami de la religion et de l’aman ; qu’il est fidèle à sa parole, qu’il tient lorsqu’il promet et qu’il oublie généreusement les injures passées. Mais toi, nul ne connaît ton caractère autrement que par ta conduite envers ton père, con­ duite indigne qui te fait tenir en suspicion par tout le monde.» Sancho lui répondit : «Si j’avais su que le roi Abou Youssef aurait accepté mes servi­ ces, il y a longtemps que je les lui aurais consacrés.» Abou Mohammed reprit alors : «Par Allah ! si tu sers fidèlement l’émir des Musulmans, je te promets que tu obtiendras de lui tout ce que tu voudras. — Eh bien, lui dit Sancho, que dois-je donc faire, dorénavant, pour le satisfaire? — La première chose, continua Abou Mohammed, c’est de ne pas te mêler, même d’un mot des affaires des Musulmans, et d’éviter de faire

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    naître des discussions entre eux. Laisse-les voyager et commercer partout où bon leur semblera. Si Ben el-Ahmar te fait des propositions d’alliance, repousse-les et éloigne-toi de lui ; et s’il t’envoie des messages, ne les reçois point ; c’est ainsi que tu seras agréable à l’émir des Musulmans, qu’il te conservera la paix et qu’il t’aidera à défendre tes frontières. Il se trouvait justement que Ben el-Ahmar venait d’envoyer des ambassadeurs auprès de Sancho pour faire alliance avec lui contre l’émir des Musulmans, et la flotte de Sancho était déjà armée dans la rivière et prête à partir. Aussi, en entendant, ces denières recommandations d’Abou Mohammed, Sancho lui répondit seulement : «A demain, et tu verras ce que je ferai. En effet, le lendemain Sancho se rendit à cheval sur le bord du fleuve et s’y arrêta ; rejoint un instant après par les messagers de Ben el-Ahmar, il envoya cher­ cher Abou Mohammed, et après l’avoir complimenté, il le fit asseoir à son côté. Alors il engagea la conversation, qui continua jusqu’au moment où la flotte à la voile arriva devant eux. A cette vue, les ambassadeurs de Ben elAhmar lui dirent: «O roi ! qu’est-ce donc que ces bâtiments qui viennent ?» Sancho leur répondit : «Ces bâtiments, nous les avons armés pour le ser­ vice de l’émir Abou Youssef et pour être à ses ordres, quels qu’ils soient.» En entendant cela, les envoyés de Ben el-Ahmar frappèrent leurs mains de colère et ils échangèrent entre eux des regards désespérés. Rompant enfin le silence, ils dirent : «Eh bien , qu’allons-nous donc répondre en revenant de chez toi, ô roi ?» Sancho leur riposta : «Vous répondrez que je n’ai pas compris vos propositions d’alliance avec Ben el-Ahmar. Comment, en effet, pourrais-je m’allier avec lui, et pourquoi donc me soumettrais je à des conditions ? Est-il mon parent ? Est-il mon semblable pour que je consente à pareille chose ? Celui-ci, au contraire, n’est venu que pour me dire de servir son maître; comme petits et grands doivent le faire, car son maure est le souverain Abou Youssef, émir des Musulmans dans les deux Adouas, roi de Fès et de Maroc ; il gouverne les Musulmans du Maghreb et il est le plus illustre des sultans, qu’il surpasse tous par son caractère, par sa force et par le nombre de ses armées. Il a anéanti la dynastie d’Abd el-Moumen et renversé le gouvernement des Almohades ; il n’y a pas sur la terre de roi plus puissant que lui. Vous n’ignorez pas qu’il m’a vaincu et qu’il a vaincu mon père avant moi, qu’il a conquis mes états, détruit mes sujets et mes soldats, enlevé mes harems et pillé mes biens. Nous ne sommes donc pas capables de le battre ni de lui faire la guerre, et quand tous les rois chrétiens lui écrivent pour lui demander la paix et la tranquillité, comment pourrais-je repousser ses conditions pour m’allier à son ennemi, qui m’est inférieur en forces et en courage ? Rapportez mes paroles à Ben el-Ahmar,

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    et dites-lui qu’il ne peut plus exister de relations entre nous, parce que ces relations ne serviraient ni mon pays, ni mes sujets ; dites-lui encore que, n’ayant point pu résister à l’émir des Musulmans pour mon propre compte, je ne saurais lui résister pour les autres ; et enfin, que l’argent qu’il m’a remis a été dépensé ou enlevé malgré moi, par le sabre de l’émir Abou Youssef.» Les envoyés de Ben el-Ahmar se retirèrent, convaincus qu’ils n’avaient rien de plus à attendre du fils d’Alphonse, et Abou Mohammed Abd el-Hakk dit alors : «Bien, voilà ceux-ci congédiés, et moi, comment me renvoie-tu chez mon maître ?» Sancho lui répondit : «Je consens à lui dévouer tous mes services et à obéir à ses ordres. — Tu devrais d’abord, lui répondit Abd el-Hakk, te rendre auprès de lui. — Avec empressement,» lui répliqua Sancho. Lorsque les préparatifs de départ furent achevés, les Chrétiens de Séville se soulevèrent et fermèrent les portes pour s’opposer au départ de leur roi, en disant qu’ils craignaient pour lui l’émir des Musulmans; mais Sancho, leur ayant signifié qu’il était bien décidé à se rendre auprès de l’émir pour faire sa connaissance et contracter la paix, ils le laissèrent libre et lui dirent : «Fais donc ce que tu voudras et lui de même.» Alors Sancho quitta Séville; mais à peine eut-il fait la première étape, les doutes et la crainte le saisirent aussi, et il dit à Abou Mohammed Abd el-Hakk, l’inter­ prète : «Je ne sais vraiment pas quel sera l’effet de ma soumission, et j’ai besoin que tu me rassures en me jurant que je vais avec l’aman, et qu’en aucun cas je ne serai retenu prisonnier.» Abd el-Hakk prêta le serment exigé sur le Livre (Koran) qu’il portait avec lui, et tranquillisa le cœur de Sancho. Ils allèrent ainsi jusqu’à Xérès; mais alors les terreurs de Sancho recom­ mencèrent, et il dit à-Abd el-Hakk : «Décidément je n’irai point chez l’émir des Musulmans Abou Youssef, à moins que son fils, l’émir Abou Yacoub, ne vienne me chercher et me donner l’aman pour me conduire lui-même sous sa sauvegarde.» Ces paroles déplurent beaucoup à Abd el-Hakk, qui craignait surtout que ce que demandait Sancho ne fût une chose humiliante pour les Musulmans, et il lui répondit : «C’est bien, Abou Yacoub viendra vers toi ; mais tu sais qu’il est grand roi et sultan magnifique, et s’il arrive dans tes états avec son armée pour disposer Son père en ta faveur, il con­ viendra de lui remettre la place si tu veux conserver ton gouvernement ; tu ne peux plus garder Xérès s’il y rentre, et en ne la lui remettant pas, tu man­ querais à ce que tu lui dois et tu mépriserais sa puissance; réfléchis bien, car nul ne peut prévoir ce qui arrivera si tu l’appelles ici.» En entendant cela, Sancho revint sur ses prétentions et répondit : «C’est bien ; j’irai moi-même au-devant de lui.» Ils sortirent donc de la ville, et, Abd el-Hakk, prenant les devants, s’en alla auprès de l’émir Abou Yacoub pour lui faire part des

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    désirs de Sancho, de sa soumission et de sa demande d’être présenté à l’émir des Musulmans sous sa sauvegarde. L’émir Abou Yacoub répondit, «C’est bien ;»et il sortit avec Abou Mohammed ben Abd el-Hakk et une superbe troupe de guerriers Beny Meryn pour aller à la rencontre de Sancho, qu’ils rejoignirent à plusieurs milles de Xérès, et qui leur manifesta sa joie par son accueil et en leur fournissant les provisions pour tout le camp. L’émir Abou Yacoub (que Dieu lui lasse miséricorde !), ayant ordonné d’établir le camp en dehors des limites de Xérès, fit monter sa tente et y mena Sancho, qui lui dit : «Ô émir heureux ! sultan béni et superbe, je me place sous ta protection jusqu’à ce que tu m’aies présenté à l’émir des Musulmans ton père.» Abou Yacoub lui donna l’aman et le rassura sur les dispositions de son père en lui promettant de lui faire accorder tout ce qu’il demanderait. Sancho lui répon­ dit : «Je suis tranquille à présent et j’ai repris confiance.» Le soir, l’émir Abou Yacoub monta à cheval et sortit du camp ; tous les habitants de Xérès accoururent pour le voir, et les guerriers Beny Meryn vinrent chevauchant exécuter des jeux devant leur maître. Sancho se tenait à cheval aussi à côté de l’émir, et il lui dit : «J’éprouve mille satisfactions de ce que Dieu chéri a fait pour moi en m’accordant cet accueil de votre part, qui m’assure la paix et la tranquillité dont je suis le premier à jouir.» Alors, prenant lui-même la lance et le bouclier, il se mit à exécuter des jeux avec ses guerriers devant l’émir Abou Yacoub, et la fête dura jusqu’au coucher du soleil. Le lendemain, Abou Yacoub et Sancho se rendirent chez l’émir des Musulmans, qu’ils trouvèrent au fort El-Sakhrâ, près de l’Oued Lekk, et qui prit ses dispositions pour les recevoir le jour même ; il donna ordre à toute la troupe de s’habiller de blanc, et la terre se couvrit de la blancheur des Musulmans, tandis que Sancho s’avançait avec tous ses sociétaires vêtus de noir; cela formait un surprenant contraste. Arrivé devant l’émir des Musul­ mans, Sancho, se prosterna, et quand il eut reçu l’aman, il se plaça à son côté et lui dit : «O émir des Musulmans ! Dieu très-haut, qui m’a fait la grâce de te rencontrer, m’a ennobli aujourd’hui par ta vue. J’espère que tu m’accor­ deras une petite partie de ton bonheur pour que je puisse vaincre les rois des Chrétiens. Ne crois pas que je sois venu de plein gré te faire soumission ; par Dieu, je ne sois venu à toi que malgré moi, parce que tu as ruiné mes états, tu as enlevé nos harems et nos enfants, massacré nos guerriers et que je suis sans forces et sans puissance pour te combattre et me mesurer avec toi. Maintenant j’obéirai à tes ordres et j’accepte toutes tes conditions dans l’es­ pérance de la paix pour moi et pour mes sujets.» Alors il lui fit remettre des présents riches et rares, et il en offrit autant à l’émir Abou Yacoub. L’émir des Musulmans lui rendit la contrevaleur de ses cadeaux, et la paix fut

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    ainsi cimentée entre eux le dimanche 20 de châaban. L’émir renvoya Sancho dans son pays en lui donnant ordre (que Dieu lui fasse miséricorde !) de lui expédier tous les livres arabes qui se trouveraient dans les mains des Chré­ tiens et des Juifs dans ses états, et Sancho lui envoya treize charges compo­ sées de Korans, de commentaires, comme ceux de Ben Athya, El-Thâleby et autres ; de Hadits et de leurs explications, telles que El-Tahdhîb, El-Istid­ hkâr et autres ; d’ouvrages de doctrine spéciale, de philologie, de grammaire et de littérature arabe et autres. L’émir des Musulmans (que Dieu lui fasse miséricorde !) envoya tous ces livres à Fès et les fit déposer, pour l’usage des étudiants, dans l’école qu’il avait fait bâtir par la grâce de Dieu et sa générosité. Après le départ de Sancho, l’émir des Musulmans revint à Algéziras, où il entra le 27 de châaban ; il vit avec joie que le palais, le méchouar (salle du conseil et de réunion) et la mosquée qu’il avait donné ordre de bâtir dans la ville nouvelle étaient achevés ; il descendit dans son palais et y passa tout le ramadhan. Le vendredi, il se rendait à la mosquée sacrée, et il ne manqua pas une seule fois de faire sa prière (el-ichfâ) au méchouar. Tant que dura le ramadhan, il fit pénitence en priant et en jeûnant debout. Les docteurs passaient toutes les soirées à lui lire des ouvrages de science, et, au dernier tiers de la nuit, il se levait pour lire le Koran et s’entretenir avec Dieu, dont il implorait la clémence et la miséricorde. Le jour de la fête de la rupture du jeûne, il se rendit, après la prière, dans la salle du méchouar, où il reçut les cheïkhs Meryn et arabes, auxquels il offrit une collation. En sortant de table, le fekhy Abou Farès Abd el-Azyz el-Mekenèsy el-Melzouzy présenta un poème dans lequel il retraçait les exploits de l’émir, de ses fils et de ses neveux; il célébrait une à une les tribus des Meryn et des Arabes, leur gloire et leur amour pour la guerre contre les Infidèles ; il mentionnait la fonda­ tion de la nouvelle ville, des édifices et de la résidence de l’émir dont, il exaltait la piété, et il terminait en lui rendant grâces pour avoir été l’égide de la religion et la providence des docteurs. Ce poème fut lu par le fekhy Abou Zyd, de Fès, connu sous le nom d’El-Kherably, en présence de l’émir et de tous les cheïkhs Meryn et arabes, qui l’écoutèrent attentivement d’un bout à l’autre. En finissant, le lecteur vint baiser la main auguste de l’émir, qui le gratifia de deux cents dinars, et fit donner à l’auteur mille dinars, des vêtements et une jument. Voici ce poème(1) : Dans la dernière décade de ramadhan, 684, l’émir des Musulmans envoya son fils Abou Zyan avec au fort détachement, pour surveiller les

    ____________________ 1 Nous dispensons le lecteur de la traduction de ce poème, qui n’est autre chose qu’une, répétition rimée en cent quatre-vingt-sept vers du journal détaillé de l’expédition de Xérès; que l’auteur du Kartas paraît avoir transcrit (page 490 et suiv.) tel qu’il fui teint durant tout le temps que le sultan meryn demeura en Espagne.

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    frontières de Ben el-Ahmar, mais en lui recommandant bien de ne point les inquiéter et de respecter les sujets de ce prince. L’émir Abou Zyan partit et vint établir son camp à la forteresse d’El-Dhekouan, située au midi de Malaga. Durant. ce même ramadhan, mourut à Algéziras le ministre Abou Aly Yhya ben Abou Yezyd el-Askoury. A la fin du mois de chouel, l’émir des Musulmans donna ordre à Ayad el-Assamy d’aller s’établir avec tous ses frères à Estibouna (Estepona), où ils arrivèrent le 1er de dou’l kâada. Le lundi, 16 de dou’l kâada, l’émir Abou Yacoub s’embarqua à Algé­ ziras sur un trirème, commandé par le kaïd, le guerrier Abou Abd Allah Mohammed, fils du kaïd Abou el-Kassem el-Redjeradjy, pour passer dans l’Adoua et y examiner la situation des affaires. Il débarqua au Kessar elMedjaz. Durant cette même année, la zaouïa Taferthast fut construite sur le tombeau du béat émir Abou Mohammed abd el-Hakk, et l’émir des Musul­ mans dota cette zaouïa de quarante paires de bœufs de labour. Le 30 de dou’l kâada, l’émir fut atteint de la maladie dont il mourut. Le mal alla toujours. en augmentant et le consuma jusqu’à la mort que Dieu lui fasse miséricorde !), qui arriva dans la matinée du mardi 22 de moharrem 685 (1286 J. C.), dans son palais de la ville neuve d’Algéziras. Son corps fut transporté à Babat el-Fath, dans l’Adoua, où on l’enterra dans une cha­ pelle de Chella. Son khalifat avait duré vingt-neuf ans, depuis le jour de sa proclamation à Fès, après la mort de son frère Abou Yhya, et dix-sept ans et vingt jours depuis le jour où il prit la ville de Maroc, renversa la dynastie d’Abd el-Moumen et gouverna tout le Maghreb. Mais nous appartenons à Dieu, et à Dieu nous reviendrons tous. L’Islam entier prit le deuil, et sa perte fut, grande et douloureuse pour tous. Il s’en alla retrouver Dieu chéri, con­ duit par l’esprit (Gabriel) et par les anges, pardonné et agréé. Le Très-Haut veilla sur l’Islam à cause de lui, et conserva le khalifat et sa bénédiction victorieuse à son fils et à ses petits-fils. (Que Dieu comble de bénédictions notre seigneur Mohammed, sa famille et ses compagnons !)

    RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS, ABOU YACOUB FILS DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU YOUSSEF BEN ABD EL-HAKK. QUE DIEU LEUR SOIT CLÉMENT !

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    L’émir des Musulmans Abd Allah Youssef, fils de l’émir des Croyants Youssef ben Abd el-Hakk, prénommé Abou Yacoub, surnommé El-Nasser Ledyn Illah, était fils d’une femme légitime descendante d’Aly, nommée oum el-Az, fille de Mohammed ben Hâzem el-Alaouy (l’Alide), et naquit dans le mois de raby el-aouel de l’an 638. Il fut proclamé khalife à Algézi­ ras le jour même de la mort de son père, et, pendant qu’il était lui-même dans l’Adoua. Son élection fut reçue par les ministres et les cheïkhs qui lui

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    envoyèrent immédiatement la nouvelle; il la reçut dans les environs de Fès et il s’en revint en toute hâte à Tanger pour s’embarquer aussitôt sur la flotte qui l’attendait. Il passa la mer et débarqua à Algéziras, où s’étaient réunis les Meryn, les Arabes et des députations de tous les Musulmans de l’Adoua et de l’Andalousie. Il arriva le 1er de safar 685, et le jour de sa proclamation il était âgé, de quarante-cinq ans et huit mois. Dès qu’il eut pris les rênes des affaires, il distribua de l’argent à toutes les tribus Beny Meryn, arabes et andalouses, aux étrangers et à la troupe; il fit des présents aux docteurs et aux saints ; il distribua des aumônes aux nécessiteux ; il rendit la liberté, aux prisonniers dans tous ses états ; il dis­ pensa les Croyants de l’impôt el fythrâ(1), dans l’intérêt des pauvres, en laissant à chacun la liberté de faire cette aumône comme il l’entendrait; il supprima la taxe des maisons, et il corrigea les abus et les injustices du gou­ vernement ; il poursuivit. la débauche et fit fermer les mauvais lieux ; il assura la sûreté des routes; il abolit les droits de marché (el-mokous) et un nombre considérable d’exactions en usage au Maghreb, ne laissant échapper que les impôts qui étaient en vigueur dans des endroits inaccessibles ou qui se percevaient secrètement ; il tint tous les Meryn sous sa domination, et, durant son règne, les affaires de ses sujets prospérèrent; il était blanc, il avait jolie taille, beau visage nez long et fin; il engageait toujours le premier la conversation pour encourager ceux qui venaient à lui; il était sensé, poli, prompt à l’exécution et persévérant ; il agissait sans consulter ses ministres et il était absolu dans son gouvernement. Lorsqu’il donnait, il comblait, mais s’il poursuivait, il détruisait; il était charitable envers les nécessiteux et vigi­ lant pour les affaires de ses sujets et de son pays. Son hadjeb Atâk l’affranchi, qui succéda à Ambâr, affranchi comme lui, était un très-grand personnage, qu’on ne pouvait aborder que très-diffi­ cilement, et qui paraissait être aussi puissant que son maître. Ses ministres distingués furent Abou Aly Omar ben Saoud elHachemy et Abou Salah Ibrahim ben Amrân el-Foudoudy, qui fut remplacé, vers la fin du règne, par Yakhlaf ben Amrân-el-Foudoudy. Ses secrétaires furent le fekhy Abou Zyd el-Khazân et le fekhy Abou Abd Allah el-Amrâny ; puis le fekhy distingué Abou Mohammed Abd Allah

    ____________________ 1 Aumône aux pauvres d’obligation le jour de la fête de la rupture du jeûne du ramadhan, et qui consiste en grains. dattes, fruits, et généralement en une portion de toute nourriture habituelle au donateur et à sa famille. Dans le Précis de jurisprudence de Sidi Khalil, traduit par le docteur Perron, il est dit «qu’il est de convenance de remettre cette aumône entre les mains de l’imam ;» mais c’est le véritable moyen d’en détourner le but, et les Marocains de nos jours, riches et pauvres, sont encore reconnaissants à l’’émir Abou Yacoub d’avoir aboli l’usage de faire percevoir el-fythrâ par les agents du fisc, en en lais­ sant l’acquittement à la bonne foi de chaque individu. Nous devons ajouter que ce devoir de conscience est toujours scrupuleusement rempli au Maroc par chaque famille aisée.

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    ben Aby Maddyan et le fekhy Abou Abd Allah el-Moughyly, qui était poète et improvisateur et qui conserva les archives et le sceau de l’état jusqu’à sa mort (que Dieu lui fasse miséricorde !) ; il fut remplacé par le fekhy distin­ gué Abou Mohammed Abd Allah ben Aby Maddyan, et ensuite, par le fekhy, le phénix le plus célèbre de l’époque, Abou Aly ben Rachyk. Ses kâdys furent, à Fès : le fekhy Abou Hamed ben el-Boukhala ; le fekhy, le prédicateur, Abou Abd Allah ben Aby el-Saber Ayoub et le fekhy Abou Ghâleb el-Moughyly ; à Maroc, le fekhy Abou Farès el-Amrâny, le fekhy Abou Abd Allah el-Sekaty et le fekhy Abd Allah ben Abd el-Malek ; à Tlemcen (ville nouvelle), le fekhy distingué, versé dans le Hadits, Abou elHassen Aly ben Aby Beker el-Melyly. Ses poëtes soldés et attachés à la cour furent le fekhy Abou el-Hassem Malek ben Merdjal, le fekhy Abou Farès el-Mekenèsy, le fekhy Abou elAbbès el-Fechtâly et le fekhy Abou el-Abbès el-Djychy. Ses médecins furent le visir Abou Abd Allah ben el-Ghalyd, de Séville, et le visir Abou Mohammed ben Omar el-Mekenèsy. L’auteur du livre (que Dieu lui fasse miséricorde !) a dit : Après sa proclamation, l’émir des Musulmans Abou Yacoub partit d’A1géziras et se rendit sous les murs de Merbâla(1), où il établit son camp ; il expédia un courrier à Ben el-Ahmar pour lui demander une entrevue. Celui-ci vint à lui avec une troupe magnifique et nombreuse ; il lui fit compliment de condo­ léance pour la mort de son père et le félicita de son avènement au khalifat. Ils ratifièrent l’alliance, et l’émir des Musulmans lui abandonna toutes ses possessions en Andalousie, à l’exception d’Algéziras, Ronda, Tarifa, Oued Yach(2) et leurs dépendances. Leur entrevue et leurs conventions eurent lieu dans la première décade de raby el-aouel 685. L’émir des Musulmans revint alors à Algéziras, où il passa tout le mois. Le dimanche 2 de raby el-tâny, un envoyé d’Alphonse arriva chez Abou-Yacoub, qui renouvela avec lui le traité de paix fait avec son père que Dieu lui fasse miséricorde ! Dès que l’émir des Musulmans eut ainsi régularisé ses affaires en Andalousie, il manda son fière, l’émir Abou Athya, et lui confia le com­ mandement des possessions qui lui restaient en Andalousie, en lui recom­ mandant bien de servir Dieu, d’entretenir les places et d’être attentif au gouvernement; ensuite il manda le cheïkh, le guerrier saint, Abou el-Hassen Aly ben Youssef ben Yrdjan, et il lui donna la direction en chef des troupes et de la guerre, en laissant sous ses ordres trois mille cavaliers Meryn et arabes. Alors il passa dans l’Adoua, le lundi 7 de raby el-tâny, et il descendit à Kessar el-Medjaz ; il se rendit aussitôt à Fès, où il entra le 12 de djoumad

    ____________________ 1 Marbella. 2 Guadix.

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    el-aouel. Quelque temps après, son cousin Mohammed ben Edriss ben Abd el-Hakk se révolta avec ses enfants, et alla se retrancher au Djebel Ourgha, aux environs de Fès, où il fut rejoint par l’émir Abou Mahrouf Moham­ med, fils de l’émir des Musulmans Abou Youssef, qui fit cause commune avec lui. Abou Yacoub, après avoir inutilement envoyé divers corps d’armée contre eux, parvint, à force de ruse, à ramener son frère à soumission, et à forcer Mohammed ben Edriss et ses fils à fuir vers Tlemcen ; ils furent arrêtés en chemin, enchaînés et ramenés à Rabat Taza, où l’émir des Musul­ mans envoya son frère Abou Zyan pour les faire périr ; mais ils ne furent exécutés en dehors de la porte El-Cheryah de Fès que dans le mois de radjeb 685. En cette même année, Omar ben Othman ben Youssef el-Askoury se révolta à la forteresse Fendlaoua du Djebel Beny Yazgha. L’émir des Musulmans donna ordre aux Beny Askars et autres tribus berbères de cette partie du pays, Sedrat, Beny Ouartyn, Beny Yazgha, Beny Sytan et autres, de cerner et de combattre le rebelle, ce qu’ils firent pendant un mois, au bout duquel l’émir des Musulmans se mit lui-même en campagne et se rendit au village de Sédoura, chez les Beny Ouartyn, à la tête de ses troupes et des arbalétriers traînant avec eux les balistes et autres machines de guerre. A la nouvelle de son approche, Omar comprit qu’il ne pouvait se soutenir plus longtemps ni repousser l’émir, et il lui envoya sa soumission, en lui deman­ dant la paix et l’aman, qui lui furent accordés ; il descendit alors de ses montagnes et proclama, l’émir, qui l’envoya à Tlemcen avec tous les siens et avec ses biens. En ramadhan 685, l’émir des Musulmans Abou Yacoub sortit de Fès et se rendit à Maroc, où il entra en chouel ; il y resta jusqu’au jeudi 13 de dou’l kâada. El-Hadj Talha ben Aly, el-Bathaouy s’étant déclaré indépen­ dant dans le Sous, Abou Yacoub manda aussitôt son neveu, l’émir Abou Aly Mansour, neveu d’Abou Mohammed Abd el-Ouahed, et il lui donna le gou­ vernement du Sous, avec de l’argent et des troupes pour combattre Talha. Mansour arriva au Sous et attaqua les Beny Hassen qu’il battit et détruisit en grand nombre, dans le mois dou’l hidjâ. Il se porta ensuite contre Talha, qu’il cerna, et qui fut tué dans un combat, le lundi 13 de djoumad el-tâny 686 (1287 J. C.). L’émir Abou Aly Mansour envoya sa tête à son oncle, l’émir des Musulmans, qui ordonna (que Dieu lui fasse miséricorde !) de l’exposer dans tout le pays, et de l’expédier ensuite à Rabat-Taza, à la porte de laquelle elle resta pendue dans une cage de cuivre tant que dura son règne. Dans le mois de ramadhan, l’émir des Musulmans sortit en expédition contre les Arabes de la partie est du Drâa, qui infestaient les chemins de Sidjilmessa. Il partit de Maroc avec douze mille Beny Meryn et fit route par

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    le Djebel Askoura jusqu’au Bled Drâa; il continua d’avancer par l’Est jusque sur la frontière du Sahara, où il atteignit les rebelles. Un matin, de bonne heure, il les attaqua et en fit un grand carnage ; il s’empara de leurs biens et envoya leurs tètes à Fès, à Sidjilmessa et à Maroc, où il rentra lui-même à la fin de chouel. Il y célébra l’aïd el-kebyr et y finit l’année. En 687 (1288 J. C.), l’émir sortit de Maroc vers le milieu de raby el-tâny, et se rendit à Fès, où il reçut une députation de Ben el-Ahmar, lui amenant la fille de l’émir Moussa Ben Rahou, qu’il épousa à Maroc. Eh cette même année, au mois de safar, l’émir des Musulmans donna à Ben el-Ahmar la ville de Guadix et les forteresses Randja, Byana, El-Dyr ; ElAntyr, Ghaoun et Ghouaryb. Le samedi 24 de chouel, le fils de l’émir des Musulmans, Abou Amer, se révolta et s’en alla chez Mohammed ben Athou, chef des Berbères Djeneta, avec lequel il entra à Maroc et s’y empara du pouvoir, le 1er de dou’l kâada. Dès que cette nouvelle parvint à l’émir Abou Yacoub, il se mit en marche contre Maroc et vint camper sous ses murs. L’émir Abou Amer, étant sorti pour lui livrer bataille, fut complètement battu ; mais, vaincu, il put encore rentrer en ville et en refermer les portes à la face de son père ; il se réfugia dans le palais, et, dès que la nuit fut venue, il tua Ben Aby el-Berkât, gouverneur du palais, il s’empara du trésor et sortit de la place à minuit en fuyant vers l’Est. Le lendemain, st de dou’l hidjà, l’émir des Musulmans rentra à Maroc et pardonna aux habitants. L’émir Abou Amer erra dans les tribus de l’Est avec Ben Athou, pendant six mois, et finit par entrer le 22 de radjeb à Tlemcen, d’où il revint vers son père, qui lui fit grâce. L’année suivante, 689, l’émir des Musulmans écrivit à Othman fils de Yaghmourasen, émir de Tlemcen, pour lui demander l’extradition de Ben Athou, le rebelle ; mais Othman là lui refusa et lui répondit : «Par Allah ! je ne te le livrerai jamais ;certes, je ne violerai pas ainsi mon propre asile. Fais ce que tu voudras contre moi ; mais je ne l’abandonnerai point jusqu’à ma mort.» Puis, s’échauffant de plus en plus, il accabla d’injures l’envoyé de l’émir et le mit aux fers. En apprenant cela, Abou Yacoub entra dans un grand courroux et fit aussitôt les préparatifs de guerre. Il se mit en campagne le 27 de raby el-tâny, et ce fut sa première expédition contre Tlemcen et les Abd el-Ouahed. Il commença à piller et à dévaster les environs, détruisant les champs et les habitations. Le 1er de ramadhan, l’émir Othman n’ayant encore tenté aucune sortie, il se décida à l’assiéger. Pendant seize jours il cerna la place et la battit en employant les balistes, puis il revint au Maghreb, et il rentra à Rabat-Taza le 3 de dou’l kâada. L’année suivante, 690 (1290 J. C.), l’alliance entre l’émir des Musul­ mans et Sancho fut rompue, et Abou Yacoub écrivit à son cheïkh Abou el-

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    Hassen Aly ben Youssef ben Yrdjan, pour lui ordonner de marcher sur Xérès et de ravager les pays Chrétiens au levant et au couchant. A la réception de cet ordre, Ben Yrdjan se mit en route avec tous ses guerriers. Il arriva sous Xérès dans le mois de raby el-tâny, et il commença aussitôt la dévastation. En même temps, l’émir des Musulmans sortait de Fès pour aller en Anda­ lousie et convoquait les fidèles du Maghreb à la guerre sainte. Il arriva dans le mois de djoumad el-aouel au Kessar el-Medjaz, où il commença aussitôt l’embarquement des guerriers Beny Meryn et arabes. Alphonse [Sancho] (que Dieu le maudisse !) envoya des bâtiments en croisière pour empêcher le passage du détroit à l’émir, qui n’en fut nulle­ ment contrarié, et qui se borna à ordonner à sa flotte de courir sur les navires chrétiens. Mais, en châaban, les Musulmans se révoltèrent en mer contre leurs commandants, qu’ils tuèrent, et ils mirent ainsi fin à leur campagne. L’émir des Musulmans ayant attendu au Kessar el-Medjaz que de nouveaux navires fussent armés pour sa traversée, passa le détroit et descendit à Tarifa dans la dernière décade de ramadhan 690. Entrant aussitôt en campagne, il assiégea pendant trois mois la forteresse de Bahyra, expédiant chaque jour des détachements pour ravager les alentours de Xérès et du fleuve. Lorsque tout le pays fut abîmé, l’émir, voyant l’approche de l’hiver, s’en revint à Algéziras, d’où il passa dans l’Adoua le 1er de moharrem 691. Bientôt il rompit aussi ses relations avec Ben el-Ahmar qui, ayant fait alliance avec Alphonse, était convenu avec lui d’attaquer et de prendre Tarifa pour empê­ cher un nouveau retour de l’émir Abou Yacoub en Andalousie. Ben elAhmar s’étant engagé à fournir l’entretien de l’armée durant, tout le siège, Alphonse arriva sous Tarifa le 1er de djoumad el-tâny 691, et la cerna par terre et par mer, la battant sans cesse avec ses balistes et autres machines de guerre. Ben el-Ahmar lui fournit tout le nécessaire jusqu’au moment où les habitants de la ville lui en ouvrirent les portes, et il y entra le 30 de chouel 691. Il était bien convenu de livrer la place à Ben el-Ahmar après la prise, mais, une fois qu’il y fut, il y resta et il ne voulut même pas accepter en échange les forteresses de Chekych, Tabyra, Nekla, Aklych, Couchtela et ElMesdjyn que Ben el-Ahmar lui offrait. Au mois de châaban, Omar ber Yhya ben el-Ouzyr el-Ouatâsy surprit pendant la nuit la forteresse de Tazouta, dans de Rif, et s’en empara. L’émir Abou Aly ben Mansour ben Abd el-Ouahed, qui commandait la place, s’en­ fuit au milieu des ténèbres pardessus les murs et courut jusqu’à Rabat-Taza. Omar massacra la garnison et s’empara de tout ce qui se trouvait dans cette forteresse, argent, armes, bagages et dépôt des tributs chrétiens. L’émir des Musulmans, en apprenant ces nouvelles, expédia immédiatement son minis­ tre Abou Aly ben Saoud, avec une forte armée, pour aller assiéger Tazouta,

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    de concert avec l’émir Abou Aly Mansour ; mais celui-ci, étant tombé malade de chagrin, mourut peu de temps après et fut enterré dans la mos­ quée de Taza. Au mois de chouel 691, l’émir Abou Yacoub sortit de Fès et se rendit lui-même à Tazouta avec Amer ben Yhya ben el-Ouzyr, qui lui promit de décider soit frère Omar à évacuer la place et lui en assura la prise. L’émir lui ayant donné l’autorisation de se rendre près d’Omar, il entra à Tazouta, et, à la suite d’une longue conversation, son dit frère Omar, enlevant. le trésor et tout ce qu’il put, prit la fuite la nuit à l’insu de tout le monde, et s’en alla à Tlemcen, en abandonnant Ie commandement de la place à son frère Amer. Celui-ci, ayant appris que l’émir des Musulmans voulait lui faire payer de la vie la fuite d’Omar, se renferma lui-même dans la forteresse et. refusa de se rendre. Il resta dans cette. situation jusqu’à l’arrivée d’Abou Saïd Farradj ben Ismaël, envoyé de l’Andalousie par Ben el-Ahmar, roi de Malaga, avec des présents pour l’émir Abou Yacoub, dont il sollicitait l’al­ liance. Abou Saïd arriva avec sa flotte dans le port de Ghasana, et Amer ben Yhya lui dépêcha aussitôt un message pour le prier d’implorer pour lui la clémence de l’émir des Musulmans. Abou Saïd lui accorda son intervention, et l’émir des Musulmans parut être disposé au pardon ; mais Amer, craignant pour sa personne, se borna à envoyer au port quelques-uns de ses serviteurs, qui montèrent à bord des navires d’Abou Saïd pour s’en aller en Andalou­ sie ; quant à lui, ayant attendu le milieu de la nuit, il sortit de la forteresse comme pour aller s’embarquer et il prit la fuite vers Tlemcen. Des cavaliers partirent à sa poursuite, mais la rapidité de son cheval le sauva, et ils n’at­ teignirent, que son fils Abou el-Khayl, qui fut tué et crucifié à Fès. Abou Saïd fit mettre à terre ceux qui s’étaient réfugiés à bord et ils eurent la tête tranchée. Tous ceux qui se trouvaient dans la forteresse, soldats et autres, furent également mis à mort et leurs femmes et enfants furent transportés à Rabat-Taza, où ils restèrent captifs. Dans cette même année, l’émir des Musulmans reçut à Tazouta même une députation de Chrétiens génois qui lui offrirent des présents magni­ fiques, au nombre desquels figurait un arbre en or sur lequel étaient des oiseaux qui chantaient au moyen d’un mécanisme, absolument comme celui qui avait été inventé par El-Moutouakil l’Abasside. En cette même année, les fils de l’émir Abou Yhya ben Abd el-Hakk se révoltèrent et s’enfuirent à Tlemcen, où ils restèrent jusqu’à ce que l’émir des Musulmans leur envoya dire de revenir. Dès qu’ils furent en route pour rentrer à Fès, l’émir Abou Amer, prévenu de leur approche par des espions, sortit du Rif pour les arrêter en chemin et il les atteignit à Sabra, près de la Moulouïa, où il les tua, persuadé qu’il devançait ainsi l’accomplissement des désirs de son père ; mais l’émir des Musulmans Abou Yacoub, en apprenant

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    ce crime, l’exila, et il ne cessa d’errer dans le Rif et sur les terres de Ghou­ mara jusqu’à sa mort, dans le mois de dou’l hidjâ 698. Son corps fut trans­ porté à Fès et enterré à la zaouïà qui est à l’entrée du Bab el-Fetouh. L’émir Abou Amer laissa trois enfants, Amer, Soliman et Daoued, qui ne sortirent pas de prison tant que vécut Abou Yacoub, leur grand-père; mais, à sa mort, Amer et Soliman montèrent successivement sur le trône, et nous écrirons leurs règnes à la suite, s’il plait à Dieu. En dou’l kâada 691, Ben el-Ahmar livra la forteresse d’El-Byt à Sancho, fils d’Alphonse. En cette même année, l’émir des Musulmans décréta la célébration solennelle du Miloud(1) dans tous ses états, et fixa la fête au mois de raby el-aouel le béni. (Que Dieu lui fasse miséricorde pour cette innovation qu’on lui doit !) C’est à la fin du mois de safar de cette année que le fekhy, le prédica­ teur Abou Yhya ben Aby Sebor vint s’établir à Fès. Au commencement de 692 (1292 J. C. ) et jusqu’en djoumad el-tâny, l’émir reçut successivement un envoyé de Ould el-Renk(2), roi de Portugal, un autre du roi de Bayonne et des ambassadeurs des émirs de Tlemcen et de Tunis. Le vendredi 4 de djoumad el-tâny, il entra dans la forteresse de Tazouta, et, vers le milieu de radjeb, les envoyés de Ben el-Ahmar, le raiss Abou Saïd et Abou Sol­ than el-Dany prirent congé à Fès et retournèrent en Andalousie. Le lundi 24, l’émir Abou Amer s’en alla au Kessar el-Medjaz pour inspecter les affaires de l’Andalousie, et le sultan Abou Abd Allah ben el-Ahmar se mit en voyage pour venir auprès de l’émir des Musulmans, Abou Yacoub, s’excuser de sa conduite au sujet de Tarifa, et lui demander le gouvernement de l’An­ dalousie; il, débarqua sur la plage de Blyounech, près de Ceuta, et vint à Tanger, apportant avec lui de magnifiques cadeaux, au nombre desquels était le Livre chéri (Koran), qui avait appartenu aux rois Ommyades, et dont il avait hérité dans le palais de Cordoue. Ce Koran avait été écrit par la propre main, dit-on, de l’émir des Croyants Othman ben Offan (que Dieu l’agrée!). Abou Abd Allah arriva à Tanger le samedi 12 de dou’l kâada, et il y ren­ contra les émirs Abou Abd er-Rahman Yacoub et Abou Amer. L’émir (les Musulmans sortit de Fès pour aller au-devant de lui après la prière de l’As­ ser, le 12 de dou’l kâada; il était accompagné de tous ses fils, mais l’un d’eux, l’émir Abou Mohammed Abd el-Moumen, mourut en chemin, dans la ville d’Asgar, le dimanche 30 de dou’l kâada. Son corps fut porté à Fès et enterré dans la cour du Sud de la mosquée de la ville nouvelle. Arrivé à Tanger, l’émir des Musulmans reçut Ben el-Ahmar, l’écouta avec bien­ veillance, le combla de générosités et lui accorda toutes ses demandes sans

    ____________________ 1 Nativité du Prophète. 2 Fils de Henri.

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    tenir compte de ce qui s’était passé; il lui fit de magnifiques cadeaux d’une valeur équivalente à celle des présents qui lui avaient été offerts, et il le con­ gédia pour l’Andalousie le samedi 20 de dou’l hidjâ 692. Dans cette même année, l’émir des Musulmans, Abou Yacoub, donna à Ben el-Ahmar la direction d’Algéziras, de Ronda et de toutes les places qui en dépendaient, telles que Yamna, El-Douna, Renych, Sakhyra, Ymagh, El-Ghar, Nehyth, Tardela, Mechaour, Ouathyt, El-Medar, Adyar, El-Chy­ thyl, El-Thebach, Ben Tonboul, El-Dlyl, Achtebouna, Medjlous, Chemyna, El-Nedjour et Nougarech. L’année suivante, 693, l’armée de l’émir des Musulmans passa en Andalousie, sous les ordres de son ministre Aly Omar ben el-Saoud, pour assiéger Tarifa, qui fut ainsi cernée pendant quelque temps. Dans cette même année, il y eut une famine et une peste désastreuses dans le Maghreb, où la mortalité fut si grande qu’on plaçait deux, trois et quatre cadavres sur la même planche de lavage. Le blé était au prix de dix drahems l’almoud, et six onces de farine coûtaient un drahem. L’émir des Musulmans convertit les mesures et rétablit le moud du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !), et cela fut fait par l’entremise du fekhy, le saint Abou Farès el-Melzouzy el-Mekenésy. En 694, la situation s’améliora, et le prix des denrées diminua partout. Le blé descendit à vingt drahems le sahfa, et l’orge à trois drahems. Au commencement de l’an 695 (1295 J: C.), l’émir Abou Yacoub se mit en campagne pour aller faire des razias sur les terres de Tlemcen; il arriva à la forteresse de Taouryt, située sur la frontière des deux états et dont il n’avait que la moitié, l’autre partie appartenant à Othman ben Yahgmou­ rasen. L’émir des Musulmans chassa le gouverneur d’Yaghmourasen et se mit en devoir de reconstruire les fortifications de cette place ; il commença les travaux le 1er de ramadhan, et toutes les murailles furent achevées et munies de leurs portes doublées de fer le 5 du même mois. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Chaque matin, après sa prière, il venait lui-même assis­ ter aux travaux. Alors il laissa à Taouryt. une garnison de Beny Askars sous le commandement de son frère l’émir Abou Yhya fils de l’émir Abou Yous­ sef, et il partit pour Rabat-Taza ; il célébra la fête de la rupture du jeûne sur les bords de la Moulouia. En 696, l’émir des Musulmans rasa les terres de Tlemcen. En sortant de Fès il se rendit à Nedrôma, qu’il assiégea et battit pendant quelque temps; il vint alors à Oudjda, qu’il réédifia; il refit les fortifications et bâtit dans leur enceinte une kasbah, un palais, un bain et une mosquée ; il y laissa une garnison de Beny Askars sous les ordres de son frère, l’émir Abou Yhva, auquel il donna ordre de harceler la ville et les environs de Tlemcen. Après

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    être rentré à Fès, il se remit en campagne au commencement de l’an 697, et vint lui-même assiéger Tlemcen ; il renvoya une partie de ses serviteurs, et entre autres le poète Abou Farès Abd el-Azyz, Abou Abd Allah el-Kenany et le fekhy Abou Yhya ben Aby Sebor. En cette même année, l’émir Aly, connu sous le nom de ben Zarbahata, trompé par une lettre de son père l’émir des Musulmans, qui avait été contrefaite parAbou el-Abbès el-Melyany, fit périr les cheikhs de Maroc, Abd-el-Kerym ben Ayssa et Aly ben Mohammed elHentaty. Mort de l’émir Abou Zyan. En 698, l’émir des Musulmans descendit sous les murs de Tlemcen pour la dernière. fois, car il y mourut. (Que Dieu lui fasse miséricorde !)

    SIÈGE DE TLEMCEN.

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    L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice !) a dit : La cause, pre­ mière de la guerre contre Tlemcen et les Beny Abd el-Ouahed fut la fuite de Ben Athou chez Othman ben Yaghmourasen, et le refus de son extradi­ tion qu’opposa ce prince à la demande que l’émir des Musulmans lui avait adressée. Dès ce moment, les hostilités furent incessantes ; mais ce ne fut que lors de sa seconde campagne contre cette ville, en radjeb 697, que l’émir Othman sortit de la ville pour livrer bataille : il fut battu et forcé de se retran­ cher dans la place, dont il ferma les portes et soutint le siège. L’émir des Musulmans, après avoir cerné la ville pendant quelque temps, se retira et revint à Fès, laissant à Oudjda son frère, l’émir Abou Yhya, avec une troupe de Beny Askars, auxquels il donna ordre de ravager les terres de Tlemcen et de Nedrôma. L’émir Abou Yhya ne cessa, en effet, d’inquiéter tout ce pays, et il resserra tellement les habitants de Nedrôma que leurs cheïkhs vin­ rent capituler. L’émir Abou Yhya leur accorda l’aman pour eux et pour les habitants de la ville, dont il prit possession ; il expédia aussitôt les mêmes cheïkhs avec ces nouvelles à son frère, auprès duquel ils arrivèrent le mardi 8 de radjeb 698. Ces cheïhks supplièrent alors l’émir des Musulmans de venir les protéger contre leurs ennemis. L’émir, s’étant rendu à leur appel, partit pour Tlemcen et arriva sous ses murs, le mardi 2 de châaban, au point du jour ; il s’empara successivement de Nedrôma, Honeïn et, Oran, de Ternat, Mezgharân, Moustaghânem, Tenès, Cherchel, Berhkas, Beteha, Mazouna, Ouencherych, Miliana, El-Kasbah, El-Medea, Taferguint et de toutes les terres et villes des Beny Abd el-Ouahed, des Toudjyny et des Maghraoua. Le roi d’Alger reconnut sa suzeraineté, un envoyé de l’émir de Tunis vint chez lui avec des présents, et les habitants de Bougie et de Cons­ tantine se rangèrent sous son gouvernement. Cependant le siège de Tlemcen se poursuivait avec rigueur, et les troupes renouvelaient chaque jour leurs

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    attaques. Quand vint l’hiver, l’émir des Musulmans fit bâtir un palais sur le terrain même de sa tente, puis une mosquée dans laquelle on fit le khot­ bah, et bientôt, sur son ordre, tous les soldats se mirent à bâtir à droite et à gauche, pendant qu’il entourait de murailles son palais et sa mosquée. En 702 (1302 J. C.), l’émir donna ordre de renfermer tout ce nouveau Tlemcen (El-Mansoura) dans une enceinte fortifiée, et les travaux commencèrent le 5 de chouel. C’est durant ce siège qu’Othman. ben Yaghmourasen mourut et fut remplacé par son fils Mohammed, surnommé Abou Zyan, qui prit les rênes du gouvernement. En 701, Abou Abd Allah ben el-Ahmar, roi de l’Andalousie, mourut. Son fils Mohammed el-Makhlou lui succéda, et envoya sa soumission à l’émir des Musulmans avec des présents magnifiques. L’émir Abou Abd er-Rahman mourut à Tlemcen Djedid, et son corps fut transporté à RabatTaza, où il fut enterré, dans la cour de la mosquée. A cette même époque, l’émir Abou Yacoub reçut à Tlemcen la visite d’une députation de l’Hedjaz, envoyée par El-Nasser, roi d’Égypte et de Syrie, avec de magnifiques pré­ sents. Il reçut également un envoyé du roi de l’Ifrikya avec de très-beaux cadeaux. L’émir fit construire dans sa nouvelle, ville de vastes bains publics, des hospices des écoles et une grande mosquée pour le khotbah du vendredi, à laquelle il adjoignit un immense réservoir et un grand minaret, surmonté d’une pomme d’or de 700 dinars. Il envoya les saints du Maghreb dans l’He­ djaz, en les chargeant d’un Koran garni de perles et de pierres précieuses pour la kâaba, et de fortes sommes pour être distribuées aux habitants de la Mecque et de Médine. Il envoya également au roi El-Nasser quatre cents chevaux de la plus belle race et élevés pour la guerre sainte. Cependant les habitants de Tlemcen s’affaiblissaient de plus en plus et approchaient de leur fin. En 705 (1305 J. C.), le 27 de chouel, les Anda­ lous surprirent les gens de Ceuta, dont les relations avec l’émir des Musul­ mans étaient devenues très-mauvaises. Ce fut le raïs Abou Saïd qui s’empara de la place; il envoya tous les Beny el-Azfy enchaînés en Andalousie et confisqua leurs biens. En apprenant cela et ayant su que le raïs Abou Saïd n’avait agi que par ordre de El-Makhelou, l’émir des Musulmans fut outré et il expédia son fils, Abou Salem Brahim, avec une forte armée pour assié­ ger Ceuta. Abou Salem avait avec lui les Kabyles du Rif et de Taza, mais il échoua et revint en déroute. L’émir des Musulmans le chassa de sa présence et fut dès lors dévoré par le chagrin. Il fut assassiné dans son palais de Tlem­ cen Djedid, le mercredi 7 de dou’l kâada 706. Il fut frappé dans le ventre durant son sommeil, par un de ses esclave, eunuques; nommé La Sâada; qui avait été gagnée par Abou Aly el-Melyany, et il rendit le dernier soupir vers

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    l’Asser de ce jour ; son corps fut transporté à Chella, près de Rabat el-Fath, où il fut enterré. Dieu seul est durable et éternel.

    RÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU THÂBET AMER FILS DE L’ÉMIR ABD ALLAH FILS DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU YACOUB.

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    L’émir des Musulmans Amer, surnommé Abou Thâbet, était fils d’une femme libre nommée Bezou, fille de Othman ben Abd el-Hakk. Il naquit le 1er de radjeb 683. Il fut proclamé à Tlemcen Djedid, aussitôt après la mort de son grand-père, par une assemblée de Croyants auxquels se joignirent, dans la matinée du jeudi 8 de dou’l kâada 706, les cheikhs Beny Meryn et arabes. Il mourut un an, trois mois et un jour après sa proclamation, soit le dimanche 8 de safar 708, dans la kasbah de Tanger. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Il eut pour ministres Ibrahim ben Abd el-Djelil el-Ouandjsaty et Ibra­ him ben Aïssa el-Yrbany ; pour secrétaire des commandements, le feklly Abou Mohammed Abd Allah ben Aby Medyan; pour hadjeb, Fredj l’affran­ chi, et après lui Abd Allah el-Zerhouny ; pour kady, le fekhy Abou Ghâlyb el-Moughyly. Aussitôt après sa proclamation, il rassembla les cheikhs et les principaux Meryn et Arabes pour leur demander conseil au sujet de Tlemcen, et décider s’il continuerait le siège où s’il rentrerait au Maghreb, Leur avis fut unanime pour le retour; ils lui dirent : «Rentrons de suite au Maghreb pour y mettre de l’ordre, car Othman ben Aby el-Olâ, ayant appris ; à Ceuta la mort de ton grand père, est sorti en toute hâte pour se porter sur Fès, et il est déjà entré au Kessar Ketâma(1) et dans Asîla ; de plus, les Croyants sont fatigués de ce pays et de l’éloignement de leurs familles qui dure depuis quatorze ans. Retourne donc chez toi, et quand tu auras assuré la paix et le bon ordre, tu verras ce que tu auras à faire, s’il plaît à Dieu très-haut.» Lorsque tous les préparatifs de départ furent faits, l’émir envoya un ambassadeur à Abou Zyan Mohammed ben Othman ben Yaghmourasen, pour conclure la paix avec lui. Il lui abandonna toutes les conquêtes de son grands-père Abou Yacoub, moins Tlemcen el-Djedid, qui avait été construite pendant le siége, et à condition qu’il n’y entrerait pas, qu’il n’y changerait absolument rien, qu’il pourvoirait à l’entretien de la mosquée et du palais, et qu’il n’inquiéterait point les Maghrebins qui voudraient y demeurer. Ces conditions acceptées, l’émir rappela toutes ses troupes éparses dans les pays de l’Est, qui furent ainsi rendus à leurs habitants. En meure temps, il écrivit à tous les kaïds arabes pour leur annoncer la mort de son grand-père et son avènement, et il expédia à Fès son cousin Abou Aly el-Hassen ben Amer ben

    ____________________ 1 Al-Cassar, appelé aujourd’hui encore El-Kessar Seghyr, El-Kessar Abd elKerym. El-Kessar Ketâma, du nom de son fondateur, Abd el-Kerym el-Ketâmy.

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    Abd Allah ben Abou Youssef. Il lui confia une forte armée avec ordre d’al­ ler prendre le commandement de cette capitale, d’ouvrir les portes des pri­ sons, de corriger les vices et de distribuer de l’argent aux nobles et au peuple. Tout cela fut fait ; puis il fit périr l’émir Abou Yhya, oncle de son père, et son oncle l’émir Abou Selim ben Abou Yacoub, et il partit de Tlem­ cen pour le Maghreb avec une armée innombrable, le 1er de dou’l hidjâ 706. Il célébra en route, entre Tlemcen et Oudjda, la fête du sacrifice. Il entra à Fès en moharrem 707, et il y resta jusqu’au 7 de radjeb. Ayant appris alors que le kaïd des troupes de Maroc, Youssef ben Mohammed ben Aby Ayad s’était déclaré indépendant après avoir tué le gouverneur El-Hadj Messaoud, il se mit en expédition pour aller le combattre, et il se vit devancer par un corps de cinq mille cavaliers, sous les ordres d’Abou el-Hadjedj Youssef ben Ayssa el-Achmy et d’Yacoub ben Aznâg. Ceux-ci ayant rencontré Ben Aby Ayad sur les bords de l’Oum el-Rebya, le mirent en déroute. Ayad rentra à Maroc, où il massacra tous les Chrétiens qui s’y trouvaient, s’empara de leurs biens et s’enfuit à Aghmât. De là il alla se réfugier dans le Djebel Askoura, chez un cheikh Askoury nommé Halouf ben Hannon, qui le trahit et l’enchaîna. L’émir des Musulmans, Abou Thâbet, entra à Maroc le 1er de châaban 707 ; il reçut Ben Ayad enchaîné et il le fit périr sous le bâton; il envoya sa tête à Fès, où elle fut exposée, et il fit exécuter ses partisans et ses compli­ ces au nombre de plus de six cents hommes, dont les têtes furent alignées depuis le Bab el-Rebb, une des portes de Maroc, jusqu’au fort Dar el-Horrat Azouna. Un nombre égal fut exécuté à Aghmât. Le 15 dudit châaban, l’émir des Musulmans alla à Tamezouart pour attaquer les Seksyouy et la tribu de Rekena. Arrivé à Tamezouart, il y établit son camp, et les Seksyouy vinrent à lui pour le proclamer et lui offrir la Diffa et des présents. Alors il détacha son kaïd Yacoub ben Aznâg avec trois cents cavaliers pour aller à Haha raser les Kabyles de Rekena, qui prirent la fuite devant lui dans les pays du Sud. Ben Aznâg revint à Tamezouart rejoindre l’émir qui l’attendait, et qu’il rassura sur l’état général de la tranquillité. Abou Thâbet retourna alors à Maroc, où il entra le 1er de ramadhan 707, et le 15 il en partit pour Rabat el-fath. Il passa par le pays de Senhadja et il traversa l’Oued Oum el-Rebya dans de grandes barques, au passage de Ketâma. Dans la province de Temsna, il fut rejoint par une troupe d’Arabes Khelouth, Assamy, Beny Djâbar et autres Hachem, qui venaient pour le saluer et se retirer ; mais il n’en laissa pas partir un seul et il les conduisit avec son armée jusque sous les murs d’Anfa; là, il fit jeter en prison soixante de leurs cheikhs, et il en fit crucifier trente autres sur les murs de la ville, pour les punir d’avoir intercepté les routes et infesté tout le pays de leur brigandage. Il se rendit alors à Rabat el-Fath, où il entra le 27 de ramadhan, et il y célébra la fête. Il fit crucifier trente bandits

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    arabes sur les murs des deux villes (Rabat et Salé), et le 15 de chouel il partit de là pour aller raser les Beny Ryah d’Abou Thouyl, d’El-Djezaïr et de Fahs Azghâr. Il en tua un grand nombre, et il enleva leurs familles et leurs biens ; il retourna à Fès, où il entra vers le milieu de dou’l kâada. Il y célébra la fête du sacrifice, et il en sortit le 14 de dou’l hidjâ pour aller assiéger Ceuta. Il s’arrêta trois jours au Kessar d’Abd el-Kerym pour réunir les Kabyles, Beny Meryn et Arabes et, entrant en campagne, il emporta à l’assaut la forteresse d’Aloudân et courut sur les terres de Demna, dont il massacra les hommes après leur avoir enlevé leurs femmes, leurs enfants et leurs biens; et cela en châtiment de leur soumission à Othman ben Abou el-Olâ auquel ils avaient servi d’éclaireurs dans le pays, qu’ils avaient acclamé et assisté, et avec lequel, enfin, ils étaient entrés au kessar Abd el-Kerym et à Asîla qu’ils avaient mis au pillage. En se retirant du Djebel Aloudân, l’émir vint à Tanger, où il arriva le 1er de moharrem 708. Il envoya des troupes à Ceuta, et il commença les fondements de la ville de Tetouan. En même temps il expédia le fekhy Abou Yhya ben Aby el-Sebor en ambassade auprès de Ben el-Ahmar, pour lui demander d’évacuer Ceuta, et il s’établit à la kasbah de Tanger pour attendre le retour de son envoyé; mais la mort vint le surprendre, et il rendit le dernier soupir le dimanche 8 de safar, an 708. Son corps fut transporté à Chella, près de Rabat el-Fath, où il fut enterré auprès de ses ancêtres (que Dieu lui fasse miséricorde et l’agrée !). Son frère Soliman lui succéda.

    RÉGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU EL-REBY SOLIMAN.

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    L’émir des Musulmans Soliman ben Abd Allah, fils de l’émir des Musulmans Abou Yacoub ben Abou Youssef ben Abd el-Hakk, surnommé Abou el-Reby, était fils d’une concubine de race arabe, nommée Zyana. Il conserva pour secrétaire celui de son frère, le fekhy Abou Mohammed ben Aby Medyan, qui garda la direction de toutes les affaires jusqu’à sa mort. L’émir le fit périr et le remplaça par son frère, El Hadj Abou Abd Allah ben Aby Medyan. Ses ministres furent Ibrahim ben Ayssa el-Yrtyany et Abd erRahman ben Yacoub el-Ouatassy. L’émir Abou Reby fut proclamé à Tanger, le mardi 9 de safar 708, à l’âge de dix-neuf ans et neuf mois. Il fit arrêter son oncle Aly, connu sous le nom de Ben Bezydja qui s’était fait proclamer par un grand. nombre de Croyants. Il rappela auprès de lui le camp de Tétouan. Il distribua de l’argent aux Beny Meryn, aux Arabes, aux Andalous, aux étrangers et aux Chrétiens, et il s’en alla à Fès. A la nouvelle de son départ, Ben Aby el-Olâ fit une sortie de Ceuta avec une troupe nombreuse et accompagné de ses enfants et de ses frères, pour attaquer le camp durant la nuit ; mais l’émir des Musulmans,

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    prévenu à temps, leva les tentes à minuit et se porta lui-même au-devant d’Aby el-Olâ, auquel il livra bataille. Aby el-Olâ fut tué et tous ses soldats furent massacrés ou faits prisonniers. L’émir des Musulmans arriva à Fès le 14 de raby el-aouel 708, et il y célébra l’anniversaire de la naissance du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !). Il distribua. de l’argent autour de lui, tranquillisa le. pays, et organisa son gouvernement. Les rois lui adressèrent leur soumission, et il renouvela le traité de paix avec l’émir de Tlemcen. Le 30 de dou’l kâada, l’émir fit exécuter son secrétaire des comman­ dements, le fekhy Abou Mohammed Abd Allah ben Aby Medyan, dont les fonctions avaient duré neuf mois et vingt et un jours. Dans les premiers jours de dou’l hidjâ, l’émir expédia sou kaïd Tachefyn ben Yacoub el-Ouatassy, à la tête d’une superbe armée de Meryn pour assiéger Ceuta. Le kaïd Tachefyn entra à l’assaut dans la place, le lundi 10 de safar 709 (1309 J. C.), favorisé par les propres cheikhs et habitants de la ville qui ne voulaient plus du gouver­ nement andalous. Il fit part immédiatement de la victoire à l’émir des Musul­ mans, en lui adressant les cheikhs de Ceuta, et il fit jeter en prison le kaïd Abou Aly Omar ben Rahou ben Abd el-Hakk, qui avait dirigé les combats. Le 1er de djoumad el-aouel, l’émir des Musulmans destitua le kady de Fès, Abou Ghâlyb el-Moughyly, et le remplaça par le fekhy, le conseiller Abou el-Hassen Aly, connu sous le nom d’El-Seghyr (le petit). Dans le même mois, il fit la paix avec Ben el-Ahmar, à condition qu’il lui donnerait Algéziras, Ronda et leurs dépendances. De plus, il lui demanda sa sœur en mariage, et Ben el-Ahmar ayant consenti à tout, il lui envoya de fortes sommes et des chevaux pour faire la guerre sainte, avec son homme de con­ fiance Othman ben Ayssa el-Yrtyany. En 710 (1310 J. C.), an mois de djoumad el-aouel, le ministre Abd er-Rahman ben Yacoub el-Ouatassy et le kaïd chrétien Ghanssalou (Gonzal­ ves), s’enfuirent à Rabat Taza. Ils avaient comploté avec une partie des Beny Meryn de détrôner l’émir Soliman en faveur d’Abd el-Hakk ben Othman ben Mohammed ben Abd el-Hakk. Quand ils furent près de Rabat Taza, ils mandèrent Abd el-Hakk, qui vint à eux, et ils le proclamèrent émir des Musulmans. Celui-ci commença aussitôt à rassembler des troupes et expé­ dia des courriers aux principaux Beny Meryn et aux cheikhs arabes, pour leur demander de le reconnaître pour souverain. Quand l’émir des Musul­ mans, Soliman, apprit tout cela, il sortit pour marcher sur Rabat-Taza. Il expédia en avant une troupe nombreuse de Beny Meryn sous la conduite de Youssef ben Ayssa el-Achemy et d’Omar ben Moussa el-Feddoudy ; les rebelles, à la nouvelle de son approche à laquelle ils ne s’attendaient pas du tout, comprirent qu’il leur était impossible de se soutenir, et ils sortirent lanuit de Rabat-Taza pour fuir à Tlemcen, d’où ils passèrent en Andalousie.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    L’émir des Musulmans, Soliman, entra à Rabat-Taza, et il fit exécuter les principaux personnages qui avaient proclamé Abd el-Hakk et s’étaient soumis à son gouvernement. C’est là qu’il tomba malade et qu’il mourut, le mardi 30 de djoumad 710, le soir, entre les deux prières (de sept à neuf heures). Il fut enterré la nuit même dans la cour de la mosquée. Son règne avait duré deux ans et cinq mois, durant lesquels il y eut constamment mau­ vaise récolte et disette. Les propriétés renchérirent beaucoup; et on ne pou­ vait plus bâtir une maison à moins de 1,000 dinars d’or. On faisait un grand commerce de bêtes de somme, d’étoffes et de bijouterie, et c’est à cette époque que l’on commença à faire usage des carreaux vernis, du marbre et. des sculptures dans les constructions. L’auteur du livre pense qu’if faut fixer la date de la fuite de Fès du ministre Ben Yacoub au mardi 23 de raby 710. Et celui qui reste toujours c’est Dieu ! Qu’il soit glorifié ! Il n’y a d’adorable que lui !

    RÈGNE DU ROI DE L’ÉPOQUE, LUMIÈRE DU SIÈCLE, L’IMAM, L’HEUREUX, L’ÉMIR DES MUSULMANS ABOU SAÏD, NOTRE KHALIFE EN CETTE ANNÉE 726.

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    Que Dieu prolonge ses jours, qu’il fortifie son gouvernement et rende ses ordres et ses enseignes victorieux ! Que ses ennemis soient détruits par ses armes ! Abd Allah Othman, émir des Musulmans, est fils de l’émir des Musul­ mans, le victorieux par Dieu, le roi de la vérité, Abou Youssef Abd el-Hakk, prénommé Abou Saïd et surnommé El-Saïd bi-Fadhl Allah (l’heureux par la grâce de Dieu). Sa mère, femme légitime nommée Aïcha, fille de l’émir des Arabes Khelouth, Abou Athya Mouhelhel ben Yhya el-Kholty, le mit au monde le vendredi 29 de djoumad el-tâny 675. Voici son portrait : Blanc, teint coloré, taille moyenne, jolie figure, épaules larges, avenant, pieux, crai­ gnant le Très-Haut, fort dans les limites de Dieu, clément, miséricordieux, point sanguinaire, doux et modeste, digne et intelligent. Au commencement de son règne, il eut pour ministres : Abou el-Hed­ jadj Youssef ben Ayssa el-Achemy et Abou Aly Omar ben Moussa el-Fed­ doudy, qui ont été remplacés après leur mort par Abou Abd Allah Mohammed ben Abou Beker ben Aly et Abou Salem Ibrahim ben Ayssa el-Yrnâny. Pour secrétaires : El-Hadj Abou Abd Allah ben Aby Medyan et Abou el-Mekârym Mendyl el-Kenâny, remplacés à leur mort par le fekhy, l’écri­ vain célèbre, Abou Mohammed Abd el-Mouhemyn et par le kady le juste Abou Abd Allah Mohammed Salah ben Hadheramy, et les docteurs Abou Mohammed Salah ben Hadjadj et Abou el-Abbès ben el-Ferâk. Pour kadys : Le fekhy Abou Amrân el-Zerhouny et le fekhy Abou Abd

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    Allah Mohammed, fils du fekhy, le savant, versé dans le Hadits, le saint, le béni, le kady Abou el-Hassen ben Abou Beker el-Melyly. Pour médecins : Abou Abd Allah ben el-Ghalyth de Séville, et puis son fils le visir Abou el-Hassen et le visir Abou Mohammed Ghâlyb elChakoury. Sa proclamation eut lieu dans la nuit du mercredi 20 de djoumad el­ tâny 710, dans la kasbah de Rabat-Taza. Il fut proclamé par les ministres, les secrétaires, les cheïkhs et les personnages de la cour, et dans la nuit même il expédia des courriers dans toutes les directions pour porter les nouvelles de la mort de Soliman et de son avènement. Il envoya son fils, l’émir, l’accom­ pli Abou el-Hassen Aly à Fès, où. il entra à l’Asser du mercredi 1er de radjeb 710. Il descendit à la ville nouvelle, siége de leur gouvernement et demeure de leurs rois, dont il prit le commandement et qu’il organisa. Il s’assura du palais, des trésors et des dépôts d’armes et de munitions. Il ordonna de battre le tambour et de faire des réjouissances publiques. Le mercredi matin, 1er de radjeb, l’émir des Musulmans Abou Saïd monta à cheval, au palais de Rabat-Taza, et sortit de la ville en grande pompe. Sa proclamation fut renou­ velée par tous les Beny Meryn, les Arabes, les Andalous, les étrangers, les kaïds et les Chrétiens, par les fekhys; les kadys, les saints et les cheïkhs de la ville. Son élection fut unanime et sortit spontanément de tous les cœurs. Et cela parce que Dieu avait réuni en lui toutes les qualités et toutes les vertus, sans lesquelles il n’est pas. possible de soutenir un empire. A son sujet, un poète a dit : «Le khalifat est venu à lui directement et par une filière de rois. Le khalifat ne pouvait que lui appartenir, et il ne pouvait appartenir lui­ même qu’au khalifat. Et si tout autre s’en était emparé, la terre entière eût été bouleversée.» Lorsque sa proclamation fut achevée et qu’il se fut assuré les rênes du gouvernement, il distribua des sommes aux Beny Meryn, aux Arabes, aux troupes; il fixa des salaires pour les fekhys et pour les saints ; il fit des largesses aux personnages de sa cour, et il organisa lui-même les affaires de son pays et de ses sujets ; il corrigea les injustices; il diminua les impôts, et il fit ouvrir, les portes des prisons, à l’exception de celles qui renfermaient les criminels, les assassins ou les personnes arrêtées par jugement dit cherâa; il fit distribuer des aumônes aux nécessiteux et aux pauvres honteux ; il supprima l’impôt annuel des habitants de Fès envers le gouvernement. Les affaires des Croyants se régularisèrent, et la prospérité s’accrut et s’affermit constamment sous son règne, qui fait le bonheur de ses sujets par la grâce du Dieu très-haut. Partout l’abondance, la sécurité, la joie, fêtes continuelles de chaque jour et chaque nuit, tels sont les fruits du khalifat de l’émir des Musulmans, de sa bénédiction et de sa justice éclatante. Roi de l’époque, il

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    gouverne les riches et les pauvres, les puissants et les faibles; il protège l’op­ primé et ouvre sa porte aux malheureux. Tarit de justice et d’impartialité n’étaient point connues avant lui. Que Dieu prolonge ses jours et fortifie son Gouvernement ! Dans les derniers jours de radjeb, l’émir des Musulmans, Abou Saïd, partit de Rabat-Taza et se rendit à Fès, où il reçut les députations des habi­ tants, des fekhys, des kadys et des cheïkhs, qui s’empressèrent de venir le saluer et le féliciter sur son avènement au pouvoir. Il célébra la fête de la rupture du jeûne dans cette capitale, et il en partit au mois de dou’l kâada pour venir à Rabat el-Fath inspecter les affaires de ses sujets, s’informer de celles de l’Andalousie, et faire construire des navires pour courir sur les ennemis ; il arriva dans ce port à la fin dudit mois; il y célébra la fête du sacrifice ; il mit de l’ordre aux affaires, expédia plusieurs navires et revint à Fès. En 711 (1311 J. C.), il donna à son frère, l’émir Abou el-Bakâ Yaïch, le gouvernement d’Algéziras, Ronda et dépendances en Andalousie, et il ordonna de nouveaux armements à l’arsenal de Salé pour courir sur les ennemis. Cette année-là, il y eut une grande sécheresse, et les Croyants se réunirent auprès de lui, en implorant ses prières. Il sortit pour demander la pluie au Très-Haut et il se rendit à la chapelle accompagné des docteurs, des saints et des lecteurs qui chantaient des louanges et des supplications à Dieu, marchant lui-même à pied pour s’humilier devant la majesté de Dieu, comme il est dit dans le Sonna de notre prophète Mohammed (que Dieu le comble de bénédictions !). Un grand nombre de pauvres suivaient le cor­ tège, et l’émir des Musulmans fit d’abondantes aumônes. Cette procession eut lieu, le mardi 24 de châaban le sacré, an 711. Le mardi 27, l’émir sortit de nouveau avec toutes ses troupes et se rendit au Djebel el-Kanderatyn en pèlerinage sur le tombeau du saint Abou Yacoub el-Achkar (le blond). L’émir pria avec ferveur en cet endroit, et Dieu exauça sa prière et combla ses vœux par une pluie abondante. L’émir ne revint de là que lorsque tout le pays fut suffisamment arrosé. Que Dieu prolonge son règne ! Il n’a jamais cessé, depuis son avènement jusqu’à ce jour, de secourir les malades et d’as­ sister aux enterrements des saints, de favoriser les docteurs, les cheurfa et les saints auxquels il distribue chaque année de l’argent, des vêtements et toutes les choses nécessaires, En 713 (1313 J. C.), Ben Hannou el-Askoury se révolta dans le pays d’Askoura, et l’émir (les Musulmans marcha contre lui ; il l’atteignit dans sa forteresse, qu’il enleva avec l’aide de Dieu ; il pénétra dans les pays du rebelle, s’empara de ses biens, et, l’ayant enchaîné, il le fit marcher devant lui, captif et humilié, jusqu’a Fès, où il le jeta en prison. En 714 (1314 J. C.), au mois de dou’l hidjâ, l’émir des Musulmans,

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    Abou Saïd, donna à son fils, le distingué, l’émir Abou Aly Omar, le com­ mandement des pays occidentaux de Sidjilmessa et du Drâa jusqu’au Sahara, avec des pouvoirs absolus. En cette même année, il confia le gouvernement de Ceuta et le commandement de la flotte an kaïd Yhya ben el-fekhy Aby Thaleh el-Azfy. En 715 (1315 J. C.), il donna ordre de bâtir la porte située devant le pont de la ville nouvelle de Fès et ses murs d’enceinte ; ensuite il alla à Maroc pour mettre ordre aux affaires et il revint à Fès. En 716 (1316 J. C. ), le kaïd Yhya passa à Gibraltar, qu’il enleva après un siége de quelques jours. Peu après, il détruisit dans le détroit la flotte chrétienne, dont il tua le chef, Djernâk, fléau dont les Musulmans furent ainsi délivrés parla grâce de Dieu. En chouel, ce même kaïd Yhya se révolta à Ceuta et refusa de se rendre à l’appel de l’émir, qui’ l’envoya assiéger par son ministre Abou Sâlem Ibrahim ben Ayssa el-Yrnâny, lequel cerna la place avec son armé pendant quelque temps. En 719 (1319 J. C.), l’émir des Musulmans sortit de Fès pour Tanger, où il alla examiner la situation des affaires de Ceuta et de l’Andalousie ; il ordonna de bâtir des puits près de l’Oued Hassan, sur la pointe du cimetière des Aghzâz, et il revint à Fès. En châaban 720 (1320 J. C.), il s’en alla à Maroc et y resta tout le temps nécessaire pour mettre ordre aux affaires de son gouvernement et à celles de ses sujets ; il restaura la ville dont il donna le commandement à Djendoun ben Othman, et il revint à Fès vers la fin de l’année. En 721 (1321 J. C.), il alla à Rabat-Taza, où il resta trois mois ; il for­ tifia Taouryrt et y plaça une garnison de cavaliers, de fantassins et d’archers. En cette même année, il fit bâtir les murs d’enceinte d’Agersif. En 722 (1322 J. C.), il partit pour Maroc au mois de raby el-tâny, et, après y être resté quelque temps pour mettre de l’ordre aux affaires, il revint à Fès. En 723 (1323 J. C.), il y eut une grande sécheresse au Maghreb ; les Croyants firent des prières, et l’émir sortit conformément, au Sonna pour demander la pluie et faire des sacrifices. En 724 (1324 J. C.), le Maghreb fut affligé par la famine; les denrées devinrent partout rares et chères Le sahfa de blé atteignit le prix de quatre­ vingt-dix dinars, et l’almoud vingt-cinq drahems ; quatre onces de farine, un drahem ; cinq onces de viande, un drahem; deux onces d’huile ou une once de miel, un drahem; trois onces de raisins secs, un drahem, deux onces de beurre, un drahem; les légumes et les herbages disparurent entièrement, et cette situation dura depuis le commencement de l’année 724 jusqu’à djou­ mad el-aouel 725, où Dieu chéri donna la pluie à ses campagnes et à ses créatures, qu’il combla des bienfaits de sa miséricorde.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    Durant cette désastreuse famine, l’émir des Musulmans fit plus de bien qu’on ne saurait le décrire; il ouvrit les dépôts de grains du gouvernement et fit vendre pour quatre drahems l’almoud de blé qui valait partout seize drahems ; il ne cessa de faire des aumônes ; ses hommes de confiance étaient chargés de les distribuer aux Musulmans et de les faire parvenir jusqu’aux femmes ou aux pauvres honteux, à chacun selon ses besoins, depuis un dinar d’or jusqu’à quatre. C’est ainsi qu’à partir du jour de son avènement, il a constamment secouru tous lés malheureux. Chaque hiver, il distribue des vêtement aux pauvres et pourvoit à leurs logements; il a donné ordre d’en­ sevelir dans de la toile neuve et d’enterrer avec soin et respect tous ceux qui mouraient inconnus ou étrangers au pays. Que le Dieu très-haut le récom­ pense pour toutes ses bonnes oeuvres, et qu’il le conserve aux Musulmans par sa grâce et sa toute-puissance !

    CHRONOLOGIE DES EVÉNEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EUT LIEU AU MAGHREB, DE L’AN 656 JUSQU’À LA FIN DE NOTRE RÉCIT, EN 726.

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    En 656 (1258 J. C.), l’émir des Musulmans, Abou Youssef que Dieu lui fasse miséricorde !), fut, proclamé à Fès. En 658, les Chrétiens surprirent la ville de Salé, et ils y entrèrent à l’assaut le 3 de chouel. Ce fut une grande calamité. En 659, bataille d’Oum el-Ridjeleïn entre l’émir des Musulmans.; Abou Youssef, et l’armée d’El-Mourthadhy. En 660, entrée à Maroc de l’émir des Musulmans Abou Youssef. Le mardi 12 de chouel, apparition d’une comète qui, pendant environ deux mois, se levait chaque nuit à l’heure du Sohaur. Un corps de guerriers Beny Meryn passa en Andalousie pour faire la guerre sainte, volontairement et sous le commandement d’Amer ben Edriss et d’El-Hadj el-Taher Aly. En 663, le fekhy El-Azly détruisit les murs de la kashah de la ville d’Asîla. En 664, Arrivée d’Abou Debbous à Fès, venant faire sa soumission à l’émir des Musulmans. En 666, 12,000 dinars d’or et trois colliers de perles furent volés au trésor de la kasbah de Fès. En 667, mort du cheïkh Abou Merouan el-Ouadjezny, à Ceuta. Défaite des Arabes Rîah par l’émir des Musulmans El-Moustansyr, qui fit périr les hommes, prit leurs biens et leurs familles, et s’en revint à Tunis. Arrivée d’Abou Zakerya ben Salîh, envoyé par El-Mansour, roi d’Ifrîkya, avec des présents pour l’émir Abou Youssef. En 668 (1270 J. C.), les Chrétiens s’emparèrent du port de Larache dont ils massacrèrent les habitants. Ils enlevèrent les femmes et les riches­ ses, et ils s’en allèrent sur leurs navires après avoir mis le feu à la ville. Mort

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    de Tahla ben Aly Yacoub ben Abd Allah, et naissance de Messaoud ben Abou Yacoub, émir des Musulmans. Omar ben Mandyl el-Maghraouy livre la ville de Meliana à Yaghmourasen ben Zyan. Le mercredi soir, 25 dé dou’l hidjâ, après la prière, le roi chrétien de France(1) aborda, sur la côte de Tunis avec une flotte innombrable ; en descendant à terre, les Infidèles s’emparè­ rent du château El-Kelâa, et on ne saurait exprimer le nombre de tentes qui s’élevèrent en camp sur le bord de la mer. Il y avait quarante mille cavaliers chrétiens, cent. mille archers et cent mille fantassins, mais, le 25 de raby el-tâny, le roi de France mourut pendant qu’il assiégeait encore la ville de Tunis, et sa mort fut cause de la retraite des Chrétiens. Entrée de l’émir des Musulmans, Abou Youssef, à Maroc. En 669, expédition d’Abou Youssef contre les Arabes du Drâa. Révolte de Mohammed ben Edriss et de Moussa ben Rahou ; l’émir Abou Youssef, après les avoir cernés pendant trois jours sur le mont Aberkou, près de Fès, reçut leur soumission et leur fit grâce de la vie. En 67o, Abou Youssef attaqua les possessions de Yaghmourasen, au mois de radjeb, et, après l’avoir mis en déroute à l’Oued Isly, il l’assiégea quelque temps à Tlemcen. En 672, prise de Tanger et siège de Ceuta par Abou Youssef. En 673, prise de la ville de Sidjilmessa par le même. En 674, le 3 de chouel, furent jetés les premiers fondements de Fès el-Djedid, sur la rivière. La veille, 2 de chouel, les juifs de Fès avaient été massacrés. Premier passage en Andalousie de l’émir des Musulmans Abou Youssef, pour faire la guerre sainte ; il s’empara d’Algéziras, de Tarifa et de Ronda. Guerre contre don Nuño. Construction de la kasbah de Mekenès. En 675, ordre de l’émir des Musulmans de bâtir la nouvelle ville d’Algéziras. En 676, deuxième passage de l’émir Abou Youssef en Andalousie. Mort d’Abou Mohammed ben Achkyfoula, maître de Malaga. En 677, au mois de raby el-aouel, la flotte chrétienne vint bloquer Algéziras. Des cadeaux sont envoyés par Yhya el-Ouatyk, roi d’Ifrîkya. Au mois de châaban, Omar ben Aly, gouverneur d’Abou Youssef à Malaga, trahit et vendit la place à Ben el-Ahmar. Au mois de chouel, révolte de Messaoud ben Kanoun el-Soufyany. Construction de la mosquée de Fès elDjedid. En 678 (1280 J. C.), destruction de la flotte chrétienne devant Algéziras. En 679, mort de Zyan ben Abd el-Kaouy el-Toudjyny. Les sauterelles envahirent le Maghreb et détruisirent les moissons et les champs jusqu’au dernier brin d’herbe. La mosquée de Fès el-Djedid est ornée de son grand

    ____________________ 1 Saint Louis.

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    HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

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    lustre pesant sept cent quinze livres et ayant deux cent quatre-vingts calices ou godets. Siège de Grenade par Abou el-Hassen Achkyloula et Alphonse. En 680, défaite de Yaghmourasen au Melhab, près Tlemcen. En 681, mort du kaïd El-Zendadjy, à Ceuta. Passage de l’émir des Musulmans en Andalousie, où il rencontra, à Sakhrat el-Abbed, Alphonse, qui lui donna sa couronne en gage pour 100,000 dinars. Fuite de la kasbah de Fès du chef supérieur de la flotte des chrétiens, qui y était prisonnier. Prise de Tunis par Ben Aby Amâra. Mort de Yaghmourasen ben Zyan. En 682 (1284 J. C.), au mois de moharrem, mort d’Alphonse le Borgne(1) (que Dieu le damne !) et de Tachefyn ben Abd el-Ouahed, émir de l’Andalousie. En 683, l’eau de l’Aïn Ghâboula fut amenée à la kasbah de Rabat el-Fath, par ordre de l’émir Abou Youssef et sous la direction de Bel Hadj. Mort de Ben Aby Amâra à Tunis, où son fils Abou Hafs lui succède. Le 6 de ramadhan, la dame noble Oum el-Az, fille de Mohammed ben Hazem, mourut à Rabath el-Fath et fut enterrée à Chella. En 685, au moharrem, mort de l’émir des Musulmans Abou Youssef. Construction du grand moulin sur le fleuve de Fès. En 687, le roi d’Égypte El-Mansour s’empare de Tripoli de Syrie. Mort du cheïkh, le saint Abou Yacoub el-Achkar, à El-Kendaryn, chez les Beny Behloul. En 690, siége et prise de Tarifa par Alphonse. Prise de la ville d’Akka par le roi El-Achraf. L’émir des Musulmans décrète la célébration solennelle de l’anniversaire de la naissance du Prophète dans tous ses états. En 692, prise de la forteresse de Tazouta. En 693, la mosquée de Taza est achevée, et ornée de son grand lustre en cuivre pesant trente-deux quintaux et ayant cinq cent quatorze calices ou godets ; 8,000 dinars furent employés à ces travaux. En 699 , Abou Yacoub assiégea Tlemcen pendant quelque temps et s’en revint à Fès. En 702 (1304 J. C.), mort de Ben el-Ahmar, roi d’Espagne. En 706, mort de l’émir des Musulmans Abou Yacoub. En 708, mort de l’émir des Musulmans Abou Thâbet, à Tanger. En 710, le 30 de djoumad el-tâny, mort de l’émir des Musulmans Abou el-Reby, et avènement d’Abou Saïd. En 720 (1320 J. C.), l’émir Abou Saïd fit construire la grande acadé­ mie de Fès el-Djedid, et il y établit des tholbas pour lire le Koran et des docteurs pour étudier les sciences, en accordant à tous l’entretien et des

    ____________________ 1 Alphonse X. Alonzo el Sabio.

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    ET ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    traitements mensuels. Il dota cet établissement du quart des revenus des récoltes, et tout cela pour l’amour du Dieu très-haut et dans le but de mériter les grandes récompenses. En 721, l’émir Abou el-Hassen ben Abou Youssef ben Abd el-Hakk (que Dieu les agrée tous !) fit bâtir l’académie située au midi de la mosquée El-Andalous ; elle fut construite avec le plus grand soin, et munie tout autour d’un grand réservoir, de lieux aux ablutions et d’un caravansérail servant de demeure aux étudiants. Tous ces établissements reçurent leurs eaux de la source située au dehors du Bab el-Hadid, et coûtèrent de très-fortes sommes, plus de 100,000 dinars. L’émir y établit des docteurs, des auditeurs, des étu­ diants et des lecteurs, et pourvut a leur entretien et à leurs vêtements. Il dota enfin cet établissement de routes considérables. Que le Très-haut l’en récompense ! En 723 (1323 J. C.), au mois de moharrem, de l’une des sources de Senhadja, située vers l’Orient, jaillit du sang naturel, qui coula depuis la moitié de l’heure de la prière du soir jusqu’au tiers de la nuit; cette source reprit alors sa limpidité ordinaire. Le 30 de châaban, l’émir des Musulmans, Abou Saïd, ordonna la construction de la grande académie qui est située près de la mosquée El-Kairaouyn; elle fut bâtie sous la direction du docteur béni Abou Mohammed Abd Allah ben Kassem el-Mezouâr. L’émir, accompagné. des docteurs et des saints, assista lui-même à sa fondation, et il parvint à faire un édifice prodigieux, le plus splendide que jamais roi ait élevé sur la terre avant lui. Il y fit arriver l’eau d’une source intarissable, et il y établit des docteurs, des savants, un imam, un muezzin et des employés pour le service. Il alloua à chacun des émoluments, et il acheta des propriétés pour ‘en doter cet établissement, pour l’amour de Dieu et dans l’espérance de mériter les grandes récompenses. Je prie le Très-Haut de combler notre émir de ses bienfaits dans le jardin éternel, au milieu des plus belles houris, et de me couvrir de sa béné­ diction pour tout ce que je viens d’écrire sur les docteurs, les saints, les anciens et les hommes vertueux. Ô Miséricordieux des Miséricordieux ! accorde-moi des richesses, des enfants, la religion en ce monde et le salut dans l’autre ! Que Dieu répande sa bénédiction et sa grâce sur notre seigneur et maître Mohammed, sur sa famille et ses compagnons ! FIN DU LIVRE RÉCRÉANT, INTITULÉ ROUDH EL-KARTAS, CONTENANT L’HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB ET LES ANNALES DE LA VILLE DE FÈS.

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    TABLE.

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    Pages

     Avertissement................................................................................................I

     Introduction de l’auteur Abd el-Halîm..........................................................3

    <o:p> </o:p>

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    LES EDRISSITES.

     Ans 172 à 380 (788 à 990 J. C.).

     Edriss, descendant d’Ali, gendre du Prophète, fuit de l’Arabie et arrive au Maroc, ou il propage l’Islamisme.......................................................7

     Règne de l’imam Edriss..............................................................................11

     Règne de l’imam Edriss, fils d’Edriss.........................................................16

     Fès ; description des lieux ; admiration des poètes ; prédictions ; antiquités ;

     description ; histoire ; étymologies du nom de Fès..........................21

     Les Juifs d’Espagne et huit mille familles de cordoue passent à Fès.........31

     Règne de l’imam Mohammed, fils d’Edriss ben Edriss..............................34

     Règne de l’émir Aly, fils de Mohammed....................................................35

     Règne de l’émir Yhya, fils de Mohammed.................................................36

     Mosquée d’El-Kairaouyn ; sa description et son histoire jusqu’en 726

     (1326 J. C.); son minaret...................................................................38

     Histoire de ses prédicateurs........................................................................49

     Règne de l’émir Yhya, fils d’Yhya...........................................................55

     Règne de l’émir Aly, fils d’Omar..............................................................55

     Règne de l’émir Yhya, fils d’El-Kassem, El-Mekadem (le chef).............56

     Règne de l’émir Yhya, fils d’Edriss ben Omar.........................................56

     Règne de l’émir El-Hassen. El-Hadjem (le phlébotomiste)......................58

     Règne de l’émir Moussa ben Aby el-Afya................................................59

     Règne de l’émir Kennoun............................................................................62

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>



    292

    <o:p> </o:p>

    TABLE.

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    Pages

     Règne de l’émir Abou el-Aïch, fils de Kennoun.........................................62

     Règne de l’émir Hassen, fils de Kennoun...................................................63

     Chronologie des événements remarquables qui eurent lieu au Maghreb sous

     les Edrissites….................................................................................68

     LES ZENÈTA. Ans 381 à 462 (990 à 1069 J. C.). Histoire des Zenèta.....................................................................................73

     Règne de l’émir El-Mouâz, fils de Zyry.....................................................78

     Règne de l’émir Hamâma, fils d’El-Mouâz................................................78

     Règne de l’émir Temym el-Yfrany..........................................................Ibid.

     Règne de l’émir Dounas ben Hamâma.......................................................79

     Règne des deux frères El-Fetouh et Adjycha..............................................80

     Règne de l’émir Manser, fils d’El-Mouâz..................................................80

     Chronologie des événements remarquables qui eurent lieu au Maghreb sous

     les Zenèta..........................................................................................82

     LES MORABETHYN (ALMORAVIDES). Ans 430 à 540 (1038 à 1145 J. C.). Histoire des Morabethyn.............................................................................84

     Règne de l’émir Yhya, fils d’Ibrahim.........................................................86

     Arrivée du docteur Abd Allah ben Yassyn..................................................88

     Règne de l’émir Yhya, fils d’Omar.............................................................90

     Règne de l’émir Abou Beker, fils d’Omar..................................................92

     Histoire des razias d’Abd Allah ben Yassyn contre les idolâtres

     Berghouata........................................................................................93

     Règne de l’émir Abou Becker.....................................................................96

     Règne de l’émir Youssef, fils de Techefyn..................................................98

     Fondation de Maroc..................................................................................101

     Histoire du passage en Andalousie de l’émir Youssef pour faire la guerre

     sainte. Récit de la bataille de Aalaca..............................................106

     Histoire du règne de l’émir Aly ben Tachefyn..........................................115

     Règne de l’émir Aly, fils d’Youssef...........................................................121

     Évévénéments remarquables de la période des Lemtouna.......................122

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>



    TABLE

    <o:p> </o:p>

    293

    <o:p> </o:p>

    LES MOUAHEDOUN (ALMOHADES). Ans 524 à 668 (1130 à 1269 J. C. ).

    <o:p> </o:p>

    Pages

     Histoire des Almohades ; El-Mehdy.........................................................124

     Campagnes, d’El-Mehdy contre les Lemtouna....................................129

     Récit de la mort d’El-Mehdy....................................................................130

     Portrait, vie et principaux faits d’El-Mehdy............................................132

     Règne de l’émir Abd el-Moumen.............................................................133

     Fondation de Gibraltar..............................................................................144

     Portrait et vie de l’émir Abd el-Moumen..................................................147

     Règne de l’émir Abd el-Moumen.............................................................148

     Règne de l’émir Youssef, fils d’Abd el-Moumen.....................................150

     Régne de l’émir Yacoub, fils d’Youssef (El-Mansour).............................155

     Récit de l’expédition d’Alarcos et de la défaite des Chrétiens.................158

     Règne de l’émir El-Nasser, fils d’El-Mansour..........................................166

     Visite et réception du roi de Bayonne.......................................................169

     Siége de Salvatierra..................................................................................171

     Bataille d’Hisn el-Oukab ; défaite des Musulmans..................................173

     Règne de l’émir l’Youssef, fils d’El-Nasser..............................................175

     Règne de l’émir Abou Mohammed El-Makhelou (le détrôné).................177

     Règne de l’émir Abou Mohammed el-Adel (le juste)...............................178

     Règne de l’émir Yhya, fils d El-Nasser, ses guerres avec son oncle El-

     Mamoun.........................................................................................179

     Règne de l’émir Aby el-Olâ......................................................................181

     Une armée chrétienne passe au Maroc ; conditions du roi de Castille......182

     Règne de l’émir Abou Mohammed Abd el-Ouahed.................................185

     Règne de l’émir Abou el-Hassen el-Sayd.................................................187

     Règne de l’émir Abou Hafs Omar el-Mourthady (l’agréé).......................189

     Règne d’Edriss Abou Debbous.................................................................190

     Chronologie des événements remarquables qui eurent lieu au Maghreb sous

     les Almohâdes.................................................................................192

     LES BENY MERYN.

     Ans 610 626 (1213 à 1326 J. C.).

     Histoire des Beny Meryn ; leur origine....................................................201

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>



    294

    <o:p> </o:p>

    TABLE

    <o:p> </o:p>

    <o:p> </o:p>

    Pages

     Origine et descendance des Beny Meryn..................................................202

     Avènement des Beny Meryn au Maghreb................................................203

     Règne de l’émir Abou Mohammed Abd el-Hakk.....................................206

     Règne de l’émir Abou Saïd Othman, fils d’Abd el-Hakk.........................208

     Règne de l’émir Abou Mahrouf, fils d’Abd el-Hakk................................210

     Règne de l’émir Abou Yhya, fils d’Abd el-Hakk......................................211

     Règne de l’émir Abou Youssef Yacoub, fils d’Abd el-Hakk.....................216

     Passage de l’émir Abou Youssef en Andalousie ; sa première expédition

     contre les Chrétiens.........................................................................227

     Bataille d’Ecijâ ; défaite et mort de don Nuño de Lora............................230

     Deuxième expédition de l’émir Abou Youssef en Andalousie..................232

     Troisième passage de l’émir Abou Youssef en Andalousie......................234

     Quatrième campagne de l’émir Abou Youssef en Andalousie..................235

     Cinquième campagne de l’émir, Abou Youssef en Andalousie................236

     Expédition de l’émir Abou Youssef contre El-Byrâ.................................247

     Quatrième passage de l’émir Abou Youssef en Andalousie......................248

     Arrivée en Andalousie de l’émir Abou Yacoub........................................255

     Arrivée des prêtres et religieux chrétiens à la cour de l’émir des Musulmans

     pour demander la paix ; conditions ; traité.....................................261

     Règne de l’émir Abou Yacoub, fils d’Abou Youssef ................................267

     Siège de Tlemcen......................................................................................276

     Règne de l’émir Abou Thâbet Amer.........................................................278

     Règne de l’émir Abou el-Reby Soliman...................................................280

     Règne de l’émir Abou Saïd.......................................................................282

     Chronologie des événements remarquables qui ont eu lieu au Maghreb sous

     les Beny Meryn...............................................................................286

     TABLE DES MATIÈRES.........................................................................291

    <o:p> </o:p>

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    Michael Peyron’s working papers : Part IV
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    (in English & in French) <o:p></o:p>

    Contents

    1) The Ayt Yahya of Tounfit, Central Morocco (2000)

    2) From Jbel Fazaz to Middle Atlas: from boondocks to boom towns; the past as key to the
    present” (2001)

    3) Barghawata et résistance (2005)

    4) Interaction tourisme durable et patrimoine dans l’Atlas marocain (2006)

    5) Comments on Julia Clancy-Smith’s paper: “Collaboration and Empire in the Middle East
    and North Africa: introduction and response” (2007)
    <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    1)<o:p></o:p>

    The Ayt Yahya of Tounfit, central Morocco <o:p></o:p>

    As the traveller heads down through the cedars from the Zad Pass (Tizi Tebruri = ‘hailstone
    pass’), the wide-sky expanses of the Upper Moulouya unfold before him, backed by the lofty,
    snow-capped ‘Ayyachi-Ma’asker range, over 3700 metres high. As with many others who
    have gone before, there dawns on him the notion of imminent transition. Behind lie forested,
    well-watered, Mediterranean style highlands, while the gaunt, rugged ranges on the horizon
    represent the “last stop before the Sahara”, beyond which live none but tribesmen like the Ayt
    Hadiddou “who fear naught but God”.

    Our traveller is, in fact, contemplating one of the most important regions of inner Morocco, its
    dramatic scenery somehow equal to the epoch-shaping events it has witnessed throughout
    history. Not so much a highland sanctuary as a cultural cross-roads, a haven of “intellectual
    rurality”, famous for its wandering minstrels and local poets (imdyazn and ineššadn) who
    reflect the conscience, both religious and worldly, of the mountain Imazighen who inhabit the
    area.

    Among these the Ayt Yahya, a Tamazight-speaking tribal group, occupies the area between
    Midelt and Imilchil in the High Atlas. They may be conveniently classified as highland semi-
    transhumants, some living in village clusters (qşur or iġerman), some in dispersed villages.
    The Ayt Yahya brought to the shady (amalu) north slopes of the Atlas a social organisation
    and general pattern of existence evolved in the dry, pre-Saharan steppe, and which they
    eventually adapted to a colder, wetter environment featuring extensive winter snow-fall.
    Hence the classic, mud-built qşar, or fortified hamlet survives chiefly in the arid, upland
    valleys south of ‘Ayyachi or Jbel Ma’asker, whereas in the well-wooded areas to the north,
    stronger-built houses cedar-planks and stone predominate in dispersed villages. Likewise,
    pastoralism remaining the chief activity, among the southern clans, transhumance is the name
    of the game. To the north, however, village-based grazing prevails.



    <o:p></o:p>

    There is also a generalised use of irrigated patches, producing barley, buckwheat, maize, and
    wheat, while on nearby fruit-trees, cherries, apricots and a few walnuts are to be found. As to
    habits inherited from the Saharan region, use of the baggage-camel (alġum) and baggage-ox
    (ayugu), together with the institution of the communal bull, were reported in the Ayt Yahya
    area as late as the mid-1970s.

    The Ayt Yahya were in the forefront of the SW-NE push by Senhaja Berber pastoralists that
    lasted from the 10th   to he 19th century. In fact, one of their clans has remained to this day at
    <o:p></o:p>

    Aghbalou n-Kerdous, on the south side of the High Atlas. The Ayt Yahya and their kindred
    groups, the Ayt Merghad, Ayt Hadiddou and Ayt Izdeg, with some Ayt ‘Ayyach, became
    fellow members of the Ayt Yafelman (lit. ‘the peaceful ones’), a confederation set up some
    time around 1650 to counter-balance expansion by an aggressive rival entity, the Ayt ‘Atta of
    Jbel Saghro.

    Before listi
    εmar, as with many other Imazighen tribes, activities for which the Ayt Yahya
    were famous included raiding, sheep-rustling, plundering and/or “protecting” caravans along
    the triq aqdim between the Ziz valley and Tounfit. There existed a pattern of alliances (the leff
    system) by which each clan could call on the support of one, possibly two, friendly clans, if
    attacked by a rival group. The fighting that resulted would be limited in time, usually between
    fairly well-balanced groups, and was frequently interrupted by truces engineered by the saints
    (igurramn) of Sidi Yahya ou Youssef. Contrary to modern behavioural standards, intermittent
    raiding and clan warfare were perceived as making life more exciting and giving young men
    (i
    εerrimn) a healthy opportunity to prove their bravery. Without the use of bayonet, dagger or
    musket (“the voice of steel” as it was called), points of honour could not be properly settled.
    This was a very strong notion throughout tribal society. Not that warfare was by any means
    permanent or total; eradicating a rival clan made no sense; it was much wiser to allow it to
    survive so as not to cut off the source of supply that sensible raiding and plundering so easily
    guaranteed. This was a typical Heroic Age situation.

    Prowess with weapons being second nature to these mountaineers, no wonder the Ayt Yahya
    fought hard against French forces which invaded their region between 1922 and 1932.
    Desperately tragic battles such as Ayt Yâqoub and Tazizaout saw highly manoeuvrable,
    lightly-equipped Berber fighters more than hold their own against well-armed French regular
    troops. In fact, man to man, the Berbers were usually superior to their opponents; against
    aeroplanes, machine-guns and mountain artillery, however, bravery was of no avail. Yet, they
    fought on to the last, distinguishing themselves in daring, single-handed operations, a lone
    rifleman occasionally succeeding in pinning down crack Foreign Legion troops with accurate
    fire from some hill-top.

    The Ayt Yahya themselves consist of several clans. The southern Ayt Yahya clans, living on
    the sunny (assamer) slope of the main range, include the Ayt Sliman, Ayt Moussa ou ‘Atman,
    Ayt Fedouli, Ayt Hattab, Ichichaoun and Ayt ‘Ammar, the last-named clan being of ou-
    Hadiddou origin, but now incorporated into the Tounfit region. Chief among the northern Ayt
    Yahya are the Ayt ‘Ali ou-Brahim of Tounfit proper, the Imitchimen at the foot of ‘Ayyachi,
    the Ayt Hnini at the Moulouya source, the Ayt Bou ‘Arbi of the upper Anzegmir, and the Ayt
    Sidi Yahya ou Youssef. These clans all claim a Saharan origin, except for the Ayt Sidi Yahya
    ou Youssef, who are marabouts, or igurrramn, allegedly hailing from Moulay Idriss Zerhoun,
    one of their sub-clans retaining a dialect strongly reminiscent of that spoken in the Zerhoun.
    While on the topic of maraboutism it should be mentioned that the Tounfit area was also
    under the influence of the neighbouring Imhiwach saints of Aghbala. As to the other clans,
    <o:p></o:p>

    they include some elements from the Ayt Yoummour and Ayt Ihand that the Ayt Yahya
    absorbed when they arrived in the area in the late-18
    <o:p></o:p>

    th<o:p></o:p>

    century. <o:p></o:p>


    The 1970s proved the heyday of the “segmentary society”, a theory (challenged before the
    century was out) to describe tribal organisation, as devised by Evans-Pritchard after his study
    of the Sudanese Nuer, and described by Anglo-Saxon anthropologists as corresponding to the
    Berbers’ socio-political organisation. Basically, it was a case of “me against my brother; my
    brother and I against the rest of the world.” This made sense in a society where customary law
    izerf, vendetta, retribution and/or payment of blood money were the order of the day. The Ayt
    Yahya, arranged in sub-clans, clans, and inter-clan alliances carefully calculated to curb the
    excesses of intra-tribal warfare, could be seen as fitting fairly neatly into the segmentary
    pattern. Early reports by colonial observers, before the actual conquest of the area (1931-
    1932), described Yahya clans as regularly at each others’ throats. Faced with the threat of a
    common outside foe, as with the French, however, they tended to oppose a united front.

    To-day, however, tribal disunity prevails. Since independence, while overall group awareness
    remains outside the tribe in terms of recognizing Ayt Yahya, say, from Ayt Sokhman, tribal
    solidarity within has become eroded among the Ayt Yahya. An ou-Yahya will introduce
    himself as an ou-Sliman, or an ou-Fedouli, rather than as the member of an overall Yahya
    tribe. The more so as, technically and administratively, such an entity no longer exists. Thus
    have allegiances become strictly local, a tendency reinforced by the introduction, in the
    1960s, of the local commune (žama
    ε qarawiya), an administrative unit that usually duplicates
    the ancient clans. Initially a rubber-stamp institution, it has been acquiring a certain measure
    of autonomy and power in recent years, as local assemblies have worked out a new, realistic
    relationship vis-à-vis the makhzan. All of which has tended to make nonsense of the
    segmentary theory, which is no longer valid stricto sensu, in the modern context. This being
    said, on the judiciary plane, I was told in Tounfit, in 1974, that while decisions were made
    according to Koranic Law (ššra
    ε), they still contained a dash of izerf just for good measure.

    Great were the changes experienced by tribesmen in the aftermath of foreign military
    conquest and subsequent independence. Now that peace prevails among the Ayt Yahya, life
    has, in a way, lost its salt, its bravado. The element of panache is gone. No longer may a man
    proudly sing one of those famous short poems (timawayin) such as:-




    <o:p></o:p>

    sassbu l-lkissan t-tadawt iyyis d-uhezz, uxribn bu šuk, <o:p></o:p>

    t-tadda <o:p></o:p>

    yżill, unna tent-ismun ay-as-iwten i-ddunit ġr ixf! <o:p></o:p>

    Full happy is he who rides with his lady-friend on horse-back, <o:p></o:p>

    While rifle, tea-pot and tent pegs clank together in the saddle-bag! <o:p></o:p>


    Nowadays, the sound of gun-shots no longer echoes back from the heights; except when
    musket-wielding horseman stage mock charges on days of powder-play, called tafrawt in
    Tamazight. If sheep-stealing is now officially frowned upon, it has been replaced by timber-
    rustling, the Ayt Hadiddou frequently leaving their treeless plateaux at night to come and cut
    down cedars in Ayt Yahya forests, despite opposition from armed Forest Guards. Poaching
    Barbary Sheep in the Jbel Fazaz game reserve near Tirghist is also a tempting proposition.
    But the fine (bruşşi) involved, if caught red-handed, will no doubt deter all but the lion-
    hearted. The element of risk, then, is till there, but remains a poor substitute for the real thing!

    Thus must Yahya tribesmen now learn to become law-abiding Moroccan citizens. This
    involves channelling their energies into peaceful pursuits such as farming, animal husbandry,
    <o:p></o:p>

    or else working with road-repair gangs or woodcutters’ co-operatives. Though such solutions
    may mean exiling oneself to the cities, or even going abroad, the ou-Yahya remains strongly
    attached to his native turf. One of my best friends in the area, aged 58, has, in his lifetime,
    only been to Casablanca once; twice to Meknes, and about half a dozen times to Midelt.
    Being without a TV set does not make him feel in any way deprived. If he goes to Tounfit for
    ssuq al-h’ad (‘Sunday market’), he can always enter a café and watch “Crocodile Dundee” or
    “The Halls of Montezuma” dubbed into German. So what?

    Like other Imazighen, and despite changing times, the Ayt Yahya endeavour to retain the
    qualities which they upheld in the Heroic Age: approachability, adaptability, honour,
    hospitality, industry, solidarity and belief in God. While some remain at home to eke out a
    living, a minority have emigrated, either to Midelt or some other Moroccan city, or even
    abroad. As old habits die hard, others join the Army, as did their forbears under the French,
    and many have fought in the Western Sahara. Poetry alone, together with the ah’idus dance,
    ever a powerful sign of “Berberdom” (timuzġa), still provides some measure of release.



    <o:p></o:p>

    Michael PEYRON <o:p></o:p>



    GENERAL
    <o:p></o:p>

    BIBLIOGRAPHY <o:p></o:p>


    BRYANS R., 1965, Morocco: land of the farthest West, London: Faber & Faber.
    GELLNER E., 1969, Saints of the Atlas, London: Weidenfeld & Nicolson.
    GUENNOUN S., 1934, La Voix des Monts: mœurs de guerre berbères, Rabat : Omnia.
    GUILLAUME A., 1946, Les Berbères marocains et la Pacification de l’Atlas central, Paris:
    René Julliard.
    HART D.M., 1984, The Ait ‘Atta of Southern Morocco: daily life and recent history,
    Wisbech: MENAS Press.
    HART D.M., 1993, “Four centuries of history on the hoof: the North-west passage of the
    Berber sheep transhumants across the Moroccan Atlas1550-1912”, Journal of the Society for
    Moroccan Studies, n°3: 21-55.
    PEYRON M., 1976, “Habitat rural et vie montagnarde dans le Haut Atlas de Midelt
    (Maroc) », Revue de Géographie Alpine, n°2 : 327-363.
    RAYNAL R., 1960-1961, « La terre et l’homme en Haute-Moulouya », Bulletin Économique
    et Social du Maroc, n°86 & 87 : 281-346.
    ROUX A. & PEYRON M., 2002, Poésies berbères de l’époque héroïque, Maroc central
    (1908-1932), Aix-en-Provence: Édisud.

    Publishing history:

    Unpublished paper based on a presentation given at AUI on February 2, 2000.



    <o:p></o:p>

    2) From Jbel Fazaz to Middle Atlas: from boondocks to boom
    towns ; the past as key to the present
    <o:p></o:p>

    1<o:p></o:p>


    ___________________________________________________________________________



    <o:p></o:p>

    Abstract - This paper purports to give a survey of the Middle Atlas from the Middle Ages to the present day,
    highlighting the fact that this Tamazight-speaking area on the Moroccan periphery labours under a cumbersome
    <o:p></o:p>

    historical handicap. More sinned against than sinning, plundered and ravaged on countless occasions by invading
    armies, it rends to be visualized in terms of the Moroccan Nationalist post-Colonial Vulgate as a land of
    marabouts, rebels, renegades, rustics, and robbers posing a perpetual threat to the peace and quiet of law-abiding
    lowland cities such as Fez and Meknes. This has resulted in socio-economic neglect for some fifty years after
    Moroccan independence. There are also brief biographies of some of its leading lights, whether mountain saint
    or feudal warlord, together with a detailed catalogue of its main tribal groups and an overview of contemporary
    events and issues. It is very much an area which, given the present openness regarding Amazigh culture and
    language, now needs to come in from the cold and join the Moroccan economic mainstream.
    <o:p></o:p>

    ___________________________________________________________________________


    Introduction

    The Moroccan Middle Atlas, as we know it today, is basically a highland area unfortunately
    saddled with a notoriously chequered past, as a result of which it still labours under some
    serious handicaps. Rather than having influenced history, it could be agued that a dire
    succession of events has been inflicted on the Middle Atlas, and that it has earned itself a bad
    reputation in the process, as will be demonstrated in due course. Otherwise, the principal
    purpose of this paper will be to portray that discarding age-old prejudice is a serious burden
    for any society – not least that of the Middle Atlas.

    The area, however, would appear to enjoy serious assets. Indeed, boasting thick forests and
    abundant upland pastures, it is Morocco’s main water-tower. Known as Jbel Fazaz to early
    Andalucian historians, it was re-christened “Middle Atlas” by French geographers at the end
    of the 19th century. For the requirements of this article, the area has been expanded to include
    <o:p></o:p>

    the Middle Atlas cultural ensemble which overlaps west to cove the Zaïan azaġar and Oulmès
    areas, south to take in Midelt and the Upper Moulouya, not to mention north-easterly
    extensions beyond Bou Iblane to Jbel Tazekka overlooking Taza.

    Situated in the heart of northern Morocco, but away from the country’s mainstream activity, it
    was conceived negatively as le Maroc inutile (‘useless Morocco’), despite the fact that some
    of the most important historic trade-routes in the land cross or circumvent it. These include:
    the classic, early medieval route from Moulay Idriss Zerhoun to Marrakech via Azrou,
    Zaouiat Ifrane, Adekhsane, and the Tadla region; the triq as-ssultan from Fez to Qsabi
    (Kasbat al-Makhzan on the Moulouya) via Sefrou, the usually snow-free Oum Jeniba col and
    the qsar of Enjil, as followed by the famous Moroccan traveller Ibn Battuta; the shorter, direct
    Azrou-Qsabi route via Timhadit and Tizi n-Taghzeft. Both of the last-named eventually pass
    Midelt, cross the eastern High Atlas and continue on down to Tafilalt, terminus of the old-
    time trans-Saharan caravan routes.

    Population

    The area harbours a mix of Zanata and Sanhaja Berbrs, according to the classification of early
    scholar Ibn Khaldoun, 2   for most of whom it has been a zone of passage rather than a place of residence. Thus, what we have on the ground is a combination of independently-minded
    pastoral tribes, based on inaccessible mountain hide-outs, some of whom were, often out of
    necessity, highwaymen or foot-pads. 3 As if to remind the observe of this fact, there is a
    <o:p></o:p>

    traditional tamawayt–style short poem from the Beni Mguild which runs as follows:




    <o:p></o:p>

    a wi ma ġra asen yini wattay i lqer as <o:p></o:p>

    may as irwus lla tegg<o:p></o:p>

    w<o:p></o:p>

    edx ad d i mel <o:p></o:p>

    yiwn <o:p></o:p>

    wasif <o:p></o:p>

    ičč it lla tegg<o:p></o:p>

    w<o:p></o:p>

    edx i dduyt <o:p></o:p>

    mš as tummer s un ar lla tegg<o:p></o:p>

    w<o:p></o:p>

    edx adda <o:p></o:p>

    wr as illi wmnay lla tekkam, ay išabar, εamayn! <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    Hearken to what the tea says to the cartridge: <o:p></o:p>

    “I fear that the river in spate will sweep him away; <o:p></o:p>

    I fear the rain that may fall and dampen his powder, <o:p></o:p>

    Depriving <o:p></o:p>

    the <o:p></o:p>

    horseman <o:p></o:p>

    of ammunition; I fear that <o:p></o:p>

    For two years, caravans will pass by unscathed!”<o:p></o:p>

    4<o:p></o:p>


    The area was for long notorious as a sanctuary for Christian communities. The chroniclers of
    Idris II’s reign refer to isolated pockets of Christians, encountered by the sultan’s troops
    during their campaigns against hill-top fortresses of the Banu Fazaz, already perceived as
    trouble-makers.
    <o:p></o:p>

    5<o:p></o:p>

    In fact Christian communities in the Atlas appear to have survived until Almohad times.



    <o:p></o:p>

    It was also a refuge for heretics and Jews, especially under mountain Zanata princedoms, the
    most famous of which seems to have been that of Mahdi Ibn Tuwala, a probable ally of the
    Barghawata. In this connection, we hear of the fabled early medieval mountain fortress of
    Qal’at al-Mahdi, situated near the sources of the great river Oum Rbia’, or Wansifen, as it was
    known in those days. Eventually capitulating to an Almoravid army after a seven-year siege in
    the 11 th century, it was subsequently incorporated into the Almoravid military system.
    <o:p></o:p>


    Its chief claim to fame lies in the fact that Mu’tamid, poet king of Sevilla, one of the reyes de
    Tayfa brought to book by the Almoravids, was placed there under house arrest.
    <o:p></o:p>

    6<o:p></o:p>

    The king refers to his brief captivity in a wooden fortress with Jews and monkeys for neighbours, before being sent to languish and die in exile at Aghmat at the foot of the Marrakech High Atlas. The precise location of Qal’at al-Mahdi remains a mystery to this very day.<o:p></o:p>

    7<o:p></o:p>


    Land of saints

    The Fazaz area can boast numerous famous holy men, or marabouts (igweramn), some of
    <o:p></o:p>

    them peacefully inclined, others somewhat less so. Chief among these was Moulay Bouazza
    (yilanur), an uncultured monolingual Berber-speaker and undoubtedly one of the leading
    lights of the Moroccan Middle Ages. After becoming famous as a divinely inspired shepherd
    on Jbel Gourza in the Tinmel area, 8 he later travelled extensively throughout Morocco, and
    <o:p></o:p>

    finally settled in central Morocco, being buried at the famous shrine at Jbel Yiroujane in the
    Tafoudeit area on the Zaër/Zaïan marches.
    <o:p></o:p>

    9<o:p></o:p>


    Moulay Ahmed El-Ouahed, appears to have been a Marinid šurfa from the Tafilalt area who
    travelled through Jbel Fazaz till he reached Zaouiat Ifrane between Aïn Leuh and Mrirt,
    where, probably in the 15th century, he married a local woman and founded his zawiya among
    <o:p></o:p>

    some caves on the edge of the Tisigdelt plateau. This became a perfectly integrated Arabic-
    speaking island in a Berber sea.
    <o:p></o:p>

    10<o:p></o:p>


    Something of a mystic, Abu Mahalli (rather unkindly referred to as ‘Bum Hully’ by early
    English sources), a wayward Sufi from the Saoura region, studied at Dila’ in Jbel Fazaz under
    Abu Bakr ad-Dila’, only to embark on an Almohad-sytle, would-be mahdi venture that ended
    tragically outside the walls of Marrakech (1615).
    <o:p></o:p>

    11<o:p></o:p>

    Of considerably greater importance were the Dila’yin marabouts (circa 1560-1665) who
    founded two zawiya-s: one near present-day Ayt Ishaq; the other at Ma’ammar, some ten
    miles to the south-west from there, and visited by this writer on December 26, 1992. Sacked
    by the first ‘Alaouite sultan, Moulay Rachid, Dila’ was for long a famous seat of Koranic
    learning in Arabic, by and for Berber-speakers until, switching from the spiritual to the
    temporal, using as their power base the martial Amazigh tribes, its leaders developed dynastic
    ambitions, initially neutralising their Tazeroualt competitors form south-west Morocco, but
    finally losing out to the ‘Alaouite šurfa from Tafilalt, in a dynastic contest vaguely echoing
    Britain’s 18th century Stewart-v-Hannover rivalry.
    <o:p></o:p>

    12<o:p></o:p>


    Their principal spiritual successors were the Imhiouach marabouts (circa 1700 to the present
    day), who were chiefly famous for their Koranic-inspired teaching, magic rites and Doomsday
    prophesies, especially Sidi ‘Ali Lhoussaïne and Sidi ‘Ali Amhaouch. The great Sidi Boubker
    Amhaouch, who lived in the early 19
    <o:p></o:p>

    th<o:p></o:p>

    century, was also something of a military leader in his own right, having achieved fleeting unity of the north-west pushing Ayt Oumalou tribes and
    encompassing the defeat of sultan Moulay Slimane’s army at the battle of Lenda (1818).
    These event were responsible, at the time, for some measure of Arabo-Berber antagonism,
    especially when lowland Beer contingents serving in the sultan’s me alla were suspected of
    lukewarm loyalty to the ‘Alaouite cause.
    <o:p></o:p>

    13<o:p></o:p>

    In April 2001, the present writer had tea with the present incumbent, Sidi Mohand Amhaouch, in his house at Lenda.

    A comparatively little-known saintly figure, Sidi Raho, possessed not inconsiderable wealth,
    including a kasbah at Sefrou, which the French burnt down. Famous for twice leading
    Moroccan resistance fighter contingents against Fez (1911 & 1912), he later held out grimly
    for another dozen years or so in the north-east corner of the Middle Atlas.
    <o:p></o:p>

    14<o:p></o:p>


    Other saints were better known for their intellectual prowess. Chief among these was al-
    Yousi, a Berber-speaker from the Moulouya area, who, after studying Arabic in various seats
    of learning, including Dila’ and the Qarawiyine, ended up penning the famous muhadarrat,
    not to mention a bold letter in which he politely takes to task sultan Moulay Ismaïl for one of
    the latter’s more energetic campaigns against the tribes of Fazaz. Al-Yousi was also famous
    for his poetry, some of which, interestingly, was composed in bilingual Arabo-Berber form.
    <o:p></o:p>

    15<o:p></o:p>


    A contemporary of his was Bou Salim al-‘Ayyachi, most famous of all the saints from Zaouia
    Sidi Hamza, a highly influential religious centre situated on the south side of Jbel al-
    ‘Ayyachi. Proficient in Berber and Arabic, he wrote a rihla describing his travels to the east,
    also composing some poetry. A leading figure of Moroccan Sufism, Bou Salim enjoys a
    privileged niche in the local oral literature. The present author met his descendant at Sidi
    Hamza in 1969.

    The ‘Alaouite sultans and Jbel Fazaz

    The ‘Alaouites, with King Mohammed VI at present on the throne, represent Morocco’s
    longest-serving dynasty. Vis-à-vis Jbel Fazaz they have always felt compelled to keep lines of
    communication open across and around the area, as explained above, both with Tafilalt
    (incarnating links to spiritual home-land and shrine of ancestor Moulay ‘Ali Cherif) and
    Marrakech, the other major imperial city. Hence a cordon of strategic border fortresses,
    garrisoned by
    εabid guards, to seal off and keep in check potentially unruly Berber tribes
    living “beyond the Pale”.



    <o:p></o:p>

    Subsequent policy usually took one of two forms. When the makhzan was strong, the sultan
    would take the field at the head of his army for “showing the flag”, forcefully levying taxes,
    appointing qayd-s to exercise tribal surveillance. Conversely, whenever the makhzan was
    weak and divided, as in the mid-18th century, diplomatic brinkmanship was the order of the
    <o:p></o:p>

    day, complete with bet-hedging and “divide and rule”, making and breaking alliances with
    this or that tribe – whichever was perceived as posing the greatest threat to peace and quiet.
    <o:p></o:p>

    16<o:p></o:p>


    By and large, however, the relationship between ‘Alaouite sultanate and the Fazaz tribes was
    a prickly one. Following the crushing of the Dila’yin marabouts by Moulay Rachid, first of
    the ‘Alaouite sultants, his successor Moulay Ismaïl lauched a series of merciless campaigns to
    seek out and destroy the fighting element of the hill tribes. The resulting legacy of dislike has
    lasted practically down to the present day, has probably resulted in the area being “punished”
    by socio-economic neglect for fifty years after the end of the Protectorate, and remains the
    chief hurdle in any normalisation of Middle Atlas-makhzan relations.

    The tribes of Jbel Fazaz

    These are sometimes referred to as Sanhaja Berbers, though this term has lost its true
    significance since Almohad times. Basically, these are Tamazight-speaking, tent-dwelling
    warrior-shepherds. Tribal societies, they are often linked by brotherly, ta a-style pacts,
    combined with a very strong sense of hospitality (customary law, or izerf), and honour (l
    εezz).
    These people, who spent much of their time feuding and raiding (hence the warrior tradition)
    used to occupy a boundless, timeless country known prosaically as blad amaziġ (‘Berber
    country’), or tamazirt niaen (‘land of heroes’), 17
    as depicted in traditional oral poetry. <o:p></o:p>


    Going from the north-west and working down to the south-east, we have on the map:-

    The Zemmour, (ayt zuggwat), centered on Khemisset, are the ones who reached furthest in the
    <o:p></o:p>

    above-mentioned north-westerly push of the Berbers. Famous horsemen, they maintain to this
    day the typically Moroccan Berber tradition of powder-play, known as fantasia in tourist-
    speak, tburida in Moroccan Arabic, tafrawt in Tamazight. They don colourful, broad-
    brimmed straw-hats during summer harvesting. Recently, one of their chief claims to fame is
    that they produced the famous singer Najat Aatabou.

    The Guerrouane (iyerwan), originally lived near Bou Denib, where you will find a kasbah
    named Toulal, similar to the Toulal near Meknes, the latter being associated with a famous
    vintage, much to the disgust of some Amazigh purists. At a later stage in their migration they
    occupied Asif Melloul, in the High Atlas, whence they were evicted by the Ayt Hadiddou,
    after which they settled near Midelt, where a ruined “Ksar Guerrouane” may be seen to this
    day. Their musicians are most commendably keeping alive the amdyaz heritage of the Berber
    bards on the northern fringe of the Middle Atlas, despite the proximity of big cities.

    The Beni Mtir (ayt n ir), one of the first Tamazight-speaking tribes exposed to western
    influences, now occupy the plateaux and forests between El Hajeb and Ifrane (Tourtit). Great
    musicians, poets, and horsemen, they lived in the Ziz valley in the early-17th century, at which
    <o:p></o:p>

    time they developed strong ties with Zaouia Sidi Hamza and Bou Salim al-‘Ayyachi. Among
    their better-known clans are Ayt Ourtindi, Ayt Na’aman, Ayt Herzallah, Ayt Bourouzouine,
    Ayt Slimane, Iqeddar, etc.



    <o:p></o:p>

    Also famous as former clients of Zaouia Sidi Hamza, the Ayt ‘Ayyach live in exile among the
    northern foothills of Jbel Kandar, close to Fez, separated from their southern cousins, the Ayt
    ‘Ayyach of Anzegmir, by the entire breadth of the Middle Atlas. A most civilised people,
    born poets half of them! A well-known Ou-‘Ayyach was the wandering bard Hammou ou
    ‘Assou (circa 1900-1960), some of whose poems this writer collected in Midelt in 1989, but
    who used to come right up to Ougmès, near Azrou, during the fruit-picking season in the 1930s.
    <o:p></o:p>

    18<o:p></o:p>


    The Ayt Sadden live east of Fez around Bir Tam-Tam. This tribal group has produced two
    important Amazigh militants: Dr Abdelmalek Ou-Sadden, a previous Berber language
    informer who did field-work with André Basset, 19 and Mohammed Chafik, a famous Berber
    <o:p></o:p>

    scholar and first recteur of the Royal Institute for Reseach on Amazigh Culture (IRCAM in
    French). Originally, they were Arabic-speakers who moved north from the Sahara, and now
    speak a Tamazight dialect very similar to that of the Ayt Izdeg, their one-time neighbours,
    who have stayed on in the Ziz valley.

    The Ayt Yousi are a tribal group established around Sefrou and Tazouta, reaching down
    towards, and even beyond, Boulmane. Some even remain near Enjil on the Moulouya slope.
    They previously occupied land far to the south in the Ziz valley, but, as a pro-government jayš
    tribe, were moved north to watch over triq as-ssultan. Apart from al-Yousi the scholar, there
    was also a famous late-19th century qayd al-Yousi, whose former town-house in Sefrou now
    <o:p></o:p>

    hosts seminars and other cultural gatherings. A famous Ou-Yousi alive today is Fez-based
    geographer Lahsen Jennan, who recently completed an exhaustive thesis on the Middle
    Atlas.
    <o:p></o:p>

    21<o:p></o:p>


    Now for a trio of tribes to the north-east who speak a different kind of Berber related to the
    znatiya vernacular:-

    The Ayt Seghrouchen are a very large tribe, some near Immouzzer-Kandar, some in and
    around Ifrane, with others living near Boulmane, on and about Jbel Tichoukt (al-Mers) which
    they defended most energetically against the French military (1915-1926). Meanwhile, yet
    others remain in the Talsinnt area, in the south-east. Their name derives from seġr uššen
    (‘shrivel jackal’), the founder member of the tribe, something of a holy man with magical
    powers, having thus disposed of a jackal attempting to molest his flock. Many of them later
    served under the French with the irregular infantry or cavalry known as Goums.

    The Ayt Warayn are another very large tribe occupying most of the north-east corner of the
    Middle Atlas, their heart-land a valley called Tanchraramt, tucked away in the mountains,
    dominated by the precipices of Ich Izdiane. Great warriors, but, at the same time, highly
    civilised people. They resisted the French for many years near Bab ou Idir, later around Bou
    Iblane, where one of their number, Mohand ou Hammou, earned a name for himself (1926).
    <o:p></o:p>

    22<o:p></o:p>

    Today, 90% of the Moroccan Parachutre Brigade are Waraynis. Although Berber poetry is
    currently undergoing a revival in this area, for some time the locals had been singing in
    Arabic, but to Berber rhythm, a habit apparently introduced by their Beni Yazgha neighbours
    from Elmenzel.

    They have as southerly neighbours the equally famous and previously warlike Marmoucha
    (imermušen), proud, sheep-rearing transhumants inhabiting one of the coldest regions in
    Morocco. They stoutly resisted the French army both during the Taza area campaigns (1920-
    1926) and, again, in 1955-1956 with the Moroccan Liberation Army.
    <o:p></o:p>


    Moving south and centre, we find a foursome, the first three of which were historically
    referred to as the Ayt Oumalou (‘sons of the shady slope’), former enemies of the Ayt
    Idrassen, and incorporating various combinations of tribal groupings, depending on
    circumstances.

    The Beni Mguild (ayt myill) are hardy shepherds and wood-cutters occupying the main cedar
    forests and undulating plateaux extending south from Azrou and Aïn Leuh to Timhadit,
    overlapping into the upper Moulouya. They were most unrelenting in resistance, first against
    the makhzan (19th century); later against the French, being involved in heroic battles around
    <o:p></o:p>

    Bekrit (1916-1920). They were at one time allied with, later in competition with Zaïan
    neighbours.

    The Zaïan (i iyyan) are among the most famous of highland Berber tribes. Their territory
    extends from Mrirt to Tighessaline, west to Oulmès; where Berber political leader and former
    minister Mahjoubi Aherdane comes from. Chief town Khenifra, elevated to status of “capital”
    by great war-lord and resistance fighter Moha ou Hammou Azayyi, to give him his Berber
    name. They are renowned horsemen and hunters using Moroccan grey-hounds (uskayn). As
    for the classic Zaïan a idus it is justly famous. Vast pastoral gatherings take place in summer
    on fertile, wood-girt Ajdir plateau, that epitomizes all the semi-nomadic Zaïan aspire to.
    <o:p></o:p>

    23<o:p></o:p>

    On October 16, 2001, the present king made a speech to the tribes at Ajdir, announcing the
    opening of the Royal Institute for Research into Amazigh Culture (IRCAM).
    <o:p></o:p>

    24<o:p></o:p>


    The Ichqern are centred round Lqbab on Oued Srou. Long-time associates and clients of the
    Imhiouach saints, they occupy a meat-in-sandwich situation between the Zaïan to the north
    and Ayt Sokhman to the south. Prominent in crippling inter-tribal battles with the Zaïan, in
    resistance against the makhzan and France.
    <o:p></o:p>

    25<o:p></o:p>

    Many enrolled in the Goums under the French, <o:p></o:p>

    served in Second World War, and eventually in the FAR as the Moroccan army is called.

    Finally, the Ayt Ihand, who are a small tribe occupying wooded, mountainous terrain between
    the Moulouya and Oued Srou; in the 18th and 19th centuries they used to side with the Ayt
    <o:p></o:p>

    Idrassen against the Ayt Oumalou.

    Middle Atlas place-names

    Many of the toponyms in this far from exhaustive list are referred to in Amhaouch apocalyptic
    prophesies and bardic poetry, constituting what we might term the “mythical dimension” of
    Jbel Fazaz seen as a sort of a orm, (‘protected sanctuary’).
    <o:p></o:p>

    26<o:p></o:p>


    Tafoudeït: name given to village and surrounding hilly country shared by Zemmour and
    Guerrouane along Oued Beth, upstream from Khemisset. Oued Beth itself – site of a terrible
    battle in Barghawata times – is seen by some Imhiouach prophesies as the place of destiny, a
    fact clearly stated in the following lines of verse:-




    <o:p></o:p>

    tsul baht ad tarew yiwn ušnid igan abexxan, <o:p></o:p>

    yili s wazzar ad ikka s tiqqar ddunit ! <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    One fine day in Oued Beth shall be born a shaggy <o:p></o:p>

    Black donkey whose kicks will shake this world!<o:p></o:p>

    27<o:p></o:p>

    Adarouch: proverbially excellent grazing country (site of present-day “King Ranch”) between
    Boufeqrane and Mrirt; often a bone of contention in the past between Beni Mguild and Zaïan.

    Tabadout: village near paysage d’Itto between El Hajeb and Azrou. It was the scene of some
    severe fighting against a French column in 1913-1914.

    Tigrigra: a fertile plain extending south-west from Azrou along the foot of the Middle Atlas to
    Sidi ‘Addi, featuring villages, meadows and orchards; was also much coveted in the past for
    its grazing.

    Zaouia Si ‘Abdesslam: small zawiya situated on Asif Tizguit a few miles downstream from
    Ifrane; has retained links with marabouts situated far to the south, including those at Zaouia
    Sidi Hamza.

    Daïet Aoua: large shallow lake in a broad bowl in the hills between Ifrane and Immouzzer-
    Kandar; has sometimes dried up completely in recent years due to drought and abuse of
    aquifer by motor-pumps irrigating orchards.

    Jbel Hayyane: (2.407m; ‘cold mountain’), highest point in the tabular Middle Atlas and
    former tribal rallying-point, especially during early-20
    <o:p></o:p>

    th<o:p></o:p>

    -century battles around Bekrit. It <o:p></o:p>

    retains residual snow-patches quite late in season (May).

    Oued Guigou (asif n yiyu): a river, famous for trout-fishing, belonging to the Oued Sebou
    watershed that drains a vast upland plateau between Timhadit and Taghzout, now in Beni
    Mguild territory. Sunday market (ssuq es-sebt) at Almis is local focal-point for trading.

    Jbel Fazaz: refers to hills that overlook Oued Guigou to the south, whereas name formerly
    applied to central and western part of Middle Atlas area.

    Amekla: a fertile plateau near Annoceur, south of Sefrou, associated with the zawiya of Sidi
    Raho ‘Arfaoui, famous early-20
    <o:p></o:p>

    th<o:p></o:p>

    -century holy man and resistance leader. <o:p></o:p>


    Jbel Tichoukt: (2.790m); rather arid, oak- and cedar-clad mountain situated between
    Boulmane and al-Mers; became an impregnable fortress to Sidi Mohand and his dissident Ayt
    Seghrouchen tribesmen (1923-1926).

    Sidi Mohand Azeroual: small sanctuary at foot of eastern spur of Tichoukt, dedicated to saint
    and miracle-worker who played a considerable role in local tribal politics several hundred
    ago.

    Tilmirat: small hamlet in Beni Aliham territory; supposed to harbour a sacred juniper to
    which is attributed a mahdi-style legend.

    Jbel Bou Iblane: (3.190m), vast mountain range, snow-clad 6-7 months a year in Taza region;
    Sidi Raho and last die-hard resistance fighters in Middle Atlas surrendered there in summer of
    1926.

    Zaouiat Oued Ifrane: zawiya and village situated between Aïn Leuh and Mrirt at source of one
    of the headstreams of Oued Beth, a wooded, fertile spot, overlooked by Tisigdelt plateau
    (probable site of Qal’at al-Mahdi).
    <o:p></o:p>


    Adekhsane: site of an Almoravid fortress on plain about 10 kilometres south of Khenifra; was
    often used as base by ‘Alaouite sultans (1665-1750) during their campaigns against unruly
    tribes.

    Aamira (Lgara): site of former hilltop-fort lying due east of Khenifra and overlooking
    Adekhsane; belonged to some unknown independent Amazigh chief before being reduced by
    Almoravid army.

    El Herri (lehri): lies about 10 kilometres south of Khenifra on Oued Chbouka. It was the site
    of a Pyrrhic victory won by Moha ou Hammou over a French detachment under Colonel
    Laverdure in October 1914. Though many Moroccans were killed in the battle, it made a great
    impression on the French, dictating greater caution during their subsequent campaigning in
    the Atlas.

    Lqbab: the Ichqern “capital”, this small town overlooking Oued Srou has undergone recent
    construction of several unsightly apartment blocks. A district of the town, called Taqedoust,
    has long been associated with the Imhiouach marabouts. In the 20th century was the residence
    <o:p></o:p>

    of two devoted Roman Catholic fathers who, far from attempting to Chrisitianize the locals,
    did all they could merely to help them, and are highly thought of to this very day.

    Lenda (Lemda): small village surrounded by vast wheat-fields on left bank of Oued Srou,
    situated a few miles west of Lqbab. Also site of Moulay Slimane’s defeat at hands of Fazaz
    tribes united under Boubker Amhaouch (1818). The place, often mentioned in oral poetry, has
    since acquired truly mythical proportions in the hearts and minds of some members of the
    local population, being visualized as the once and future spiritual capital of the area;
    symbolizes hops of better times.

    Jbel Toujjit: prominent mythical mountain at the heart of central Morocco between Aghbala
    and Tounfit on the Moulouya/Oued el ‘Abid watershed, strongly associated with the
    Imhiouach marabouts, especially Sidi ‘Ali, who used to come and meditate there. Also an area
    of refuge towards which mužahidin retreated during period of resistance to the French (1918-
    1931). According to local tradition, on a fine day you can see the holy town of Boujaad from
    the summit, thus establishing a visual link between two strong markers on the spiritual
    landscape. There is a small wooden hot on the summit, presumably to allow pilgrims to spend
    the night.

    Tazizaout (‘green mountain’): a remote, steep-sloped, cedar-covered ridge, surrounded by
    bushy ravines, lying between Aghbala and Imilchil. Site of a famous, month-long battle
    against the French in August 1932, which brought to a close the Imhiouach epic, and scene of
    a small musem celebrated every year for three days commencing August 24 to commemorate
    mužahidin who died there.
    <o:p></o:p>

    28<o:p></o:p>


    Brief overview of colonial period

    Putting it in a nutshell, Protectorate authorities saw their subjugation of the area as imposing a
    timely check on rebellious tribes that had been pushing their way north-west for centuries and
    now threatened to engulf the plains of the Gharb, Lyautey’s Maroc utile, which, according to
    the logic of the time, he had to protect; bolstering up the weakened ‘Alaouite dynasty was
    very much part of his brief.
    <o:p></o:p>


    Suffice it to say that for Middle Atlas Imazighen it was the end of the previously mentioned
    “land of heroes” and the collapse of a centuries-old traditional lifestyle. Their gallant
    resistance, their patriotic participation in famous battles, from Bou Denib in 1908 to the
    crowning tragedy of Tazizaout (1932), has finally been acknowledged. Though both these
    spots are somewhat “out of area” as far as Jbel Fazaz proper is concerned, numerous fighters
    from the Middle Atlas contributed to these campaigns and thus deserve to be mentioned here.
    While many of the young men enrolled in the colonial army as Goums or Tirailleurs, later in
    the FAR, nothing would ever be the same again. For better or for worse, the local population
    were brought into contact with the modern age: first through exposure to heavy artillery,
    machine-guns and aeroplanes; later, and in more kindly fashion, with medicine, soap,
    hospitals, schools, roads and the rule of law. Serious curtailments were imposed on their
    freedom, especially regarding pastoral movements, use of forestry resources and feuding. To a
    people used to settling disputes their own way, with cold steel or rifle-shot, however, this was
    possibly the hardest thing to accept, as attested by many contemporary poems, as in the
    following:-




    <o:p></o:p>

    ay iysan, iġab lεezz assa mġar iney ša
    y i
    εerrimn isafer d uzif mš ur
    ġursen illa w ba i ymssus llibas !
    <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    O horses, gone is bravery today; should one of <o:p></o:p>

    Our young men set off on his steed, he goes unarmed; <o:p></o:p>

    Truthfully, the spice of life has departed! <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>


    tunf l
    εedda y ay imaziġn, qqa
    zziyun iġab wawal w wuzzal, iy awn
    uše
    <o:p></o:p>

    ab l leεqul all la nna wr diyun! <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    Our guns’ve been confiscated, O Berbers, for all of you, <o:p></o:p>

    The sound if steel is silent, and honour is gone, <o:p></o:p>

    You now react to an alien form of logic!<o:p></o:p>

    29<o:p></o:p>


    Present-day period

    The Middle Atlas has acquired a reasonably well maintained road network, with regular bus-
    services, while mobile phone towers have mushroomed across the rural landscape. Health and
    educational services are in place; in theory, at least. Ifrane, Azrou and Sefrou have benefited
    from tourism, both national and international, and contain most of the urban resources one can
    expect to find. Reflecting phenomena such as rural exodus and population, the switch from
    boondocks to boom towns has chiefly affected conglomerations such as Mrirt, Midelt,
    Khenifra, Sefrou and Ifrane, the last three having greatly benefited from becoming provincial
    capitals. Meanwhile, winter sports and summer tourism are becoming increasingly popular
    with weekenders from Fez, Meknes and Rabat.

    Economically speaking, however, the area has yet to take off, and a fairly large proportion of
    the population are living in, at best, straitened circumstances, while illiteracy still survives in
    most areas. Some development projects, such as the bituminous schist workings near
    Timhadit have, if anything, been counter-productive. More capital investment is required
    <o:p></o:p>

    from outside, and not only with absentee land-lords enlarging their flocks (hence over-
    grazing), or mass-produced chicken farms, or newly developed apple-orchards with water-
    pumps adversely affecting the water-table, though these activities do employ plenty of local
    labour. Happily, some locally financed NGO’s have appeared in recent years for
    agricultural,
    <o:p></o:p>

    30<o:p></o:p>

    or tourist-related projects, chiefly in the Ifrane-Azrou area, with the setting-up <o:p></o:p>

    of dedicated guest-houses.<o:p></o:p>

    31<o:p></o:p>


    Ski installations at Michliffen and Jbel Hebri require up-dating, and though other aspects of
    tourism (hunting-shooting, fishing, etc.) are developing, plans to set up a national park in the
    area, which, riding on the crest of the present world eco-tourism boom would no doubt further
    protect the cedar forest, have yet to materialise.
    <o:p></o:p>

    32<o:p></o:p>


    The area as a whole, however, still suffers from its historical legacy as a potential hot-bed of
    rebellion. This particular instance of slanted vision is one of the corner-stones of the post-
    Protectorate Moroccan Vulgate, the Middle Atlas being unfairly seen by the urban glitterati as
    a reservoir of military man-power, a land of potential heretics, saints, sorcerers, shepherds,
    wool-spinners, ladies of the night and vernacular poets. While jokes about the Tanjaoui, Fassi,
    Berbri, Soussi, Marrakchi and the country rustics (l
    εerubiyin) of the Middle Atlas will always
    circulate (just like funny stories about Irishmen, Scots, Belgians or Auvergnats) what is
    needed is a sea-change in the hearts and minds of most city-dwelling Moroccans for a better
    understanding of the country’s rural population. This applies especially to that of the Middle
    Atlas, formerly Jbel Fazaz.

    In this context it should not be forgotten that the people of the Middle Atlas “did their bit”
    defending their country against colonialism in the 20th century; they are also good, hard-
    <o:p></o:p>

    working Muslims. They understandably aspire to better living better conditions and there is
    no reason why should not achieve their goal.

    In this respect, the founding of Al-Akhawayn University in Ifrane in 1995-1996 constituted a
    happy innovation regarding interaction between officialdom and the locals. Apart from the
    numerous jobs created on and off campus, some cultural, sociological and ecological ties have
    been developed with the Ifrane community, while development projects (such as the Hilary
    Clinton Empowerment for Women, the environmentally-oriented CEIRD, and a carpet-
    weaving operation set up at the nearby village of Tarmilat) have got under way, chiefly
    targeting Zaouia Si ‘Abdesslam and Ben Smim. Far more relevant to the topic in hand, some
    experiments in Tamazight teaching have been implemented and, since 2001, a student’s
    association called “Tamesmount n-Al-Akhawayn” has organised several conferences on
    historical and cultural problems, while a “History and Culture of the Berbers” class, has been
    taught by the author of the present article and a dedicated text-book published.
    <o:p></o:p>

    33<o:p></o:p>


    H.M. Mohammed VI’s recent (October 2001) declaration at Ajdir has also contributed
    towards bringing the Middle Atlas out from the cold and into mainstream Morocco. Added to
    this was the fact that Tamazight was officially declared as being part of the national heritage,
    of which every Moroccan can be proud. The first four years of the subsequently founded
    IRCAM, however, have produced balanced results: on the one hand, numerous highly
    productive conferences have been held and Amazigh-related books have been written,
    including language text-books for in-class teaching that has been effective since 2003. On the
    other hand, there has been some ambiguity surrounding the Institute’s real goals, together
    with accusations that some government department were stalling, especially regarding use of
    <o:p></o:p>

    the Tifinagh alphabet, teacher training, and application of language-teaching programmes, not
    to mention their extension to Secondary and Higher education (as yet unachieved).

    On the whole, however, programmes launched by IRCAM have been prosecuted with a
    reasonably high degree of professionalism and have allowed of an upsurge of scholarship and
    general interest in a language and a culture that had been sidelined for centuries. The Middle
    Atlas (Jbel Fazaz) as one of the chief Amazigh areas of Morocco surely stands to gain from
    this ongoing process.



    <o:p></o:p>

    Michael PEYRON
    Visiting Professor <o:p></o:p>

    History & Culture of the Berbers <o:p></o:p>

    Al-Akhawayn University-in-Ifrane (Morocco) <o:p></o:p>

    NOTES <o:p></o:p>

    1 This article is the revised version of a lecture given at Al-Akhawayn University-in-Ifrane on November 1st , 2001.
    2 Cf. IbnKhaldoun, Histoire des Berbères, 4 vols, Paris : Geuthner, 1956.
    3 Known as ‘coupeurs de route’ in French ; iqeaεn in Tamazight. <o:p></o:p>

    4 A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, Maroc central (1908-1932), p.68. This poem dramatically portrays the emphasis that Beni-Mguild tribesmen placed on raiding as an institution during times of siba.
    5 A. Naciri, Kitab al-Istiqça, XXX, p.158, refers to Jewish Berbers among the Banu Fazaz of the area; Banu
    Fazaz, of course, is an Arabicised rendering of ayt fazaz.
    6 Cf. G.S. Colin, Encyclopædia of Islam, vol. 2, Leiden: Brill, 1991, p.874.
    7 Fonds berbère Arsène Roux, IREMAM, Aix-en-Provence, file 79.1 ‘Fazaz’; also M. Peyron « Qal’at al-Mahdi : a pre-Almoravid fortress in the Moroccan Middle Atlas », JNAS, vol.8, N°2, (summer 2003), pp.115-123.
    8 Cf. texte 57 : Sidi Bou Iâzza, le gardien du Gourza, in H. Stroomer, Textes berbères des Guedmioua et Goundafa (Haut-Atlas, Maroc), p.147.
    9 Cf. text « Al chaykh Abu I’azza Yilanur Ibn Maymun », in Ibn al-Zayyat al-Tadili, Regard sur le temps des Soufis, (trans.
    Ahmed Toufiq), Rabat ; Eddif/UNESCO, 1994, pp.158-164.
    10 One of the likeliest sites of Qal’at al-Mahdi and visited by the author on several occasions (2001-2005).
    11 N. Barbour, Morocco, London : Thames Hudson, 1965, p.115; C.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, Paris: Payot, 1994, p.558.
    12 G. Drague, Esquisse d’histoire religieuse du Maroc, Confréries et Zaouïas, Paris : Peyronnet, 1951.
    13 M. El Mansour, Morocco under the reign of Mawlay Sulayman, p.102 ; also article on rebellions in Morocco by J.F. Clément in al-Asas, N°13/1979, p.23; also A. de Prémaré, RMMM, 51/1989, pp.1124-1125. Cf. D.M. Hart, “History on the hoof”, JSMS, 3/1993, p.17, for north-west push of Sanhaja Berbers.
    14 M. Le Glay, Badda fille berbère & autres récits marocains, Paris: Plon, 1921, pp.179-198.
    15 J. Berque, al-Yousi, Rabat: Tariq Ibn Zyad, 2000.
    16 N. Barbour, op. cit., p.122 ; H. Terrasse, Histoire du Maroc, Casablanca : Hespérides, p.140, both probably drawing on Istiqça chronicle. Cf. also A.S. Azaykou, Histoire du Maroc, ou les intérprétations possibles, Rabat : Tarik Ibn Zyad, 2002, pp.61-63.
    17 From poem in M. Peyron, Isaffen Ghbanin, Casablanca: Wallada, 1993, pp.196-197.
    18 Cf. M. Peyron, op. cit., pp.196-197; A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, Aix-en-Provence: Edisud, pp.39-46.
    19 Cf. A. Basset, Textes berbères du Maroc (Parler des Aït Sadden), Paris : Geuthner, 1963, (with introduction by P. Galand-Pernet).
    20 Many of the above-mentioned Tamazight-speakers used to belong to a loose tribal alliance known historically as the Ayt Idrasen, but which broke up early in the 19th century.
    <o:p></o:p>

    21 L. Jennan, Le Moyen Atlas central et ses bordures : mutations récentes et dynamiques rurales, Fez : Al Jawahir, 2004.
    22 Cf. J. Saulay, Histoire des Goums, vol.1, Paris : La Koumia, p.209.
    23 a fad nneš ay uždir! (=’How I long for you, O plateau of Ajdir!’); thus, in winter, does the Zaïan shepherd long to return the heights of Ajdir the following spring. <o:p></o:p>

    24 Of special significance to the Zaïan is the fact that Mohammed VI is great-grandson of their famous former chief Moha ou Hammou.
    25 Cf. S. Guennoun, La Montagne Berbère, Rabat: Omnia, 1933, pp.253-264 ; also S. Guennoun, La Voix des Monts, Rabat : Omnia, 1933.
    26 Some of the subsequent place-names figure in A. Roux & M. Peyron, op. cit., pp.183-193.
    27 Apparently linked to old legends which claim that the appearance of a sort of Anti-Christ (dužžal), riding a black donkey, will herald the coming of the mahdi; A. Roux & M. Peyron, op. cit., p.191.
    28 Ibid., pp.194-200.
    29 M. Peyron, “Amazigh Poetry of the Resistance Period (Central Morocco)”, JNAS, Vol.5, N°1 (Spring 2000), p.115
    30 Chief among these is the Oued Srou project for agricultural and social development, affecting the area immediately south-east of Khenifra.
    31 While guest-houses ideally target the down market eco-tourism niche, it is difficult to see how some of the new construction at Ifrane (in particular the revamped de luxe “Michliffen hotel”) are expected to fit into this category!
    32 Cf. present author’s article on Middle Atlas in Montagnes Méditerranéennes, IGA, Grenoble, 2000/n°12, pp.49-51. Also his follow-up paper on “Rural tourism in the Atlas mountains” at Sustainable Tourisme workshop during “British Days” at Al-Akhawayn University, Ifrane, March 6, 2002.
    33 M. Peyron (ed.), The Amazigh Studies Reader, Ifrane: AUI University Press, 2006.





    <o:p></o:p>

    Publishing history:
    To appear in Nabil Boudraa and Joseph Krause (eds.), Mosaic North Africa: a cultural re-
    appraisal of ethnic and religious minorities, CUP, 2007 (in the press). <o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    3) Barghawata et résistance <o:p></o:p>


    Introduction

    D’avoir fait peser sur les Barghawata<o:p></o:p>

    1 toute la malédiction de l’histoire en tentant de les effacer de la mémoire marocaine reste une entreprise procédant du déni historique<o:p></o:p>

    2 restée longtemps sujet tabou, la question des Barghawata peut sans doute être désormais abordée sans passion et aussi objectivement que possible. D’autant plus que la ‘Marocanité’ de leur entreprise n’est plus à prouver, basée qu’elle était sur une population occupant la région de Tamesna aux rivières pérennes, à la fois cœur vital du Maghreb al-Aqsa et véritable poumon ouvert sur la mer océane. Population dure à la tâche, comptant des hommes courageux et des femmes énergiques d’après les commentateurs de l’époque<o:p></o:p>

    3 . De plus, bien qu’ayant relevé d’une entité politique déconsidérée par l’historiographie officielle, car perçue comme ayant colporté la plus discutable des hérésies, il est toute de même permis d’affirmer que la geste des Barghawata « idéologie (…) née d’une volonté de lutter contre l’oppression »<o:p></o:p>

    4 s’inscrit dans un très ancien processus marocain de résistance aux influences étrangères.

    Résistance, donc, au VIIIe
    siècle vis-à-vis d’un diktat religieux, d’un projet de société, imposé depuis l’Orient en faisant fi des réalités, du génie des habitants du Maghreb al-Aqsa.
    Résistance « en réponse à la politique d’humiliation, de spoliation et de discrimination dont
    furent victimes les Berbères, après la révolte de Maysara »<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    5 . Celle-ci aboutira à la création <o:p></o:p>

    d’un royaume marocain authentiquement amazighe, ainsi qu’à une adaptation berbère très
    sévère de l’Islam, bien que quelque peu décalée par rapport à la religion-mère et basée sur un
    qur’an dans la langue vernaculaire qui n’a pas fini de défrayer la chronique.



    <o:p></o:p>

    Enclave déviationniste qu’il s’agira de défendre par tous les moyens envisageables. Nous
    nous proposons d’analyser en premier lieu la situation des Barghawata, privés de profondeur
    stratégique car adossés à l’Atlantique, et obligés de rechercher des alliances assez aléatoires,
    mais disposant apparemment de quelques moyens maritimes et s’appuyant sur des lignes de
    communication intérieures relativement courtes leur conférant un avantage tactique certain.
    Nous examinerons également le rôle que vont jouer les diverses régions dans ce dispositif
    défensif focalisé sur leurs confins est et sud-est, frontières de toutes les menaces.

    Les frontières de Tamesna

    Les limites du royaume des Barghawata ne sont guères connues avec précision, d’autant plus
    qu’elles ont pu fluctuer au gré des combats. Il est possible, cependant, d’en établir les
    contours grosso modo.



    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Au nord et nord-est, le Bou Regreg, comprenant la ville de Chellah, tout au moins
    jusqu’au milieu du Xe siècle
    <o:p></o:p>

    6  puis la vallée de l’Oued Bath jusqu’à sa source dans le <o:p></o:p>

    Fazaz (Tamesna oriental). <o:p></o:p>


    À l’est/sud-est, le cours supérieur de l’Oued Grou et le Jbel Yiroujan<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    7 puis l’Oum Rbia’ (Wansifn, ‘fleuve des fleuves’) jusque dans le Tadla ; enfin l’Oued Tansift (‘petit fleuve’), et ses environs. <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Au sud-ouest, éventuellement, l’arrière-pays d’Asfi et des Haha<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    8 (Tamesna occidental). <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    À l’extrémité nord du pays et séparé du reste des terres des Barghawata, citons pour
    mémoire le port de Sebta, lequel s’érigea (1061-1086) en petit royaume taifa semi-
    indépendant sous Soukout al-Barghawati
    <o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    9 jouant un rôle commode de fenêtre ouverte sur l’Andalousie, mais dont les liens avec le royaume hérétique demeurent flous. <o:p></o:p>


    Considérations stratégiques

    Les Barghawata occupaient une zone appelée Tamesna (‘au bord de l’eau’), ainsi que celle
    des Doukkala, avec une partie du Tadla, véritable grenier du Maghrib al-Aqsa. Ils disposaient,
    outre d’importantes ressources alimentaires, d’un ensemble propice au combat défensif,
    composé à la fois de petites montagnes boisées, de plaines, de forêts, de larges vallées (Grou,
    Khorifla, Bou Regreg, Beth) profondément entaillées dans le plateau central. Parmi celles-ci,
    la vallée du Baht, cassure profonde en partie bordée de falaises, qui faisaient figure de
    frontière naturelle avec les voisins Idrissides. Se prêtaient également à une action défensive le
    massif du Khatouat, ainsi que le cours supérieur du Khorifla (Khoriflet), d’autant plus que
    c’est sur ses rives que périra le chef murabit Ibn Yasin
    <o:p></o:p>

    10<o:p></o:p>

    . Quant à la forteresse de Qala‘at al-<o:p></o:p>

    Mahdi,<o:p></o:p>

    11<o:p></o:p>

    tenue par les Zenata du Jbel inféodés aux Barghawata, elle semblait constituer avec <o:p></o:p>

    la région du Tafoudeit et du Jbel Yiroujan leur bastion oriental. Celui-ci joua pleinement son
    rôle lors de l’invasion almoravide, la Qala’at ayant résisté entre sept et neuf ans aux armées de
    Youssef Ibn Tachfin
    <o:p></o:p>

    12<o:p></o:p>

    . Il y a, du reste, tout lieu de penser que ces massifs boisés, <o:p></o:p>

    éventuellement les collines des Haha, ont constitué le réduit suprême des Barghawata au
    moment où ceux-ci disparaissent finalement de l’histoire au XII
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle. En effet, depuis les <o:p></o:p>

    temps les plus obscurs, les Imazighen du Maroc ont su admirablement tirer parti des
    mouvements de terrain, s’accrocher aux collines, qu’il s’agisse du Khatwat, du Fazaz, du
    Tazizaout…
    <o:p></o:p>


    Autre atout majeur dont disposait les Barghawata : des voies de communications terrestres
    articulées autour d’un réseau de pistes et d’un système de messagerie rapide selon les critères
    de l’époque, à base d’irkassen à pied et/ou à cheval, sans parler des feux du genre tamatert
    pour donner l’alerte, ce qui leur permettait de parer à toute menace là où elle se présentait,
    dans les plus brefs délais. Ce potentiel défensif semble avoir été utilisé dans son ensemble à
    bon escient.

    En effet, sachant lorsqu’il le fallait profiter des divisons chez leurs adversaires, les
    Barghawata ont réussi à tenir tête de 752 à 1149, et ce face à des attaques multiples et répétées
    des ennemis idrissides, fatimides, zirides, almoravides, ou almohades
    <o:p></o:p>

    13<o:p></o:p>

    . Parmi les adversaires <o:p></o:p>

    auxquels ils se sont trouvés confrontés, un cas quasiment pathologique : celui de l’émir ziride
    Temym al-Yfrani (1032-1056), qui se vantait d’avoir « fait chaque année avec acharnement la
    guerre sainte aux Barghawata
    <o:p></o:p>

    14<o:p></o:p>

    ». <o:p></o:p>


    La stratégie des Barghawata aura sans doute connu deux phases. Une première, correspondant
    à la période de prosélytisme du IX
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle, inscrite sous le signe de l’offensive à outrance. Une <o:p></o:p>

    seconde phase à caractère nettement plus défensif, pendant laquelle les Barghawata donnèrent
    libre cours à la stratégie éternelle des combattants berbères : feindre de céder du terrain devant
    un envahisseur supérieur en nombre ; ne pas hésiter à abandonner les centres habités pour
    mieux s’organiser sur les hauteurs, d’où, le moment venu, l’ennemi faisant mine de se retirer,
    l’on saura fondre sur lui en exploitant à merveilles angles morts, couverts, et défilements.
    Tactique dite de « l’accrochage en retour »
    <o:p></o:p>

    15<o:p></o:p>

    , parfaitement adaptée à un combat livré à l’arme <o:p></o:p>

    blanche, ainsi qu’avec des frondes, des arcs et des flèches, et exploitant au mieux des forces
    de cavalerie. Tactique qui fera encore ses preuves, bien que dans un contexte différent, faces
    aux colonnes françaises dans le Fazaz au début du XX
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle. <o:p></o:p>


    Autour de quels centres cette défense était-elle articulée ? La capitale barghawati où se
    trouvait-elle ? Était-ce bien à Anfa ? Tant que l’archéologie n’aura pas livré davantage de
    renseignements on ne pourra avancer que de prudentes supputations quant à l’emplacement
    des principales agglomérations du Tamesna à cette époque. Sont mentionnées les villes de
    Mediouna, Tamallouqat, Timghasn,
    <o:p></o:p>

    16<o:p></o:p>

    ces deux dernières (où furent perpétrés, croît-on, <o:p></o:p>

    d’effroyables massacres) ne pouvant pas être situées avec certitude. Il est, toutefois, probable
    que certaines localités actuelles, de par le choix de leur emplacement dicté par la topographie
    des lieux, telles que Rommani, Berrechid, et Settat étaient déjà habitées à l’époque des
    Barghawata. Comme ports on peut dénombrer Asfi, Oualidia, Azemmour, Anfa et Fdala (<
    fadl allah ?) ; quant à Agouz, ou Kouz (à l’embouchure du Tensift) et Amegdul (Souira), on
    ignore dans l’état actuel de nos connaissances, s’ils ont pu être exploités par les
    Barghawata
    <o:p></o:p>

    17<o:p></o:p>

    . Quoi qu’il en soit, les ports dont ils disposaient revêtaient une importance <o:p></o:p>

    vitale pour assurer les liaisons maritimes avec l’Andalousie, notamment Cordoue, longtemps
    capitale incontestée de l’islam occidental, et siège du caliphat Oumeyyad. Or, l’on sait
    l’importance qu’attachaient les rois barghawata à ces liens privilégiés
    <o:p></o:p>

    18<o:p></o:p>

    , à la fois stratégiques <o:p></o:p>

    et commerciaux, moyen pour un état paria de s‘octroyer un semblant de légitimité parmi le
    concert des nations d’alors.

    Alliances extérieures possibles

    Les Barghawata ont–ils véritablement bénéficié d’alliés ? L’émir Oumeyyad al-Hakim al-
    Moustanser semblerait avoir apporté une caution toute morale et temporaire au régime
    hérétique, suite à la visite à Cordoue en l’an 963 de Zemmour, haut dignitaire barghawati
    <o:p></o:p>

    19<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>

    Autrement, hormis certaines tribus comme les Zenata de la montagne, Banu Yfran, Banu
    Ysker, Banu Waousinat, Izemin et autres
    <o:p></o:p>

    20<o:p></o:p>

    , solidement intégrés dans la mouvance <o:p></o:p>

    barghawatie, ils ne disposaient d’aucuns alliés sûrs. Parfois d’alliés de circonstance, sans
    plus. On a pu le constater à trois reprises.

    1/ Selon une version dont nous disposons, l’émir de Sijilmassa, Mas’ud Ibn Wanoudin al-
    Maghrawi, aurait eu pour ancêtre Salih Ibn Tarif, ce qui ferait de lui un cousin, voire un allié
    virtuel, du roi barghawati. Alliance sans grande portée, toutefois, étant donné que Mas’ud fut
    vaincu par les murabitun Ibn Yasin et Abubakr Ibn ‘Aomar dès 1058
    <o:p></o:p>

    21<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    2/ En 1062 le gouverneur de Fès, Temim Ibn Mouansar al-Maghrawi s’est trouvé allié de
    facto des Barghawata lorsqu’il est venu battre l’armée de son confrère al-Mahdi Ibn Youssef
    al-Keznay qui s’était déclaré pour les Almoravides. Le fait que la tête du vaincu fut expédiée
    au gouverneur de Sebta, nommé Soukkout al-Barghawati, est également révélateur quant aux
    préoccupations de ce dernier. De plus, cette défait avait obligé Youssef Ibn Yachfin à quitter
    précipitamment le siège de la Qala’at al-Mahdi dans le Fazaz, réduisant ainsi la pression sur
    cette enclave barghawatie
    <o:p></o:p>

    22<o:p></o:p>

    . On peut, par conséquent, supposer une certaine activité <o:p></o:p>

    diplomatique de la part des Barghawata qui avaient tout intérêt à exploiter les éventuelles
    faiblesses de leur ennemi principal – l’émir murabit Ibn Tachfin. Il est, toutefois malaisé, dans
    l’état actuel de nos connaissances, d’y déceler une action concertée, une stratégie d’ensemble.

    3/ Lors de l’acte final de la saga des Barghawata, ce fut d’abord, en 1147, la révolte d’al-
    Massi (dit ‘al-Hadi’), tisserand originaire de Salé, qui rallia à sa cause les gens de Tamesna,
    mais aussi du Souss, non sans avoir enregistré un succès initial, avant d’être défait et tué par
    le général almohade Abou Hafs. L’année suivante, les Barghawata eurent de nouveau affaire à
    ‘Abd al-Mu’min lui-même, à la suite de quoi ils trouvèrent un allié inattendu en la personne
    du gouverneur almoravide de Sebta, Yahya Ibn Aboubakr Sahraoui. Celui-ci se mit en
    campagne et infligea un échec cuisant à l’émir almohade avant d’être mis à mal à son tour lors
    de la bataille suivante. Dernier soubresaut des Barghawata, en 1149, c’est le dénommé Abi
    Mezkida (< bu tmezgidda, ‘homme de la mosquée’ ?) qui se fait proclamer par eux et qui les
    mènent un temps sur le sentier de la guerre, jusqu’à sa mort au combat
    <o:p></o:p>

    23<o:p></o:p>

    . Tout se passe <o:p></o:p>

    comme si, à court d’inspiration en fin de parcours, les Barghawata ne trouvant plus de chefs
    d’envergure issus de la lignée de Salih Ibn Tarif (exception faite pour un certain Farhil al-
    Barghawati mort au combat de Tit n-Wagourramt)
    <o:p></o:p>

    24<o:p></o:p>

    , se voient obligés de s’en remettre à de <o:p></o:p>

    pauvres bougres, prêcheurs de condition modeste, en quelque sorte les premiers marabouts
    (ig
    <o:p></o:p>

    w<o:p></o:p>

    erramn) marocains. <o:p></o:p>


    Ayant examiné les différents aspects de la situation stratégique à laquelle les Barghawata se
    sont trouvés confrontés, voyons à présent de quelle façon ils s’inscrivent dans un continuum
    historique spécifique, voué tout entier à la résistance.

    La bataille de Beth et ses effets à long terme

    Comme point d’ancrage évènementiel, la bataille de Baht, dont le souvenir semble avoir
    perduré dans l’inconscient collectif marocain. Nous livrons ci-après, et sous toutes réserves, la
    traduction française d’un fragment de poésie épique consacré à cet épisode, attribuable à Sa’id
    Ibn Hicham al-Masmudi et rapporté, en arabe, par un certain Aboul ‘Abbas Fadl Ibn
    Moufaddal. Ce morceau dépeint les Barghawata comme d’impitoyables sabreurs, mécréants
    et impies :-



    <o:p></o:p>

    « Femme ! ne pars pas encore ; reste ; raconte-nous, <o:p></o:p>

    Donne-nous des renseignements certains. <o:p></o:p>

    Les Berbères, égarés et perdus, sont frustrés dans leur espoir ; <o:p></o:p>

    Puissent-ils <o:p></o:p>

    jamais <o:p></o:p>

    s’abreuver d’une source limpide ! <o:p></o:p>

    J’abhorre une nation qui s’est perdue, <o:p></o:p>

    Qui s’est écartée de la voie de l’islamisme ! <o:p></o:p>

    Ils disent : ‘Abou Ghoufayr est notre prophète !’ <o:p></o:p>

    Que Dieu couvre d’opprobre la mère des ces menteurs ! <o:p></o:p>

    N’as-tu pas vu la journée de Baht ? <o:p></o:p>

    N’as-tu pas entendu les gémissements qui s’élevèrent
    sur le pas de leurs coursiers ?
    Gémissements de femmes éplorées,
    Dont les unes avaient perdu leurs enfants ;
    Les autres, hurlant d’effroi ou laissant échapper le fruit
    de leur sein.
    <o:p></o:p>

    Au jour de la résurrection les gens de Tamesna connaîtront <o:p></o:p>

    ceux qui nous ont protégés. <o:p></o:p>

    Younès sera là, avec les enfants de ses enfants, <o:p></o:p>

    Entraînant sur leurs pas les Berbères asservis. <o:p></o:p>

    ‘C’est donc là Weryawera<o:p></o:p>

    25<o:p></o:p>

    ? Que la géhenne <o:p></o:p>

    Se ferme sur lui, ce chef des orgueilleux ! <o:p></o:p>

    Votre réprobation ne date pas d’aujourd’hui, <o:p></o:p>

    Mais de l’époque où vous étiez partisans de Maysara !’<o:p></o:p>

    26<o:p></o:p>

    » <o:p></o:p>


    Image effectivement peu flatteuse des Barghawata, mais combat héroïque, mémorable, livré
    aux alentours de 890 sous le règne d’Abou Ghoufayr, probablement face à une incursion en
    force des Idrissides, et où la célèbre cavalerie barghawatie a pu s’exprimer à fond. S’agissant
    dans doute de l’Oudd Beth, le terrain est effectivement tout en pentes douces coupées de
    ravins étroits et débouchant sur un fond de vallée, parfois resserré et se prêtant à des charges
    surprises ; parfois large et propice à de franches estocades en rase campagne
    <o:p></o:p>

    27<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    Épisode sanglant qui semblerait avoir été l’une des confrontations majeures de l’épopée des
    Barghawata. Si l’on doit en croire Sidi ‘Ali Amhaouch, qui, il est vrai, commentait
    l’événement quelques siècles plus tard, l’ardeur des combattants fut telle qu’il y aurait eu une
    véritable hécatombe :-
    <o:p></o:p>


    « Ainsi parlaient nos ancêtres : ‘À Beth, sept mille cavaliers
    sept mille montures, tous resteront morts sur le terrain !’
    <o:p></o:p>

    28<o:p></o:p>

    » <o:p></o:p>

    sebε alf n bnadem d sebε alf n ušidar <o:p></o:p>

    a <o:p></o:p>

    ġra diym iqqiman, a baht, nnant imzwura ! <o:p></o:p>


    Chiffre à la fois fatidique (tout en admettant une certaine exagération) et sidérant si l’on songe
    qu’en faisant appel aux tribus alliées, les Barghawata ne pouvaient aligner que 23.000
    hommes au total, dont 12.000 milles cavaliers
    <o:p></o:p>

    29<o:p></o:p>

    , et que la population du Maghreb al-Aqsa <o:p></o:p>

    devait alors à peine dépasser quelques millions d’habitants.

    D’ailleurs, le carnage ce jour-là, considérable d’après les critères de l’époque, atteignit de
    telles proportions qu’il marqua profondément et durablement les esprits. De sorte que dans
    l’inconscient collectif local, étant donné ses implications apocalyptiques, la vallée de l’Oued
    Beth fut associée avec de hauts faits d’armes, avec le merveilleux, le prodigieux. Lieu
    irrémédiablement lié à la destinée de ces contrées, où tout peu arriver :-
    <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>

    « De l’Oued Beth sortira un ânon à la noire crinière
    Dont les ruades secoueront la terre entière !
    <o:p></o:p>

    30<o:p></o:p>

    » <o:p></o:p>

    tsul baht ad tarw yiwn ušnid igan abexxan <o:p></o:p>

    yili s wazzar ad ikka s tiqqar ddunit ! <o:p></o:p>


    C’est ainsi que Sidi ‘Ali Amhaouch, assurant en quelque sorte la continuité de la pensée
    barghawati dans ce qu’elle avait de messianique
    <o:p></o:p>

    31<o:p></o:p>

    , prédisait l’apparition dans cette zone de <o:p></o:p>

    transition entre Tamesna et Fazaz d’un duğğal (‘anti-christ’), chevauchant un âne noir,
    personnage annonçant la fin des temps ; éventuellement d’un mahdi, ou ‘être impeccable’.
    Notions héritées en droite ligne de la tradition mahdiste des Barghawata
    <o:p></o:p>

    32<o:p></o:p>

    , et se trouvant <o:p></o:p>

    parfaitement en phase avec la mentalité des populations riveraines. <o:p></o:p>

    Résistance et continuité

    Voyons, à présent, de quelle manière, après l’effondrement des Barghawata au XII
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle, <o:p></o:p>

    d’autres champions de l’authenticité marocaine prendront la relève, l’action, répondant cette
    fois-ci à une logique offensive, se déplaçant depuis Sijilmassa et les confins sud-est vers le
    Fazaz et le Gharb. Là aussi, l’invasion des tribus d’Orient, les Ma’qil en l’occurrence, liée à
    d’autres facteurs conjoncturelles, agira comme catalyseur, déterminera la remontée depuis le
    sud-est de groupements d’Imazighen, lancés dans une éternelle quête de nouveaux pâturages,
    avec en point de mire les plaines atlantiques, jadis fief des Barghawata
    <o:p></o:p>

    33<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    Les Dila’yin, notamment, installés à la charnière du Tadla et du Fazaz, dispensant un
    enseignement religieux orthodoxe en langue arabe, sauront un temps canaliser à leur profit
    cette poussée dynamique des tribus tamazightophones, chercheront eux aussi à s’ériger en
    royaume indépendant. Dila’, qualifiée par un célèbre historien marocain de « zawiya
    d’expression du nationalisme berbère, mouvement de remembrement de la race
    sanhajienne
    <o:p></o:p>

    34<o:p></o:p>

    ». Démarche visant ultérieurement à remplacer un makhzen d’inspiration <o:p></o:p>

    orientale par une institution de facture plus autochtone. Les Dial’yin, on le sait, parviendront à
    fonder un état éphémère dans le Maroc central et atteindront l’Atlantique, avant d’échouer
    dans leur entreprise. Leurs héritiers ihansaln dans le Tadla, et, surtout imhiouach dans le
    Fazaz, tenteront à leur tour de créer un contre-pouvoir spécifiquement marocain, inspiré
    parfois d’une philosophie d’où le sentiment de démocratie ne sera pas exclu
    <o:p></o:p>

    35<o:p></o:p>

    . Mouvance <o:p></o:p>

    berbère, voire sanhajienne, traditionnellement visualisée par l’intelligentsia citadine
    marocaine comme forcement subversive ; les Berbères du Moyen-Atlas ne sont-ils pas
    « l’âme de l’esprit factieux dans ce pays » ?
    <o:p></o:p>

    36<o:p></o:p>


    Du reste, chacun y va de sa petite phrase, y compris des historiens étrangers pour décrire
    « les tentations autonomistes » de ces Senhaja qui « se comportèrent durant plusieurs règnes
    comme d’intraitables séparatistes »
    <o:p></o:p>

    37 <o:p></o:p>

    ; où de les décrire comme faisant partie « de ces recalés <o:p></o:p>

    de la grande histoire, condamnés depuis à être des éternels protestataires »<o:p></o:p>

    38<o:p></o:p>

    . Jugements <o:p></o:p>

    quelque peu faciles qu’il conviendrait sans doute de nuancer car occultant les enjeux sous-
    jacents, les véritables raisons ayant inspiré la démarche de ces ‘protestataires’ doublés de
    ‘séparatistes’. Difficile, en fin de compte, lorsqu’on est systématiquement tenu à l’écart, car
    échappant aux schémas du politiquement correct, d’être admis comme ayant historiquement
    contribué à la résistance, à la marche en avant de la nation toute entière.

    Selon leurs prophéties apocalyptiques, les Imhiouach semblaient ne pas ignorer l’épopée des
    Barghawata, dans la mesure où, reprenant sous Bou Bcher Amhaouch le flambeau du
    <o:p></o:p>

    radicalisme amazighe<o:p></o:p>

    39<o:p></o:p>

    , leurs propres actions allaient caresser d’assez semblables ambitions. <o:p></o:p>

    Également imputable aux Imhiouach, les prédictions messianiques héritées des lointains
    Barghawata, focalisées notamment sur le mythe de Lenda, problématique capitale des temps
    futurs et source d’espoir en des temps meilleurs pour les populations du Fazaz
    <o:p></o:p>

    40<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    Si, en revanche, les ultimes gesticulations d’un Sidi ‘Ali Amhaouch contre Moha ou Hammou
    et/ou la France, aboutissant au drame du Tazizaout, peuvent paraître dérisoires, elles ne
    peuvent être comprises que dans le cadre d’un continuum historique, d’une très ancienne
    tradition de résistance anti-makhzénienne, ayant caractérisé ces régions tamazightophones du
    VIII
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    au XX<o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle. <o:p></o:p>


    L’héritage des Barghawata

    Il est par ailleurs, permis d’affirmer, que contrairement aux idées reçues, loin d’avoir sombré
    sans laisser de traces, les iburġawaţin ont laissé un héritage, certes diffus, mais effectivement
    présent – ne serait-ce, tout d’abord, que cette patience, cette constance dans la plus
    irréductible des résistances qui, s’installant dans la durée, caractérisera les Imazighen jusqu’à
    nos jours. Exemple plus évident: le rôle que joue encore, en rapport avec la première prière, le
    coq du village, connu sous le vocable fqih, ou ţţalb, chez les Ayt Yahya de Tounfit. En pays
    Ayt Hadiddou, la prière du fžer s’appelle tazallit n ufullus (‘prière du coq’), ce qui nous
    renvoie directement aux Barghawata, chez lesquels cet oiseau sacré était, par ailleurs, gratifié
    d’une sourate dans leur qur’an
    <o:p></o:p>

    41<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    De même, si le nom de Dieu, yakuš, n’a plus cours, yuš, ainsi qu’un synonyme ancien, bu
    itran (‘maître des étoiles’), sont encore signalés
    <o:p></o:p>

    42<o:p></o:p>

    . Sans oublier que les Barghawata étaient <o:p></o:p>

    célèbres en tant que magiciens et astronomes, savoir-faire dont on relève des traces de nos
    jours chez les Ayt Sokhman de la région d’Anargui : notamment la faculté d’émettre des
    prévisions météorologiques à l’aide d’un os de mouton, ou encore de se livrer à des
    interprétations évènementielles inspirées du mouvement des astres
    <o:p></o:p>

    43<o:p></o:p>

    .<o:p></o:p>

    Autre procédé, pouvant <o:p></o:p>

    choquer les âmes sensibles : l’importance accordée à la salive du fils de Salih Ibn Tarif,
    dynaste des Barghawata.
    <o:p></o:p>

    Assez récemment, cette coutume trouvait son pendant chez les saints de Bouja’ad, réputés
    pour leur baraka, notamment Si Mohammed Cherqi, dont la salive (voire le vomi) était
    censée renfermer des pouvoirs magiques
    <o:p></o:p>

    44<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>

    Conclusion

    Aussi sont-ils toujours d’actualité. Outre un certain regain d’intérêt vis-à-vis des Barghawata
    de la part des spécialistes des études amazighes, en raison du bruit qui a entouré l’affaire du
    qur’an traduit en berbère
    <o:p></o:p>

    45<o:p></o:p>

    , auquel ils sont irrémédiablement liés, ils ne peuvent laisser <o:p></o:p>

    indifférent l’observateur averti. Qu’on le veuille ou non, on se trouve en présence d’un entité
    constituée, ayant fonctionné plusieurs siècles en langue amazighe, avec sa royauté, son armée,
    son organisation socio-religieuse, son idéologie dominante et qui, en terme d’ancienneté
    absolue sur la terre marocaine, dispute la primauté aux Idrissides. À l’exception près qu’elle
    semblerait être quelque peu disqualifiée du fait de l’hérésie que l’on sait, impardonnable pour
    certains, et qui l’a rendue si redoutablement célèbre.

    Ainsi, cherchant en toute objectivité à y voir plus clair, à décrisper le débat, avons-nous tenté
    d’analyser la stratégie des Barghawata, de proposer d’éventuelles pistes de recherche, afin de
    <o:p></o:p>

    mieux comprendre la place qu’ils occupent dans un continuum historique de résistance
    marocaine. Gageons, enfin, que pour compléter nos connaissances sur ces proscrits de
    l’histoire, beaucoup reste à faire, notamment par le biais de la tradition orale, ainsi que dans le
    domaine de l’archéologie
    <o:p></o:p>

    46<o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>

    Michael PEYRON <o:p></o:p>

    Université Al-Akhawayn, Ifrane <o:p></o:p>

    NOTES <o:p></o:p>

    1 a) Le terme berġawa a serait une déformation de belġwaţa > ilġwaţen, ‘ceux qui ont dévié’ ; alternance entre
    /r/ et /l/ souvent attestée en Tamazight (cf. Ibn al-Zayyat al-Tadili, al-Tachawwuf ila rijal al-Tasawwuf/ Regard
    sur le temps des Soufis, Casablanca, EDDIF/ UNESCO, 1994-1995, éd. A. Toufiq, trad. M. de Fenyol, note 37,
    p. 357). b) S’oppose à l’étymologie Barghawati < Berbati, du nom d’une rivière du sud de l’Andalousie, d’où ils
    seraient originaires. Cf. Abu ‘Ubayd al-Bakri, Kitab al-Mughrib fi dhikr bilad Ifriqiya wa’l-Maghrib/
    Description de l’Afrique septentrionale, (trad. De Slane), Paris, Maisonneuve & Larose, 1913, p. 265 ; thèse
    reprise par Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. de Slane, Paris, Geuthner, 1927, tome II/ p.133 ; c)
    rapprochement possible ( ?) avec la racine RĠWT > verbe rraġwet = ‘bouder, se fâcher’, M. Taifi, Dictionnaire
    Tamazight-Français, p. 574.
    2 Imaginons, par exemple, une histoire du Royaume-Uni d’où serait expurgée toute mention de la Réformation
    sous Henri VIII au XV
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle, ainsi que toute référence à la Grande Rébellion du Parlement contre la royauté <o:p></o:p>

    des Stewart (1642-1649).
    3 al-Bakri, op. cit., p. 268. Cf. M. Tilmatine, « Religion and morals of Imazighen according to Arab writers of
    the Medieval times», (trad.
    R. Dahmani & H. Madani), The Amazigh Voice, été 2000, p.4 ; les gens de Tamesna
    y sont présentés comme des braves, les hommes affrontant des lions en combat singulier ; document disponible
    sur :
    <o:p></o:p>

    http://www.syphax.nl/article.php?op=Printxsid=21<o:p></o:p>

    4 M. Lounaouci, « Le Royaume des Barghawata », Imazighen ass-a, n°2-3/mars 1995 : 2.
    5 V. Lagardère, Les Almoravides, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 31. On notera qu’une traduction de cet ouvrage
    légèrement abrégé en langue anglaise, est disponible sur :
    http.//bewley.vitvalave.net/ibnyasin.html
    6 Cf. al-Bakri, op. cit., p. 259; notons que Abou Moussa, interprète de l’émissaire barghawati à Cordoue, « était
    natif de la ville de Chellah ».
    7 Jbal Yiroujan. Nom au Moyen-Ăge des collines s’étendant entre Oulmès et Mulay Bou’azza.
    8 Des vestiges de forteresses signalées près de Chichaoua pourraient être tout ce qui reste des bases de départ
    des dernières offensives almohades contre les Barghawata au milieu du XII
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle (conversation avec J-F. <o:p></o:p>

    Clément, le 26/07/03).
    9 Dans quelle mesure peut-on accréditer la phrase « The heretic Barghawata Berbers set up a taifa state (…) in
    Sabta… », d’après H. Kennedy, A Political History of Al-Andalus (1997) & D. Nicole, El Cid & the Reconquista
    (1988); disponible sur http//www.balagan. org.uk/war0711/1008.htm
    10 Ibn Abi Zar’, Rawd al-Qirtas/ Histoire des Souverains du Maghreb et annales de la ville de Fès, (trad.
    Beaumier), Rabat, Laporte, ‘reprint’ de 1999, p. 116.
    11 Cf. M. Peyron, « Qala’at al-Mahdi, forteresse des hérétiques barghawata dans le Moyen-Atlas marocain »,
    AWAL, Cahier d’études berbères, n°25/2002 : 105-110.
    12 Naciri, Kitab al-Istiqça, vol. XXXI, Paris, Geuthner, p. 106 & 148 ; Ibn Abi Zar’, op. cit., p. 124 ; H.
    Terrasse, Histoire du Maroc, Casablanca, Atlantides, 1951, p.224-225 ; pour les retombées du siège sur la région
    du Fazaz/Tadla, cf. E. F. Gautier, « Medinat-ou-Dai », Hespéris, 1926 ,1
    <o:p></o:p>

    er<o:p></o:p>

    trim., Paris, Larose, p. 11. <o:p></o:p>

    13 F. Moutaoukil, « Les Barghawata », Parimazigh n°2, disponible sur
    http.//www.mondeberbère.com/civilisation/histoire/barghwata.mm
    14 Ibn Abi Zar’, op. cit., p. 98.
    15 Tamaluqqat, cf. (éventuellement) Tamelluqt, ; en pays zaïan, Timghasn, forme plurielle, rapprochement
    possible avec son singulier > Amghas ( ?), localité en bordure occidentale du Fazaz (Moyen-Atlas), proche de
    Mrirt. Problème des toponymes amazighes identiques pouvant se présenter en plusieurs points du pays.
    16 E. Leglay, Les Sentiers de la Guerre et de l’Amour, Paris, Berger-Levrault, 1930,
    17 Cf. B. El-Mghari, «De Mogador à Essaouira: aperçu historique», Empreintes (Mélanges offerts à Jacques
    Levrat), Al Asas/ La Source, Salé, 2000, p. 92.
    18 al-Bakri, op. cit., p. 261.
    19 Ceci soulève la question des éventuels moyens maritimes (tout au moins d’une navigation côtière) dont
    disposaient les Barghawata. Selon le Professeur El Houcine Rahmoune (Fac. des Letres, Mohammedia), le fait
    que le Maroc ne possédait aucune flotte de guerre à l’époque a pu être un facteur ayant joué en faveur des
    <o:p></o:p>

    Barghawata. Pour le Professeur Laïla Maziane (Fac. des Lettres Dhar Mhraz, Fès), les Cordouans ont pu
    dépêcher eux-mêmes une galère afin de transporter la mission diplomatique de Zammur. Selon le Professeur
    Pierre Guichard (Univ. Lumière, Lyon) les communications entre Barghawata et Cordoue ont pu être assurées
    aussi bien par voie maritime que par le nord du Maroc suivi d’un franchissement du détroit (entretiens lors du
    colloque « La Résistance marocaine à travers l’histoire », le 05/12/03, Fac. des Lettres, Rabat).
    20 Ibid., p. 270 ; V. Lagardèr, op. cit., p. 31.
    21 H.T. Norris, The Berbers in Arabic Literature, London & New York, 1982, p.150, citant Ismaïl Ibn al-
    Ahmar, Buyutat Fas al-Kubra, Rabat, Dar al-Mansur lil-tiba’a wal-wiraqa, 1972.
    22 Ibn Abi Zar’, op. cit., p. 123. Signalons, en toute équité, que V. Lagardère (op. cit., p. 73) émet des réserves
    quant à la longueur exacte du siège. Intéressant, par ailleurs, que le cas de Soukkout, un Barghawati
    temporairement repenti qui finira par mourir en 1077 selon les traditions de son peuple, l’arme à la main, près de
    Tanger lors de la bataille de l’Oued Mina face aux Almoravides, (Ibid, p. 125 ; Naciri, op. cit. vol. XXXI, Paris,
    Geuthner, 1925, p. 107.
    23 Ibid., pp. 162-163; Ibn Khaldoun, op. cit., pp. 181-183; pour la répression qui a suivi cette révolte en
    Tamesna, ainsi que chez les Haha, voir fragments d’al-Baidaq, Documents inédits de l’histoire almohade, (trad.
    E. Lévi-Provençal), Paris, Geuthner, 1928, pp. 180-183.
    24 Ibid., p. 183.
    25 weryawera, ‘celui après lequel il n’y a rien’ (al-Bakri, op. cit., p. 261), mais sans doute déformation de wr
    iyyi am wa, lit. ‘semblable à lui, il n’y en a pas’, être impeccable’ (entretien avec M. Ahayzoun, Fès, le
    25/04/03). Selon Le Professeur Mohammed Hammam, directeur du CEHE à l’IRCAM, wr proviendrait du
    Zénète ancien avec le sens de ‘fils de’ (entretien, Rabat, le 05/12/03).
    26 al-Bakri, op. cit., pp. 265-266; cf. également H.T. Norris, op. cit., p. 101, ainsi qu’une version nuancée de
    cette traduction dans Ibn Khaldun (op. cit., tome II/ p. 129), où les deux derniers hémistiches se lisent ainsi :-
    <o:p></o:p>

    « Ce jour-là ne sera pas pour vous un jour de (triomphe), bien que vous triomphez dans les nuits (de
    l’ignorance), étant partisans de Maysara ! »
    <o:p></o:p>

    C’est Maysara qui, on le sait, avait mené au combat les Berbères du Maghrib al-Aqsa lors de la révolte kharijite
    de 740.
    27 Des ruines de forteresses anciennes auraient été signalées dans certains recoins du pays zemmour, sans que
    l’on ait pu, pour l’heure, ni les dater, ni leur attribuer une origine précise (entretien avec J-F. Clément, le
    26/07/03 ; confirmé par le Professeur Enrique Gozalbes Cravioto, Fac. des Lettres, 04/12/03).
    28 A. Roux, Poésies berbères de l’époque héroïque, M. Peyron éd., Aix-en-
    Provence, Édisud, 2002, p. 191.
    29 al-Bakri, op. cit., p. 270; Ibn Khaldoun, op. cit., p. 156; V. Lagardère, op. cit., p. 31
    30 A. Roux, op. cit., p.191. Cf. autre allusion à « l’âne à la grande crinière dont le monde entendra parler », V.
    Loubignac, Textes dans les parlers Zaïan et Ait Sgougou, Paris, Leroux, 1924, p. 441/8, où le duğğal est associé
    à un ânon noir. Prophéties messianiques attribuées tant à Sidi ‘Ali, qu’à son aïeul Sidi Boubcher Amhaouch.
    Pour davantage de précisions à ce sujet, cf. conte en tašelh’it, « Ddjjal d Yajuj u Majuj », H. Stroomer,
    Tashelhiyt Berber Texts from the Ayt Brayyim, Lakhsas and Guedmioua Region (South Morocco), Köln, Rüdiger
    Köppe Verlag, 2003, pp. 220-225.
    31 Fragments poétiques du genre ahellel relevant des prophéties apocalyptiques des Imhiouach (méritant à elles
    seules une étude séparée), et qu’il s’agit, bien entendu, d’aborder avec prudence. Cf. J. Drouin, Un cylce
    hagiogaphique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Sorbonne, 1975, pp. 111-113. Sidi ‘Ali Amhaouch a pu
    avoir connaissance de la bataille de Beth par le biais de la transmission orale ; sinon, en tant que lettré ayant
    fréquenté la Qarawiyin dans les années 1870, il aura pris connaissances des textes d’al-Bakri, ou autres (entretien
    avec O. Ould-Braham, le 02/08/03).
    32 al-Bakri, op. cit., p. 261
    33 D.M. Hart a rédigé une étude très complète sur ce phénomène de la remontée amazighe du sud-est au nord-
    ouest, « Four centuries of history on the hoof », Journal of Morocco Studies, n°3/1993 : 21-55 ; cf. également, J.
    Chiapuris, The Ait Ayash of the high Moulouya plain, Michigan, Ann Arbor, 1979, pp. 17-36.
    34 A. Laroui, Origines sociales et culturelles du Nationalisme marocain, Paris, Maspero, 1997, p. 150.
    35 Concernant Dila’ cf. G. Drague, Esquisse d’histoire religieuse du Maroc, Paris, Peyronnet, 1951, pp. 132-
    138 ; M. Hijji, Az-Zawiya ad-dila’iyya, Rabat, Al matba’a al Wataniya, 1964 ; L. Mezzine, Le Tafilalt, Rabat,
    Fac. des Lettres, 1987, etc..
    36 Citation d’Akansous, reprise par A. Laroui (op. cit., p. 166) ; cf. également M. Morsy « Comment décrire
    l’histoire du Maroc », Actes de Durham : recherches sur le Maroc moderne, n° hors série du B.E.S.M., Rabat,
    1979, p. 123.
    37 B. Lugan, Histoire du Maroc, Paris Perrin/ Criterion, 2001, p. 187.
    38 D. Rivet, De Lyautey à Mohammed V, le double visage du Protectorat, Paris, Denoël, 1999, p. 110.
    39 Naciri, op. cit., vol. X, p. 57. S’agissant d’une période marquée par des tensions arabo-berbères, notamment
    au sein de l’armée chérifienne entre contingents ‘abid et barabir al-wata’ (M. El Mansour, Morocco in the reign
    <o:p></o:p>

    of Mawlay Sulayman, Wisbech, MENAS, 1990, p. 102), Boubcher Amhaouch aurait annoncé son intention de
    courir sus à ceux qui parlaient arabe au Maghreb.
    40 J. Drouin, L.O.A.B., 24/1996 :129-146 ; Lenda, hameau entre Khenifra et Lqbab, davantage connu comme
    site de la défaite du sultan Moulay Sliman en 1818 face à Boubcher Amhaouch, occupe une place de choix dans
    l’imaginaire collectif local.
    41 Pour la sacralité du coq et de la poule chez les Barghawata, cf. al-Bakri, op. cit. , pp. 268-269 ; également R.
    Basset, « Recherches sur la religion des Berbères », Revue de l’Histoire des Religions, Paris, Leroux, 1910, p.
    50.
    42 Le terme yuš serait encore connu dans le Rif, (communication verbale, A. Khalafi, Ifrane, le 17/03/03) ; celui
    de bu itran est communément usité chez les Ayt Yahya de Tounfit.
    43 Observations personnelles sur le terrain lors de voyages répétés dans ces régions, de 1967 à nos jours.
    44 Cf. mémoire d’étudiante sur les saints de Bouja’ad : B. Halimi, Jackals, Saints and Shrines, Faculté des
    Lettres, Rabat, 1987, p. 29 ; pour l’importance accordée à la salive, consulter R. Basset, op. cit., p.50.
    45 Kamal n Aït Zerrad a traduit le qur’an en Kabyle, alors que le professeur Lhoucine Jouhadi achevait en 2000
    à Casablanca une version en Tamazight. Cf. aussi, « Le Coran fait peur au pouvoir », traduction d’un article du
    Economist de Londres, disponible sur
    <o:p></o:p>

    http://www.geocities.com/tamaynut/coran.htm<o:p></o:p>

    46 Une campagne de fouilles sur plusieurs sites (ports, villes de l’intérieur, champs de bataille, etc.) serait
    assurément de nature à fournir d’importantes données sur l’époque des Barghawata.
    Perspective encore
    incertaine faute de financement adéquat.



    <o:p></o:p>

    --------------------

    Publishing history :

    Presentation given at the « Maroc des résistances » conference, IRCAM, Rabat, October,
    2004; eventually published in proceedings of said conference (2005).




    <o:p></o:p>

    4) « Interaction entre tourisme durable et patrimoine <o:p></o:p>

    dans l’Atlas oriental marocain » <o:p></o:p>





    <o:p></o:p>


    Ce papier se propose de dresser un état des lieux succinct du patrimoine naturel, culturel et
    historique des massifs orientaux du Maroc (Moyen Atlas, Haut Atlas Oriental, Atlas de Beni
    Mellal) ; d’examiner l’effet qu’exerce sur ces régions un tourisme de montagne qui, n’ayant
    de durable que le nom, a plusieurs effets pervers ; puis, proposer des solutions là où la
    situation s’avère perfectible. En effet, l’ensemble de régions concernées se distingue autant
    par la beauté et la variété des sites que par la richesse de ses traditions, portée par une « oralité
    résiduelle massive » (Ong 1996), ceci étant imputable à la fois à l’éloignement des grands
    centres urbains ainsi qu’à la difficulté d’accès qui caractérise la majeure partie de ce haut-
    pays, où, dans certaines vallées, la vie suit immuablement son cours depuis des décennies.
    Cela constitue un fonds de valeurs séculaires – véritable trésor ethnologique – d’une qualité
    inestimable au niveau du patrimoine national. C’est dire que les massifs orientaux de l’Atlas
    possèdent de solides atouts susceptibles d’attirer un tourisme d’aventure et de découverte.

    On a cependant beau souhaiter l’arrivée en tout lieu de la modernité, il serait dommageable
    que ces régions soient livrées sans transition à la frénésie du marketing et de la société de
    consommation, souvent sous leurs aspects les moins méritoires : alcool, aggloméré, béton,
    goudron, « briques de ville », friperie, tabac, téléphones portables et déchets de toutes sortes.
    Avec, comme corollaire chez les populations, l’inévitable érosion des valeurs traditionnelles
    <o:p></o:p>

    de courage, d’échange, d’entraide, de générosité, d’hospitalité, de solidarité, qui faisaient
    jusqu’alors la force de ces contrées.

    Ainsi, sans pécher par « passéisme » excessif, serait-il souhaitable que la fréquentation
    touristique qui caractérise ces régions soient accompagnée par des programmes de mise en
    application progressive d’un tourisme diffus, discret, respectueux de l’environnement et
    comportant un minimum de « garde-fous », afin qu’il devienne pleinement durable, dans toute
    l’acceptation du terme, et non auto-destructeur, comme c’est trop souvent le cas.

    Procédons donc, en un premier temps, à un état des lieux.

    1/ Un patrimoine naturel


    Le Moyen Atlas dans sa totalité, auquel on ajoute le Haut Atlas oriental, est sans conteste la
    face la plus évidente du patrimoine, constituant une pléiade de chaînons, plateaux, gazons,
    forêts, et cours d’eau, renfermant des ressources importantes en faune animalière, aviaire, et
    halieutique.

    De Taza à Beni Mellal se succèdent des anticlinaux calcaires élevés qui offrent des paysages
    karstiques, des gorges, des torrents, des lacs, des dolines (Berriane 1993 ; Tag 1995 ; Troin
    2002, Milet 2003). On y distingue trois régions de haute montagne:



    <o:p></o:p>

    1/ le massif Bou Iblane/Bou Nasser ;
    2/ la chaîne Ayyachi/Maasker ;
    3/ les sommets entourant Zaouit Ahansal, du Kwaïs à l’Azourki.
    <o:p></o:p>


    Toutes ces régions sont connues pour leurs paysages somptueux, leur enneigement persistent
    (novembre-mai), avec un potentiel important en randonnée pédestre, et où le ski se pratique
    en exploitant les combes orientées nord-est, alors que les environs de Zaouit Ahansal
    renferme des possibilités de rafting, de canyoning, et d’escalade à haut niveau (Jbel Ayoui,
    cirque de Taghia n-Ouhansal, gorges du Todgha ; Domenech 1989). Les deux premières
    régions contiennent d’importants vestiges d’un biotope unique qui constitue leur principal
    fleuron, cette cédraie millénaire qu’il conviendrait de sauver face aux menaces de toutes
    sortes qui pèsent sur elle : érosion, pacage et coupes abusives, stress hydrique (Benabid 1995 ;
    Milet 2003 ; Peyron 2004). Autre atout local, les gazons d’altitude, tapis fleuris au printemps
    – largement connus sous le vocable almu, voire agudal – lieux de pacage recherchés par la
    transhumance saisonnière traditionnelle (Bourbouze 1997).

    Non moins importantes sont les régions de moyenne montagne : le causse moyen-atlasique
    avec lacs, torrents, plateaux et collines garnies de cèdres et de chênes-verts, notamment autour
    d’Ifrane, Azrou, Mrirt et Khenifra (Jennan 2005) constitue un morceau de choix du
    patrimoine naturel ; ainsi que les zones en bordure de la Haute Moulouya, les reliefs boisés,
    modelés par le karst, qui dominent le Tadla entre Ayt Ishaq et Tagzirt ; enfin, le plateau des
    Ayt Abdi du Kousser, haut pavé calcaire aux eaux souterraines (Monbaron 1994). Régions
    offrant une palette d’activités sportives incomparable : promenades à pied et/ou en raquette,
    ski de fond, ski de piste, randonnée muletière, randonnée équestre, pêche, ornithologie,
    spéléologie, et, portées par un effet de mode irrésistible, circuits en 4x4 (Gandini 2000).

    Si Ifrane jouit depuis longtemps d’une certaine notoriété dans le domaine touristique, se
    targuant d’être la « capitale écologique » (Tarrier & Delacre 2006) du pays, elle est fréquentée
    <o:p></o:p>

    essentiellement par une clientèle aisée d’excursionnistes du Dimanche pratiquant le pique-
    nique, la promenade de courte durée, et l’investissement immobilier (Berriane 1993).
    L’inventaire des chemins de moyenne randonnée reste à faire, bien que l’on note quelques
    initiatives en ce sens, dont l’émergence de « classiques » comme la traversée Ifrane-Azrou,
    principalement liée à l’édification récente de gîtes touristiques (« Auberge de Charme », Ras
    el-Ma ; « Auberge berbère », etc.) pour un tourisme dit « vert », en vogue chez les vacanciers
    originaires des pays industrialisés.

    Dans des zones ex-centrées, telles que le Bou Iblane (Guiri 2005), l’Ayyachi, Imilchil, Haut
    Ziz, et Zaouit Ahansal, qui se prêtent admirablement à la grande randonnée (ou « trekking »)
    de qualité, avec un éventail de franchissements de cols, de traversée de gorges (Aqqa Tadrout,
    Asif Melloul, etc.), de circuits « en boucle », ou « en étoile », quelques structures d’accueil se
    mettent en place, notamment à Imilchil, Anargui, Zaouit Ahansal, Ayt Bou Guemmaz et dans
    le Haut Todgha. Paysages intacts et sauvages, lumière éblouissante propice à la photo,
    populations accueillantes, animaux de bât et hébergement rustique, voilà ce qui fait le charme
    actuellement de ces cantons reculés (Bordessoule & Peyron, 2002, Galley 2004, Barbaud
    2005).

    Malheureusement, la nature animale est faiblement préservée ; il y manque les quadrupèdes,
    exception faite pour les lièvres, renards et sangliers. Sans oublier les éléments nobles de la
    faune : les dernières panthères de l’Atlas (entre Boutferda et Tigleft), mais dont la présence
    supposée dans l’inconscient des visiteurs est susceptible de jouer un rôle attractif équivalent à
    celui de l’ours dans les Pyrénées ; ainsi que quelques peuplements de mouflons à manchette et
    gazelles de montagne de la région d’Imilchil (Cuzin 1996), et du Tasemmit au-dessus de Beni
    Mellal.

    En matière de faune aviaire, en revanche, l’amateur sera comblé : d’importants effectifs
    d’oiseaux occupent différents biotopes : forêts à conifères et à feuillus, étendues lacustres,
    rivières, hautes landes, zones cultivées, zones des sommets. Quelques « spots » sont devenus
    célèbres, au point d’attirer des groupes d’ornithologues du monde entier : Ifrane, ses jardins,
    ses chenaies, pour les passereaux ; le lac d’Afenourrir pour les limicoles sédentaires et de
    passage ; l’Agelmam Sidi Ali pour les tadornes, cigognes et buses ; la Haute Moulouya pour
    certains rapaces et petits échassiers ; le lac de Tislit pour les grèbes et canards. Inutile de
    préciser que ce patrimoine, s’il doit perdurer, nécessite des mesures de protection efficaces.

    Les cours d’eau de ces montagnes comptent, en outre, trois types d’attraits naturels:



    <o:p></o:p>

    1/ Les cascades. Celles-ci sont relativement nombreuses. Les plus connues : cascades
    du Val d’Ifrane ; d’Immouzzer-Marmoucha ; de Zaouia Oued Ifrane (près de Mrirt) ;
    de Talat Lmsakin sur l’Oued Fellat (région de Beqrit) ; aux sources de l’Oum er Rbia,
    le maître fleuve marocain ; surtout les célèbres cascades d’Ouzoud de l’Atlas de Beni
    Mellal (Milet 2003).

    2/ La pêche sportive : De nombreux torrents (que les connaisseurs appellent « les
    oueds à truite ») sont répertoriés : Oued Berd (Bou Iblane) ; Oued Immouzzer
    (Immouzzer-Marmoucha) ; Oued Chbouka (Khenifra) ; Haut Oued Anzegmir (Jbel
    Ayyachi) ; Asif Melloul (Imilchil) ; Asif n-Imedghas (Haut Dadès) ; Asif n-Ouhansal,
    etc. Certains de ces cours d’eau sont régulièrement alevinés et amodiés, et attirent de
    nombreux adeptes en possession du permis de pêche.



    <o:p></o:p>

    3/ On peut signaler, également, des cas de sources ayant des vertus diverses, dont la
    fertilité (Aïn Llaz, Aïn Erroh, Bou Iblane ; Ighboula n-Oussacha, région de Tounfit,
    etc.), et attirant à ce titre les femmes du pays.



    <o:p></o:p>

    2/ Un patrimoine culturel

    Sont classés dans cette catégorie les aspects spécifiques de la culture amazighe, tels qu’il est
    possible de les observer au quotidien dans ces régions, où ils sont mieux conservés que dans
    les régions gagnées par l’urbanisation
    <o:p></o:p>

    . <o:p></o:p>


    L’artisanat en premier, caractérisé par le tissage de la laine sur métier à cade en bois (azetta) :
    jellabas, couvertures, nattes, selles de mulet, tapis. Les tapis (tishdifin) du Moyen Atlas sont
    célèbres, les Beni Mguild, les Beni Ouaraine, et les Marmoucha, étant les plus connus. Le
    travail du bois, dans les régions où pousse le cèdre, y est également réputé (Azrou) ;
    d’ailleurs, la fabrique artisanale de magnifiques coffres en bois perdure dans quelques villages
    du Haut Asif Ouirine (à l’ouest de Tounfit), où l’on trouve également de petites stèles en bois
    crénelées dans les cimetières. Plus loin au sud-ouest, dans la région d’Anargui, on produit des
    cuillères en buis, un bois très dur ; le noyer, qui pousse dans quelques vallées protégées est,
    lui aussi, utilisé pour l’artisanat.

    Le cadre traditionnel amazighe bâti vient en second. L’habitation de base, la taddart, maison
    en poutres de cèdre et en pisé, construite de plein pied avec vestibule à mulets, réserve de
    fourrage, chambres d’habitation et terrasse, parfois avec une ou plusieurs tours d’angle, est
    avant tout fonctionnelle. Elle n’en reste pas moins caractéristique de ces régions de l’Atlas et,
    à ce titre, mérite d’être sauvegardée. Véritable petite fortin aux quatre tours d’angle, l’ighrem,
    quant à lui, n’appartient pas véritablement au Moyen Atlas, bien qu’il y fasse de timides
    apparitions (à Ifkern, et chez les Beni Bou Illoul, par exemple). Pour trouver ce style de
    construction il convient d’aborder le Haut Atlas Oriental, où, dès les Ayt Yahya il est présent
    (Tounfit, Agoudim, Ayt Yaddou), pour se généraliser chez les Ayt Hadiddou et les Ayt
    Merghad lorsque l’on descend vers le sud, d’où viennent les artisans spécialisés dans ce genre
    de construction (environs de Tilouine dans le Ferkla). Puis, à Zaouit Ahansal et dans les Ayt
    Bou Guemmaz (Huet & Lamazou 1990) on trouve de splendides bâtisses à tours d’angle, dont
    le curieux ighrem circulaire de Sidi Moussa, qu’un travail de restauration est en train de
    sauver de l’écroulement qui menaçait. Démarche louable car l’ighrem, avec sa valeur
    esthétique avérée, présente un intérêt indéniable aux yeux du visiteur étranger, ce qui en fait la
    pièce maîtresse du patrimoine architectural.

    On ne peut, certes, prétendre que ces régions renferment de grandes spécialités culinaires.
    Toutefois, à l’instar d’autres montagnes (le Dauphiné, la Savoie, par exemple) l’Atlas peut se
    prévaloir d’une gamme fruste comportant en premier lieu, le célèbre méchoui, cuit soit sur
    broche, soit dans un four en terre ; les brochettes de base (tutliwin) ; les brochettes épicées à la
    graisse de mouton (tadunt n-ulli, ou bulfaf) ; la soupe de fèves (tahrirt n-ibawn), ou une autre
    soupe désignée plus à l’ouest askif. De délicieux feuilletés, melwiy, ou bu shiyyar, pouvant
    être consommés avec du beurre (uddi) ou du miel (tamment). Différents tajines, enfin, à la
    viande ou au poulet, toujours assortis de légumes, et habituellement très épicés.

    La vie traditionnelle pastorale dans un milieu hostile a donné lieu à une codification des
    valeurs liées à la notion de solidarité communautaire, où tiwizi (‘corvée collective dans
    l’intérêt général’), et amεiwan (‘entre-aide’) figurent en bonne place. La garde du troupeau de
    vaches ou du parc à mulets du village, peut être confiée à un ou deux hommes (à des femmes,
    <o:p></o:p>

    pour les vaches), selon le système de tiwili (‘tour de rôle’) – pratique qui s’observe
    notamment en pays Ayt Yahia et Ayt Hadiddou. Par contre, une autre institution du
    pastoralisme, tarahalt (‘transhumance’), avec respect des jours d’ouverture des pâturages mis
    en défens, ou igudlan, semble se maintenir dans l’Atlas d’Imilchil (Peyron 1992) alors que,
    dans le Moyen-Atlas central, la situation est plus nuancée. Si chez les Ayt Arfa une
    transhumance à courte distance est observée (Jennan 2004), on assiste chez d’autres Beni
    Mguild à une tendance à la sédentarisation massive en altitude (Bencherifa & Johnson 1993),
    principalement entre Timhadit et le Jbel Hayyane.

    La légendaire hospitalité berbère, quant à elle, est une véritable institution qui mérite de
    perdurer. Dans certains villages survit la coutume dite afalis, ou tour de rôle, pour assurer
    l’hébergement du voyageur de passage ; au besoin à l’intérieur de la mosquée, si les hommes
    sont absents. N’oublions pas, aussi, que l’ensemble de la vie était autrefois régi par le droit
    coutumier amazighe (izerf), équitable et expéditif, dont les anciens regrettent amèrement la
    quasi-disparition (Khettouch 2005).

    Des pratiques, curatives et autres viennent enfin clore ces notions traditionnels ayant encore
    cours dans certains douars reculés : la pharmacopée de plantes médicinales, telles que
    azukenni (‘thym’) ; enfin des croyances qui, selon certains observateurs, relèveraient de la
    sorcellerie, telles que la prédire l’avenir en scrutant les étoiles, ou prévoir la météo en
    observant l’épaule d’un mouton (Ayt Sokhman).

    Cet ensemble de traditions qui s’appuie, bien entendu, sur une oralité résiduelle fort
    riche constitue le fleuron du patrimoine culturel. Avec ses anecdotes, contes, devinettes,
    proverbes, et poésie diverses, l’ensemble constitue une véritable encyclopédie orale amazighe,
    dont les izlan (‘distiques’), timawayin (‘strophes’) et timdyazin (‘ballades’) sont les genres les
    plus répandus. On les entend à l’occasion des fêtes villageoises, souvent à l’automne :
    notamment lors de circoncisions (teεdliwin), ou de fastueux mariages collectifs (timghriwin)
    que l’on pratique encore chez les Ayt Hadiddou et Ayt Sokhman (Peyron 1993 ; Khettouch
    2005; Hamri 2005).

    3/ Un patrimoine historique


    Il convient de souligner l’existence, dans les régions qui nous préoccupent, de très nombreux
    sites de mémoire, principalement liés à la résistance anti-coloniale du début du 20
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle. <o:p></o:p>

    Parfois, rien ne reste sur place pour évoquer ces combats. En d’autres lieux subsistent
    bâtiments, ruines, stèles commémoratives, et cimetières, qui sont autant de témoins tangibles
    d’un passé relativement proche, et occupant dans l’inconscient collectif local une place dont
    l’importance ne saurait être sous-estimée. Ces sites font actuellement l’objet, à l’échelon
    local, d’un certain suivi, quand il ne s’agit pas d’un véritable culte lié au soufisme, encore
    présent dans l’Atlas par le biais des marabouts (igurramen). N’oublions pas, à cet effet, que
    ces régions ont été marquées pendant le haut moyen-âge marocain par une forte implantation
    de zaouïas d’obédiences diverses (Jennan 1993 ; Mouhtadi 1999), à la fois relais
    « makhzéniens », gîtes pour pèlerins et pôles de spiritualité influents, dont certaines
    fonctionnent encore.

    Voici une liste non-exhaustive de quelques sites qui représentent ce patrimoine historique :-



    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Le ‘cèdre du pardon’ (idil leεfu), à l’ouest de Tanchraramt dans le Bou Iblane, qui a
    marqué le retour des Beni Ouaraïne au bercail makhzénien (été 1926) ; accès en
    véhicule tout-terrain par chemin secondaire 4822.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Un kerkur (‘cairn’) entre Talzemt et Tamjilt, (Bou Iblane) à proximité de Souf
    Ifendasen, marquant le point extrême atteint par la mehalla de Moulay Ismaïl à la fin
    du 17
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle lors d’une de ses campagnes contre les tribus du coin ; accès muletier. <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Vallée d’Oulad Ali, (Moyen Atlas oriental) dont les environs virent se dérouler des
    combats acharnés pendant l’été 1926 (Celarié 1928); combats qui tournèrent à
    l’avantage des résistants (un des rares cas de capture d’un fortin français dans les
    campagnes de l’Atlas), mais dont le succès fut annulé par la reddition de Sidi Raho à
    Taffert ; accès en véhicule tout-terrain depuis Outat el-Haj, côté Moulouya.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Massif du Tichoukt (2 796m) entre Boulmane et l’Oued Seghina, qui fut (1923-1926)
    le dernier réduit de la résistance des Ayt Seghrouchen de Saïd ou Mohand dans ce
    secteur du Moyen Atlas (Peyré 1950 ; Carrère 1973 ; Saulay 1985) ; site accessible par
    la RP 20.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    La zaouïa de Ben Smim, autrefois située dans l’orbite de Dila (Jenann 1993), située
    entre Ifrane et Azrou ; accessible par route goudronnée.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Environs de Timhadit (Moyen Atlas central), avec sa stèle commémorative, où eurent
    lieu de durs combats de 1916-1919 (Jbel Hayyane, Koubbat, etc.) liés au
    ravitaillement du poste français de Beqrit (Guillaume 1946) ; accès par la RP 21, puis
    route 3388.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Zaouit Ifrane, environs de Mrirt, avec son village maraboutique, son plateau cerné de
    falaises (Tissigdelt), où l’on a repéré des vestiges de fortifications : Qal’at al-Mahdi,
    ancienne principauté indépendante des Zénata du Jbel, 11
    <o:p></o:p>

    e<o:p></o:p>

    siècle (Peyron 2003) ; <o:p></o:p>

    accès par RP 24 jusqu’à Souk el-Had, puis route 3410. <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Champ de bataille d’El Herri (lehri), à une dizaine de kilomètres de Khenifra (Moyen
    Atlas central); deux stèles commémorent la défaite par Moha ou Hammou Zaïani en
    automne 1914 de la colonne Laverdure (Le Glay 1930 ; Guillaume 1946 ; Drouin
    1975 ; Roux & Peyron 2002 ; Ben Lahcen 2003) ; située sur la RP 24.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Zaouia Sidi Hamza, important centre maraboutique, associé au célèbre Bou Salim el-
    Ayachi, versant sud du Jbel Ayyachi ; accessible depuis RP 21 par la route 3438.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Poste ruiné et village des Ayt Yâqoub, versant sud du Jbel Ayyachi, où le détachement
    Emmanuel fut décimée par les Ayt Hadiddou et Ayt Morghad, menés au combat par
    l’agurram Ou-Sidi ; puis siège du poste, lequel fut sauvé in extremis par une colonne
    de secours, fin-mai/début-juin 1929 (Saulay 1985 ; Peyron 1994) ; accès en véhicule
    tout-terrain, chemin secondaire 3438.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Zaouia Sidi Yahya ou Youssef, ancien pôle maraboutique et centre de résistance anti-
    colonial, capturé en juin 1931 (Guillaume 1946) ; accessible depuis Tounfit par route
    3423.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Jbel Tazizaout (2 677m), arrière-pays d’Aghbala n-Ayt Sokhman, haut-lieu de la
    résistance marocaine (23 août – 13 septembre, 1932), et objet de pèlerinage annuel;
    existence de nombreuses timawayin et timdyazin relatant les péripéties de ces combats
    (Guillaume 1946 ; Drouin 1975 ; Saulay 1985 ; Roux & Peyron 2002). Accès malaisé,
    à dos de mulet, ou à pied.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Tizi n-Hamdoun/Jbel Baddou (juillet/août 1933) bastion montagneux où le gros des
    Ayt Hadiddou et Ayt Morghad sous Ali Ou-Termoun et Zayd Ou-Skounti menèrent
    leur dernier combat (Guillaume 1946 ; Saulay 1985) ; accessible en véhicule tout-
    terrain par chemin secondaire 3449 depuis Tinejdad, ou par la route d’Ayt Hani-
    Assoul, puis à pied.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Les igherman de Tadafelt (Todgha), à quelques kilomètres de Tinghir, où, au
    printemps 1936, fut tué le dernier résistant du Haut Atlas, Zayd ou-Hmad (Clément
    1981) ; accessible par RP 32, puis route 6906.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    La stèle des cluses de Tassent commémorant les batailles autour d’Imilchil, dont le
    combat du 1
    <o:p></o:p>

    er<o:p></o:p>

    mai 1933, au Msedrid, où un détachement de la Légion fut mis à mal <o:p></o:p>

    par les hommes d’Ou-Sidi (Guillaume 1946 ; Peyron 1988-89) ; accès par la route
    1903, puis route 3425.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Environs de Ksiba n-Moha ou Saïd (Atlas de Beni Mellal), site de la bataille de
    maraman, connue des bardes amazighes (Guillaume 1946 ; Hamri 2005), où fut
    sérieusement malmenée la colonne Mangin en 1913 ; accès depuis Kasba Tadla par la
    route 1901.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Zaouit Ahansal, célèbre pôle de spiritualité et de résistance à l’époque de la siba ;
    accessible depuis Azilal par route 1807, en cours de goudronnage.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Village d’Ayt Hkim aux Ayt Bou Guemmaz, où, pendant l’été 1921, les guerriers de la
    région, aux ordres de l’agurram Sidi Mah el-Hansali, stoppèrent net l’élan de la
    cavalerie du Glaoui (Saulay 1985); accès par route 1809.
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    Jbel Kousser (Lqroun, 3 069m), environs de Tillouguit, dernier bastion de la résistance
    dans le Haut Atlas, septembre 1933 (Guillaume 1946 ; Saulay 1985 ; Euloge 2005);
    accès par route 1803, puis à pied.
    <o:p></o:p>


    4/ Problématique actuelle

    Il s’agit à présent d’examiner, d’appréhender la durabilité des diverses facettes du patrimoine
    local face à l’érosion causée par un tourisme de montagne en plein essor. Aussi, le tableau
    flatteur que nous venons de brosser du patrimoine de ces régions ne doit-il pas faire oublier
    les dangers réels qui pèsent déjà sur lui. Précisons d’emblée que les composantes de ce
    patrimoine naturel sont fragilisées par un déficit pluviométrique vieux de plusieurs années –
    l’enneigement, par exemple, étant devenu capricieux au point de dévaloriser le ski dans le
    Moyen Atlas, de modifier l’étiage de nombreux cours d’eau. L’action de l’homme, ensuite,
    dictée par des impératifs agricoles et pastoraux, ou par simple cupidité, ne s’est pas démentie
    ces trente dernières années, au point de menacer la survie de la forêt de cèdres, principalement
    dans la région du Bou Iblane, ainsi que dans l’arrière-pays de Tounfit/Aghbala. Ceci provient
    du fait que, dans ces secteurs à l’abri des regards indiscrets, exposés au braconnage et à
    <o:p></o:p>

    l’octroi de coupes abusives, on assiste à une démission quasi-totale des Eaux et Forêts. Or, il
    convient impérativement de mettre un frein à ces pratiques délétères, sinon ces régions
    déboisées, exposées de surcroît à une érosion féroce, perdront leur atout principal.

    L’exploitation rationnelle de la forêt est pourtant préconisée au Maroc depuis des lustres par
    d’excellents textes. Toujours est-il que la situation de la cédraie dans les environs d’Ifrane,
    d’exemplaire au début des années 1990, serait devenue franchement mauvaise à l’heure
    actuelle selon certains observateurs (Milet 2003 ; Peyron 2005) : « Curieusement, la cédraie
    n’a jamais été tant détruite que depuis l’initiative du parc naturel d’Ifrane. Il aura donc suffit
    de parler de développement durable pour que tout disparaisse ! » (Tarrier & Delacre 2006). À
    cet égard, la mort près d’Azrou en 2002 du « cèdre Gouraud », est symptomatique.

    En raison de l’affluence touristique qu’ils provoquent, c’est malheureusement le cas de bien
    des sites, victimes de leur succès, qui subissent des atteintes environnementales avec
    apparition notamment d’un niveau dit ‘poubellien’. Succès dont ils risquent de ne pas se
    remettre : Asif Tizguit (Val d’Ifrane), Agelmam Sidi Ali, sources de l’Oum er Rbia, Agelmam
    Azigza, cascades d’Ouzoud, lac de Tislit, gorges du Todgha (Milet 2003), etc.

    Ce qui est valable pour la forêt de cèdres l’est également pour la faune animalière et aviaire.
    Le petit gibier ailé (perdrix) est exposé à une chasse dévastatrice. Aujourd’hui, pour lever
    quelques sujets isolés, il faut fouiller le fin-fond de l’Atlas. De plus, l’utilisation inconsidérée
    du poison et des pesticides a provoqué l’effondrement des peuplements de chacals
    (élimination voulue par des éleveurs soucieux de sauvegarder leurs troupeaux) et de rapaces,
    ce qui est bien plus grave, ces oiseaux (aigles, buses, milans et vautours) étant fort utiles sur le
    plan écologique. Certaines espèces, tels le très emblématique gypaète barbu, ont pratiquement
    disparus ; au point que l’apparition récente (2006) d’un isolé juvénile dans l’Ayyachi est
    saluée comme un évènement.

    Comment, dans ces conditions, pouvoir aspirer à élever certaines zones en réserves, voire en
    parcs nationaux ? Surtout lorsque l’on sait qu’un site Ramsès protégé, mondialement célèbre
    chez les ornithologues, comme le lac d’Afennourir, près d’Azrou, peut faire impunément
    l’objet de braconnage (Peyron 2004). Situation provenant d’un seul fait : le Maroc est, certes,
    un état de droit, mais ce dernier ne peut valablement s’appliquer, selon les lieux, qu’en
    fonction d’un certain nombre de facteurs institutionnels – volonté des autorités locales de faire
    respecter le règlement, rondes des agents forestiers, etc.

    Pendant les années 1990, il est vrai, on nous a parlés de projets de parcs nationaux : dans le
    Haut Atlas Oriental – à créer autour des mouflons de Tirghist – ainsi que dans les environs
    d’Ifrane (Billand 1996), sans que ces projets ne soient passés à la phase de concrétisation.
    Dans le deuxième cas, malgré l’ouverture de deux ou trois gîtes ruraux adaptés au tourisme
    « vert », on a pu noter certains cas d’inadéquation entre hébergement offert et activités
    annexes proposées, comme pour la refonte totale de l’Hôtel Michliffen à Ifrane : pour quelle
    clientèle et pour quoi faire ? Du ski, sans doute ?

    Le patrimoine culturel est, lui aussi, en péril. Les igherman qui représentaient le côté noble de
    l’architecture amazighe sont actuellement négligés. Soit, on les laisse tomber en ruines –
    spectacle navrant (Imilchil) – soit, on construit à côté en ciment et/ou en briques de ville. Des
    villages de l’Atlas marqués par cette mutation architecturale perdent ainsi l’essentiel de ce qui
    faisait leur charme aux yeux des visiteurs étrangers.



    <o:p></o:p>

    On assiste par ailleurs au galvaudage du folklore, surtout lorsqu’il s’agit de danses organisées
    de façon répétée dans le seul but de distraire des touristes de passage « curieux et non
    avertis » (Chegraoui 2000), ceci étant particulièrement le cas à Imilchil. L’ahidus, danse
    emblématique des Imazighen, est dépréciée lorsque des jeunes se produisent en jean et
    blouson de cuir, la cigarette « au bec » (observé à Taghighacht, Ayt Hadiddou, en octobre
    1997). Peu étonnant qu’un barde (amdyaz) dénonce :-




    <o:p></o:p>

    « Ces jeunes qui boivent, fument, se laissent pousser de longues mèches, <o:p></o:p>

    Et qui d’alcool se remplissent la panse en plein milieu de la danse ! » (Peyron 1993) <o:p></o:p>


    Dans le Moyen Atlas, chez des populations habitant autrefois sous la tente – situation qui se
    prêtait parfaitement à l’accueil des hôtes de passage – l’hospitalité tend à disparaître, dès lors
    que la modernité veut que l’on se calfeutre dans des maisons en brique, clôturées de surcroît.
    Avec le bâti, la méfiance est apparue. Pratique censurée, là aussi, par l’amdyaz :-




    <o:p></o:p>

    « Celui qui vit au loin nous ne l’aimons point, <o:p></o:p>

    Contre nos voisins nous nous barricadons ! » (Peyron 1993) <o:p></o:p>


    Actuellement, si la fréquentation touristique sous sa forme « trekking » présente un côté
    positif pour les familles impliquées, elle comporte de nombreux inconvénients. Une
    hospitalité galvaudée se trouve réglementée, mise sous tutelle. Dès lors qu’une région de
    l’Atlas est régulièrement fréquentée par des touristes, en matière d’hébergement, l’obligation
    est faite aux randonneurs de s’adresser à un gîteur attitré, pour peu qu’il en existe un dans le
    village. Ceci n’est évidemment pas applicable aux trekkeurs ayant fait le choix de coucher à la
    belle étoile.

    Alors qu’il est perçu comme positif du seul fait qu’il injecte de l’argent dans l’économie
    locale, voyons quels sont les effets pervers du tourisme de montagne. Parmi les plus
    importants on peut dénombrer les suivants :-



    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    la manne touristique ne bénéficie qu’à une minorité de locaux : fils de notables,
    accompagnateurs, muletiers, gîteurs – d’où émergence d’une nouvelle élite, renforçant
    ainsi les clivages sociaux ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    lorsque dans une famille les fils sont impliqués dans l’activité touristique, cela affaiblit
    l’autorité du paterfamilias (Lecestre-Rollier 1997) ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    à force de former des accompagnateurs au CFAMM de Tabant, Ayt Bou Guemmaz,
    on a dépassé la demande, certains éléments ayant dû renoncer à ce métier faute de
    clientèle, ou préférant émigrer à l’étranger après avoir épousé une de leurs clientes ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    baisse de qualité chez certains de ces accompagnateurs, lesquels, issus du milieu
    citadin (« les guides plastiques », selon un ancien), connaissant moins bien la
    montagne que les fils de montagnards tamazightophones du recrutement initial ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    des monopoles de muletiers (comme à Ayt Bou Guemmaz), agissant pour le compte
    des Tour Operators, continuent à rayonner sur l’ensemble des massifs, créant, là où ils
    passent, des sentiments de manque à gagner ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    des incidence fâcheuses sont provoquées sur l’activité agro-pastorale par l’emploi
    massif de mulets à des fins touristiques en période estivale : manque de fourrage,
    retards dans la moisson, sans parler des cultures délaissées au profit du seul
    accompagnement des trekkeurs ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    le syndrome du visité : gamins opportuns et quémandeurs (« Stylo, bon-bon,
    Monsieur ! »), encouragés par le comportement stupide de certains touristes (années
    1990) ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    le passage des caravanes touristiques provoque des nuisances : piétinement de
    cultures, utilisation de bois pour feu de campement, déchets laissés sur lieux de
    bivouac, etc. ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    le passage des caravanes attise des convoitises ; on signale des cas de larcins, voire
    d’agressions (Galley 2004);
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    la commercialisation dénaturée de certains gîtes – évolution fâcheuse de l’hospitalité
    traditionnelle amazighe – reflète un souhait de la part des visiteurs de retrouver à
    l’étape leur petit univers de bonne humeur et de confort, se distanciant ainsi du milieu
    ambiant qu’ils n’appréhendent qu’à travers le prisme déformant et réducteur du
    folklore ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    du reste, pendant la durée du voyage, chaque trekkeur a tendance à vivre à l’intérieure
    de sa bulle ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    là où il n’y a pas d’eau courante, le souci qu’a le trekkeur de prendre sa douche
    quotidienne chaque soir oblige femmes et filles de gîteurs à effectuer des corvées
    d’eau répétitives et harassantes;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    l’inadéquation des mesures visant à réduire l’écart socio-culturel entre accueillants et
    accueillis, l’interaction entre les deux parties demeurant quasiment nulle, tandis que
    les atteintes à la vie traditionnelle se multiplient ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    en somme, et pour l’essentiel, loin d’être des acteurs à part entière, les montagnards
    continuent à se faire exploiter à distance par des technocrates étrangers à leur milieu,
    et qui leur expédient plus de 20.000 trekkeurs par an !
    <o:p></o:p>


    Tout cela équivaut à un constat plutôt accablant. Trop longtemps le laissez-faire a sévi dans
    l’Atlas, exposant les populations à une véritable pollution culturelle mise en place par des
    Tour Operators peu scrupuleux et inspirés par la seule loi du marché. L’auteur de ces lignes a
    d’ailleurs depuis longtemps adopté une position très critique sur ce sujet (Peyron 2006).

    5/ Actions à entreprendre
    <o:p></o:p>

    Tout d’abord il y aurait lieu d’engager un important effort pédagogique, dès l’école
    maternelle, afin que la jeunesse marocaine, qu’elle soit citadine ou campagnarde, ait à cœur
    de préserve son irremplaçable patrimoine naturel. La sensibiliser davantage à propos des
    déchets, le plastique surtout ; cela passe également par le respect de l’environnement (plantes,
    arbres et animaux) ; chercher, aussi, à économiser l’eau, à trouver d’autres formes d’énergie
    afin d’épargner la forêt ; mener auprès des lycéens des actions pratiques dans ce sens. Cela
    n’a rien de nouveau et cela se fait à Ifrane chaque année début-Juin, à la discrétion du CEIRD
    de l’Université Al-Akhawayn, il convient de le souligner.

    Toutefois, depuis des années on entend parler en France, comme au Maroc de la tenue de
    colloques sur l’environnement. À l’issue de ces rencontres, bercés par un doux ronronnement
    consensuel, les participants portant cravate et complet-veston se séparent persuadés qu’en
    matière de sauvegarde de la cédraie, du seul fait qu’ils en aient débattu, qu’ils aient publié de
    pieuses déclarations d’intention (à grand renfort de « y’a qu’à ! »), tout va s’arranger. Cela
    dure depuis des années et rien ne change; c’est peut-être ça, la fameuse « imposture verte »
    dénoncée par certains, faite de gargarismes et de gesticulations.



    <o:p></o:p>

    Il conviendrait, également, d’inviter certains responsables nationaux issus de la grande
    bourgeoisie, à modifier leur complexe de supériorité envers le monde rural, afin qu’ils
    consentent à faciliter un développement convivial, intégré et suivi en faveur des zones
    montagneuses de leur pays. Cela aboutirait, à n’en point douter, à des actions efficaces visant
    à sauvegarder le patrimoine architectural et culturel, à l’instar du geste de Mohammed Chafik,
    ancien Recteur de l’IRCAM, qui, ayant reçu un prix en argent d’une fondation allemande, n’a
    pas hésiter à le partager entre « Lesieur » des Ayt Yahya et d’autres bardes amazighes de la
    montagne, afin de promouvoir leur production artistique.

    Quant à la future richissime clientèle de l’Hôtel Michliffen à Ifrane, il lui faudrait des
    domaines skiables digne du nom. Cela impliquerait une revalorisation des possibilités
    actuelles ; l’ouverture de nouvelles pistes de ski de descente (Hayyane, Koubbat, Sidi Mguild,
    etc.) ; la constitution des réserves collinaires pour fabriquer de la neige de culture (ce qui peut
    s’avérer écologiquement discutable), sans oublier les chemins de raquette et de ski de fond ;
    l’organisation d’animations et d’activités loisirs, la création d’unités de restauration et
    d’hébergement adéquates.

    En ce qui concerne, le tourisme montagnard il y aurait lieu :-



    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    d’entreprendre des actions en amont, au niveau de l’éducation des touristes, afin
    d’éviter les comportements gênants aux yeux des riverains ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    limiter quelque peu la fréquentation, en privilégiant un tourisme rural diffus afin
    d’éviter le phénomène de saturation, auto-destructeur par excellence ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    faire prendre conscience aux populations qu’il est dans leur intérêt de préserver le
    cadre bâti traditionnel, ainsi que la faune, la flore de leur haut-pays, étant donné
    l’attrait qu’exerce ce patrimoine naturel sur les adeptes du tourisme « vert » ;
    <o:p></o:p>

    -<o:p></o:p>

    tenter de « dé-fokloriser » la montagne amazighe afin que les Imazighen deviennent
    un peu moins des articles de consommation, et participent pleinement à un réel
    tourisme de culture, de rencontre ; formule qui continuera à relever de la « quadrature
    du cercle », tant que des considérations bassement financières demeureront les seuls
    critères. Si celles-ci restent en vogue, d’ailleurs, c’est leur côté auto-destructeur qui
    aura le dernier mot !
    <o:p></o:p>


    Si le tourisme « vert », principal atout de nos régions, peut apporter quelque bien-être, tant
    mieux. Le Moyen Atlas et le Haut Atlas Oriental demeurent des zones marginalisées, celles
    que l’on qualifie parfois à voix feutrée de « Maroc inutile », dont les petits centres sont
    peuplés de « parasitaires oisifs », la campagne alentour étant livrée à un pastoralisme pour
    l’essentiel entre les mains de propriétaires-éleveurs absentéistes (Kerbout 1994). Ainsi, en
    marge des circuits de tourisme pédestre, ou équestre, il serait bon qu’un apport d’argent frais
    puisse revivifier les échanges, afin que les locaux puissent tirer meilleur parti de leur
    patrimoine. Ceci apporterait une note d’espoir à certaines populations désabusées qui
    attendent une problématique embellie en se bernant de prophéties maraboutiques, cristallisées
    autour de Lenda, site d’épopée et mythique capitale du futur, du genre :-




    <o:p></o:p>

    « Un jour rebâtie revivra Lenda, avec
    Carreaux et marbres, avec Fès rivalisera! » (Roux & Peyron 2002)
    <o:p></o:p>


    Quant aux sites de mémoire historique, qu’il convient de respecter, il est certainement urgent
    de ne rien faire. D’autant plus qu’ils sont susceptibles de continuer à intéresser au premier
    chef une clientèle nationale, plutôt que d’être exposés au voyeurisme de badauds étrangers.
    <o:p></o:p>

    Sans doute la meilleure solution serait-elle de les laisser se développer grâce à des initiatives
    locales fort bien rodées, parfaitement adaptées aux besoins des populations, le cas du
    Tazizaout étant exemplaire : sentier et source régulièrement entretenus et aménagés, huttes en
    bois pour héberger les pèlerins, et pas un seul déchet ! Toute tentative de « makhzéniser » ce
    genre de site n’aboutirait qu’à l’apparition d’escaliers en marbre, de fontaines en zelliges, de
    cafés douteux avec pignon sur rue et emballages plastiques, portant atteinte au lieu ainsi qu’à
    sa sacralité.

    6/ Conclusion
    <o:p></o:p>


    Prévue afin de faire fasse à une montée en puissance de la fréquentation touristique dans
    l’Atlas pendant les années 1980, la phase initiale de l’équipement de la montagne marocaine
    s’est traduite par la formation d’accompagnateurs et l’implantation de gîtes. Tel qu’il est, ce
    programme paraît avoir répondu aux attentes ; ces dispositions pourraient, aussi, s’avérer
    suffisant pour satisfaire la clientèle dans un avenir prévisible. Il n’empêche que cette
    démarche, pour louable qu’elle soit sur le plan économique, comporte quelques côtés pervers,
    lesquels, à long terme, pourraient paradoxalement porter préjudice au patrimoine que l’on
    entend exploiter et protéger. Peut-être a-ton procédé avec une précipitation excessive, sans
    évaluer les risques pour le patrimoine que comportait cette opération. Problématique se situant
    également au niveau des rapports entre visiteurs et visités, liée à l’impact du plus grand
    nombre et aux comportements aux effets parfois délétères des touristes, aussi bien
    intentionnés soient-ils. En définitive, donc, la solution passe par la recherche de solutions
    mûrement réfléchies, à l’issu de concertations horizontales et verticales, afin d’obtenir
    l’accord de l’ensemble des acteurs impliqués.



    <o:p></o:p>

    Michael PEYRON <o:p></o:p>

    Université Al-Akhawayn <o:p></o:p>

    Ifrane<o:p></o:p>



    RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

    BARBAUD C. & M., 2005 ; Maroc : lumières de l’Atlas, Études & Communications
    Éditions, Bez-et-Esparon.
    BENABID A., 1995, « Les problèmes de préservation des écosystèmes forestiers marocains
    en rapport avec le développement socio-économique », L’Afrique du Nord face aux menaces
    écologiques (BENCHERIFA A. & SWEARINGEN W.D., éds.), Fac. des Lettres, Rabat, série
    colloques & séminaires, n°50: 109-124.
    BENCHERIFA A. & JOHNSON D.L., 1993, “Environment, population pressure and resource
    use strategies in the Middle Atlas mountains of Morocco”, African Mountains and Highlands:
    resource use and conservation (BENCHERIFA A., éd.), Fac. des Lettres, Rabat, série
    colloques & seminaries n° 29: 101-121.
    BEN LAHCEN M., 2003, Moha ou Hamou Zayani: l’âme de la résistance marocaine à la
    pénétration militaire française dans le Moyen Atlas (1908-1921), Fès, Info-Print.
    BERRIANE M., 1993, « Le tourisme de montagne au Maroc », Montagnes et Hauts-Pays de
    l’Afrique : utilisation et conservation des ressources, (BENCHERIFA A., éd.), Fac. des
    Lettres, Série colloques & séminaires, n°29 : 391-403.
    BILLAND A., 1996, « Développement touristique des parcs de montagne au Maroc :
    principes de zonage et d’aménagement » <script language=JavaScript> if(window.yzq_p==null)document.write("<scr"+"ipt language=javascript src=http://l.yimg.com/d/lib/bc/bcr_2.0.4.js></scr"+"ipt>"); </script> <script language=JavaScript src="http://l.yimg.com/d/lib/bc/bcr_2.0.4.js"> </script> <script language=JavaScript> if(window.yzq_p)yzq_p('P=wKmpUEgeuji9wDoHxQfc8AGsXbAGQ0m3hg8ABVam&T=13tl46iki%2fX%3d1236764176%2fE%3d2114716025%2fR%3dfrsrcgsp%2fK%3d5%2fV%3d1.1%2fW%3dJR%2fY%3dFR%2fF%3d3681887887%2fS%3d1%2fJ%3d4EBA1E48'); if(window.yzq_s)yzq_s(); </script>
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    http://www.asays.com/article.php3?id_article=13


    apercu socio-linguistique sur l’amazigh au Maroc

    jeudi date_jnum21 février 2004, par lahcen


    Aperçu socio-linguistique sur l’amazighe au Maroc : une identité plurimillénaire Publié le : dimanche 29 juin 2003.

    Pour mieux comprendre la situation sociolinguistique actuelle de l’Amazighe en Afrique du Nord, et plus précisément au Maroc, il est important de commencer par considérer le volet historique de cette langue. Les berbères sont les premiers habitants de l’Afrique du Nord (voir Ayache 1964, Julien 1972, Pascon 1977 et Laroui 1977, parmi d’autres).

    Les royaumes berbères couvraient les territoires allant de l’Egypte jusqu’au sud marocain. De nombreuses civilisations berbères se sont succédées en Afrique du Nord jusqu’au septième siècle après Jésus Christ. L’identité berbère est donc pluri-millénaire et, par conséquent, constitue une composante de base de l’histoire de toute l’Afrique du Nord. Les travaux anthropologiques, archéo-logiques, sociologiques et linguistiques démontrent cette réalité.

    L’arrivée de la première vague des arabes musulmans pendant le premier siècle de l’Hégire a constitué un tournant décisif dans l’histoire de la civilisation berbère sur tous les plans, notamment les plans religieux, culturel et linguistique. Les arabes ont introduit une nouvelle religion, l’Islam, une nouvelle langue, l’arabe, et une nouvelle culture, la culture arabo-musulmane. Volet historique Les royaumes et dynasties berbères ne se sont pas éteints avec l’installation des arabes en Afrique du Nord. Pendant toute la période qui sépare l’arrivée des arabes et le Moyen Age, beaucoup de dynasties berbères ont pris le pouvoir dans cette partie du monde. Trois d’entre elles méritent d’être citées : (1) les Berghouatas, (2) les Almohades et (3) les Almoravides. Pendant les règnes de ces dynasties, le berbère était utilisé dans tous les domaines. Cette langue était écrite en lettres arabes jusqu’au douxième siècle. D’après Chaker (1984), il y avait des textes juridiques, scientifiques et théologiques rédigés en berbère pendant cette période. En outre, le Coran a été traduit en berbère pendant cette période. Cependant, le véhicule officiel écrit des monarques berbères a toujours été l’arabe classique. Au long des siècles, le contact berbère-arabe a progressivement donné lieu à une forme de civilisation et culture hybrides. Cette civilisation a atteint aujourd’hui un tel degré de fusion qu’il est parfois difficile de qualifier quelques uns de ses aspects de purement berbères ou de purement arabes. En outre, des tribus berbères, comme les Ben Yazgha et les Doukkala, ont été complètement arabisées, et des tribus arabes, comme les Aït Seghrouchen, ont été complètement berbérisées. Mais durant des siècles, certaines tribus berbères sont restées intactes dans les régions montagneuses du Grand Atlas et du Rif. Le processus de l’islamisation et, par conséquent, de l’arabisation dans le sens linguistique du terme, a engendré la propagation du bilinguisme berbère-arabe. Ce type de bilinguisme est le résultat de deux facteurs essentiels : d’une part, la propagation de l’arabe dialectal qui s’est infiltré en Afrique du Nord par l’intermédiaire des soldats pendant le huitième siècle, et d’autre part, l’arrivée au douxième siècle d’arabes musulmans qui ont apporté avec eux une culture de "haute société", un type d’arabe dit "classique" ou "standard" et de "bonnes normes" d’apprentissage littéraire et coranique. L’interpénétration la plus importante des cultures berbère et arabe a eu lieu pendant les onzième, douxième et treizième siècles et était, de part sa nature, vouée à imprégner d’une façon définitive les sociétés nord africaines. Aujourd’hui, le bilinguisme berbère-arabe est l’un des traits les plus caractérisants de cette région du monde. Cette situation est rendue plus complexe avec l’arrivée des français au dix-neuvième et vinghtième siècles. Cette arrivée a naturellement occasionné la propagation de la langue française dans cette région. L’espagnol et l’anglais se sont ajoutés et le résultat est l’émergence d’une situation multilingue des plus complexes mais aussi des plus intéressantes. Volet Linguistique D’un point de vue synchronique ou actuel, les sociétés de l’Afrique du Nord sont multilingues. Quatre langues essentielles se partagent le champ linguistique dans cette région du monde : (1) l’arabe standard, (2) l’arabe dialectal, (3) le berbère et (4) le français. Les trois premières langues sont des langues nationales, alors que le français est une langue étrangère. A part ces quatre langues, l’anglais et l’espagnol sont aussi utilisées en Afrique du Nord, mais leur statut social n’est pas aussi avantageux que celui du français. Notons, cependant, qu’il y a une nette montée de l’anglais dans le Maghreb surtout dans le domaine de l’enseignement (voir Sadiqi 1991). Bien que l’arabe standard, l’arabe dialectal, le berbère et le français intéragissent dans la vie quotidienne des citoyens, leur emploi est souvent dicté par les propriétés sociolinguistiques qui leur sont propres. En d’autres termes, chacune de ces quatre langues a une valeur sociolinguistique déterminée qui émane de la nature des domaines dans lesquels elle est utilisée, ainsi que des fonctions qu’elle assure. Ceci s’explique par le fait que la coexistence de plusieurs langues dans une société donnée fait que généralement chacun des groupes parlants ces langues déploie des stratégies bien définies pour gagner le plus de valeurs matérielles et symboliques possibles (voir Bourdieu 1982 et Boukous 1995). En Afrique du Nord, il y a d’abord deux langues standards qui sont utilisées dans des domaines symboliquement et socialement prestigieux : l’arabe standard et le français. L’arabe standard est la langue normalisée, la langue officielle, la langue de la religion, la langue du pouvoir (exécutif, législatif et juridique), la langue de l’enseignement et la langue des médias. Parmi ces domaines, c’est le domaine religieux qui donne plus à l’arabe standard son statut prestigieux. Les nord africains (berbères et arabes) sont musulmans et, par conséquent, considèrent l’arabe comme étant la langue sacrée et le véhicule de l’Islam. De ce fait, l’arabe standard est ipso facto la lingua franca par excellence dans tout le monde arabo-musulman. Bien que le français soit une langue étrangère, il est considéré comme une langue "seconde" et, de ce fait, relègue l’anglais et l’espagnol au niveau des langues purement étrangères. Le français véhicule la modernité, l’ouverture, le savoir et le savoir-faire. Les valeurs symboliques et sociales associées à ces aspects du français sont souvent valorisées et engendrent une attitude plutôt positive envers cette langue bien que les séquelles de la colonisation soient toujours plus ou moins ressenties dans les sociétés maghrébines (voir Ennaji 1991). En plus des deux langues standarisées, il y a deux langues maternelles en Afrique du Nord : l’arabe dialectal et le berbère. L’arabe dialectal varie d’un pays à un autre et parfois d’une région à une autre dans un même pays, mais partout dans le monde arabe, il est en situation diglossique avec l’arabe standard : alors que ce dernier est utilisé dans les domaines-clés, l’arabe dialectal est utilisé dans les domaines informels et transactionnels, ainsi que dans les médias "populaires". Quant au berbère, il est parlé dans l’aire géographique qui s’étend de l’Oasis de Siwa et d’Augilia en Egypte jusqu’au sud marocain, mais c’est en Afrique du Nord, plus précisément en Algérie, et surtout au Maroc, que se trouve la plus grande communauté berbérophone. En effet, c’est le Maroc qui compte le plus grand nombre de berbérophones dans le monde. Les autochtones de ce pays parlent le berbère qui continue à survivre malgré la succession des civilisations punique, romaine, vandale, byzantine et arabe. La survie actuelle du berbère est essentiellement due à la force et au dynamisme qui caractérisent les langues maternelles. La population berbère n’est pas concentrée dans une zone bien déterminée ; elle s’agglomère dans des zones discontinues. On peut cependant isoler quatre groupes majeurs : (1) le Maroc qui compte le plus grand nombre de berbérophones (50% de la population d’après Boukous 1995), (2) l’Algérie où 25% de la population est berbère d’après Chaker (1990), (3) les populations touaregs des pays sud-sahariens du Niger, Mali et Lybie et qui s’élévent à 1 million et (4) des populations éparpillées en petits groupes en Tunisie (environ 100.000), en Mauritanie (environ 10.000) et à Siwa en Egypte (environ 30.000) d’après Chaker (1990) .

    Note * Professeur de l’Enseignement Supérieur. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès 1. Les sociolinguistes contemporains considèrent qu’il y a trois types d’arabe : (1) l’arabe classique ou l’arabe du Coran et de la littérature pré-islamique, (2) l’arabe standard ou littéraire, qui est utilisé dans les domaines-clés comme le gouvernement et les médias, et (3) l’arabe dialectal qui varie plus ou moins selon les pays arabes.

    Par Fatima Sadiqi* pour lematin.ma

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    A lire aussi:

    Arabized Tribes


























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  • Beni Yazgha

    Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

    Beni Yazgha[1] sont une branche de la grande tribu des Zénètes et cohabitaient avec la tribu des Zouagha. Selon les différentes références bibliographiques, ils ont habité Fès au moment de la création de la ville sur la rive droite (qui allait devenir la Rive des Andalous plus tard).

    Les chroniques anciennes rapportent que Idriss II leur aurait acheté leur terre en 191/807. Léon l'Africain dans son livre Description de l'Afrique fait beaucoup d'éloge pour cette tribu et présente les Beni Yazgha comme étant une tribu très évoluée et fait part de la qualité de leur produits et leurs valeurs sur les marchés de la médina de Fès. Il évoque aussi une des inventions pour traverser le fleuve du Sebou, " une idée géniale ".

    Les yazghi se trouvent actuellement :

    • à Beni Yazgha(la tribu actuelle) près des sources du Sebou
    • Le quartier Ben Seffar à Sefrou.
    • à Fès les Yazghi, les Berrada[2], les Serghini, les Zouitni, les Bougrini, les Dounasse, les Mghili...

    La tribu des Beni Yazgha a été largement cité dans les chroniques de certains grands voyageurs.

    Notes [modifier]

    1. arabe : banī yāzḡa, بني يازغة)
    2. Leur origine n'est pas connu avec exactitude, selon les versions, ils seraient d'origine andalouse, arabes (du fleuve Barada à Damas), berbère (de la tribu Beni Yazgha)

    Lien externe [modifier]


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