• Les potentialités de développement du Moyen-Atlas<o:p></o:p>

    oriental et leur appréciation par les acteurs locaux<o:p></o:p>

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    Boutayeb Tag<o:p></o:p>

    Université de Fès, Faculté des Lettres de Saïs-Fès, Département de Géographie<o:p></o:p>

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    REVUE DE GÉOGRAPHIE ALPINE 1996 N° 4<o:p></o:p>

    05-Tag 9/03/04 14:26 Page 51<o:p></o:p>

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    Introduction<o:p></o:p>

    Le Moyen-Atlas est composé de deux parties situées de part et d’autre d’une ligne suivant l’accident Nord moyen-atlasique et allant de l’oued Guigou, au sud-ouest, à la sortie de la montagne de l’oued Melloulou, au nord-est. Le Moyen-Atlas oriental, dont il est question ici, se situe à l’est de cette ligne (fig. 1). Structuralement, cette partie correspond au Moyen-Atlas plissé, constitué de cinq alignements de plaines synclinales séparées les unes des autres par quatre axes anticlinaux. Le tout est façonné dans les séries calcaires et marno-calcaires essentiellement jurassiques. La succession de ces alignements se fait d’ouest en est de la manière suivante : plaine de Guigou, suivie des Jbels Taboujbart, Bouigadar (1 848 m), Tajda (1 942 m) ; plaine de Skoura et synclinal de Bouangar, suivis de l’anticlinal des Jbels Tichoukt (2 794 m), Oudiksou (2 300 m) et Habbou (2 455 m) ; ride du Jbel Bou Iblane ; synclinal de Talzemt, Imouzzer Marmoucha, Njil ; ligne des Jbels Irhezdis, Bou Naceur (3165 m), Tsiwant (2304 m), Tafagourt (2112 m), Oughilas (2053 m), qui dominent la plaine de la Moulouya.

    Dans cette région montagneuse accidentée les précipitations sont comprises en moyenne entre plus de 800 mm par an à l’ouest, et moins de 200 mm seulement à l’est. Les chutes de neige peuvent survenir entre octobre et mai sur les sommets les plus élevés de la région.

    Selon le dernier découpage administratif (1993), l’espace montagnard étudié est subdivisé en 13 communes rurales (dont 11 appartenant à la Province de Boulmane et 2 seulement à la Province de Taza) et 2 communes urbaines (fig. 2). Au dernier recensement général de population (1994), ces 13 communes rurales totalisent 88263 habitants alors que la population urbaine n’est que de 11 515 habitants (6 067 pour la municipalité de Boulmane et 5448 pour le centre urbain de Guigou).

    Les populations majoritairement berbérophones de cette région (Aït Youssi, Marmouchas et Aït Waraïn) ont pendant longtemps souffert des conditions naturelles difficiles, de l’enclavement et des bouleversements des structures socio-économiques et spatiales.

    Ainsi une situation de crise et de stagnation a-t-elle profondément marqué la société et l’espace du Moyen-Atlas oriental. Cependant, ici et là, l’espoir d’un développement local est apparu depuis peu, grâce à de multiples initiatives et à une nouvelle appréciation des potentialités de la région par les acteurs locaux.

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    1. Les aspects de la crise dans le Moyen-Atlas oriental<o:p></o:p>

    Les campagnes moyen-atlasiques ont en général profondément souffert des effets de la déstructuration socio-spatiale. En effet la dissociation des zones de bordures (dirs et piémonts) et des zones de montagne ainsi que la perte d’homogénéité du système de production d’autrefois (Jennan L., 1989) ont beaucoup perturbé l’évolution de la société locale. Le Moyen-Atlas oriental, plus pauvre que le reste du massif à cause de son relief accidenté et de sa sécheresse, n’avait comme principale ressource économique que l’élevage. Or l’activité pastorale a fortement régressé, pour plusieurs raisons que nous rappellerons brièvement dans l’analyse des manifestations de la crise affectant les espaces ruraux de cette région de montagne.

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    LE RELÂCHEMENT DES LIENS ENTRE LA SOCIÉTÉ TRIBALE ET LESPACE PASTORAL<o:p></o:p>

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    Les origines de ce relâchement remontent à la période coloniale, quand la délimitation des espaces pastoraux des tribus a été faite d’une manière arbitraire par la conspiration de certains chefs de tribus cherchant à défendre des intérêts personnels. L’intervention de sociétés forestières pour l’exploitation des forêts de cèdres – ou des autres espèces d’arbres– ainsi que le passage des espaces forestiers du domaine collectif au domaine de l’Etat, ont évincé progressivement l’exploitation pastorale de vastes superficies. Face à ces interventions les populations montagnardes ont réagi brutalement par le déboisement clandestin, soit pour agrandir leurs terroirs agricoles, soit pour tirer des profits complémentaires du bois des forêts qui ne leur appartenaient plus.

    La disparition progressive des mouvements de transhumance a entraîné le relâchement des liens entre les populations pastorales et certaines parties de leurs territoires de parcours. Ainsi le piémont oriental de la montagne a été progressivement perdu pour la transhumance des Marmouchas, Aït Hassan, Tsiwant et Aït Ali parce que la délimitation des nouvelles communes rurales de cette région décourageait les pratiques traditionnelles de la transhumance en vigueur dans ces tribus. Même à l’intérieur du domaine montagnard les mouvements pastoraux de jadis ont beaucoup régressé, pour plusieurs raisons :

    fortes contraventions pour des pacages non réglementaires sur des espaces forestiers, sédentarisation des populations pastorales, extension anarchique de la céréaliculture (plaine de Serghina), plantations de rosacées (plaines d’Almis Marmoucha et Njil), projets d’aménagement agricole (plaine de Skoura) et reboisement d’une partie des plaines autrefois connues pour leur vocation pastorale (plaines d’Imi ou Allal). Le tableau n° 1 donne une idée de la diminution du nombre des tentes de pasteurs dans la plus grande partie des communes rurales de l’espace étudié.

    L’intervention de l’Etat dans le domaine du collectif tribal est devenue très forte pour assurer une meilleure mise en valeur de ces terres et éviter les spoliations illégales. A ce titre, l’Etat peut soutenir et encourager tout investissement agro-pastoral sérieux de

    longue durée sur une partie d’un terrain collectif après accord des ayants droit. Enfin l’exode d’une partie de la population montagnarde qui caractérise, comme nous le verrons plus loin, la démographie de cette région, est dû sans doute à la faiblesse des moyens de subsistance, mais aussi à l’éclatement des grandes familles patriarcales (Kerbout M.,1989). Cette mobilité de la population aggrave le relâchement des liens avec le territoire collectif pastoral à un moment où s’achève la disparition de la vieille génération (pères et grands-pères de la première moitié de ce siècle) qui était très attachée au patrimoine collectif. La nouvelle génération s’est désintéressée aussi bien de l’activité pastorale à la manière d’autrefois que de son foncier collectif dont elle va jusqu’à perdre la mémoire et ignorer les limites!

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    L’ENCLAVEMENT<o:p></o:p>

    Plus que d’autres régions du Moyen-Atlas la partie orientale souffre encore d’un enclavement très prononcé, sans être totalement marginalisée. A une époque où les conditions de communications, qu’elles soient clandestines ou légales, ne cessent de s’améliorer, il reste difficile de voyager à travers le Moyen-Atlas oriental en dehors des jours de souks organisés ici et là dans la région. La situation déplorable du réseau routier constitue un très gros problème de transports. En dehors d’un seul tronçon de route secondaire goudronnée reliant la route principale Fès-Missour au cœur du Moyen-Atlas oriental (le petit centre urbain d’Imouzzer Marmoucha et le centre rural d’Almis Marmoucha) la région n’est desservie que par des pistes difficiles conduisant aux différents douars et centres ruraux.

    LE DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE DE LA MONTAGNE<o:p></o:p>

    Pour l’ensemble des communes rurales de l’espace étudié (tabl. 1), le taux d’accroissement annuel de la population, pour la dernière période intercensitaire 1982-1994, est devenu négatif: - 1,8% par an au lieu de + 2,6% pour le taux national. Plus de la moitié de ces communes rurales, 7 sur 12, ont enregistré une diminution plus ou moins importante de leurs forces vives : jusqu’à plus de 5 % par an à Berkine qui a vu sa population s’effondrer. Une évolution plus favorable, avec des accroissements pouvant aller jusqu’à 2,4% par an, n’est à signaler que pour 4 d’entre elles.

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    Quels sont les éléments explicatifs d’une telle situation démographique ? Si le taux d’accroissement naturel est encore élevé dans cette région, avec 4,2% par an, la mortalité infantile l’est aussi en raison d’une mauvaise hygiène générale et des conditions de vie difficiles inhérentes au milieu montagnard. D’autre part l’exode rural vers les nouveaux centres urbains situés sur les bordures du bourrelet montagneux est très fort. Cet exode est justifié par la recherche d’une vie quotidienne nettement meilleure en ville : électricité, eau potable, hôpital, scolarisation des enfants etc.

    C’est cette forte émigration vers les centres urbains les plus proches qui explique l’accroissement rapide de la population de toutes les villes petites et moyennes situées en montagne mais surtout sur les bordures de celle-ci (tabl. 2). Globalement la population urbaine a plus que doublé de 1982 à 1994.

    A ces facteurs de dépopulation il y a lieu d’ajouter le recrutement massif des jeunes dans les Forces Armées Royales, la vie de soldat constituant un vieux métier pour les hommes de cette région de montagne (Idil O.,1982), comme dans d’autres massifs montagneux du Maroc d’ailleurs.

    Cette régression de la dynamique démographique peut être considérée comme un facteur négatif pour les potentialités humaines (fuite des jeunes arrivant à l’âge de travail).

    En plus, la mobilité croissante des habitants a eu comme effet un déséquilibre sur la répartition spatiale de la population. Les espaces pastoraux se vident progressivement au profit des vallées et des plaines riches en eau et en cultures. Il en est de même pour les douars les plus isolés de la montagne, comme c’est le cas par exemple chez les Aït Hassan, les Béni Bou Illoul, les Béni Makbel, Ahl Reggou etc.

    Ces différents aspects de la crise, que nous venons de rappeler brièvement, s’inscrivent dans le lent processus des mutations socio-spatiales d’une société berbérophone longtemps restée barricadée dans un milieu montagnard difficile. Aujourd’hui cette société est appelée à prendre en considération les transformations récentes que subissent les fonctions et les activités anciennes de son espace de vie. Une prise de conscience s’impose si on veut sauvegarder le patrimoine économique, social et culturel de cet espace montagnard déshérité qu’est le Moyen-Atlas oriental. Elle nécessite une nouvelle appréciation des potentialités par les acteurs locaux pour permettre le passage de la crise à l’espoir d’un développement local.

    2. Le potentiel de développement<o:p></o:p>

    Les potentialités de développement de la région que nous étudions sont certes assez limitées et peu diversifiées pour des raisons dictées d’abord par un milieu naturel difficile: relief accidenté, climat rigoureux… Cependant les possibilités offertes par la nature, combinées avec la volonté, l’ingéniosité et le savoir faire des habitants de la montagne, peuvent permettre d’espérer un meilleur développement local de la région et une amélioration des conditions de vie des autochtones. Quelles sont ces potentialités?

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    L’EAU ET L’EXTENSION DES SURFACES IRRIGUÉES<o:p></o:p>

    Les eaux de surface, dont l’écoulement est pérenne dans plusieurs rivières de la région, peuvent permettre l’extension des superficies agricoles irriguées dans toutes les communes rurales de la montagne. Les oueds et les sources assurent déjà l’irrigation de plus de 2600ha, mais on estime que plus de 11 000 ha de terres pourraient être irriguées d’une manière pérenne ou saisonnière, réparties en parcelles réduites et éparpillées le long des cours d’eau étroits de la montagne ou dans des dépressions alimentées par des sources (tabl. 3).

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    LA VALORISATION DE L’ESPACE AGRICOLE<o:p></o:p>

    Dans le cadre du système agraire traditionnel, l’activité agricole était basée sur des cultures céréalières d’automne et de printemps et quelques arbres fruitiers très peu rentables. Aujourd’hui les plantations de rosacées ne cessent de faire tache d’huile. Plus rémunératrices, elles constituent désormais un moyen de valorisation de l’agriculture irriguée traditionnelle caractérisant la vieille paysannerie de montagne. En effet, depuis plus d’une décennie, les plantations de pommiers, poiriers, cerisiers etc. attirent, dans le Moyen-Atlas, de plus en plus de capitaux d’origine citadine (Mèknes, Fès…). Les résultats encourageants de telles plantations ont provoqué chez les habitants de la montagne (possesseurs de terre) une prise de conscience des possibilités naturelles favorables aux rosacées. Le «phénomène rosacée» ou encore «la révolution des vergers de rosacées dans le Moyen-Atlas » (Badidi B.,1995) est aussi bien une caractéristique des transformations des pratiques agricoles moyen-atlasiques qu’une nouvelle appréciation des potentialités du milieu naturel montagnard par une partie de ses acteurs locaux: les fellahs.

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    LA MODERNISATION DE L’ÉLEVAGE<o:p></o:p>

    L’élevage lui-même s’adapte progressivement aux nouvelles données de l’économie de marché (engraissement du bétail à l’étable). La société berbère du Moyen-Atlas oriental a été depuis l’origine une société pastorale. Aussi a-t-elle acquis une véritable maîtrise de l’exploitation de l’espace pastoral et une grande diversité des pratiques d’élevage, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Cependant, à côté des pratiques traditionnelles, de nouvelles formes d’élevage se mettent en place, comme l’élevage avec stabulation et l’introduction de vaches laitières de pure race.

    Ces transformations que connaît le secteur de l’élevage s’inscrivent dans deux types d’évolution de la société pastorale en général, moyen-atlasique en particulier. Le premier aspect est celui de la sédentarisation des semi-nomades. Qu’elle soit forcée ou voulue (Tag B.,1985), la fixation des éleveurs nomades est liée à l’évolution des sociétés pastorales soumises aux effets de la « modernisation », de l’aménagement territorial et de l’économie de marché. Les implications socio-culturelles du processus de sédentarisation sont nombreuses: ce sont, soit une reconversion en direction de l’agriculture, qui est un mode d’insertion adapté et sûr (Skounti A.,1995), soit un départ vers les villes et l’insertion est alors très problématique, avec toute chance de se révéler inadaptée et catastrophique (Tag B., 1987). Le second aspect est lié au premier dans la mesure où l’espace pastoral est une source complémentaire pour la nourriture du bétail, même dans le cadre d’un élevage extensif où la part du troupeau servant à la reproduction ou celle destinée à la commercialisation nécessitent une alimentation d’appoint qui doit être achetée (orge en particulier).

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    LE DÉVELOPPEMENT DE LA PLURIACTIVITÉ<o:p></o:p>

    Dans le nouveau contexte de la diversification des ressources familiales, la pluriactivité en milieu rural se développe. Elle est même devenue une nécessité permettant d’une part de surmonter les problèmes du chômage, et d’autre part de diversifier les chances de travail dans un milieu longtemps voué à la monoactivité agro-pastorale. La pluriactivité occupe une partie importante des jeunes, aussi bien en milieu rural (coupe du bois, distillerie du romarin, travaux des chantiers de la Promotion Nationale, forage de puits etc.) que dans les centres urbains (commerce sans local, travaux du bâtiment et autres petits boulots de survie comme la vente des cigarettes au détail etc.).

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    3. Les acteurs locaux et les modalités d’appréciation des potentialités
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    de développement<o:p></o:p>

    Dans une région de montagnes pauvres comme celle dont nous parlons, la plupart des ressources sont liées soit à l’exploitation directe du milieu naturel, soit à l’exploitation agro-pastorale. Mais les modalités d’appréciation varient selon les trois principaux types d’acteurs locaux : la population active, les collectivités locales et les décideurs-gestionnaires de l’Etat.

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    LES DÉCIDEURS-GESTIONNAIRES DE L’ETAT<o:p></o:p>

    Ce sont les différents services intérieurs et extérieurs des Provinces qui, dans le cadre de la politique de développement définie et impulsée par les administrations centrales, encouragent par de multiples actions le développement local, notamment au niveau communal. Le cas de la province montagneuse de Boulmane nous semble très significatif de l’action territoriale menée par les pouvoirs publics. Ici les modalités d’appréciation des potentialités locales s’expriment en effet à travers une démarche comportant trois phases:

    – la première essaie de parvenir à une meilleure connaissance et à une évaluation correcte des potentialités provinciales;

    – la seconde porte sur le choix des actions les plus efficaces et les mieux adaptées au contexte provincial pour aboutir à une exploitation rationnelle des différentes potentialités offertes (la terre, l’eau, les pâturages, la forêt, le paysage naturel, la culture locale, le savoir faire des hommes de la montagne etc.);

    – la troisième se propose de déboucher sur la réalisation d’actions de développement intégré dans un cadre socio-économique de concertation et un climat de confiance à l’égard des collectivités locales.

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    LES COLLECTIVITÉS LOCALES<o:p></o:p>

    Les administrations communales sont évidemment les plus concernées par les potentialités de développement du territoire qu’elles gèrent et dont elles tirent une partie de leur budget. Aujourd’hui, malgré les subventions accordées par l’Etat aux communes, ces dernières essayent de tirer un maximum de ressources financières du milieu local, aussi limitées soient-elles en raison de la pauvreté du monde montagnard. Quelles que soient l’étendue et la diversité de ces ressources, il en est une qui importe beaucoup pour toute commune rurale : c’est la tenue d’un souk hebdomadaire, grâce à la possibilité de prélèvement de taxes qu’elle représente. Mais une telle ressource s’avère le plus souvent très insuffisante. C’est pourquoi, compte tenu de la richesse forestière du Moyen-Atlas oriental, une autre ressource est très appréciée des collectivités de montagne: les ventes de coupes de bois, notamment de cèdre, qui restent une des ressources financières essentielles pour le budget de certaines communes rurales telles Meghraoua, Talzemt, Berkine, Oulad Ali… Cependant, l’exploitation exagérée et anarchique des forêts pose aujourd’hui le problème de l’amenuisement et peut-être de la disparition prochaine d’une telle ressource.

    Dans ce contexte d’insuffisance des recettes du souk hebdomadaire et de la régression alarmante des cédraies se développe chez les collectivités locales un intérêt nouveau à l’égard d’autres ressources qui, jusqu’à une date récente, ne présentaient qu’un intérêt secondaire: il s’agit notamment de la location des terrains collectifs faisant l’objet d’une exploitation agricole (plantations de rosacées par exemple) par des personnes acceptant des contrats de baux à long terme.

    Quant aux ressources provenant directement du milieu naturel, elles font aujourd’hui l’objet de réflexions de la part des collectivités locales, qui encouragent et facilitent les investissements débouchant sur la réalisation de petits projets: il s’agit par exemple de l’ouverture de carrières, de la création de briqueteries ou de la mise en place de microcentrales hydroélectriques (sur des cascades d’eau) pour l’électrification des douars reculés de la montagne.

    On assiste donc à une volonté de redéploiement des ressources des collectivités locales. Celles-ci sont de plus en plus appelées à compter sur leurs propres potentialités pour gérer leurs affaires et mettre en place les bases d’un développement local, soit dans le cadre de chacun des territoires communaux de leur compétence, soit dans le cadre élargi de la collaboration intercommunale.

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    LA FRACTION ACTIVE DE LA POPULATION<o:p></o:p>

    Les populations du Moyen-Atlas oriental longtemps livrées à elles-mêmes, sinon abandonnées à leur destin – très peu d’aide étant venue de l’extérieur – sont aujourd’hui très conscientes de la nécessité de mieux mettre en valeur leurs ressources pour arrêter le puissant phénomène d’exode rural (conduisant parfois, comme nous l’avons vu, à la dépopulation) frappant les campagnes déshéritées de la région. Par ailleurs, si la raison principale de la fixation des populations pastorales semble devoir être attribuée au rapprochement des infrastructures sociales de première nécessité dont dispose chaque commune rurale, il

    apparaît aussi que la sédentarisation des nomades corresponde à cet intérêt nouveau accordé par les habitants de la région aux anciennes ressources que sont l’eau, la terre, l’élevage, la forêt ; mais des ressources revisitées en quelque sorte, c’est-à-dire vues sous une nouvelle perspective capable de porter le développement.

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    Si le meilleur exemple est celui des plantations de rosacées, réussies grâce aux expériences engagées par des personnes étrangères à la région, l’extension d’autres cultures comme la pomme de terre, les haricots verts et autres cultures maraîchères à haut rendement, témoigne du même état d’esprit. Les transformations qui affectent les anciens espaces pastoraux eux-mêmes (épierrage des sols pour gagner de nouveaux terrains cultivables, travaux de défonçage de la croûte calcaire, équipement en puits pour l’irrigation, etc.) procèdent de cette nouvelle appréciation des potentialités locales et régionales par la population active.

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    Conclusion<o:p></o:p>

    Jusqu’au début des années quatre vingts, le Moyen-Atlas oriental n’a pas suivi le mouvement de transformations qu’a connu la partie occidentale voisine, et encore moins celui d’autres régions rurales plus riches du Maroc. Après une longue période d’inertie due à des difficultés d’ordre général propres à l’ensemble du pays, et au manque de dynamisme économique et social propre à cette région de montagne souffrant de nombreux handicaps, s’amorce aujourd’hui un espoir de développement territorial dont la responsabilité est partagée par les décideurs-gestionnaires de l’appareil administratif, les élus des collectivités locales et les habitants eux-mêmes. Tous ces acteurs du développement doivent œuvrer dans la concertation pour une meilleure appréciation des potentialités locales et pour la concrétisation d’un développement bien intégré au plan local, en attendant la mise en place de la nouvelle politique régionale du pays encore en gestation.

    Bibliographie<o:p></o:p>

    BADIDI B., 1995. — La révolution des vergers de rosacées dans le Moyen-Atlas, thèse de doctorat, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Limoges.

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    IDIL O., 1982. — L’évolution des structures sociales et spatiales dans le Moyen-Atlas du Nord, thèse de 3ème cycle, Université de Toulouse le Mirail.

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    JENNAN L., 1989. — Evolution récente des systèmes socio-économiques et différenciations spatiales au Moyen-Atlas, in « Le Maroc : espace et société », Actes du colloque maroco-allemand de Passau.

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    KERBOUT<o:p></o:p>

    M., 1989. — Les mutations des campagnes du Moyen-Atlas oriental. Le cas des Béni Yazgha et des Marmouchas, in « Le Maroc : espace et société », Actes du colloque maroco-allemand de Passau.

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    SKOUNTI A., 1995. — Le sang et le sol. Les implications socio-culturelles de la sédentarisation : cas des nomades Ayt Merghad (Maroc), thèse de doctorat, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris.

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    TAG B., 1985. — Les hauts plateaux du Maroc oriental : la déstructuration du nomadisme et ses conséquences, Revue de la Faculté des Lettres Dhar Mahrez, n° spécial : « Etudes géographiques sur le Maroc ».

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  • Nicolas Michel, Une économie de subsistance. Le Maroc précolonial, IFAO, Le Caire, 1997.

    Texte Intégral

    Le titre de cet ouvrage peut apparaître paradoxal si l'on considère, comme le rappelle Nicolas Michel, que le Maroc, dès avant le XIXe siècle, était inséré dans une économie marchande internationale "faisant circuler dans tout le pays produits et espèces monétaires". En fait, les produits de première nécessité échappent au grand négoce et font plutôt l'objet d'un troc, d'un échange contre services, hors système monétaire. Néanmoins, dans un souci de rigueur méthodologique, l'auteur nous garde de voir là, dans une lecture linéaire et progressive de l'histoire, un stade premier où cette économie de troc passerait, dans une étape de développement ultérieur, à une économie marchande. De même, il considère dans son travail les techniques dites traditionnelles comme n'ayant pas moins de "valeur".

    Cet ouvrage porte sur l'ensemble du Maroc rural pré-colonial (pourquoi utiliser cette terminologie, dont le référent est européocentré et ne pas parler plutôt de XIXe siècle ?) où l'on dénote une certaine homogénéité : l'organisation sociale y est tribale, les musulmans y sont tous malékites, le système y est mixte (agro-pastoral), l'économie rurale y est partout d'une extrême fragilité et pose le problème, récurrent, des subsistances. Subsistances car le Maroc, au XIXe siècle, est lourdement marqué par les crises, les pénuries, les disettes, lesquelles sont structurelles. Les causes de cette difficulté à assurer toutes les années la couverture en besoins de produits de première nécessité (principalement des céréales), sont d'abord les conditions météorologique avec, notamment, la pluviométrie, dont le volume et la répartition sont décisifs pour le succès des emblavures et des pâturages, ainsi que d'autres calamité naturelles comme les invasions de criquets pèlerins. Malgré tout, les rythmes des disettes ne sont pas strictement liés à des cycles climatiques (81). L'homogénéité remarquée n'empêche pas les différences régionales, que l'auteur souligne tout au long de l'ouvrage, et particulièrement dans le chapitre sur "l'occupation de l'espace" (184-228) : différences pédologiques, climatiques, culturelles (notamment linguistiques, et NM, donne le lexique arabe et berbère (plus de huit vocables pour désigner le maïs, selon les régions) des termes techniques.

    Une étude sur une économie agro-pastorale se doit d'examiner les techniques, les outils, les savoir-faire. NM peint donc minutieusement (122-148) un tableau de la céréaliculture irriguée (la plus rare) ou en bour (sans irrigation), avec son outillage - araires et houes, faucilles -, ses animaux de trait, ses techniques aratoire - engrais, labour, semence, sarclage, récolte, dépiquage, vannage et ensilage des grains -, le choix des espèces cultivées, surtout des céréales (blé, orge, maïs, millet, sorgho, riz...), des légumineuses (fèves, pois chiche, lentilles), des arbres, comme l'olivier ou le palmier.

    Le métier d'historien consiste à mettre en perspective des pratiques, représentations, événements situés dans le passé. L'Histoire a d'abord collé à l'événement politique puis, se forgeant de nouveaux objets, aux pratiques et aux représentations des sujets étudiés. Si les historiens ont, depuis quelques décennies, beaucoup affiné leurs méthodes et accepté de nouveaux objets, l'Histoire n'a jamais été une discipline développant des théories et Nicolas Michel se situe bien dans cette lignée. Autant chaque chapitre de son livre donne t-il lieu à des réflexions méthodologiques très fines, le situant par rapport à ses collègues (soit l'ayant précédé dans l'étude du Maroc précolonial, soit ayant travaillé sur d'autres aires sur des sujets proches) autant il se méfie des théories, non pas par distance intellectuelle, il les connaît et les expose clairement avec grand bénéfice pour son lecteur, mais justement parce qu'elles ne sont que cela, et que le réel ne s'y retrouve pas toujours. Cette exigence donne des résultats. Ainsi bien des idées reçues doivent désormais être révoquées. Par exemple celles concernant la répartition égalitaire, que l'on aurait pensée , dans un schéma évolutionniste (ou marxisant : la "commune primitive"), antérieur à toute forme d'appropriation, est plutôt réponse à des tensions, NM le démontre avec différents exemples (p. 256-257). De même, bien que reconnaissant la prégnance du système tribal, et saluant au passage la théorie de la segmentarité (p.246), NM lui règle son compte, considérant qu'il s'agit d'une théorie et que, foin des "raffinements d'analyse", l'historien a meilleur compte à dégager les aspects économiques effectifs de la structure tribale. C'est donc la réalité du vécu du paysan marocain qui intéresse NM (comme son alimentation, à base de produits locaux, principalement céréaliers (les bouillies de céréales) - 107-117), et non un modèle, ni même la norme énoncée par le droit, fut-il coutumier. Ainsi le modèle patriarcal ne résiste pas longtemps non plus à l'analyse et NM démontre que, pour des raisons démographiques, il n'est en fait qu'un référent. La structure sociale de base était la famille nucléaire ou élargie selon les conditions démographiques et l'inscription dans l'espace de la population se faisait dans les douars, groupements de lignages. La rigueur méthodologique de l'auteur s'alimente en partie dans un comparatisme basé sur la lecture d'un nombre impressionnant d'études sur des sujets similaires portant sur d'autres aires, notamment méditerranéenne-européenne, mais aussi plus éloignées comme celle de la plaine du Gange ou la Chine. Pour celles qui traitent du Maroc, ses lectures sont souvent judicieusement critiques, qu'il s'agisse d'études récentes (183-4, 342) ou d'analyses produites par les autorités du Protectorat, analyses plaquant sur le cas marocain des catégories (par exemples celles issues du droit romain) hors de rapport avec la réalité (249-250). Ainsi, après cette recherche attentive aux pratiques effectives, un certain nombre de clichés doivent désormais être révoqués : celui de l'agriculture archaïque tombe devant l'étude des techniques ; celui d'un système équilibré et respectueux de la nature s'efface devant la variété des pratiques ; celui d'une agriculture de pasteurs semi-nomades qui auraient pris la place de sédentaires disparaît devant l'analyse historique.

    Les subsistances produites, quand elles n'étaient pas consommées par les agriculteurs et leurs familles, étaient commercialisées, notamment pour l'approvisionnement des villes. Ce commerce intérieur au Maroc (et très localisé) était jusqu'à présent mal connu, notamment faute de sources. Une autre partie des subsistances (orge, maïs, blé) étaient exportées vers l'Europe, malgré une interdiction de principe de la vente aux infidèles de ces produits considérés comme stratégiques. En revanche, l'approvisionnement des citadins se faisait à partir de la production locale (banlieues agricoles et territoires proches des tribus). Mais les villes, non autonomes, ne se dotèrent pas d'une assise foncière. Le profit des paysans venant vendre leurs produits en ville devait être maigre dans la mesure où, ils ne commercialisaient pas eux-mêmes leurs produits. De nombreux métiers (meuniers, boulangers, bouchers...), organisés en corporations (Ìan†a, plur. Ìnâ†i) prenaient en charge la commercialisation ou la transformation des produits agricoles. Les prix sont connus, en francs, monnaie dans laquelle se faisaient les transactions importantes, et furent à peu près stables de 1770 à 1900, augmentant après cette date. S'ils furent à peu près constants sur cent trente ans, il y eut de fortes variations interannuelles - les chertés étant le signe et la conséquence des disettes urbaines qui eurent lieu jusqu'en 1826 - et il y avait des disparités régionales pour le prix d'un produit donné. Au Maroc, contrairement au monde ottoman où la Porte intervenait dans les villes de la province, le gouvernement central s'est donné assez peu de moyens de contrôler la vie économique, où il n'intervient sur le marché qu'en tant qu'acteur important (consommateur ou vendeur) et non comme décideur. En fait, la puissance du Makhzen se manifestait uniquement par la maîtrise des réserves de grains (fournis par ses domaines et par la dîme) ce qui lui donnait les moyens, en temps de disette, d'un rôle de redistribution auprès des populations.

    Un travail d'histoire économique ne peut de faire sans collecte et exploitation de documents produisant des chiffres. Mais étudier une société qui ne produit pas de statistiques pose des problèmes de méthode que l'auteur affronte avec lucidité (85-106). Ainsi ces sources permettent de se faire une idée du rendement et de la production agricole, non pas en valeur absolue, mais relative : proportions respectives des cultures, nombre des contribuables, variations interannuelles... Ces sources sont, bien sûr, d'abord les archives du Makhzen (les registres d'évaluation de la dîme des céréales et de l'huile ; les effectifs de troupeaux pour la zakât ; les registres du tertîb de 1901-02, ceux des greniers du Makhzen et sa correspondance, ainsi que les comptes d'approvisionnement de la mÌalla) complétées par les sources marocaines, pour la plupart manuscrites ainsi que par les précieux mémoires de l'Institut agronomique et vétérinaire de Rabat. Puis les archives françaises (la correspondance consulaire et commerciale conservée au Quai d'Orsay et à Vincennes) ; les récits de voyageurs et les voyages d'études du début du siècle ainsi que les mémoires du CHEAM. Ne négligeant rien, l'auteur exploite aussi de nombreux proverbes et adages, illustrant les techniques en usage, quelquefois divertissants ; ainsi, à propos de la nécessité de ne pas semer le maïs trop près : "Le maïs dit à sa sœur : éloigne-toi de moi ! - Et mon épi ? - Je m'occupe de ton épi et de celui de ta voisine."" (153)

    Pour citer cet article :

    Sylvie Denoix, «Nicolas Michel, Une économie de subsistances. Le Maroc précolonial, IFAO, Le Caire, 1997.»,
    Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne],
    n° 87-88 - Livres et lecture dans le monde ottoman, septembre 1999.
    Pagination : 313-315.

    Mis en ligne le : 12 novembre 2004
    Disponible sur : http://remmm.revues.org/document2371.html.

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  • Rentabilité de la traction animale dans les petites exploitations marocaines

    par

    B. Elhimdy et J. Chiche

    Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc

    Résumé

    L'agriculture marocaine actuelle est le fruit d'une évolution qui associe les techniques traditionnelles et les techniques modernes. 68% des exploitations comptent moins de 5 ha et la traction animale est largement représentée avec un nombre élevé d'animaux de trait sur la totalité du territoire: 723.000 ânes, 445.000 mules, 15.000 chevaux, 39.000 camélidés. L'utilisation de la traction animale est valable pour les petites exploitations disposant d'une main-d'œuvre familiale. Sur une exploitation de 5 à 6 hectares au Tadla, les coûts d'utilisation d'un attelage simple d'un mulet reviendrait d 43 Dh (31 FF) par jour, soit approximativement un coût horaire 50% inférieur à un tracteur.

    Introduction

    Peu après l'indépendance (1956), le Maroc a mis en place un certain nombre de mesures visant à promouvoir les équipements modernes de production agricole. Le code des investissements agricoles, paru en 1969 (encore valable en grande partie de nos jours), prévoit des subventions de 20 à 30% pour l'acquisition de machines agricoles. Sous l'influence des idées et des devises importées par les émigrés marocains au cours des 20 dernières années, le Maroc s'est vu prendre un nouveau visage où le traditionnel et le moderne coexistent.

    Dans certaines exploitations, divers facteurs socio-structurels garantissent la continuité de certaines technologies anciennes. Ces situations alliant l'ancien et le nouveau sont le résultat d'une adaptation et d'une acceptation progressive d'un nouveau schéma de production impliquant des éléments encore mal connus et mal maîtrisés par les paysans. Cet article aborde quelques aspects de la traction animale (TA), et en particulier celui des coûts d'utilisation de différentes techniques agricoles.

    Traction animale et motorisation

    L'analyse des travaux de préparation du sol réalisée au Maroc montre que 25% des superficies sont travaillées à l'araire et 78% des exploitations ne sont pas mécanisables du fait de leur structure foncière morcelée, de la topographie locale, du mode de faire-valoir ou de la nature du terrain. Ce nombre important d'exploitations indique à quel point la traction animale est ancrée dans le milieu rural, touchant en fait 78% des foyers ruraux. Au niveau des effectifs, notons la prédominance des ânes (723.700) et des mulets (445.000). Les petits équidés ont l'avantage d'être d'un entretien peu coûteux et d'un emploi versatile, servant aussi bien au labour, au sarclage, qu'au transport de l'eau et des grains. De plus, ils peuvent être confiés à des enfants dès l'âge de sept ans. Les chevaux (15.700) sont concentrés dans les zones au relief de plaine (Fig. 1).

    Tableau 1: Potentiel de la traction animale au Maroc

    Espèces

    Effectif

    Anes

    723720

    Mulets

    445028

    Dromadaires

    38986

    Chevaux

    15670

    D'après Enquête - Elevage MARA Oct. 1984.

    Fig. 1: Importance et distribution géographique des équidés au Maroc

     

    Contrairement à la traction animale de tradition ancestrale, le matériel de culture motorisé est rare dans les zones de colline ou de montagne (Fig. 2). La motorisation s'est bien répandue dans les zones de plaines et de cultures irriguées (périmètres aménagés par l'Etat en grande hydraulique). Sur l'ensemble des exploitations, on compte un tracteur pour un peu moins de 270 ha mécanisables, alors que les besoins théoriques sont de l'ordre d'un tracteur pour 83 ha mécanisables (Colloque sur le machinisme agricole: HTE, 1980).

    Fig. 2: Mécanisation labours et milieu. Nombre de "cover crop" (culture de couverture): le "cover crop, charrue mototractée la plus utilisée a été choisi comme indicateur de l'importance de la mécanisation des travaux agricoles. (J. Chiche) Limite A: limite des zones où l'assiette foncière des plus grandes exploitations ne dépasse practiquement pas 10 hectares.

     

    Performances des animaux de trait

    Les performances des animaux de trait dépendent de plusieurs facteurs tels que l'âge, la génétique, l'alimentation, l'état de santé, la conduite durant le travail. Des études menées au Maroc (El Batnane, 1983; Benlamlih et al., 1988) ont porté sur l'évaluation des performances (force de traction et vitesse de déplacement) des animaux de races locales en attelage simple et double. Il apparaît que les vitesses de récupération diffèrent selon l'espèce et que certaines capacités physiologiques d'adaptation aux efforts soutenus permettraient au dromadaire (38.986) (utilisé comme animal de trait au centre et sud du Maroc) de réaliser des travaux cumulés.

    Une normalisation de la mesure des performances physiques des animaux de trait et de bât permettrait d'obtenir des données fiables et indépendantes des situations agricoles. A notre connaissance, mis à part le test d'énergie utilisant un ergomètre fixe ou mobile, et de test d'aptitude à la traction (Dyrendahl et Bengtsson, 1982), il n'existe pas encore de test normalisé pour évaluer les efforts nécessaires aux différents types de travaux agricoles sur différents terrains. Une telle normalisation des tests permettrait un échange plus significatif des informations entre chercheurs et pourrait ouvrir la voie à une amélioration des recherches sur le développement de la traction animale en milieu agricole.

    Critères d'évaluation des coûts d'utilisation

    Sur les exploitations de moins de 5 ha (soit 68% des exploitations) le choix du mode de traction est tributaire de différents critères: offre des travaux à façon, taille des parcelles, morphologie des exploitations, disponibilités monétaires au moment des travaux, capacités d'entretien d'un attelage, et niveau pluviométrique. Par ailleurs toute tentative d'évaluation des coûts d'utilisation des techniques traditionnelles doit tenir compte de plusieurs aspects de la traction animale: l'espèce animale considérée, l'intensité de son utilisation annuelle (avec peut-être l'établissement d'une grille d'équivalence entre les différentes opérations), les temps moyens de réalisation le mode de conduite, l'entretien des animaux.

    Tableau 2: Performances physiques des animaux en attelage double ou associé

    Type d'attelage

    Vitesse (m s-1)

    Effort de traction

     

    (N)

    Cheval léger simple

    0,70

    480

    (1)

     

    1,22

    800

    (2)

    Mulet léger simple

    0,70

    320

    (1)

     

    1,09

    740

    (2)

    Paire de mulets

    0,47

    1500

    (3)

    Ane léger

    0,61

    190

    (1)

    Paire d'ânes

    0,34

    750

    (3)

    Bovin loger

    0,56

    200

    (1)

    Paire de bovins

    0,48

    1800

    (3)

    Dromadaire

    1,16

    574

    (2)

     

    0,98

    500

    (1)

    Cheval + âne

    0,84

    773

    (2)

    Mulet + cheval

    1,07

    891

    (2)

    Légende:

    (1) Divers auteurs cités par Baoubaou, 1986
    (2) Benlamlih et al., 1988
    (3) Albatnane, 1983

    En ce qui concerne les paramètres d'intensité d'utilisation annuelle et les temps moyens des différentes opérations culturales, Salie (1970, 1972) a procédé à l'enregistrement des temps d'utilisation du mulet dans cinq stations expérimentales (au Tadla, stations de 5 à 6 ha) sur des cultures de céréales, coton, betterave et des cultures maraîchères. Les résultats montrent que le mulet est utilisé pendant toute l'année avec une moyenne mensuelle de 60 heures, soit une moyenne de deux heures par jour. Le taux d'utilisation moyen obtenu dépend grandement de l'assolement pratiqué et de la rotation des cultures au sein de l'exploitation. Par exemple, le taux d'utilisation du mulet a une valeur plus élevée sur cinq à six hectares de cultures maraichères. S'inspirant des travaux de Salle, Baoubaou (1986) a pu établir des coûts d'utilisation annuelle, journalière et horaire du muet dans la région du Tadla. Ces coûts sont de 3.881 Dh par an (2. 772 FF), 43 Dh par jour (31 FF) et 5,40 Dh par heure de travail (3,85 FF). Cette même étude indique que le coût horaire d'un tracteur de puissance moyenne (55 kW) est estimé à 76,5 Dh soit 54,6 FF de l'heure.

    A partir de ces données, l'analyse comparative des différents itinéraires en traction animale intégrale en traction mixte et en traction mécanique intégrale, effectuée sur deux cultures hypothétiques de blé tendre et de betterave sucrière montre que la traction animale reste toujours (en intégrant la main-d'œuvre associée) la plus intéressante pour les petites exploitations disposant d'une main-d'œuvre familiale permanente. Les coûts de la main-d'œuvre familiale sont rarement comptabilisés lors des opérations culturales réalisées en traction animale. Les coûts de mise en culture d'un hectare de blé tendre en TA peut ainsi être évalué à 636 Dh, alors que les mêmes travaux coûteraient 1.177 Dh en motorisation. Dans le cas d'un hectare de betterave, les coûts en traction animale s'élèvent à 499 Dh contre 1.054 Dh en traction motorisée.

    Tableau 3: Utilisation du mulet pour les travaux agricoles. (Moyenne de cinq stations expérimentales de 5 à 6 ha chacune)

    Mois

    Heures

    Janvier

    72

    Février

    22

    Mars

    103

    Avril

    39

    Mai

    74

    Juin

    87

    Juillet

    55

    Août

    49

    Septembre

    49

    Octobre

    55

    Novembre

    46

    Décembre

    69

    Total

    720

    Moyenne/mois

    60

    D'après B. Salle, 1970

    Tableau 4: Temps moyens de réalisation de différentes opérations culturales en traction animale

     

    Temps/ha

    Main-d'œuvre

    Attelage

    Operations

    Journées

    Heures

    Journées

    Labour moyen

    5,5

    24

    3,0

    Hersage (canadien)

    1,25

    10

    1,23

    Hersage simple (herse souple)

    1,0

    8

    1,0

    Billonnage

    1,33

    11

    1,33

    Confection seguia 2,0

    16

    2,0

     

    Epandage d'engrais de fond

    1

    8

    1

    Binage attelé

    1

    9

    1

    Récolte à la faucheuse

    1,25

    10

    1,25

    Dépiquage au rouleau dépiqueur

    2,66

    22

    2,66

    Transport paille et autres

    5

    -

    2

    D'après Salle 1970

    Tableau 5: Evaluation des coûts d'installation des cultures de blé tendre et de betterave sucrière (au Tadla) en traction animale (en Dh ha-1; 1Dh = 0,7FF)

    Pour ce qui est de la traction mixte, les deux cultures prises en exemple seraient mécanisées selon des proportions différentes. La culture de la betterave est une culture sarclée conduite sur billon dont les travaux sont plus aisément réalisés en traction animale. Les valeurs monétaires mises en jeu refléteront donc ces différences.

    Abstract

    Moroccan agriculture now involves the use of traditional and modern techniques which coexist in harmony. Sixty-eight per cent of the farms are less than 5 ha and animal traction is widespread throughout the territory. Work animals in use include 723,000 donkeys, 445,000 mules, 15,000 horses and 39,000 camels. Animal traction appears to be a productive option for small farms able to rely on family labour. On a 56 ha experimental farm in the Tadla region, the cost of using a mule works out at about 43 Dh (31 FF) per day, which is approximately half the hourly cost of a tractor.

    Références

    Baoubaou M. 1986. Situation de la traction animale au Maroc. Mémoire de fin d'études, Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan 11, Rabat, Maroc. (non publié). (F).

    Benlamlih et al. 1988. Performances de traction chez le dromadaire et les équidés. Conférence au premier congrès national vétérinaire, Mayoune, Maroc. (F).

    Dyrendahl S. et Bengtsson G. 1984. Performance testing of draft horses. Initiatives and experiences of the North Swedish Horse Association. pp. 3745 in: Animal energy in agriculture in Africa and Asia. FAO Animal Production and Health Paper 42, Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome, Italie. 143p. (E/F).

    Elbatnane A. 1983. Etude mécanique de l'araire au Maroc. Mémoire de fin d'études, Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc. (F).

    HTE 1980. Colloque de Rabat sur le machinisme agricole au Maroc. Hommes, Terre et Eau, No. 38/39 (numéro spécial). (F).

    Salle B. 1970. L'emploi de la traction animale et du petit matériel agricole en périmètre irrigué. Département de Machinisme Agricole, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc. (non publié). (F).

    Salle B. 1972. L'emploi de la traction animale et du petit matériel agricole dans le Tadla. Machinisme Agricole Tropical, 37: 43-47. (F).


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  • Le fabricant d’araires

    L’araire, celui dont on nous parle dans les livres d’histoire, est toujours fabriqué dans la Médina. Il est utilisé par les paysans des régions montagneuses, dans les sols caillouteux et sur de minuscules lopins de terre.

    Le bois de chêne utilisé provient des forêts du Moyen Atlas soit de Tahala soit d’Azrou. Il faut 100 kilos de bois, deux journées de travail et le soc fourni par le forgeron pour faire un grand araire (ou 2 petits). Si le laboureur prend soin de son outil, il pourra s’en servir pendant 4 ans.
    Si Bernoussi fabrique des araires d’août à novembre, ensuite c’est surtout un travail de « maintenance » tant que dure la saison des semailles jusqu’en avril. Par chance, en ce début juin, il est en train de réparer une de ces charrues. Avec beaucoup de patience, il nous montre comment s’imbriquent toutes les pièces.

    De mars à septembre, Si Bernoussi exerce une autre activité : il fabrique, installe et restaure des norias sur les berges de l’Oued Sebou entre Fès et la Plaine du Gharb. Ces norias ont un diamètre qui varie de 4 à 10 mètres selon la profondeur du fleuve et la force du courant. <o:p></o:p>

    Ce fabricant d’araires et de norias, qui souvent accompagne les écoliers marocains au musée du bois pour leur expliquer l’utilisation des différents outils, est-il un homme jeune ? Plus tout à fait ! Ce père de famille nombreuse est né voici 76 ans dans la province de Taounate. Contrairement à Si Mohamed ou à Si Hammad, il envisage l’avenir avec sérénité : Saïd son troisième fils, agriculteur dans la région de Fès est capable de prendre la relève le moment venu, le plus tard possible, Inchaa Allah.<o:p></o:p>

    Au cours de ces visites en Médina, à la rencontre des artisans, j’ai eu le privilège de faire la connaissance d’hommes de qualité, pleins d’humanité et de simplicité, dont la préoccupation principale est de bien faire leurs métiers. Une grande leçon de vie. <o:p></o:p>

    Merci, Messieurs, pour votre gentillesse et votre disponibilité.

    Auteur: Abdou
    ____________________________________________________________________________________________________


    Pour comprendre les outils, il faut se mettre à l'école des paysans et démêler le réseau infiniment complexe de leurs faits et gestes.L'outil est une concrétisation de l'action, c'est une sorte de sculpture où on peut en lire les traces essentielles. C'est d'ailleurs parfois une sculpture tout court, tant certains outils peuvent être beaux. L'étude des outils n'est pas une voie facile.Mais c'est celle qui conduit le plus sûrement vers la compréhension en profondeur de la réalité des agricultures et des sociétés africaines.

    ____________________________________________________________________________________________________

    On peut lire en ligne à l'adresse suivante (en cliquant sur le titre) une étude complète sur les différents types d'araires traditionnellement utilisés au Maroc, à partir de la page 248. Malheureusement les pages 246 et 247, qui doivent être très intéressantes, ne sont pas consultables en ligne.

    Outils aratoires en Afrique




    Il s'agit d'un ouvrage publié chez Karthala en 2000, écrit par Christian Seignobos, Yasmine Marzouk et François Sigaut
    Collection: Hommes et Sociétés : Sciences économiques et politiques
    Thème : Agriculture et paysans


    Autre texte à consulter en ligne sur le même sujet:

    Campagnes et paysans d'El Andalus  du VIIIe au XVe siècle, de Vincent Lagardère, aux éditions Maisonneuve (1993)

    Sur les instruments aratoires: à partir de la page 236


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  • A lire en ligne, un passage consacré à l'araire dans cet ouvrage:

    Les cultures du Maghreb: une clé pour comprendre la politique / Philippe Fargues
    Femmes du Maghreb, partenaires incontournables de l'équilibre méditerranéen / Fatima Mernissi
    L'imaginaire dans les sociétés maghrébines / Tahar Ben Jelloun
    etc..
    Publié par L'Harmattan, 1996
    ISBN 2738444164, 9782738444165
    199 pages

    Cliquer sur Les Cultures du Maghreb


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